M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Il faudrait d’abord convaincre MM. Barroso et McCreevy !
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. C’est un vrai sujet, monsieur Chevènement.
Toujours est-il qu’à la veille des élections européennes la crise et ses conséquences pourraient éclairer le débat. Il y a là à l’évidence un défi majeur pour l’Union européenne.
Par ailleurs, cette crise met en évidence le fait qu’un certain nombre d’États consomment manifestement plus qu’ils ne produisent et que les déficits des finances publiques et les déficits commerciaux en résultant ne peuvent être couverts que par l’endettement. Cette situation doit être corrigée, il importe de redonner de la compétitivité au travail et à nos économies pour sortir définitivement de cette crise. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les sujets dont nous traitons ce matin sont à la fois essentiels et très difficiles à aborder dans une assemblée parlementaire.
Ce sont des sujets essentiels : ce n’est pas une clause de style de dire que notre avenir à tous en dépend et que du devenir de l’économie financière dépend le devenir de l’économie réelle. Mais ce sont des sujets difficiles qui échappent très largement à la vision du législateur national, car ils sont nécessairement traités de façon simultanée à plusieurs niveaux.
Certes, la crise impose un retour des États et de la régulation et cette question se traite dans les parlements nationaux. Mais la responsabilité de l’Union européenne est très grande, notamment celle du Parlement européen, qui ne se comporte pas comme un vrai parlement et qui sera prochainement renouvelé.
L’essentiel se situe ensuite au niveau mondial. Les deux réunions successives du G20 l’ont montré avec des résultats que je persiste à considérer comme très contrastés.
D’un côté, des avancées ont été faites, peut-être même l’amorce de quelques percées intellectuelles. De l’autre, le risque est très grand, madame Nicole Bricq, d’une autosatisfaction généralisée.
Mme Nicole Bricq, membre du groupe de travail. Oui !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Nous devons d’abord nous prémunir de ce risque d’autosatisfaction et d’autoglorification…
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. On va avoir du mal ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Je prendrai un exemple et je vous remercie de votre réaction, mes chers collègues.
Il n’est aucune réunion de chef d’État ou de gouvernement qui ne commence par des réactions indignées à l’encontre du protectionnisme. C’est une clause obligée.
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Très bien !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Or, de retour chez lui, que fait-il ? Dans les limites du droit international, européen ou national, il préconise, lorsque c’est possible, un peu de protectionnisme. Nous ne le savons pas très bien, ce domaine évoluera-t-il vraiment ou s’agit-il simplement de s’organiser pour faire face à des aléas momentanés, en d’autres termes, pour traiter un simple trou d’air avant que le système recommence à fonctionner comme avant ?
À l’instar de notre excellent président Jean Arthuis, telle est la remarque que je tire de la visite de ces derniers jours aux États-Unis.
Les États-Unis sont un monde très divers, …
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Oui !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. …où règne une certaine liberté d’esprit, plus qu’on ne le croirait d’ailleurs !
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Plus que chez nous !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Mais j’y ai observé que, dans les milieux professionnels, nombre de nos interlocuteurs ne parviennent pas à remettre en cause les schémas intellectuels qui ont fait le succès des marchés pendant au moins une décennie. C’est une très grande difficulté de raisonner en termes de discontinuité, alors que tout serait tellement plus simple et plus commode s’il ne s’agissait que d’amender, de replâtrer et de recréer des conditions pour que tout redevienne comme avant.
Quels sont les points principaux sur lesquels peuvent porter nos observations ?
Je souscris totalement aux propos de Jean Arthuis, qui a pointé, comme premier sujet, l’évolution du rôle des banques centrales.
Il est bien vrai que leurs bilans ont changé d’ordre de grandeur en l’espace d’une année et la nature de ceux-ci s’est profondément transformée. Ainsi que l’a indiqué Jean Arthuis, cela signifie que les banques centrales, pour une bonne part, se sont substituées aux banques commerciales et ont pris des risques directs sur la solvabilité des entreprises pour le compte des États, c'est-à-dire de nous. Cela ne veut pas dire autre chose !
