M. Richard Yung. Très juste !
M. Bernard Frimat. Nous ne l’avons pas fait, dans la mesure où cela aurait eu pour résultat d’étendre un pouvoir alors que nous raisonnions à droit constant.
Enfin, je ne saurais clore mon intervention sans aborder les questions de nature procédurale soulevées à l’Assemblée nationale.
Ont été formulées des interrogations injustifiées, à nos yeux, dans la mesure où l’habilitation du constituant limitait le champ d’intervention du législateur organique et ordinaire à la stricte définition des emplois ou fonctions relevant de la procédure du dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution et à la définition des commissions compétentes pour donner un avis.
En insérant dans le projet de loi organique un article 3, adopté à l’unanimité, visant à interdire le principe des délégations lorsque les membres de la commission intéressée auront à se prononcer dans le cadre de la procédure d’avis de l’article 13 de la Constitution, et en insérant, dans le projet de loi ordinaire, un article 3 visant à ce que le scrutin soit organisé de façon que le dépouillement soit simultané, l’Assemblée nationale, nous semble-t-il, n’a pas respecté l’habilitation constitutionnelle de l’article 13.
L’argument selon lequel ces nominations relèvent non pas d’un choix politique, mais du choix personnel de chacun des parlementaires, avancé pour justifier le refus de délégation, ne nous paraît pas recevable. Les parlementaires n’ont pas seulement à se prononcer sur la compétence du candidat pressenti, mais également sur la pertinence de son projet. Ce dernier répond nécessairement à des considérations politiques.
La question de la simultanéité des votes est à nos yeux secondaire. Comment imaginer en effet que, en se prononçant à des moments distincts, les commissions compétentes en viennent à fausser le résultat de l’avis ? Jusqu’à présent, en pareil cas, personne n’a soulevé la question de l’absence de simultanéité comme portant atteinte à l’expression des commissaires intéressés ou détériorant la sincérité du vote.
Enfin, M. le rapporteur a rappelé avec justesse le respect du principe d’autonomie des assemblées, considérant que ni la lettre de la Constitution ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu’une procédure strictement identique doive être retenue dans les deux assemblées.
Il est surprenant, en revanche, qu’il n’ait pas étendu son analyse, pour des raisons de cohérence, à l’article 3 du projet de loi ordinaire ; mais nous y reviendrons tout à l’heure puisque le groupe socialiste, souhaitant parfaire une œuvre inachevée, a déposé un amendement de suppression de l’article 3 du projet de loi ordinaire.
L’expérience démontre qu’il n’est pas utile d’avoir raison trop tôt, surtout lorsque l’on n’est pas écouté, et qu’il est vain de le rappeler lorsque l’essentiel du débat est derrière nous. Toutefois, il convient de souligner que toutes ces questions de procédure, qui ont tant préoccupé certains de nos collègues députés, ne se seraient pas posées si, en 2008, le constituant avait fait le choix d’instaurer une commission paritaire ad hoc.
Sur le projet de loi organique comme sur le projet de loi ordinaire, le groupe socialiste s’abstiendra, car la portée de la réforme est relative.
Certes, le cinquième alinéa de l’article 13 propose une avancée minimale en instituant une association du Parlement au processus de nomination. L’expression des assemblées est donc possible et, je vous le concède, mieux vaut une audition suivie d’un vote que pas d’avis du tout. Mais l’on sait que ce mécanisme est vidé de son efficience en raison du veto inatteignable, fixé à la majorité des trois cinquièmes négatifs.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Bernard Frimat. On sait aussi que, en l’absence de clarification des modes de désignation par le chef de l’État, une certaine opacité demeure.
Telles sont les raisons pour lesquelles, tout en reconnaissant la qualité du rapport de notre collègue Patrice Gélard, que je tiens à saluer, le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Fauchon. Bravo ! Bonne nouvelle ! Nous garderons le mérite de cette réforme !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’introduction en 2008 du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution permettant aux commissions permanentes du Parlement de contrôler certaines des nominations faites par le Président de la République constitue, sur le principe, un réel progrès pour notre République. Je dis bien « sur le principe », car les modalités d’application retenues par le constituant ont abouti, de droit, à tempérer une procédure qui aurait mérité un meilleur sort.
