M. Daniel Raoul. À quel taux ? (Nouveaux sourires.)
Mme Muguette Dini. … en acceptant l’établissement d’un rapport sur le principe de la création d’une centrale des crédits aux particuliers, placée sous l’égide de la Banque de France. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une bonne part de l’activité économique est étroitement dépendante de la tenue de la consommation populaire, et je ne peux évidemment manquer de commencer cette intervention sans revenir, de ce point de vue, à quelques aspects essentiels.
La récession dans laquelle est plongé notre pays depuis plus d’un an trouve une bonne part de ses origines et de ses prolongements dans la situation du pouvoir d’achat des ménages, que deux années de présidence Sarkozy n’ont manifestement pas permis de renforcer. La prégnance du chômage, le recours de plus en plus massif aux bas salaires, la précarité renforcée, le ralentissement de l’activité et ses corollaires – périodes de chômage technique, plans sociaux, etc. – sont autant de facteurs installant la France dans une crise durable.
Les prévisions de récession formulées par le Gouvernement lui-même – une contraction de 3 % du PIB pour 2009 – attestent de la grave situation dans laquelle se trouve notre pays.
La croissance molle de 0,5 % prévue pour 2010, inférieure au potentiel du pays et largement insuffisante pour éviter plusieurs centaines de milliers de chômeurs de plus, procède, quelque part, de l’autosuggestion.
Ce qui est en cause dans cette affaire est bel et bien un mode de fonctionnement économique qui a accordé la primauté à la rémunération du capital au détriment de celle du travail et qui a négligé le développement économique durable et équilibré au profit des seuls créneaux les plus immédiatement porteurs de plus-values financières.
Sans doute allez-vous me demander ce qu’un tel discours macro-économique vient faire dans un débat consacré au droit de la consommation, notamment à la manière dont les contrats de prêt accordés aux particuliers seront rédigés à compter de la promulgation du présent texte.
En l’occurrence, il convient de rappeler d’emblée deux éléments. D’abord, comme je viens de l’indiquer, on ne peut pas évoquer le crédit et la consommation indépendamment du contexte économique général, sauf à réduire la portée du sujet dont nous débattons. Ensuite, le crédit est précisément l’un des éléments moteurs de l’économie ; les conditions dans lesquelles il est distribué sont déterminantes pour l’activité et la croissance.
Notons d’ailleurs quelques faits.
Au cours des dernières années, une bonne part de la croissance aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne a été fondée sur le développement du crédit, donc sur l’endettement des entreprises et des ménages.
Mais ceux qui vantaient le modèle de croissance américain ou britannique oubliaient soigneusement de nous rappeler que, dans les deux pays concernés, les ménages, par ailleurs soumis à la précarité des conditions de travail, étaient endettés au-delà du possible, notamment au-delà de leur revenu disponible. Et cette fuite en avant dans l’endettement, si elle était porteuse d’activité dans un premier temps – c’était le cas, pour aller un peu vite, dans le bâtiment, chez Wal-Mart ou chez Woolworth –, était également source de crises futures, à l’image de celle que nous avons pu constater lorsque la dette des ménages américains s’est muée en crise des subprimes.
Au demeurant, la récession qui frappe les États-Unis comme le Royaume-Uni est encore plus forte que celle à laquelle notre pays est confronté, et le nombre d’emplois supprimés y est plus élevé qu’en France.
Toutefois, le Gouvernement devrait éviter de s’attribuer le mérite d’une telle situation. Ces résultats valident non pas son action, mais juste le fait que des décennies de luttes populaires ont conduit à créer un système de protection sociale dans notre pays, système qui sert aujourd'hui de puissant amortisseur à la crise.
Et ces mêmes luttes sociales ont contribué à installer dans notre pays un droit du travail suffisamment « rigide » pour que l’usage du licenciement intervienne seulement en dernier recours. Les pays où le marché du travail est plus « souple », selon les termes de quelques économistes libéraux, sont aussi ceux où la souplesse se traduit aujourd’hui par des licenciements massifs.
