M. le président. Personne ne demande la parole ?...
En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons, dans l’hémicycle, à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente dans l’hémicycle, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 15 juin 2010, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-24 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
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Débat préalable au conseil européen des 17 et 18 juin 2010
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 juin 2010.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la construction européenne traverse en ce moment une passe délicate. Sans céder à la dramatisation, il faut reconnaître que la solidarité entre les États membres et la crédibilité de l’Union européenne sont à l’épreuve.
Dans les moments difficiles, l’axe franco-allemand prend une importance particulière. Ce n’est pas une simple déclaration de principe : c’est un constat ! Et nous sentons bien que les deux pays ont aujourd'hui, une nouvelle fois, une responsabilité particulière.
On entend à ce sujet beaucoup de commentaires inquiétants. Le simple report d’un dîner a suscité d’innombrables analyses : les relations seraient au plus bas, les visions seraient différentes et le couple franco-allemand ne serait plus qu’une façade…
À mon sens, il faudrait voir les choses avec un peu plus de recul. Je faisais partie de la petite délégation qui a accompagné M. le président du Sénat à Berlin le mois dernier, et je peux vous dire que le climat des entretiens était particulièrement constructif. La volonté de travailler ensemble de manière privilégiée est toujours là.
Bien sûr, il y a des difficultés, bien sûr, il y a des différences dans les approches ! Mais il y en a toujours eu, et c’est bien ce qui fait l’importance du couple franco-allemand.
Nous sommes deux pays profondément différents. Nous n’avons pas spontanément les mêmes intérêts et la même vision des choses. Pour parvenir à une position commune, il nous faut tout un travail de rapprochement et de synthèse.
Et c’est bien pourquoi, lorsque nous parvenons à une position commune, elle devient une référence essentielle pour l’Europe. Dès lors que nous pouvons surmonter nos divergences, beaucoup de pays peuvent se retrouver dans le résultat.
Nous l’avons vu, par exemple, lors de la négociation des actuelles perspectives financières, qui s’achèveront en 2013. Quand nous entrerons dans la négociation des nouvelles perspectives financières, qu’on appelle désormais le « cadre financier de l’Union européenne », nous irons vers les pires difficultés s’il n’y a pas au départ une approche commune franco-allemande.
L’axe franco-allemand est donc toujours aussi nécessaire.
Bien entendu, les conditions objectives font que le rapprochement des positions entre France et Allemagne nécessite aujourd'hui encore plus de volonté qu’autrefois. Car, il faut le rappeler à ceux qui ont tendance à idéaliser le passé, nous ne sommes plus – heureusement ! – au temps de la guerre froide, où la situation de l’Europe rendait les deux pays étroitement interdépendants.
Aujourd’hui, l’Allemagne a retrouvé son unité et sa souveraineté, et elle se trouve au centre de l’Union. De plus, elle a fait un effort considérable pour restaurer sa compétitivité, effort qui explique les réticences de l’opinion allemande durant la crise grecque.
Cette situation nous donne des devoirs. Pour que le couple franco-allemand continue de fonctionner dans l’intérêt de l’Europe, il faut éviter qu’il ne se déséquilibre. Nous devons être un partenaire crédible. Cela suppose que nous sachions, nous aussi, restaurer notre compétitivité et mettre de l’ordre dans nos finances publiques. Ce n’est pas seulement notre intérêt ; c’est également celui de l’Europe !
Si nous parvenons à mettre en œuvre une approche commune, équilibrée, pour sortir de la crise tout en réalisant l’indispensable assainissement de nos comptes publics, l’effet d’entraînement sera considérable. Il faut rappeler que l’Allemagne et la France représentent à eux seuls près de la moitié du produit intérieur brut de la zone euro.
C’est pourquoi je me refuse, pour ma part, à désespérer du couple franco-allemand ; ce serait tout simplement désespérer de la construction européenne ! Et nous devons, me semble-t-il, combattre la manie française de ne retenir que les signes inquiétants, alors que d’autres sont, au contraire, très encourageants.
