M. François Fortassin. … pour lesquels personne n’aura voté, mais qui seront tout de même élus, ce qui est assez étonnant.
Au fond, tout se passe comme si l’on voulait, d’une manière quasi mécanique, sinon faire disparaître, du moins réduire le rôle des régions et des départements.
Alors que les départements auront des assemblées croupions, trop peu nombreuses, dans les régions, au contraire, les assemblées seront pléthoriques.
Si l’on prend l’exemple de la région Midi-Pyrénées, on peut estimer grosso modo que 200 à 250 conseillers territoriaux au minimum siégeront au conseil régional. Je souhaite bien du plaisir à son président ! Il sera, par nature, un élu de base dans son département et il présidera une assemblée régionale comprenant les huit présidents de conseils généraux, ainsi que le président de la métropole. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Il lui faudra un talent certain pour prononcer des arbitrages !
M. Bruno Sido. Cela, c’est vrai !
M. François Fortassin. En outre, si l’on songe au fait que les ressources des régions sont pratiquement réduites de moitié, voire davantage, …
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. François Fortassin. … on peut s’interroger sur les politiques qui pourront être menées.
Finalement, tout se passe comme si un État à bout de souffle, dans une situation financière catastrophique proche de la ruine, devenu une sorte de bateau ivre faisant eau de toutes parts, manifestait sa jalousie envers les collectivités dont on peut dire, qu’elles soient de droite ou de gauche, qu’elles sont globalement bien gérées, qu’elles assurent l’essentiel des investissements dans notre pays et qu’elles ne sont pas endettées, ce qui est un miracle ! Et elles se voient reprocher d’avoir créé trop d’emplois ! (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Par rapport aux représentants de l’État, les élus de ces collectivités doivent tout de même posséder quelques qualités pour obtenir de tels résultats ! Et c’est précisément au moment où celles-ci leur sont reconnues de façon éclatante, du moins dans le domaine de la gestion, qu’on vient leur couper les ailes. C’est une curieuse conception de la démocratie !
Ajoutons à cela le renforcement, par petites touches, du rôle des préfets,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui !
M. François Fortassin. … qui réduit un peu plus la décentralisation.
Messieurs les ministres, il est encore temps de vous reprendre : une loi que l’opinion publique comprend difficilement porte par nature les stigmates de la non-démocratie.
M. René-Pierre Signé. Voilà !
M. François Fortassin. Or, à l’heure où l’individualisme triomphe, la démocratie a besoin d’être renforcée dans notre pays.
Telles sont les raisons pour lesquelles la plupart des membres de mon groupe ne votera pas ce texte.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On va vous convaincre !
M. François Fortassin. Nous espérons néanmoins que l’intelligence finira par l’emporter au sein de ce Gouvernement, qui comprend un certain nombre de personnes raisonnables.
M. René-Pierre Signé. Soyez intelligents !
M. François Fortassin. Départissez-vous un peu de votre suivisme derrière le Chef de l’État, ce sera une bonne chose pour notre pays ! (Rires et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, sur l’article.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. J’ai écouté très attentivement durant cet après-midi les critiques formulées sur la création du conseiller territorial et j’ai même pris des notes.
Cet élu nouveau, dont vous avez parlé depuis la reprise de nos travaux, aurait une double casquette institutionnelle : quelle horreur ! Il courrait même le risque d’être atteint de schizophrénie ! Excusez du peu ! C’est vraiment très grave ! Ce serait un élu écartelé entre deux collectivités ayant des compétences essentielles… Mais c’est tout à fait impossible !
Et pourtant, mes chers collègues, une telle situation existe déjà ! Les maires et les élus municipaux que vous êtes pour beaucoup la connaissent. Pour être moi-même maire, je siège en partie dans le conseil municipal de ma ville et en partie au sein de ma communauté d’agglomération.
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas pareil !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne me pose pas de problème : je n’ai pas d’états d’âme et je ne me sens pas schizophrène. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. Cela n’a rien à voir !
