Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est aux orateurs des groupes.
La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Paul Virapoullé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est un grand moment puisque nous parlons cet après-midi de l’outre-mer.
Le présent débat, qui intervient après les événements qui ont eu lieu aux Antilles et le vote de la loi pour le développement économique de l’outre mer, la LODEOM, texte très important, marque un instant solennel, car il permettra d’éclairer le conseil interministériel que va présider le chef de l’État, Nicolas Sarkozy, le 6 novembre prochain, et qui sera consacré uniquement à l’outre-mer, événement sans précédent dans ma carrière de parlementaire.
C’est dire que le débat doit être dépassionné, tout en nous permettant d’exprimer des convictions fortes et d’énoncer un certain nombre d’orientations qui faciliteront la tenue de ce comité interministériel. Celui-ci fixera un cap s’agissant des objectifs et des actions que nous préconisons pour l’outre-mer français dans les années qui viennent.
Quelles sont les conditions pour réussir le développement de l’outre-mer ? Comme l’ont indiqué le président et le rapporteur de la mission commune, un quasi-consensus a pu être trouvé sur les orientations qui ont été définies.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de ma conviction profonde : la situation actuelle de l’outre-mer requiert une bonne gouvernance alliant décentralisation et déconcentration, parce que l’État n’est plus en position d’être l’interlocuteur des collectivités locales et des pays environnants.
Notre principal atout, ce sont non pas l’océan ou la forêt, mais notre jeunesse, qui doit être éduquée, instruite, formée, qualifiée. Ce n’est pas le cas aujourd'hui ! Madame la secrétaire d'État, nous devons tous – nous, élus des DOM, vous, pouvoir central, eux, pouvoir communautaire – avoir le courage de lever les verrous qui bloquent l’économie des départements d’outre-mer. Sinon, comme on le dit chez nous, vous verserez de l’eau dans un tonneau percé : les flux financiers continueront à être captés par les récupérateurs habituels – ce sont les mêmes que du temps des colonies –, le peuple sera réduit au rôle de spectateur et le développement ne sera pas au rendez-vous.
L’outre-mer ne pourra pas se développer sans révolution culturelle. Passer d’une économie de substitution, dans laquelle le marché intérieur est alimenté par les importations, à une économie d’exportation suppose un savoir-faire, une discipline de production et une compétitivité dont nous sommes actuellement dépourvus. Nous devons nous donner les moyens d’évoluer à cet égard.
Cela étant, nous voulons une bonne gouvernance de l’outre-mer et, comme toujours, nous commençons par la réforme statutaire. Le contexte actuel, issu des réformes constitutionnelles que nous avons récemment votées, n’est pas le même que celui des années soixante, quatre-vingt – avec les lois Defferre –, ou même deux mille. Mes chers collègues, essayons de mesurer le chemin parcouru ! La décentralisation a confié aux collectivités locales des masses de crédits et de responsabilités qui feraient pâlir d’envie les assemblées autonomes de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie. Regardez les crédits qui ont été décentralisés au niveau des conseils généraux et régionaux ! Regardez les fonds structurels européens ! Quand les DOM touchent quelque 300 euros par habitant, les TOM ne perçoivent que 8 euros par habitant. L’autonomie accorde moins en matière de solidarité que le statut dont nous bénéficions.
Au cours des auditions menées par la mission, nous avons entendu des défenseurs acharnés de l’autonomie insister sur la nécessité de « respirer », de procéder à des adaptations locales ou à des changements de normes pour répondre aux impératifs du marché et de la coopération et aux contraintes locales. Certes, mais qui nous en empêche ? Nous avons plusieurs outils à notre disposition dans la Constitution !
Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, l’article 73 permet aux Antilles et à la Guyane de procéder, par habilitation, à des adaptations locales de pans entiers de notre législation.
M. Claude Lise. C’est virtuel !
M. Jean-Paul Virapoullé. C’est virtuel parce qu’il est très difficile de déplacer la source du droit du niveau national au niveau local, et ce pour deux raisons.
Premièrement, les contraintes communautaires sont très lourdes : 70 % des normes nationales sont issues des directives communautaires.
Deuxièmement, l’article 48 de la Constitution prévoit désormais que l’ordre du jour est partagé entre le Gouvernement et le Parlement. Dans ce contexte apaisé, pourquoi n’utiliserions-nous pas la possibilité qui nous est offerte par cet article pour examiner, au moins une fois par session, une loi de « respiration législative » qui, sans déplacer la source du droit, règlerait les problèmes – je pense en particulier aux difficultés d’application de la LOTI – et donnerait aux collectivités locales et aux acteurs économiques locaux les moyens de travailler et de se développer ?
