M. Jacques Mézard. Certes, tout cela est extrêmement intéressant sur le plan historique, mais soyons raisonnables ! Dans une loi qui se veut une loi de modernisation, il convient de régler les vrais problèmes de terrain, dont celui-ci !
Toutefois, eu égard aux engagements de M. le président de la commission des lois, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 506 rectifié est retiré.
Chapitre IV
Regroupement de départements et de régions
Article 12
Au titre Ier du livre Ier de la troisième partie du code général des collectivités territoriales, il est créé un chapitre IV intitulé : « Regroupement de départements » ainsi rédigé :
« Chapitre IV
« Regroupement de départements
« Art. L. 3114-1. – I. – À la demande d’un ou plusieurs conseils généraux, des départements formant un territoire continu peuvent être regroupés en un seul.
« Lorsque la demande n’émane pas de l’ensemble des conseils généraux intéressés, celui ou ceux ne s’étant pas prononcés disposent pour le faire d’un délai de six mois à compter de la notification par le représentant de l’État dans le département du projet de regroupement. À défaut de délibération dans ce délai, la décision est réputée favorable.
« II. – Si le Gouvernement décide de donner suite à la demande :
« 1° En cas de délibérations concordantes de l’ensemble des conseils généraux intéressés, il peut consulter les personnes inscrites sur les listes électorales des communes appartenant à ces départements sur l’opportunité de ce regroupement ;
« 2° En l’absence de délibérations concordantes de l’ensemble des conseils généraux, la consultation mentionnée au 1° est obligatoire.
« Les dépenses résultant de la consultation sont à la charge de l’État.
« Lorsqu'une consultation a été organisée, le regroupement ne peut être décidé que si le projet recueille, dans chacun des départements concernés, l'accord de la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits dans l'ensemble des communes qui le composent. À défaut, le regroupement ne peut résulter que de la loi.
« III. – Le regroupement est décidé par décret en Conseil d’État. »
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, sur l'article.
M. Gérard Le Cam. Comme pour les autres articles, nous ne nous opposons pas au renforcement des coopérations entre collectivités locales, ni même à leur fusion éventuelle, mais nous refusons toute automaticité, toute contrainte autoritaire et toute précipitation.
Nous souhaitons que les assemblées délibérantes concernées soient toujours à l’initiative des procédures, qu’il y ait concordance des délibérations pour poursuivre celles-ci et que la décision finale revienne aux citoyens.
Aussi, nous ne pouvons pas accepter les termes de cet article, qui, sans le mentionner officiellement, vise à favoriser la fusion des départements.
En effet, nous sommes pour le moins dubitatifs sur cet article qui prévoit qu’une procédure de fusion est automatiquement lancée par le préfet dès lors qu’un conseil général en aura fait la demande. Nous refusons que le ou les autres départements concernés soient contraints d’examiner cette demande et d’y répondre dans un délai de six mois. L’enjeu est d’importance, et ce délai peut s’avérer insuffisant pour examiner l’ensemble des conséquences d’une telle fusion. En fait, nous nous trouvons là dans le cas de figure d’une OPA qui peut, certes, être amicale, mais peut tout autant être hostile.
Quelle que soit la motivation de la demande, celle-ci doit être étudiée. Or, à défaut de délibération, la décision est supposée être acceptée.
Dès lors que la procédure de fusion est lancée, elle peut être conduite à son terme, même si l’un des départements n’est pas favorable, ce que nous ne saurions accepter.
En effet, une fois la demande formulée par un département, la machine est mise en route, et rien ne peut l’arrêter si le préfet en décide ainsi. C’est dire le rôle primordial, qui lui est, une nouvelle fois, attribué, celui-ci pouvant aller à l’encontre des décisions d’une assemblée élue.
Dans le cas de délibérations concordantes des conseils généraux concernés, une fusion de départements peut être réalisée sans que les citoyens soient consultés.
Pour notre part, nous considérons que les citoyens doivent être appelés à se prononcer dans tous les cas, et que leur décision s’impose.
Aussi, après l’organisation d’une consultation et un vote contre la fusion proposée, nous ne saurions accepter qu’une loi impose ce que le peuple a refusé.
