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Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. M. Bernard Saugey, juge titulaire à la Cour de justice de la République, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant à la Cour de justice de la République, vont être appelés à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique. Je prie M. Bernard Saugey, juge titulaire, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure ».
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
(Successivement, M. Bernard Saugey, juge titulaire, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant, se lèvent et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)
Mme la présidente. Acte est donné par le Sénat des serments qui viennent d’être prêtés devant lui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures pour les questions cribles thématiques.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Questions cribles thématiques
éducation et ascension sociale
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur « l’éducation et l’ascension sociale ».
L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été mis à la vue de tous.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le ministre, avec les enseignants, les parents et les élèves, fortement mobilisés ces derniers mois contre les réformes de l’éducation nationale, je partage l’aspiration populaire à une école de l’égalité, de la justice et de la réussite pour tous.
Enjeu de société, le devenir de l’école publique doit être pensé pour relever le défi d’émancipation de tous, sans exclusive.
Or on nous enferme dans des débats stériles. Il en est ainsi de l’égalité des chances, qui ne valorise en réalité que le mérite individuel. Loin de faire reculer les inégalités devant l’éducation, elle laisse de côté l’immense majorité des élèves issus des milieux populaires.
Stigmatisante, même, pour ceux qui ne s’en sortent pas, cette politique nie la possibilité pour le plus grand nombre de se construire un avenir, chacun à son rythme.
Car faire reculer les inégalités devant l’éducation, c’est offrir à chacun les moyens de construire sa propre vie scolaire et intellectuelle, sans que les conditions économiques d’origine et de position sociale la déterminent.
C’est donc bien à l’État de garantir, sur l’ensemble du territoire, la présence et le développement d’un service public de l’éducation, dont l’ambition est l’égalité d’accès pour tous à un haut niveau de culture.
Mais faire cela, c’est aller à l’exact opposé de votre politique favorisant l’école privée, renforçant l’élitisme et réduisant des voies de l’insertion aussi indispensables que l’enseignement professionnel et agricole.
Il faut stopper la réduction du nombre de fonctionnaires, refuser leur précarisation et l’amenuisement de l’offre éducative.
Monsieur le ministre, allez-vous fournir aux parlementaires un bilan de la loi dite « d’égalité des chances » et engager une réforme digne de ce nom, celle qui doit réfléchir au rôle nouveau et à la transformation de l’éducation nationale comme outil d’égalité, de gratuité sur l’ensemble du territoire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Madame le sénateur, je crains que deux minutes ne me suffisent pas pour évoquer l’ensemble des sujets que vous avez abordés dans votre question.
M. le président. Vous pourrez y revenir !
M. Luc Chatel, ministre. En effet, monsieur le président, j’aurai l’occasion de revenir sur ces sujets dans les réponses que j’apporterai aux différents orateurs.
Madame le sénateur, vous appelez à une mobilisation en faveur de l’égalité des chances. Aujourd’hui, d’un point de vue sociologique, si la proportion de fils et de filles d’employés et d’ouvriers dans les classes de sixième correspond fidèlement à la structure de la population active française, il n’en est plus de même dans les classes de terminale, en fin de cycle. Dans ces conditions, il est bien difficile de parler d’égalité des chances.
J’ai dénoncé cette situation dès ma prise de fonctions. C’est pourquoi il faut renforcer le brassage social, et c’est précisément l’objet des réformes que nous mettons en œuvre.
M. René-Pierre Signé. C’est un problème social !
M. Luc Chatel, ministre. Par exemple, quand on réforme le lycée professionnel pour une meilleure insertion professionnelle, donc pour qu’il débouche davantage sur un emploi, on travaille pour l’égalité des chances. De même, lorsqu’on améliore l’orientation au lycée afin que chacun puisse trouver sa voie plus facilement tout au long de son parcours, l’orientation ne tombant plus comme un couperet, on travaille également pour l’égalité des chances.
Pour autant, je ne souhaite pas opposer égalité des chances et excellence. Je suis pour une école de la République qui soit une école de l’excellence, de l’élitisme – je n’ai pas peur des mots. Oui, je suis favorable à ce qu’une élite scolaire accède au meilleur niveau, mais, en même temps, je veux que chaque élève trouve sa voie dans le système éducatif.
