M. Albéric de Montgolfier. Et l’APA ?
M. Jean-Michel Baylet. Parlons-en, mon cher collègue ! En 2002, dernière année du gouvernement Jospin, le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie était assuré, conformément aux engagements pris, à 50 % par l’État et à 50 % par les collectivités territoriales. Puis vous êtes revenus au pouvoir, chers collègues de la majorité, et la répartition est aujourd'hui de 70 % pour les collectivités territoriales et de 30 % pour l’État. Vous avez bien raison d’évoquer l’APA !
En outre, l’État s’est bien gardé de prévoir la montée en charge de dispositifs tels que le RSA, dont la gestion combinée à celle du RMI a suscité une dépense supplémentaire d’un milliard d’euros entre 2003 et 2007, ou encore l’APA, dont la charge financière progresse de 8 % par an.
Dans le passé, l’État n’a pas tenu ses engagements, vous le savez bien, madame, monsieur les ministres. Pourquoi, par quel miracle, les tiendrait-il aujourd’hui ou demain ?
Mes chers collègues, tout le monde ici ne partage pas la même sensibilité, les mêmes opinions, les mêmes idées. C’est d’ailleurs ce qui fait la richesse de notre démocratie et, en l’occurrence, de notre assemblée. Pourtant, nous le voyons, un consensus s’est dégagé pour estimer que la réforme de la taxe professionnelle, telle qu’elle est proposée, porte gravement atteinte aux équilibres institutionnels.
En effet, en affaiblissant le lien avec les citoyens, en plaçant les collectivités locales sous tutelle, en détruisant leur autonomie financière, le Gouvernement fait des choix profondément antirépublicains. C’est la raison pour laquelle cette réforme ne recueillera pas mon soutien, ni celui de mes collègues radicaux de gauche. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, dans une conjoncture économique et sociale perturbée et après une année 2009 dramatique pour l’emploi, la croissance et les finances publiques, la loi de finances pour 2010 doit faciliter la sortie de crise et préparer l’avenir.
Il est encore prématuré d’évoquer des perspectives favorables pour les entreprises ou les ménages dès le début de l’année prochaine. C'est pourquoi il faut analyser avec précision le texte qui nous est soumis aujourd'hui, ce qui me conduit à trois séries de réflexions.
Tout d’abord, je tiens à exprimer un regret : aucun signal de retour à la maîtrise des finances publiques n’est perceptible dans ce budget. Un déficit de 8,5 % du PIB, un endettement global qui dépassera 1 500 milliards d’euros, le maintien de niches fiscales et sociales d’un montant de près de 100 milliards d’euros, voilà de quoi inquiéter nos concitoyens, nos partenaires et la commission de Bruxelles.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est bien vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. Certes, l’hypothèse de croissance annoncée pour 2010 est prudente et la stabilisation du chômage n’interviendra que dans le courant de l’année prochaine. Néanmoins, madame, monsieur les ministres, il aurait été nécessaire de donner quelques signes et de ne pas renvoyer à plus tard le début de l’effort de redressement de nos finances publiques, qui concerne aussi bien l’État que la sécurité sociale et les grandes administrations publiques.
Le refus d’augmenter légèrement le taux de la CRDS et la création de nouvelles niches fiscales compliquent la tâche de ceux qui auront à préparer le budget pour 2011.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est juste !
M. Jean-Pierre Fourcade. J’ajoute que le grand emprunt à venir…
Mme Nicole Bricq. Le petit emprunt !
M. Jean-Pierre Fourcade. … aggravera notre endettement et risque d’atténuer la position aujourd'hui excellente de notre pays sur les marchés financiers.
Mes chers collègues, il est convenu partout de se réjouir du bon fonctionnement du couple franco-allemand, si nécessaire à la construction européenne. Prenons garde à ne pas détériorer cette relation en nous écartant de l’objectif d’un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB. Que ce soit en 2012, en 2013 ou en 2014, il faut avoir le courage d’annoncer et d’accomplir le retour à l’équilibre des finances publiques !
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Après cette réflexion qui traduit une inquiétude, je formulerai deux remarques plus prospectives.
D’abord, je souhaite apporter mon soutien au Gouvernement pour la courageuse politique de réforme fiscale dont témoigne le budget 2010.