Lorsque les justes revendications d’autonomie ont été exprimées, nous n’avions pas les outils constitutionnels dont nous disposons aujourd'hui à la fois sur le plan national, avec les articles 48 et 72-4 de la Constitution, et sur le plan communautaire.
Madame la secrétaire d'État, puisque vous inaugurez une ère nouvelle de travail en commun, j’aimerais que nous fassions preuve d’audace, car il en faut pour réussir !
En matière d’éducation, il convient d’expérimenter de nouvelles méthodes d’apprentissage du français outre-mer, afin de rendre possible la transition du créole au français, de permettre au collège de mieux répondre aux attentes et de faire en sorte que l’orientation au lycée ne se solde pas, là-bas comme ici, d’ailleurs, par un échec.
Au lieu de nous « embringuer » dans des réformes institutionnelles compliquées, je suis partisan – c’est ma conviction personnelle et je suis intervenu aujourd'hui pour la partager avec vous – d’utiliser les outils constitutionnels existants, les articles 48 et 72-4, pour, je le répète, prévoir des lois de « respiration législative » dont nous pourrions discuter tranquillement au sein de l’intergroupe parlementaire de l’outre-mer, voire peut-être d’un intergroupe au Sénat, afin de porter ces réformes sur les fonts baptismaux. Déplacer la source du droit est, à mon sens, dangereux.
Sur le plan communautaire, je suis beaucoup plus armé que vous ne le croyez ! Pour préparer notre débat, j’ai relu l’article 349 du traité de Lisbonne, qui correspond à l’ancien article 299-2. C’est un chef-d’œuvre que personne n’utilise !
Les vingt-sept États européens nous autorisent, en raison de notre situation géographique, lointaine et pour le moins compliquée, conjuguée à notre petite taille, à prendre des dérogations dans de nombreux domaines, notamment pour les politiques douanières. Eh bien ! dérogeons. Cessons de nous faire des cheveux blancs avec l’octroi de mer et préparons un argumentaire pour son maintien !
Il faut arrêter de raconter n’importe quoi ! Nous pouvons créer des zones de coopération économique, conduire une politique fiscale particulière, prévoir des dérogations pour l’agriculture et la pêche. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vais pas énumérer tous les domaines dans lesquels il est possible d’obtenir des dérogations grâce à cet article du traité, mais je vous prie de croire que nous disposons là d’un instrument de modernisation de l’économie de l’outre-mer.
Les Martiniquais consomment 16 000 tonnes de poisson et ils n’ont le droit de construire des bateaux que pour en pêcher 10 000 tonnes, car la politique de pêche de l’Atlantique Nord est appliquée aux Caraïbes ! Ce n’est pas un contresens, c’est un non-sens…,
M. Alain Gournac. C’est incroyable !
M. Jean-Paul Virapoullé. …qui pourrait être corrigé par l’article susmentionné du traité, inutilisé en l’espèce, tout comme à la Guyane et à la Réunion.
Dans ces conditions, encore une fois, plutôt que de se lancer dans des réformes institutionnelles compliquées, mieux vaut utiliser les outils dont nous disposons aujourd’hui. À la Réunion, nous l’avons compris, et j’ai eu l’honneur, avec le soutien de M. Chirac, alors Président de la République, de faire graver dans le marbre de la Constitution que le département et la région de la Réunion ne sont pas concernés par l’habilitation des adaptations législatives et que leur destin institutionnel est lié aux réformes menées en métropole. Pour toucher à la Réunion, il faudrait engager une réforme constitutionnelle : je vous souhaite bien du plaisir !
Mes chers collègues, je voudrais vous proposer trois chantiers.
Le premier concerne l’éducation. Je ne développe pas ce point : nous aurons l’occasion de parler demain de la réforme des lycées et de revenir sur ce chantier dans les mois qui viennent.
Le deuxième chantier consiste à lever les verrous qui bloquent le développement économique. Sur le fret, j’oserai dire que nous avons été menés en bateau ! (Sourires.) On nous a fait croire que le fait d’apporter un container aux Antilles était un exploit maritime. Après vérification, on s’est aperçu que ce n’étaient que de grossiers mensonges.
Le Gouvernement a eu le courage de demander une expertise sur la formation des prix dans les grandes surfaces : allons jusqu’au bout ! Mes chers collègues, pouvez-vous m’expliquer pourquoi les prix dans les DOM sont de 56 % à 70 % supérieurs à ceux de la métropole alors que le niveau de vie y est inférieur ? On pousse les gens à la révolte !