M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Cela a tout à voir !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. D’ailleurs, je n’ai entendu aucun d’entre vous déclarer que le fait de siéger dans deux collectivités différentes aux compétences essentielles lui posait des problèmes. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. René-Pierre Signé. Elles font partie du bloc communal !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vraiment, votre argumentation est d’une pauvreté affligeante… (Vives protestations sur les mêmes travées.) Excusez-moi, mes chers collègues, je vous ai écoutés, j’aimerais bien que vous fassiez de même à mon égard pendant cinq petites minutes !
Permettez-moi de vous le dire, vos arguments sont absurdes ! (Nouvelles protestations.)
En matière de transport, pour avoir été conseiller régional avant d’être députée, de 1986 à 2002, je connais quelque peu la question.
Pour le conseiller territorial qui va siéger en formation départementale, rien ne changera par rapport à la situation actuelle puisque, aujourd'hui, le conseiller général se rend dans le chef-lieu de son département.
Pour le conseiller territorial qui va siéger en formation régionale, les choses ne changeront pas non plus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Povinelli. Marseille-Briançon, cinq cents kilomètres !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le conseiller régional sérieux se déplace partout. En Aquitaine, comme je l’ai fait, il se rend dans les Pyrénées-Atlantiques, en Dordogne, dans le Lot-et-Garonne… Quant aux conseillers généraux du Lot-et-Garonne, ils viennent dans la capitale, à Bordeaux. Il n’y a pas de problème de transport !
Je le répète, la pauvreté de vos arguments est affligeante ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l’article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous devons, au sein de cet hémicycle, nous en tenir à la vérité.
Or la vérité, c’est que l’un des objectifs majeurs de la réforme engagée est la réduction drastique du nombre des élus régionaux et départementaux, qui diminuerait de moitié, passant, ainsi que l’a rappelé Guy Fischer, de 6 000 actuellement à 3 000 élus conseillers territoriaux.
Nous vivons un moment très important, parce qu’il faut avoir conscience que, par cette modification, nous touchons à l’organisation fondamentale de notre République, aux fondements institutionnels et démocratiques qui régissent la vie de nos concitoyens.
En outre, cette réforme est très dangereuse en ce qu’elle ne manquera pas d’installer un véritable bipartisme au sein des collectivités territoriales. De surcroît, qu’on le veuille ou non, il est probable que le conseiller territorial, rencontrant des difficultés pour cumuler action régionale et action départementale, finira par déléguer la prise de décision à des techniciens. D’autant que, selon le projet de loi, même s’il siège dans deux instances à la fois, il ne comptera que pour un mandat au regard de la règle du non-cumul.
Pour toutes ces raisons, je veux redire, après Guy Fischer et d’autres, notre totale opposition à ce démantèlement. On a parlé de « bombe à retardement » : c’est vraiment le vocable qui convient ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, sur l’article.
M. Bruno Sido. Ah !
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, la création du conseiller territorial serait vraiment une idée saugrenue et malvenue si elle n’était dictée par des considérations politiques inavouées et porteuse de nombreux non-dits.
C’est pour cela que vous la plaidez si mal. La ficelle est si grosse que les non-dits sont aisés à deviner : il s’agit non pas seulement de faire des économies, mais aussi de passer la corde autour du cou des départements et, par la même occasion, des communes, puis de serrer petit à petit pour les supprimer.
Je n’irai pas jusqu’à vous raconter ma vie, mais sachez que j’ai moi-même été en quelque sorte le témoin de la naissance de la décentralisation, qui s’est en effet déroulée pour partie dans la Nièvre, au temps où j’avais l’honneur de siéger au conseil général au côté de François Mitterrand. Ce dernier s’était insurgé contre le pouvoir exorbitant du préfet, qui nous faisait voter un budget dont nous ne pouvions pas disposer. Nous allions donc, casquette à la main, lui demander poliment s’il n’avait pas quelque petite subvention à consacrer, par exemple, à un projet routier. À l’époque, c’était le représentant de l’État dans le département qui avait la mainmise sur les finances.
La décentralisation est donc née de cette irritation ressentie par François Mitterrand. Une fois élu Président de la République, il en fit l’une de ses priorités politiques, et il choisit de confier sa mise en œuvre immédiate à notre ami Pierre Mauroy et à Gaston Defferre. Et avec quel succès, puisque l’on sait combien cette réforme fut appréciée par tous les élus, de droite comme de gauche.
