M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, octroyer sept minutes pour traiter du budget de la culture pour 2010 et de son contexte gravement préoccupant, c’est mutiler le débat budgétaire, en obligeant à un survol. Je proteste contre cet amenuisement de la délibération parlementaire et me résous douloureusement à rappeler certains faits et à présenter quelques idées.
Je vous livre donc le petit inventaire en huit points que j’ai dressé.
Premièrement, je rappellerai quelques chiffres du budget. Il augmente, certes, mais pas dans tous les domaines. Le patrimoine, qui avait tant souffert précédemment, est le mieux loti. Les 100 millions d’euros prévus par le volet culturel du plan de relance sont confirmés. Mais la création, si stratégique dans toute politique culturelle, marque le pas. On connaît l’expression d’Aragon « se souvenir de l’avenir ». Si ce budget essaie de se souvenir, il renonce à l’avenir, comme en témoigne la stagnation des autorisations d’engagement en la matière.
Fort heureusement, les personnels travaillant dans ce ministère récusent la deuxième phase de la fameuse RGPP, la « réduction toujours plus gonflée de ce qui reste des politiques publiques ». La grève du Centre Georges-Pompidou en est un symbole courageux et digne, comme le préavis pour une grève reconductible à partir du mercredi 2 décembre, à l’appel des sept syndicats du ministère de la culture.
Deuxièmement, je m’attacherai à l’esprit du budget. Les chiffres sont une chose, leur esprit une autre. C’est une véritable avalanche : pas un document de l’État qui n’avance une petite phrase salvatrice ! M. Fillon, dans sa lettre à un conseiller d’État relative au Centre Georges-Pompidou, a ces mots : « Faire mieux et moins cher. […] Il est plus particulièrement nécessaire de s’interroger sur […] la nature et la structure des charges fixes et de leur degré de rigidité à la baisse ». Il va jusqu’à se poser la question suivante : « Qui doit assurer le financement ? »
Le président de l’Assemblée nationale a demandé à l’ensemble des présidents de commissions de réfléchir aux dépenses. La commission des affaires culturelles, le 21 juillet dernier, a ainsi mis en place une mission « sur l’optimisation des dépenses publiques et la suppression des structures publiques inutiles », en précisant, sans crainte du ridicule : « “Optimiser” ne signifie aucunement “réduire” les moyens. »
Troisièmement, il apparaît que le budget englobe désormais des fonctions nouvelles, le programme « Patrimoines » ayant enfin du grain à moudre. Mais il faut « trousser » le document budgétaire. Le ministère, souhaitant se libérer d’une partie des monuments dont il avait directement la charge, les avait proposés aux collectivités territoriales, mais avec un piètre résultat. Cette année, le budget s’attaque aux opérateurs du ministère, soit à quatre-vingt-deux structures résultant de la politique d’autonomisation antérieure. Désormais, c’est fini ! Le contrôle des économies s’applique également à ces établissements et explique l’offre de transfert d’éléments du patrimoine aux collectivités locales. Il s’agit des grands monuments du Centre des monuments nationaux. Le pouvoir souhaite qu’ils trouvent preneurs et prévoit, s’ils rencontrent des difficultés à honorer leurs engagements, de les vendre.
Il s’agit d’une remise en cause du caractère inaliénable de ces monuments. Après la parution du rapport Jouyet-Levy, lequel évoquait une telle possibilité pour les objets, sculptures et tableaux des musées, l’émotion avait été très grande. Le rapport demandé alors à Jacques Rigaud avait conclu à leur caractère inaliénable. Mais nous y revoilà ! La conduite est inélégante, je dirai même immorale.
Quatrièmement, j’évoquerai les oubliés du budget. Je me rends souvent dans les régions, dont je découvre avec plaisir les différentes facettes. Partout, j’entends des propos graves sur les carences et béances des crédits. C’était vrai cette année, ce sera encore plus vrai avec le budget pour 2010. L’action relative à l’accès à la culture subit une saignée : moins 4 millions d’euros pour les pratiques amateurs ; moins 1,5 million d’euros tant pour les publics spécifiques que pour les nouvelles technologies, ainsi que pour les politiques spécifiques en faveur du cinéma.
