M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, je ne vous étonnerai pas en indiquant d’emblée que je ne suis pas en parfaite harmonie avec l’exposé que vous venez de faire ; …
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Patrice Gélard, rapporteur. … j’ai même des divergences de vues importantes.
Toutefois, je tiens à vous féliciter sur un point au moins, celui de ne pas avoir engagé la procédure accélérée. Au cours de la navette parlementaire avec l'Assemblée nationale, nous allons ainsi pouvoir améliorer considérablement ce texte, qui était, au départ, inacceptable.
Je commencerai mon intervention en évoquant votre interprétation de la directive « services », avec laquelle je ne suis pas du tout d’accord.
En effet, la justice n’est pas un service comme les autres. Même si cette directive rendait inapplicables certaines dispositions relatives aux avoué, nous aurions cependant pu maintenir cette profession, tout en respectant le droit communautaire, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays ou tout simplement en Alsace-Moselle, où des avocats sont spécialisés auprès des cours d’appel.
M. Robert Badinter. Absolument !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais on a opté pour une autre voie, qui devenait de plus en plus incontournable au fur et à mesure que l’on a pris connaissance du rapport Attali,…
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. … ou des conclusions de la commission Darrois, selon lesquels les dispositions envisagées n’étaient plus discutables dans leurs principes.
En d’autres termes, cet état de fait était acquis. Dès lors nous fut tout naturellement présenté, le 3 juin 2009, ce projet de loi visant à supprimer, dans la continuité de ce qui a été fait en 1971, les études d’avoués près les cours d’appel, alors qu’il n’y a, selon moi, aucune continuité entre 1971 et 2009. (Mme Josiane Mathon-Poinat s’exclame.)
Mme la ministre d’État, vous nous dites qu’après la réforme la procédure d’appel sera plus simple et moins coûteuse pour le justiciable. Permettez-moi d’exprimer quelques inquiétudes à ce sujet.
Pour ma part, je ne pense pas qu’elle sera moins coûteuse. À l’heure actuelle, on estime que le recours à un avoué coûte en moyenne 981 euros. Avec cette nouvelle procédure, cela coûtera exactement la même chose,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Peut-être plus !
M. Patrice Gélard, rapporteur. … si ce n’est plus !
En effet, l’avocat se fera faire payer à double titre : une fois pour sa plaidoirie et une autre fois pour le recours en appel,…
M. Robert Badinter. C’est normal !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sera plus cher !
M. Patrice Gélard, rapporteur. … sans compter la fameuse taxe de 150 euros. Dès lors, il est difficile de soutenir que ce sera moins coûteux pour le justiciable, d’autant que les avocats s’efforceront de compenser, dans une certaine mesure, le travail qu’ils réaliseront au titre de l’aide juridictionnelle, laquelle ne couvre pas la totalité de leurs frais, en augmentant leurs honoraires auprès des autres clients.
Par ailleurs, je ne suis pas du tout convaincu que cette procédure sera beaucoup plus simple, surtout avec la dématérialisation des procédures, annoncée d’ici à 2011.
Or je ne suis pas du tout sûr que les 50 000 avocats soient, à l’heure actuelle, en mesure de dématérialiser leurs actes de procédure devant la cour d’appel. (M. Robert Badinter opine.) Je plains les bâtonniers, qui vont subir une série de recours de la part des justiciables. En effet, aux termes du décret du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d’appel, si leur avocat n’est pas en mesure de respecter les règles de dématérialisation, un certain nombre de justiciables seront forclos ou ne pourront plus se défendre en appel. Les logiciels ne sont pas prêts et la plupart des avocats ne sont pas équipés ; il y a donc un risque de dysfonctionnement.
L’étude d’impact n’a pas suffisamment évalué les futurs dysfonctionnements des cours d’appel.
M. Robert Badinter. Très juste !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet élément, qui m’a interpellé, me conduit à ne pas être tout à fait convaincu de la valeur de ce qui nous est dit dans l’étude d’impact.