M. Christian Cointat. Absolument !
M. Jean-Paul Virapoullé. Il faut que le Gouvernement et le Président de la République, qui a pris la responsabilité de présider un conseil interministériel, disent avec force que rien ne doit justifier des rentes illicites, une économie de comptoir qui exploite les domiens, et des coûts de fret injustifiés.
Avec la Constitution, la LODEOM et les règles communautaires, nous avons les moyens de nous approvisionner là-bas dans les mêmes conditions qu’ici. Le transport ne compte plus énormément dans le coût d’un produit ; la mondialisation en est la preuve.
Alors que la fabrication d’un produit est désormais fragmentée de la Chine à New-York, comment se fait-il que, pour nous, l’approvisionnement intègre encore les coûts de la marine à voile ?
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Jean-Paul Virapoullé. J’en viens au troisième chantier que je souhaite vous proposer. On ne vote pas une loi sans en tirer les conséquences. Pour la LODEOM, un dispositif stratégique a été mis en place : il concerne la recherche-développement, le tourisme, les technologies de l’information et de la communication, l’agronutrition, l’environnement et les énergies renouvelables. Nous avons là le socle d’un modèle de développement.
Mes chers collègues, avec le travail de la mission, celui des états généraux, avec la volonté politique qui est la nôtre, j’espère que, le 6 novembre prochain, le chef de l’État tirera de tous ces travaux la quintessence qui convient. L’outre-mer ne peut continuer, en 2009, à vivre au rythme d’une économie de comptoir : il est temps de franchir la dernière étape de la décolonisation. Il faudra du courage, mais cela conduira à une bonne utilisation de l’argent public et à un développement, au service de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Christian Cointat. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que de propos contradictoires entend-on, d’année en année…
La durée et, parfois, la violence des événements ayant secoué les DOM ont révélé l’ampleur du malaise qui affecte nos économies, les classes les plus défavorisées, ainsi que les catégories sociales insérées dans le monde du travail et, ce qui est plus récent, les couches moyennes.
Deux constats sont aujourd’hui unanimement partagés, portant l’un sur la gravité de la crise, l’autre sur l’inefficacité des réponses apportées jusqu’à présent. Cette évidence est également admise par le chef de l’État, qui a donc proposé la tenue d’états généraux de l’outre-mer, et par le Gouvernement, qui les a mis en œuvre.
Notre assemblée, pour sa part, a eu raison d’organiser une mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer. Elle l’a fait au moment opportun, ce qui est tout à son honneur. Je tiens à dire que j’ai été honorée d’en faire partie. Je veux souligner ici la qualité du travail accompli par l’ensemble des membres de la mission, en particulier son président, Serge Larcher, et son rapporteur, Éric Doligé.
En ce qui me concerne, je me suis efforcée d’apporter ma modeste contribution, d’une part en tant que membre de la mission, d’autre part dans le cadre des états généraux, au nom de ma formation politique. Nous ne pouvons pas dissocier ces deux rendez-vous, puisqu’ils ont été décidés concomitamment à la suite des événements ultramarins.
Préalablement, rappelons la gravité de la crise, notamment à la Réunion.
En effet, le chômage ne cesse de croître. Chaque jour, des pertes d’emplois viennent ajouter à l’important chômage structurel que nous connaissions déjà. Cette situation est encore aggravée par la fin d’une série de grands travaux et par la rupture qui, du fait d’obstacles juridiques volontairement accumulés, interdit aujourd’hui que le relais soit pris par d’autres grands chantiers, pourtant entièrement financés.
Sachez-le, 52 % des Réunionnais vivent avec un revenu inférieur à 817 euros mensuels, soit le seuil de pauvreté en métropole, 30 000 demandes de logement restent insatisfaites au moment même où les mises en chantier s’effondrent, 900 liquidations d’entreprise, dont 350 dans le secteur du BTP, ont été recensées par la chambre de métiers au cours des huit premiers mois de 2009. Par ailleurs, le nombre d’illettrés, estimé à 120 000, ne décroît pas.
Pour toutes ces raisons, nous proposons des mesures immédiates en termes de créations d’emplois, de réalisation de logements et d’amélioration du niveau de vie, pour répondre aux attentes des plus démunis.
Ainsi, la création de deux grands services, dédiés l’un au traitement des risques environnementaux et à la sauvegarde de la biodiversité, l’autre à l’aide à la personne – qu’il s’agisse des personnes âgées, des handicapés ou de la petite enfance –, serait, selon nous, une piste à suivre en vue de la création rapide de milliers d’emplois. En outre, la mise en place d’un plan d’urgence de construction de logements doit être une priorité.