On cherche vainement la prise en compte des conclusions des entretiens de Valois, la crise de l’intermittence n’est pas abordée et l’élan financier nécessaire manque pour appliquer les dispositions prévues dans la loi en matière d’archéologie préventive.
Cinquièmement, ce budget « chasse » les emplois. Face au drame de l’intermittence, il est incompréhensible que le secteur audiovisuel spectacle du pôle emploi Georges-Méliès de Saint-Denis soit supprimé, alors que la Plaine-Saint-Denis, véritable ville de l’image, accueillera bientôt la Cité du cinéma de Luc Besson. Je le rappelle, 5 000 intermittents étaient suivis par cette agence.
Le plan triennal de suppression d’emplois, selon la mathématique-guillotine du « non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux » a prévu, sur les budgets 2009, 2010 et 2011, la suppression de 415 emplois au ministère de la culture et de 255 dans les établissements publics, soit un total de 670. Mais l’esprit de ce budget et la logique même de la RGPP 2 nous conduisent vers les mille suppressions en trois ans. Je pense notamment à la réduction des charges fixes n’excluant pas la masse salariale et aux coupes claires effectuées dans les subventions de l’État allouées aux opérateurs, notamment aux établissements publics.
Ce budget, comme la stratégie sarkozienne qui le sous-tend, « désosse » les services !
Sixièmement : les budgets boucs émissaires.
L’émotion parmi les personnels, à tous les degrés de responsabilité, est d’autant plus grande qu’il est suggéré aux intéressés d’aller frapper aux portes des collectivités territoriales. Personne ne manquera de le faire, mais c’est au ministère de lever le loquet financier. C’est comme si l’on espérait pouvoir détourner la colère !
Ne vient-on pas de voter la réforme des collectivités territoriales, qui amoindrit leurs capacités financières, comme en témoignent les discussions des crédits de la culture dans les budgets locaux ? Cette réforme vise à ôter la clause de « compétence générale » à différents échelons de collectivités territoriales, fermant ainsi les possibilités de financement culturel.
Le Président de la République a même parlé de « folie fiscale » des régions, alors que la politique nationale qu’il anime porte atteinte à leur liberté, notamment celle de lever l’impôt. Les professionnels de la culture ont un intérêt convergent avec les professionnels des collectivités locales et les habitants de celles-ci. Le Président de la République tente de bâtir un mur d’incompréhension entre ces citoyens. Stoppons la construction de ce mur !
Septièmement : le budget, le grand emprunt et la numérisation.
Dans le document budgétaire, ce thème n’est pas traité avec l’ampleur que vous avez souhaité lui donner au deuxième Forum d’Avignon, rencontres de dimension internationale qui se sont tenues la semaine dernière. Vous y avait fait, monsieur le ministre, un discours remarqué, qui reprenait, en les approfondissant, les thèmes que vous avez développés ici même, le lundi 16 novembre dernier, en réponse à une question orale que je vous avais posée avec la commission des affaires culturelles.
On trouve les bases de votre raisonnement dans le rapport Jouyet-Levy de novembre 2006, intitulé « L’économie de l’immatériel, la croissance de demain », qui a fait l’objet de réflexions importantes lors de la journée de travail des états généraux de la culture consacrée à « la culture à l’ère du numérique », qui s’est déroulée au Sénat le 13 mars 2007.
