M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce moment de réflexion et de préparation de la réforme, je m’en tiendrai à des observations concrètes, beaucoup d’excellents propos ayant déjà été tenus.
Je voudrais d’abord souligner que, comme beaucoup d’entre nous, je me suis réjoui que le Président de la République ait évoqué le dossier du lycée dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès. Les orientations qu’il a fixées lors de ce moment fort recueillent notre approbation. Il reste maintenant à définir les mesures précises qui permettront de les concrétiser.
Maintenant que vous êtes chargé de la réforme des lycées, vous êtes au pied du mur, truelle à la main ! (Sourires.) On peut vous plaindre, car la tâche est lourde. C'est la raison pour laquelle vous avez besoin d’être soutenu et, avant tout, compris, d’abord par les enseignants eux-mêmes. Vos talents de communicant nous laissent espérer que vous réussirez à faire passer vos messages, même si, nous le savons, ce ne sera pas toujours facile.
Parler des lycées, c’est aussi évoquer l’avant et l’après-lycée.
Avant, c’est le collège unique, dont nous avons tellement parlé, souvent pour le critiquer. Je ne veux pas entrer dans cette polémique, mais simplement prendre en compte une réalité illustrée par le film Entre les murs, que je vous recommande à tous, si vous ne l’avez pas vu. Ce film évoque le travail des enseignants, notamment du professeur de français, d’une classe de quatrième, certes sympathique, mais peu réceptive, c’est le moins que l’on puisse dire. Cet enseignant doit faire comprendre à vingt-cinq jeunes âgés de quatorze à seize ans le sens des mots les plus simples du français courant. On le voit notamment expliquer aux élèves que le mot « argenterie » ne désigne pas une habitante de l’Argentine… Il s’y prend d’ailleurs très bien, utilisant une méthode qui paraît progressive et très sûre.
En regardant ce film, je me suis demandé quels étaient les points communs entre le travail extraordinaire de ce professeur et celui des enseignants de lycée. Rien, si ce n’est la matière. Mais, comme l’a très bien expliqué M. Chevènement, ancien ministre de l’éducation nationale et ministre d’État, il ne faut pas réduire le niveau d’exigence.
Si le travail des enseignants n’est pas le même, pourquoi les former de la même manière ? Il me semble que nous devrions avoir le courage d’aborder ce thème, qui mérite réflexion. Cela s’est d’ailleurs fait dans un passé quelque peu ancien. Je pourrais citer un lointain prédécesseur de M. Chevènement, Joseph Fontanet, qui avait imaginé un corps d’enseignants pour le premier cycle. Cette idée n’était nullement dévalorisante, n’impliquait aucun classement hiérarchique, ne connotait aucune différence de dignité ; il s’agissait simplement de tenir compte des réalités.
Par ailleurs, il faut le rappeler, 130 000 à 150 000 jeunes quittent le collège sans qualification et s’engagent dans la vie sans être armés pour l’affronter, tandis que, après le lycée, 80 000 bacheliers n’obtiennent pas de diplôme d’enseignement supérieur, même s’ils ont poursuivi des études.
Pourquoi le lycée, qui est à la charnière entre le collège et l’enseignement supérieur, ne se préoccuperait-il pas de tous ces jeunes, de ceux qui sont sortis du collège sans diplôme, et de ceux qui se sont lancés dans des études supérieures sans succès ? Pourquoi ne pas essayer de trouver des solutions ?
Je pense, par exemple, au dispositif proposé par Jean-Claude Carle, rapporteur du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, et qui l’a fait adopter : les élèves de quinze ans et plus pourront, s’ils ne trouvent pas dans le collège les enseignements qui correspondent à leurs goûts ou à leurs capacités – je n’aime pas ce terme, mais il est commode – être placés en apprentissage tout en restant sous statut scolaire. Je suis persuadé que d’autres formules de ce type pourraient être trouvées.