L’action que nous menons et les réformes que nous mettons en œuvre ont pour objectif de diminuer progressivement le nombre des élèves quittant le système éducatif sans aucun diplôme.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour la réplique.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Confrontés à l’explosion des exigences et de la colère des banlieues, vous aviez fait adopter, en 2006, la loi dite « d’égalité des chances ».
Quatre ans après, le bilan est plutôt maigre. Outre le fait que le contrat première embauche, ou CPE, a été massivement rejeté, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, pointe aujourd’hui la persistance de fortes inégalités de toutes sortes, qui font que, à diplôme égal, on n’accède pas aux mêmes catégories socioprofessionnelles.
La discrimination positive, que vous mettez en œuvre et qui vise à instaurer des politiques de quotas et des internats d’excellence, n’est pas la réponse aux exigences d’acquisition du plus haut niveau de connaissance pour tous.
Il faut des moyens supplémentaires, ce que les acteurs de l’éducation ne cessent de réclamer, comme ils l’ont encore redit ces derniers jours.
Il faut des enseignants supplémentaires, il faut des RASED, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, il faut des infirmières, il faut des médecins à l’école, il faut des CO-PSY, les conseillers d’orientation psychologues, il faut des CIO, les conseillers d’information et d’orientation !
En parallèle, il faut aussi réfléchir à l’offre pédagogique du troisième millénaire.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Aussi, je réitère ma demande qu’un bilan de la loi de 2006 soit dressé.
M. René-Pierre Signé. Et il ne faut pas supprimer de postes !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le ministre, le lien entre éducation et réussite professionnelle, c’est sans aucun doute la réussite scolaire et la bonne orientation.
Comment améliorer ces résultats, en particulier dans le domaine scolaire, alors que, depuis vingt ans, dans notre pays, il n’y a jamais eu autant de dépenses pour l’éducation, alors que notre système scolaire continue à engendrer de l’échec, 150 000 jeunes le quittant sans maîtriser la lecture ?
Nous savons tous que la réussite se joue dès le plus jeune âge et que l’école élémentaire, selon la Cour des comptes, « constitue le socle sur lequel tout repose pour réussir cet enjeu majeur ».
Face à ce défi, j’ai engagé sur mon territoire de 8 000 habitants, la communauté de communes du Haut-Clocher, le regroupement de treize écoles en trois sites uniques, reliés à la fibre optique, équipés de tableaux blancs interactifs, de trente ordinateurs portables, animés par un espace numérique de travail, ainsi que tous les services périscolaires qu’attendent les parents.
Je souhaite également bâtir un conseil local de l’éducation qui regrouperait enseignants, parents, élus, services sociaux, pour sans cesse améliorer les résultats scolaires en lien avec le collège.
Monsieur le ministre, ma question, sous forme de triptyque, est la suivante.
Tout d’abord, comment envisagez-vous de participer au financement de l’école du XXIe siècle, moderne, adaptée au défi pour les prochaines générations ?
Ensuite, comment envisagez-vous de faciliter la mise en œuvre d’une véritable synergie locale entre équipe pédagogique, parentalité – c’est un enjeu majeur – et élus locaux responsables ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Daniel Dubois. Enfin, comment envisagez-vous de rendre plus transparents et, ainsi, d’optimiser les résultats des évaluations pour les rendre utiles à la décision publique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, il est essentiel de le rappeler, comme vous l’avez fait fort justement, jamais autant de dépenses n’ont été engagées en faveur de l’école. Cela montre la volonté du Gouvernement d’investir dans l’avenir de nos enfants, comme le font l’ensemble des grands pays développés.
Cette remarque étant faite, se pose immédiatement la question de l’efficacité de la dépense publique et de l’organisation de l’offre scolaire sur l’ensemble du territoire.
Monsieur le sénateur, je vous félicite de votre sens des responsabilités. Les investissements que vous avez réalisés sur votre territoire attestent votre volonté de moderniser l’offre de votre structure intercommunale, notamment dans le domaine du numérique.
Dans le cadre du plan de relance, nous avons décidé de mettre 6 700 écoles de notre pays à l’heure du numérique et de les équiper, progressivement au cours des prochains mois, en matériels adéquats. Je me réjouis que votre communauté de communes ait pu bénéficier de ce plan de relance. J’aurai d’ailleurs l’occasion d’annoncer, dans quelques semaines, un plan numérique beaucoup plus vaste pour faire véritablement de l’école française l’école du XXIe siècle.