La création d’une contribution climat-énergie répond au souci de s’engager résolument dans une politique de développement durable qu’il faudra bien sûr faire partager à nos partenaires européens. Certes, les modalités d’établissement et de restitution de cette contribution sont complexes et nous ne sommes qu’au début d’un processus de modification des comportements, qui est le véritable objectif assigné à cette nouvelle contribution.
Mais, après le Grenelle de l’environnement et les deux lois qui en découlent, il était nécessaire d’instituer une telle contribution : à nous, mes chers collègues, de l’expliquer et, surtout, de la faire accepter par nos concitoyens.
La suppression de la taxe professionnelle, instituée en 1975 pour remplacer la contribution des patentes, pose d’autres problèmes. Madame la ministre, permettez-moi de souligner tout d’abord que la taxe professionnelle ne porte pas, à elle seule, la responsabilité du début de désindustrialisation de notre pays.
M. Nicolas About. C’est sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Certes !
M. Jean-Pierre Fourcade. C’est la suppression de l’une de ses bases, la base salariale, par M. Strauss-Kahn qui a aggravé la situation, en faisant porter l’essentiel de la taxe sur les investissements des entreprises.
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je comprends que le Gouvernement insiste aujourd'hui pour que la taxe professionnelle soit supprimée – il faudrait d’ailleurs plutôt dire modifiée – dès le 1er janvier 2010. Il faut en effet stimuler la reprise de l’investissement privé et il est nécessaire de le faire en cette période de sortie de crise.
Reste que cet impôt constitue une part essentielle de la fiscalité des collectivités territoriales et le socle de l’intercommunalité. Il faut donc légiférer avec prudence pour garantir l’autonomie financière locale. Je souhaite que le Gouvernement accepte non seulement les propositions élaborées par la commission des finances mais aussi les rendez-vous qui devraient suivre après le vote des autres textes, pour s’assurer que les simulations sont justes et que les résultats peuvent être anticipés et à la hauteur des promesses qui nous sont faites.
Si la mondialisation exige que les investissements des entreprises ne soient pas taxés en tant que tels, la démocratie locale exige tout autant que les collectivités territoriales puissent continuer à améliorer le cadre et les conditions de vie de nos concitoyens.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Enfin, la question essentielle est de savoir si le projet de budget pour 2010 accompagne dans de bonnes conditions la sortie de crise et s’il prépare le retour à la croissance.
Comme en 2009, le Gouvernement laisse les recettes fiscales se réduire comme peau de chagrin et les dépenses s’accroître selon les orientations définies dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012. Certes, j’en conviens et je vous en donne acte, madame, messieurs les ministres, l’encadrement des dépenses est relativement strict, notamment en matière de réduction d’emplois, et les priorités que nous avons décidées – justice, enseignement supérieur, recherche, emploi – sont respectées.
Au cours du débat à l’Assemblée nationale, les hypothèses de croissance du PIB, d’autant plus difficiles à formuler qu’un concert d’économistes souffle le chaud et le froid, ont été révisées. Mais la situation de l’emploi nous oblige – et en ce sens le Gouvernement a raison – à laisser jouer les amortisseurs sociaux et fiscaux et à accepter un déficit budgétaire qui, en 2010, représentera 70 % des recettes fiscales nettes.
Je n’ai jamais vu un tel déficit : pourtant, je m’occupe de ces questions depuis un certain nombre d’années. Il ne peut s’agir que d’un épiphénomène qu’il faudra essayer de réduire dans les prochaines années.
L’amélioration conjoncturelle constatée au troisième trimestre de cette année et la bonne orientation des dernières enquêtes de l’INSEE et de la Banque de France laissent penser que le pari que constitue ce budget peut être gagné.
C’est pour cela que, en conclusion et en dépit du regret que j’ai formulé au début de mon intervention, j’estime avec l’ensemble de mes collègues du groupe UMP que le projet de loi de finances pour 2010 doit être adopté.
À titre personnel, j’exprimerai cependant deux réserves.
La première tient au lancement du grand emprunt dont le montant ne doit pas être excessif – il semble respecter le volume autorisé – et dont il faut que les points d’application soient bien ciblés et bien contrôlés. Rien ne serait pire que d’emprunter 35 milliards d'euros et de les répandre un peu partout, telle la semeuse, sans en mesurer de façon précise l’effet réel, comme l’a très bien souligné M. le rapporteur général.