J’en viens maintenant à l’autonomie des établissements, sur lequel mon propos rejoindra ceux de Mme Mélot et de M. Longuet.
Les mesures annoncées ne pourront être pleinement déployées que si l’on donne aux établissements, et par conséquent au chef d’établissement, à l’organe de gouvernance de l’établissement, la latitude suffisante pour trouver les dispositions, les méthodes, les éléments de souplesse qui permettront de tenir compte des besoins des élèves.
Je suis persuadé qu’il faut avancer dans cette voie de l’autonomie, monsieur le ministre. Le chemin est difficile parce que cette réforme soulève des inquiétudes et que le principe de l’égalité républicaine, auquel je suis attaché, est aussitôt brandi.
Cependant, à partir du moment où le lycée prépare au baccalauréat et où celui-ci reste un diplôme national – nous y tenons ! –, les garde-fous paraissent suffisants pour laisser aux établissements une réelle autonomie dans la préparation de ce diplôme. Certes, je le reconnais, ce principe est contraire à notre tradition, mais il ne s’agit pas de « déstructurer » quoi que ce soit, monsieur Chevènement. Si à l’autonomie est associé un processus d’évaluation constant, cela est possible.
J’en viens à la mise en place des deux heures d’accompagnement, dont vous avez précisé les contours, monsieur le ministre. Je constate avec d’autres intervenants que, depuis quelques années, cet accompagnement tend à tenir compte du besoin des élèves, et c’est fort heureux. Il est ainsi pratiqué dans le primaire, en sixième et même pour certains élèves de seconde.
J’ai noté cependant que l’inspection générale de l’éducation nationale ou quelqu’un comme Philippe Meirieu considèrent que l’accompagnement n’apporte qu’un petit coup de pouce à certains élèves et ne permet pas d’aider ceux qui sont le plus en difficulté. En outre, les enseignants, enserrés dans le carcan des programmes, oublient parfois de faire place à des heures plus individualisées. Avant d’aller plus loin, il est donc nécessaire de procéder à une évaluation des dispositifs existants. Je suis persuadé, monsieur le ministre, que vous avez cette idée présente à l’esprit.
Pour conclure mon propos, je veux dire que la réforme du lycée est une chance à ne pas manquer. Nous sommes pratiquement tous d’accord sur les grandes orientations. La difficulté gît dans les modalités, l’action quotidienne. Or c’est là que se trouvent les solutions.
Monsieur le ministre, nous avons confiance en vous. Votre tâche, vous en êtes également conscient, sera sans doute longue et rude, mais sachez que nous vous soutiendrons. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un grand honneur pour moi d’intervenir sur un sujet aussi vital pour l’avenir de notre pays.
Colonie jusqu’en 1946, la Réunion est, à cette date, devenue département français. De 1946 à 2009, nous avons donc franchi des étapes considérables dans le domaine de l’acquisition des connaissances indispensables à la dignité humaine.
Je saisis l’occasion de ce débat et de l’examen de la réforme du lycée, qui, je le suppose, nous sera bientôt soumise, pour vous dire, monsieur le ministre, que de belles opportunités se présentent à l’outre-mer.
Le 6 novembre, le Président de la République vous invitera à participer à l’Élysée au comité interministériel de l’outre-mer. Le principal sujet qui devrait y être abordé est celui de l’éducation. En effet, aucun développement économique n’est possible sans capacité d’acquérir des connaissances. C’est encore plus vrai pour une société comme la nôtre, qui connaît malheureusement des contraintes très importantes, si nous voulons nous hisser au niveau de la métropole et devenir compétitifs sur le plan européen.
Permettez-moi de faire un rapide état des lieux.
