M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le bilan de dix années de 35 heures qui a été brillamment dressé par MM. Jean-Pierre Fourcade, Alain Vasselle, Alain Gournac et Serge Dassault.
Mon intention n’est pas, en effet, de convaincre mes collègues socialistes et communistes : si ces dix années n’ont pas suffi, les neuf minutes dont je dispose n’y changeront rien.
Mon intervention s’adresse aux deux secrétaires d’État qui ont la lourde responsabilité de représenter ici le Gouvernement, M. Laurent Wauquiez et Mme Anne-Marie Idrac, laquelle, étant chargée du commerce extérieur, est bien placée pour mesurer la productivité de la France au regard de celle des pays aux régimes sociaux comparables aux nôtres. En effet, notre objectif n’est pas de nous mesurer à des États qui pratiquent le moins-disant social, mais à nos proches voisins européens qui réussissent, à niveau équivalent de protection sociale, à maintenir leurs parts de marché, et même à en gagner.
Je voudrais poser quatre questions au Gouvernement.
Nous avons fait le choix dans les années 1990 de nous lancer dans une politique de long terme, sous l’impulsion d’Édouard Balladur, suivi par Alain Juppé, en instaurant les premières exonérations de charge sur les revenus les plus bas. À l’époque, nous souhaitions, selon la formule consacrée, « enrichir la croissance en emplois ».
Ma première question est la suivante : cette politique est-elle toujours la seule envisageable ? Devons-nous la maintenir à tout prix ? N’a-t-elle pas des effets pervers sur le commerce extérieur, en affaiblissant la situation des secteurs qui sont exposés à la concurrence et qui peuvent gagner des parts de marché à l’extérieur au bénéfice des activités de service, même si ces dernières sont tout à fait estimables ?
Ma deuxième interrogation, qui concerne directement Mme Idrac, porte sur l’évolution de la productivité des salariés allemands par rapport à celle des salariés français. J’ai exercé la responsabilité de président de la région Lorraine. Mes voisins étaient les ministres-présidents des Länder de Sarre et de Rhénanie-Palatinat. Et je peux vous dire qu’en 1992 le coût du travail industriel en France était inférieur, à qualité égale, de 20 % à celui de l’Allemagne. Aujourd'hui, la situation est inversée – je ne connais pas l’écart exact –, ce qui explique que nous perdions constamment des parts de marché.
Monsieur Wauquiez, la gestion de l’évolution du SMIC, dont vous avez la responsabilité, peut-elle être un outil de convergence avec notre principal partenaire, favorisant l’entente entre nos deux pays, entente sans laquelle la construction européenne n’a aucun sens, comme nous avons pu le mesurer il y a quelques jours encore dans le traitement de la crise financière grecque.
J’en viens à ma troisième interrogation. Depuis que nous sommes au pouvoir, c'est-à-dire depuis 2002, nous nous sommes efforcés d’atténuer les effets les plus pervers des 35 heures, de restaurer le recours aux heures supplémentaires, de mettre fin à la persécution qui frappait différentes entreprises confrontées à la nécessité de dépasser le contingent d’heures supplémentaires. Mais, en tant qu’homme politique, je dois le reconnaître, nous avons tourné autour du problème sans parvenir à le régler franchement.
Si nous n’établissons pas ce diagnostic, nous perdons toute crédibilité aux yeux de l’opinion. Nous avons parfaitement conscience du fait que nous n’avons pas trouvé la bonne réponse à la question des 35 heures. Un certain nombre de textes ont permis d’ouvrir les contingents d’heures supplémentaires ; je pense notamment à la loi « Fillon » du 17 janvier 2003 et surtout à celle du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, laquelle a permis de libérer les heures supplémentaires par la voie des accords d’entreprises. Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous aujourd'hui en mesure de nous donner des informations sur l’application de ce texte ?