Certes, d’autres solutions étaient sans doute envisageables, mais je les élimine, car nous avons décidé de suivre le Gouvernement dans l’orientation qui est la sienne,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. … c’est-à-dire de supprimer à terme la profession d’avoué en la fusionnant avec celle d’avocat.
Permettez-moi quelques remarques.
Bien que ce soit normal, car on ne pouvait pas faire autrement, plusieurs éléments relatifs à ce texte figurent dans le projet de loi de finances rectificative pour 2009 examiné antérieurement. Tel est le cas de la nouvelle taxe qui doit assurer le financement des indemnisations.
Il est également prévu dans la loi de finances pour 2010 la création de 380 emplois dans les services judiciaires, alors que le présent texte n’est pas encore adopté.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est comme cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est comme pour les collectivités territoriales !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela pose un problème pour les différents personnels. En effet, il n’est pas facile d’envisager l’avenir quand on sait que le projet de réforme concernant la profession d’avoué n’est pas adopté et que, en revanche, le projet de loi de finances et le projet de loi de finances rectificative prévoient la mise en place dans les plus brefs délais des éléments dont je parlais.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Parlement précède le vote de la loi !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Madame la ministre d’État, je tiens à vous indiquer en outre que je ne suis pas satisfait des propos de l’un des membres de votre cabinet qui s’est permis de dire à ses interlocuteurs, c’est-à-dire les avoués ou les personnels d’avoués, que le travail de la commission des lois du Sénat n’était pas acceptable et qu’il fallait, par conséquent, revoir tout cela à partir d’autres éléments. Ce n’est pas admissible ! (Applaudissements sur la plupart des travées.) Le législateur, c’est le Parlement ; ce ne sont pas les membres des cabinets ministériels !
Mme Catherine Procaccia. Absolument !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je ne peux pas accepter ce genre de propos. (Mêmes mouvements.)
J’en ai terminé avec les très grosses critiques, madame la ministre d’État. Je vais sans doute redevenir un peu plus raisonnable…
J’avais prévu, lors de l’élaboration du texte de la commission, un amendement que j’ai finalement décidé de retirer pour ne pas susciter des réactions trop vives des avocats. Ce projet de loi comporte pourtant une anomalie, à laquelle il faudra remédier d’ici à 2014.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En effet, on va supprimer la postulation devant les cours d’appel mais, en revanche, on la maintient devant les tribunaux de grande instance.
Ainsi, un avocat inscrit au barreau du Havre, ville que je connais bien puisque j’en émane, ne pourra pas postuler devant le tribunal de grande instance de Rouen sans recourir aux services de l’un de ses confrères inscrit au barreau de Rouen, alors que, lui aussi, est avocat de la cour d’appel de Rouen.
J’ai retiré l’amendement qui visait à supprimer le monopole territorial de la postulation devant les tribunaux d’instance situés dans le ressort d’une même cour d’appel car j’ai tenu compte de l’argument selon lequel cela allait nuire aux petits barreaux. Peut-être une période transitoire est-elle nécessaire pour préparer les esprits ? Il n’empêche qu’on ne peut pas accepter que la postulation soit supprimée devant les cours d’appel et maintenue devant les tribunaux de grande instance.
J’en viens à l’application de la réforme.
Des comparaisons ont été faites avec la suppression du monopole des commissaires-priseurs ou des courtiers maritimes. Dans les deux cas, ces comparaisons sont mauvaises.
D’abord, les commissaires-priseurs sont devenus les commissaires-priseurs judiciaires, une catégorie nouvelle et ont pu poursuivre, dans un cadre concurrentiel, leur activité de ventes volontaires. De plus, ils ont été indemnisés non pas à 100 %, mais à 50 % de la valeur de l'office, la somme correspondante pouvant être diminuée ou augmentée de 20 % par la commission chargée d’examiner les demandes d’indemnisation. En ce qui concerne leurs salariés, ils ont eu droit à un mois de salaire par année de service.
Par conséquent, la différence avec les avoués est normale, puisque ces derniers sont supprimés. Les commissaires-priseurs, même s’ils sont soumis à la concurrence, subsistent encore. La situation n’est pas du tout la même.
