M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Madame le sénateur, nous estimons que si l’instrument des bad banks peut être utile en certaines circonstances, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, il n’est pas forcément adapté à la situation des banques françaises.
Un débat a lieu – vous l’avez indiqué –, mais les banques françaises sont, dans leur ensemble, plutôt bien capitalisées et disposent de marges de manœuvre pour absorber d’éventuelles nouvelles dépréciations d’actifs.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas de cela que j’ai parlé !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Dès lors, l’instrument d’une bad bank, qui conduirait à mettre en place un nouveau dispositif de garanties en faveur des banques, ne nous semble pas d’actualité.
L’éventualité évoquée par le Président de la République était l’examen d’un système mutualisé que pourrait mettre en place le système bancaire, mais non l’instauration d’un système de bad banks.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, y a deux oubliés dans le débat sur le G20 et dans les conclusions provisoires du sommet de Londres.
Ces oubliés, ce sont, d’une part, les salariés des entreprises des pays développés,…
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Eh oui !
M. Thierry Foucaud. … notamment ceux de l’Europe, plus particulièrement de la France, qui sont aujourd’hui transformés en variable d’ajustement pour permettre à quelques entreprises de se refaire une santé sur le plan financier.
D’ailleurs, Carlos Ghosn déclarait, dans le Financial Times du 14 avril dernier, que la crise était l’occasion de faire passer des réformes dans l’entreprise et de faire des choses qui n’auraient pu être réalisées voilà quelques années. Il citait, à l’appui de ce propos, la réduction du temps de travail et la baisse des salaires, auparavant impossibles.
Les plans sociaux en œuvre dans de nombreuses entreprises sont la manifestation de cette situation.
Monsieur le secrétaire d’État, en réponse aux différents intervenants, vous avez parlé de solidarité. Mais les oubliés, ce sont, d’autre part, les pays du Sud et leurs peuples.
Dans Le Monde Economie, daté du mardi 28 avril dernier, il est indiqué que « la crise frappe encore plus violemment les pays pauvres », puisque, « en 2009, 55 à 90 millions de personnes tomberont dans l’extrême pauvreté, surtout en Afrique et en Asie du Sud ».
Les 100 milliards de dollars de pertes d’AIG représentent une somme considérable, mais cela ne doit pas nous faire oublier que le dixième de cette somme, chaque année, pourrait permettre aux peuples du Sud de bénéficier de l’accès à l’eau potable.
Ma question sera très simple : quel rôle entend jouer la France, dans le cadre des instances internationales adaptées – la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, ou CNUCED, notamment – pour faire valoir, en vue de sortir de la grave crise économique, sociale et sanitaire qui frappe aujourd’hui la planète, des choix permettant de répondre aux attentes légitimes des peuples du Sud ?
Quelles initiatives souhaitons-nous promouvoir au niveau de l’Union européenne, loin du rejet de l’immigration économique et du pillage des ressources naturelles auxquels on assiste aujourd’hui, pour aller vers la définition de politiques partenariales mutuellement avantageuses ?
Enfin, quelle appréciation portons-nous sur l’émergence d’alternatives à la domination du dollar comme monnaie commerciale internationale ? Disant cela, je songe à l’initiative sud-américaine autour de la création du Sucre, le système unitaire de compensation régionale.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, les premières victimes de cette crise d’une violence inouïe sont bien entendu les salariés, qui ont à subir restructurations industrielles, fermetures d’usines et suppressions de postes.
Toute la politique que mène actuellement le Gouvernement a pour objet à la fois de préserver notre outil industriel, c’est-à-dire de conserver une compétence technique et économique dont nous aurons besoin dans les années qui viennent, et de sauvegarder le capital humain. C’est la raison pour laquelle il a pris des mesures sans précédent visant à maintenir le lien entre l’entreprise et le salarié.
Les dispositifs d’accompagnement financier, qui permettent aux entreprises de traverser cette période de grande difficulté, et les dispositifs de chômage partiel sont liés et ont précisément tous pour objet d’amortir le choc, avec des contingents d’heures de chômage partiel, et de préserver le lien entre l’entreprise et le salarié.