Concernant l’amélioration du niveau de vie, les conclusions de l’atelier des états généraux sur les prix ainsi que les propositions de la mission parlementaire doivent être mises en œuvre. Néanmoins, nous n’atteindrons une baisse significative et durable des prix des marchandises que lorsque nous nous orienterons résolument vers des échanges Sud-Sud en nous approvisionnant au plus près et en rompant avec le colbertisme qui a toujours marqué nos échanges commerciaux.
Les revenus conditionnent eux aussi le niveau de vie. Or, le fait que les bas revenus, les revenus indexés, les minima sociaux soient largement répandus dans les DOM montre que nous ne bénéficions pas d’une politique harmonieuse des revenus, ce qui est incompatible avec un projet de développement durable. À cet égard, la mission du Sénat apporte une contribution s’agissant des revenus dans la fonction publique. Il serait intéressant, madame la secrétaire d’État, que les états généraux se positionnent sur cette question.
Outre ces mesures immédiates que j’ai rapidement énumérées, nous devons nous mettre à même de relever les grands défis du monde, tels qu’ils se posent à nous : les changements climatiques et leurs conséquences, la crise énergétique, la crise alimentaire, la globalisation des échanges commerciaux, la crise économique et financière, la progression démographique, etc. Il nous faut inventer un type de développement créateur de richesses et d’emplois, respectant notre environnement et notre identité culturelle.
C’est la raison pour laquelle nous prônons un projet tendant notamment à nous assurer l’autonomie énergétique à l’horizon de 2025. Cette proposition rejoint d’ailleurs les ambitions de l’État exprimées dans le projet GERRI et le projet « Île verte » de la Réunion économique. Nous devons aussi viser l’autosuffisance et la sécurité alimentaires, en coopération avec nos voisins.
La politique de grands travaux – route du littoral, prolongement de la route des Tamarins vers le Sud, tram-train, etc. – doit aboutir sans tarder. Outre qu’elle répond aux exigences en matière de déplacements et d’aménagement du territoire, elle représente un gisement d’emplois considérable dans le secteur des travaux publics et du bâtiment. Rappelons que la construction de la route des Tamarins a représenté plus de 3 000 emplois directs et indirects. La fin de ce chantier, liée à d’autres considérations, fait que le secteur du BTP connaît désormais une grave crise.
Par ailleurs, un projet de développement durable doit comporter une dimension identitaire. À cet égard, je me réjouis que, dans leur synthèse, les états généraux aient retenu, pour la Réunion, le projet de la MCUR, la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, tant combattu chez nous. À ce propos, permettez-moi de dire à quel point je suis fière que, depuis le 1er octobre 2009, l’UNESCO ait inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité notre maloya, cette musique, cette danse des esclaves que j’aimerais enfin voir enseignée dans nos écoles.
Nos économies traditionnelles se trouvant en crise ou menacées – je pense notamment à l’échéance de 2014 pour le règlement communautaire du sucre et de la banane, au maintien ou pas des aides européennes à leur niveau actuel, au devenir de l’octroi de mer –, il nous faut nous orienter résolument vers ce qu’il est convenu d’appeler l’économie de la connaissance dans les domaines des énergies renouvelables, de la santé, de la formation, du numérique, de l’ingénierie des services aux entreprises et à l’administration, qui doivent devenir pour nous des pôles d’excellence. Telles doivent être nos priorités pour faire face à la crise et aux accords de partenariat économique que l’Union européenne est en train de passer avec les pays ACP voisins de la Réunion.
À ce stade de la discussion, nous devons évoquer les difficultés des collectivités, dont la situation financière s’avère de plus en plus tendue. Les préconisations conjointes de la région et du département de la Réunion dans leur contribution aux états généraux sont à retenir : « Innover, faire émerger de nouvelles ressources et mieux utiliser les ressources existantes est absolument nécessaire. La réflexion doit porter notamment sur les possibilités de taxation des plus-values foncières et des jeux de hasard, sur l’adaptation d’une “fiscalité verte” à la situation locale. »
Faire des propositions pour sortir chacun de nos DOM de la crise et pour mettre ceux-ci sur la voie du développement durable, du développement endogène, c’est appeler à la responsabilité. Chacun, chacune doit apporter sa contribution : c’est ce que je fais présentement.
Dès lors qu’un projet est arrêté collectivement, se pose la question de sa mise en œuvre, autrement dit de la gouvernance. Que faut-il proposer pour que les Réunionnais mettent en application eux-mêmes un plan qu’ils ont eux-mêmes élaboré ? À cette question, deux réponses sont possibles.
