Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Sous couvert de santé publique, l’enjeu économique se substitue à ce qui devrait être la première préoccupation de l’État : la protection des personnes.
La santé publique n’a pas vocation à être rentable au sens économique du terme. La protection des personnes et la santé publique sont deux notions distinctes qu’il convient de ne pas mélanger.
Vous comprendrez mieux comment nous vous voyons venir de loin lorsque vous nous expliquez que l’on peut distinguer les phases interventionnelles ou observationnelles.
En ce qui concerne les phases observationnelles, le risque étant minime, voire nul, pourquoi est-il nécessaire de légiférer pour encadrer la responsabilité de l’État ? Cet arbre cache assez mal la forêt et le cœur du problème, c’est-à-dire les phases interventionnelles, celles-là même qui soulèvent les questions éthiques et, a fortiori, le problème crucial de la protection des personnes.
C’est donc sans aucun doute intentionnellement que, pour ne plus avoir à parler de notre sujet, qui est la protection des personnes, vous confondez deux objectifs : le premier relève d’une mission de service public, la santé et la recherche ; le second est le déverrouillage de la protection de la personne, sous couvert de santé publique et de priorité nationale, pour permettre aux laboratoires qui en ont les moyens de mener plus librement leurs recherches sur la personne, afin de s’inscrire en pointe sur un segment de haute compétitivité.
Si la recherche constitue, même de bonne foi pour ce gouvernement, une priorité nationale, la protection de la personne est principielle dans notre République et doit le rester. Or vous tentez de faire passer une priorité nationale, qu’elle soit conjoncturelle, économique, ou tout ce que vous voudrez, devant un principe républicain. Au mieux, c’est maladroit ; au pire, c’est mal intentionné ! L’examen des différents articles de ce texte nous offrira de nombreuses occasions de vous en faire la démonstration.
Dans vos propos liminaires, madame la ministre, vous avez insisté sur deux amendements présentés par le Gouvernement, démontrant ainsi ce que nous dénonçons. Vous admettez que la recherche fonctionne en « zone grise », selon vos termes, ou en zone d’ombre, selon ceux du professeur Jean-Claude Etienne, et vous nous proposerez un amendement faisant tomber « les contraintes disproportionnées » au recueil du consentement des personnes : c’est paradoxal !
Dès lors, permettez-nous de douter de l’orientation de la recherche en France, ainsi que de la protection de la personne dans ce cadre.
Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 5 à 9
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. La proposition de loi affiche une volonté de donner un cadre unique, moins complexe et plus complet, à l’ensemble des recherches sur la personne. La réalité est qu’en poursuivant dans la logique qui prévaut depuis la loi de 2004 relative à la politique de santé publique ce texte confirme le glissement qui s’est opéré entre une loi fondatrice, destinée à protéger les personnes participant à des recherches biomédicales, et l’intention de faire de la recherche sur la personne un moyen de développer les connaissances scientifiques. En d’autres termes, il s’agit d’un texte visant la recherche sur les personnes et non la protection des personnes.
L’inscription dans la proposition de loi initiale du principe selon lequel « le développement de la recherche sur la personne constitue une priorité nationale » était, à cet égard, évocatrice. La commission, en faisant le choix de supprimer cette disposition et en modifiant la proposition de loi sur certains points, a marqué sa volonté de ne pas oublier la protection des personnes.
Cependant l’article 1er, même modifié, reste problématique dès lors qu’il tend à une banalisation des recherches biomédicales en procédant à un mélange des genres pour nous préjudiciable à la protection des personnes.
La suppression pure et simple de la notion de recherche biomédicale au profit de recherches interventionnelles, termes méconnus dans la réglementation européenne comme dans la réglementation internationale, ne relève certainement pas du hasard.
La création d’une troisième catégorie de recherche, c’est-à-dire une de plus qu’en 2004, n’est pas source de simplification, bien au contraire. Il aurait mieux valu se poser la question de l’intérêt que présentait la conservation d’une procédure spécifique visant à évaluer les soins courants.
Si Mme le rapporteur a répondu en partie aux difficultés de catégorisation entre les recherches interventionnelles et les recherches interventionnelles à risques négligeables, elle a fait le choix, en revanche, de conserver les recherches non interventionnelles. Or qu’est-ce qu’une recherche non interventionnelle ? C’est une recherche observationnelle qui consiste à collecter des informations et des données personnelles de santé. Il n’y a donc aucune intervention sur la personne.