Quant aux courtiers maritimes, si leur monopole a été supprimé, ils existent toujours et ont eu droit à 65 % d’indemnisation.
Il n’y a pas une logique. Certes, on peut ressortir la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont la décision est fondée sur l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, relatif à l’égalité devant les charges publiques, et non sur l’article XVII relatif au droit de propriété. Il substitue au droit patrimonial, défendu par le Conseil d’État, la rupture du principe d’égalité. Mais, s’agissant des avoués, je suis convaincu que l’application de l’article XIII, donc le principe d’égalité, ne tient pas. En effet, il s’agit d’une propriété, d’un bien patrimonial qui sera d’ailleurs conforté par les conventions européennes.
N’oublions pas que n’importe qui peut maintenant saisir le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction. À mon avis, cela obligera le Conseil constitutionnel à considérer la propriété d’une charge d’avoué comme étant un bien patrimonial et que sa suppression justifie une indemnisation sur le fondement du droit de propriété et non parce qu’elle constitue une rupture du principe d’égalité.
J’en viens maintenant aux problèmes de fond.
S’agissant d’abord de la durée d’application de la réforme, ce projet de loi n’est pas soumis à la procédure accélérée. Compte tenu des exigences que nous avons, les examens en deuxième lecture, voire en troisième lecture, ne se feront pas dans un avenir très proche. Le Sénat va en effet interrompre ses travaux pendant trois semaines au mois de mars et deux semaines en avril. Si nous voulons que le texte soit adopté au mois de juin, il faudra faire vite, eu égard au calendrier extrêmement serré auquel sont soumis les parlementaires à l’heure actuelle.
Par conséquent, la loi ne sera pas applicable au 1er janvier 2010, ce qui était prévu initialement, et je ne suis pas sûr qu’elle le soit au 1er janvier 2011, ce qui serait un peu dommage. Faute d’une adoption au mois de juin, cela dépendra de la navette, il faudra sans doute décaler la date. Je reste bien entendu ouvert à toute discussion pour améliorer le texte.
Le désaccord qui subsiste entre vous et nous porte essentiellement sur le problème de l’indemnisation, et d’abord celle des personnels, point qui est important.
Nous avons déposé un amendement visant à compléter l’intitulé du chapitre II : « Dispositions relatives à l’indemnisation des avoués près les cours d’appel » par les mots : « et de leurs salariés », afin de bien montrer que les personnels sont au cœur de notre réflexion.
À l’heure actuelle, ils sont au nombre de 1 650. Entre 700 et 800 d’entre eux sont pour l’instant sur le carreau. À ce sujet, Mme Des Esgaulx a déposé un amendement, adopté par la commission, visant à prévoir la même règle que pour les salariés des commissaires-priseurs, à savoir un mois de salaire par année d’ancienneté. Madame la ministre d’État, vous avez déposé un amendement tendant à limiter à trente années la possibilité d’appliquer cette règle. Pourquoi pas ? Ce sera au Sénat d’en décider.
Que deviennent ces 1 650 salariés ? Les plus diplômés d’entre eux, au nombre de 170, ont les titres suffisants pour devenir avocats, huissiers, notaires, et peuvent donc entrer dans les professions juridiques. Parmi les autres, 380 seront recrutés par le ministère de la justice pour renforcer les tribunaux, notamment les cours d’appel ; environ 350 resteront auprès de leurs anciens patrons et deviendront ainsi secrétaires de leur avoué devenu avocat. Mais entre 700 et 800 d’entre eux n’ont, pour l’instant, aucun débouché réel.
Il convient tout d’abord de les indemniser correctement selon la règle un mois, un an, c’est-à-dire qu’un an de travail dans une étude d’avoués est égal à un mois de salaire d’indemnisation. Nous l’avons votée ; attendons de voir comment les choses évolueront.
Il convient ensuite d’accorder une indemnité de reconversion. En effet, la rémunération que recevront ces personnels dans leur nouveau métier sera nettement inférieure à celle qu’ils ont à l’heure actuelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un plan social, quoi !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Certes, ils ne sont que 1 650, mais ce n’est pas une raison pour ne pas respecter les règles essentielles que nous avons toujours adoptées et qui consistent véritablement, dans ce genre de situation, à indemniser intégralement les préjudices causés.