Après une soixantaine d’années de départementalisation, on constate que nos résultats ne sont pas comparables à ceux de la métropole. Ainsi, les tests réalisés en CM2 montrent que 40 % des élèves dans les DOM n’ont pas la moyenne en français, contre 25 % sur le plan national ; en mathématiques, 55 % des élèves n’ont pas la moyenne, contre 35 % sur le plan national. La proportion d’élèves en retard à l’entrée au collège et au lycée est supérieure de 7 à 10 points dans les DOM. De surcroît, le taux d’échec scolaire est largement supérieur à la moyenne nationale et 40 % des élèves quittent le système éducatif sans diplôme et sans maîtriser les connaissances nécessaires, contre 20 % en métropole. Pour couronner le tout, le drame est que, faute d’orientation, les bacheliers s’engouffrent à l’université, où 60 % d’entre eux échouent en première année.
Mais ne nous contentons pas de pleurer, car nous sommes là pour agir. Je veux donc faire quelques suggestions.
Saisissons l’occasion du CIOM du 6 novembre pour invoquer l’article 72, quatrième alinéa, de la Constitution, qui permet de mener des expérimentations. En effet, lorsqu’on veut mener des réformes générales du système d’éducation en France, on se heurte à beaucoup de difficultés. Dès lors, pourquoi ne pas expérimenter de nouvelles méthodes d’éducation dans les départements d’outre-mer si le conseil général, le conseil régional ou le rectorat le demandent ? Aucune expérimentation n’a jamais été conduite à cet égard en métropole ou outre-mer !
Prenons l’exemple du primaire.
Chez nous, comme à la Martinique, à la Guadeloupe ou en Guyane, on parle créole dès la naissance. Quand vous amenez sur le territoire de ces départements des maîtres qui ne parlent pas créole, les enfants qui commencent leur scolarité sont bloqués dans leur expression orale, qui est pourtant la voie royale de l’apprentissage des connaissances.
Je propose donc de régionaliser le contenu de l’enseignement dispensé dans les IUFM d’outre-mer. Je pense aussi qu’il faudra avoir l’audace de régionaliser le recrutement dans les IUFM, non pas en fonction de l’origine ou de la couleur de la peau, mais en s’appuyant sur des tests professionnels permettant de savoir si telle ou telle personne maîtrise la langue locale, qui fait évidemment partie de la culture locale. Ainsi, la transmission pourra avoir lieu.
Comme nous l’avons dit lors du débat sur la situation des départements d’outre-mer, cette mesure représenterait en outre un débouché pour des milliers de jeunes diplômés qui sont aujourd’hui au chômage, car, au concours d’entrée à l’IUFM, ils sont confrontés à la concurrence de gens venant de métropole et beaucoup plus diplômés qu’eux.
Il faudrait également expérimenter outre-mer – ce ne serait sans doute pas moins nécessaire dans certains départements métropolitains – un encadrement plus rapproché dans le primaire, de telle manière que les élèves qui entrent en sixième maîtrisent les trois acquis essentiels : compter, lire et écrire.
Car le chiffre est faramineux : plus de 30 % des élèves arrivent en sixième sans savoir lire, écrire, compter ou parler français ! Que voulez-vous qu’ils fassent au collège ? À quoi bon leur apprendre l’anglais ou l’algèbre s’ils ne savent même pas lire ? On leur fait lire des livres qu’ils ne peuvent pas même déchiffrer !
Un élève que je suis allé voir à la suite d’un conflit avec un professeur, que ses camarades et lui avaient même frappé, m’a déclaré : « Ma tête a bloqué. Je ne comprends plus rien au collège, et je ne sais pas ce que je fais à l’école. J’ai l’impression d’être en prison ! » D’où sa réaction violente, que, en fin de compte, j’ai comprise. Il a ajouté que, si on lui apprenait un métier, il se sentirait capable de suivre cet enseignement.
Monsieur le ministre, j’ai entendu plusieurs sénateurs, de tous les groupes, dire que l’on ne peut pas faire la réforme du lycée sans faire celle du collège. Or vous ne pourrez probablement pas réformer le collège dans toute la France. Par conséquent, menez l’expérimentation chez nous ! Nous sommes demandeurs, et je sais que d’autres départements français le sont aussi.