Aujourd’hui, ces études ne sont pas conduites dans un vide juridique : elles sont réalisées dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il revient ainsi à la CNIL de s’assurer que la recherche médicale ne porte atteinte ni à l’identité humaine ni à un certain nombre de droits et libertés individuelles ou publiques. Il lui revient également d’autoriser les traitements faisant au préalable l’objet d’un avis du comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé. Ce comité, précisons-le, fonctionne parfaitement depuis de nombreuses années.
A contrario, les CPP n’ont pas de compétences particulières pour garantir la vie privée et les libertés individuelles des personnes dont les données font l’objet de traitements.
Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue !
Mme Patricia Schillinger. En réunissant sous les mêmes termes les recherches relevant de l’innovation et celles qui ne dépendent, en réalité, que de l’évaluation ou de l’observation, nous risquons non seulement d’engendrer une confusion entre des recherches de nature différente, mais également de dénaturer les CPP.
Or nous ne pouvons ni accepter que les CPP deviennent des comités de lecture ni courir le risque de voir ces comités renoncer à la qualité de leur examen sous l’influence des demandes.
Il nous semble donc opportun de maintenir l’exclusion des recherches non interventionnelles du cadre législatif garantissant la protection des personnes en matière de recherches biomédicales et le consentement, évidemment indispensable, même lorsqu’il s’agit d’observations comparatives : nous disposons à cet effet de la loi Kouchner de mars 2002.
Si nous ne mettons pas en doute votre intention d’œuvrer pour la protection des personnes, madame la rapporteur, nous n’oublions pas la raison d’être de cette proposition de loi : faire de la recherche une priorité nationale et transformer les CPP en instruments au service des chercheurs, afin, notamment, de permettre un nombre plus important de publications.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Cet amendement vise à revenir au texte de 2004, qui n’était pas très satisfaisant.
La proposition de loi, même si telle n’était pas sa vocation principale à l’origine, constitue un apport très important en matière d’éthique de la recherche. Elle permet un contrôle enfin unifié de l’ensemble des protocoles de recherche, quelle que soit la qualification donnée par les chercheurs. C’est un gain en matière de transparence, donc de protection des personnes.
Par ailleurs, la commission a supprimé la notion de priorité nationale et clarifié la question du consentement.
Le texte de la commission concilie à la fois les progrès de la science et l’éthique de la recherche.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
L’apport du texte est précisément de faire entrer dans le champ de la loi relative aux recherches sur la personne des publics qui échappaient jusqu’ici à de telles mesures et d’élever ainsi les garanties offertes aux personnes. En effet, jusqu’à présent, les recherches non interventionnelles ne bénéficiaient d’aucun encadrement. L’avis d’un comité de protection des personnes, en particulier, n’était pas requis.
Ce texte constitue donc une avancée en termes de droit des personnes.
Par ailleurs, il est bon de le rappeler, les recherches seront intégrées au champ de compétence et d’intervention de l’AFSSAPS, qui pourra exercer ainsi son pouvoir de police sanitaire dans un domaine qui lui était fermé jusque-là.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la ministre, vous dites qu’il n’y a aucune protection ! Ce n’est pas exact : il y a celle de la CNIL et de la loi de 1978.
M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’on estime que la CNIL n’assure pas de protection, il faudra modifier son fonctionnement !
Que vous préfériez que cette protection s’exerce autrement, soit ! On est d’accord ou non ! Mais il est quelque peu abusif de dire qu’il n’y a pas de protection.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 7, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 23
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1 ne peuvent être mises en œuvre qu'après avis favorable du comité de protection des personnes mentionné à l'article L. 1123-1. Les recherches non-interventionnelles sont mises en œuvre après avis favorable des espaces de réflexion éthique mentionnés à l'article L.1412-6 du présent code. »
II. - En conséquence, alinéa 25
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. La proposition de loi relative aux recherches sur la personne illustre parfaitement une volonté grandissante, au sein de la communauté scientifique, de transformer les CPP en instruments au service des chercheurs, destinés à les soutenir dans leurs efforts de recherche.
La mission essentielle des CPP s’en trouverait alors dénaturée et ceux-ci tendraient à devenir, sous la pression, des sortes de comités d’éthique de la recherche, tels qu’ils existent dans certains pays anglo-saxons.
En France, la création des CPP répondait à un besoin spécifique : protéger les personnes se prêtant à des recherches biomédicales.