Soit on ne propose rien, et l’on s’en remet aux décisions que prendront les métropolitains pour les régions et les départements de métropole. Ce repli sur ce que l’on appelle, sans connaître exactement son contenu, le droit commun – tout en exigeant d’ailleurs des dérogations multiples qui vident cette notion de son sens – ne peut s’interpréter que comme un refus de prendre ses responsabilités.
M. Jean-Paul Virapoullé. Non !
Mme Gélita Hoarau. Or, refuser de prendre ses responsabilités, c’est inciter d’autres acteurs à le faire à notre place.
Soit, au contraire, nous nous saisissons de l’occasion qui nous est offerte par ces états généraux pour tout mettre à plat et discuter entre nous sans tabous, comme disait M. le Président de la République, sans arrière-pensées, des moyens à mettre en place pour accomplir ensemble une tâche qui me paraît exaltante, à savoir le développement durable de la Réunion.
C’est cette seconde solution que j’aurais préférée. C’est ainsi que nous apporterons à la France toute une palette de richesses, tant économiques que culturelles ou sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion ont connu, au début de l’année, une agitation sociale exceptionnelle. Cette crise aiguë est révélatrice du malaise, parfois du sentiment d’abandon, que ressentent nos compatriotes habitant outre-mer.
C’est dans ce contexte que, sur l’initiative de M. Gérard Larcher, le Sénat a décidé la constitution d’une mission commune d’information sur la situation des DOM, composée de trente-six sénateurs et – fait unique – des présidents des groupes politiques ès qualité.
Après trois mois particulièrement intenses consacrés à des auditions, à des rencontres et à des déplacements, elle a rendu ses conclusions au début du mois de juillet. Le large consensus qui s’est dégagé à cette occasion met en évidence, s’il en était besoin, l’implication et l’impressionnant travail de Serge Larcher, son président, et d’Éric Doligé, son rapporteur. Je tiens à les remercier vivement d’avoir permis que notre mission d’information puisse travailler dans d’aussi bonnes conditions et présenter un rapport à ce point pertinent et dense.
Notre mission d’information a adopté « 100 propositions pour fonder l’avenir », propositions qui, je le crois, peuvent largement répondre à une priorité : l’urgence sociale.
Cette urgence sociale, dont tout le monde parle mais que nous vivons, nous, sur le terrain, dans nos familles, parmi nos amis, s’est révélée au début de l’année avec la question des prix, qui a été l’étincelle du conflit.
Notre mission d’information, qui évoque longuement cette question dans son rapport, a procédé, dans chacun des quatre DOM, à un relevé de prix sur une cinquantaine de produits de consommation courante. Elle a conclu que l’écart de prix entre les DOM et la métropole est réel : par exemple, le prix d’un jus d’orange importé est quatre fois plus élevé à la Réunion qu’en métropole, et celui d’un chocolat en poudre de marque y est de 42 % supérieur.
M. Jean-Paul Virapoullé. Et voilà !
Mme Anne-Marie Payet. L’écart est également important pour les produits d’entretien : le prix de l’eau de Javel est ainsi quatre fois plus élevé à la Réunion qu’en métropole.
Au-delà des produits de grande consommation, le même constat est valable pour beaucoup d’autres secteurs économiques essentiels. Je me suis d’ailleurs déjà fait l’écho, dans cette assemblée, des pratiques peu concurrentielles en vigueur dans les secteurs bancaire, aérien ou des carburants.
À la demande du secrétaire d’État à l’outre-mer, l’Autorité de la concurrence a rendu, début septembre, un avis relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les DOM. Cet avis précise tout d’abord que, entre 1998 et 2008, les évolutions de l’indice général des prix à la consommation sont plus rapides en Martinique et à la Réunion que sur le reste du territoire national. De plus, les relevés de prix effectués à cette occasion montrent que, à la Réunion, les prix sont supérieurs de 55 % à ceux qui sont observés en métropole pour plus de la moitié des produits.
M. Jean-Paul Virapoullé. C’est un scandale !
Mme Anne-Marie Payet. Par exemple, pour le café, le thé ou le sucre, les prix sont, à la Réunion, de 66 % supérieurs à ceux de la métropole.