La disposition qui consiste à revaloriser l’indemnisation pour le chômage partiel en la portant à 90 % du salaire précédent est elle aussi une réponse.
M. Thierry Foucaud. À Sandouville, certains salariés sont contraints de travailler plus d’heures tandis que d’autres sont mis au chômage !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous n’ignorez pas que la crise actuelle est d’une violence inouïe et sans précédent. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement tente, à chaque fois que cela est possible, de maintenir le lien entre le salarié et l’entreprise.
La disposition visant à augmenter le contingent des heures de chômage partiel pour les secteurs les plus frappés par la crise en faisant passer à 90 % le montant de l’indemnisation pour le chômage partiel et en augmentant la part de l’État dans l’indemnisation afin que les entreprises voient leur charge allégée et puissent ainsi traverser cette période de grande difficulté me semble être adaptée et constituer un réel geste de solidarité.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, il convient de rappeler les mesures de solidarité que le Gouvernement vient de mettre en œuvre.
Ainsi, les 4 millions de ménages les plus modestes qui bénéficieront, à partir du 1er juillet prochain, du revenu de solidarité active, ont perçu, ce mois-ci, une prime de solidarité active.
Les contribuables relevant de la tranche la plus basse d’impôt sur le revenu n’ont pas été oubliés. Il s’agit de l’ensemble des classes moyennes, celles qui travaillent, celles à qui on demande volontiers de payer des impôts sans qu’elles bénéficient forcément de la redistribution des richesses. Le mois prochain, elles verront leur deuxième tiers provisionnel supprimé et n’auront pas non plus à payer le troisième. Voilà un vrai geste de solidarité !
J’en viens maintenant à la deuxième partie de votre question, qui porte sur la situation des pays du Sud.
Dans ce domaine, la France, par la voix du Président de la République, a exprimé, et ce depuis le début, sa volonté d’associer au maximum les pays dits « émergents ». C’est ce qui a conduit au sommet du G20 du 2 avril dernier, sommet dont la composition a fait l’objet d’âpres négociations entre les parties prenantes, notamment la France, les États-Unis et les autres pays de l’Union européenne. Je l’ai indiqué tout à l’heure, 85 % de la population mondiale était représentée au G20. Y siégeaient en particulier le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.
M. Robert Hue. Quid du reste de l’Afrique ?
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Le G20 a décidé d’augmenter les ressources du FMI, ce qui profitera aux pays émergents et aux pays pauvres. Mme Lagarde s’est rendue à Ouagadougou il y a quelques jours pour évoquer ce sujet avec les représentants de la « zone franc » et les assurer du soutien de la France en la matière. Ils ont ensemble lancé un appel aux institutions financières internationales pour les sensibiliser à la nécessaire prise en compte de la situation des pays les plus pauvres d’Afrique. Ce message, c’est celui de la France, et nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, devant le G20, le FMI et la Banque mondiale.
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.
M. Albéric de Montgolfier, membre du groupe de travail. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte justement sur les moyens qui seront octroyés au FMI, moyens que les États membres du G20 se sont engagés à tripler.
Quelle est, à ce stade, la nature de l’engagement de la France ? A-t-elle signé une lettre d’engagement, et, si oui, pour quel montant ? S’agit-il d’un engagement de nature budgétaire, auquel cas le Parlement devra en décider, ou est-ce simplement un engagement de trésorerie de la part de la Banque de France ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Monsieur de Montgolfier, à la suite de la décision de renforcer les ressources du FMI, le Conseil européen, qui s’est tenu au mois de mars dernier, s’est effectivement engagé à soutenir cette institution à hauteur de 75 milliards d’euros.
À Washington, le 22 avril dernier, Mme Lagarde a ainsi signé avec M. Strauss-Kahn, le directeur du FMI, une lettre d’intention qui prévoit une contribution de 15 milliards de dollars de la France à cet effort. Nous avons également décidé de mobiliser un milliard de dollars supplémentaire pour renforcer les moyens d’action de ce fonds vers les pays les plus pauvres, que je viens d’évoquer, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne.