Auparavant, les élus locaux voyaient leur pouvoir rogné et étaient traités comme des enfants, pour reprendre l’image utilisée par François Mitterrand, puisqu’ils votaient le budget sans pouvoir en disposer. Lui-même voulait que les élus deviennent des « adultes ».
Votre projet de loi, par un chemin détourné, va déboucher sur une nouvelle infantilisation, en dépossédant les conseils généraux de tout pouvoir et de toute autonomie. La création du conseiller territorial en est la mesure emblématique, qui porte en germe tout le danger de la réforme, c’est-à-dire le retour, déjà largement dénoncé, à une centralisation.
Les nouveaux élus siégeront dans deux assemblées dont les compétences, bien qu’on les ignore, seront sans nul doute différentes ; elles risquent même d’être appliquées différemment selon les territoires ! Cela n’a absolument rien à voir, madame Des Esgaulx, avec les conseillers municipaux et intercommunaux, qui se préoccupent des mêmes questions et font partie de ce que l’on appelle le bloc communal. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.)
Le conseiller territorial, c’est un élu pour deux assemblées. Autant dire des assemblées sans élu ! Et je ne parle même pas du problème constitutionnel que cela pose et qu’a rappelé Jean-Marc Todeschini.
Des conseillers territoriaux appelés à prendre en charge des secteurs différents devront être polyvalents pour traiter aussi bien de l’action sociale, de la formation, de la scolarité, des lycées, des collèges, du logement étudiant, et que sais-je encore. Et tout cela sans compter le temps perdu à effectuer de nombreux déplacements !
À cet égard, on peut redouter deux évolutions : soit une « cantonalisation » des régions, dont les interventions seraient réduites à de petits périmètres ; soit, plus vraisemblablement, une régionalisation des départements, qui, dans l’un et l’autre des cas, seront perdants.
Comment ces élus pourraient-ils être efficaces, si tant est que cet adjectif puisse s’appliquer à des personnes placées ainsi sous tutelle ? Les conseillers territoriaux seront chargés de compétences régionales et départementales affichées, mais, dans les faits, ils ne pourront pas les exercer puisque leur autonomie politique et financière sera considérablement réduite.
Le budget, en particulier dans le département, que je connais mieux que la région, sera dicté et imposé par l’État, non seulement sur le plan social, notamment avec l’extension de l’APA et du RMI, mais également sur celui de l’entretien des collèges et des routes.
Quelle place restera-t-il au département pour prendre ses propres initiatives, pour marquer sa volonté et ses choix politiques, pour valoriser son territoire, en dehors des charges qui lui seront imposées et dont le chiffrage sera imposé par l’État ?
Un département géré de cette manière peut l’être par un fonctionnaire. Dès lors qu’il n’y aura plus d’élus spécifiquement départementaux, on pourra supprimer le président !
M. Patrice Gélard. Le temps de parole est écoulé, monsieur le président !
M. René-Pierre Signé. On se dirige vers une suppression pure et simple de l’assemblée départementale, qui sera donc remplacée par un fonctionnaire apte à régler les problèmes puisque les décisions lui seront dictées d’en haut !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. C’est l’Apocalypse !
M. René-Pierre Signé. N’est-ce pas là une recentralisation ? (Murmures sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Troendle. Le temps de parole est dépassé, monsieur le président !
M. René-Pierre Signé. La création du conseiller territorial est le symbole de la destruction des grandes lois de décentralisation comme de celle sur l’intercommunalité, qui fut votée dix ans après les premières.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. René-Pierre Signé. Je m’arrête, monsieur le président.
Cette réforme marque une démarche politique archaïque, alors que les Français sont très attachés à la politique locale. Cela a été dit, elle préfigure un recul de la démocratie, qui sera, je vous l’affirme, fort mal perçu ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, sur l’article.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette réforme portant création du conseiller territorial est habile, voire diabolique. Elle détourne l’attention sur le statut des élus locaux pour anticiper une révolution, au sens étymologique du terme, institutionnelle.