Pierre Musso, professeur des universités, y nota le rôle fondateur de ce rapport, l’équivalent du rapport Nora-Minc de 1978 sur « l’informatisation de la société française ». Selon lui, si le numérique y est érigé « au rang de mythe rationnel indiscutable », c’est « pour légitimer des politiques qui, elles, sont fort discutables »… Il poursuit : « En fait, la naturalisation de la technologie permet aux pouvoirs de la manier comme un discours de la causalité fatale, une sorte de Destin à accomplir. La technique, instrumentalisée comme un fatum, “nécessiterait”, “exigerait”…, comme si elle était extérieure à la société qui l’engendre. »
L’élément nouveau, dans le rapport Jouyet-Levy, c’est la combinaison de la fatalité de la technologie avec celle de la financiarisation. On peut y lire cette phrase : « La finance […] est en soi une composante de l’économie de l’immatériel. »
Pierre Musso commente : « Dans cette approche technico-financière, tout deviendrait immatériel : sur le modèle de la finance depuis longtemps dématérialisée, passant de l’or à la monnaie fiduciaire puis au bit d’information, les entreprises et les institutions, et même les Nations, deviennent des marques, et de façon plus générale, les réseaux d’information, notamment internet, dématérialisent les objets, le territoire, les institutions, voire les hommes transformés en “actifs immatériels”. L’homme traité de “capital humain” est objet de gestion comptable. Il est tout simplement géré, comptabilisé, traité comme un signe dans un bilan comptable, c’est-à-dire comme un actif immatériel. »
L’idée d’ériger l’immatériel au rang de nouvelle idéologie a germé au sein des services de l’OCDE, et a été reprise au sommet de Lisbonne en 2000. L’Union européenne s’est fixé l’objectif « de devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique ».
Or, continue Pierre Musso, « la notion d’“immatériel” dans le rapport est appliquée à l’innovation, à la recherche, à la formation et à l’enseignement, au design, à la mode, en passant par la créativité, le jeu vidéo, la publicité, les marques, l’entertainement, et même l’“esprit d’entreprise” […] Les rapporteurs précisent même qu’“il ne faut pas oublier qu’il existe une autre catégorie d’actifs immatériels : l’ensemble du champ des immatériels liés à l’imaginaire” […], ce qui permet de mettre sur le même plan la “création artistique et culturelle”, la publicité ou les marques. »
Le discours idéologique sur l’économie de l’immatériel souligne un fait majeur, l’importance de la connaissance et de la culture dans la société et l’économie, mais vise à les standardiser en actifs comptables et en signes valorisables, pour les soumettre à une financiarisation généralisée.
L’esprit des affaires, décidément, s’impose aux affaires de l’esprit.
Nous avons donc, monsieur le ministre, une divergence de point de vue sur ce rapport Jouyet-Levy. Le Figaro du 25 novembre a repris vos propos si lucides sur Google : « Google a franchi avec une rapidité étonnante les étapes de la croissance qui transforment une jeune pousse en une plante dont on peut se demander si elle ne tend pas à devenir carnivore ».
Je ne vous surprendrai pas si je vous dis que je crains que ces propos ne soient affaiblis. Vous rentrez d’une réunion européenne que vous avez justement provoquée. Que s’y est-il passé ? À quoi avez-vous abouti ? Peut-on connaître les usages que vous entendez faire de l’enveloppe destinée à traiter du numérique, que vous évaluez à 753 millions d’euros, afin qu’elle soit prise en compte par le Président de la République dans le grand emprunt ?
Le rapport de Michel Rocard et d’Alain Juppé contient beaucoup de projets industriels, mais pas le projet industriel français ou européen qui pourrait, selon un plan qui resterait à débattre, assurer la numérisation des livres autrement qu’en vrac. Il peut y avoir un partenariat public-privé. Mais Google n’est pas un privé comme les autres, c’est un monopole et, dans toute négociation, ce dernier l’emporte, sauf à avoir au préalable pris des mesures de régulation d’ampleur que je ne vois pas venir.
Il faut une entente générale au niveau européen, une entente des bibliothèques, des éditeurs, des libraires, des lecteurs – j’ose les inclure –, des écrivains et des auteurs, dont Google traite si mal les droits au point d’imposer le secret dans les marchés qu’il a passés dans son propre pays ainsi que, malheureusement, chez nous, même si ce n’est qu’une seule fois. Surtout, n’allons pas plus loin ! C’est un « non » que souhaitent entendre les intéressés, comme l’a montré l’accueil chaleureux qui m’a été réservé au Forum d’Avignon quand j’ai prononcé trois ou quatre phrases roboratives et verticales à ce propos.
Huitièmement, votre budget, le budget général et les salariés.