Ces opérations sont de nature monétaire et se traduisent par la mise en place d’une ligne de crédits à la Banque de France au bénéfice du FMI : celle-ci ne sera tirée qu’en fonction des besoins et n’aura donc aucun impact sur le plan budgétaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez souligné les avancées obtenues lors du G20 de Londres, et je voudrais revenir sur deux points, certes d’importances diverses, mais qui me paraissent tout de même essentiels.
Premièrement, n’est-il pas caricatural de se féliciter de la fin des quatre paradis fiscaux que vous avez cités, sachant que peu de gens, même les plus avertis, connaissaient leur véritable situation ? D’ailleurs, les vrais paradis fiscaux, eux, n’ont pas été inquiétés, à l’image de la place de Londres, pourtant notoirement connue en la matière, ou des îles anglo-normandes et d’autres pays européens intracommunautaires.
Derrière cette satisfaction de façade, ne convient-il donc pas d’agir plus sérieusement ?
Deuxièmement, comme vous l’avez vous-même reconnu dans votre intervention, le système comptable IFRS, l’International financial reporting standards, a montré ses limites, et les Anglo-Saxons, qui l’ont défendu, se sont retrouvés dans la situation de l’arroseur arrosé !
En tout état de cause, l’absence de reprise des relations interbancaires continue de geler la situation et de creuser encore plus cette crise financière, qui a plongé l’économie mondiale dans la récession. Pour prolonger ce que vous avez vous-même esquissé, ne faut-il pas prévoir des dérogations à l’IFRS et apporter des modifications au système, en prenant des mesures à la fois circonstancielles et plus profondes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Monsieur Jégou, reconnaissez-le, le G20 a objectivement permis des progrès considérables concernant les paradis fiscaux, sans commune mesure avec ce qui avait pu être fait par le passé.
C’en est fini du secret bancaire. Toutefois, vous avez indiscutablement raison, il importe de concrétiser ces engagements positifs, et c’est le G20 qui sera chargé d’en assurer le suivi.
Au niveau français, nous allons demander aux pays de la liste grise d’engager des négociations pour se mettre en conformité avec les conventions fiscales et les standards de l’OCDE. Quant aux îles anglo-normandes, elles ont signé une convention en la matière.
À propos des normes comptables, ensuite, un certain nombre d’orateurs sur plusieurs travées se sont en effet demandés si nous étions allés assez loin sur cette question.
Il convient avant tout de rappeler que, voilà un an, nous étions très isolés sur ce sujet. Depuis, nous avons pu obtenir des avancées au niveau européen, avec la possibilité de changer de méthode de valorisation des actifs détenus jusqu’à leur maturité et éviter ainsi l’utilisation de la valeur de marché.
Mme Nicole Bricq. Il faut que ce soit fait au niveau mondial !
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Il s’agit vraiment d’un point important.
Autre avancée, lors du dernier conseil Écofin de Prague, la présidence a appelé l’IASB, l’International accounting standards board, à prendre en compte l’impact de la crise financière sur l’application des normes comptables et a menacé de réviser le règlement de 2002 qui confie à cet organisme la tâche de produire les normes applicables en Europe.
Mme Nicole Bricq. Le problème est mondial !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais évoquer le sort de nos industries dans cette crise, question très sensible que vous connaissez bien. À partir du moment où il existe des écarts de salaires de un à huit en Europe et de un à vingt à l’échelle internationale, notamment dans les pays de l’Asie de l’Est, quel peut être l’avenir de l’industrie automobile, qui est au cœur de notre secteur industriel ? Y a-t-il des moyens permettant de la sauvegarder ?
Le Président de la République a dit, à Vesoul, avoir découvert avec effroi que cette activité était devenue déficitaire. Elle était excédentaire en 2006. Au début de la décennie, la France produisait 3 millions d’automobiles, contre un peu plus de 2 millions aujourd’hui.