Le projet de loi porte en effet en germe ce que M. Balladur qualifie d’« évaporation » progressive, mais inéluctable, des départements et, par voie de conséquence, des communes. C’est la réalisation d’un vieux rêve « rationalisateur » ayant toujours animé certains esprits au cours de notre histoire, ceux-là même qui, souvent déconnectés des réalités de nos territoires, ont toujours poussé en faveur de la fusion systématique des départements et des régions.
Il est alors aisé d’imaginer que, dans vingt ou trente ans, la République ne sera ni plus ni moins qu’une féodalité républicaine aux mains d’une puissante oligarchie, laquelle ne tardera pas à exiger et à revendiquer des pouvoirs réglementaires, voire législatifs, dans de nombreux domaines.
Certes, un tel système existe et fonctionne déjà : c’est le système fédéral. Mais pour notre pays, pour la France, il constituerait un changement brutal et total de régime, et ce pour deux raisons.
D'une part, la démocratie française prend ses racines dans ses 550 000 élus locaux plutôt que dans ses partis politiques et ses syndicats, à l’audience plus faible que dans la plupart des autres démocraties occidentales. Est-il possible de se passer de cette formidable école d’engagement républicain dans les périodes de crise ou de catastrophe naturelle, au moment où l’on a plus que jamais besoin de la démocratie de proximité et d’élus de terrain, à la ville comme à la campagne ?
D'autre part, le fédéralisme a deux visages : celui qui tisse l’unité nationale, en unissant des États indépendants, comme en Allemagne ; celui qui défait l’unité nationale, en centrifugeant les pouvoirs locaux, comme en Belgique.
C’est incontestablement la nature de la République et son évolution qui sont en jeu.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, en créant ce mandat de conseiller territorial, vous êtes en train de jouer avec le feu, de recentraliser, comme cela vient d’être dit, les pouvoirs de ce pays, de briser les lois de la décentralisation républicaine impulsée par Gaston Defferre et Pierre Mauroy, sous l’autorité de François Mitterrand, cette décentralisation qui a été un formidable arc-en-ciel dans la vie quotidienne des Françaises et des Français.
C’est un terrifiant retour en arrière de trente ans. Il est triste de penser que le Sénat, au-delà des clivages politiques tout à fait naturels, ne puisse pas rassembler, comme il l’a pourtant fait si souvent dans son histoire républicaine, une majorité pour rejeter cet article 1er portant création du conseiller territorial, un véritable monstre à deux têtes qui va affaiblir considérablement la démocratie ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir, sur l’article.
M. Rachel Mazuir. Mes chers collègues, quitte à déplaire à M. Longuet, j’aborderai le fond du problème. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Avec des nouveaux arguments ?
M. Rachel Mazuir. J’ai le sentiment d’assister à un bal des faux-cul,…
M. Bruno Sido. Oh ! Comment cela peut-il figurer au procès-verbal ? (Sourires.)
M. Rachel Mazuir. … dont les maîtres danseurs seraient aussi des avaleurs de couleuvres.
Participant, comme beaucoup d’entre vous, à de nombreuses cérémonies des vœux, j’entends des maires, de petites communes ou de villes plus importantes, s’inquiéter de la réforme territoriale.
M. Nicolas About. Vous nourrissez leurs inquiétudes !
M. Jean Bizet. C’est de la désinformation !
M. Rachel Mazuir. J’entends aussi les parlementaires de la majorité, dans mon département, défendre bien mollement – quand ils la défendent ! – cette réforme. Ceux qui s’y dévouent le font en tous les cas avec beaucoup de tiédeur.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !
M. Rachel Mazuir. Tout à l’heure, madame Des Esgaulx, vous vous êtes posée en défenseur de la réforme, mais vous avez en fait surtout critiqué nos positions et nos arguments. Je n’ai pas à proprement parler entendu de votre part une défense du projet de loi !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela viendra !
M. Rachel Mazuir. Je ne doute pas que vous repreniez la parole pour nous dire tout le bien que vous en pensez…
Chers collègues de la majorité, par cette réforme, vous imaginez gagner à terme, à moindres frais. Gagner, peut-être, mais rien n’est moins sûr. Vous-mêmes semblez d’ailleurs en douter.