Je pense que le collège unique a vécu. Il faut aller vers un collège à plusieurs sections. Car nous n’avons pas tous les mêmes capacités ni le même parcours ; nous ne venons pas tous des mêmes milieux sociaux, nous n’avons pas tous la chance d’avoir des parents instruits, sans compter que certains sont doués pour être boulanger, d’autres pour être maçon ou électronicien. C’est donc à partir de la classe de quatrième qu’il faut consolider l’orientation. J’appelle cela le collège de la vocation, et je suis prêt à en discuter avec vous.
De grâce, obtenez que les départements d’outre-mer qui le souhaitent puissent expérimenter des systèmes d’éducation plus performants, mieux adaptés à la sociologie locale, à la culture locale et à la volonté des élèves. Réformez le primaire pour favoriser la maîtrise des acquis, réformez le collège en trois sections pour l’ouvrir au monde du travail.
Concernant la réforme du lycée, je voudrais faire quelques suggestions qui m’ont été inspirées par mes amis enseignants à la Réunion.
La classe de seconde doit conserver un enseignement général et un programme commun à toutes les classes. Le module de découverte, que prévoyait la réforme de votre prédécesseur, devrait être réintroduit, car il permet une ouverture sur le monde.
La classe de première devrait également conserver un tronc commun d’enseignement. Il n’est pas normal que, à la fin de la seconde, les élèves ne puissent plus passer d’une série à l’autre. C’est un moyen de valoriser la filière littéraire, comme le prône le chef de l’État. C’est ensuite, en terminale, que les acquis seront renforcés et que les élèves se spécialiseront.
Pour conclure, je voudrais réitérer ma principale demande, monsieur le ministre : autorisez les départements d’outre-mer qui le souhaitent à expérimenter, dans le cadre des lois de la République, un système d’éducation mieux adapté au contexte local. L’argent public serait ainsi mieux utilisé et les enseignants, qui accomplissent un travail remarquable – je tiens à le dire à cette tribune –, seraient davantage mobilisés.
Lorsque nous aurons conduit vers la connaissance des générations entières de jeunes, qui forment un atout pour le développement des DOM, de la France et de l’Europe, nous aurons avancé dans la voie de la dignité et de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être parmi vous cet après-midi. Il était en effet important, quelques jours après que le Président de la République eut exposé les grandes orientations de la réforme du lycée, que la représentation nationale s’exprime, d’autant que, je m’empresse de l’indiquer à M. Virapoullé, il n’y aura pas de texte de nature législative sur ce sujet.
Je remercie donc M. Legendre et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a déjà eu l’occasion de m’auditionner à deux reprises depuis mon entrée en fonction à la fin du mois de juin, d’avoir organisé ce débat. Croyez bien que, au moment de la finalisation de la réforme du lycée, nous prendrons en considération les propositions constructives que viennent de faire les différents intervenants.
Il y a quelques jours, j’ai eu l’honneur de conduire la délégation française à la conférence générale de l’UNESCO. À cette occasion, j’ai rappelé que le monde n’avait sans doute jamais eu autant besoin d’éducation.
Dans les pays émergents, l’éducation est la meilleure réponse pour réduire les inégalités, pour lutter contre la misère, mais aussi contre les totalitarismes, par l’apprentissage de la liberté.
Quant au monde développé, il n’a jamais eu autant besoin d’éducation. Dans la crise mondiale que nous traversons aujourd’hui, la meilleure réponse pour nos jeunes est l’investissement dans l’avenir, dans l’éducation.
Dans cette crise économique d’une violence inouïe, le diplôme est la meilleure arme anti-chômage, comme en témoignent les statistiques de l’emploi. En effet, un jeune diplômé a cinq fois plus de chances de trouver un emploi qu’un jeune du même âge ayant quitté le système éducatif sans diplôme.