Cela étant, le crédit et l’endettement des ménages qui en découle participent pleinement de la croissance et de l’activité économique en général.
La remarque vaut également pour le crédit accordé aux entreprises, puisque sa raréfaction a causé un accroissement sensible des procédures collectives de redressement et de liquidation d’entreprises au cours de ces derniers mois.
Il faut dire que, préoccupées par leurs créances douteuses et parfois invisibles au premier abord, les banques de notre pays ont commencé par tenter de reconstituer leurs marges avant de penser à leur métier essentiel : favoriser le financement de l’économie.
Ainsi, les ménages français ont échappé à la situation dramatique de leurs homologues américains et britanniques – le peu de succès de l’hypothèque rechargeable, pourtant promue par le Gouvernement, et du crédit hypothécaire en général en témoigne –, mais un certain nombre d’entre eux ne sont pourtant pas à l’abri des difficultés. Je pense en particulier aux ménages surendettés, dont le projet de loi vise à éviter au maximum l’accroissement et pour lesquels il essaie de définir les voies et moyens de solutions admissibles, à travers la transposition d’une directive européenne datant du mois d’avril 2008, donc antérieure à la date officielle de naissance de la crise financière de cet automne.
Ce surendettement résulte, pour une bonne part, du recours grandissant au crédit à la consommation et, plus encore, au crédit non affecté, que l’on appelle dans un mauvais franglais le « crédit revolving » et que nous aurions tendance à dénommer le « crédit revolver ». (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
En effet, comment expliquer que, pour faire face aux dépenses de la vie courante, des ménages salariés soient contraints de souscrire des crédits de cette nature, parfaitement non affectés et dont le coût consomme une part importante de leurs ressources ?
Pour en revenir au départ, précisons d’emblée que cela provient largement de la modicité et de la faiblesse des ressources des ménages.
Des années de modération salariale, fortement encouragées par des politiques publiques malthusiennes, font sentir leurs effets aujourd’hui. Un salarié sur sept est actuellement payé au SMIC. Comme les dépenses liées au logement ont dans le même temps progressé pour devenir le premier poste budgétaire des ménages, ce qui reste se révèle bien souvent insuffisant pour faire face au quotidien.
Mais il n’y a pas que cela.
Il y a également une forme de « mal-croissance » de l’économie, largement fondée sur la sollicitation des besoins, sur l’agressivité de la publicité et sur les pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle, c’est-à-dire sur tout un ensemble de stratégies de marchandisation qui appellent, en corollaire, la pratique généralisée du crédit.
Dans nombre de grandes enseignes de la distribution de notre pays – en fait, dans toutes –, on peut aujourd’hui disposer d’une carte de fidélité qui est en réalité – cela a déjà été souligné – une carte de crédit, puisqu’elle consiste à faire en sorte que le paiement de la baguette de pain ou du kilo de pommes de terre devienne objet de crédit !
Ne parlons pas plus longuement des méthodes consistant à proposer systématiquement des crédits gratuits aux clients des magasins d’ameublement ou de matériel informatique, méthodes qui permettent juste aux enseignes de transférer les données personnelles du client à l’organisme de crédit – lui n’est pas gratuit ! – avec lequel elles ont l’habitude de « travailler ». Cela vaut évidemment audit client de recevoir par toutes les voies possibles – courrier postal, internet ou relances téléphoniques – des messages réguliers à caractère informatif, avec pour seul objectif de l’amener à souscrire un nouveau prêt pour acquérir un bien meuble plus « consistant ».
De fait, le crédit est devenu un élément pivot des pratiques de vente de nombre d’acteurs du secteur commercial. Dès lors, on peut presque se demander s’il n’est parfois pas plus essentiel que la diffusion et la distribution des produits matériels ou des services, c’est-à-dire la raison d’être de ces acteurs.