Cet après-midi, les commissions des affaires européennes de l’Assemblée et du Sénat ont tenu une réunion commune pour entendre à la fois vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et votre homologue allemand, M. Werner Hoyer. À ma connaissance, c’était une première, et nous avons pu constater que la volonté de s’entendre était bien là, de part et d’autre.
Je voudrais apporter un autre exemple qui me paraît particulièrement significatif. La politique agricole commune a toujours été un point de discorde entre la France et l’Allemagne. Lors du déplacement à Berlin dont j’ai parlé tout à l’heure, nous avons constaté que les positions s’étaient rapprochées sur de nombreux aspects et que le travail franco-allemand, au niveau ministériel, était particulièrement dense et efficace. C’est une évolution prometteuse sur un sujet essentiel, pour la France comme pour l’Europe.
La question de la gouvernance économique de l’Europe sera à l’arrière-plan du Conseil européen, même si d’autres sujets y seront également abordés. Dans ce domaine, le rapprochement des points de vue est difficile, car les conceptions économiques dominantes sont différentes en Allemagne et en France – nous n’avons effectivement pas la même culture économique –, mais également parce que les situations ne sont pas identiques. L’Allemagne est allée au bout de réformes difficiles, par exemple en matière de retraites, pour lesquelles nous, Français, n’avons fait qu’une partie du chemin. Et les Allemands, assez naturellement, n’ont pas envie de payer deux fois en étant obligés de soutenir les pays qui ne se sont pas imposé les mêmes efforts.
Malgré cela, un rapprochement s’est produit. Certes, il reste du chemin à faire, mais je crois qu’il n’y a pas d’obstacle insurmontable à une communauté de vues.
En particulier, nous devons éviter de nous enfermer dans un débat artificiel sur la question de savoir si le bon échelon de la gouvernance économique est l’Union européenne dans son ensemble ou la seule zone euro. Il faut renforcer la gouvernance aux deux échelons et rappeler que tous les États membres participent à l’Union économique et monétaire. En effet, selon les traités, l’adoption de la monnaie unique est une obligation pour tous les États membres qui en remplissent les conditions, à l’exception du Danemark et du Royaume-Uni, qui bénéficient d’une dérogation. Par conséquent, si l’on organise mieux la zone euro, ce sont presque tous les États membres qui en bénéficieront à terme.
Pour ma part, je veux donc garder confiance dans le couple franco-allemand, dans la capacité de la France à se réformer et, finalement, dans la capacité de l’Union européenne à définir une discipline intelligente pour assainir progressivement les finances des États membres, sans compromettre la reprise économique.
Après tout, et ce sera ma conclusion, l’Histoire n’a pas toujours donné raison aux pessimistes. Sinon, nous ne serions pas là en train de débattre de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici invités à débattre des perspectives du Conseil européen qui doit se tenir dans deux jours à Bruxelles. À son ordre du jour figurent notamment la coordination des politiques économiques, les stratégies de sortie, la réglementation et la surveillance financières, ainsi que les activités de la task force du groupe Van Rompuy. Je note que c’est un nouveau Conseil européen de crise...
La question de la régulation financière est loin d’être réglée. La question de la gouvernance économique de l’Europe, que nous avons par le passé soulevée à maintes reprises, se pose aujourd'hui avec une acuité très singulière.
J’évoquerai dans mon propos la régulation financière, les plans d’austérité, la gouvernance, ainsi que la question des moyens dont l’Europe devrait, à l’avenir, se doter en vue d’accroître sa capacité d’action et de contrôle.
S’agissant de la régulation financière, je ne peux pas mentionner l’intégralité des très nombreuses propositions que, depuis 2001-2002, j’ai formulées avec mon groupe. Depuis cette période, nous n’avons eu de cesse de réclamer une accentuation des efforts d’encadrement de la spéculation et de régulation, dans notre pays comme au niveau international, qu’il s’agisse des fonds spéculatifs, des produits dérivés, du credit default swap, le CDS, des ventes à découvert à nu, des paradis fiscaux, de la prévention des risques systémiques, de la taxe bancaire ou de la taxation des transactions financières...