La seconde est liée à l’évolution des taux d’intérêt. M. le président de la commission des finances a clairement expliqué quels risques nous courrions de voir augmenter les taux d’intérêt, notamment les taux à court terme. Il est clair, monsieur le ministre, que, si jamais dans le courant de l’année 2010, les taux d’intérêt augmentaient, il faudrait immédiatement décider des mesures d’économie destinées à compenser la charge nouvelle qui pèserait sur le budget.
M. Aymeri de Montesquiou. Même avant !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le déficit budgétaire est estimé à 70 % des recettes fiscales nettes : tout doit être fait pour que ce chiffre ne soit pas atteint et que l’on puisse le réduire.
Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, un budget, c’est un acte politique qui engage le Gouvernement et la majorité qui le soutient. Encore faut-il que cette majorité soit lucide et courageuse ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 juin dernier, le Président de la République, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, déclarait : « C’est au nom de ce choix stratégique en faveur du travail et de la production que la taxe professionnelle doit être supprimée. Cette réforme sera l’occasion de repenser notre système de fiscalité locale, qui en a bien besoin.
« C’est avec la même détermination que je souhaite que nous allions le plus loin possible sur la taxe carbone. Plus nous taxerons la pollution et plus nous pourrons alléger les charges qui pèsent sur le travail. C’est un enjeu immense. C’est un enjeu écologique. C’est un enjeu pour l’emploi. »
Eh bien, mes chers collègues, avec ce projet de loi de finances pour 2010, nous sommes face à une déclinaison remarquable de ce discours présidentiel, avec l’ensemble de ce qui constitue le « grand écart » entre les mots et les choix.
Car il nous faut rappeler ici que ce n’est pas la production de richesses qui est l’objet principal des impositions d’État ou des impositions locales ! Ce sont les droits indirects, pesant sur la consommation, qui constituent encore aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales de l’État et une part croissante des ressources de la sécurité sociale.
Celui qui est effectivement mis à contribution, c’est le consommateur salarié, car les achats de biens et de services de la vie quotidienne sont régulièrement ponctionnés par la TVA, et son salaire sert de base d’évaluation du financement de la protection sociale. Mais le salaire n’est qu’une utilisation parmi d’autres de la richesse créée, de la somme des valeurs ajoutées que constitue le PIB. Il est manifeste que d’autres formes d’utilisation de cette valeur ajoutée, comme les dividendes ou les frais bancaires par exemple, sont très faiblement mises à contribution dans notre législation fiscale et sociale.
S’agissant des impositions locales, nous le savons de longue date, elles n’ont qu’un lointain rapport avec la capacité contributive des uns et des autres, qu’il s’agisse des entreprises avec la taxe professionnelle ou des particuliers avec la taxe d’habitation et les taxes foncières.
Mais la perspective d’une réforme de la fiscalité locale qui commence par la suppression d’un élément essentiel de celle-ci ne présage rien de bon.
Le discours présidentiel sur la taxe carbone montre clairement que les enjeux écologiques sont fort éloignés de ce nouvel impôt qui ne touchera, dans un premier temps, que les ménages et les collectivités locales et qui risque fort, dans les années à venir, de croître et d’embellir.
Cette croissance et cet embellissement n’auront rien à voir avec la cause de l’environnent, dont le Gouvernement ne se préoccupe guère, étant donné qu’il procède régulièrement à la réduction des crédits destinés à développer les solutions de remplacement au « tout routier » ; elles auront beaucoup plus à voir avec la réforme fiscale.
Demain, la taxe carbone sera l’instrument utilisé pour gager de nouveaux cadeaux fiscaux qui seront faits une fois aux ménages les plus aisés, une autre fois aux entreprises, au nom, bien entendu, de « l’allégement de la fiscalité du travail ».
Moins taxer le travail, dans le discours de la majorité, ce n’est pas augmenter les salaires – on sait l’attachement que le Gouvernement met à développer les formules de participation des salariés et les modes d’intéressement –, c’est juste offrir un peu plus d’argent aux entreprises pour rémunérer le capital et s’engager dans une croissance externe sans cesse relancée.