Ma quatrième interrogation porte sur la politique gouvernementale. Les 35 heures représentent, par le biais direct des allègements de charges, une prise en charge financière par l’État de l’ordre de 10 milliards à 11 milliards d’euros. Si l’on y ajoute la convergence des SMIC, au titre de mesures prises par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, et les exonérations antérieures de 1993 des gouvernements d’Édouard Balladur et d’Alain Juppé, ce montant s’élève à 23 milliards d’euros. Il représente certes un allègement du coût du travail, mais également la moitié du déficit structurel de l’État, que l’on peut évaluer – en dehors des effets de la crise économique qui nous frappe durement depuis 2008 – à près de 40 milliards d’euros.
Nous avions envisagé des pistes modérées pour alléger cette charge. À plusieurs reprises, M. Vasselle a présenté des amendements en ce sens lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, notre objectif n’étant pas de mettre fin à la prise en charge du surcoût qui pèse sur les entreprises du fait des 35 heures ou de la convergence des SMIC, qui a conduit à l’augmenter, si ma mémoire est bonne, de 11 % en trois ans, ni de mettre fin à toute politique du SMIC qui, hélas ! est trop souvent, dans de très nombreux secteurs industriels, contrairement à d’autres pays européens, le salaire de référence au lieu d’être un salaire minimum.
Des mesures ont donc été envisagées pour alléger cette charge, notamment l’annualisation du coût du travail pour demeurer dans le cadre de 1,6 SMIC. Pour le moment, cette annualisation n’a pas encore été acceptée, mais vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'État, un rapport de Jean-Luc Tavernier, que M. Vasselle a également évoqué. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur ce point ?
Par ailleurs, envisagez-vous de renégocier le coefficient de 1,6, au cas par cas ou avec les chefs d’entreprises ? Nous le savons, une telle mesure risquerait d’être coûteuse en emplois dans certaines activités qui ne sont pas les plus exposées à la concurrence internationale, mais soutiendrait celles qui y sont soumises. Le rapport Tavernier existe-t-il ? Nous sera-t-il communiqué et fera-t-il l’objet d’un débat ? Le Gouvernement envisage-t-il de lui donner une suite pour permettre à la France de repartir à la conquête de parts de marchés ?
En tout cas, il n’y aura d’emploi durable que si la France reprend le chemin de la croissance, laquelle est liée aux parts de marché acquises à l’extérieur. Sans compétitivité internationale, il n’y a pas de débouchés et sans débouchés, il n’y a pas d’emplois ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, au nom du groupe socialiste.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en écoutant tout à l’heure les intervenants de la majorité, je me suis cru revenu lors de la campagne de l’élection présidentielle : les 35 heures sont responsables de tout, de la tempête comme de la sécheresse, et pourquoi pas, tant que nous y sommes, de la grippe H1N1 !
M. Alain Vasselle. Caricature !
M. Martial Bourquin. Mon cher collègue, ce sont les discours que je viens d’entendre qui étaient caricaturaux !
Aujourd'hui, la situation a changé : une crise mondiale d’une ampleur et d’une violence inégalées est intervenue, avec des conséquences sociales et économiques considérables.
Sachez que, pour faire face à cette situation, des PME et de grandes entreprises ont, par exemple, fait appel à la réduction du temps de travail pour éviter le chômage partiel à leurs salariés. Nier le fait que les 35 heures ont été un extraordinaire amortisseur social pendant cette crise, c’est ne pas regarder la réalité en face !
M. Didier Guillaume. Tout le monde est d’accord !
Mme Gisèle Printz. Bien sûr !
M. Martial Bourquin. On aurait pu parler des 35 heures comme vous vous permettez de le faire, si votre slogan « travailler plus pour gagner plus », avait marché. Or, c’est indéniablement un échec patent.
Quelle est la situation de la France aujourd’hui ? Le chômage oscille entre 3 millions et 4 millions de personnes.
M. Alain Vasselle. C’est la crise !
M. Martial Bourquin. La pauvreté et la précarité s’étendent et sont en train de submerger les collectivités territoriales.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Martial Bourquin. Face à ce constat, pensez-vous être en mesure de donner des leçons sur les conséquences des 35 heures ?
Posez-vous une autre question, mes chers collègues : si ces 4 millions de personnes travaillaient, les comptes de la sécurité sociale seraient-ils dans le rouge ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Si ces 4 millions de personnes travaillaient, nos finances publiques seraient-elles aussi dégradées ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Ces exemples montrent bien que vous ne placez pas la focale au bon endroit. C’est au chômage que nous devons nous attaquer en créant une véritable politique de l’emploi et une politique de croissance de qualité, sinon nous irons inévitablement dans le mur.