Dans ces conditions, vous comprendrez, mes chers collègues, que nous vous proposions une série d’amendements visant à modifier ces dispositions. Si aucun d’entre eux n’est adopté, nous voterons contre l’article 12.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, sur l'article.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la volonté du Gouvernement est, me semble-t-il, de faire disparaître à terme – j’y insiste ! – les départements, …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. … et ce par deux voies : la création des conseillers territoriaux, par le biais desquels les départements vont s’évaporer, selon l’expression de M. Balladur, dans les régions, mais aussi les fusions, celle des départements…
M. Bruno Sido. Ce sont les régions qui vont disparaître !
M. Jean-Pierre Chevènement. … ou des régions et, plus bizarrement encore, à l’article 13 bis, la création, en métropole, de véritables collectivités d’outre-mer issues de la réunion d’une région et des départements qui la composent.
Au départ, le Gouvernement avait prévu un vote dans l’ensemble des communes des départements concernés. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.) Or il a été amené à faire machine arrière, comme il l’a fait – on l’a vu hier ! – pour la transformation d’un EPIC, un établissement public à caractère industriel et commercial, en commune nouvelle, pour laquelle la commission a considéré qu’il faudrait un vote de chaque commune concernée. C’est ainsi qu’est maintenant prévu un vote dans chacun des départements concernés. Cette même règle prévaudra à l’article 13 pour les régions.
Pour autant, évite-t-on le risque d’« OPA », amicale ou inamicale ? Je ne le crois pas.
Au demeurant, je m’interroge sur l’intention véritable du Gouvernement. Il est tout de même impensable que le Gouvernement ait pu élaborer ces trois articles en prévoyant un vote dans l’ensemble des communes de tous les départements concernés et de toutes les régions concernées, sauf à croire que les personnes ayant rédigé ce projet de loi avaient la tête ailleurs ! Mais je demande à être convaincu…
Où est donc la véritable intention du Gouvernement ?
En encourageant les fusions de départements et de régions, je crains que vous ne vous engagiez dans un processus dont vous n’avez pas réellement mesuré la portée ! Sans vous en rendre compte, vous allez ouvrir la voie aux régionalismes, voire à certains ethnicismes, …
M. René-Pierre Signé. Voilà !
M. Jean-Pierre Chevènement. … que l’on croyait avoir bannis depuis la Révolution française précisément en ayant créé les départements.
M. René-Pierre Signé. Éclater la France !
M. Jean-Pierre Chevènement. Faudra-t-il, oui ou non, rattacher la Loire-Atlantique à la Bretagne, opposant ainsi les départements et, par là même, les élus entre eux ? En Alsace, certains pourront avoir la tentation de créer une sorte de territoire « d’outre-terre » entre les Vosges et le Rhin, sur le modèle de la Martinique. C’est en ces termes que se posera le débat !
Dès lors que l’on encourage ces fusions, comment pourra-t-on résister aux demandes de scission, de défusion ? Que répondrez-vous, monsieur le secrétaire d'État, à ceux qui demanderont, par exemple, à Saint-Jean-de-Luz ou ailleurs, la création d’un département basque ?
Ce sont là, à mon avis, des évolutions qu’un législateur sage ne devrait pas encourager ! Même si je note les inflexions très importantes que la commission des lois a apportées en catimini au texte initial du Gouvernement, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah non ! Pas en catimini !
M. Jean-Pierre Chevènement. … je considère que ce texte reste dangereux.
En conséquence, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas voter cet article. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. L'amendement n° 223, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le secrétaire d'État, le regroupement de départements n’était pas jusqu’à présent prévu dans la loi, mais vous voulez l’imposer avec l’article 12.
Votre objectif est de créer, de toutes les façons possibles, des entités territoriales élargies pour les faire entrer dans la compétition, la concurrence, entre les territoires. De votre point de vue, cela suppose in fine la suppression des départements, ce qui passe par la création d’un élu commun au département et à la région et la suppression de la clause de compétence générale, mais vous ne pouvez évidemment pas le dire clairement !
Il en va de même des départements concernés par la création de métropoles, que nous avons évoquées hier, et qui vont se retrouver à gérer des territoires pauvres et étendus sans disposer des moyens financiers nécessaires qui auront été captés par ladite métropole.
Vous voulez intégrer dans la loi des dispositions contraignantes pour les habitants et leurs élus, et vous donnez au Gouvernement une marge d’appréciation importante pour juger de l’opportunité d’un projet et pour s’y opposer.
En réalité, vous lui donnez tout pouvoir en matière de regroupement : il peut accepter ou non la demande, organiser ou non la consultation des populations dans le cas où tous les conseils généraux sont d’accord et faire fi, s’il le souhaite, de l’avis issu de la consultation des populations qu’il aura pourtant lui même organisée. Ainsi, vous vous passez de l’avis et de la décision des conseils généraux, puisque ceux qui n’ont jamais émis un quelconque souhait de fusion seront réputés accepter celle-ci s’ils n’ont pas délibéré dans les six mois suivant la notification qui leur aura été adressée par le préfet, un délai bien court, je le rappelle.