Nos propositions sur ces thèmes n’ont, hélas ! guère recueilli la sympathie gouvernementale, y compris depuis le déclenchement de la crise financière, à l’été 2008.
L’intervention du Président de la République à Toulon, avec l’engagement solennel en faveur de la régulation et de la « moralisation du capitalisme », a certes marqué un changement radical du discours gouvernemental. Mais le déclaratif ne donne pas toujours lieu à une démarche active de régulation. Et, face à la gravité et à l’urgence, la machine communautaire est bien lente ! Si beaucoup d’engagements ont été annoncés, tant au niveau de l’Europe qu’à celui du G20, peu d’actions concrètes ont été menées à ce jour... Moult chantiers piétinent et restent « en souffrance », les textes négociés manquant parfois d’ambition. Par exemple, nous ne sommes pas allés au bout de la démarche sur les fonds alternatifs ou la supervision financière. Que penser de l’efficacité de la réponse européenne à la crise ?
Il est indispensable d’agir sans délai en faveur d’un meilleur contrôle démocratique du système bancaire et financier. Nous avons bien déposé au Sénat une proposition de résolution européenne, mais elle a été rejetée – vous vous en souvenez, mes chers collègues – en séance le 29 octobre dernier ! Pourtant, le contrôle global des produits et agissements financiers est plus qu’urgent. Les produits dérivés constituent l’un des éléments les plus opaques du système financier et il importe de ne pas laisser le secteur financier retourner à ses mauvaises habitudes.
L’initiative d’Angela Merkel, à laquelle s’est ralliée la France, en vue d’interdire les ventes à découvert à nu en Europe, allait dans le bon sens. Je rappelle, pour mémoire, que l’Allemagne avait été très critiquée, notamment à Paris, pour avoir pris en solo une telle initiative… Gare au double langage !
Et que dire de la position définitive arrêtée hier par la Commission européenne : « Pas d’interdiction européenne de ventes à découvert à nu » ? Cet arbitrage européen laisse perplexe. Le processus décisionnel communautaire est encore bien trop décousu...
S’agissant de la question de la taxation des banques, j’observe que les ministres des finances et les banquiers centraux du G20, dernièrement réunis à Busan, en Corée, ont botté en touche au sujet de la mise en place d’une taxe bancaire mondiale en privilégiant plutôt la consolidation budgétaire. À nos yeux, le produit de cette taxe doit nécessairement alimenter un fonds commun et ne pas être dilué dans les budgets nationaux. L’objectif global perdrait tout son sens, sinon celui d’une régulation et d’une supervision européenne intégrée.
En privilégiant la consolidation budgétaire, les ministres des finances du G20 ont, d’une certaine façon, vidé l’ordre du jour du prochain G20 de son contenu. Nous sommes très inquiets de cette dérive, car le prochain G20, à la fin juin, traitera principalement, en effet, de la rigueur budgétaire.
Le G20 va-t-il se transformer en « super-instance de contrôle » permettant aux États membres de l’Union européenne de légitimer leurs politiques de rigueur et d’assainissement budgétaire, et en se recommandant d’un accord tacite des États parties ? La question est aujourd’hui posée.
Où est la réforme du capitalisme mondial ?
On est bien loin de la combinaison croissance-consolidation préconisée lors de la déclaration du G20 à Washington...
Quant à notre pacte européen de stabilité et de croissance – j’insiste notamment sur ce dernier terme –, ne peut-on craindre aujourd’hui qu’il n’oublie le souci de la croissance pour se focaliser sur la seule rigueur budgétaire ? Attention à ne pas tuer la croissance dans l’œuf !
L’Union européenne est aujourd’hui dans une phase de doute, tout le monde s’en rend compte. Les discours vont dans le sens d’une meilleure coordination économique et politique, mais demeure la question fondamentale de la gouvernance institutionnelle européenne en situation de crise financière, économique et sociale. On observe, jour après jour, que l’Europe est à la peine et qu’elle affronte la crise en ordre dispersé.
Dans cette Europe institutionnellement confuse et désarçonnée, il va falloir sortir du conflit actuel entre méthode communautaire, d’un côté, et méthode intergouvernementale, de l’autre.