Un mot qui n’est pas une plainte, mais qui porte plainte. Même si vous pensez que je sous-estime votre budget, je maintiens qu’il s’inscrit dans un cadre d’ensemble qui ne respecte pas la dignité des salariés. Les économies réalisées dans tous les domaines qui concernent la vie des femmes et des hommes mutilent ces derniers. Et l’on vole à nos concitoyens, du plus pauvre au cadre, leur imaginaire et leur curiosité, dont ils voudraient rester maîtres. Ils ne respirent donc plus au travail, pas plus qu’au dehors, d’ailleurs. Ils cessent d’être partenaires de la création artistique, à laquelle vous êtes depuis toujours très attaché, monsieur le ministre.
C’est pourquoi j’ai entendu très profondément votre juste qualificatif de « carnivore ». Le vocable que nous voudrions voir régner, sur un autre plan, c’est la « tendresse », celle que symbolisa si longtemps celui qui disparut le 25 novembre 1959, Gérard Philipe. Je travaillais alors à L’Humanité Dimanche. Nous sommes tous sortis sur les grands boulevards. Innombrables étaient ceux qui avaient fait de même, les trottoirs devenant d’immenses et pourtant d’intimes terrains de conversations entre tous et chacun, chacune. Pourquoi ? Parce que Gérard Philipe savait nommer les choses. Camus a dit : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du Monde ». Gérard Philipe n’aimait pas le malheur du monde. Je lui laisserai le dernier mot, extrait d’un rôle qu’il interpréta à vingt-trois ans, précisément dans une pièce d’Albert Camus : « Je ne suis pas fou et même je n’ai jamais été aussi raisonnable. Simplement, je me suis senti tout d’un coup un besoin d’impossible. Les choses, telles qu’elles sont, ne me semblent pas satisfaisantes […] Le monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard.
M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste, que je représente ici, votera ce projet de budget, qu’il juge globalement bon. Certes, il pourrait être meilleur encore, mais reconnaissons que nous avons connu bien pire…
Nous saluons évidemment l’effort tout particulier que vous consentez en faveur du patrimoine ; vous auriez pu vous contenter du plan de relance, mais vous avez décidé de l’amplifier.
Nous nous réjouissons aussi des mesures concernant la transmission des savoirs, le livre, la recherche culturelle ou le cinéma.
S’agissant de la création, notre jugement sera plus réservé. Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, je concentrerai mon propos sur le spectacle vivant, à travers trois interrogations et réflexions.
La première concerne l’augmentation budgétaire, qui est de 0,4 %. Nous en prenons acte. Il reste que, dans le même temps, nous apprenons que 5 % des crédits déconcentrés seront, une fois de plus, gelés : vieux scénario auquel vos prédécesseurs nous ont habitués, mais dont j’avais cru comprendre que le Président de la République ne voulait plus.
Un scénario qui s’apparente à la climatologie des fleuves sibériens : à la fin de l’automne, lorsque nous votons le budget, c’est le gel ; au printemps ou au cœur de l’été, c’est le dégel, non sans que préalablement vos services déconcentrés aient eu à subir une « dégelée » de la part des acteurs culturels, mobilisés pour le rétablissement des 5 %. (Sourires.)
Alors, monsieur le ministre, soyons clairs : ou bien le gel sera pérennisé et il ne faut plus afficher 0,4 % d’augmentation, ou bien il ne le sera pas, et il ne faut plus jouer avec les nerfs des gens.
Ma deuxième réflexion rejoint des préoccupations qui ont été exprimées à cette tribune de façon récurrente sur le déséquilibre Paris-province, étant entendu que la province ne se limite pas à l’espace rural, pour lequel j’ai au demeurant beaucoup de sympathie, mais comprend aussi des métropoles qui entendent bien jouer leur rôle dans l’espace européen : Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Bordeaux, Toulouse et quelques autres.
Je sais bien qu’il y a des combats perdus d’avance. Jack Ralite vient d’évoquer Gérard Philipe ; je voudrais évoquer Roger Planchon, dont j’étais proche, et qui nous a quittés cette année. Il m’a expliqué des dizaines de fois les combats qu’il avait menés contre une dizaine de ministres pour faire valoir le fait que, dans un pays comme la France, sur cinq théâtres pris en charge par l’État, il y en avait quatre à Paris et un seul en province, et que le Théâtre national populaire – Roger Planchon s’y sentait l’héritier de Jean Vilar – n’avait jamais eu droit à cet honneur. Combat perdu d’avance, j’en conviens.