À ce sujet, le 8 janvier 2008, le Président de la République réunissait la commission Stiglitz, qui a proposé « une réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable de la mesure de nos performances collectives ». En d’autres termes, cela signifie que la croissance n’est pas nécessairement créatrice d’emplois.
M. Didier Guillaume. Bien sûr !
M. Martial Bourquin. Si vous avez des doutes, visitez de grands sites industriels, comme celui de Sochaux, par exemple. Il y a trente ans, 45 000 salariés y travaillaient ; aujourd’hui, pour une production équivalente, on recense 12 000 salariés. Ils ont été remplacés par des robots, qui peuvent travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre !
Quelles perspectives offrez-vous à la nation, à nos concitoyens, …
M. Jean-Jacques Mirassou. Des robots partout !
M. Martial Bourquin. … sinon un chômage de masse encore plus important ?
Telles sont les raisons pour lesquelles la réduction du temps de travail va dans le sens de l’histoire. L’intégrer à la croissance, c’est faire en sorte que celle-ci soit non seulement dynamique, mais également créatrice d’emplois. Voilà ce que vous devriez retenir au lieu d’accuser les 35 heures de tous les maux.
Après cette crise financière mondiale, essayer de comprendre comment orienter notre développement vers une croissance nouvelle créatrice d’emplois devrait donc être au cœur de votre réflexion. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie par avance de m’excuser, car je vais devoir vous quitter après cette intervention afin de participer au Conseil des ministres, qui se réunit exceptionnellement aujourd’hui à seize heures trente. Anne-Marie Idrac apportera donc la réponse du Gouvernement dans le cadre du débat interactif et spontané.
Je remercie le Sénat de nous permettre de faire le bilan de ce qui s’avère être l’une des plus graves erreurs économiques et sociales de ces trente dernières années. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Christiane Demontès. Et le bouclier fiscal ?
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. C’est l’une des qualités de la Haute Assemblée que de nous engager à prendre le temps de la réflexion pour tirer les leçons des erreurs que nous avons commises et que nous continuons à payer.
MM. Alain Gournac et Alain Vasselle. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne reviendrai pas sur la vision idéologique qui prévalait lors de l’adoption des 35 heures. Souvenez-vous des discours de l’époque sur le caractère aliénant du travail et sur le fait que le temps libre serait l’avenir. On mesure aujourd'hui, en cette période de crise, à quel point de tels discours étaient déconnectés de la réalité que vivent nos compatriotes.
M. Alain Gournac. Totalement !
Mme Raymonde Le Texier. C’est vous qui êtes déconnectés !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne reviendrai pas sur une méthode qui n’a pas respecté les partenaires sociaux, qui a été imposée de façon autoritaire et conçue de manière uniforme par Martine Aubry. Il est intéressant de le rappeler aujourd'hui.
Je ne reviendrai pas sur la complexité que cette loi a introduite dans nos entreprises. Rappelez-vous que nous avons eu jusqu’à six SMIC différents.
M. Alain Gournac. Eh oui !
Mme Annie David. Vous tronquez la vérité : c’était en attendant l’harmonisation !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne reviendrai pas non plus sur la logique suicidaire pour notre pays qui consistait à dire que le seul avenir résidait dans un partage malthusien du travail et non dans une volonté de développer l’activité et la croissance.
Tous ces éléments caractérisent bien cette erreur majeure, cette lourde responsabilité que l’ensemble de nos compatriotes et de notre économie continuent à payer.
Essayons de retracer objectivement ce qui s’est passé.
Dans le prolongement des 35 heures, la baisse du temps de travail en France a été de 4,5 %. À cette époque, nous connaissions une très forte croissance mondiale. Cependant, aucun pays n’a adopté ce dispositif.
M. Alain Gournac. On se demande pourquoi !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Cela devrait être un sujet d’interrogation pour ceux qui en font la promotion.