Or, nous le savons bien, l’une des raisons de la crise que nous affrontons réside bien dans le rôle beaucoup trop limité et stéréotypé des banques centrales, issu des enseignements d’une période révolue.
Comme l’a souligné le groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale, l’une des raisons principales pour lesquelles la crise et ses prémices n’ont pas été prévues est due au fait que l’on s’était exclusivement concentré sur le niveau général des prix et la prévention de l’inflation, alors que l’appréciation, le suivi, le contrôle des marchés, c'est-à-dire les causes profondes de déséquilibre, les niveaux absolus de prix des actifs des différentes catégories, n’ont pas fait l’objet de la vigilance qui eût été indispensable.
À cet égard, je citerai certes une référence parmi d’autres, mais qui est très concrète, à savoir le petit livre de Patrick Artus intitulé Les Incendiaires, publié un an avant la crise. Cet économiste parmi d’autres y rapprochait les appréciations qu’il faisait tant de la Réserve fédérale américaine que de la Banque d’Angleterre ou de la Banque centrale européenne. À la vérité, quelles que soient les institutions, qu’elles se trouvent aux États-Unis, dans la zone euro ou à l’extérieur, un banquier central, c’est un banquier central ! Il parle le langage des banquiers centraux, certes avec tous les mérites qui y sont attachés, à savoir la technicité et l’esprit d’intérêt général, mais il a peut-être des images trop persistantes du passé et reste prisonnier d’approches et de méthodologies qui ne sont pas et ne peuvent pas être fondées sur l’anticipation de l’avenir !
Or, mes chers collègues, seuls les États, les élus du suffrage universel et les politiques ont la capacité d’anticipation permettant d’assumer les rebonds nécessaires et d’opérer les changements de nature, de méthode et de concept qu’appelle une crise, comme celle que nous connaissons, c'est-à-dire non pas une discontinuité momentanée de certains mouvements de marché, mais une vraie crise.
J’évoquerai maintenant l’architecture des banques et leurs fonctions.
Il n’est pas certain que l’on doive revenir à la segmentation issue de la grande crise du XXe siècle, ce que les Américains ont appelé le Glass-Steagall Act.
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. On en reparle !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Jean-Pierre Fourcade, qui a présidé une banque de dépôt, s’en souvient certainement, autrefois, les catégories étaient bien distinctes : banques de dépôt, banques d’investissement, banques de marché, banques de financements spécialisés, institutions financières spécialisées, …
M. Jean-Pierre Fourcade. Absolument !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. … chacune obéissant à une régulation qui lui était propre et étant apte à prendre des risques proportionnés à son activité et aux capacités de son bilan.
Aujourd'hui, peut-on revenir à une telle approche, alors que nous sommes dans une autre époque et que nous nous sommes habitués à une amplification, à une plus grande profondeur des marchés liée à des besoins de financement de l’économie globale eux-mêmes plus larges ? Car l’époque dont nous parlons, celle du Glass-Steagall Act, correspondait à un monde fragmenté et à des marchés qui ne connaissaient pas la globalisation.
Il n’en reste pas moins que nous ne pouvons nous satisfaire du modèle de la banque universelle à l’anglo-saxonne, car tous les risques y sont confondus, tout circule d’un bilan à un autre, …
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Absolument !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. … des structures réglementées vers celles qui ne le sont pas, …
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Avec des conflits d’intérêt !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. En effet, sans souci aucun pour les conflits d’intérêt…
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Absolument !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. … ni pour la visibilité, la transparence ou l’information des marchés et des acteurs économiques. Manifestement, il s’agit d’inventer un modèle qui ne doit être ni le retour à des schémas révolus ni le statu quo des banques d’investissement dites globales, telles que nous les avons vues fonctionner et telles qu’elles revendiquaient, en réalité, l’absorption, en leur propre sein, de l’essentiel des transactions de marché.
J’en viens maintenant à l’innovation financière, qui s’est beaucoup développée.
Comme toute innovation, il s’agit d’un facteur de progrès, mais peut-on continuer à transformer, dans les conditions débridées de ces dernières années, en financements la mobilisation de créances et à la « marchéiser » en quelque sorte dans le monde entier ? Sincèrement, je ne le crois pas. Et, au moins, faut-il que l’entité économique à l’origine d’une créance conserve dans son bilan une part raisonnable du risque ! C’est une question de principe, de bon sens et de transparence.
