M. Jean-Pierre Plancade. C’est scandaleux !
Mme Annie David. Ils ont relayé leurs craintes auprès des parlementaires de la majorité et le projet de loi, dont la portée était déjà faible, ressort de son examen en commission encore un peu plus vidé de sa substance du fait de l’adoption d’un certain nombre d’amendements. Toutefois, les amendements déposés en séance publique vont bien plus loin encore dans cette volonté de phagocyter le texte ! Et que dire de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale, c’est un enterrement de première classe qui y est prévu !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les masques tombent !
Le MEDEF et la CGPME n’ont jamais eu l’intention de permettre aux salariés des TPE d’obtenir une représentativité. À la rigueur, ils veulent bien mesurer l’audience syndicale dans ces entreprises, car c’est le noyau dur de l’obligation rappelée par le Conseil d’État, et encore sur la base d’une élection sur sigle, une proposition qui est loin de nous satisfaire. Mais si ces organisations veulent bien faire ce pas, c’est pour mieux se défaire, ensuite, de l’élection des conseillers prud’homaux par les salariés, un sujet sur lequel nous reviendrons également au cours des débats.
Ces organisations refusent la création des commissions paritaires territoriales sous prétexte que, dans les TPE, le dialogue se fait directement. Ainsi, un salarié serait toujours en mesure de régler une question, quelle qu’elle soit, avec son employeur… C’est oublier que certains salariés de TPE sont très isolés face au pouvoir de direction de l’employeur. Quel soutien, dans une TPE, pour celle ou celui qui n’ose pas réclamer à son employeur le paiement des heures supplémentaires qu’il lui doit depuis six mois, par exemple ? Inversement, certains employeurs sont parfois bien démunis et se retrouvent dans l’illégalité, par simple méconnaissance du droit du travail.
Aussi, ces commissions ont tout leur sens et toute leur utilité, même si les missions de leurs membres sont déjà limitées à un simple rôle de conseil et de médiation sociale.
Tout était a minima dans ce projet de loi, mais, pour certains, c’était encore trop !
Ainsi, lorsqu’il s’agit concrètement de mettre en place un droit nouveau pour les salariés, le patronat s’arc-boute. Il est choquant, et même scandaleux, de constater à quel point on se moque de l’effectivité du droit syndical des salariés et, donc, du respect de la Constitution et de la loi, méprisant ainsi le dialogue social !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Annie David. C’est un manque criant de considération pour les salariés. En outre, fouler aux pieds le « dialogue social » et reculer ainsi sur les engagements passés revient à envoyer un signal détestable aux partenaires sociaux.
En lieu et place du dialogue social, nous assistons à une parodie de dialogue entre, d’un côté, le Gouvernement – sourd et autoritaire – et, de l’autre, les salariés du privé ou du public, qui n’arrivent pas à se faire entendre. Le Gouvernement continue son monologue et le drape dans une fausse concertation ! Cela rappelle au groupe CRC-SPG l’actualité sur la réforme des retraites…
Décidément, les textes se suivent et se ressemblent, la méthode gouvernementale étant toujours la même : passage en force et recours aux cavaliers législatifs. Je pense ici, bien sûr, à l’article 8 du projet de loi relatif aux élections prud’homales, mais également au projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dans lequel a été mise à mal, au détour d’un cavalier législatif, la retraite des infirmiers.
Mais quand ce n’est pas le Gouvernement qui bafoue directement le dialogue social, comme ce fut le cas avec le projet de loi que je viens de mentionner, ce sont les parlementaires de la majorité qui s’en chargent, à l’exemple du texte que nous examinons aujourd’hui !
En définitive, nous assistons à un numéro de duettiste, dans lequel tantôt l’un, tantôt l’autre fixe le cap d’une position commune qui va toujours dans le sens des intérêts bien compris des employeurs et ne connaît, au final, qu’une seule et même catégorie de perdants : les salariés !
Pour notre part, nous ne partageons pas votre vision archaïque du dialogue social et, même si nous mesurons les limites de ce projet de loi, nous formulerons, au cours du débat, un certain nombre de propositions visant, au contraire, à satisfaire aux exigences soulignées par le Conseil d’État.
Ainsi, mes chers collègues, nous vous proposerons que la mise en place des commissions paritaires régionales soit obligatoire, et non pas facultative. Ce caractère obligatoire est une condition de leur existence, nous ne le savons que trop, et les exemples de mise en œuvre facultative sont là pour nous le confirmer.