M. Jackie Pierre. Très bien !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Sur ce point, l’Assemblée nationale a pris quelques initiatives positives. Elle a notamment reconnu la spécialisation des avocats en procédure d’appel. Nous avons donné tout à l’heure un avis favorable à un amendement prévoyant de rendre automatique cette spécialisation initialement soumise à l’appréciation des barreaux. Les anciens avoués seront automatiquement avocats spécialistes en procédure d’appel. Il appartiendra aux barreaux de déterminer comment d’autres avocats pourront ultérieurement le devenir.
L’Assemblée nationale a également réglé les affiliations aux caisses de retraite, ce qui, à l’origine, n’était pas prévu dans le texte. Grâce à vous, madame la ministre d’État, l’indemnisation des avoués sera de 100 %, mais de quoi ? Là est la question ! De leur charge, mais pas des préjudices qu’ils encourent. Plusieurs amendements ont été déposés pour énoncer tous les préjudices susceptibles d’être encourus par un ancien avoué. Si on les additionne, cela fait beaucoup, car ces préjudices doivent être indemnisés.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois a décidé que le juge de l’expropriation agira comme il le fait normalement quand quelqu’un est privé de son droit de propriété, c’est-à-dire qu’il décidera d’indemniser l’intégralité des préjudices accessoires et pas seulement les 100 %... de quoi ?
En conclusion, nous avons envisagé pour les avoués : une indemnité fixée par le juge de l’expropriation, l’exonération fiscale des plus-values – pourquoi les exonérer pour les retraités et pas pour les autres ? Quelque chose n’allait pas ! –, la définition de conditions de versement des indemnités plus protectrices de leurs droits, l’aménagement de la période transitoire – je reviendrai sur cette question – et la réforme des finances des caisses de retraite. Pour les salariés, nous avons prévu : l’indemnisation selon la règle un an, un mois ; l’indemnité de reconversion, qui nous paraît indispensable ; le versement direct par le fonds d’indemnisation ; l’exonération des charges sociales des professions juridiques qui embaucheraient un salarié d’avoué.
Cela fait peut-être beaucoup, mais nous n’en sommes qu’au début de la discussion et, surtout, nous ne pouvions pas admettre, dans le texte initial, le caractère partiel de l’indemnisation, tant des personnels que des avoués.
Madame la ministre d’État, vous aviez fait beaucoup de progrès dans le texte défendu à l’Assemblée nationale, mais ils ne couvraient pas l’intégralité de la situation. Il était donc nécessaire d’aller plus loin et c’est ce que je vous proposerai, au nom de la commission des lois du Sénat, en particulier avec certains des amendements qui ont été examinés lors de la réunion de la commission des lois qui s’est tenue en début d’après-midi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, cette réforme de la représentation devant les cours d’appel nous est présentée comme une question technique concernant un cas bien particulier et appelant des réponses pratiques et circonstanciées.
Or les lacunes et les incohérences qui ont été pointées du doigt lors des débats à l’Assemblée nationale et au sein de la commission des lois du Sénat, comme l’a rappelé notre rapporteur, montrent qu’en réalité le projet de loi que nous examinons n’a rien d’objectif. Il est avant tout guidé par des intérêts politiques qui n’ont rien à voir avec ceux des avoués, de leurs salariés et du justiciable.
En effet, si l’on juge ce texte du simple point de vue de la méthode, nous sommes obligés de constater l’absence de rationalité et de pragmatisme. Différents éléments laissent assurément penser qu’il a été rédigé en urgence et dans la plus parfaite méconnaissance de la profession visée.
Le courrier envoyé par le cabinet du garde des sceaux est, à ce titre, tout à fait éloquent. Dès la première ligne, il y est écrit que cette réforme a pour objet de rendre plus simple et moins chère notre justice devant les cours d’appel. Or cette affirmation est fausse et totalement récusable.
