Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens aujourd'hui à la place de René Vestri, victime ce matin d’un léger malaise. Dans son intervention lors de la première lecture, il avait indiqué être un « bleu », et ce à double titre : d’abord, parce que c’était la première fois qu’il s’exprimait à cette tribune, ensuite parce qu’il avait monté des opérations importantes pour protéger la Méditerranée, à laquelle il est particulièrement attaché. Je veux rendre hommage à son action, en espérant le retrouver parmi nous rapidement.
Je m’exprimerai donc un peu en son nom, sans pour autant reprendre ses propos, qui lui sont très personnels. Cependant, je le dis sous le contrôle de M. le président de la commission et de notre éminent rapporteur, je sais que nous partageons la même analyse.
Monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, c’est une révolution culturelle à laquelle nous assistons et que vous avez initiée. Qui aurait pensé il y a dix ans que nous aboutirions à un consensus sur une nouvelle dimension du développement intégrant le besoin de protéger notre cadre de vie ?
Le Grenelle, nous nous en félicitons, propose une nouvelle méthode et offre de nouvelles perspectives. Il nous permet de dépasser le conflit entre les tenants du développement et les défenseurs de l’environnement. Aujourd’hui, on réconcilie l’homme et la nature.
Je l’ai dit à plusieurs reprises à cette tribune, mais je ne résiste pas à l’envie de le répéter, je suis de ceux qui pensent que l’homme déconnecté de références spirituelles et de valeurs se trouve plongé dans une angoisse existentielle. Pour en sortir, il a besoin de se réconcilier avec lui-même en se réconciliant avec son environnement naturel. (MM. Gérard Longuet et Jean-Claude Etienne applaudissent.)
M. Daniel Raoul. Oh là là !
M. Thierry Repentin. C’est Rousseau qui parle !
M. Jacques Blanc. Quelles que soient nos opinions, cette prise de conscience nous envahit tous. En nous projetant vers l’avenir, vous nous permettez de contribuer à apporter une réponse nouvelle à cette exigence humaine.
Notre ami René Vestri l’avait souligné dans son projet d’intervention, nous sommes au cœur de la réconciliation de l’homme et de son environnement grâce à un développement respectueux de la biodiversité en matière d’urbanisme, de transport, d’énergie, de traitement des déchets. Nous sommes engagés là dans une grande réflexion pour tenir compte des problèmes qui conditionneront notre vie de demain.
M. le rapporteur l’a signalé, nous examinons un projet de loi de programmation. Il ne peut donc contenir toutes les réponses normatives ou financières. Pour ce faire, nous aurons le Grenelle II. En attendant, le Sénat peut marquer par son unanimité – je l’espère et cela s’est déjà produit – …
M. Roland Courteau. On verra !
M. Jacques Blanc. … sa détermination à apporter une contribution à la construction d’un projet nouveau de développement durable.
Votre grand projet ne va pas à l’encontre de la création d’emplois. Au contraire, il y a même une convergence nouvelle entre cet objectif et le développement durable. Sur ce point, vous nous avez d’ailleurs donné des estimations chiffrées. Profitons du développement durable pour trouver des atouts qui nous permettent de sortir de la crise et pour créer une dynamique en faveur de l’emploi qui ne sacrifie pas l’avenir. C’est parce que vous touchez du doigt cette réalité que nous pouvons tous, quelles que soient nos différences, souscrire à cette proposition.
Cette révolution culturelle dont je parlais doit nous permettre de dépasser les conflits que nous avons connus quand nous débattions de la biodiversité et de la préservation de la richesse de la faune et de la flore. Elle doit également nous permettre de déboucher sur des solutions, d’autant qu’il est plus facile de trouver des réponses quand on parle à cette tribune que quand on est maire, président d’une intercommunalité ou d’une structure départementale. C’est pourquoi je le dis : n’ayons pas peur du débat ! Celui que vous nous proposez vise à trouver la réponse adaptée.