Plutôt que de transformer les CPP en comités de lecture, il conviendrait de laisser le soin à d’autres instances déjà existantes d’assurer les missions complémentaires, mais non indissociables des protocoles de recherche, afin de répondre à l’ensemble des besoins exprimés par les chercheurs et les professionnels de santé : formation et information sur la législation et l’éthique de la recherche ; aide lors de la qualification de programmes de recherche ; orientation du responsable de la recherche vers un comité de protection des personnes lorsqu’il s’agit d’une recherche qualifiée de biomédicale ; délivrance d’avis sur des projets d’études non interventionnelles et d’évaluation de soins courants ou de pratiques professionnelles, etc.
Afin, d’une part, de moderniser la recherche clinique française et, d’autre part, de garantir à un même niveau d’exigence la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, il conviendrait de développer des comités consultatifs d’éthique de la recherche au sein des CHU et d’accroître la légitimité des espaces de réflexion éthique.
Cet amendement vise à apporter une réponse satisfaisante aux chercheurs tout en recentrant les CPP sur ce qui doit rester leur mission exclusive : la garantie des droits et libertés fondamentales des personnes se prêtant à des recherches biomédicales.
Les auteurs de cet amendement proposent donc d’accroître la légitimité des espaces de réflexion éthique et laissent aux CHU ainsi qu’au Gouvernement, par voie d’arrêté, le soin de développer les comités consultatifs d’éthique de la recherche.
Dans la réponse que vous avez faite aux orateurs, madame la ministre, vous avez parlé beaucoup de recherche et peu de protection des personnes. Or la loi Huriet-Sérusclat porte sur la protection des personnes.
Si l’on veut organiser un débat sur la recherche, Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche doit également être présente.
Pour l’instant, le problème auquel nous sommes confrontés est celui de la protection des personnes dans le cadre de ces recherches.
Mme Patricia Schillinger. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, le Gouvernement a déposé ses amendements il y a quelques heures seulement. La commission n’a donc pas eu le temps de les examiner.
Je demande une interruption de séance de trente minutes pour que la commission puisse se réunir.
Mme la présidente. Il va être fait droit, bien sûr, à votre demande, madame la présidente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
L’amendement n° 37, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 23
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Le promoteur adresse une copie de cet avis et un résumé de la recherche à l’autorité compétente. Sur demande, le comité de protection de personne concerné transmet sans délai toutes les informations utiles concernant ces recherches à l’autorité compétente.
II. - Après l’alinéa 25
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« À tout moment, le comité de protection de personne concerné informe sans délai l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de tout problème de sécurité présenté par une recherche mentionnée au 2° ou 3° de l’article L. 1121-1. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Cet amendement tend à obliger le promoteur à transmettre à l’AFSSAPS certains éléments essentiels de la recherche, à savoir son synopsis et l’avis du comité de protection des personnes, pour toutes les recherches impliquant la personne humaine.
Il organise, en outre, un système d’alerte du CPP vers l’AFSSAPS pour toutes les recherches impliquant la personne humaine. En effet, tout le monde s’accordera pour reconnaître la nécessité de permettre à l’AFSSAPS d’accéder à toutes ces informations utiles, afin qu’elle puisse exercer ses nouvelles fonctions de police sanitaire sur toutes les recherches impliquant la personne humaine. Il s’agit donc de donner des garanties supplémentaires à l’AFSSAPS. Cet amendement s’inscrit dans la droite ligne de ce que nous voulons : le respect de la personne humaine et la démarche éthique, à laquelle nous sommes tous attachés.
Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 25, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous partageons, vous l’avez compris, la volonté de conserver le principe de l’indépendance des comités de protection des personnes ; nous souhaiterions même rendre celle-ci plus effective en pratique vis-à-vis des promoteurs comme des chercheurs. Toutefois, lorsqu’un CPP aux prises avec un doute sérieux sur la qualification d’une recherche fait le choix de saisir l’AFSSAPS pour obtenir son avis, il doit être tenu par cet avis. En effet, le CPP n’a pas l’obligation de saisir l’AFSSAPS et son indépendance est donc préservée. Mais s’il estime devoir demander l’avis de cette autorité, il ne paraît pas anormal qu’il soit tenu de respecter cet avis.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. L’amendement n° 7 vise à confier aux espaces de réflexion éthique les protocoles de recherche observationnelle.
La commission y est défavorable par cohérence.