Si, dorénavant, le justiciable ne devra pas avoir recours à deux professionnels, en revanche, il devra payer une taxe d’environ 300 euros à laquelle s’ajoutera une somme forfaitaire exigée au titre de la simple postulation devant les cours et estimée par le Conseil national des barreaux à environ 800 euros, avec, en plus, une majoration de 20 % pour chaque événement de la procédure nécessitant des diligences supplémentaires.
En somme, faire appel ne sera ni plus simple, ni moins coûteux. Pis, le tarif des avoués, qui autrefois était fixé par le gouvernement, se retrouvera totalement dérégulé. Ce seront donc les justiciables les plus fragiles économiquement qui en pâtiront le plus.
Plus choquant encore, le même courrier affirme avec une certaine fierté que « Madame la garde des sceaux a obtenu dans le budget 380 postes dans les services judicaires auxquels pourront postuler les salariés d’avoués ».
Madame le ministre d’État, 380 postes, dont 19 postes de catégorie A recrutés par voie contractuelle, 139 de catégorie B et 222 de catégorie C, soit plus des deux tiers des postes d’emplois sous-qualifiés et faiblement rémunérés ; 380 postes pour 1 852 salariés, soit un poste pour sept personnes. Cela se passe de commentaires...
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il faut revoir vos tables de multiplication et de division !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Selon la CREPA, la Caisse de retraite du personnel des avocats et des avoués près les cours d’appel, sur 1 852 salariés, 1 687 seraient des personnels administratifs, comprenant 90 % de femmes, souvent seules et ayant des enfants à charge. Ils effectuent des tâches très spécifiques aux procédures d’appel en matière civile ; leur âge moyen est de quarante-deux ans, et 24 % d’entre eux ont plus de cinquante ans.
Or, pour cette catégorie salariale, à la fois moins diplômée et plus spécialisée dans des tâches juridiques propres à la procédure d’appel, la reconversion professionnelle imposée par le Gouvernement sera extrêmement difficile. Au regard de la sociologie de ce salariat bien particulier, d’un certain âge, ayant souvent acquis une longue expérience au sein d’un même cabinet, la suppression de ces postes aurait dû être compensée par un solide programme de reconversion professionnelle. Or il n’en est rien ! Le Gouvernement vient de décider d’octroyer des exonérations fiscales, pendant deux ans, aux cabinets d’avocats qui recruteraient d’anciens salariés des études d’avoués. Au mieux, cela permettra à quelques cabinets de recruter des personnels à moindres frais pour quelques mois, car il ne faut pas escompter que l’ensemble des employés puisse se reconvertir dans les cabinets d’avocats.
D’une part, la saturation du marché a été aggravée par la suppression des tribunaux décidée dans le cadre de la carte judiciaire. D’autre part, la composition salariale d’une étude d’avoués diffère de celle d’un cabinet d’avocats. On compte en effet 4,95 salariés par avoué, contre 0,8 salarié par avocat.
Force est de constater que le Gouvernement a une vision sélective des compensations à délivrer en échange de sa réforme. Le devenir des avoués a été examiné avec une plus grande attention : le projet de loi s’attache à garantir leur reconversion professionnelle, puisqu’ils pourront exercer, notamment, les professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de notaire et de commissaire-priseur judiciaire. La privation de leur droit de présentation sera indemnisée. Cette compensation, qui s’élevait à 66 % de la valeur de leur office dans le projet de loi initial, a été portée à 92 % par un premier amendement du Gouvernement, puis à hauteur de 100 % par un second amendement. Mais pour les jeunes avoués, fortement endettés, le compte n’y est pas ! Ces compensations ne seront sans doute pas intégrales et ne suffiront pas au regard du séisme que va créer cette réforme.
Mes chers collègues, vous comprendrez que nous regrettions également que leurs employés n’aient pas été traités avec la même considération. En effet, malgré les amendements adoptés en commission et visant à une meilleure indemnisation, les dispositifs permettant une réelle réinsertion professionnelle de ces salariés – et non un vague « plan de reclassement » qui les mènera de stages en emplois précaires – restent cruellement absents.