Toutefois, nous avons constaté que nos interlocuteurs américains étaient certes de plain-pied avec nous, mais qu’ils hésitaient beaucoup à en assumer les conséquences. En effet, il s’agit là d’un changement de nature dont les différents effets ne sont absolument pas anticipés et assumés aujourd'hui. Pourtant, c’est une nécessité impérieuse pour les travaux préparatoires du G20, car il faudra certainement se diriger vers une standardisation des produits du marché, avec une répartition plus claire des risques. Cela pose naturellement la question de la gouvernance des institutions techniques internationales chargées d’assumer cette standardisation et de mettre en place les chambres de compensation ou infrastructures financières d’intérêt général auxquelles le président Jean Arthuis a fait allusion tout à l'heure.
Enfin, je tiens à dire que la même problématique s’applique aux principes comptables.
Monsieur le secrétaire d'État, on croit avoir agi en suspendant, pour partie, la norme de valorisation des actifs bancaires à la valeur de marché.
M. Jean-Jacques Jégou. Ce n’est pas suffisant !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Mais c’est, à mon avis, une mesure très provisoire, très aléatoire et très insatisfaisante.
M. Jean-Jacques Jégou. Très bien !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Il ne faut pas dire que ce problème est résolu !
De la même façon, l’une des frustrations durant la récente présidence française de l’Union européenne, quels qu’eussent été ses grands succès, c’est, à mon sens, l’incapacité à traiter de la question des normes comptables des compagnies d’assurance.
Voilà quelques jours, le Parlement européen a validé la directive Solvabilité II. Toutefois, je persiste à le dire, et j’en prends la responsabilité, celle-ci est une profonde erreur économique, qui va aboutir à raréfier les placements en actions, comme l’avait prévu, il y a quelques années, bien avant la crise, l’ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, trop tôt disparu, Francis Mayer.
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Absolument !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. C’est mécanique et nous n’y pourrons rien ! Nous nous serons ainsi placés nous-mêmes dans cette situation, faute de vision et de volonté politique, alors que nous, Français, serons plus sanctionnés que d’autres !
Je me permets donc de mettre en garde le Gouvernement sur les conséquences de ce que l’on est en train de faire ; vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, je vous le dis en toute amitié.
Pour ce qui concerne les normes comptables, que l’on ne nous dise pas que le fait de répartir entre le livre de marché et le livre bancaire la valorisation des actifs et des fonds propres est une solution ! Ce n’est qu’une situation transitoire ! Nous l’avons vu aux États-Unis, ce principe transitoire est appliqué de manière très différente d’une banque à une autre, d’un régulateur à un autre. Ainsi que l’a souligné Jean Arthuis, les États-Unis sont non pas un bloc, mais un monde très complexe.
À New York, il y a la Réserve fédérale, …
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Oui !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. … mais il s’agit de la Réserve fédérale de New York, …
M. Jean-Pierre Fourcade. Eh oui ! Ce n’est pas celle de San Francisco !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. … la grande puissance du système. Mais il y a également le surintendant à la supervision des banques. Or que fait-il ? Il supervise les petites banques, à savoir des centaines de banques en contact direct avec le public et des sociétés de crédit à la consommation, mais aussi le nouveau holding Goldman Sachs !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Je conclurai avec cet exemple concret, monsieur le président !
Mes chers collègues, demandez-vous simplement pourquoi, dans l’accord passé entre le groupe Goldman Sachs et les autorités des États-Unis, a été confié au superviseur de l’État, qui dépend du gouverneur de l’État, le nouveau holding Goldman Sachs ! Je ne mets en cause personne ; le système américain a ses règles, ses équilibres, ses checks and balances. Ce système est, à certains égards, admirable, mais abordons-le sans naïveté, et sachons au moins trouver les vrais enjeux pour définir une vraie position.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques réflexions que je souhaitais vous livrer dans le cadre des travaux du groupe de travail paritaire que le président Gérard Larcher a eu la grande intelligence de lancer dès sa prise de fonctions à la présidence. Cette idée lui revient !