Pour nous tous, notamment pour le titulaire du portefeuille de l’industrie que vous êtes, il est donc raisonnable de se poser la question de la protection de notre industrie automobile, surtout dans la perspective d’un affaissement du dollar, que M. Fourcade a évoquée tout à l’heure. Il nous faut y faire face, même si, pour le moment, la concurrence est plus intraeuropéenne qu’asiatique.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Néanmoins, la concurrence avec l’Asie et l’Amérique est une réalité. Par conséquent, je souhaite connaître les moyens que vous allez utiliser.
Monsieur le secrétaire d’État, le fonds de modernisation des équipementiers automobiles sera alimenté, à hauteur de 200 millions d’euros, par l’État au travers du fonds stratégique d’investissement, ainsi que par Peugeot et Renault pour un montant équivalent. Cela sera-t-il suffisant ou envisagez-vous des moyens supplémentaires ?
Que vont devenir les entreprises qui souffrent ? Dans ma région, pour Rencast, Sonas, Wagon et Trevest, trouver des repreneurs potentiels n’a rien d’évident. Les grands groupes tels que Peugeot seront-ils sensibilisés à la nécessité de maintenir le tissu productif ? Quelles mesures allez-vous prendre, notamment dans le cadre de la taxe carbone, pour assurer à nos industries une nécessaire protection ?
Monsieur le secrétaire d’État, ne pas répondre à toutes ces questions signifierait que le Gouvernement se résout à voir l’industrie automobile péricliter, ce qui ne manquerait pas d’avoir des répercussions sur d’autres secteurs et toucherait, par exemple, nombre d’entreprises dans la sidérurgie, l’électronique, le caoutchouc ou le pneu.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Absolument ! Parlons des fabricants de pneus !
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est véritablement une question stratégique, que vous devez vous poser ! À cet égard, de quelle batterie de moyens disposez-vous ?
Lorsque l’on entend les déclarations formulées dans le cadre du sommet de Londres, reprises d’ailleurs au niveau de la Commission européenne, dont l’état d’esprit ultralibéral et dogmatique n’est plus à démontrer, on se dit que nous ne sommes pas défendus ! Telle est en effet la réalité : Bruxelles ne nous défend pas ! Nous sommes donc pieds et poings liés, sans aucune possibilité de préserver ce qui constitue le cœur de notre industrie !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Monsieur Chevènement, nous croyons à l’avenir de l’industrie automobile en France, mais à plusieurs conditions. C’est l’objet du pacte automobile, qui a été présenté à l’Élysée par le Président de la République le 9 février dernier.
L’urgence de la situation commandait de répondre à la gravité de la crise traversée par ce secteur industriel, qui, parce qu’il a d’importants besoins de financement en matière de trésorerie et d’investissement, a été le premier à être victime de la violence de la crise financière.
Il fallait donc répondre à cette urgence, et c’est ce que nous avons fait. Cela nous a permis de constater que la crise frappant l’industrie automobile est beaucoup plus structurelle : problèmes de compétitivité, d’adaptation de l’offre à la demande des consommateurs, prise en compte de l’évolution en matière environnementale ; en définitive, c’est l’ensemble du modèle économique qu’il faut repenser avec les industriels.
À cet égard, le pacte automobile a l’intérêt d’être « multi-leviers », en prévoyant à la fois des mesures de court terme et de long terme, beaucoup plus structurelles. D’un côté, nous mobilisons des moyens financiers pour aider les constructeurs qui n’arrivent plus à se financer sur les marchés, pour débloquer, via OSEO, des liquidités en faveur des sous-traitants qui ont besoin de lignes de trésorerie, pour encourager le chômage partiel et éviter les licenciements dans ce secteur. De l’autre, nous prenons des mesures structurelles non seulement pour gagner en compétitivité, au travers de la suppression de la taxe professionnelle,…
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Ce n’est pas fait !
Mme Nicole Bricq. Ce n’était pas la chose à dire, monsieur le secrétaire d’État !