Les deux textes dont nous discutons aujourd’hui souffrent en effet du choix de la procédure que devront mettre en œuvre nos commissions permanentes. En choisissant de retenir une majorité des trois cinquièmes pour qu’un veto soit opposé, la procédure a en partie été vidée de son efficacité. Dans un pays comme le nôtre, où la marche forcée du fait majoritaire étouffe l’aspiration de beaucoup à s’écarter de la logique du bipartisme, il est difficilement concevable qu’une partie substantielle de la majorité s’affranchisse des consignes présidentielles en s’opposant à une nomination décidée par le Président de la République.
Monsieur le ministre, les talents sont, heureusement, parfois compatibles avec les affinités. Nous entendons très bien qu’il serait difficile d’aboutir à un système dans lequel l’opposition se serait vu attribuer, de fait, un pouvoir de blocage inversement proportionnel à son poids politique dont elle aurait pu abuser par simple envie d’obstruction. Mais voyez la façon dont le Sénat américain, qui doit approuver à ses deux tiers les nominations effectuées par le président, parvient toujours à trouver un modus vivendi assurant la continuité de la vie de la nation !
Par ailleurs, nous estimons que c’est à juste titre que la commission des lois a considéré que rien n’obligeait à retenir une procédure identique dans les deux assemblées, tout en maintenant un dépouillement simultané. De façon générale, il faut faire confiance aux parlementaires de tous bords, dès lors que l’intérêt général est en jeu.
À notre sens, il eût été opportun, et surtout plus démocratique, d’aller au bout de la logique qui sous-tend le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution en donnant aux commissions un droit d’approbation de la personne pressentie. Ainsi, cette personne aurait endossé ex ante toute la légitimité, toute l’autorité que lui aurait conférées la double confiance du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
En ces temps difficiles où est remis en cause tout ce qui a trait, de près ou de loin, aux institutions, il est indispensable d’affermir le caractère irréprochable de notre République. Or des exemples récents – je citerai pour mémoire la nomination à la présidence d’EDF et le conflit d’intérêt avec Veolia – ne manquent pas qui alimentent la défiance de certains de nos compatriotes à l’égard des élus de la République. Nous ne pouvons rester inactifs.
Occasion en partie manquée, la révision constitutionnelle le fut tout autant s’agissant de la répartition du droit de nomination entre le Président de la République, au titre de l’article 13 de la Constitution, et le Premier ministre, au titre de l’article 21 du même texte. Ne sachant toujours pas trancher quant à l’essence véritable de la Ve République, le constituant a maintenu cette architecture complexe, qui nourrit l’opacité. Il est ainsi significatif que le juge administratif ait mis longtemps à trouver la qualification juridique du décret signé par le Président de la République en conseil des ministres et revêtu du contreseing ministériel. Or de cette qualification dépend naturellement le régime contentieux et, par voie de conséquence, l’étendue du contrôle juridictionnel.
De plus, est tout aussi significative la difficulté rencontrée pour l’établissement de la liste exhaustive des emplois pourvus par décret. Si le présent projet de loi organique permet une première recension de certains de ces emplois, il n’en demeure pas moins que leur détail reste éparpillé entre divers textes de nature organique, législative ou simplement réglementaire. Nous regrettons ainsi que l’hypothèque de la complexité et de l’opacité qui ont régi les processus de nomination n’ait pas été levée. Nous convenons toutefois que les majorités qui se sont succédé ont parfaitement su en user et en abuser…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Néanmoins, la liste des établissements publics et des autorités administratives indépendantes figurant dans le projet de loi organique peut susciter certaines interrogations.
Aux termes du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, sont soumises à l’avis des commissions parlementaires les fonctions ayant une influence sur « la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation ». Nous nous demandons quels critères précis ont présidé à l’inclusion ou non de telle ou telle autorité dans la liste retenue. Ainsi, il a été choisi de faire figurer le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, mais, dans le même temps, ne sont mentionnées ni l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments ni l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dont les directeurs généraux sont nommés par le Président de la République.
La défense des libertés publiques, pourtant au cœur de la réforme, pourrait pâtir également de deux omissions, que nous regrettons : la Commission consultative du secret de la défense nationale et la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Certes, ces deux autorités disposent d’un mode de nomination spécifique, destiné à renforcer les garanties entourant les nominations ; mais, dans un autre registre, France Télévisions, société pourtant comprise dans l’énumération du projet de loi organique, se trouve dans le même cas de figure. Nous le regrettons d’autant plus que la commission des lois a enrichi la liste en y ajoutant les Voies navigables de France, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et la Commission de la sécurité des consommateurs. Cela illustre bien la marge de progrès considérable qui subsiste encore.