La réforme du lycée est donc le moyen de moderniser et d’adapter notre système éducatif aux défis d’aujourd’hui.
Pourquoi réformer le lycée ? Le lycée est sans doute l’un des piliers de notre système éducatif, dont nous partageons tous les valeurs ; nous les avons d’ailleurs en héritage. Le lycée incarne parfaitement les valeurs de la République : l’égalité des chances, l’accès au savoir pour tous, la récompense du mérite, la capacité de sélectionner l’élite républicaine, plusieurs d’entre vous l’ont souligné, mais aussi la possibilité pour chacun de trouver une solution à la fin des études secondaires ; j’y reviendrai.
Notre volonté n’est pas de faire table rase du passé. Comme l’a très bien dit M. le président de la commission de la culture, le lycée n’est pas en perdition. Depuis que le général de Gaulle a rendu l’instruction obligatoire jusqu’à seize ans, en 1959, depuis que le collège unique a été mis en place, au milieu des années soixante-dix, le lycée a ouvert grand ses portes : il accueille aujourd’hui toute la jeunesse de France. Vous avez été nombreux à le rappeler, nous sommes passés en un peu plus d’une génération de 25 % d’une classe d’âge obtenant le baccalauréat à 65 % aujourd’hui. C’est une véritable prouesse !
De la même manière, je ne pratique pas l’autoflagellation permanente sur l’évaluation de notre système éducatif. Nous n’avons pas à rougir collectivement du niveau moyen de nos élèves qui quittent le système secondaire par rapport à celui de leurs camarades du même âge des grands pays développés ; nous n’avons pas à rougir du système éducatif français.
M. Jean-Pierre Chevènement soulignait tout à l’heure, à juste titre, que le lycée ne fonctionnait pas si mal. Je me permets d’ajouter que le lycée fonctionne bien aujourd'hui pour les bons élèves, pour ceux qui savent faire les bons choix. Pour les autres, nous devons collectivement nous interroger. C’est la démarche qui a été retenue par le Gouvernement et qui a sous-tendu le travail mené par Richard Descoings, à la demande du Président de la République.
Nous devons nous poser un certain nombre de questions. Plusieurs d’entre vous l’ont souligné, 80 000 jeunes échouent à la fin de la première année d’université, soit un étudiant sur deux ! Sans doute faut-il progresser dans la capacité d’orienter ces jeunes, leur permettre de trouver leur voie en matière d’enseignement supérieur, mais aussi les y préparer. Le fossé qui existe entre les méthodes d’enseignement du lycée et celles qui sont pratiquées dans l’enseignement supérieur est sans doute trop important.
De surcroît, 50 000 lycéens quittent chaque année le système éducatif sans aller jusqu’au baccalauréat, auxquels il convient d’ajouter tous ceux qui l’ont déjà quitté à la fin du collège. Nous laissons ainsi chaque année 120 000 jeunes au bord du chemin, sans diplôme, en sachant pertinemment qu’ils auront cinq fois moins de chances de trouver un emploi que les autres. C’est ainsi que, aujourd'hui, globalement, le taux de chômage de notre jeunesse s’élève à 22 %, soit l’un des taux les plus élevés au sein des pays développés.
Je voudrais aborder un dernier élément concernant notre appréciation du lycée.
J’évoquais notre modèle républicain, l’égalité des chances, l’accès au savoir pour tous. Le lycée permet-il l’accès au savoir pour tous quand on sait qu’un enfant d’ouvrier qui entre en seconde a cinq fois moins de chances qu’un enfant de cadre d’accéder trois ans plus tard à une classe préparatoire ? La répartition sociologique des élèves de sixième, qui correspond globalement à la sociologie française, est la suivante : 16 % d’enfants de cadres et 55 % d’enfants d’employés et d’ouvriers. Elle est exactement inverse en première année d’université, à savoir 55 % d’enfants de cadres et 16 % d’enfants d’ouvriers et d’employés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, une telle situation justifie les mesures que nous vous proposons aujourd’hui et qui ont pour objectif, je le répète, non pas de tout chambouler au lycée, mais de nous appuyer sur ce qui fonctionne bien pour remédier en profondeur aux faiblesses de notre système de second degré au sein de l’éducation nationale.