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. …mais aussi pour améliorer la gestion de la production, par la promotion du lean management et du lean manufacturing. Si l’industrie automobile française n’est pas suffisamment performante, c’est aussi parce qu’il y a des gains de productivité à réaliser dans l’organisation de la production. Nous y consacrons donc des moyens considérables. En outre, nous entendons développer les dispositifs innovants pour l’avenir tels que le véhicule « décarboné », le moteur propre et le véhicule électrique.
Mme Nicole Bricq. Il fallait le faire plus tôt !
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Nous avons, pour ce faire, débloqué des moyens et nous allons organiser tout cela autour de consortiums, car il faut une solution française pour le véhicule du futur.
Enfin, monsieur le sénateur, vous évoquez les restructurations industrielles dans votre région, où, c’est vrai, un certain nombre d’entreprises souffrent. J’étais d’ailleurs à Besançon, voilà quelques jours, pour installer le commissaire à la réindustrialisation, puisque le Président de la République a souhaité la présence d’un relais des services de l’État pour coordonner l’action de ces derniers dans chaque région qui souffre sur le plan industriel.
Le rôle de ce relais est à la fois d’anticiper, quand cela est encore possible, en travaillant avec le Comité interministériel de restructuration industrielle, le CIRI, afin d’éviter des licenciements et des fermetures d’usines, et d’étudier les possibilités de reprises.
Je vous citerai un chiffre, monsieur le sénateur : depuis le début de la crise, ce travail a permis de sauvegarder 22 000 emplois en France. S’agissant des cas précis que vous avez évoqués, nous étudions toutes les hypothèses de reprises potentielles. Nous essayons de le faire dans la discrétion, car c’est souvent un gage de réussite dans ce type de dossiers.
Lorsque cette démarche d’anticipation n’a pas permis d’obtenir des résultats positifs, il existe des mesures d’accompagnement social. En France, on ne ferme pas une usine en quinze jours ! Des lois d’accompagnement social permettent de protéger les droits des salariés, et le rôle de l’État est de veiller à la mise en œuvre correcte de ces mesures.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Il y a va de la revitalisation !
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Le dernier volet que je souhaite évoquer concerne au premier chef votre région, qui est la première région industrielle de France : il s’agit de la revitalisation, de la réindustrialisation. Lorsqu’une usine ferme ses portes dans des régions aussi industrielles que la vôtre, c’est un drame humain et économique. Il convient donc, ultérieurement, de réindustrialiser ces régions. Ce sera également le rôle de ces commissaires.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail.
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. La vraie question qui se pose est celle de la sortie de crise. Comment parviendrons-nous, demain, à mieux équilibrer nos niveaux de consommation et de production ?
Monsieur le secrétaire d’État, cette crise nous éclaire sur toutes nos contradictions. Au fond, dans notre conception de l’économie de marché, nous voulons parvenir à la fois aux prix les plus bas possible et aux profits les plus élevés. En effet, il faut lutter contre la vie chère ; d’ailleurs, politiquement, cela se vend bien. Si je suis Premier ministre, ma priorité doit être de me battre contre la vie chère et de casser les prix.
Selon cette vision de l’économie de marché, il faut donc à la fois casser les prix et maximiser les profits. Or, compte tenu de l’état de nos législations, de nos règlementations, de nos régimes de protection sociale, du financement de la sécurité sociale, notamment des branches santé et famille, et accessoirement de la taxe professionnelle, nous chargeons la production d’un certain nombre de contributions, ce qui a pour conséquence d’augmenter le prix de revient de ce que nous produisons.
Cette contradiction ne peut être surmontée qu’en délocalisant, même s’il paraît que la délocalisation, cela n’existe pas ! En effet, si l’on en croit M. Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, l’avenir, c’est l’économie de la connaissance. Formidable ! Allez expliquer à des ouvriers qui perdent leur boulot que ce n’est pas grave, car leur avenir, c’est l’économie de la connaissance !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. C’est ce que dit M. Blanchard !
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. C’est extraordinaire et très encourageant ! Et voilà comment l’on pousse des milliers, voire des millions d’hommes et de femmes au chômage !