Cette loi a placé notre pays dans le peloton de queue de ceux qui ont le moins profité de cette période exceptionnelle de croissance mondiale. Il est exact que, dans cette période, 300 000 emplois ont été créés. Mais cela n’était pas le fait des 35 heures. Au reste, très rapidement, lorsque la conjoncture a changé, la tendance s’est inversée.
Mme Raymonde Le Texier. Dès votre arrivée au pouvoir !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. L’alourdissement de la compétitivité de notre pays a rapidement plombé notre potentiel de croissance, avec à la clef la destruction potentielle de 500 000 emplois.
M. Charles Gautier. Et vous, combien en avez-vous supprimé ?
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Si nous avons pu éviter les destructions massives d’emplois liées à la mise en place des 35 heures, c’est uniquement grâce à des allégements de charges.
Les 35 heures ont représenté un coût astronomique pour notre richesse nationale. On évalue à 2 % la baisse du PIB, soit une perte de 40 milliards d’euros chaque année. Le seul véritable résultat des 35 heures, c’est l’affaiblissement de notre richesse nationale !
M. Gérard Longuet. Il fallait le dire !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne sais pas si tout le monde mesure bien la facture qui a dû être payée par chacun de nos compatriotes à cause de cette catastrophe économique et sociale. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. André Dulait. Absolument !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Les 35 heures ont également eu un coût pour les fonctions publiques : 700 millions d’euros pour la fonction publique d’État ; 500 millions d’euros pour la fonction publique territoriale. N’oublions pas non plus la catastrophe dans le secteur hospitalier, que tous les élus locaux que vous êtes connaissent, où la facture a dépassé 1,5 milliard d’euros, sans compter la dégradation des conditions de travail du personnel hospitalier.
M. Alain Gournac. Ils ont tué l’hôpital !
M. Paul Blanc. Et le médico-social !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. La France a perdu de la compétitivité alors que l’Allemagne a réussi à abaisser ses coûts salariaux.
M. Gérard Longuet. Une Allemagne sociale-démocrate !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. En France, les coûts salariaux unitaires ont augmenté trois fois plus vite qu’en Allemagne au cours de cette période en raison de la facture des 35 heures.
Ceux qui ont payé l’addition, ce sont nos compatriotes : non seulement leurs emplois ont été détruits, mais ils ont également perdu du pouvoir d’achat. Vous le savez parfaitement ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Le résultat est que les Français travaillent moins que leurs voisins européens. Les études montrent que cette faible durée du temps de travail est à l’origine de presque la moitié des écarts de revenu par habitant.
Mme Christiane Demontès. C’est faux !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Si les Français sont comparativement moins payés que les Suédois, les Danois ou les Britanniques, c’est pour 50 % la faute des 35 heures, qui non seulement les ont privés des heures supplémentaires, mais ont également introduit une modération salariale pesant lourdement sur leur fiche de paye.
Mme Annie David. À qui la faute ?
M. Alain Vasselle. Voilà le bilan des 35 heures !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Voilà en effet le seul et véritable bilan des 35 heures que nous pouvons établir dix ans après. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Il devrait inciter à la modestie ceux qui, sur ces travées, ont soutenu cette réforme catastrophique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Christiane Demontès. Donneur de leçons !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. La volonté du Gouvernement a été de rompre définitivement avec cette logique malthusienne.
À aucun moment au cours de la crise, nous n’avons renoué avec les méthodes de Martine Aubry, qui consistaient à recourir à la préretraite ou à encourager les étudiants à rester le plus longtemps possible sur les bancs de la faculté pour ne pas encombrer les statistiques du chômage.
Nous avons préféré au contraire miser sur l’apprentissage et l’alternance, qui sont les meilleures voies d’intégration pour nos étudiants.
Mme Annie David. Si vous êtes venu pour nous convaincre, ce n’est pas la bonne méthode !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Nous n’avons pas pu faire disparaître la cicatrice des 35 heures. C’était impossible, le mal était fait. Il aurait en effet fallu demander à nos concitoyens de travailler 39 heures pour le même salaire.