C’est pourquoi nous vous proposerons également, au travers d’un amendement, que le Gouvernement soit tenu de mettre en place les commissions paritaires dans les branches où elles n’auraient pas encore été instaurées au moment de la remise du rapport, dans deux ans.
Nous proposons, par ailleurs, que les salariés des TPE élisent leurs représentants sur la base d’une liste de noms, comme les salariés des autres entreprises, et non sur un simple sigle. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vos arguments à ce sujet, mais nous considérons que le vote sur sigle aggravera la désaffection pour les élections des représentants des salariés, une désaffection que chacun constate déjà.
Nous proposons également que la représentativité des TPE soit mieux affirmée et garantie, en veillant à ce que les conseillers élus dans les TPE soient eux-mêmes des salariés issus de ces entreprises.
Nous proposons encore que les modes de calcul de l’effectif des entreprises de plus ou moins de onze salariés soient harmonisés. Ce n’est là qu’une mesure de justice, d’équité si vous préférez, mais il s’agit, surtout, d’une mesure juridique, à laquelle vous devriez porter attention, monsieur le ministre. En effet, introduire dans le code du travail des inégalités de traitement entre salariés est toujours source de contentieux.
Enfin, nous proposons que la disposition visant à prolonger le mandat des conseillers prud’homaux soit retirée du projet de loi. Nous avons bien compris – vous l’avez même confirmé, monsieur le ministre – que ce report est uniquement destiné à attendre de voir si les conclusions du rapport de M. Jacky Richard permettront de supprimer, purement et simplement, l’élection de ces conseillers par les salariés.
Nous anticipons cette disparition du vote direct, au profit d’une mise en place des conseillers prud’homaux fondée sur les résultats obtenus par les organisations syndicales au sein des entreprises ou sur une élection au second tour, et nous la dénonçons dès à présent, sachant que cette élection est l’unique occasion offerte, aujourd’hui, aux salariés des TPE de voter pour leurs représentants.
C’est une exclusion pure et simple de ces salariés de toute démocratie sociale ! Il nous semble que ce n’était pas l’objectif visé – ou du moins affiché –, d’un texte dont le Gouvernement nous a vanté les mérites à longueur de pages. Comment, ensuite, affirmer qu’un changement d’état d’esprit est nécessaire ?
Décidément, je le répète, le patronat français, en particulier celui du CAC 40, n’est pas prêt pour que s’installent, en France, les conditions d’un véritable dialogue social ! Concrètement, on constate effectivement que c’est lui qui dicte ses conditions aux organisations patronales concernées par ce texte : non seulement l’UPA, mais également d’autres organisations, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
Ainsi, nous avons reçu un courrier cosigné par l’UPA, la FNSEA et l’UNAPL, nous demandant de voter ce projet de loi.
Cet évident coup de force du MEDEF et de la CGPME contre les autres organisations syndicales patronales, pourtant principales intéressées dans ce dossier, souligne à quel point la question de la représentativité des organisations patronales en France devient un chantier prioritaire si l’on veut vraiment faire avancer le dialogue social. L’examen de ce projet de loi nous donne l’occasion de poser de nouveau la question, et nous présenterons un amendement en ce sens.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à l’ouverture des débats, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC-SPG s’interrogent sur le bien-fondé de ce texte, dans sa rédaction actuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on aurait pu s’attendre à ce que ce projet de loi fasse consensus, tout simplement dans la mesure où il est le complément nécessaire d’un texte ayant substantiellement modernisé les règles de la représentativité syndicale.
On l’a rappelé, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, en supprimant la présomption irréfragable et en lui substituant, notamment, le critère de l’audience, a vraiment démocratisé le jeu.
Cependant, comme nous l’ont très clairement exposé M. le ministre et M. le rapporteur, en l’absence d’une nouvelle intervention législative, cette réforme resterait largement cosmétique.
Les entreprises de moins de onze salariés, et donc les 4 millions de travailleurs qu’elles représentent, pourraient s’en trouver exclues dans la mesure où des élections professionnelles ne sont pas obligatoirement organisées en leur sein. Cela n’est évidemment pas acceptable. Le projet de loi dont nous sommes saisis y remédie. En sus, il entend dynamiser le dialogue social dans les TPE.