Dans une société équilibrée, les emplois forment un ensemble très divers, avec des niveaux de valeur ajoutée très contrastés.
Dans notre société, qui veut rendre compatibles les profits les plus élevés et les prix les plus bas, on désindustrialise massivement ; cela n’est soutenable que par des recours massifs à l’emprunt pour financer les déficits publics et les déficits commerciaux. Comment faire pour surmonter cette contradiction ? Quelles réformes devons-nous conduire pour rendre sa compétitivité au travail dans notre pays ?
Voyez l’exemple des stratégies successives dans le secteur de l’automobile ! Voilà quelques années, lorsque Renault s’est implanté en Roumanie pour produire la Logan, on nous a dit de ne pas nous inquiéter, cette voiture étant destinée aux consommateurs des pays émergents. Trois ans plus tard, on se demande pourquoi il faudrait priver les Français d’une voiture à si bon marché !
Aujourd’hui, au-delà du pacte automobile, lorsque les constructeurs lancent des appels d’offre auprès des équipementiers et des sous-traitants, les offres ne comportant pas au moins 70 % de production hors de France ne sont pas prises en considération.
Cessons toutes ces hypocrisies ! Osons dire les choses comme elles sont afin d’en tirer les conséquences, pour que les forces du conservatisme et parfois de l’immobilisme renoncent à leurs revendications et qu’ensemble nous puissions bâtir, au-delà du pacte automobile, un autre pacte social. Ce sont ces contradictions que nous devons surmonter, monsieur le secrétaire d’État !
Sur la question du protectionnisme, sur laquelle Philippe Marini a ouvert son propos, laissez-moi vous faire part de notre rencontre la semaine dernière, à New York, avec l’Association des banques étrangères, c’est-à-dire non américaines.
Il existe, aux États-Unis, deux programmes très importants : le Troubled asset relief program, le TARP, et le Term asset-backed securities loan facility, le TALF. Le TARP est destiné à la reprise d’actifs toxiques et le TALF à des opérations tout aussi complexes, mais fiscalement avantageuses. Le Congrès américain a posé le principe que ces opérations ne seront possibles qu’au profit des banques américaines ! Si ce n’est pas là du protectionnisme ... Au lendemain des déclarations du G20 sur la prohibition du protectionnisme, nous constatons que chacun défend ses intérêts !
Je suis tout à fait favorable, pour ma part, à l’économie de la connaissance. Mais je n’ai pas encore trouvé la solution qui nous permettra de redonner un rôle dans les entreprises à tous les Français qui perdent leur emploi à cause de la désindustrialisation.
Mme Nicole Bricq, membre du groupe de travail. On a quinze ans de retard !
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Croire que l’on fera de la recherche, demain, là où il n’y a pas d’industrie, cela relève de la fiction !
J’ai noté que vous considériez la taxe professionnelle comme un vrai sujet (Mme Nicole Bricq sourit.), mais il faut aller au-delà. Le Gouvernement y est-il prêt, monsieur le secrétaire d’État ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Je souhaite réunir au travers de cette question deux sujets évoqués lors de précédentes interventions, les paradis fiscaux et la politique commerciale, sur lesquels on ne peut s’en tenir aux bonnes intentions et aux principes généraux. Nous devons au contraire y être très attentifs.
J’évoquerai d’abord les paradis fiscaux.
Il est assez facile au gouvernement des États-Unis, quand il se rend compte de la perte de ressources fiscales liée au statut privilégié des paradis fiscaux, de faire pression politiquement sur ces territoires, en l’absence de quelque convention que ce soit, sachant que nombre d’entre eux sont très dépendants de ce pays.
Je pense que nous allons bientôt voir apparaître de tels comportements chez nous. C’est une bonne prise de conscience, mais cela ne suffit pas. Pour nous, Européens, des règles du jeu doivent prévaloir en matière d’assistance administrative et de transmission d’informations. Il nous faut obtenir que, dans toutes les procédures fiscales ou civiles, l’assistance soit aussi conséquente que dans le domaine pénal. Je considère qu’une telle symétrie est souhaitable, et j’aimerais connaître l’avis du Gouvernement à cet égard.