Comme tout enfant bien constitué, il prend sa personnalité. Je ne dis pas qu’il échappe à ses concepteurs, mais il faut au moins souhaiter qu’il vive sa vie propre ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail.
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe des vingt-quatre parlementaires,...
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Le G24 ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. Appelons-le le G24 !
Ce groupe, mis voilà peu sous les feux de la rampe, mais pas pour de bonnes raisons, a accompli selon moi un travail très fructueux à l’occasion des deux sommets du G20, l’un à Washington au mois de novembre et l’autre à Londres le 2 avril.
Nous étions aux États-Unis lorsque nous avons eu les échos de cette péripétie médiatique qui nous a paru vraiment ridicule de loin et encore plus de près ! J’espère que cette péripétie microcosmique n’oblitérera pas le travail accompli par notre groupe et qu’à l’avenir celui-ci pourra suivre les écarts entre les volontés que nous avons exprimées au nom du Parlement, monsieur le président, et les actions engagées aux niveaux mondial, européen et national. C’est en tout cas ce à quoi je me suis attachée ce matin.
Avant le premier G20, nous avions émis – et c’est tout à l’honneur de ce groupe ! – un diagnostic partagé sur les causes de la crise que je veux vous rappeler en citant ce que, les uns et les autres, nous avons écrit collectivement : la déformation du partage des revenus du capital et du travail,...
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Très bien !
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. ... le développement irresponsable du crédit aux États-Unis, le taux de rentabilité à deux chiffres exigé par les marchés, l’hypertrophie de la sphère financière conduisant à multiplier les pratiques à risques, notamment dans les modalités de rémunération et les normes comptables « procycliques ».
Comme nous l’avons écrit dans notre premier texte, cette énumération illustre assez bien les renoncements successifs des États, de l’Europe, bref, de la politique !
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. C’est le premier point qui est le plus important !
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. La crise nous rappelle tous à l’ordre, un rappel sans doute plus brutal pour ceux qui étaient séduits par le capitalisme à l’anglo-saxonne et moins brutal pour ceux qui, parce qu’ils appelaient à la régulation et à l’État, étaient encore récemment qualifiés de ringards !
Mais, comme le président Jean Arthuis l’a rappelé, le temps n’est pas à la polémique quand le taux de chômage explose partout en Europe et qu’aux États-Unis les Américains craignent qu’il n’avoisine les 12 %, taux assez exceptionnel dans ce pays.
Il s’agit plutôt, et c’est ce que je m’efforce de faire ce matin, de tirer un bilan très provisoire et non exhaustif des orientations définies par les deux sommets, le second ayant sans doute plus de relief, puisque l’administration nord-américaine était quasiment en place.
Le Président des États-Unis avait proposé au Congrès un plan de relance ambitieux qui a fait l’objet d’âpres débats budgétaires. C’est peut-être ce qui explique que les premières négociations n’aient pas abouti. C’est ce que nous avons ressenti lors de notre rencontre avec le président de la commission du budget de la Chambre des représentants.
Comme le corapporteur, Bernard Angels, que je remplace ce matin, je suis attachée au fait de vérifier si les propositions que nous avons émises sont ou seront traduites au niveau pertinent, national, européen ou mondial, dans des dispositions contractuelles ou législatives. Ce n’est pas très habituel, mais je profite, monsieur le secrétaire d’État, de votre présence au banc du Gouvernement. J’y tiens d’autant plus que le 7 avril, donc quasiment à chaud, Mme Lagarde a présenté devant la commission des affaires européennes du Sénat le bilan très clair que tirait le Gouvernement de la France du compromis de Londres.
Que peut-on retenir de tous ces éléments ?
Lors de la préparation du G20 de Londres a souvent été évoqué le bras de fer opposant l’Europe et les États-Unis. Les Européens insistaient sur les nouvelles régulations, alors que les Américains insistaient davantage sur l’ampleur de la relance.
Il est vrai que le sommet de Washington avait abouti à une déclaration d’intention dans laquelle, des deux côtés de l’Atlantique, les uns et les autres pouvaient trouver un appui à leurs revendications respectives.