J’avais regretté en première lecture que l’on ne parle pas de l’agriculture raisonnée, qui vise non pas à se substituer à l’agriculture biologique, mais à la compléter. Mobilisons-nous pour valoriser ces produits ! Ainsi, dans ma modeste communauté de communes de Lozère, s’est créé le premier centre de traitement du lait de brebis bio. Je dis que c’est une chance, car cet atout formidable permet de diversifier les productions.
Notre collègue Daniel Soulage a évoqué les problèmes de l’agriculture, des primeurs, qu’il connaît bien, et même du vin. Il faut que nous soyons capables d’intégrer toutes ces évolutions. L’agriculture biologique complétée par l’agriculture raisonnée est un moyen d’aller de l’avant et de permettre aux agriculteurs de se sentir fiers.
Le Grenelle a permis de montrer que les agriculteurs n’étaient pas ces utilisateurs permanents d’engrais, mais des gens capables de comprendre l’exigence du développement durable.
L’un des mérites du Grenelle est aussi de montrer que nous avons besoin de maintenir une présence humaine dans nos campagnes. D’ailleurs, l’un des premiers objectifs de ce nouveau développement durable pourrait être de permettre un aménagement équilibré du territoire afin que nos campagnes cessent de se vider au profit d’hyperconcentrations urbaines où l’on ne sait pas traiter les déchets et où il ne fait pas bon vivre.
Permettez à l’élu de la Lozère et au président du groupe d’études sur le développement économique de la montagne d’insister sur cette exigence : le développement durable doit être celui de l’aménagement équilibré et harmonieux du territoire et il doit contribuer à l’objectif de cohésion territoriale que le traité de Lisbonne devrait porter demain.
Pour ce qui concerne le développement du transport ferroviaire, nous attendons avec impatience un coup d’accélérateur afin que le contournement de Nîmes et de Montpellier ainsi que le prolongement vers Perpignan et Barcelone aient enfin lieu. J’évoque ici le TGV, mais n’oublions pas les liaisons secondaires, telles celles qui traversent le Massif central.
M. Roland Courteau. On est d’accord !
M. Jacques Blanc. Je pense, par exemple, aux lignes qui relient Clermont-Ferrand à Béziers, à Alès ou à Nîmes. Quelles que soient les travées, je sais que personne ne me démentira. Ayons une approche globale en conciliant le développement du TGV et le reste du réseau ferroviaire, qui permet de desservir l’ensemble de nos populations.
Vous avez aussi abordé le problème des déchets. C’est un vaste sujet.
M. Thierry Repentin. Il ne manque plus que le loup !
M. Jacques Blanc. Le dispositif coûtera cher, mais la valorisation maximale des déchets est indispensable. Nous entendons nous engouffrer dans cette voie, non pour faire n’importe quoi, mais pour répondre, là aussi, aux attentes de nos concitoyens.
Je pourrais multiplier les exemples concrets.
M. Thierry Repentin. Non, on a compris !
M. Jacques Blanc. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir avec le Grenelle II.
Aujourd’hui, une étape a été franchie, une révolution culturelle positive a eu lieu. Tout le monde y a contribué, en particulier vous, monsieur le ministre d’État, selon le souhait, pourquoi ne pas le dire, du Président de la République. Cela ne signifie pas que le développement durable doit être la chose d’une personne ou même d’un parti. Il doit être partagé par tous. D’ailleurs, il nous appartient.
Vous l’avez rappelé, la France est moteur dans le domaine des énergies renouvelables. Reste qu’il n’est pas évident d’élaborer un schéma pour les éoliennes, par exemple, à l’échelon d’une communauté de communes. Pour autant, il ne faut pas avoir peur de mettre les problèmes sur la table.
Aujourd’hui, on a la preuve que les politiques servent à quelque chose, que nous sommes capables d’évoluer pour répondre aux attentes légitimes de la population. Merci, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, de nous permettre de contribuer à préparer un avenir meilleur aux générations futures de France, d’Europe et du monde. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Alain Fauconnier applaudit également.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la rue de Grenelle a donné son nom aux accords de Grenelle, qui ont, par leur ampleur et leur caractère fondateur dans notre droit social en 1968, inspiré la démarche du Grenelle de l’environnement. Lui-même, par contagion, a fait fleurir une multitude d’autres « Grenelle » comme autant de forums thématiques plus ou moins opérationnels. On ne les compte plus !