Mais, monsieur le ministre, les choses étant ce qu’elles sont, le spectacle vivant ne peut vivre que parce qu’il y a des collectivités locales et territoriales qui le font vivre avec vous.
Le département du Rhône, que je représente, abrite trois institutions dites nationales : le Théâtre national populaire, déjà cité, l’Opéra national de Lyon et l’Orchestre national de Lyon. Le premier est financé par l’État à 55 % – louable effort, j’en conviens –, le second à 16,5 %, le troisième à 12,5 %.
À quelques semaines du débat que nous aurons dans cet hémicycle sur la réforme des collectivités territoriales, ces chiffres doivent nous faire réfléchir. Que se passerait-il pour le spectacle vivant si la compétence générale était retirée aux régions ou départements ? Cette hypothèse, un instant envisagée, avant d’être aménagée, signifierait tout simplement la mort du spectacle vivant. Soyez vigilant, monsieur le ministre, et comptez sur notre groupe pour qu’il le soit également.
« Mais, me direz-vous, les entretiens de Valois sont arrivés. Et le spectacle vivant s’en trouve tout ragaillardi. » Je sais bien que cette initiative a précédé votre arrivée au ministère, mais qu’il vous reviendra le soin de la faire vivre. Je ne partage pas tout à fait l’enthousiasme des précédents orateurs au vu de la première réunion décentralisée qui s’est tenue à Lyon, le 10 septembre dernier.
Dix rangées de l’amphithéâtre de l’Opéra étaient occupées par des messieurs sagement assis – pardonnez-moi, chères collègues, mais il y avait très peu de dames. Les cinq premières étaient garnies de messieurs en costume et cravate, les cinq dernières de messieurs qui n’en avaient pas, tout au moins de cravate… (Sourires.) On pressentait au premier coup d’œil que les cinq premières rangées étaient celles des fonctionnaires et des élus, et les cinq dernières celles des saltimbanques.
Les messieurs en cravate ont longuement parlé, à tour de rôle : le directeur du théâtre, de la musique et de la danse et ses conseillers, le directeur régional des affaires culturelles et ses conseillers, le préfet de région et ses conseillers, le maire de Lyon, le président de la région, le président du département, les vice-présidents, les adjoints, les conseillers, les sous-conseillers des conseillers et les présidents des vice-présidents. Et lorsque, au bout de deux heures, tous les messieurs en cravate ont eu fini de parler, il n’y avait plus de temps pour les messieurs décravatés ! Mais tout le monde était content, c’était « du temps qu’on allait encore aux baleines », c’était les entretiens de Valois, façon décentralisée.
Monsieur le ministre, on parle beaucoup de crédits ; je voudrais parler aussi de simplification.
Voilà quinze ans que je suis vice-président du conseil général du Rhône en charge de la culture ; quinze ans que je pratique des comités de pilotage qui, bien souvent, ne pilotent pas grand-chose ; quinze ans que j’assiste à des comités de suivi, qui induisent forcément des comités suivants, tout en sachant bien que, pour un comité, on ne sait plus s’il vaut mieux être de suivi que suivant ; quinze ans que j’épluche des conventions de plus en plus longues où doivent figurer obligatoirement les poncifs obligés, les « publics empêchés », les « formes émergentes » ; quinze ans que je vois des créateurs faire la course au label comme d’autres la course à l’échalote.
Je ne suis pas vraiment convaincu que les entretiens de Valois simplifieront les choses. Le spectacle vivant n’a pas besoin de réunions supplémentaires, qui épilogueront sans fin sur des contrats d’objectifs. Il a besoin d’une seule chose : la confiance qui doit s’instaurer entre un créateur et des élus publics, qui lui permettent de créer sans rien lui imposer, dès lors que la confiance tient lieu de contrat.
Roger Planchon est mort sans avoir obtenu le label qu’il avait souhaité. Mais, avant lui, tant d’autres sont morts sans avoir été labellisés, ou sans avoir connu la suprême jouissance d’un comité de pilotage. Pourtant, ils sont toujours vivants dans la mémoire collective.