M. Patrice Gélard. Mais non !
M. Rachel Mazuir. Alors, pour nous convaincre autant que pour vous convaincre de la pertinence de la réforme, vous nous administrez la méthode Coué.
M. Rachel Mazuir. Voilà, pour l’instant, ce que nous avons entendu, et nous connaissons tous, bien sûr, les limites d’une telle méthode.
Je suis de ceux qui pensent que les Français ne souhaitent pas le retour d’un État réglementant de manière autoritaire, voire discriminatoire, leur quotidien.
C’est ce que vous proposez, en asphyxiant les communes et les départements, ces deux collectivités dépendant l’une de l’autre, avant leur fusion-absorption ou leur « évaporation », pour reprendre le terme employé par l’un des vôtres.
L’État distribuera alors l’aumône,…
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. L’État verse 97 milliards d'euros, soit le budget de la Belgique !
M. Rachel Mazuir. … que les maires et les présidents de département iront quémander auprès des préfets, situation qu’ont déjà connue les plus anciens d’entre nous.
C’est un changement de République auquel vous nous conviez. À la République des citoyens, celle de la décentralisation, vous voulez substituer la « République de quelques-uns ».
Cette contre-réforme est un véritable danger pour la vie de nos territoires, pour la France des citoyens responsables et engagés que nous aimons.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, ce projet de loi est mauvais, et je continuerai de le combattre, comme je combattrai la naissance envisagée de cette sorte d’OGM que serait le conseiller territorial ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l’article.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Je tiens à mon tour à réitérer notre ferme opposition à la création des conseillers territoriaux, en lieu et place des conseillers généraux et régionaux. Elle va déstructurer profondément nos institutions locales et constituer une régression démocratique sans précédent.
En effet, selon le rapport, ce texte permettra de réduire de près de moitié le nombre des élus locaux. Une telle réforme est tout simplement une aberration, car comment voir une once de modernité dans ce nouveau potentat local ?
Monsieur le secrétaire d’État, le cumul de fonctions que vous mettez en place ne permettra pas une plus grande efficacité. Bien au contraire, cela risque de créer de la confusion et un absentéisme patent, vu les nombreuses tâches dévolues actuellement aux conseillers généraux et régionaux.
Ces deux collectivités ont d’ailleurs des compétences et par suite des missions bien différentes : le département remplit une mission de solidarité, le rôle de la région est plutôt centré sur le développement économique.
De plus, cette création ne vise aucunement à « améliorer la coordination entre les départements et les régions », comme vous le prétendez, mais constitue surtout un premier pas vers la suppression à plus ou moins long terme des départements, qui se voient d’ailleurs attaqués de toute part par ce projet de loi.
Cette création va donc pousser à la professionnalisation de la politique, ce qui est le contraire d’une avancée démocratique. Nous refusons cette mesure, car nous défendons une démocratie au plus près des citoyens, une démocratie qui ait les moyens de répondre aux besoins de plus en plus importants suscités par votre politique de remise en cause systématique des services publics.
En plus de conduire à la fin du pluralisme politique et de la parité compte tenu du mode de scrutin que vous envisagez, messieurs les ministres, cette réforme accomplit un recul démocratique et une reprise en main de l’État sur les collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, sur l’article.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec cet article 1er, nous sommes au cœur de la réforme.
En effet, la création par cet article du conseiller territorial constitue l’objectif principal de ce texte et de toute la réforme, laquelle aura d’ailleurs pour conséquence première de mettre à mal l’ensemble de l’action publique locale : recentralisation, perte d’autonomie pour nos collectivités, ruralité méprisée, tous ces éléments ont déjà été évoqués par mes collègues.
Aussi je voudrais revenir plus précisément sur ce nouvel élu.
Qui sera-t-il ? Je ne risque pas beaucoup de me tromper en affirmant qu’il sera le plus souvent un homme.
Jusqu’à présent, monsieur le secrétaire d’État, vous avez cherché à tout prix à éviter le sujet : soit vous n’avez pas répondu aux questions des parlementaires ; soit vous avez répondu à côté ; soit vous avez tout simplement nié la vérité, sans avancer d’argument probant.