Vous soulevez la question de la synergie locale entre les différents acteurs. C’est un sujet important, sur lequel plusieurs de mes prédécesseurs avaient eu l’occasion de travailler. Il avait été question, un moment, de créer des conseils de concertation non pas départementaux, mais locaux. On y a renoncé car il a été considéré que de tels conseils n’auraient été qu’une structure supplémentaire sans réelle efficacité.
La question de l’interactivité entre les directeurs d’école, les enseignants et les familles est posée, comme l’est celle de la direction des établissements scolaires comptant de nombreuses classes.
Le Premier ministre vient de confier sur ce sujet une mission parlementaire à votre collègue député Frédéric Reiss. Les propositions des parlementaires permettront d’enrichir les réflexions visant à améliorer, localement, le mode de concertation entre l’éducation nationale, les collectivités locales et les familles, pour un meilleur fonctionnement de l’école. C’est ainsi que nous adapterons au mieux notre système éducatif.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour la réplique.
M. Daniel Dubois. Monsieur le ministre, je vous remercie des indications que vous nous avez données.
Force est de constater que, bien souvent, nous en sommes restés à l’école de Jules Ferry. Or nous sommes tous conscients que l’intelligence sera demain un levier de croissance et c’est pourquoi la réussite scolaire doit être au rendez-vous. À cette fin, notre pays doit s’engager sur la voie de l’innovation, qui est un enjeu déterminant, car il est au commencement de tout.
Monsieur le ministre, vous devez rapidement développer les synergies et faire en sorte que les équipes éducatives, les parents et les territoires, qui forment un triptyque, travaillent mieux ensemble. Vous en prenez la direction, mais je vous invite à avancer avec rapidité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, l’école ne joue plus, depuis longtemps déjà, son rôle de promotion sociale. Pourtant, depuis les zones d’éducation prioritaires, ou ZEP, les dispositifs correcteurs ont été multipliés, soit dans le cadre de l’éducation nationale, soit dans celui de la politique de la ville. Certains se sont révélés heureux, mais, globalement, ils n’ont pas enrayé le déclin de l’école comme outil de promotion sociale.
En effet, ces dispositifs manquent l’essentiel : l’amélioration des apprentissages fondamentaux à l’école primaire – lecture, écriture, calcul. Ceux-ci, depuis longtemps, ne sont plus assurés correctement, et ces insuffisances, qui frappent d’abord les enfants les moins favorisés, se répercutent ensuite en inégalités croissantes à tous les niveaux de l’enseignement.
Cette véritable destruction des fondements de l’école républicaine vient de loin, monsieur le ministre ; elle procède du triomphe des pédagogies dites « nouvelles » ou encore « constructivistes », parce que l’élève est censé construire lui-même son savoir, tel un petit Champollion devant les tablettes hiéroglyphiques.
Ces doctrines ont fait la preuve de leur inefficacité : la méthode globale, par exemple, n’a jamais remplacé, pour l’apprentissage de la lecture, la méthode syllabique, qui doit rester un élément essentiel de cet apprentissage.
Toute l’expérience historique montre que les enfants des couches populaires ont d’abord besoin d’une école structurée et d’un bon enseignement dans les matières de base. Quelles directives fermes allez-vous donner en ce sens ?
Votre prédécesseur avait laissé s’instaurer, à l’école élémentaire, la semaine de quatre jours, pour ne pas dire la semaine des quatre jeudis ! (Sourires.) Or, votre circulaire de rentrée visant à « encourager le retour à la semaine de neuf demi-journées chaque fois qu’elle rencontre l’adhésion » sonne comme un renoncement. On n’a jamais vu, monsieur le ministre, que les élèves puissent apprendre mieux en travaillant moins ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Je souscris dans une large mesure aux propos que vous venez de tenir, monsieur le sénateur.
Le Gouvernement a tout d’abord mis en œuvre une réforme de l’école primaire visant à la recentrer sur les fondamentaux. Elle comporte notamment de nouveaux programmes et la mise en place d’une aide personnalisée de deux heures pour les élèves qui rencontrent des difficultés, afin de leur permettre d’entrer en sixième en maîtrisant ces compétences de base que sont, en particulier, la lecture et l’écriture.