Une coordination intergouvernementale simple ne suffit plus, ainsi qu’en témoigne la réaction des marchés, en manque de confiance envers les États membres.
Hier, à Bonn, la France s’est finalement alignée sur la vision allemande de la gouvernance économique. Elle a ainsi renoncé à ce qui constituait jusqu’à présent les seules vraies positions qu’elle avait prises en la matière.
Il n’y aura donc pas de gouvernement économique de la zone euro, ni de réunions régulières de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’État, ni de secrétariat permanent pour un gouvernement économique de la zone euro. La gouvernance économique se fera à vingt-sept États, conformément aux souhaits de l’Allemagne. L’Allemagne a toutefois concédé l’utilisation du terme « gouvernement », à la place de celui de « gouvernance »...
Sur l’aspect précis de la surveillance des finances publiques, nous considérons, pour notre part, que l’examen de l’état des finances des États membres, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, doit prendre en compte davantage de critères : le déficit structurel, et pas seulement le déficit courant ; la compétitivité ; l’emploi ; les politiques salariales ; la pauvreté ; les politiques d’éducation ; les investissements dans la recherche et l’innovation.
Nous pensons aussi que ce pacte doit s’appliquer de manière contracyclique, autant que faire se peut. À cet égard, une agence publique du type « Cour des comptes européenne » pourrait se charger d’évaluer l’efficacité de la dépense fiscale.
Une «Agence européenne de la dette » pourrait, quant à elle, renforcer la stabilité financière et soulager le service de la dette de chaque État.
On peut également s’interroger sur les modalités d’organisation de l’évaluation des budgets nationaux lors du « semestre européen », récemment décidée par le Conseil Ecofin.
Quelle que soit la forme du gouvernement économique européen qui sera actée, il faudra – ce point est à nos yeux essentiel – fonder sa légitimité sur l’association impérative des parlements nationaux, et ne le faire parler que d’une seule voix pour asseoir sa crédibilité. C’est un sujet, monsieur le secrétaire d’État, sur lequel nous nous interrogeons aujourd’hui tout particulièrement : cette appréciation a priori qui sera énoncée sur les budgets nationaux par l’Union européenne ou une instance d’évaluation recevra-t-elle une légitimation populaire au travers des parlements nationaux et donc, pour ce qui nous concerne, de l’Assemblée nationale et du Sénat ?
Le sommet européen de jeudi prochain devra faire la lumière sur cette réforme de la gouvernance européenne. Nous ne voudrions pas que la méthode communautaire soit d’emblée écartée. L’Union européenne n’a jamais été aussi forte que lorsqu’elle est investie d’une mission commune et que les États membres lui en délèguent la mise en œuvre.
Point n’est besoin de vous rappeler la légitimité démocratique qui doit concourir à cette réforme. Il va de soi que ce gouvernement économique européen devra être responsable devant les citoyens européens.
Du point de vue des moyens financiers, enfin, l’Europe est restée un « nain budgétaire ». Son budget 2010 équivaut au déficit de la France en 2010, à savoir 140 milliards d’euros. C’est dire à quel point les moyens d’action sont modestes !
Incontestablement, la crise a révélé les insuffisances de ce budget européen, trop limité pour être un instrument de réponse macroéconomique. L’Europe doit se doter de moyens d’action pérennes et d’une stratégie d’investissement cohérente au regard de ses ambitions.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’Union européenne ne s’est toujours pas dotée d’un véritable système de supervision économique et financière, ce qui nuit à la crédibilité de son intervention, voire à celle des pays de la zone euro. Des garde-fous contre les dérives du capitalisme doivent être mis en place dans la zone euro.
L’Union européenne a la chance de disposer d’un niveau d’intégration poussé qui permettrait d’agir vite, efficacement et au niveau approprié. Il est plus que temps qu’elle conçoive de façon globale – et non pas par petites touches, comme actuellement – les instruments économiques européens nécessaires au bon fonctionnement de la véritable union économique que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Le Monde paru ce jour prête à François Mitterrand la maxime suivante : « On ne dit pas non au Chancelier de l’Allemagne. » Pour ma part, je ne l’ai jamais entendu prononcer une telle phrase…
Ce qui doit guider les dirigeants de la France, c’est évidemment l’intérêt de la France, au demeurant inséparable de l’intérêt européen. Et ils doivent aussi, bien sûr, avoir le souci des compromis, en particulier avec notre grand voisin qu’est l’Allemagne.