Il faut pourtant se rendre à l’évidence : votre projet est une atteinte au principe de parité, une véritable régression par rapport à l’objectif d’égalité entre les hommes et les femmes. Les délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes des deux assemblées s’en sont émues. Quand Mme Michèle André vous a questionné sur ce point, monsieur Marleix, vous nous avez donné lecture d’une fiche sur un tout autre sujet. Cela montre bien le peu d’intérêt que vous portez à la parité.
D’ailleurs, dans un communiqué de presse du mois de décembre, vous niez ce recul de la parité, sans pour autant apporter des chiffres probants. L’effet du mode de scrutin sur la représentation des femmes sera pourtant quasi automatique. Puisqu’il s’agira d’un scrutin uninominal, aucun moyen contraignant ne permettra d’assurer l’égalité de représentation. Nous le savons bien : seul le scrutin de liste permet de faire progresser la parité, comme le montre la proportion de femmes existant dans les assemblées régionales, qui s’élève à 47 %. Pour mémoire, je rappelle qu’elles ne représentent que 12,3 % des élus dans les conseils généraux. Je n’ose évoquer le classement de notre pays, qui figure dans les bons derniers concernant la place des femmes en politique, et qui ne remontera d’aucune place grâce à votre réforme.
Les projections faites sur la base des élections cantonales de 2008 permettent d’espérer au mieux 20 % de femmes parmi les futurs conseillers territoriaux. Avant de nier ces chiffres, monsieur Marleix, vous affirmiez lors d’une audition au Sénat que cet objectif de 20 % pouvait apparaître comme satisfaisant.
D’ailleurs, cerise sur le gâteau, le conseiller territorial aura droit à une suppléante pour l’aider dans sa tâche. Voilà une vraie marque de progression !
Vous nous avez répété lors de cette audition que les femmes n’avaient pas à se plaindre car elles seraient mieux représentées dans les instances communales, puisque le scrutin de liste aurait cours dans toutes les communes de plus de 500 habitants.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour votre ouverture d’esprit quant à la place des femmes. Vous inventez la répartition des tâches en politique : les femmes pour la proximité, les hommes pour les enjeux stratégiques. Quelle belle reconnaissance pour toutes ces femmes qui s’engagent au quotidien, qui font preuve de compétence, et qui sont reconnues dans l’exercice de leur mandat électif !
Alors que la Constitution prévoit que la loi favorise l’égalité d’accès des hommes et des femmes aux mandats électifs, vous organisez au travers de cette loi la régression. J’y vois un motif puissant d’inconstitutionnalité ; j’y vois aussi un mépris certain pour la parité. Et c’est pour toutes ces raisons que je voterai contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cela fait près de trois heures que les orateurs successifs nous livrent une vision apocalyptique du conseiller territorial, de l’organisation des conseils généraux et des conseils régionaux.
Je me suis moi-même posé certaines des questions qui ont été soulevées par les orateurs, puisque le Gouvernement m’avait demandé il y a un peu plus de six mois de réfléchir avec Dominique Perben à l’organisation territoriale.
Nous nous sommes pas mal déplacés en France et nous avons rencontré un certain nombre de conseillers généraux.
J’ai rencontré notamment un président de conseil général qui m’a fait part de la position adoptée par la majorité de son conseil. Ce président m’indiquait ne pas avoir rencontré d’opposition quant au fait que les élus départementaux, choisis par les électeurs dans le cadre de circonscriptions cantonales élargies, puissent également devenir sur la base d’un même scrutin des élus régionaux.
Il estimait d’ailleurs que le mode de scrutin devait être complètement rénové, en évoluant par exemple vers un scrutin mixte, sur la base de nouveaux périmètres électoraux plus peuplés et plus représentatifs, afin d’assurer la représentation égalitaire des territoires et la représentation paritaire des citoyens.
M. Bruno Sido. Qui est-ce ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. J’ai été séduit par cette analyse, qui, je l’avoue, a largement inspiré les propositions que l’on m’a demandé de faire par la suite.
M. Bruno Sido. Dites donc de qui il s’agit !