En revanche, nous nous sommes attachés à guérir les blessures en adoptant en 2008 une loi portant réforme du temps de travail, qui a fait l’objet de plus de 6 200 accords, et en faisant en sorte que les heures supplémentaires puissent être correctement valorisées afin de remédier à la perte de pouvoir d’achat.
Mme Christiane Demontès. Et la hausse du chômage ?
Mme Annie David. Pensez à tous ceux qui sont au chômage partiel dans les entreprises, parce qu’il n’y a plus assez de boulot !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le plus important, me semble-t-il, est que nous avons extirpé la culture des 35 heures de notre pays. Je pense que nous sommes parvenus progressivement à modifier le comportement de nos compatriotes qui n’avaient plus d’appétence pour le travail. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. C’est un meeting !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Pour finir, si vous acceptez de m’écouter courtoisement comme je l’ai fait (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG), …
Mme Annie David. Vous n’êtes pas à un meeting de l’UMP, vous êtes au Sénat !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … je voudrais revenir sur la question des allégements de charges, qui représentent 21 milliards d’euros.
Il s’agit d’une politique de fond.
M. Jacky Le Menn. Le fond, on est en train de le toucher !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Depuis plus de quinze ans, les gouvernements cherchent à abaisser le coût du travail pour les emplois faiblement qualifiés. Cette politique s’est avérée le meilleur antidote contre le poison des 35 heures et sa perception ne doit pas être contaminée par l’échec de ce dispositif. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. Caricature !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Les gouvernements Balladur, puis Juppé ont créé une première série d’allégements de charges offensifs, qui représentaient 8 milliards d’euros, ce qui a permis de sauver près de 300 000 emplois, selon les premières estimations. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Puis, il y a eu le choc des 35 heures. Le seul amortisseur qui a permis d’éviter des destructions massives d’emplois a été les allégements de charges. Les socialistes en ont eu eux-mêmes parfaitement conscience, …
Mme Gisèle Printz. Ah bon !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … puisque Martine Aubry y a eu recours en 1998, puis en 2000. Complétée par les allégements de charges décidés par François Fillon en 2003, cette dépense a pesé 13 milliards d’euros. Au total, ces allégements de charges ont bénéficié à dix millions de salariés, selon l’estimation, en 2006, du Conseil d’orientation pour l’emploi.
À la demande du Gouvernement, Jean-Luc Tavernier, inspecteur général des finances, a été chargé d’établir un rapport sur cette question. Ses conclusions seront bien entendu transmises à la représentation nationale.
Ce rapport conclut que la remise en cause des allégements de charges aboutirait à une destruction à court terme de 600 000 à 800 000 emplois dans notre économie.
D’autres remises en cause des allégements de charges se traduiraient, quel que soit le schéma que nous choisissons, par des destructions quasi immédiates d’emplois en raison d’un renchérissement du coût du travail pour les salariés faiblement qualifiés. Cela se comprend très bien, puisque, comme l’établit parfaitement le rapport de M. Tavernier, les allégements de charges permettent avant tout de soulager massivement le coût du travail concernant les salariés qui gagnent entre 1 à 1,6 SMIC.
De plus, plusieurs secteurs majeurs de notre économie en ont absolument besoin. Près de la moitié des allégements de charges bénéficient aux industries qui sont soumises à la concurrence internationale, aux services ou au secteur de l’hôtellerie-restauration. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Quelle honte !
M. Charles Gautier. Pour les copains !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Si vous aviez pris le soin de m’écouter, vous sauriez que le secteur de l’hôtellerie-café-restauration compte pour 1,5 milliard d’euros sur les 21 milliards d’euros d’allégements de charges.
Dans le secteur des services à la personne, qui représente à peu près 15 % à 20 % des allégements de charges, on sait parfaitement que le modèle économique ne tiendrait pas sans cela. Prenons l’exemple des centres d’appel, qui emploient 250 000 personnes dans notre pays. Si les allégements de charges étaient remis en cause, la quasi-totalité de ces emplois seraient délocalisés au Maroc ou en Tunisie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Les allégements de charges sont incontestablement notre outil le plus efficace en matière de politique de l’emploi.