Hier, à Berlin, le Président de la République a accordé à Mme Merkel deux concessions majeures.
Tout d’abord, il a accepté, en contravention avec le traité existant, que le droit de vote d’un pays au sein du Conseil européen puisse être suspendu pour laxisme.
Ensuite, il a accepté que la coordination économique et budgétaire s’opère au niveau de l’Union européenne à vingt-sept et non pas au niveau des seize pays qui ont adopté la monnaie unique, alors que c’est dans cet espace que se pose le problème. En effet, les onze autres pays, ceux qui ont gardé leur monnaie, peuvent procéder à tous les ajustements monétaires qu’ils souhaitent.
Certes, la France est soumise à la pression des marchés financiers. Il est loin le temps où le général de Gaulle déclarait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » !
Invité à une émission de télévision, en février 2009, le Président de la République déclarait : « J’observe tous les jours l’évolution de ce qu’on appelle les spreads, les primes de risque, sur un certain nombre de pays ».
Monnaie unique ou pas, la pression des marchés financiers recrée, non plus entre les monnaies mais entre les États, les tensions que reflétaient autrefois, avant 1999, les parités monétaires affrontées à la spéculation.
Entre nous, monsieur le secrétaire d’État, quel échec !
L’erreur initiale de la monnaie unique, conçue à Maastricht, a été de faire comme si les nations n’existaient pas, avec leurs structures économiques différentes, leurs cultures spécifiques et leurs politiques éventuellement divergentes.
La souveraineté monétaire de chaque pays a été transférée à une instance déconnectée du suffrage universel, la Banque centrale européenne, indépendante, sans qu’ait été mis en place un gouvernement économique de la zone euro dont le rôle eût été de ne pas laisser se creuser les écarts de compétitivité entre les différents pays et d’ouvrir au contraire un sentier de croissance partagé.
L’expression « gouvernement économique » semble acceptée. Mais quel en est le contenu ? Là est la question !
Le Fonds européen de stabilisation financière, mis en place le 9 mai dernier, n’est pas un remède suffisant à la crise de l’euro. J’observe en effet que, contre l’avis initial de la France, l’Allemagne a obtenu que chaque pays ne garantisse les futures levées d’argent qu’à hauteur de sa contribution au Fonds. Le refus de la solidarité financière des États pour la mise en œuvre de plans de sauvetage éventuels est une lourde faute. Un tel dispositif en cas de crise grave favorisera le creusement d’écart de taux entre les différents pays. Comme je l’ai expliqué le 3 juin dernier, lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative, ce mécanisme sera inévitablement déstabilisateur.
À ce défaut de solidarité entre les États, s’ajoute le plan de rigueur mis en œuvre par le gouvernement allemand, le 7 juin dernier : 81 milliards d’euros d’économies sur quatre ans. Soit dit entre nous, s’il y a un pays qui, dans la zone euro, pouvait faire l’économie d’un plan de rigueur, c’était peut-être l’Allemagne… Son déficit budgétaire à 5 % du PIB tient essentiellement à la conjoncture ; il n’a rien de structurel.
Le plan allemand, venant s’ajouter aux plans de rigueur décidés simultanément presque partout dans la zone euro, et même ailleurs, va rendre la sortie de crise plus difficile.
Il va d’abord accroître la pression de la spéculation sur les enchères des dettes lancées par les autres pays, comme le manifeste déjà l’écart des taux entre l’Allemagne et la France. Certes, cet écart n’a rien de catastrophique : 50 points de base.
Il va ensuite peser sur la reprise économique, que les institutions internationales ont révisée à la baisse pour ce qui concerne la zone euro : entre 0,2 % et 2,2 % en 2011. Or seules la croissance et d’importantes plus-values fiscales pourraient gommer les déficits. Les réductions de dépenses n’y suffiront pas.