Combinée à des pratiques d’approvisionnement qui ne sont pas nécessairement compatibles avec la préservation de la planète, une telle contamination des activités commerciales par l’usage abusif du crédit amène pratiquement au pire des modèles de développement économique, sans parler des conditions léonines imposées à la sous-traitance et aux fournisseurs, dont l’actuel conflit sur les produits frais, notamment les produits laitiers, est une illustration.
Il est grand temps que les pratiques agressives et souvent assez peu responsables des grandes enseignes commerciales en matière de crédit soient un peu plus réglementées. Ce texte, s’il est correctement rédigé, peut y contribuer.
Nous ne pouvons pas laisser des ménages s’endetter simplement parce qu’ils ont dans leur portefeuille une carte de fidélité qui s’apparente parfois à une carte d’embarquement pour l’enfer de l’endettement ou telle ou telle carte « privilège » privilégiant seulement la rentabilité de celui qui la distribue !
Il faut également s’interroger sur le surendettement lié à la pratique de taux d’intérêt particulièrement élevés.
Pour le moment, les règles déontologiques en matière de crédit à la consommation, que le présent projet de loi entend renforcer, ne portent pas sur le niveau des taux d’intérêt pratiqués.
Un tel manquement se relève immédiatement dans certaines publicités alléchantes, qui évoquent des taux particulièrement bas, et même parfois nuls, mais pour de courtes périodes suivies d’un retour immédiat aux taux les plus élevés possible, sans espoir de rétractation.
Une telle démarche nécessite de soulever quelques questions. Comment justifier que le crédit à la consommation soit assorti d’un taux de 15 % à 20 %, ce qui est énorme au regard des sommes empruntées, même si cela représente peu en montant nominal, sachant que 93 % des crédits accordés ne donnent lieu à aucune difficulté de paiement et de remboursement et que le risque de créance irrécouvrable semble devoir porter sur seulement 2 % des cas ? Comment se constituent, se structurent de tels taux d’intérêt ? En vertu de la rémunération ou de la prévention de quels risques de telles pratiques voient-elles le jour ?
Avec la crise, les taux bancaires ont connu une sensible décrue, à commencer par le taux directeur de la Banque centrale européenne, qui s’établit aujourd’hui à 1 %.
Les banques françaises trouvent aujourd’hui de telles conditions de refinancement qu’elles utilisent de moins en moins la « réserve d’argent » disponible – vous voyez que le crédit cher n’est pas forcément une bonne chose – constituée par les ressources de la Société de financement de l’économie française, laquelle a pourtant été dotée d’une capacité de 320 milliards d’euros par le collectif budgétaire du mois d’octobre dernier.
Mais les crédits à la consommation, qui sont diffusés par des services spécialisés étroitement liés aux établissements bancaires, continuent de surfer sur des vagues de taux d’intérêt particulièrement élevés.
Ces taux finissent évidemment par poser problème aux ménages confrontés, eux, au gel du traitement des fonctionnaires et à la modération salariale dans le secteur privé, doublés de la généralisation des périodes de chômage technique. Cela pèse en outre sur la croissance : la consommation populaire ne peut plus venir autant au secours d’exportations défaillantes ou du ralentissement de l’investissement dans les entreprises.
Si le crédit est nécessaire à l’activité économique, il ne peut pas avoir vocation à la « vampiriser », au risque de voir son coût absorber une part croissante de la richesse créée par le travail de la valeur ajoutée produite.
Revenir à une situation plus conforme aux intérêts du pays et de ses salariés impose d’aller plus loin que ne le fait ce texte dans la responsabilisation et la maîtrise d’un tel outil de financement de l’économie.
Nous avons fait le choix de déposer sur le texte un nombre relativement important d’amendements, largement inspirés par les réflexions et l’action des associations de défense des consommateurs et répondant aux préoccupations que nous avions nous-mêmes au départ.