Nous saluons l’avancée à laquelle procèdent les deux projets de loi qui nous sont soumis cet après-midi en visant une trentaine de fonctions exécutives dans des organismes publics ainsi que des nominations au Conseil supérieur de la magistrature et au Conseil constitutionnel. Il est certain que nous ne devons la concevoir que comme un premier pas vers plus de progrès, vers une démocratie plus irréprochable, où le népotisme et le clientélisme seraient proscrits.
Sans nécessairement vouloir instaurer dans notre pays un spoil system à l’américaine, il est normal qu’un président élu par la majorité de nos compatriotes dispose de personnes de confiance en poste. Mais il est tout aussi normal que l’ensemble de la représentation nationale, opposition comprise, soit associée au plus près à ces décisions importantes pour la vie de notre pays.
On peut vraisemblablement espérer, comme le rapporteur de la commission, qu’un avis défavorable – fût-il acquis à la majorité simple et même prononcé dans une seule assemblée – affectera le crédit de la personne proposée au point de rendre sa nomination difficile.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Mais, dans ce cas, pourquoi ne point être allé au bout du raisonnement ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans leur majorité, les membres du groupe du RDSE voteront le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire, les autres s’abstenant.
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux textes qui nous sont soumis aujourd’hui ont pour objet de permettre la mise en œuvre effective de l’une des dispositions les plus importantes de la révision constitutionnelle de 2008 : celle qui concerne la procédure de nomination aux emplois et fonctions publics, dont l’article 13 de la Constitution confie la responsabilité au Président de la République.
Cet article 13 est à géométrie variable. En effet, outre son contenu propre, il renvoie à une loi organique qui renvoie elle-même à des décrets en conseil des ministres. De ce fait, le champ des emplois et des fonctions publics délimité a beaucoup varié au cours de la Ve République, en fonction des circonstances politiques. En 1985, à la veille de la cohabitation, le Président de la République de l’époque n’avait pas hésité à gonfler de façon démesurée le champ des emplois publics soumis à l’approbation du conseil des ministres, afin de conserver un droit de veto.
Par conséquent, les textes que nous examinons aujourd’hui ne doivent pas être étudiés à l’aune de la conjoncture politique actuelle. Rien n’assure que le Président de la République contrôlera éternellement le Gouvernement et les deux assemblées. Il pourrait fort bien ne pas détenir de majorité à l’Assemblée nationale : cela s’est d’ailleurs produit à trois reprises sous la Ve République. Il pourrait également ne pas pouvoir compter sur le Sénat, comme ce fut le cas au cours des toutes premières années de la Ve République et pendant les deux premières cohabitations.
En réalité, nous devons nous demander si les textes que nous allons adopter seront applicables dans les prochaines années quels que soient les rapports de force existant entre les différents pouvoirs constitués.
L’article 13 de la Constitution, dans sa nouvelle rédaction, distingue les emplois régaliens, pour lesquels la procédure en vigueur depuis 1958 sera maintenue, de ceux qui ont une « importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». Pour ces derniers, la procédure nouvelle comprend l’audition par la commission permanente compétente de chaque assemblée, suivie d’un vote. À ce titre, les commissions parlementaires sont dotées d’un droit de veto lorsque « l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».
Cette innovation permettra d’introduire une réelle transparence dans les procédures de nomination. Les commissions parlementaires devront vérifier la compétence, l’éthique et l’indépendance des personnes proposées. La procédure sera publique, et cette publicité donnera aux auditions une dimension nationale qui aura plus d’effet que la menace d’un veto sur telle ou telle nomination ; elle permettra même de combler certaines lacunes des dispositions législatives et constitutionnelles.
Afin de mesurer l’ampleur potentielle du dispositif, prenons l’exemple des procédures de nomination aux emplois fédéraux en vigueur aux États-Unis.