Ce texte porte donc deux réformes principales, sur lesquelles je me concentrerai : d’une part, il organise la mesure de l’audience dans les TPE et, d’autre part, il permet la création des commissions paritaires régionales.
Ces deux questions ne paraissaient pas, de prime abord, devoir poser problème. Pourtant, je le répète, ce texte est loin d’être consensuel. Schématiquement, il fait l’objet d’une double critique : une critique politique et une critique syndicale. Schématiquement encore, le groupe de l’Union centriste ne souscrit pas à la critique politique, mais est sensible à la critique syndicale.
La critique politique se fonde sur le fait que le texte organise la mesure de l’audience dans les TPE sans en garantir l’effectivité dans les instances de discussion et de négociation. En effet, le projet de loi ne prévoit d’organiser qu’une élection sur sigle. Chaque salarié voterait pour une étiquette syndicale, et non pour une liste de candidats.
Dans ces conditions, il n’y a aucune raison que la composition des commissions paritaires régionales, consacrées par l’article 6, ni, surtout, celle des instances de négociation de branche et du dialogue national interprofessionnel comprennent autant de salariés des TPE que leur poids réel dans l’ensemble de la population des travailleurs l’exigerait. Les centrales syndicales pourront désigner qui bon leur semblera pour les représenter au sein de ces instances. En pratique, les salariés des TPE pourraient ne pas participer au dialogue social.
Cette critique se justifie théoriquement, mais nous n’y souscrivons pas parce qu’elle témoigne d’une méfiance de la démocratie politique à l’égard de la démocratie sociale. Or, l’une et l’autre ne peuvent se renforcer qu’à partir d’un climat de confiance.
Ce n’est pas notre rôle de tenir les partenaires sociaux par la main. Il appartient au législateur que nous sommes de faciliter les conditions du dialogue social, et non d’en dicter les modalités dans les moindres détails. C’est une position que j’ai souvent entendue sur l’ensemble des travées de notre assemblée.
En l’occurrence, comment croire que les centrales syndicales fuiront leurs responsabilités au point de sous-représenter volontairement les salariés des TPE dans le dialogue social ? Nous, nous nous y refusons.
En revanche, la critique syndicale est plus intéressante. Elle conduit une partie des membres du groupe de l’Union centriste à émettre de sérieuses réserves sur ce texte. Elle explique aussi les conditions d’intervention du législateur aujourd’hui.
La loi du 20 août 2008 avait prévu qu’une loi ultérieure fixerait les règles de mesure de l’audience syndicale dans les TPE à l’issue d’une négociation interprofessionnelle. Or cette négociation, qui s’est tenue à l’automne 2009, n’a pas abouti. Le législateur vient maintenant pallier la carence des partenaires sociaux qui n’ont pu s’entendre.
Quelle est la pomme de discorde ? Elle porte principalement sur les commissions paritaires régionales, que l’article 6 du projet de loi consacre. Inutile de nous cacher derrière notre petit doigt, cet article est très vivement combattu par deux organisations patronales, le MEDEF et la CGPME.
Les querelles politiques d’influence entre organisations syndicales n’ont pas à être prises en compte dans cet hémicycle.
M. Alain Gournac, rapporteur. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. Voilà !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. C’est juste !
M. Nicolas About. En revanche, par-delà ces considérations, la question se pose de savoir ce qu’apporte l’article 6 au dialogue social.
Certains membres du groupe de l’Union centriste craignent que la mise en place des commissions paritaires régionales ne s’accompagne de l’émergence de nouvelles contraintes sociales pour des TPE déjà pressurées par le carcan administrativo-fiscal.
M. Jean-Pierre Plancade. C’est un prétexte !
M. Nicolas About. Cette crainte n’est sans doute pas vraiment fondée dans la mesure où les commissions paritaires régionales n’auront aucun pouvoir de négociation.
De plus, la commission des affaires sociales a modifié le texte afin de préciser explicitement que « les commissions paritaires ne sont investies d’aucune mission de contrôle des entreprises » et que « leurs membres n’ont pas la faculté de pénétrer à l’intérieur d’une entreprise, sans l’accord de l’employeur ».
Mais si ces commissions paritaires ont peu de chance de peser sur les entreprises de leur champ, à quoi serviront-elles ? À rien, répondent les membres de notre groupe les plus sceptiques.