Par ailleurs, les espaces de réflexion éthique ne sont pas les mieux à même d’assurer ce travail. Quand on connaît le fonctionnement d’un certain nombre d’entre eux – nous avons d’ailleurs pu l’observer à l’occasion des états généraux de la bioéthique –, l’impossibilité de leur confier cette mission est évidente.
L’amendement n° 37 du Gouvernement tend à compléter l’information de l’AFSSAPS, en lui permettant de connaître l’ensemble des recherches interventionnelles à risques minimes.
La commission y est bien sûr tout à fait favorable, là aussi par cohérence, et pour faciliter le travail de cette agence.
Enfin, l’amendement n° 8, déposé par le groupe socialiste, tend à rendre l’avis de l’AFSSAPS contraignant. Cette solution me paraît logique dès lors que les CPP auront le choix de consulter ou non l’AFSSAPS.
L’avis de la commission est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je partage tout à fait l’avis de Mme le rapporteur sur l’amendement n° 7. Bien que les espaces de réflexion éthique régionaux réalisent un travail tout à fait remarquable, car ils sont vraiment des lieux d’échange, de réflexion et de formation tout à fait utiles, ces organismes ne me paraissent pas du tout adaptés à ce genre de mission. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
En revanche, j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 8.
Mme la présidente. Monsieur Jean-Pierre Godefroy, l’amendement n° 7 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, madame la présidente, je le maintiens.
Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 23
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le comité peut qualifier de manière différente les phases successives d’un même protocole de recherche.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Plusieurs chercheurs ont fait état de leur crainte que les exigences en matière de consentement écrit n’empêchent la recherche épidémiologique, qui porte sur des masses importantes de population. Cette inquiétude est infondée dans la mesure où les recherches épidémiologiques sont observationnelles.
Toutefois, afin de ne pas risquer d’entraver des recherches utiles à la santé publique qui seraient à la fois épidémiologiques et interventionnelles, il est proposé de prévoir la possibilité pour les CPP de distinguer, au sein même d’un protocole de recherche, celles qui sont observationnelles et celles qui sont interventionnelles. Pour les premières, un consentement écrit n’est pas requis ; en revanche, pour la phase interventionnelle, le consentement écrit est nécessaire. Ainsi, une étude portant sur les retombées des affiches de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, contre le risque que représente l’alcool est observationnelle, mais la mise en place d’une consultation spécifique en alcoologie est une mesure interventionnelle.
Certains ici savent que des études européennes, auxquelles onze pays, dont la France, ont participé, présentaient une dimension à la fois observationnelle et interventionnelle. Au niveau européen, sur des cohortes tout à fait importantes, la France s’est soumise aux dispositions européennes, en demandant à chaque volontaire de formuler son consentement par écrit.
Cette disposition pragmatique montre que la commission des affaires sociales a entendu la préoccupation des chercheurs. Elle ne souhaite pas entraver, loin s’en faut, les progrès de la recherche, mais, dans le même temps, elle tient à sécuriser la protection des personnes. C’est la raison pour laquelle elle a déposé cet amendement de conciliation, tout en restant ferme sur le principe du consentement écrit.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je partage pleinement ce souci d’équilibre entre la nécessité de conduire des recherches et l’impératif de protection des personnes ; sans doute serons-nous d’accord pour placer en premier la protection des personnes.
Il ne saurait y avoir de recherche sur la personne humaine sans le consentement de celle-ci, comme le précise très clairement la proposition de loi. Je lève ainsi une polémique qui a surgi au cours de la discussion générale et qui n’avait pas lieu d’être. Il est évidemment indispensable que les modalités de recueil de ce consentement soient adaptées et proportionnées à la nature des recherches et des risques encourus par les personnes.
Vous avez raison de souligner que la plupart des recherches épidémiologiques sont observationnelles et qu’à ce titre elles ne sont pas soumises au régime du consentement écrit. Cependant, un certain nombre de recherches épidémiologiques sont de nature interventionnelle, et ce du début à la fin.
J’ai cité l’exemple, dans mon propos liminaire, d’une étude évaluant l’efficacité d’un programme de sensibilisation contre l’alcoolisme mené dans plusieurs communes témoins servant de base de référence. Il s’agit bien là d’une recherche interventionnelle, qu’il ne serait à l’évidence pas possible de mener si le consentement écrit de tous les habitants de la commune était requis.