Le projet de loi du Gouvernement permettait même à des conseils généraux d’imposer à d’autres conseils généraux non demandeurs leur décision de se regrouper. Le résultat des votes des électeurs était en effet comptabilisé sur l’ensemble du périmètre correspondant au projet de regroupement, tous départements confondus, ce qui est, là encore, contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales.
La commission des lois a adopté un amendement qui va dans le bon sens : l’accord de la population dans chaque département est désormais exigé pour tout regroupement. Toutefois, elle n’a pas remis en cause le fait que le Gouvernement aura finalement la haute main sur la décision.
Nous demandons la suppression de l’article 12 non seulement parce que nous nous opposons à la disparition des départements, mais aussi parce que les modalités envisagées sont antidémocratiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission. Nous voulons offrir aux collectivités qui le souhaitent la possibilité de se regrouper sur une base volontaire, ce qui constitue un immense progrès.
Le dispositif, tel que modifié par la commission, garantit, en outre, que le regroupement n’aura lieu qu’avec l’accord unanime de chacune des collectivités concernées ou celui de leur population respective, ce qui évite l’OPA inamicale que vous avez évoquée tout à l'heure, mon cher collègue.
Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le Gouvernement a également émis un avis défavorable sur cet amendement.
L’objectif du Gouvernement n’est absolument pas de favoriser les fusions de départements. En revanche, celui-ci veut donner aux départements qui souhaitent se regrouper les moyens de le faire, mais ce uniquement bien entendu sur la base du volontariat.
On a pu le lire dans la presse, plusieurs départements ont déjà pris position.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-Louis Carrère. La Corse ?
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … les départements normands, etc.
Par ailleurs, je veux dire à M. Chevènement qu’aucune disposition ne permet ni n’autorise la scission d’une partie d’un département, répondant en cela à son interrogation sur l’exemple basque. Nous sommes tout à fait sur la même ligne, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, pour explication de vote.
M. Michel Boutant. Je souhaite laisser un instant de côté le niveau conceptuel pour revenir au niveau factuel.
L’article 12 me pose quelques problèmes. Je siège aux côtés de mon ami Gérard Miquel, président du conseil général du Lot, et je suis moi-même président du conseil général de la Charente. Nous pensions peut-être fusionner nos deux départements…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bonne idée ! (Sourires.)
M. Michel Boutant. … et donner ainsi naissance à un petit Charlot ou à une petite Charlotte ! (Sourires.) Mais je dois avouer que j’ai pris une douche froide en lisant l’alinéa 4 de l’article 12, qui dispose que « à la demande d’un ou plusieurs conseils généraux, des départements formant un territoire continu peuvent être regroupés en un seul ». Or nos deux départements ne sont pas continus !
Je me suis alors dit que la Charente pourrait lier ses destinées sentimentales avec celles de la Haute-Vienne, unissant à la fois la porcelaine et le cognac, à défaut de marier le cognac et la truffe. Mais il se trouve que ces départements appartiennent à deux régions.
Expliquez-moi, monsieur le secrétaire d'État, en quoi consiste la simplification du « millefeuille territorial » auquel vous faites souvent allusion ? Comment les conseillers territoriaux de la Charente pourront-ils siéger au conseil régional du Limousin, et ceux de la Haute-Vienne à celui de Poitou-Charentes ? En effet, l’article 12 permet la fusion des départements n’appartenant pas aux mêmes régions. Voilà une difficulté supplémentaire qui se fait jour ici.
Pour cette raison, vous le comprendrez, mes chers collègues, le groupe auquel j’appartiens votera cet amendement de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Hier soir, fort tard, nous évoquions, de façon tout à fait intéressante, les communes nouvelles. Aujourd’hui, la discussion porte sur les départements nouveaux et, bientôt, sur les régions nouvelles, ce qui est tout aussi important !
Mme Nathalie Goulet. Avec les mêmes élus !
M. Bruno Sido. Sur ce sujet, la lecture du projet de loi ne m’a pas permis de bien comprendre ce qui est proposé. Certes, les propos tenus tout à la fois par M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État éclaircissent quelque peu la situation.
Si je me réfère à l’alinéa 4 de l’article 12, je ne vois pas comment le cas de figure d’une « OPA inamicale » d’un département sur un autre pourrait se produire.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Dans le cadre d’un référendum commun !