La loi du 20 août 2008 a donné une base légale à l’accord conclu le 12 décembre 2001 entre l’UPA et cinq syndicats de salariés pour créer une contribution de 0,15 % de la masse salariale destinée à développer le dialogue social dans l’artisanat.
Or on peut ne voir, pensent les uns, dans la mise en place des commissions paritaires régionales qu’une justification à l’existence de cette contribution. Puisque la contribution existe, il faut bien, pensent les autres, qu’elle soit dépensée, quitte à faire vivre des coquilles vides : implacable logique budgétaire de l’absurde !
À titre personnel, je ne crois pas que les commissions paritaires régionales seront inutiles. Rien qu’en constatant que les TPE sont impliquées dans la grande majorité des affaires prud’homales, on peut supposer qu’il y a un problème de dialogue au sein des toutes petites structures. Si la machine est grippée, il faut y injecter de l’huile. C’est exactement ce qu’auront vocation à faire les commissions paritaires régionales : elles diffuseront l’information et leur expertise dans des structures qui, aujourd’hui, en sont privées, permettant ainsi de désamorcer très en amont les contentieux potentiels.
Si je crois, a priori, à l’utilité des commissions paritaires régionales, je m’interroge, en revanche, sur celle de l’article 6 de ce texte.
En effet, cet article ne fait qu’ouvrir une possibilité aux partenaires sociaux de créer de telles commissions régionales, ce qu’ils ont d’ailleurs déjà très largement commencé à faire. Tout ce qui n’est pas expressément interdit étant autorisé, le préciser dans une loi peut apparaître superflu.
Dans ces conditions, faut-il que l’article 6 rende obligatoire, et non plus facultative, la création des commissions ? C’est ce que certains prétendent à gauche de cet hémicycle ! Pour notre part, ce n’est pas ce que nous pensons, toujours suivant le principe selon lequel il nous appartient d’accompagner la démocratie sociale, et non de nous y substituer.
Dès lors, il ne nous reste plus qu’à considérer cet article comme une validation politique, la reconnaissance d’une démarche, rien de plus ! Une majorité des membres de mon groupe votera cet article, ainsi que les autres dispositions prévues dans ce texte, certaine de son innocuité.
Pour conclure, je tiens à féliciter la commission des affaires sociales, son rapporteur, Alain Gournac, et sa présidente, Muguette Dini, pour l’excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd’hui présenté répond à un impératif constitutionnel.
La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a réformé les règles de représentativité des syndicats dans les entreprises de plus de onze salariés. Or, à partir de cette réforme, le principe d’égalité de traitement s’appliquant à tous les citoyens, quelle que soit la taille de l’entreprise dans laquelle ils travaillent, l’audience syndicale se doit d’être mesurée également dans les TPE. Ce n’est pas une possibilité, c’est une obligation. Le Gouvernement n’a pas le choix. Si la représentativité dans les TPE n’est pas mise en place, le code du travail restera fragmentaire, et la loi de 2008 sera, de fait, inconstitutionnelle.
Ce projet de loi entend également traduire un engagement écrit des partenaires sociaux, y compris des organisations patronales.
En avril 2008, une position commune, dont découle la loi d’août 2008, a été signée par les syndicats de salariés, ainsi que par le MEDEF et la CGPME. Cette position commune prévoyait « d’élargir le plus possible le nombre de salariés bénéficiant d’une représentation collective ».
Pour ce faire, la mesure de l’audience dans les TPE était renvoyée à des négociations futures devant aboutir au plus tard à la fin de l’année 2009. Or le MEDEF et la CGPME ont préféré revenir sur leurs promesses et s’exclure de ces négociations, faisant, de fait, peu de cas des 4 millions de salariés des TPE.
Les négociations ont malgré tout abouti entre, d’une part, l’UPA et, d’autre part, la CFDT, la CGT, la CFTC et la CGC, la Confédération générale des cadres, qui ont adressé, le 20 janvier 2010, au Premier ministre une lettre commune, sur la base de laquelle a été élaboré ce projet de loi.
Ce texte présente deux mesures phares : l’organisation d’élections sur sigle pour les salariés des TPE et la possibilité de créer des commissions paritaires. Ni plus, ni moins !