Pour identifier les mesures à prendre, nous avons entamé une longue concertation. M. Richard Descoings a lui-même organisé la concertation au sein des communautés éducatives dans plus de 70 lycées. Au total, la concertation a été réalisée dans plus de 1 000 établissements par les rectorats, associant les enseignants, les élèves, les parents d’élèves.
Nous avons ainsi pu repérer les grands points qui appellent une amélioration et qui nécessitent une véritable mobilisation de notre part. Ces différents points constituent les orientations que le Président de la République a eu l’occasion d’évoquer voilà quelques jours.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur Gouteyron, nous aurons à en définir les modalités dans les semaines qui viennent ; cela aussi fait partie de la méthode du Gouvernement. Nous aurions pu vous proposer une réforme clé en main, ficelée de A à Z. Nous avons préféré commencer par une large concertation, de plusieurs mois. Nous proposons aujourd’hui des orientations avec un cap, une philosophie et un certain parti pris, je vous l’accorde, mais nous laissons une marge de discussion avec nos différents partenaires, pour tenir compte des dialogues qui vont se poursuivre jusqu’à la mi-décembre, au moment où je réunirai le Conseil supérieur de l’éducation.
Durant cette période, je mènerai des concertations avec les organisations syndicales à l’échelon national. Parallèlement, j’ai engagé un tour de France des académies. À cette occasion, je réunis nos cadres, les proviseurs et les chefs d’établissement, dont vous avez été plusieurs à souligner l’importante place qu’ils doivent occuper dans cette réforme et dans le lycée de demain. C’est également l’occasion pour moi d’avoir des échanges, au sein des lycées, avec les lycéens, les parents d’élèves et les enseignants.
Je reviens à présent sur les différents axes de cette réforme, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui me permettra de répondre à vos questions.
Le premier axe est l’orientation.
Aujourd’hui, notre système d’orientation est souvent vécu comme subi par les élèves. Il est perçu comme un couperet, une épreuve par les familles et la jeunesse. À quatorze ans, on n’a pas forcément une vocation pour la vie. À un âge où la jeunesse se pose bon nombre de questions sur elle-même, sur le sens de la vie, le fait de se projeter dans le monde adulte et de décider, une fois pour toutes, de s’engager dans une filière ou une série est souvent vécu comme une épreuve. Or c’est notre système actuel.
Nous voulons évoluer vers un système beaucoup plus progressif et réversible. Pourquoi ? Parce qu’on peut être un élève médiocre, à quatorze ou quinze ans, au lycée et s’accomplir dans des études supérieures, à dix-neuf ans, ou dans un projet professionnel, à vingt-deux ans. Toute la difficulté – et la grandeur – de notre système éducatif est d’être capable de détecter chez un élève la qualité, le talent, la vocation, la motivation pour l’orienter vers la filière où il trouvera sa voie et, sans doute, son insertion professionnelle.
Pour cela, nous allons agir à plusieurs niveaux. Les corrections de trajectoire seront dorénavant possibles, le droit à l’erreur sera reconnu. Si un élève de première S s’aperçoit à Noël qu’il a du mal à suivre, quelle est aujourd’hui la réponse du système éducatif ? Il ne peut que constater progressivement son échec, ce qui se traduira éventuellement par un redoublement.