Notre vote final dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements et de la manière dont le projet de loi sera finalement rédigé. Mais notre position a priori n’est nullement favorable à ce texte, qui nous semble largement insuffisant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui présente une réforme en profondeur du crédit à la consommation, réforme particulièrement opportune en cette période de crise qui frappe l’ensemble des ménages français.
Les cinq propositions de loi sénatoriales déposées sur ce sujet depuis la rentrée parlementaire au mois d’octobre 2008, dont deux sur l’initiative de collègues du groupe de l’UMP, MM. Philippe Marini et Charles Revet, témoignent d’ailleurs d’un large consensus sur la nécessité de faire évoluer la législation, en visant deux objectifs. Le premier est d’ordre social : il faut mieux protéger le consommateur des écueils du surendettement. Le second est d’ordre économique : il s’agit d’encadrer davantage le crédit à la consommation des ménages, sans pour autant freiner la consommation.
Tout l’enjeu consistait donc à trouver un juste équilibre entre ces deux impératifs. Cela n’a cessé de guider les travaux de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, sous l’impulsion de son président, M. Philippe Marini, et de son rapporteur, M. Philippe Dominati.
En effet, le texte qui est aujourd'hui soumis à notre approbation a été largement enrichi par les propositions de la commission spéciale, en étroite concertation avec Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et M. le haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.
Il s’agit donc avant tout d’éviter aux ménages les plus vulnérables de se retrouver surendettés pour avoir naïvement cru aux belles promesses des offres, promotions et autres cartes de crédit.
Il est malheureusement possible de vivre au-dessus de ses moyens jusqu’à finir asphyxié par les dettes.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Dominique de Legge. C’est possible avec le crédit renouvelable, ou crédit « revolving », et avec les cartes de crédit, qui sont si facilement accessibles dans les espaces « finances » des grands magasins. C’est également possible en contractant plusieurs crédits et en multipliant les cartes jusqu’à la faillite personnelle.
Le projet de loi du Gouvernement vise à briser la spirale infernale qui affecte les ménages, souvent les plus modestes. L’objectif est de garantir une commercialisation responsable du crédit à la consommation et une meilleure prévention du surendettement.
En outre, la réforme proposée tire les conséquences de la directive européenne du 23 avril 2008 relative aux contrats de crédit aux consommateurs.
Avec mes collègues du groupe de l’UMP, nous ne pouvons que nous féliciter des objectifs visés par ce texte. Il s’agit de développer un crédit responsable, de fixer des règles en matière de publicité pour supprimer les pratiques agressives qui empêchent les ménages de prendre un engagement réfléchi lorsqu’ils sont sollicités, de consolider les obligations et responsabilités des prêteurs, notamment s’agissant de l’évaluation de la solvabilité des emprunteurs, d’encadrer la distribution du crédit sur les lieux de vente et de renforcer les règles de protection des consommateurs.
En outre, le texte se penche sur la situation des personnes qui connaissent de réelles et sérieuses difficultés d’endettement. Les retombées de cette loi importante seront donc aussi bien sociales qu’économiques. Je rappelle que la consommation des ménages constitue l’un des piliers de l’économie française.
Le crédit est un instrument populaire, utile et nécessaire à la vie des ménages. Un tiers des ménages français, soit neuf millions de ménages, ont contracté un crédit à la consommation, ce qui leur offre la possibilité d’acquérir des biens en étalant le paiement dans le temps et de lisser leurs dépenses. Si le crédit à la consommation s’exerce de manière responsable, il sera un atout tant pour les consommateurs que pour la croissance.
Il faut malheureusement déplorer certaines dérives, qui conduisent à des situations intenables de surendettement. La crise financière, née aux États-Unis, nous a donné la preuve flagrante des ravages du surendettement, qui touche des familles entières, mais aussi la société dans son ensemble.