Je ne suis pas certaine que cet amendement, qui tend à maintenir une exigence systématique de consentement écrit pour toute recherche interventionnelle, permette de lever cette difficulté. Devrions-nous faire signer les personnes qui assistent à des conférences sur le tabac au seul motif qu’elles participent à une recherche interventionnelle, et non plus seulement observationnelle ? Devrions-nous exposer les investigateurs à trois ans de prison s’ils ne respectent pas strictement les modalités formelles de recueil du consentement ?
Nous devons reconnaître qu’il existe des recherches strictement interventionnelles qui ne présentent aucun risque pour les personnes et qui sont menées à une échelle telle qu’il n’est ni possible ni même souhaitable de recueillir le consentement écrit. Je présenterai d’ailleurs un amendement tendant à clarifier le dispositif et à lever un certain nombre de restrictions. Cet amendement vise en effet à prévoir, pour les recherches épidémiologiques interventionnelles sans risque, et exclusivement pour ces recherches, que le Comité de protection des personnes peut autoriser une recherche dès lors que les personnes concernées bénéficient d’une information collective sur la recherche et qu’elles ont la possibilité, si elles le souhaitent, de ne pas y participer.
Au bénéfice de ces explications et de cet amendement, que je vous présenterai ultérieurement, je vous demande, chère madame Hermange, de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. On voit bien, au travers de l’amendement présenté par Mme le rapporteur, qu’il y a un vrai problème.
Dans notre logique, nous maintenons un avis négatif, puisque nous ne souhaitons pas que cette disposition soit étendue aux recherches observationnelles.
Je sais gré à Mme le rapporteur de chercher une solution, mais au lieu de simplifier les choses, cet amendement introduit plus de complexité. En effet, l’extension de la compétence des CPP aux recherches observationnelles ne constitue guère une simplification.
Le mélange des genres que nous dénoncions est en train de se vérifier puisque les CPP devront qualifier différemment les phases d’un même protocole de recherche. La cohérence et la garantie de la protection des personnes n’exigent-elles pas plutôt une qualification unique au sein d’un même protocole de recherche ?
L’extension du champ d’investigation des CPP pose donc des problèmes qui seront difficiles à résoudre.
Mme la présidente. Mme le rapporteur, l’amendement n° 25 est-il maintenu ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Je souhaite tout d’abord faire une observation sur l’exemple que vous avez pris, madame la ministre : une conférence de l’INPES portant sur les effets du tabac ou de l’alcool ; on pourrait d’ailleurs en prendre d’autres.
Nous devons, mes chers collègues, distinguer les interventions publiques de celles qui visent directement les personnes. Les interventions publiques, comme les conférences ou les campagnes d’affichage, n’ont rien à voir avec les soins. Seul le fait de vivre en société peut exposer des personnes à ce type d’intervention.
Si la commission des affaires sociales auditionne plusieurs spécialistes sur le sujet du mal-être au travail, tous les propos tenus seront de type interventionnel, et il ne faudra plus faire de distinction entre les différentes catégories de recherche.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Une démarche de recherche observationnelle qui prend la forme d’une intervention publique ne nécessite pas le recueil du consentement écrit ; ce sont des chercheurs qui le disent, et certains sont aujourd’hui dans les tribunes du Sénat.
En revanche, lorsqu’il y a une démarche de soins et une consultation dédiée, il s’agit d’une intervention sur la personne.
Il se peut enfin qu’un protocole de recherche comporte une phase observationnelle et une phase interventionnelle. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu explicitement que les CCP pourront prévoir des qualifications différentes, donc des formes de consentement différenciées, selon qu’il s’agit d’une recherche observationnelle – affiches, conférences, etc. – ou d’une intervention sur les personnes.
Je maintiens donc cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous abordons là un point très important : la définition du terme « interventionnel ». Une recherche à processus interventionnel ne comporte pas forcément l’administration d’un médicament ou d’un soin.
Dans une démarche de santé publique, lorsque vous testez un processus, par exemple une campagne d’information dont l’objectif est de modifier le comportement des personnes en les incitant à moins fumer, à moins boire ou à faire attention à leur poids, il s’agit d’une recherche interventionnelle. Nous ne parvenons pas à avancer sur cette question, car les définitions de la recherche interventionnelle et de la recherche observationnelle reposent sur de mauvais critères. Lorsque l’on teste une démarche de santé publique, on fait de la recherche interventionnelle.
Au bénéfice de ces précisions sémantiques, tout à fait capitales, je me permets de demander à nouveau le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Nous avons bien entendu vos explications, madame la ministre, mais il me semble impossible de retirer cet amendement qui a été voté par la commission.