M. Bruno Sido. Nous l’avons dit et redit hier, et M. Mercier s’est d’ailleurs fait l’avocat de cette cause, un accord unanime est indispensable. Dans ces conditions, pourquoi lit-on à l’article 12 la phrase suivante : « À la demande d’un ou plusieurs conseils généraux, des départements formant un territoire continu peuvent être regroupés en un seul » ? Il faudra que nous nous expliquions plus précisément sur ce point lors de l’examen d’amendements ultérieurs.
À l’alinéa 6, on peut également lire : « Si le Gouvernement décide de donner suite à la demande ». Entre nous soit dit, on ne voit pas pourquoi tel ne serait pas le cas !
Dès lors, en cas de délibérations concordantes des conseils généraux, la consultation de la population n’est pas obligatoire, ce qui n’est pas normal ! Les personnes inscrites sur les listes électorales des communes appartenant à ces départements doivent être consultées. En outre, comme nous l’avons prévu pour les communes nouvelles, il faut que la moitié de la population – et non les trois cinquièmes ! –s’exprime. Je soutiendrai donc l’amendement n° 541 déposé par Michel Charasse.
Par ailleurs, il faut tordre le cou à l’adage selon lequel « qui ne dit mot consent ». Si un département ne se prononce pas dans les six mois sur le projet de regroupement, cela ne signifie pas qu’il y est favorable, bien au contraire !
Or il est précisé à l’alinéa 5 que, dans ce cas, « la décision est réputée favorable ». Je ne souscris pas à une telle procédure. En effet, si un département ne formule pas d’avis dans un délai de six mois, cela veut dire qu’il est contre le projet de regroupement !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’a qu’à le dire !
M. Bruno Sido. Dans notre droit positif, notamment en matière fiscale, une absence de réponse équivaut à une réponse négative, car on considère que l’information n’a pas forcément été transmise : le courrier a pu se perdre ou le téléphone sonner dans le vide !
Mme Nathalie Goulet. Ou bien internet n’a pas fonctionné !
M. Bruno Sido. Il est vrai que, pour des questions aussi importantes, l’occurrence serait rare ! (Sourires.)
Je ne suis pas juriste, je suis un Français moyen qui comprend les procédures « normales ». Il est faux de prétendre qu’un silence équivaut à un acquiescement. Nous devrons débattre très sérieusement de ce point ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Alain Fouché. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes favorables à cet amendement de suppression de l’article.
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez affirmé tout à l’heure – je vous ai écouté avec intérêt –, vous n’êtes pas pour la fusion des départements.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon éminent collègue Daniel Raoul me le disait en aparté, dans ce texte, finalement, on a toujours le sentiment que le Gouvernement ne dit pas ce à quoi il veut arriver.
Monsieur le secrétaire d’État, nous l’avons bien compris, vous êtes pour les communes, les départements et les régions. Vous êtes également pour les fusions de communes, de régions et de départements. Par ailleurs, vous ne voulez pas que ces regroupements soient perçus comme des suppressions de communes, de départements et de régions. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Vous êtes toujours dans une sorte d’entre-deux !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez dû envoyer vos préfets expliquer cette situation trouble. Elle prête en effet le flanc à quantité d’intentions supposées, devinées ou induites, ce qui engendre un véritable malaise.
Or les préfets ont défendu le projet de loi du Gouvernement…
M. Yves Chastan. Ils n’ont pas réussi !
M. Jean-Pierre Sueur. … et non pas le texte de la commission !
En lisant attentivement le projet qui nous est soumis, je relève, comme M. Sido, que, « en cas de délibérations concordantes de l’ensemble des conseils généraux intéressés, [le Gouvernement] peut consulter » la population. Il pourrait donc se produire des fusions de départements sans que la population soit consultée.
Sur l’avenir de notre organisation territoriale, toutes les idées sont possibles ! À une époque, M. Juppé s’était déclaré favorable à la suppression des départements. Pour notre part, nous ne partageons pas cette position, qui a toutefois le mérite de la clarté.
En effet, le département, comme la commune, sont des institutions que nous portons dans notre cœur : nous sommes les citoyens d’un département. Si un sentiment d’appartenance régional est en train de naître, il faudra du temps pour que les gens s’approprient véritablement la région – c’est d’ailleurs ce que nous souhaitons –, comme ils ont adopté, au fil des décennies, le département.
Monsieur le secrétaire d’État, notre position est donc très claire. Nous voterons pour l’amendement de suppression de l’article 12, et notre position sera identique concernant les régions.