Le texte même de la Constitution des États-Unis ne prévoyait aucune qualification pour le recrutement des membres de la Cour suprême fédérale. Ce sont la nécessité de l’avis conforme du Sénat et les auditions auxquelles il procède qui ont permis de fixer les critères de nomination des candidats choisis par le président américain : la qualification juridique, l’éthique personnelle et professionnelle, l’indépendance de jugement. Les auditions effectuées par le Sénat américain s’apparentent à un « grand oral », permettant au candidat de présenter son programme d’action et donnant au Sénat la possibilité de déceler et d’exclure tout candidat ne correspondant pas aux qualifications requises pour la fonction concernée, ou lorsqu’il existe un risque réel de conflit d’intérêts. On ose espérer que nos commissions parlementaires sauront faire preuve de la même exigence, afin que les auditions publiques auxquelles elles procéderont permettent de peser non seulement sur le choix, mais aussi, à titre préventif, sur le type de candidats qui leur seront présentés.
Par analogie avec le système américain, la nomination des membres du Conseil constitutionnel, par exemple, est désormais soumise à l’avis des commissions parlementaires, en vertu de l’article 2 du projet de loi organique.
Avant même que n’intervienne le présent projet de loi organique, notre assemblée a déjà eu l’occasion de se prononcer sur certaines candidatures soumises à la nomination présidentielle. Je pense notamment à l’avis de la commission des lois sur la nomination du président de la commission chargée de se prononcer sur les textes portant délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés, ainsi qu’à l’avis sur la nomination du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Pour ce dernier poste, la commission des lois, lors de sa réunion du 29 mai 2008, a procédé à un examen substantiel des compétences du candidat dans le domaine concerné et s’est assurée qu’il avait « une connaissance du monde pénitentiaire » grâce à son expérience de travail « en sa qualité de président de la Commission de suivi de la détention provisoire ». Le candidat avait présenté sa conception de la fonction sous forme d’un programme d’action ; les membres de la commission des lois se sont ensuite livrés à un véritable interrogatoire sur des questions de fond relevant de la fonction à pourvoir.
Cet exemple témoigne de l’importance de l’intervention parlementaire dans le processus de nomination par le Président de la République. L’avis du législateur, garant des libertés fondamentales, ainsi exprimé par l’une de ses commissions permanentes, conférera une plus grande légitimité aux candidats retenus et garantira la qualité et la transparence de la fonction.
Jusqu’alors, la soumission des candidatures à l’avis d’une commission parlementaire ne se faisait que d’une manière ponctuelle : soit sur la base d’une loi organique, soit sur le fondement d’une loi ordinaire. L’enjeu des textes qui nous sont soumis aujourd’hui est de préciser le dispositif permettant d’avoir une vision d’ensemble, une approche généralisée des nominations présidentielles.
Si le projet de loi organique fixe la liste des emplois et fonctions soumis à la nouvelle procédure d’avis parlementaire, le projet de loi ordinaire se borne à désigner concrètement la commission compétente au sein de chaque assemblée du Parlement.
Mes collègues du groupe UMP et moi-même estimons que la liste annexée au projet de loi organique, qui comporte quarante-neuf emplois ou fonctions, répond de manière satisfaisante aux critères retenus par l’article 13 de la Constitution. Sur proposition de son rapporteur, la commission des lois a entrepris d’ajouter à cette liste trois organismes : l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, la Commission de la sécurité des consommateurs, les Voies navigables de France. Elle a complété en conséquence le projet de loi ordinaire, afin de déterminer les commissions permanentes compétentes pour se prononcer sur ces nominations. Le groupe UMP s’en félicite.
Nous devons saluer la précision, introduite par l’Assemblée nationale, qui impose la simultanéité du dépouillement du scrutin sur les nominations dans les deux assemblées. Cette mesure, qui était souhaitable, permettra de préserver l’impartialité et d’assurer l’objectivité du scrutin dans les deux chambres et limitera l’influence de l’avis de l’une sur celui de l’autre.
Enfin, une modification importante a été introduite par la commission des lois du Sénat. Elle a procédé à la suppression de l’article 3 du projet de loi organique, introduit par l’Assemblée nationale, aux termes duquel « il ne peut y avoir de délégation lors d’un scrutin destiné à recueillir l’avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée sur une proposition de nomination selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution ». Cet ajout excède d’une manière injustifiée, selon nous, les termes du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.
En effet, cette disposition ne prévoit dans aucun cas l’interdiction de la délégation. C’est la nouvelle rédaction de l’article 68 de la Constitution qui, la première, a introduit une telle limitation, et cela, vous le savez, mes chers collègues, pour la procédure de destitution du chef de l’État. À plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a validé tant la loi organique que les règlements des assemblées qui énumèrent les cas dans lesquels la délégation est permise.