Trouvant que le terme y perdait un peu de son sens et de sa portée au fur et à mesure de sa démultiplication, j’ai eu envie de revenir aux sources. Je les livre à votre analyse.
Grenelle, je parle sous la responsabilité d’un élu parisien, est le nom d’une commune qui a été annexée à la ville de Paris en 1860. Ne reste d’elle que son souvenir attaché à la route, devenue rue, qui y conduisait.
Monsieur le ministre d’État peut-on craindre qu’un destin similaire soit dévolu au projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement ?
M. Bruno Sido, rapporteur. Qu’est-ce qu’il ne va pas chercher !
M. Thierry Repentin. Le Grenelle I n’est déjà plus que l’annexe du Grenelle II.
La situation a en effet ceci d’inusité que nous abordons aujourd’hui en séance la deuxième lecture du Grenelle I alors que nous travaillons depuis plusieurs semaines en commission sur le projet de loi portant engagement national pour l’environnement. C’est bien ce dernier qui, en l’état de son contenu, concentre et révèle nos divergences d’ambition et de choix d’action.
Monsieur le ministre d’État, vous nous faites « plancher » sur un texte déjà obsolète. Un projet de loi de programmation devrait servir de fondement pour légiférer dans un second temps sur les outils de sa mise en œuvre.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Thierry Repentin. Or la concomitance des calendriers conduit au verrouillage des dispositifs avant même que les objectifs et les principes soient définitivement définis et adoptés par le Parlement.
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Thierry Repentin. Des engagements pris en séance lors de la première lecture du Grenelle I ou simplement inscrits dans le texte et qui devaient trouver leur traduction concrète dans le Grenelle II sont, dans les faits, récusés par les travaux de la commission. Les propositions socialistes y sont presque systématiquement rejetées…
M. Bruno Sido, rapporteur. Oh non !
M. Thierry Repentin. Je vais vous les citer !
… dans un exercice qui s’apparente moins à l’élaboration de la loi qu’à l’enregistrement des positions du Gouvernement et, de temps en temps, de la majorité parlementaire.
M. Bruno Sido, rapporteur. Il faut vous adresser à Dominique Braye !
M. Thierry Repentin. M. Braye n’est pas là. Je vais néanmoins énoncer les objectifs sur lesquels vous nous avez fait voter avec vous sur le Grenelle I.
L’article 7 du Grenelle I énonce divers objectifs en matière d’urbanisme : lutter contre la régression des surfaces naturelles et agricoles, lutter contre l’étalement urbain, harmoniser les documents de planification, préserver la biodiversité, assurer une gestion économe des ressources, notamment par des dispositifs fiscaux adaptés, améliorer la performance énergétique des bâtiments, créer un lien entre densité et desserte en transports en commun.
Au moins quatre de ces objectifs – mais peut-être l’ignorez-vous, monsieur le ministre d’État, absorbé comme vous l’êtes par le Grenelle I – sont battus en brèche par le Grenelle II. Au mieux, les principes deviennent des attentions facultatives laissées à l’appréciation des collectivités. Au pire, ils sont passés par pertes et profits.
M. Alain Fauconnier. Tout à fait !
M. Thierry Repentin. M. Jacques Blanc – il a déjà quitté l’hémicycle –, qui porte ses espoirs sur le Grenelle II, ignore sans doute, n’étant pas membre de la commission de l’économie, que ceux-ci ne trouveront pas de traduction.
L’harmonisation des documents de planification à l’échelle de l’agglomération se heurte ainsi à la confusion entretenue entre planification et réglementation, la première étant à l’origine dévolue au schéma de cohérence territoriale, le SCOT, et la seconde au plan local d’urbanisme, le PLU.
Pire, la lutte contre l’étalement urbain est rendue plus difficile par les modifications apportées à l’article 9 du Grenelle II par la commission de l’économie : la définition de densités plancher dans certains secteurs des SCOT est désormais soumise à un arsenal de critères supplémentaires qui complexifie sa mise en œuvre.