Depuis plusieurs années, les associations de consommateurs réclament une véritable réforme du crédit à la consommation permettant de lutter contre le malendettement des consommateurs et de favoriser l’accès de tous à un crédit responsable.
Elles s’élèvent, en particulier, contre l’orientation quasi exclusive des distributeurs de crédit vers le crédit renouvelable, alors même que cette forme de crédit est unanimement dénoncée comme une source dangereuse de malendettement, conduisant inexorablement à un surendettement sans fin. Il s’agit de la formule de crédit la plus chère et la plus déresponsabilisante.
Le surendettement, il faut le rappeler, touche les personnes les plus modestes. Pour un grand nombre d’entre elles, le surendettement provient d’un accident de la vie, tel que chômage, séparation ou divorce, maladie. Mais, dans 25 % des cas, il trouve exclusivement son origine dans un excès de crédit, une mauvaise gestion ou un excès de charges.
Pour contribuer à atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement, la commission spéciale a souhaité porter le débat sur des thèmes que n’abordait pas le projet de loi initial, notamment la fixation du taux de l’usure, la perspective de création d’un fichier positif, ainsi que le développement du microcrédit personnel. Les travaux de la commission spéciale ont donc permis de compléter le projet de loi de manière constructive, de façon à poursuivre un objectif commun.
Comme l’a très bien rappelé le président de la commission spéciale, M. Marini, il est temps aujourd’hui d’adapter des textes qui ont vieilli.
Ainsi en est-il de la législation sur le taux de l’usure. La commission spéciale en a modifié la logique en fusionnant tous les types de crédit à la consommation dans un même ensemble. Elle a adapté les modalités de calcul du taux de l’usure, jugées obsolètes et perverses, car poussant au développement du crédit renouvelable.
La commission spéciale a par ailleurs examiné la possibilité de créer un fichier « positif », instrument utile pour connaître la situation financière des emprunteurs. Jouant un rôle d’alerte, et mis à jour régulièrement, il permettrait de responsabiliser à la fois le prêteur et l’emprunteur, à l’instar de ce qui se pratique chez nos voisins allemands et danois.
Nous mesurons tous, dans cette enceinte, les conséquences d’un tel dispositif en termes non seulement de lourdeur de gestion – il faudrait ficher environ 13 millions de personnes –, mais aussi de risques en matière de protection des libertés individuelles.
Certains auraient souhaité que l’on retienne ce système plus radical. Toutefois, la commission spéciale a estimé qu’il était raisonnable de se donner un temps pour évaluer la pertinence de l’existence d’un tel fichier.
La commission spéciale a donc souhaité que soit amélioré dès à présent le fonctionnement de la procédure de surendettement et du fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, ou fichier dit « négatif ».
Elle a aussi posé le principe de la création d’une centrale des crédits aux particuliers, placée sous la responsabilité de la Banque de France, qui fera l’objet d’un rapport remis au Gouvernement et au Parlement dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi. Le principe étant acté, nous ne pouvons qu’approuver cette décision de sagesse.
En outre, la commission spéciale a modifié le projet de loi initial afin de le préciser et de le compléter sur deux sujets essentiels : le renforcement de l’information et de la protection du consommateur, la clarification de la « zone grise » commerce-crédit, c’est-à-dire la distribution de crédits sur le lieu de vente.
Enfin, la commission spéciale a introduit un nouvel article visant à définir le « microcrédit personnel », à mettre l’accent à la fois sur l’objet du crédit, la capacité de remboursement des emprunteurs et l’accompagnement social dont ils doivent bénéficier, et à autoriser le fonds de cohésion sociale à prendre en charge les dépenses d’accompagnement des bénéficiaires.
C’est sur la base de cet équilibre entre protection des consommateurs et reconnaissance du crédit dans la consommation des ménages que mes collègues du groupe UMP et moi-même approuvons pleinement les objectifs de ce projet de loi, sans préjuger les améliorations qui pourront y être apportées dans l’intérêt des familles et de notre économie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Escoffier, qui a dû s’absenter.