Bien entendu, il est toujours loisible aux règlements des assemblées d’étendre ou de restreindre ces hypothèses, mais nulle disposition constitutionnelle ou législative n’établit, à aucun moment, la nécessité de suivre une procédure absolument identique dans les deux chambres. À cet égard, le groupe UMP apporte son soutien à notre rapporteur et considère que la question de la délégation de vote doit continuer à rester exclusivement du domaine des règlements respectifs des deux assemblées.
À l’occasion de la réforme des règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale, à la suite de la révision constitutionnelle de 2008, les deux chambres ont retenu des dispositifs différents pour la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution.
Dès lors, le groupe UMP considère qu’il y a lieu de s’en tenir strictement à l’énoncé de l’article 13 de la Constitution et de ne pas ajouter des conditions qui ne figurent pas dans cette disposition, les deux assemblées étant tout de même libres d’apporter des précisions procédurales supplémentaires, qui d'ailleurs ne relèvent nullement des textes aujourd’hui examinés, dans leurs règlements respectifs ! Enfin, rappelons-le à nos collègues députés, la Haute Assemblée s’est toujours montrée respectueuse de l’autonomie des deux chambres de notre Parlement.
Sous réserve de ces observations, le groupe UMP estime que l’adoption de ces deux textes d’application de la révision constitutionnelle permettra de donner sa pleine efficacité au dispositif visant à renforcer les prérogatives du Parlement et à contrebalancer le pouvoir du Président de la République en matière de nominations. Pour toutes ces raisons, il apporte son plus ferme soutien à ces textes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président de mon groupe, Yvon Collin, retardé par les intempéries, m’a demandé de prendre la parole à sa place à cette tribune.
Lors de la discussion de la révision constitutionnelle de juillet 2008, que je n’ai pas approuvée, les promoteurs de cette dernière n’ont pas manqué de nous vanter la logique de rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement qui sous-tendait cette réforme – majeure, nous affirmait-on ! – de notre loi fondamentale.
Grâce à l’approfondissement de la démocratie parlementaire et à l’affirmation d’un nouveau contre-pouvoir, il était convenu que la toute-puissance de l’exécutif, ce péché originel de la Ve République, trouverait enfin ses limites. Nous devions entrer dans l’ère de l’hyper-Parlement ! Pourtant, nous attendons toujours de sortir de l’hyper-présidence…
Il est vrai que l’article 13 de la Constitution, qui assigne au Président de la République un vaste pouvoir de nomination aux plus hautes fonctions publiques, civiles et militaires de l’État, ne va pas sans rappeler un certain césarisme constitutionnel, qui a laissé de bien mauvais souvenirs aux républicains de 1851.
Prenant le contrepied d’une pratique opaque et clientéliste du pouvoir, les dirigeants de la IIIe République, en particulier à partir de Jules Grévy, ont voulu insuffler à ce régime un nouvel élan en accordant au chef du Gouvernement le pouvoir de procéder à des nominations, certes contresignées de façon formelle par le chef de l’État. Dès lors qu’il devait rendre des comptes devant la majorité, il n’a plus été possible pour lui de pratiquer cette forme de népotisme.
La rupture de 1958 est donc majeure, car ce pouvoir a été de nouveau concentré entre les mains d’un seul homme, dont on sait que l’irresponsabilité politique constitue l’un des piliers de son statut. Nous connaissons tous les abus qui en ont découlé.
Force est de le constater, aucune majorité parlementaire n’a été sur ce point irréprochable, d’autant plus que l’article 13 de la Constitution restait disert quant à la liste des postes concernés, et il faut bien admettre que seuls les régimes de cohabitation ont permis de tempérer quelque peu ces bien mauvaises pratiques, si peu conformes à nos principes républicains les plus enracinés.
Il convient donc de saluer ici l’avancée qu’a constitué sur le principe le droit de regard donné au Parlement, à travers ses commissions permanentes, sur les nominations aux fonctions les plus éminentes en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation.
Néanmoins, mon enthousiasme est tempéré sur la forme et le fond.