Quant à la préservation de la biodiversité notamment à travers la restauration des continuités écologiques, principe pour lequel nous avons tous voté dans le Grenelle I, la commission de l’économie l’a tout bonnement supprimée des objectifs des SCOT à l’article 9 du Grenelle II (M. Alain Fauconnier opine) – Mme Jouanno le sait bien –, alors même que s’élaborent déjà des corridors biologiques dans les SCOT les plus vertueux. Il s’agit donc d’un retour en arrière, y compris par rapport à certaines pratiques sur les territoires.
M. Alain Fauconnier. Très bien !
M. Thierry Repentin. Enfin, l’amélioration de la performance énergétique des logements ne sera pas favorisée par le resserrement des conditions d’accès aux certificats d’économie d’énergie inscrit dans le projet de loi initial du Gouvernement. Pourtant, une loi de 2005 autorisait toutes les personnes morales à déposer des certificats d’économie d’énergie au registre national. Cela permet par exemple aujourd’hui aux bailleurs sociaux de dégager des marges de financement fort utiles pour leurs opérations de réhabilitation de logements.
Hélas ! le projet de loi Grenelle II proposé par le Gouvernement restreint ce droit aux seuls collectivités locales et fournisseurs d’énergie. Cela nous conduit à penser, monsieur le ministre d’État, que certains grands groupes ont assurément leurs entrées au plus haut sommet de l’État. Les obligés ne sont pas toujours où l’on croit… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Fauconnier. Bravo !
M. Thierry Repentin. Heureusement, la commission a adopté un amendement rectifiant ces dispositions, contre l’avis de Mme la secrétaire d'État – qui était présente en commission. Une fois n’est pas coutume ! Je rends hommage à la commission pour cette position.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. C’est le rôle du Parlement.
M. Thierry Repentin. Cette avancée devra toutefois être confirmée dans l’hémicycle.
Monsieur le ministre d’État, vous avez souligné à la tribune toutes les avancées issues du Grenelle II et cité beaucoup de chiffres. Vous avez toutefois omis de signaler les éco-prêts de la Caisse des dépôts et de consignations pour le logement public,…
M. Thierry Repentin. … qui ont permis d’engager la réhabilitation de 9 000 logements. Si je le rappelle, c’est également pour déplorer les propos sans cesse discriminants à l’égard du logement public tenus par une précédente ministre. Monsieur le ministre d’État, vous n’aurez sans doute pas à forcer beaucoup votre talent pour tisser de nouveaux liens avec le premier opérateur de logement de notre pays qu’est le logement social public. En 2009, grâce à un partenariat renforcé avec les collectivités locales, nous construirons comme jamais nous n’avons construit dans notre pays, soit en locatif social, soit en accession sociale à la propriété. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. le président de la commission ainsi que MM. François Fortassin et Jean-Claude Etienne applaudissent également.)
Après cet aparté, je voudrais dire quelques mots au sujet de la volonté du Gouvernement de procéder à la réécriture du droit de l’urbanisme par ordonnances, à l’article 13 du Grenelle II. Tant de mois de concertation et de débats avec la société civile pour finalement aboutir, éventuellement, à une refonte de la partie législative du code de l’urbanisme dans le secret des couloirs ministériels !
Monsieur le ministre d’État, ce n’est pas au Gouvernement seul d’écrire la loi, c’est aussi le rôle du Parlement. Nous y demeurons profondément attachés et nous ne pouvons accepter que des ordonnances redessinent complètement l’origine des taxes et participations d’urbanisme sans débat avec les représentants de la nation.
La commission de l’économie semble avoir trouvé un consensus sur ce sujet et a modifié le texte en conséquence. Je souhaite que sa position puisse être respectée jusqu’à l’adoption définitive du Grenelle II.
Bref, cette attitude non constructive a conduit les sénateurs du groupe socialiste à voter contre treize des quinze articles du titre Ier « Bâtiments et urbanisme » du Grenelle II : cela donne une idée de nos futurs débats et du vote qui se profile lors de la session extraordinaire de septembre prochain si nous en restons là !