Voilà quelques mois, le 10 décembre 2008, à l’occasion d’une question orale sur la prévention du surendettement des Français déposée par Muguette Dini, Anne-Marie Escoffier, de même que plusieurs d’entre-nous, avait fait part au Gouvernement de ses inquiétudes concernant ce phénomène grave, qui a malheureusement tendance à se généraliser avec la crise que nous traversons.
En effet, non seulement le nombre de nos concitoyens surendettés va croissant – 188 000 dossiers sont traités chaque année par les commissions de surendettement –, mais cette tendance socio-économique s’accompagne d’un phénomène de banalisation particulièrement dangereux.
Différentes études laissent à penser que, à ce jour, plus de sept millions de personnes, c’est-à-dire 15 % de la population, seraient insolvables.
Depuis plusieurs années, les associations de consommateurs alertent régulièrement les pouvoirs publics sur les véritables « pièges » financiers dont nombre de nos compatriotes sont victimes.
Or, malgré plusieurs lois, le problème n’est pas réglé, tant s’en faut, de sorte que, dans ce domaine plus que dans d’autres, l’urgence est grande.
Ainsi, la France est parvenue à une situation totalement paradoxale où, d’un côté, compte tenu de la crise, les banques restreignent l’attribution de crédits à la consommation, tandis que, de l’autre, les crédits dits « revolving » se multiplient comme les métastases d’un cancer financier gagnant sans discernement la totalité d’un organisme malade, qui n’est autre que le corps social et, à l’intérieur de ce dernier, les personnes les plus modestes, donc les plus fragiles.
Au fil des ans, le crédit revolving s’est imposé insidieusement, sournoisement, comme un outil normal de gestion du budget familial. Il a donné naissance à cette spirale infernale du surendettement, frappant celles et ceux qui n’ont pas su résister à un système au sein duquel les auteurs de publicités mensongères et les organismes de crédit indélicats se sont associés pour rendre le commerce amoral et transformer le domaine de la consommation en une véritable jungle, où seule la loi du plus fort prédomine.
Le vieil adage, qui voulait jadis que l’on ne prête qu’aux riches, est désormais contredit, puisque ce sont bien les plus pauvres ou les plus fragiles que, à coup d’actions de désinformation et de publicités mensongères, les opérateurs bancaires et les grandes surfaces détroussent littéralement.
Devant l’ampleur d’un phénomène allant jusqu’à saper les bases de la société contemporaine et un dispositif législatif devenu inopérant, parce que trop complexe et insuffisamment réactif, le Sénat n’est pas demeuré inerte, loin s’en faut, puisque cinq de nos collègues de divers bords ont déposé des propositions de lois sur le sujet. Le Gouvernement ne les a cependant pas retenues, préférant la voie du projet de loi qui nous occupe aujourd’hui, et profitant d’ailleurs de ce texte pour transcrire en droit français les éléments de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil européen du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs.
Si certains d’entre nous ont pu regretter la mauvaise manière faite par le Gouvernement à la Haute Assemblée en ne laissant pas l’initiative parlementaire aller à son terme, on ne peut en revanche que se féliciter de la mise en place fort judicieuse d’une commission spéciale, qui a beaucoup travaillé et mené une réflexion approfondie pour réformer le crédit à la consommation.
Cette commission a procédé à l’audition de toutes les parties prenantes, ce qui a permis à ses membres de bien cerner les enjeux du problème et de formuler un certain nombre de propositions concrètes tendant à adapter les formes de crédit à la consommation aux besoins des emprunteurs, à élargir l’accès au crédit responsable et à rechercher les moyens d’un meilleur accompagnement des ménages en difficulté pour leur permettre de sortir au plus vite du surendettement.