Mme Annie David. C’est en permanence le chantage à l’emploi ! En fait, vous vous fichez des salariés.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le rapport Tavernier permet de le confirmer et appelle notre attention sur toute remise en cause, même partielle, de cet outil, surtout dans une période de crise où notre priorité absolue doit être l’emploi.
Les allégements de charges ne sont ni des niches fiscales, ni des cadeaux distribués aux entreprises,…
Mme Annie David. Bien sûr que si !
Mme Raymonde Le Texier. C’est la méthode Coué !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … ils constituent plus largement une politique de l’emploi destinée à abaisser le coût du travail des salariés les plus faiblement qualifiés. C’est la seule manière de répondre à l’erreur que représentèrent les 35 heures, en montrant que c’est en allant chercher un surcroît d’activité, de croissance, et en abaissant le coût du travail que l’on pourra durablement remettre notre pays sur le chemin de la compétitivité et donc de l’emploi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané (Rires sur les travées du groupe socialiste), dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. Le Gouvernement, s’il est sollicité, pourra répondre.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la secrétaire d’État, votre collègue fonctionne comme les gros navires qui, quand on coupe les machines, continuent à fonctionner ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) L’argumentation qu’il a développée sur les 35 heures, à l’aide d’une sémantique éloquente puisqu’il n’a pas hésité à parler de « poison », relève de réflexes pavloviens. La majorité et ses ministres, y compris les plus éloquents, ont été éduqués à diaboliser les 35 heures et à développer une argumentation qui défie le simple bon sens.
M. Wauquiez a ainsi expliqué pendant un quart d’heure que tous les maux économiques dont notre pays était affecté, avec les résultats que l’on sait, seraient la conséquence des 35 heures, dix ans après leur mise en application… Et pourquoi ne pas rendre responsables les socialistes de la casse du vase de Soissons ? (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Longuet. Heureusement, ils n’étaient pas là, à l’époque !
M. Jean-Jacques Mirassou. Personne ne saurait répondre à une argumentation aussi intellectuellement malhonnête. Dans cette logique, vous auriez dû, pour contrecarrer ce « poison » et trouver l’antidote efficace, prendre la décision de revenir sur les 35 heures : peut-être auriez-vous eu ainsi un peu moins de complaisance par rapport à votre propre bilan ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. Vous dites que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Justement, vos collègues, en 1936, ne s’opposaient-ils pas formellement à la perspective des congés payés (Mme Raymonde Le Texier applaudit), à la semaine de 40 heures ou à un système de santé reposant sur la mutualisation des moyens ?
La droite n’a décidément pas changé ! Cela n’a rien d’étonnant, mais, mes chers collègues, après l’échec cinglant des dernières élections, vous devriez prendre conscience que ce type d’argument n’est définitivement plus d’actualité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, je pensais que Mme la secrétaire d’État répondait à chaque intervenant.
M. le président. Mon cher collègue, Mme la secrétaire d’État intervient quand elle le souhaite dans ce débat.
M. Alain Vasselle. M. Laurent Wauquiez a répondu pour partie à la question posée avec beaucoup de pertinence par le président de notre groupe, M. Gérard Longuet, concernant les allégements de charges.
Il a fait référence au rapport de M. Jean-Luc Tavernier et indiqué que le Gouvernement ne souhaitait pas toucher à ces allégements, car les effets seraient désastreux en termes d’emploi, se traduisant par des pertes nettes, en particulier dans le domaine industriel et dans celui des services. Il a cité des exemples.
Cela étant, n’y aurait-il pas lieu, malgré tout, de réfléchir à quelques aménagements de ce dispositif ? Nous avions proposé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’abaisser progressivement le seuil donnant droit aux allégements de charges de 1,6 à 1,3 SMIC, ce qui représenterait une économie de 6 milliards à 9 milliards d’euros pour le budget de l’État. Une telle économie nous serait fort utile au moment où nous engageons une réforme des retraites pour laquelle nous devrons dégager des ressources nouvelles si nous voulons assurer l’équilibre du régime à l’horizon 2040.
Nous avions également évoqué la possibilité de concentrer les allégements de charges sur les entreprises de moins de cinquante salariés et plus particulièrement sur celles de moins de vingt salariés, ce qui pourrait engendrer une économie de 9,6 milliards d’euros pour le budget de l’État.