Enfin et surtout, comment ne pas voir que le différentiel de croissance entre l’Europe, la zone euro et les pays émergents accélérera les délocalisations industrielles ? Les entreprises vont en effet s’installer là où il y a de la croissance.
C’est dans ce contexte que va se tenir le prochain Conseil européen. Plusieurs des mesures envisagées, tels la réforme du pacte de stabilité et de croissance et le renforcement de la discipline budgétaire, vont renforcer la pression pour la mise en œuvre de plans de rigueur massifs et simultanés.
Derrière la prose, passablement amphigourique, des projets de textes soumis au Conseil, on ne discerne aucun moyen concret d’ouvrir, à l’horizon 2020, une perspective pour la croissance et pour l’emploi, en dehors de la lancinante incitation à la réforme structurelle du marché du travail. On sait ce que cela veut dire ! Il s’agit en fait d’introduire toujours plus de précarité dans le statut des travailleurs : contrats à durée déterminée, intérim, temps partiel, etc.
Sous la pression des marchés financiers, le Président de la République a annoncé une révision de la Constitution en vue d’y introduire, suivant l’exemple allemand, une disposition visant à interdire le déficit budgétaire : je doute qu’une majorité des deux tiers des parlementaires approuve l’introduction dans notre loi fondamentale d’une clause aussi rigide, qui interdirait tout ajustement ultérieur. Cette proposition, monsieur le secrétaire d’État, ressemble à un couteau sans lame auquel manquerait le manche ! (Sourires.)
M. Copé déclarait il y a quelques jours, si j’en crois le journal Le Monde, qu’il fallait « donner des gages aux Allemands ». Vous pourrez démentir ce propos, mais j’observe que c’est chose faite depuis hier ! Or retirer aux membres de l’Union européenne qualifiés de « laxistes » leur droit de vote au Conseil des ministres est un acte antidémocratique, blessant pour toutes les nations européennes et, d’ailleurs, contraire au texte des traités. Pour réformer ceux-ci, il faudrait l’unanimité. Encore une fois, le Président de la République agite un sabre de bois ! Certes, on doit changer les règles du jeu dans la zone euro, mais pas en transformant l’Union européenne en chiourme !
Toujours dans la même veine, M. Trichet a proposé un « fédéralisme budgétaire », qui priverait les parlements nationaux de leur prérogative essentielle, le vote du budget de la nation. Ce n’est pas ainsi, monsieur le secrétaire d’État, qu’on remédiera au déficit démocratique des institutions européennes ! Certes, M. Van Rompuy a tempéré ces propos : il ne s’agirait, selon lui, que d’« examiner les hypothèses retenues, les recettes et les dépenses, sans entrer dans les détails ». Mais c’est encore trop !
S’il est évident qu’une coordination des politiques économiques dans leur ensemble, et pas seulement des politiques budgétaires, est nécessaire, se pose déjà la question du cadre : doit-elle être envisagée à vingt-sept, au niveau de l’Union, ou à seize, au niveau de la seule zone euro ? La réponse tombe sous le sens : il s’agit de donner une tête politique à l’euro. C’est donc au niveau de l’Eurogroupe que cette coordination indispensable devrait s’effectuer, et non pas au niveau de l’Europe des Vingt-Sept, comme M. Sarkozy l’a accepté hier à Berlin.
Bien sûr, on ne peut réviser les traités européens qu’à vingt-sept, mais là n’est pas la priorité. On peut inventer en dehors des traités, et ceux-ci peuvent être interprétés intelligemment ; ils prévoient d’ailleurs des coopérations renforcées. Quant à l’Eurogroupe, il n’a pas à être inventé : il existe !
Les questions de mots ont leur importance : gouvernance ou gouvernement économique ? L’essentiel est le contenu. Nous entendons trop parler de sanctions, et même de sanctions préventives. Soyons sérieux : la répression ne doit pas être confondue avec la prévention, tous les ministres de l’intérieur vous le diront ! Quant au pacte de stabilité, il a démontré son inadéquation dans le cas de l’Espagne, qui satisfaisait à tous les critères de Maastricht, ce qui ne l’a pas empêchée de sombrer.