Il existe en Suisse une loi très bonne et extrêmement contraignante relative à l’entraide internationale en matière pénale. Il suffirait de la démarquer : elle serait tout aussi excellente et efficace en matière de procédure fiscale, et permettrait de poursuivre des infractions constatées dans un autre territoire que la Suisse. Je souhaite que le Gouvernement soit pugnace sur ces sujets et ne se contente pas de bonnes intentions. Même si celles-ci constituent un bon début, on doit pouvoir élargir la brèche.
En matière de politique commerciale et de spécialisation du travail, ce qui est en cause, c’est la division internationale du travail.
Nous avons rencontré à Washington, entre autres interlocuteurs, Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI, grand conseiller de cette institution et homme éminemment brillant, qui nous a dit sans vergogne que l’économie des pays développés allait devoir se redéployer, car l’avenir était à l’économie de la connaissance. Et lorsque nous lui avons fait remarquer qu’il n’était pas évident d’adapter toutes les qualifications à cette évolution, il nous a répondu qu’il faudrait de toute façon en passer par là. Il s’agit là, je tiens à le souligner, d’une vision mécanique, inéluctable et idéologique !
Sur ces sujets, monsieur le secrétaire d’État, il nous faut sortir du politiquement convenable. Nous avons un véritable problème de définition de la stratégie européenne en matière de politique commerciale, un vrai problème d’équilibre européen qui concerne la zone euro, mais également, au-delà, les Vingt-sept ! Nous sommes à la veille d’un grand débat européen. Or, si l’Europe ne sait pas clarifier ses structures, ses fonctions et ses responsabilités, comment pourra-elle constituer un pôle de stabilité dans le monde ?
Si l’Europe est simplement une croyance dont on se sert pour raconter sans cesse aux électeurs des choses plus ou moins fausses, comment éviter qu’elle ne devienne, aujourd’hui même, et de plus en plus dans les années à venir, le bouc émissaire dans tous les débats, surtout si la crise s’aggrave ? En effet, s’il est possible de penser que, sur le plan des marchés et de la crise purement financière – même si on n’a pas fait l’inventaire complet de tous les actifs toxiques ! –, le processus de correction est bien en cours, la crise de l’économie réelle est encore devant nous. ! Nous ne devons nous faire aucune illusion à ce sujet, et de nombreux spécialistes nous en avertissent à juste titre.
Vous savez tout cela, monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes aux prises avec des problèmes sociaux et industriels très graves. Je tiens d’ailleurs à vous rendre hommage, car je suis concerné de près par un conflit que vous avez pris en charge, dès le départ, avec efficacité, franchise et pugnacité. Vous connaissez ces sujets tout particulièrement.
Nous savons que les annonces qui nous parviennent se concrétiseront dans trois mois, six mois ou un an, et que les statistiques du chômage, dans notre pays comme aux États-Unis et dans bien d’autres pays, continueront à s’aggraver de manière significative pendant une certaine période. Nous n’avons pas touché le fond ! Et cela alimentera des anticipations qui, elles-mêmes, seront défavorables. Le rééquilibrage s’opérera, bien sûr, mais il ne faut pas promettre la prospérité au coin de la rue !
Le vrai problème qui se pose est celui de la division internationale du travail et de la compétitivité de nos industries. Nous ne devons pas nous faire d’illusion : on ne tranchera pas le débat européen sans clarifier ce sujet. Je rejoins donc Jean Arthuis sur tous les points qu’il a abordés, sauf sur la taxe professionnelle ! (Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail, sourit.) Mais, après tout, ce n’est qu’une question parmi d’autres ...
Monsieur le secrétaire d’État, puisque vous êtes très au fait de l’ensemble des problèmes de restructuration et des difficultés du tissu social et industriel, nous souhaitons que, en conclusion de ce débat, vous puissiez nous faire part de votre vision et de votre stratégie qui nous permettront, je l’espère du fond du cœur, de franchir cette période difficile.