La cause du travail ne préoccupe pas le Gouvernement. C’est encore et toujours celle du capital qui guide ses choix et lui indique la marche à suivre.
La suppression de la taxe professionnelle, ce n’est pas une revendication populaire : ce n’est rien d’autre que l’une des plus anciennes revendications du MEDEF qui, une fois encore, va trouver force de loi !
Et les milliards gaspillés dans cette improbable affaire conduiront naturellement le débat parlementaire à tourner, une fois encore, à la litanie. Tout ce qui sera proposition alternative, tout ce qui partira enfin des besoins populaires, sera, dans tous les cas et de toute manière, trop cher.
Il n’est qu’un point sur lequel nous sommes d’accord avec le Président de la République : il est grand temps de procéder à une profonde réforme fiscale, une réforme tendant d’ailleurs, en rétablissant la justice, à permettre une réduction vertueuse des déficits publics.
Car là est sans doute la démonstration la plus éclairante de l’inconséquence des politiques menées depuis 2007, dans le prolongement de celles qui sont menées depuis 2002, et dans le droit fil des recommandations européennes : crise financière ou non, jamais ces choix n’ont permis de réduire durablement le niveau des déficits publics et, sur bien des aspects, ils ont même tendu à les aggraver sérieusement. Et l’arme du déficit, si souvent instrumentalisée, a servi à justifier par avance de nouvelles coupes dans les dépenses publiques, comme de nouveaux choix fiscaux sans cesse plus injustes.
Une véritable réforme fiscale commence par une remise à plat, courageuse, déterminée, essentielle.
Ce qui tient lieu aujourd’hui de première dépense budgétaire, c’est l’incroyable mise en œuvre de l’ensemble des multiples dispositifs dérogatoires dont notre code fiscal est truffé.
Commençons donc par interroger cette dépense fiscale, dans toutes ses composantes, sans la moindre exclusive, à partir d’idées simples. Combien coûte telle mesure ? Quelle incidence a-t-elle sur le comportement des agents économiques, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises ? Est-il nécessaire de la maintenir ?
Quand on sait par exemple que la moitié du crédit d’impôt recherche reversé aux entreprises cette année est arrivée au niveau des sociétés holding, sans hausse visible des dépenses effectives de recherche, on mesure la nécessité d’un tel examen !
Nous devons ensuite nous interroger sur l’équilibre des recettes fiscales.
Nous sommes clairement partisans d’un système fiscal s’appuyant sur des prélèvements à la source de la création de richesses, c’est-à-dire l’entreprise, par les indispensables prélèvements sociaux, comme l’impôt sur les sociétés ou une taxe professionnelle rénovée. C’est là que l’assiette fiscale est la plus large et c’est donc là que nous devons agir.
Mais n’oublions pas une nécessité à la fois politique et morale, celle de pénaliser les comportements tendant à la financiarisation des activités humaines et de la production.
Tout doit être mis en œuvre pour réformer profondément la fiscalité des capitaux et des placements et pour décourager la spéculation financière qui pèse sur le travail humain plus sûrement que le moindre impôt.
S’agissant de la mise à contribution des revenus, la même observation vaut. La priorité est donnée, aujourd’hui, pour des motifs injustifiés, à l’allégement de la taxation des revenus financiers, du patrimoine et du capital. Ainsi met-on en œuvre l’amendement « Scellier » au moment même où la perspective de l’explosion de la fiscalité locale se dessine derrière la révision des valeurs locatives. Moins lourde pour les propriétaires et les investisseurs, la fiscalité sera donc plus lourde pour les locataires et pour les familles.
Cette orientation générale de notre fiscalité des revenus doit être corrigée par un renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu, comme l’application de cette même progressivité à d’autres éléments de revenu.
Enfin, nous devons veiller à réduire durablement la fiscalité pesant sur la consommation populaire, à commencer par la taxe sur la valeur ajoutée. Sans doute faudra-t-il employer une autre manière que celle qui a présidé à l’application du taux réduit de TVA au secteur de la restauration, mais, en tout état de cause, une telle démarche est plus que jamais nécessaire.
Telles sont donc, rappelées brièvement, les grandes lignes que le projet de budget pour 2010 devrait traduire, en termes de réforme de notre système fiscal.