De plus, j’ai annoncé hier un plan de prévention de l’illettrisme, replaçant la maternelle au cœur du dispositif, avec un retour à certains fondamentaux tels que la connaissance du vocabulaire. Aujourd’hui, à l’entrée en cours préparatoire, on constate des différences majeures entre certains élèves issus de milieux défavorisés, qui maîtrisent quelque 150 mots, et d’autres vivant dans un environnement plus favorisé, qui en connaissent environ 700. Or, on sait qu’il est très difficile de combler cet écart par la suite.
M. René-Pierre Signé. Oui !
M. Luc Chatel, ministre. De même, le retour à l’apprentissage par cœur de textes ou de poésies fait l’objet d’une directive que j’ai mise en œuvre et est visé dans ma circulaire de rentrée. C’est à mon sens un point très important. J’ai également décidé que les élèves devraient travailler précocement sur les grands textes de la littérature.
Il me semble essentiel d’en revenir à ces fondamentaux pour combattre l’illettrisme et permettre que l’école de la République redevienne celle que nous avons connue. La création des internats d’excellence, par exemple, s’inscrit également dans cette perspective. Il s’agit de donner aux élèves méritants la possibilité d’accéder au meilleur, et donc de permettre l’ascension sociale par le travail. C’est en tout cas l’objectif du Gouvernement.
M. René-Pierre Signé. Il faut commencer tôt et renoncer à mettre en place des jardins d’enfants !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, j’approuve nombre des orientations que vous venez de rappeler ; j’observe néanmoins que, pour les enfants de maternelle, l’acquisition du vocabulaire passe tout de même par l’apprentissage de l’écriture : on ne peut pas apprendre le vocabulaire si l’on n’a pas appris à lire et à écrire. C’est fondamental ! Le mot, disait Jaurès, c’est l’idée.
J’ai évoqué le retour à la semaine de neuf demi-journées. Les chronobiologistes, l’Académie nationale de médecine et la FCPE, rejointe sur ce point par d’autres fédérations de parents d’élèves, sont tout à fait formels : une telle organisation de la semaine respecte les rythmes de l’enfant et donne plus de temps pour l’acquisition des savoirs fondamentaux. Mais votre circulaire, monsieur le ministre, n’a aucun sens, excusez-moi de vous le dire ! En effet, s’il y a adhésion des conseils d’école à la semaine de neuf demi-journées, vos encouragements ne sont pas nécessaires ; dans le cas contraire, vous prenez acte du fait accompli.
Encouragez donc dans tous les conseils d’école, monsieur le ministre, y compris ceux qui ont choisi la semaine de quatre jours,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Chevènement. … ceux qui, soucieux avant tout des intérêts de l’enfant, ne demanderaient qu’à vous obéir pour revenir à la semaine de neuf demi-journées ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Je remets aujourd’hui ma casquette de président de la mission d’information que la commission des affaires culturelles avait conduite en 2007 sur la diversité sociale et l’égalité des chances dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles, dont M. Bodin était d’ailleurs le rapporteur.
Nous avions alors, à l’unanimité, dénoncé le caractère socialement fermé des classes préparatoires aux grandes écoles dans un rapport au titre significatif : « Halte au délit d’initié ». Nous constations d’ailleurs avec inquiétude que cette fermeture, et donc celle des grandes écoles, qui préparent une bonne partie des élites de notre pays, tendait à s’accentuer.
Nous avions attiré l’attention du Gouvernement sur ce point, et je me réjouis que le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, ayez marqué votre volonté de réagir, en particulier en fixant un objectif de 30 % de boursiers dans les classes préparatoires aux grandes écoles. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je crois cependant qu’il ne peut s’agir là que d’un indicateur, et non de la solution au problème.
Ce qui écarte les jeunes gens issus de milieux modestes de ces classes préparatoires, c’est d’abord l’impression que « ce n’est pas pour eux » (M. Yvon Collin opine), ensuite un problème d’orientation, souvent aussi des difficultés de logement, enfin l’inégale répartition des classes préparatoires sur le territoire national, 17 % d’entre elles étant situées dans la seule ville de Paris, tandis que vingt départements en sont totalement dépourvus.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser quelles mesures globales vous comptez prendre pour favoriser l’accès de tous les jeunes gens qui ont la capacité de suivre de telles études aux classes préparatoires, et donc aux fonctions de direction dans notre pays ? (Mme Muguette Dini applaudit.)