Venons-en au titre II relatif aux transports. Il est décevant au regard des attentes suscitées par le Grenelle I. La réforme des objectifs de la politique nationale des transports de voyageurs et de marchandises, la compétence en matière de transports urbains dans les territoires et les modalités de son exercice, le plan de transports en Île-de-France et le schéma national des infrastructures, autant de questions qui auraient gagné à être précisées dans le Grenelle II.
Or, pour ne prendre que l’exemple du transfert de la compétence « voirie » aux intercommunalités dotées d’un plan de déplacements urbains, les dispositions initiales déjà timides ont encore été amoindries par la commission, restreignant le champ de l’article aux services réguliers de transports.
Quant au financement, deux déceptions demeurent.
La première concerne les villes moyennes : le Grenelle II affirme la volonté de redonner des financements d’État aux projets de transports urbains, mais essentiellement au profit des grandes agglomérations. Les agglomérations moyennes sont une nouvelle fois laissées sur le bord du chemin. Contrairement aux grandes villes, qui rencontrent des problèmes de saturation de leur réseau, les villes moyennes sont confrontées à l’absence d’infrastructures, alors même qu’elles sont en nette croissance démographique.
M. Alain Fauconnier. Tout à fait !
M. Thierry Repentin. C’est dans ces territoires que la question des déplacements se posera de façon très aiguë à l’échelle d’une dizaine d’années.
La seconde déception concerne le partage de la valorisation foncière. Nous y tenons particulièrement, puisqu’elle est issue d’un amendement socialiste à l’article 12 du Grenelle I. Malgré la reprise de cette bonne idée par le Président de la République à la Cité de l’architecture et du patrimoine lors de sa conférence de presse sur le Grand Paris à la fin du mois d’avril, confirmée hier lors d’une table ronde à La Défense,…
M. Jean-Pierre Caffet. Exact !
M. Thierry Repentin. … malgré les discussions réitérées dans cette enceinte et avec vous, monsieur le ministre d’État, notre amendement de mise en œuvre concrète a été rejeté en commission, alors qu’un amendement de principe sur le sujet était adopté dans le cadre de l’examen du Grenelle II.
Vous l’aurez compris, pour nous, le Grenelle II représente l’enjeu principal d’adaptation de notre droit et d’invention de solutions nouvelles en vue d’un aménagement durable de nos territoires.
La commission de l’économie se réunit mercredi 8 juillet afin de poursuivre l’examen du texte, d’une part sur nos propositions concernant l’urbanisme commercial réservées jusqu’alors et, d’autre part, sur le titre III « Énergie et climat ». C’est à cette occasion que nous évaluerons votre volonté de maintenir la faille ou de resserrer l’écart entre les intentions affichées du Grenelle I et les engagements réels du Grenelle II.
En tout état de cause, toujours dans un esprit constructif, monsieur le ministre d’État, nous ne pourrions accepter sans nous battre, au mois de septembre prochain, ce qui pourrait être assimilé à un abus de confiance au détriment du Parlement, du monde associatif – qui s’est largement engagé dans la démarche du Grenelle – et des collectivités territoriales, qui auront, quant à elles, la responsabilité de traduire en actes les souhaits et les déclarations d’aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en intervenant à ce stade de la discussion générale, il me paraît difficile voire impossible de ne pas redire devant vous ce que d’autres ont déjà dit.
Néanmoins, l’importance fondamentale du sujet et les trente-cinq années passées au service de l’éducation nationale à enseigner les sciences de la vie et de la terre me poussent à venir exprimer à cette tribune la conviction profonde qui est la mienne.
Aussi, mon intervention se limitera à rappeler ici quelques idées-force, quelques principes fondamentaux auxquels je tiens particulièrement et que j’aimerais vous faire partager.
La loi Grenelle est fondée sur un constat réel, indiscutable : l’avenir de l’homme est profondément lié à celui de l’environnement. L’homme ne peut continuer à porter atteinte à son environnement sans mettre en péril ses propres conditions de survie. Dorénavant, personne ne pourra envisager le développement économique sans penser à l’épanouissement humain et à l’équilibre social et sans prendre en compte les aspects environnementaux. Les trois sont indissociables.