Molière sur les places de Pézenas, Copeau dans les villages bourguignons ou Dasté chez les mineurs de Saint-Etienne, eux aussi sont morts, les pauvres, sans avoir eu pleinement conscience qu’ils jouaient devant des « publics empêchés », et qu’ils donnaient dans l’« émergence ».
En conclusion, monsieur le ministre, vous qui avant de le devenir avez d’abord été un créateur et l’êtes toujours, dégelez ! Dégelez vos crédits, certes, mais aussi le conformisme qui, inévitablement, peut guetter une administration déjà quinquagénaire. Conventionnez certes, puisqu’il le faut bien conventionner, mais conventionnez de façon moins… conventionnelle. Labélisez certes, parce qu’il faut bien labéliser, mais sans enfermer les créateurs dans un carcan. Le spectacle vivant a besoin de crédits, mais tout autant de libertés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce cadre budgétaire difficile, on pouvait à juste titre craindre que certains secteurs ne soient jugés moins prioritaires et ne tiennent lieu de variable d’ajustement. La culture ne doit pas subir un tel sort, car elle est essentielle à la vie de chacun, à l’éducation et à l’épanouissement de nos jeunes. Elle constitue de surcroît une garantie de lien social, un facteur identitaire qui favorise le rassemblement autour de projets et de valeurs. C’est le ciment du « vouloir vivre ensemble ».
La culture, donc nécessairement faite de mélanges et d’influences variées, doit ainsi être accessible à tous.
Concernant les crédits alloués à la mission « Culture », si l’on peut reconnaître que des efforts ont été accomplis dans certains programmes, beaucoup d’actions, notamment dans le domaine de l’accès à la culture et de sa démocratisation enregistrent des réductions de crédits, le soin étant laissé aux collectivités de prendre le relais, si elles le veulent – et surtout tant qu’elles le pourront –, dans le cadre de leur schéma de développement.
Je rappelle le rôle éducatif de la culture auquel le Président de la République reconnaît un caractère primordial. Lors de ses vœux aux acteurs culturels, à Nîmes, il a insisté pour que l’on donne dans les familles et à l’école, de l’« appétit » pour les enseignements artistiques. Ce n’est pas tout d’avoir de l’appétit, encore faut-il présenter un plat convenable, c’est-à-dire des projets de loi de finances à la hauteur de ces ambitions.
Espérons que votre ministère prendra la pleine mesure de la chose, car le député rapporteur du budget de l’éducation nationale, M. Yves Censi, ne fait pas référence à l’introduction de l’éducation artistique et culturelle dans le programme des lycées.
En matière d’enseignement supérieur, j’ai déjà eu l’honneur et le plaisir, monsieur le ministre, d’évoquer le cas de l’établissement public de coopération culturelle de Bretagne, qui a pu voir le jour grâce à la volonté et l’aide financière des collectivités territoriales, soutenues par la DRAC, malgré l’absence d’un décret-cadre.
De la même manière, si l’augmentation de 1,5 % du budget en faveur du livre et de la lecture publique est positive, encore une fois, l’accès pour tous à la lecture est surtout garanti par les bibliothèques municipales et intercommunales, dont le maillage territorial est avant tout assuré par les départements.
Les pratiques amateurs, dont la vocation est de toucher le public le plus large possible et de favoriser les passerelles entre les pratiques populaires et l’enseignement académique, sont mal en point. La Coordination des fédérations et associations de culture et communication, ou COFAC, exprime bien cette inquiétude, à travers les 30 000 associations adhérentes qu’elle compte et qui sont autant d’acteurs soutenus par les collectivités territoriales.
Ce sont toutes ces structures associatives, indispensables à la vie quotidienne et à la diffusion culturelle de proximité, qui souffriront de la baisse de 10 millions d’euros des crédits d’accès à la culture, ces derniers passant de 59,7 millions à 49,4 millions d’euros en 2010, pénalisant ainsi toute une partie prioritaire de nos concitoyens : les personnes en situation de handicap, les élèves scolarisés en ZEP, les jeunes en rupture ou en situation d’exclusion.