M. René-Pierre Signé. Il y a des classes privées parallèles !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, nous partageons le même objectif. Le 11 janvier dernier, le Président de la République a demandé aux grandes écoles, quintessence de l’élitisme républicain, de jouer leur rôle dans le renouvellement et la diversification des élites. Si nous voulons que davantage de jeunes issus de milieux défavorisés accèdent au meilleur, ce n’est pas en abaissant le niveau que nous y parviendrons,…
M. Jacques Legendre. Bien sûr !
M. Luc Chatel, ministre. … ni en créant des concours différenciés, mais en assurant un bon brassage et le bon fonctionnement de notre système fondé sur le mérite républicain.
Depuis 2007, nous avons beaucoup avancé dans cette voie. Nous avons d’abord inventé plusieurs dispositifs destinés à accompagner les élèves issus de milieux défavorisés vers les filières d’excellence de l’enseignement supérieur. L’objectif de 30 % de boursiers dans les classes préparatoires a été atteint en ce début d’année, avec un an d’avance.
L’éducation nationale s’est également fixé pour objectif, dès à présent atteint, que chaque lycée propose la candidature d’au moins 5 % de ses élèves aux classes préparatoires.
Enfin, pour accompagner et guider les élèves provenant de milieux défavorisés et assurer le lien entre lycées et classes préparatoires, Mmes Pécresse et Amara ont créé le dispositif des « cordées de la réussite ».
Le comité interministériel sur l’égalité des chances qui s’est tenu en novembre dernier a décidé d’accroître fortement l’offre de classes préparatoires, notamment dans la filière technologique. Nous avons ainsi ouvert, à la rentrée dernière, la première classe préparatoire professionnelle. Je crois que diversifier les voies d’accès à l’excellence est aussi un moyen de faire parvenir au meilleur niveau des élèves issus de milieux défavorisés. Nous continuerons à travailler dans cette direction.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour la réplique.
M. Jacques Legendre. J’approuve dans une large mesure vos propos, monsieur le ministre, mais je souhaiterais tout de même insister sur la nécessité de déployer de nouvelles classes préparatoires, y compris en zones rurales.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jacques Legendre. On parle souvent du handicap subi par les élèves issus des banlieues, et il est vrai qu’il faut y être attentif, mais je souligne à nouveau que vingt départements ne comptent aucune classe préparatoire. Il est plus difficile, je le sais, de créer des « prépas » que d’organiser des internats d’excellence, mais je crois cet effort nécessaire. C’est un complément à l’action que vous menez, monsieur le ministre, et je compte sur vous.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Ma question portera sur la carte scolaire, son assouplissement et les résultats aujourd’hui constatés.
Ces dernières années, les inégalités sociales se sont accentuées et, par effet de miroir, la carte scolaire les reflète, les cristallise, conduisant à une concentration des difficultés dans un certain nombre d’établissements scolaires. C’est pourquoi la sectorisation telle qu’elle existait connaissait des dysfonctionnements, avec par exemple les stratégies de contournement utilisées par certaines familles, inquiètes pour l’avenir de leurs enfants.
Devant ce constat, le Gouvernement a fait le choix de l’assouplissement de la sectorisation et de l’autorisation de son contournement, instituant ainsi les inégalités scolaires, ghettoïsant encore plus certains établissements. En effet, il ne suffit pas de « détricoter » l’existant, certes imparfait, pour mettre en place une politique plus juste. Il ne suffit pas non plus de quelques mesures censées aider les plus méritants pour permettre plus d’égalité.
L’enquête PISA de l’OCDE montre clairement que l’écart excessif entre établissements constitue un des éléments les plus défavorables à la performance du système éducatif français. De même, le rapport de la Cour des comptes de novembre 2009 indiquait que l’abandon de la carte scolaire s’est traduit par une plus grande concentration des facteurs d’inégalité dans les collèges classés en zones sensibles. Au nom du libre choix, c’est l’égal accès à l’éducation pour tous les jeunes qui est remis en cause.
Monsieur le ministre, allez-vous poursuivre cette politique de désectorisation de l’école, sacrifiant ainsi de nombreux enfants « captifs » de leur quartier, ou allez-vous mettre en œuvre une politique ambitieuse, dotée des moyens nécessaires pour permettre à tous ces établissements dits « sensibles » de devenir des lieux d’excellence pédagogique pour tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.