Au regard de ces dispositions somme toute limitées, l’ire du MEDEF et de la CGPME apparaît disproportionnée, d’autant que le lobbying de ces deux organisations a déjà porté ses fruits : de toute évidence, des gages leur ont été donnés.
Ainsi, il y aura non pas des délégués du personnel, mais de simples représentants. Et ceux-ci ne seront même pas élus sur leur nom ; ils le seront sur des sigles ! Les salariés des TPE n’auront donc pas le privilège de voter pour des candidats ; ils voteront pour des étendards et des logos ! Quelle meilleure formule pour rendre ces élections peu attractives ?
De plus, la commission des affaires sociales a adopté un amendement du rapporteur interdisant à ces représentants de se rendre dans les entreprises, sauf autorisation explicite du patron. La pression du MEDEF et de la CGPME a été telle que, sans doute, notre rapporteur n’a pu échapper à la présentation de cet amendement totalement inutile tant le texte est déjà bordé. C’est à se demander si le patronat n’est pas encore angoissé par un quelconque fantasme de révolution prolétarienne ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Qui sait ? Nous n’avons pas encore baissé les bras !
Mme Raymonde Le Texier. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que ni le vote sur sigle ni l’interdiction de présence physique ne faisaient partie de l’accord trouvé entre l’UPA et les syndicats de salariés.
Concernant les commissions paritaires, le texte est également très bordé : elles seront finalement facultatives et subordonnées à des accords préalables de branche. Autant dire qu’elles ne seront pas légion !
De même, monsieur le ministre, alors que vous aviez envisagé que ces commissions soient enracinées au niveau local, au plus près des petites entreprises, notre rapporteur a jugé bon de les circonscrire aux niveaux régional et national. Chacun sait pourtant que, plus on élargira le niveau de ces commissions, moins elles connaîtront les caractéristiques des TPE, sur le terrain, et moins elles présenteront d’intérêt. Là aussi, les amendements votés sur ce texte en commission vont à contre-courant de l’objectif qui y est affiché et à contre-courant de l’intérêt des petits patrons.
Car, enfin, qui sont-ils, ces patrons des TPE ? Des patrons qui n’ont pas le temps de consulter le CAC 40 dans leur bureau climatisé. Des patrons qui n’ont pas les moyens de s’offrir des conseillers fiscaux spécialistes en optimisation fiscale ou une pléthore d’avocats. Des patrons dont les salariés sont non pas une variable d’ajustement, mais le cœur de l’entreprise. Ces patrons-là, pour un grand nombre d’entre eux, attendent un outil de nature à les aider. Or les commissions paritaires pourraient être cet outil.
Rappelons encore que 80 % des assignations aux prud’hommes concernent des TPE. Ces poursuites relèvent le plus souvent d’une méconnaissance des règles du droit plutôt que de la malveillance, même si, contrairement à ce que claironne le président de la CGPME, on sait bien que, dans les TPE, le dialogue ne se fait pas toujours « naturellement » et « sans problème ». Chacun connaît les limites du paternalisme. (MM. Philippe Dominati et Elie Brun s’exclament.)
D’ailleurs, à l’inverse, l’UPA l’a bien compris, puisque non seulement elle soutient la mise en place de ces commissions paritaires, mais elle ne s’oppose pas à ce qu’elles deviennent obligatoires.
En définitive, cette division entre les grosses organisations patronales et les petits patrons est logique. Entre un artisan boulanger qui emploie deux personnes et le patron d’une PME, fût-elle de 150 salariés, il n’y a rien de commun que le titre d’« employeur », rien de plus !
Cela étant, et malgré les restrictions déjà apportées à ce texte, il n’est pas certain que les commissions paritaires survivent à l’examen du Parlement. Alors que nous n’en avons pas encore débattu, elles semblent déjà condamnées…
La preuve ? Après avoir rencontré le président de la CGPME, le 28 avril dernier, puis Mme Parisot, le 26 mai, M. Copé s’est déclaré « tout à fait défavorable à cette disposition ». Il en va de même pour M. Bertrand, qui a estimé « essentiel d’aller encore au-delà des amendements déposés au Sénat », dans le sens d’une « simplification indispensable », ce qui signifie, dans la bouche de M. Bertrand, la disparition pure et simple des commissions paritaires.