Nous avions présenté une dernière piste, celle de l’annualisation du coût du travail, mentionnée par Gérard Longuet, qui permettrait de réaliser une économie de 2 milliards d’euros.
Évidemment, nous sommes loin d’atteindre 30 milliards d’euros, mais nous pourrions avancer progressivement dans cette direction que nous souhaitons emprunter majoritairement, tout en mesurant l’impact de ces mesures sur l’emploi et sur l’économie.
J’aimerais savoir si le Gouvernement a l’intention d’avancer sur un certain nombre de sujets en procédant à quelques aménagements.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le président, je n’ai effectivement pas l’intention de répondre à toutes les questions, et celle de Jean-Jacques Mirassou s’apparentait plutôt à une caricature des propos de mon collègue Laurent Wauquiez. (Protestations sur les travées du groupe socialiste. – Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
En ce qui concerne les points que vous avez évoqués, monsieur Vasselle, comme l’a indiqué Laurent Wauquiez tout à l’heure, le rapport Tavernier qui sera rendu public donnera certainement lieu à un dialogue approfondi avec le Parlement.
Toutefois, je puis d’ores et déjà vous indiquer que l’abaissement du point de sortie de 1,6 à 1,3 SMIC nous paraît difficile dans la mesure où 75 % des allégements sont concentrés sur les salaires compris entre 1 et 1,2 SMIC.
D’après les évaluations qui ont été réalisées, cette situation conduirait à la destruction de plusieurs dizaines de milliers d’emplois, sans parler, comme toujours avec ce type de seuil, du risque de trappe à bas salaires.
Quant à l’annualisation, autre piste, la direction générale du Trésor estime qu’elle serait très dangereuse puisqu’elle pourrait se traduire par près de 85 000 destructions d’emplois.
La publication du rapport Tavernier nous permettra de disposer d’un matériau plus précis que par le passé sur ces différentes approches.
Sur un plan général, l’objet de ces allégements de charges n’est pas d’accroître la compétitivité des entreprises, mais de maintenir l’emploi, en particulier pour les catégories les plus en difficulté sur le territoire. Dans la mesure où de plus en plus d’emplois sont délocalisables – Laurent Wauquiez a cité l’exemple des centres d’appels dans les services, mais il y en a bien d’autres –, ces allégements concourent aussi au maintien de la compétitivité et de l’attractivité de notre territoire.
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, je regrette que M. Wauquiez ne soit pas resté ; Mme Idrac n’ayant pas entendu nos interventions, il lui sera plus difficile de prendre réellement part à ce débat et de répondre à nos questions.
Je partage en tout cas le point de vue exposé par notre collègue Jean-Jacques Mirassou voilà quelques instants : M. Wauquiez s’est livré à un exercice vraiment caricatural auquel il ne nous avait d’ailleurs pas habitués ; j’avais l’impression de me trouver dans un meeting de l’UMP plutôt qu’au Sénat !
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. Gérard Longuet. C’est que vous n’assistez pas souvent aux meetings de l’UMP !
M. Alain Gournac. Ce n’est pas un meeting du parti socialiste !
Mme Annie David. Pour mon groupe, les 35 heures étaient une belle idée, une idée révolutionnaire à laquelle vous n’avez évidemment jamais pu adhérer puisqu’il s’agissait d’un vrai partage du temps de travail et d’un juste retour pour que le progrès profite à l’ensemble des salariés de notre pays, et pas seulement aux actionnaires, comme c’est le cas aujourd'hui avec l’augmentation des dividendes.
Ma question est relativement simple : allez-vous à nouveau faire peser sur les ménages, en l’occurrence sur les salariés, l’effort de réduction des déficits ? La majorité invoque sans cesse l’égalité, l’équité, mais les « retraites chapeaux », les stock-options et les bonus continuent à prospérer dans les entreprises, alors que les plans sociaux et le chômage partiel frappent les salariés. Voilà tout de même une sacrée injustice dans votre politique sociale ! Ne serait-il pas temps de mettre à mort le bouclier fiscal et de le remplacer par un véritable bouclier social ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.