Nous respectons la liberté locale, celle des assemblées élues.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si deux départements veulent fusionner, vous le leur interdisez !
M. Jean-Pierre Sueur. Si des départements souhaitent fusionner, il faut que les deux ou trois assemblées départementales concernées expriment leur accord, par un vote concordant. Ensuite, le peuple doit être consulté. Nous défendons clairement le respect des libertés locales et du suffrage : telle est notre position !
Selon les termes du projet de loi du Gouvernement et du texte adopté par la commission, le Gouvernement « peut » consulter la population. C’est seulement en l’absence de délibérations concordantes que la consultation deviendra obligatoire ! Réfléchissez-y bien, mes chers collègues ! Si les élus d’un département, qui sont élus au suffrage universel, ne sont pas d’accord avec un projet de regroupement, le Gouvernement aura alors la faculté de dresser la population contre eux. Voyez-vous les conséquences d’une telle situation ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est qu’ils ne sont pas à l’écoute de la population ! Allez voir en Martinique et en Guyane !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est peut-être vrai, monsieur le président de la commission des lois, mais la population les a élus !
Notre position est claire, simple et précise : les libertés locales et le suffrage universel doivent être respectés, ce qui signifie que les assemblées concernées doivent se prononcer de manière concordante pour qu’un regroupement de départements soit possible. C’est pourquoi nous ne voterons ni cet article ni le suivant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. M. Jean-Pierre Sueur vient de prononcer le mot clé, celui de « malaise », qui pèse sur les décisions que nous sommes amenés à prendre depuis quelques jours. Il traduit les hésitations, les errements sémantiques du Gouvernement, qui a évoqué pêle-mêle la « fusion-absorption », la « fusion » ou encore l’ « évaporation ». À toute force, on veut maintenant regrouper ! Depuis vingt-quatre heures, le mot d’ordre est : « Regroupons ! »
Je l’ai bien compris, le Gouvernement ne veut rien brusquer. Ce faisant, il reste au milieu du gué.
Il est tout à fait légitime que deux départements aient l’ambition de se regrouper pour atteindre un niveau démographique et économique critique leur permettant un meilleur développement. Mais, avec la rédaction qui nous est soumise, il suffirait – je rejoins ici les propos de notre collègue Bruno Sido – que l’un des deux aspire à un tel regroupement pour que l’autre, faute de moyens d’expression suffisants, soit victime d’une sorte d’OPA.
Ce texte est donc mauvais, parce qu’on peut l’interpréter de manières très différentes.
Par ailleurs, l’institution du département, qui est biséculaire, dépasse largement le cadre d’une entité géographique peuplée par une population déterminée. Il s’agit véritablement d’une communauté d’histoire et de destin, qui a toute sa légitimité pour exprimer, à l’occasion d’une consultation, ce qu’elle souhaite.
Le flou de ce texte révélant, d’une certaine manière, vos intentions, monsieur le secrétaire d’État, nous voterons l’amendement n° 223 tendant à supprimer l’article 12.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Je rejoins tout à fait la position exprimée par M. Bruno Sido. L’accord des départements est bien évidemment indispensable pour procéder à leur fusion, tout comme la consultation des populations concernées.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Que disons-nous d’autre ?
M. Alain Fouché. Il serait tout de même contradictoire d’évoquer sans cesse cette consultation et de ne pas la mettre en œuvre dans le cas qui nous occupe !
Au demeurant, nous sommes sur le point d’examiner un certain nombre d’amendements qui nous permettront de « rectifier le tir » à cet égard.
Il convient également de limiter les pouvoirs des préfets dans ces domaines. Nous évoquions tout à l’heure la loi Marcellin, que je connais bien puisque j’ai été élu dans le cadre d’une fusion de communes. Pourquoi cette loi, qui n’était pas mauvaise en soi, a-t-elle échoué ? Les causes sont à rechercher dans l’application qui en a été faite.
Tout d’abord, les préfets ont décidé de fusionner les communes en établissant un plan de fusion de communes qui a été rejeté par l’ensemble des maires en raison de son caractère autoritaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tel n’est pas le cas aujourd’hui !
M. Alain Fouché. Ensuite, les crédits affectés étaient insuffisants. Par exemple, si une commune fusionnée avait deux stades à restaurer, un seul faisait l’objet d’une intervention.
Pour ces deux raisons essentielles, la loi Marcellin est tombée en désuétude, son application s’avérant insatisfaisante.
Par conséquent, je suis très clair sur ce point, les préfets ne doivent pas prendre trop d’importance. Telle n’est pas l’évolution actuelle, ce qui me choque parfois. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.