Venant de l’ancien ministre qui a fait voter la loi d’août 2008 dont ce projet de loi n’est que la transposition aux TPE, c’est tout simplement irresponsable. Et pour ceux d’entre nous qui ont en mémoire les grandes tirades sur la démocratie sociale et le dialogue social par lesquelles M. Bertrand a tenté – et combien de fois ! - de nous émouvoir, c’est à peine croyable ! (M. Guy Fischer applaudit.)
L’Opportuniste de Jacques Dutronc se contentait de retourner sa veste ; avec Xavier Bertrand, c’est toute la garde-robe qui y passe ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Bravo !
Mme Raymonde Le Texier. Les déclarations des ténors du groupe UMP de l’Assemblée nationale sont d’autant plus inopportunes que l’examen au Sénat ne fait que débuter. Que la majorité de l’Assemblée nationale méprise le Sénat, ce n’est pas nouveau ; qu’elle fustige l’opposition non plus. Mais qu’elle s’attaque explicitement à la majorité sénatoriale en mettant en cause le travail de notre rapporteur, c’est inédit !
M. Guy Fischer. C’est vrai !
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, le message est clair : vos amis de l’Assemblée nationale sont en service commandé et ils entendent dépecer ce texte pour n’en laisser qu’une coquille vide. Le risque est tel que le Premier ministre a dû intervenir en appelant au respect de « l’équilibre du texte ».
Comment en est-on arrivé là ? Assurément parce que, au-delà des dispositions de ce texte, deux raisons de fond, deux enjeux à peine voilés, expliquent l’hostilité du MEDEF et de la CGPME à ce texte.
Le premier enjeu est d’ordre économique. Si les commissions paritaires sont mises en place, à l’instar de celles qui ont été créées par l’accord de 2001 entre l’UPA et les cinq confédérations syndicales, elles pourraient être financées par une cotisation sur la masse salariale. Les TPE répercuteront donc cette charge sur leurs prix. Or de plus en plus de TPE sont les sous-traitantes de grandes entreprises, et celles-ci refusent catégoriquement de subir cette augmentation.
Le second enjeu est plus important encore, surtout à trois semaines du congrès du MEDEF. En effet, si ce projet de loi devait être adopté, la représentativité des syndicats s’appliquerait à l’ensemble des salariés de France. La seule catégorie professionnelle sans réelle mesure de l’audience syndicale, la seule catégorie professionnelle qui résiste encore à réformer sa représentation syndicale, en un mot la seule qui renâcle à entrer de plain-pied dans la démocratie sociale et à quitter le XIXe siècle, où elle est restée bloquée, c’est bien celle du patronat ! (M. Guy Fischer applaudit.)
M. Jean-Pierre Plancade. Tout à fait !
Mme Raymonde Le Texier. Ce n’est pas par hasard si la question de la représentativité des organisations patronales est toujours écartée. Elle a été exclue de la loi de 2008 et, lorsque notre collègue Alain Gournac a abordé le sujet en commission, M. le ministre a répondu : « Chaque chose en son temps ».
Mais le MEDEF et la CGPME, qui se disputent habituellement la représentation des patrons de PME, ont bien compris qu’avec ce texte le temps du sablier allait s’accélérer. Ils font aujourd’hui alliance contre ce projet de loi car ils savent que, une fois ce texte adopté, tous les regards risquent de se tourner vers eux.
À quand la mue des organisations patronales françaises ? Voilà la délicate question que ce texte nous pose en creux et que le MEDEF et la CGPME veulent esquiver. En matière de démocratie sociale, les patrons ont beaucoup à apprendre des salariés !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’opposé des responsables du MEDEF, de la CGPME et de la majorité de l’Assemblée nationale, nous pensons que ce texte est intéressant, mais qu’il ne va pas assez loin, que c’est un texte a minima.
Nous pensons que les élections, pour prendre tout leur sens et susciter de l’adhésion, doivent être nominatives.
Nous pensons que les commissions paritaires, parce qu’elles peuvent devenir un relais utile, doivent être obligatoires.
Nous avons déposé des amendements en ce sens et nous savons que les signataires de la lettre commune du 20 janvier 2010 ne sont pas hostiles à ces évolutions, bien au contraire !
Si nous souhaitons qu’il reste un peu de sens à ce texte, qui est supposé traiter de la démocratie sociale, il nous faut collectivement résister aux pressions intolérables du MEDEF et de la CGPME, qui font montre d’un comportement archaïque…