C’est de ce constat qu’est née la notion de développement durable, de croissance durable ou de révolution verte… peu importe le nom qu’on lui donnera, c’est la finalité qui compte.
Et la finalité, quelle est-elle ?
La finalité, c’est d’avoir compris que l’homme doit être placé au centre du débat. Aujourd’hui, les scientifiques comme les politiques l’ont définitivement admis : l’homme doit d’abord subvenir à ses besoins – et quand je dis l’homme, c’est bien de tous les humains qu’il s’agit, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, ceux d’aujourd’hui mais aussi et surtout ceux de demain, les générations futures.
Mais l’homme vit dans un milieu auquel il est profondément lié et dont il est indiscutablement dépendant.
Nous comprenons tous mieux aujourd’hui pourquoi le développement durable repose sur les trois piliers indissociables que j’ai cités voilà un instant : le pilier économique, le pilier social et le pilier environnemental. L’image est simple mais elle est précise : imaginons un édifice reposant sur trois piliers et demandons-nous ce qui se passe si l’un des trois se brise. Aujourd’hui, personne n’a intérêt à voir « l’édifice » s’écrouler, ici, pas plus qu’ailleurs.
La loi Grenelle est donc à considérer comme un des piliers sur lesquels nous devons bâtir la politique nationale mais aussi la politique locale de développement durable, qui doit également servir à montrer l’implication de la France dans la politique planétaire de développement durable.
La deuxième idée à retenir est que la loi dont nous débattons est certes une loi de programmation, d’autres l’ont rappelé, mais, nous le savons tous, elle se déclinera ensuite, dès l’automne, dans un engagement national pour l’environnement, qui inévitablement fixera toute une série de mesures normatives, de contraintes, d’obligations, de règles incontournables applicables à la France entière et qui ne seront pas sans conséquences sur nos collectivités respectives, sur notre gestion de proximité et sur notre comportement individuel.
Même si la tentation est forte pour chacun de nous, qui avons déjà eu à connaître du contenu de la loi suivante, de vouloir introduire dès à présent, dans la loi dont nous débattons, certaines mesures visant à rendre ces futures règles mieux adaptées à nos réalités locales, il nous faudra veiller à ne pas en dénaturer le sens. Je sais en cela pouvoir compter sur le président de la commission et sur le rapporteur.
La troisième réalité est que la problématique que nous traitons dans cette loi n’est pas seulement nationale, elle est planétaire et la prise de conscience qui l’accompagne est, elle aussi, mondiale.
La France, qui a délibérément choisi de se positionner dans cette nouvelle stratégie économique – parce que c’est de cela aussi qu’il s’agit – se voit aujourd’hui talonnée par d’autres grandes puissances – je pense tout particulièrement aux États-Unis et bientôt à la Chine, dont on sait que l’un est un véritable rouleau compresseur et que l’autre est capable de produire plus, plus vite et moins cher.
Je dis cela parce que cette nouvelle économie, aujourd’hui naissante mais qui se mettra en place progressivement, que nous avons appelée « croissance verte », va conduire inéluctablement à la création de nouvelles normes, de nouveaux standards qui se traduiront à terme en parts de marchés.
Il ne faudrait pas que la France pionnière, qui pouvait rêver d’être un jour leader, se fasse doubler par d’autres et se retrouve totalement larguée, se voyant ainsi imposer des technologies venues d’ailleurs. À l’ère de la mondialisation, il faut s’attendre à ce que les normes des uns ne soient pas forcément celles des autres, et à ce que la compétition économique entre les grandes puissances soit particulièrement rude.
La France, même si sa voix porte, ne pourra pas rivaliser seule : il me paraît donc absolument fondamental de traduire rapidement cette politique nationale en engagement européen.
Je pense, en disant cela, au rôle prépondérant que devront jouer nos eurodéputés récemment élus. L’initiative prise par la France sur le paquet « énergie-climat » est déjà une preuve.