C’est pourtant un choix diamétralement inverse que fait le Gouvernement, qui continue imperturbablement à se positionner en fonction des attentes du patronat.
C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe CRC-SPG ne votera pas ce projet de loi de finances pour 2010. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, « État en faillite », crise historique de nos finances publiques, niveau d’endettement sans précédent, situation inquiétante de nos finances publiques, ces expressions utilisées par d’éminentes personnalités traduisent toutes la même idée : notre pays est au bord de l’asphyxie !
Force est de constater qu’il s’est accoutumé à une culture des déficits qui concerne l’ensemble des finances publiques et sociales. À titre personnel, alors que je suis parlementaire depuis plus de vingt ans, jamais je n’ai vu un budget à l’équilibre. Pis, jamais l’équilibre, pourtant inscrit dans l’article 34 de la Constitution, n’a été approché. Et nous nous en éloignons même durablement.
La situation budgétaire de notre pays est « extra-ordinaire » au sens premier du terme. Le déficit public s’élève, en effet, à 141 milliards d’euros cette année. C’est la première fois que, en temps de paix, le déficit de l’État atteint la moitié des dépenses du budget général.
C’est aussi la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que le déficit de l’ensemble de nos administrations publiques se situera à plus de 8 % du PIB pendant deux années consécutives. L’année prochaine, le déficit public atteindra encore, je le rappelle, 116 milliards d’euros, soit 8,5 % du PIB.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Plus le grand emprunt !
M. Jean-Jacques Jégou. Je souhaite d’ailleurs attirer votre attention, mes chers collègues, sur le sens du débat budgétaire que nous avons aujourd’hui : que valent les prévisions du Gouvernement, alors que nous examinerons dans quelques mois, voire quelques semaines, un collectif destiné à financer des dépenses d’investissement liées au grand emprunt, dépenses qui devraient naturellement figurer dans le présent budget ? Nous risquons de finir l’année 2010 avec une situation budgétaire aussi dégradée que cette année.
Nous en sommes au point où le retour sous les limites fixées par le pacte de stabilité européen n’est désormais plus envisagé par le Gouvernement avant 2014, alors que la Commission européenne l’exige dès 2013, et ce malgré des hypothèses de croissance économique retenues particulièrement optimistes, pour ne pas dire irréalistes !
Il est difficile de croire, en effet, que nous connaîtrons une croissance de 2,5 % par an jusqu’en 2014, une augmentation de la masse salariale de 5 % par an en valeur, ainsi qu’une baisse de la dépense publique de 1 % par an. Personnellement, au vu de la conjoncture économique mondiale et de la politique menée depuis 2007, j’ai un peu de mal à souscrire à cette vision.
Le Gouvernement nous explique ces déficits – Mme Lagarde et M. Woerth en ont fait brillamment la démonstration ce matin – par la situation exceptionnelle due à la crise. En 2009, nous avions un budget de gestion de la crise, comprenant les différentes mesures du plan de relance ; en 2010, nous aurons un budget de gestion de la sortie de crise, ce qui justifie l’énorme niveau de déficit budgétaire prévu pour l’année prochaine.
Cette distinction habile permet de justifier la politique attentiste défendue par le Gouvernement en matière de déficits : selon cette analyse, ce n’est pas le moment de réduire les dépenses, de réexaminer les dépenses fiscales, ni de revenir sur les avantages fiscaux inefficaces. Par conséquent, 2010 sera une année charnière, la dernière avant le retour à une certaine rigueur budgétaire, nous assure-t-on. En attendant, les déficits se creusent toujours plus et la dette explose.
Je n’évoquerai pas en cet instant les conséquences de ce niveau de déficits sur notre dette, puisque je m’exprimerai mercredi prochain, dans le cadre du débat consacré à l’évolution de la dette.
Certes, j’entends bien l’argument du Gouvernement : la situation extrêmement dégradée de nos comptes publics s’explique, pour une grande part, par la crise économique qui a réduit fortement les rentrées fiscales. Je ne reprendrai pas les chiffres cités par M. le ministre ce matin. Bien entendu, je ne suis pas favorable à une politique de rigueur excessive qui « asphyxierait » le moteur de la croissance et de la reprise. C’est la raison pour laquelle j’ai approuvé globalement le plan de relance.