J’ouvre ici une parenthèse : 40 % des élèves qui présentent le baccalauréat ont redoublé au moins une fois. Est-ce un gage d’efficacité de notre système éducatif ? Je ne suis pas opposé au redoublement, mais celui-ci doit, selon moi, constituer l’exception. Il est trop souvent vécu comme un échec par les élèves et il ne permet pas une remise en selle, une réorientation, puis une meilleure insertion de l’élève dans une voie qui corresponde à ses aspirations.
Nous allons donc rendre possibles les changements de série, mais de façon très encadrée. Nous n’allons pas passer à un système de lycée à la carte, de lycée zapping ! Les conseils de classe proposeront les changements éventuels de série, qui seront facilités par une harmonisation des cours, avec des disciplines communes aux différentes séries, et par la mise en place de stages de remise à niveau, de stages passerelles pour rattraper les heures de cours de spécialisation qui n’auront pas été effectuées. C’est une première réponse pour un système plus progressif en matière d’orientation.
Vous avez été plusieurs à évoquer avec force la diversification des voies d’excellence : le président Legendre, mais aussi M. Jean-Claude Carle, qui a fait part de sa conviction à cet égard lorsqu’il était rapporteur du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, ou Mme Morin-Desailly.
Aujourd’hui, le système français a ceci d’absurde que, hors du lycée général, point de salut et, au sein du lycée général, hors de la série S, point de salut ! Nous avons institutionnalisé une voie unique menant à l’excellence. Or je suis profondément convaincu que plusieurs chemins permettent d’y accéder.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Luc Chatel, ministre. Rendons-le simplement possible ! Organisons des filières différentes. Ne cassons pas la filière scientifique qui fonctionne, vous avez raison de le souligner, monsieur Chevènement. Pour autant, est-il véritablement légitime et cohérent que 25 % des élèves qui arrivent à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm soient issus de la série scientifique ? On peut en douter…
Construisons, à côté de la série scientifique, des voies parallèles menant à l’excellence, revalorisons la filière littéraire en y incorporant davantage de langues, des apprentissages disciplinaires qui permettront des débouchés nouveaux vers l’enseignement supérieur, construisons de véritables parcours d’excellence.
Vous avez été nombreux à évoquer la filière industrielle, avec des débouchés en BTS, en classes préparatoires.
Si je souhaite revaloriser la filière STI, c’est parce que je me suis rendu compte, lorsque j’étais secrétaire d’État à l’industrie, que les entreprises allaient devoir recruter à tous niveaux de qualification dans les années qui viennent. Nous manquons d’ingénieurs, d’élèves de niveau bac + 2 et bac + 3, mais aussi de titulaires de baccalauréat professionnel dans les secteurs de l’industrie. Nous allons donc revaloriser la filière STI, c’est-à-dire adapter les programmes au monde d’aujourd’hui. Nous ne travaillons plus sur les mêmes machines qu’il y a vingt ans. Or les programmes actuels datent de cette période.
Il faut créer des passerelles au sein de la filière STI, permettre une certaine fluidité et créer des parcours d’excellence. Ainsi, aujourd'hui, l’obtention d’un bac pro avec mention permet d’accéder au BTS. Ce type de parcours pourrait être développé afin d’offrir des perspectives aux élèves. Nous souhaitons développer les classes préparatoires pour les élèves des filières technologiques, comme il existe des classes préparatoires spécialisées et professionnelles. Parce qu’il n’y a pas qu’un seul chemin qui mène à l’excellence, nous souhaitons diversifier les voies qui y conduisent et ainsi mieux orienter les jeunes.
Je reviens à la question de l’orientation. Celle-ci est aujourd'hui l’un des moments de la vie des élèves où les inégalités sociales sont le plus criantes.
Vos enfants, mesdames, messieurs les sénateurs, mes enfants, comme ceux d’une certaine catégorie de la population, ont eu, ont ou auront la chance d’être accompagnés pendant leur parcours d’orientation, ce qui leur permettra de dédramatiser ce que de trop nombreux élèves vivent comme une épreuve.