Mais je veux aussi envoyer un signal à tous ceux qui font de la recherche ou qui dirigent notre économie. La crise économique aidant, il y a peut-être là une fenêtre, une occasion à saisir pour placer la France en position favorable sur le grand marché mondial.
Enfin – ce sera le dernier point que je défendrai –, si le développement durable doit fédérer les habitants de la planète autour d’un certain nombre de principes fondamentaux, je reste persuadé que, même si ces principes sont « universels », les règles qui en découleront ne pourront être strictement identiques ou appliquées de la même manière sur toute la surface du globe.
En disant cela, je rappelle simplement que la France, c’est aussi l’outre-mer.
Dans le cadre de la prise de conscience nationale et planétaire du rôle fondamental de l’environnement dans la survie de l’espèce humaine, l’outre-mer offre indiscutablement à la France des atouts incontestables.
Je ne parle pas seulement de la richesse de la biodiversité ou de l’étendue des surfaces maritimes, même si, lors d’une réunion à laquelle j’assistais hier, on a encore rappelé que 90 % de la richesse biologique de la France et plus de 90 % de la surface de ses eaux territoriales se trouvent en outre-mer. C’est d’ailleurs ce qui permet à la France de posséder le deuxième domaine maritime mondial, après les États-Unis.
Les outre-mer ont bien d’autres particularités, mais aussi – il ne faudrait pas l’oublier – bien d’autres différences et bien d’autres handicaps.
Si nous ne voulons pas que les atouts des outre-mer se transforment rapidement en handicaps et viennent s’ajouter à la liste de ceux qui existent déjà, nous devons rester vigilants.
Les choix de développement économique des outre-mer sont, plus que partout ailleurs, indissociables des réalités environnementales et sociétales propres à chacune des collectivités.
Ce n’est pas seulement à l’État français qu’il appartiendra de veiller à trouver le juste équilibre dans ce domaine, mais aussi à ceux qui ont et qui auront demain la charge d’accompagner et de piloter le développement économique de ces territoires.
En ce sens, je souhaiterais que, à chacun des titres et des chapitres du projet de loi portant engagement national pour l’environnement, nous nous demandions si les règles arrêtées au niveau national peuvent être appliquées, en l’état, en outre-mer ou s’il faut les adapter.
C’est aussi pourquoi il convient d’être attentif aux remarques et aux amendements de nos collègues ultramarins, qui sont les mieux placés, ici, pour savoir de quoi ils parlent.
Pour ma part, je viens d’une île dotée d’un statut particulier et qui a choisi la voie de l’autonomie.
En nous accordant cette autonomie, le législateur nous a reconnu le droit de fixer nos propres règles dans un certain nombre de domaines qui nous ont été transférés, et l’environnement en fait partie.
Cela ne signifie pas pour autant, mes chers collègues, que ce projet de loi ne nous concerne pas ou ne nous intéresse pas. Bien au contraire ! Les décisions nationales sont, pour nous, le modèle à suivre : non seulement elles nous inspirent, mais elles nous guident et nous accompagnent dans notre démarche politique.
Monsieur le ministre d’État, je voudrais terminer mon propos en vous félicitant d’avoir été l’initiateur et le pilote de cette grande et belle réforme.
Le vote du projet de loi en première lecture vous aura permis de mesurer l’adhésion de notre assemblée à votre projet.
Comme nous l’avons entendu dans certaines interventions, chacun commence, avec un peu de recul, à mieux percevoir l’impact et les implications, parfois contraignantes, qu’auront cette loi et les suivantes sur notre comportement individuel et collectif.
Mais, nous savons aussi tous que cette loi marque un tournant indispensable, un passage obligé, qui conduira l’homme vers une meilleure intégration dans son environnement, vers un meilleur équilibre, au sens le plus large de ce terme, et, surtout, vers une plus grande responsabilité envers lui-même, envers les autres et envers la planète.
Nous le savons tous, comme le disait récemment le Premier ministre ici même, « la mise en place des dispositions du Grenelle de l’environnement est seule capable de réorienter le modèle de développement français vers la croissance ». J’en suis, pour ma part, profondément convaincu.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre d’État, vous pouvez compter sur mon soutien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
(M. Roland du Luart remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)