Ce texte ne résout donc rien. Au contraire, il ne fait qu’empirer la situation des justiciables et des personnels de justice. Alors pourquoi imposer une telle réforme ? Le Gouvernement se justifie en s’abritant derrière la directive relative aux services dans le marché intérieur du 12 décembre 2006. Pourtant, différents spécialistes du droit communautaire, dont certains issus de votre majorité, madame la ministre d’État, ont démontré que cette directive excluait les avoués de son champ d’application. Le Gouvernement fait preuve, une fois de plus, d’une conception purement utilitariste de l’Europe. Il est en effet bien pratique de faire endosser à cette dernière la responsabilité d’une réforme impopulaire.
Si l’impératif européen n’est pas en cause, quelle est donc la nécessité de cette réforme ? La suppression des avoués est en réalité une vieille revendication des gros cabinets d’avocats d’affaires parisiens, qui y voient un marché prometteur. Sur le reste du territoire, cette réforme ne fera que rendre encore plus complexe et fastidieuse l’action des tribunaux et le travail autrefois mené par les avoués se reportera sur les services des greffes, déjà totalement engorgés.
Les causes de cette réforme ne sont donc pas celles qui sont affichées. Le projet de loi que nous examinons s’inscrit en réalité dans une politique plus large qui vise à insuffler le « management » dans le service public de la justice, comme le préconisait déjà en 2004 le très libéral Institut Montaigne. Or, sous couvert de « modernisation », ce sont les grands principes et l’architecture d’une justice libre et indépendante qui sont progressivement remis en cause.
Ainsi, en quelques années, toutes les fonctions de la justice ont été touchées : les juges de l’application des peines sont désormais stigmatisés à l’occasion du moindre fait divers impliquant une personne déjà condamnée, alors que des lois de circonstances, dépourvues des moyens nécessaires à leur application, s’amoncellent ; les juges des enfants font l’objet d’une suspicion permanente, alors que leurs possibilités d’intervention en matière d’assistance éducative se réduisent et que les moyens budgétaires en faveur de l’accompagnement des mineurs délinquants sont en baisse ; les juges d’instance, confrontés à une réforme non préparée de la carte judiciaire et à une réforme non accompagnée des procédures de tutelle, ne pourront bientôt plus être ces juges du quotidien, proches du justiciable ; les magistrats du parquet, de plus en plus encadrés et contrôlés dans leur activité quotidienne par une hiérarchie dont les nominations sont chaque jour davantage partisanes, s’inquiètent légitimement de leur avenir ; les juges civils, comme les juges pénaux, soumis à la pression des statistiques, sont invités à gérer des flux, au détriment d’une gestion personnalisée et humaine des dossiers. Enfin, un énième projet de réforme, condamné par la majorité des Français et par le Conseil de l’Europe, prévoit la mort du juge d’instruction, ce qui permettra au pouvoir politique de contrôler encore plus les affaires sensibles ou gênantes pour l’exécutif.
Ajoutons que le budget de la justice judiciaire, déjà l’un des plus faibles d’Europe, stagne. Contrairement aux affirmations de la Chancellerie, les effectifs des magistrats et des fonctionnaires des greffes sont réduits au point d’hypothéquer le fonctionnement normal de l’institution.
Dans ce contexte, la réforme prévue par le présent texte prend tout son sens. Plutôt que d’augmenter les moyens de la justice, le Gouvernement cherche à réduire les droits du justiciable. La nouvelle procédure d’appel qui se profile accentuera l’évolution engagée pour mettre en place une justice à deux vitesses. L’accès au juge d’appel dépendra désormais de la situation de fortune du justiciable, alors que la tarification de l’avoué permettait auparavant un juste et égal accès de tous aux procès devant les cours d’appel. Les amendements que nous avions déposés pour prévoir une plus juste compensation et pour augmenter l’aide juridictionnelle n’ont pas résisté au couperet de l’article 40 de la Constitution, raison supplémentaire pour refuser cette réforme entachée d’inconstitutionnalité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Virginie Klès et MM. Jean-Pierre Godefroy et Jacques Mézard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il faut se méfier des idées qui paraissent tellement simples et évidentes qu’on se demande pourquoi on ne les a pas eues plus tôt : ce sont souvent de fausses bonnes idées ! C’est ce que nous avons été nombreux à vérifier – une fois de plus ! – lorsque nous nous sommes penchés sur les conditions de mise en œuvre de la proposition de suppression de la profession d’avoué devant les cours d’appel qui figurait dans le rapport Attali.