Pour l’Autorité de la concurrence, les écarts de prix découlent pour partie des particularités géographiques et économiques des territoires : les marchés sont étroits, isolés et largement dépendants de la métropole. Toutefois, son avis indique très nettement qu’une analyse conjointe des taux de l’octroi de mer et des charges de fret conduit à la conclusion que ces frais d’approche, en particulier l’octroi de mer, ne suffisent pas à expliquer intégralement les écarts de prix observés. Cette conclusion rejoint celle de notre mission d’information : il n’existe pas de preuve des effets négatifs de l’octroi de mer sur le niveau des prix, alors que cette taxe est une ressource indispensable pour les collectivités territoriales et qu’il n’existe pas aujourd’hui de recette pouvant s’y substituer.
Un autre point intéressant est le rôle limité joué par les produits de marques de distributeur et par les « premiers prix » dans les grandes surfaces outre-mer : dans deux hypermarchés importants de la Réunion, ces produits représentent respectivement 7 % et 12 % du chiffre d’affaires, contre 25 % en moyenne en métropole.
Devant la faible concurrence sur le marché de détail et les contraintes objectives des marchés locaux, je souhaiterais savoir, madame la secrétaire d’État, quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour réduire les écarts de prix constatés entre la métropole et les DOM. Vous avez déjà annoncé des propositions en matière d’organisation des services de l’État dans le domaine de la concurrence. Cependant, l’Autorité de la concurrence évoque aussi la mise en place d’une centrale d’approvisionnement et de stockage à l’échelon régional afin de mutualiser les moyens et de réaliser des économies d’échelle. Que pensez-vous de cette suggestion ?
Au-delà des mesures en faveur d’une plus grande justice en matière de prix à la consommation, la réponse à l’urgence sociale, qui doit être la priorité des politiques publiques outre-mer aujourd’hui, revêt d’autres aspects.
En ce qui concerne tout d’abord le logement, la crise de ce secteur s’illustre à la fois par un déficit en logements sociaux, par le caractère insalubre d’un nombre important de logements privés – environ 8 % du parc en métropole, contre 26 % outre-mer –, mais aussi par un prix des biens plus élevé en moyenne qu’en métropole.
Prenons quelques exemples à cet égard.
À la Martinique, moins de 200 logements sociaux ont été construits en 2007, alors que près de 8 000 demandes sont insatisfaites. En Guyane, la situation est véritablement exceptionnelle : pression démographique, constructions illicites et indignes, déficit de terrains aménagés. J’imagine que nos collègues guyanais vous interrogeront, madame la secrétaire d’État, sur la situation de la société anonyme HLM de Guyane, dont le secrétaire d’État au logement a engagé en août la procédure de liquidation administrative. À la Réunion, la production de logements s’est fortement ralentie ces dernières années, notamment en raison de l’augmentation des coûts de la construction : 1 221 logements ont été livrés en 2007, alors que la demande est estimée à 26 000 logements. Il faudrait donc plus de vingt et un ans, à ce rythme, pour satisfaire les besoins !
Naturellement, les conditions géographiques ou climatiques jouent : le risque sismique et cyclonique crée des contraintes sur les conditions de construction et entraîne une dégradation plus rapide du bâti. En outre, la disponibilité foncière est limitée, les coûts des matières premières et de la construction en général sont élevés et sans comparaison avec ceux de la métropole.
Au total, la question du logement est à la fois essentielle, car il s’agit d’un besoin vital de la population, et multiforme. Elle doit être traitée selon toutes les approches possibles : le foncier, les coûts de la construction, les aides à la construction, la résorption de l’habitat indigne, les aides au logement, etc.
La LODEOM a apporté un certain nombre de réponses, mais leur équilibre global reste incertain. Je tiens tout d’abord à rappeler que le législateur a posé pour principe que la ligne budgétaire unique devait demeurer le socle du financement du logement social outre-mer. La loi a par ailleurs créé de nouveaux dispositifs de défiscalisation, justement dans le secteur du logement social. Je souhaite, madame la secrétaire d’État, que les décrets d’application soient pris le plus rapidement possible, afin que les opérateurs du logement puissent sortir de cette phase de transition, qui est forcément une période d’incertitude et d’attente. Nous avons besoin de construire, et de construire massivement ; nous ne pouvons nous permettre le luxe d’attendre. À la Réunion, nous avons utilisé l’expression, parfois galvaudée, de « plan Marshall » pour le logement, mais je crois que, en l’espèce, elle est totalement adaptée. J’appelle l’État à tout mettre en œuvre pour qu’un tel plan puisse se concrétiser rapidement.
L’autre axe essentiel pour répondre à l’urgence sociale est la mobilisation totale contre le chômage et pour l’emploi.