Le texte que nous examinons est le résultat de ces rencontres, de ces travaux conduits avec le souci constant, de la part notamment du président et du rapporteur de la commission spéciale, d’aboutir à un texte équilibré et responsable, protecteur des consommateurs sans pour autant porter atteinte au dynamisme bancaire indispensable à notre économie.
Comment ne pas adhérer aux dispositions de ce texte, qui devraient avoir pour effet non pas de tarir le crédit à la consommation – ce serait une grave erreur –, mais de le maîtriser ? Qui ne se réjouirait de savoir que les situations d’angoisse, de détresse, dans lesquelles sont plongées certaines familles pourraient enfin disparaître ? Qui pourrait ne pas souhaiter la fin des harcèlements, tant par courriers répétitifs que par téléphone, de la part d’officines de recouvrement souvent brutales ? Ne devrait-on pas interdire à ces mêmes officines, le cas échéant aux organismes bancaires eux-mêmes, d’intervenir auprès des maires des communes de résidence des débiteurs pour obtenir de ces derniers les remboursements des sommes prêtées parfois sans considération de la réelle solvabilité des emprunteurs ? Sur ce point d’ailleurs, il paraîtrait utile que Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales indique clairement aux élus qu’ils n’ont pas à intervenir dans de tels différends.
Fort opportunément, ce projet de loi privilégie l’accès à un crédit responsable, rigoureusement encadré, faisant une part véritable à l’information du consommateur. Plusieurs amendements sont venus améliorer sur ce point le texte initial.
Le projet de loi donne la priorité au crédit amortissable, sans ôter l’intérêt du crédit renouvelable, tout en laissant, dans le cadre d’un dialogue ouvert entre le prêteur et l’emprunteur, le choix de la solution la plus opérante.
L’information, l’accompagnement social des emprunteurs dans les situations sensibles sont autant d’éléments nouveaux, de nature positive, introduits dans le dispositif législatif.
Il n’en reste pas moins que nous aurions voulu introduire dans ce texte des mesures plus contraignantes à l’égard des banques et des organismes financiers.
En effet, il n’est pas acceptable de voir s’étaler des pages entières de publicité vantant les mérites de tel produit financier destiné au rachat de crédits ou s’allonger la liste des organismes prêteurs qui, sans procéder à des vérifications substantielles, ont laissé les emprunteurs entrer dans la noria de crédits cumulés.
Il en découle ces incidents de paiement, qui peuvent conduire à une inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers. Aujourd'hui, ce fichier est « négatif », car il n’a d’intérêt que s’il est régulièrement mis à jour et si sa consultation par les organismes de crédit est effective. Le débat entre fichier « négatif » et fichier « positif » est resté inabouti ; on peut le regretter.
La période d’observation donnée ainsi aux prêteurs devra être clairement mise à profit pour déterminer la meilleure voie à suivre et s’assurer que seront pénalisés effectivement ceux de ces établissements bancaires qui ne respecteront pas les engagements pris.
Je veux encore souligner l’amélioration introduite par le texte dans le fonctionnement des commissions de surendettement, disposition qui devrait permettre à ces dernières d’accélérer les processus d’examen des dossiers et de prendre des décisions relevant jusqu’à présent de la compétence du juge.
Cette mesure de simplification des procédures ne peut que favoriser le règlement de dossiers souvent difficiles, tout en veillant à l’accompagnement des personnes fragilisées par leur situation financière.
Au total, nous avons tous eu la volonté d’améliorer un dispositif devenu inadapté aux nouveaux modes de consommation.
À l’évidence, les progrès apportés par le texte demandent à être vérifiés au quotidien et sur le terrain. C’est tout l’intérêt des dispositions transitoires portant création d’une commission temporaire d’évaluation qui sera chargée de définir des aménagements et améliorations complémentaires.
Dans ce contexte, les membres du groupe du RDSE donneront un avis favorable à un texte qui, en confortant les organismes bancaires dans le respect d’un véritable code de déontologie, protège et respecte les personnes dans leur dignité de citoyens. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)