Je crois que la rue fait partie intégrante de ces lieux de démocratisation de la culture, et j’espère que vous en tiendrez compte dans votre soutien au spectacle vivant, pour lequel vous avez pris l’engagement d’une répartition équitable sur l’ensemble du territoire national.
Pour conclure, je voudrais saluer, monsieur le ministre, votre volonté d’augmenter la proximité de l’action du ministère, comme en témoignent vos engagements en faveur des DRAC, dont les dotations connaissent une augmentation sensible.
Mais, vous le savez, déconcentration et décentralisation ne sont pas synonymes, et si vos efforts sont sincèrement motivés par la proximité de l’action publique, alors, accomplissez le même geste en faveur des collectivités et des associations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le 13 janvier dernier, à l’occasion de ses vœux au monde de la culture, à Nîmes, le Président de la République déclarait : « Pour la culture, il doit y avoir d’autant plus d’initiatives et de projets qu’il y a ce besoin de sens et de repères. »
On ne peut que souscrire à cette vision, à plus forte raison dans une société moderne où tout va toujours plus vite, où les connaissances et les informations sont mondialisées, où les références culturelles passent aussi rapidement qu’elles sont apparues. Dans ce contexte, la culture, qui porte des valeurs intemporelles, constitue l’un des derniers éléments fondateurs d’un patrimoine commun et elle est génératrice de lien social.
Le présent budget, monsieur le ministre, traduit remarquablement cette politique culturelle ambitieuse. Pour l’exercice 2010, dans un contexte de restriction budgétaire, il consacre en effet des priorités fortes et les traduit par une augmentation sensible et légitime de 3,9 % des crédits alloués à la mission « Culture ».
Cette hausse profite particulièrement au programme « Patrimoine », premier volet de la mission « Culture » avec une augmentation des crédits de près de 13 % par rapport à l’année dernière. Une telle augmentation doit permettre d’atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de financer l’entretien et la restauration des monuments historiques à hauteur de 400 millions d’euros d’ici à 2012. Notons d’ailleurs que 100 millions d’euros supplémentaires proviennent du plan de relance de l’économie et complètent ces crédits.
Je tiens à saluer cette démarche, car préserver et embellir le patrimoine historique de notre pays est aujourd’hui une nécessité, non seulement pour sa beauté et le témoignage historique qu’il représente, mais aussi parce qu’il permet à des artisans d’exercer leur métier, parce qu’il contribue à l’attractivité de notre pays et à son rayonnement dans le monde entier.
Les rapports alarmants s’étaient multipliés ces dernières années. Je pense notamment au rapport de notre collègue Philippe Nachbar sur la sauvegarde du patrimoine architectural en 2006, dans le cadre d’une mission d’information présidée par Philippe Richert. Les retards de nombreux chantiers vont ainsi pouvoir être rattrapés.
Tout cela est assurément bienvenu en cette période économique tendue, car la valorisation de notre formidable patrimoine représente un atout incontestable pour maintenir le prestige culturel de notre pays, mais encore, ne l’oublions pas, pour développer ce véritable « poumon » de notre économie touristique. On estime en effet que chaque euro de dépense publique investi dans la restauration de notre patrimoine historique permet de rapporter 20 euros à l’ensemble de notre économie.
L’effort soutenu ici réalisé est donc totalement pertinent et optimisé, car nous savons qu’il aura des retombées pour l’emploi, l’activité économique de nos entreprises et le renforcement de notre activité touristique.
J’ajoute que l’effort vise également les musées nationaux, avec une augmentation de 21 % de l’action Patrimoine des musées de France. Je souhaite à cette occasion évoquer la mesure de gratuité pour les moins de vingt-cinq ans, essentielle pour donner à nos jeunes le goût des arts et démocratiser l’accès au patrimoine culturel. Pourriez-vous d’ailleurs nous indiquer, monsieur le ministre, quels sont les premiers résultats de cette mesure mise en place en avril dernier ?
La création, second volet de la mission « Culture », enregistre elle aussi une progression des moyens financiers qui lui sont alloués. L’État a notamment engagé un effort particulier en direction du spectacle vivant. Ces crédits vont permettre de soutenir les quelque 800 lieux de création, de production et de diffusion, répartis sur l’ensemble du territoire.