La proposition n° 213 de ce rapport semblait en effet séduisante pour quiconque – dont moi-même, je l’avoue ! – ne savait pas ce qu’étaient réellement le rôle et la fonction d’un avoué. Pourquoi diable les avocats ne pouvaient-ils pas se charger eux-mêmes de l’ensemble de la procédure d’appel ?
Cette profession semblait par ailleurs d’autant plus facile à supprimer qu’elle ne touche que peu de monde, puisque les avoués ne représentent même pas 1 % du nombre des avocats de notre pays.
Et pourtant, à y regarder de plus près, le remplacement des avoués par les avocats pour postuler devant les cours d’appel n’est pas aussi simple à mettre en œuvre qu’il y paraît de prime abord. Je m’en suis aperçu en rencontrant des représentants de cette profession, mais aussi en écoutant, peu de temps après la publication du rapport de M. Attali, les chefs des cours d’appel et les avocats de ma région s’élever à l’époque contre cette idée.
Car, sur le fond, les avoués ont-ils démérité et leurs études sont-elles dans une situation si mauvaise que cela justifie la suppression de cette profession et le licenciement économique des salariés ? À l’évidence, non !
Le monopole des avoués pour postuler devant les cours d’appel alourdit-il et renchérit-il à ce point la procédure que l’on doive absolument supprimer cet échelon ? Même M. le rapporteur, qui a examiné dans le détail toutes ces questions et produit un excellent rapport, n’en est pas convaincu.
Disons-le clairement : les avoués sont tout simplement – comme d’autres professions, d’autres échelons ou certains mandats, je pense notamment aux conseillers généraux – emportés dans la vague de réformes et de simplification tous azimuts voulue par le Président de la République.
On peut toutefois admettre que la simplification des procédures d’appel relève de l’intérêt public. Elle avait déjà été envisagée en 1971 et 1991, époque à laquelle les premiers présidents des cours d’appel avaient cependant considéré que l’intervention des avoués constituait un gage de sécurité pour la procédure civile. Il n’en reste pas moins que les questions qui se posent quant à la suppression de la fonction d’avoué ne sont pas aussi simples à résoudre qu’on aurait pu l’imaginer au départ.
Premièrement, les avocats seront-ils en mesure d’assurer la postulation devant la cour d’appel dès le 1er janvier 2011 ? Alors que les 440 avoués disposent d’un système de communication électronique avec les cours d’appel qui fonctionne parfaitement après quatre années de préparation, comment peut-on imaginer que les 51 000 avocats de France soient tous en mesure, d’ici à un an, d’introduire l’instance devant les juridictions d’appel par voie électronique, sous peine d’irrecevabilité, alors que cette application informatique en est au simple stade de l’expérimentation ?
Deuxièmement, la disparition de l’intervention de l’avoué va-t-elle réduire le coût de la procédure d’appel ? Pas si sûr ! En effet, il serait surprenant que les avocats remplissent les missions qu’exercent jusqu’à présent les avoués sans revoir à la hausse leurs honoraires, auxquels s’ajoutera le droit de postulation de 330 euros. Rappelons que le coût moyen d’intervention de l’avoué est de l’ordre de 900 euros et que ce prix est réglementé.
Troisièmement, les avoués, qui perdront leur métier, s’installeront-ils tous comme avocats, comme se plaît à le penser le Gouvernement ? A priori, non !
Même si, comme vous l’indiquez, madame le garde des sceaux, la fusion est d’autant plus facile à mettre en place que les avoués bénéficient des mêmes diplômes et des mêmes qualifications que les avocats, un avoué n’est pas et n’a jamais été, je tiens à le rappeler, un avocat qui n’aurait pas réussi !