Il serait donc raisonnable d’envisager un processus itératif : le Conseil européen approuverait, sur proposition de la Commission, un cadre général de prévisions macroéconomiques, éventuellement ventilées par pays. Il reviendrait aux parlements nationaux de délibérer et d’établir une programmation, d’ailleurs révisable, des recettes et des dépenses. En cas de désaccord, le Conseil européen chercherait à dégager un compromis, à charge pour le gouvernement concerné de le faire ratifier par son parlement. Il s’agirait ainsi d’un document de programmation concernant l’évolution de l’économie dans son ensemble, aussi bien que celle des finances publiques. Les parlements continueraient, dans ce cadre, à voter le budget.
La vraie question est de savoir si le gouvernement allemand infléchira sa politique en relâchant la pression qu’il exerce, notamment, sur l’évolution des normes salariales. Sans doute me répondra-t-on que c’est là l’affaire du patronat et des syndicats. Mais j’observe que, à partir de l’an 2000, le chancelier Schröder a déployé une grande énergie, à travers le plan Agenda 2010 ou les plans Hartz, du nom de son conseiller économique, pour opérer une certaine déflation salariale et faire en sorte que les travailleurs allemands acceptent de travailler plus longtemps pour le même salaire.
De même, la Banque centrale européenne devrait être encouragée à ouvrir davantage le robinet monétaire, en prenant en pension, en cas de besoin manifeste, les titres d’emprunt d’État de façon à stopper la spéculation : ce serait un véritable mécanisme de solidarité européenne défensive. Sur ce sujet, il est important qu’un accord intervienne entre la France et l’Allemagne avant le remplacement de M. Trichet à la tête de la BCE.
La cohésion franco-allemande est nécessaire, j’en suis tout à fait conscient, autant que vous tous. Elle ne peut cependant se résumer à l’alignement d’un pays sur un autre. L’amitié va avec la franchise, celle-ci devant toujours s’exprimer avec le respect qu’inspire un grand peuple dont les réussites nous réjouissent. L’Europe a besoin de l’Allemagne, mais, comme le suggérait déjà Wilhelm Röpke en 1945, l’Europe doit aussi protéger l’Allemagne contre les tentations qui naissent de la conscience de son mérite, à ses yeux insuffisamment reconnu par les autres.
Un grand patron allemand, M. Gerhard Cromme, a déclaré le 1er juin dernier à Paris : « Les Allemands doivent prendre les Français comme ils sont, et réciproquement. On ne les changera pas. Et ce sont précisément ces différences qui rendent notre coopération unique et notre capacité à faire des compromis si importante. » M. Cromme a vanté, à juste titre, la compétitivité allemande, car elle nous est effectivement nécessaire. Mais il a omis de mentionner le fait que l’excédent commercial allemand se réalise à 60 % avec la zone euro… Ce sont là des vérités qui méritent d’être dites, sans que cela ne nous écorche les lèvres ! (Sourires.)
Nous ne devons pas adresser d’inutiles reproches à l’Allemagne : elle défend légitimement ses intérêts, mais au-dessus des intérêts nationaux – cela est vrai pour la France comme pour l’Allemagne –, on trouve les intérêts européens et ceux de l’humanité tout entière.
La baisse du cours de l’euro, qui ne doit malheureusement rien à l’action de la Banque centrale européenne, contribuera aussi à la compétitivité de l’Allemagne. Un euro à 1,20 dollar est plus compétitif qu’un euro à 1,50 dollar et permet de dégager des marges de croissance. L’Allemagne doit bien considérer que l’euro n’est pas seulement sa monnaie, mais aussi celle de quinze autres pays et potentiellement, à terme, celle de tous les pays de l’Union européenne qui voudront y adhérer. La zone euro n’a pas été une mauvaise affaire pour l’Allemagne. Dois-je rappeler que, vis-à-vis de la France, elle a quadruplé son excédent commercial depuis 1982 ? À l’époque, l’excédent de l’Allemagne s’élevait à 28 milliards de francs ; il atteint aujourd’hui l’équivalent de 170 milliards de francs !