Cependant, la France est l’un des rares pays européens à ne pas avoir réduit son déficit public pendant le cycle de croissance qui a précédé la récession. Je ne prendrai qu’un exemple pour montrer que nous payons aujourd’hui le prix de notre attitude irresponsable de ces dernières années. En 2005, la France et l’Allemagne avaient un déficit comparable : 3 % en France, contre 3,4 % en Allemagne. Trois ans plus tard, en 2008, à la veille de la récession, l’Allemagne avait ramené son déficit à 0 %, alors que le nôtre s’élevait encore à 3,4 % ! Conséquence : aujourd’hui, l’Allemagne a un déficit de 3,7 %, alors que le nôtre dépasse les 8 % !
Cela veut dire également que, à l’issue de la crise, la France se trouvera en plus mauvaise posture que ses partenaires qui, eux, grâce à une situation de départ plus saine, s’en sortiront plus rapidement. Contrairement à ce que nous dit le Gouvernement, laisser perdurer les déficits, loin de maintenir l’activité et de relancer l’économie, ralentit le rythme de la croissance et de la sortie de crise.
À ce niveau, le déficit des finances publiques est devenu clairement insoutenable. Il est aujourd’hui évident, et j’espère que chacun dans cette enceinte en a conscience, que la seule reprise économique – qui sera lente et molle, de l’ordre de 1,7 % à 1,8 %, de l’aveu même du Gouvernement – ne permettra pas de résorber ce déficit. Il faut donc aller plus loin dans la réduction des dépenses et, surtout, dans la pérennisation des recettes, voire leur augmentation.
Je ne citerai que quelques chiffres pour illustrer mon propos. Le poids de nos dépenses publiques, dont une grande part est due à l’augmentation des dépenses sociales et des dépenses des collectivités territoriales et qui n’ont cessé de croître, représentera presque 56 % de notre richesse nationale en 2010 ; c’est un record ! L’ensemble des dépenses publiques montera à 1100 milliards d’euros pour un PIB de 1970 milliards d’euros.
De l’autre côté, nous assistons à la chute des prélèvements obligatoires, qui est la conséquence, pour partie, de mesures fiscales contestables. Les taux de prélèvements obligatoires sont ainsi passés, dans notre pays, de 43,9 % du PIB en 2006 à 42,8 % en 2008, donc avant la crise. Ils sont tombés à 40,7 % du PIB en 2009. Sur dix ans, les prélèvements obligatoires ont été réduits de 66 milliards d’euros à la suite de mesures pour partie inappropriées et injustifiées.
Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple qui me tient particulièrement à cœur, était-il responsable de créer une nouvelle dépense fiscale, la baisse de la TVA dans la restauration, dont la pertinence est particulièrement discutable ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Jean-Jacques Jégou. Nous le voyons aujourd’hui avec les chiffres de l’INSEE. Le Gouvernement a d’ailleurs enfreint, à cette occasion, la règle vertueuse de ne faire aucune dépense fiscale sans prévoir une économie à due concurrence.
On ne peut donc plus continuer à baisser les prélèvements obligatoires dans les prochaines années. La question du moment où les Français devront payer la facture et où il faudra donc augmenter les impôts – après 2012 ? – reste posée. Nous ne pouvons pas non plus financer les baisses d’impôt par le déficit et par l’endettement. Je ne fais que reprendre ce que disait, en 2005, la commission « Pébereau », dont les préconisations sont malheureusement tombées dans l’oubli !
Ma conviction est qu’il faut mettre plus de justice dans le système des prélèvements obligatoires. Notre système fiscal est devenu d’une complexité extrême et, avec la combinaison des niches fiscales et du bouclier fiscal, il produit de profondes injustices. C’est pourquoi je suis personnellement favorable à une grande réforme fiscale remettant à plat l’ensemble de notre système en réétudiant, notamment, une à une, les quatre cent soixante-dix niches fiscales.
Pour cela, il nous faudra, à tous, du courage. Malheureusement, force est de constater que les gouvernements cèdent, depuis de trop nombreuses années, à la tentation très facile de remettre à demain ce qui doit être fait aujourd’hui.
Pour terminer, permettez-moi de citer Georges Clemenceau : « Il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. » Je laisse aux ministres le soin de répondre à ces trois interrogations. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)