Concernant la forme, tout d’abord, je m’interroge, et nous sommes nombreux à le faire aujourd’hui, sur le calendrier de la discussion de ces deux textes. Pourquoi avons-nous dû attendre le dernier lundi précédant l’interruption de nos travaux pour être saisis de projets de loi que l’on nous avait tant vantés, alors que nos collègues députés se sont prononcés sur ces textes voilà déjà trois mois ?
Plus globalement, pourquoi avoir attendu près d’un an et demi après l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article 13 de la Constitution ? Si l’on avait réellement tenu à donner au Parlement les pouvoirs permettant de rééquilibrer nos institutions, il est plus que certain que les deux textes que nous examinons aujourd’hui nous auraient été soumis bien plus tôt.
De surcroît, ces projets de loi ne présentent aucune difficulté technique majeure. Je tiens à souligner que ces retards sont chroniques, comme pour l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, mais aussi, et surtout, de celui qui permettra l’entrée en vigueur du référendum d’initiative populaire de l’article 11, dont on sait qu’il gêne considérablement le Gouvernement.
Toujours sur la forme, et sur le calendrier, je remarque également que le chef de l’État n’a pas manqué de précipiter la nomination du nouveau P-DG d’EDF, par ailleurs toujours président du conseil d’administration de Veolia, alors même que nos collègues députés s’apprêtaient à discuter de ces textes. Voilà une façon bien singulière de montrer son respect de la démocratie représentative !
Certes, on a pu arguer que la personne en question avait bien été entendue par les commissions compétentes de nos deux assemblées, mais cette audition a eu lieu sous la légitime pression de nos concitoyens, choqués par ce fait du prince, et d’une grande partie des élus, heurtés par cette ignorance pure et simple du Parlement.
Cette affaire montre également toute la pertinence de la proposition de loi sur le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise publique et d’une entreprise privée, que j’ai déposée avec certains de mes collègues du RDSE et que le Sénat a examinée le 18 novembre dernier avant d’en approuver une version modifiée.
Monsieur le ministre, il est indispensable que ce genre d’affaires ne se reproduise plus, car elles ne grandissent pas notre République, et pas davantage notre État de droit !
Pour ce qui est du fond, ensuite, ces deux textes découlent naturellement de la nouvelle rédaction du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Il en résulte que le législateur organique ne dispose guère de marge de manœuvre et doit s’en tenir au texte constitutionnel régulièrement approuvé.
De fait, le pouvoir d’approbation dont disposent désormais les commissions permanentes de nos assemblées constitue en soi une avancée, mais ses modalités pratiques aboutissent à une réalité moins notable. Comme souvent, il faut aller au-delà des apparences et des intitulés réducteurs.
Le constituant a voulu que ce droit de veto soit conditionné à un vote négatif des trois cinquièmes des voix dans les deux commissions. Par ce mécanisme, il est tout simplement impossible que l’opposition actuelle bloque la moindre nomination voulue par le chef de l’État, sauf en cas de désaccord entre le Président de la République et une partie au moins de sa majorité.
Nos débats de 2008 sur le projet de loi constitutionnel avaient déjà souligné ce problème. Il eût sans doute été plus légitime et plus démocratique d’inverser la logique en soumettant la nomination non pas à une approbation par défaut, mais bien à un vote d’adhésion et à une majorité qualifiée de commissaires. (M. Robert Badinter opine.) Au passage, une telle formule aurait permis de renforcer l’autorité du titulaire de la fonction.
Certes, comparaison n’est pas toujours raison, mais ce type de procédure est appliqué dans d’autres pays, comme aux États-Unis, où les plus hauts postes de l’administration sont soumis à une approbation aux deux tiers des sénateurs, ou en Allemagne, où les membres pressentis du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe doivent réunir sur leur nom la même majorité. Chercher le consensus au-delà de sa famille et de sa seule majorité, plutôt que des semblants d’approbation, tel devrait être le credo de cette démocratie parlementaire apaisée vers laquelle il nous faut tendre !
En toute hypothèse, ces deux projets de loi pâtissent des lacunes originelles de la révision constitutionnelle. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’ils procèdent d’une réelle avancée démocratique, que nous devrons impérativement poursuivre.
Fort de son républicanisme revendiqué, mon groupe ne s’opposera pas à l’adoption de ces deux textes : aucun de ses membres ne votera contre ; certains les approuveront en y apportant leurs voix, quand d’autres, plus réservés, s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – MM. René Garrec et Jacques Gautier applaudissent également.)