Le chômage touche outre-mer une part extrêmement importante de la population. À la Réunion, région d’Europe la plus affectée par ce fléau, 25 % de la population est au chômage, soit une personne en âge d’être en activité sur quatre. Et c’est un jeune sur deux qui est à la recherche d’un emploi ! Comment une société peut-elle durablement vivre avec un tel niveau d’inactivité ?
La lutte contre le chômage doit donc être totale, et je ne citerai ici que quelques-unes des mesures qu’il est nécessaire de prendre eu égard à l’ampleur du phénomène.
Il s’agit tout d’abord d’améliorer le niveau de formation de nos jeunes, notamment en développant la mobilité. Celle-ci doit naturellement s’effectuer vers la métropole pour leur permettre de suivre des formations qui ne peuvent être dispensées dans des territoires trop petits, comme nos départements insulaires ou isolés ; elle doit, parallèlement, se développer vers les espaces qui nous sont proches, car la métropole ne doit pas être l’unique débouché : pour la Réunion, les échanges avec le continent africain, bien sûr, mais aussi avec l’Océan indien et le Pacifique, doivent être intensifiés.
Pour autant, il est également nécessaire d’être attentifs à d’éventuelles conséquences néfastes de cette mobilité, comme la fuite des compétences et des savoir-faire. C’est pourquoi il est important d’accompagner de manière individuelle et personnalisée ceux qui suivent une formation ou un stage dans le cadre des programmes de mobilité.
Dans le même esprit, il faut développer une stratégie volontariste pour favoriser l’accès des habitants de l’outre-mer aux postes d’encadrement. Il convient de leur donner des responsabilités réelles : à la Réunion, je vois trop souvent des administrations où les postes de cadre sont presque exclusivement occupés par des métropolitains ; cela est naturellement néfaste pour l’emploi, mais aussi pour la cohésion de notre société.
On pourrait par exemple créer une antenne de l’Association pour l’emploi des cadres, ingénieurs et techniciens, l’APEC, dans chaque département d’outre-mer et développer des dispositifs spécifiques de préparation aux emplois d’encadrement dans l’administration. En s’inspirant de la politique mise en œuvre depuis huit ans par l’Institut d’études politiques de Paris dans les zones d’éducation prioritaire, nous pourrions conserver le principe républicain du concours tout en aidant plus activement certains jeunes qui sont en situation d’inégalité de fait.
Par ailleurs, dans cette lutte tous azimuts contre le chômage, il faut aussi conforter les dispositifs qui ont fait leurs preuves.
Ainsi, le service militaire adapté – le taux d’insertion des volontaires est de 80 % ! – doit être renforcé. Si je salue la décision du Président de la République de doubler en trois ans le nombre des volontaires du SMA, nous devons rester attentifs aux conditions de mise en œuvre de cette mesure : la qualité de la formation et le niveau des résultats ne doivent pas être dégradés par la diminution de la durée de la prise en charge et de la formation des volontaires.
L’apprentissage doit également être utilisé comme un outil de formation et d’insertion des jeunes dans la vie active. Il est particulièrement adapté à nos économies locales et doit donc être conforté.
D’une manière générale, je crois d’ailleurs qu’il convient de prendre en compte les spécificités de nos territoires et de nos économies lorsque l’on réfléchit aux moyens de lutter contre le chômage : faisons de nos spécificités des atouts ! Par exemple, la Réunion souhaite créer un lycée professionnel dans le secteur forestier ; il me semble que ce projet doit être soutenu, car il répond à des besoins économique et écologique évidents.
De ce point de vue, je souhaiterais évoquer maintenant la question du développement des productions locales, qui a été soulevée à de nombreuses reprises lors des états généraux et que la mission commune d’information du Sénat a également mise en exergue.
La réduction de la vulnérabilité de notre économie passe en effet par un développement endogène et doit s’appuyer sur l’exploitation raisonnée et la valorisation des ressources naturelles. Le renforcement des débouchés locaux et la facilitation des exportations doivent à cet égard compléter les efforts concernant l’organisation des filières ou la formation professionnelle.
Par exemple, trop peu de produits locaux sont servis dans les hôpitaux, dans les cantines ou dans les restaurants d’entreprise, ce qui est tout de même une aberration, surtout au moment où les questions de sécurité alimentaire sont particulièrement d’actualité. Lors de son passage à la Réunion, le Premier ministre s’est d’ailleurs engagé à ce que le code des marchés publics soit modifié pour permettre aux petits agriculteurs de répondre aux appels d’offres. Cela me semble être une solution simple et de bon sens. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, m’informer des suites que le Gouvernement entend donner à cet engagement du Premier ministre ?