Le groupe UMP soutiendra également, monsieur le ministre, la poursuite du mouvement de réforme engagé dans le cadre des entretiens de Valois pour la clarification des missions des différentes structures du spectacle vivant et une structuration de l’emploi culturel.
Le troisième axe de la mission « Culture », relatif à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture, bénéficie lui aussi de moyens substantiels et ambitieux. Cet accès pour tous à la culture est fondamental, et l’éducation en est le vecteur majeur. Notre incomparable patrimoine doit être accessible à chacun et la valorisation des potentiels créatifs par l’enseignement artistique doit être favorisée.
La hausse des crédits attribués au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » conforte cet objectif et rend désormais possible une réelle sensibilisation pour relever le défi de la transmission.
L’art doit être envisagé comme une nécessité, comme une chance pour nos enfants. Le Président de la République l’a rappelé le 14 octobre dernier, en annonçant les lignes directrices de la réforme du lycée : création d’un enseignement transversal d’histoire des arts ; désignation dans chaque établissement d’un « référent culture », chargé des relations avec le monde culturel environnant ; projection de films classiques, de spectacles de théâtre, de concerts... Autant de mesures permettant d’« éduquer» le goût des jeunes. Je me permettrai d’y ajouter l’une des propositions du rapport que j’ai rendu récemment au Premier Ministre : redonner un caractère obligatoire à l’enseignement du dessin, pour tous les élèves, au cours de la scolarité.
Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, où en est ce projet, et notamment nous préciser comment vous envisagez l’enseignement de l’histoire des arts et s’il pourra donner lieu à une évaluation au baccalauréat ?
Par ailleurs, le Sénat, « maison des territoires français » au sein du Parlement, ne peut que se féliciter de l’approfondissement de la déconcentration de la politique culturelle, traduite par l’augmentation des crédits alloués aux DRAC.
Notre Haute Assemblée ne peut également que se réjouir de la reconnaissance du rôle majeur des collectivités territoriales dans la mise en œuvre de la politique culturelle dans nos territoires, concrétisé par l’article 52 du projet de loi de finances, qui leur ouvre la possibilité, en collaboration avec les services de l’État, de gérer et de rénover leur patrimoine local.
Puisque la transmission est aujourd’hui également numérique, je ne saurais conclure sur le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sans vous témoigner, monsieur le ministre, de l’entier soutien de notre groupe pour la mise en œuvre prochaine, dès les premiers jours de l’année 2010, de la courageuse loi dite HADOPI, que vous avez su défendre brillamment et qui doit permettre de protéger la diversité, la qualité et la survie même de l’offre culturelle.
Enfin, monsieur le ministre, et pour conclure sur un sujet qui, vous le savez, me tient beaucoup à cœur, je souhaite attirer votre attention sur la nécessité pour notre pays d’engager enfin une politique volontariste de défense, de promotion et valorisation de nos métiers d’art et savoir-faire traditionnels.
Le rapport que j’ai rendu a permis d’identifier les difficultés concrètes de cette filière prestigieuse, mais trop méconnue, qui est pourtant une extraordinaire source de richesse humaine, culturelle et économique pour notre pays.
Parmi les nombreuses propositions du rapport, un grand nombre de mesures concrètes, très simples à mettre en œuvre et sans nécessairement engendrer de nouvelles dépenses, ont été soumises au Premier ministre, qui en a immédiatement validé certaines, en vous confiant, monsieur le ministre, la charge de les mettre en œuvre. Il s’agit notamment de doubler le nombre des maîtres d’art et de leur permettre de transmettre leur incomparable savoir-faire à plusieurs élèves successivement.
Actuellement, seuls quatre-vingt-neuf de nos artisans d’excellence se sont vus élevés à ce titre prestigieux par votre ministère, et ils ne peuvent malheureusement transmettre leur savoir qu’à un seul élève pour une durée de trois ans. Élargir les quotas d’attribution du titre de maître d’art et du nombre de leurs élèves permettra, pour un coût modique, de perpétuer, de faire rayonner et de démultiplier ces savoir-faire d’exception.