Sur cette question de l’utilisation de nos ressources naturelles, je souhaiterais connaître les conditions de mise en œuvre de l’article 53 de la LODEOM, qui a pour objet de faciliter la production d’électricité à partir de la bagasse. Quel est le calendrier d’élaboration du décret d’application ? Les conditions, notamment en termes de prix de rachat de l’électricité, seront-elles suffisamment attrayantes pour permettre le développement de ce marché, à la fois écologiquement responsable et porteur d’avenir pour la Réunion ?
J’ai déjà évoqué la question essentielle de l’insertion des DOM dans leur environnement régional. Si le débouché traditionnel et historique est et doit rester la métropole, que ce soit pour la mobilité des habitants ou pour l’économie, il est indispensable aujourd’hui de s’ouvrir au monde. Nous vivons à proximité de pays, de territoires qui connaissent souvent de grandes difficultés, mais qui regorgent aussi de potentialités.
Dans ce contexte, se pose la question de l’appartenance de nos départements à l’espace Schengen pour faciliter les échanges. Si l’exclusion des quatre DOM de l’espace Schengen peut permettre d’apporter une réponse adaptée à la pression migratoire qui s’exerce plus particulièrement sur certains territoires, cela ne concerne pas directement la Réunion, où celle-ci est faible. Dans ces conditions, il me semble que l’intégration de la Réunion dans son environnement régional serait facilitée, sans risque spécifique en matière d’immigration, par son entrée dans l’espace Schengen.
Enfin, même si la liste des champs d’action n’est nullement exhaustive, la lutte en faveur de l’emploi passe par le développement des services à la personne. Trois de nos départements d’outre-mer ont maintenant réalisé leur transition démographique et, à la Réunion, la proportion de personnes âgées de plus de soixante ans devrait passer à 16 % en 2020 et à 24 % en 2030, contre 10 % en 2001. Il devient urgent de prendre en compte cette évolution, à la fois pour conforter la cellule familiale, dans une logique intergénérationnelle, et pour mettre l’accent sur le secteur médicosocial.
Le développement des emplois dans le secteur des services à la personne correspond à un besoin social en pleine expansion et constitue une réponse directe au chômage. Il doit concerner, parallèlement, l’amélioration de la prise en charge à domicile des personnes dépendantes par un soutien à l’équipement du foyer, la formation de personnels compétents et l’augmentation du nombre de places dans les établissements médicosociaux. Il y a là un gisement d’emplois qui correspond à une véritable demande de la société.
J’avais d’ailleurs déposé un amendement portant sur ce sujet lors de l’examen de la LODEOM. Le nouveau dispositif de défiscalisation en faveur du logement social peut, en conséquence, concerner « les logements […] spécialement adaptés à l’hébergement de personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ou de personnes handicapées ». Permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de vous interroger sur cette disposition législative : comment le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre ce mécanisme ?
Enfin, je souhaite aborder une question importante pour les outre-mer : l’illettrisme. C’est un phénomène de grande ampleur dans les DOM ; il concerne 21 % de la population réunionnaise, soit environ 120 000 personnes, contre 4 % d’illettrés en métropole.
Alors qu’il s’agit d’une priorité nationale depuis l’adoption de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, l’illettrisme n’a guère régressé. Son diagnostic est souvent posé tardivement et ses facteurs sont encore mal cernés. Les acteurs associatifs locaux accomplissent très souvent un travail formidable, qu’il faut saluer et encourager, mais l’État doit prendre ses responsabilités et devenir un véritable chef de file, qu’il s’agisse des enfants en âge d’être scolarisés, des jeunes adultes ou des adultes en général.
En conclusion, je souhaiterais revenir sur un élément plus diffus et impalpable, mais tout aussi important : les discriminations que subissent parfois les habitants de l’outre-mer. Celles-ci ont diminué ces dernières années, avec par exemple l’alignement, par rapport à la métropole, des prestations sociales ou du « forfait charges » pour l’allocation logement, à la suite de l’adoption d’un amendement que j’avais déposé lors de l’élaboration de la LODEOM.
Néanmoins, certaines inégalités sont encore inscrites dans la loi, dans les réglementations ou dans les pratiques administratives. Ainsi, j’ai déjà eu l’occasion d’interroger le Gouvernement sur la mobilité des gendarmes ; je ne souhaite pas soulever à nouveau la question aujourd’hui, nous aurons l’occasion d’y revenir. Il y a également la question de la date de versement effectif des pensions pour les retraités : celles-ci sont versées plus tardivement outre-mer qu’en métropole,…