Au milieu, si je puis dire, le Fonds monétaire international attendait plus de moyens – il les a eus, notamment pour la prise en compte des pays émergents – et une nouvelle orientation de ses missions dans la crise, son directeur général ne cessant – nous l’avons entendu lors de notre voyage – d’appeler au nettoyage des bilans des banques, au cantonnement des actifs toxiques, en laissant la voie ouverte à chaque pays pour régler ce problème par la technique qu’il jugerait la plus appropriée à son système.
C’est un élément important, car il n’y a pas d’exemple de crise financière qui n’ait été résolue sans que l’on procède à un tel nettoyage. J’y reviendrai lorsque j’évoquerai le système américain.
Concernant la relance, on l’a bien vu, ni la France, ni l’Allemagne n’ont voulu, lors de ce sommet, s’engager pour l’instant à faire plus et mieux. Elles estiment ne pas être en capacité d’utiliser davantage l’arme budgétaire compte tenu de l’ampleur des déficits. Il s’agit pour nous d’un débat franco-français à propos duquel mon groupe et moi-même avons déjà eu et aurons encore l’occasion de nous exprimer, car les mauvais indices économiques et sociaux nous y conduiront forcément.
Au moins pouvons-nous affirmer que les plans de relance nationaux au sein de l’Union européenne ont le grand défaut, s’il en est un, de ne pas être coordonnés. Cela pourrait aboutir à un paradoxe. Si nous ne coordonnons pas nos efforts au sein de l’Union européenne, l’économie des États-Unis, où est née la crise systémique, pourrait en effet repartir plus tôt et plus vite que sur le vieux continent, et qui plus est avec un saut qualitatif, notamment à travers ce qu’il est convenu d’appeler la « croissance verte ». À ce propos, il est dommage que le G20 n’ait pas repris une proposition du Royaume-Uni en ce sens.
Concernant la régulation, qui est quand même notre sujet de réflexion, le compromis de Londres constitue une base de départ. Les Européens ont obtenu une réglementation de la finance à l’échelon mondial, malgré les réticences américaines et chinoises. Sans doute faut-il mieux en cerner le contenu, y compris à propos des paradis fiscaux.
La création du Conseil de stabilité financière à base élargie, qui succède au forum de stabilité financière, pourrait correspondre au souhait émis par le groupe de travail de disposer à l’échelon mondial d’un dispositif d’alerte du risque systémique. Nous souhaitons que l’Union européenne suive les recommandations du rapport Larosière quant à la création d’un conseil européen du risque systémique. Mais nous avons bien compris que le Royaume-Uni, fidèle à lui-même, était jusqu’à présent fermement opposé à la mise en place d’un tel outil. C’est dommage ! Il faudra batailler pour parvenir à créer ce conseil !
Nous avons aussi émis de nombreuses propositions relatives aux agences de notation. J’ai constaté que le Parlement européen avait adopté un règlement jetant les bases d’une surveillance en Europe des agences qui devront se faire enregistrer auprès du Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières, le CERVM, mais c’est purement formel. En pratique, ce sont les pays où sont implantées les agences ou leurs filiales qui délivreront l’accréditation.
Il est regrettable que le pouvoir de supervision n’ait pas été confié à une seule autorité européenne. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous direz peut-être quelles ont été les résistances nationales, voire les contraintes de calendrier qui ont empêché cette supervision. Peut-être la France a-t-elle elle-même souhaité que les autorités nationales contrôlent les agences implantées, y compris les filiales sur notre sol.
Un autre sujet attendu est celui des modes de rémunération qui, je l’ai dit, devraient être moins adossés au court terme. La Commission européenne a décidé d’examiner en priorité les bonus des opérateurs de marché. Elle devait, le 29 avril, émettre une recommandation sur la rémunération des dirigeants d’entreprises.
En France, nous avons eu ce débat. Il n’est pas clos par l’adoption par le Parlement du dispositif prévu dans la loi de finances rectificative que nous avons votée avant la suspension des travaux parlementaires. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Concernant les paradis fiscaux, on est évidemment très loin de ce que nous avons écrit et dit ! On ne peut même pas affirmer que le verre est au quart plein. Nous comptons en France sur la surveillance du rapporteur général et du président de la commission, qui font partie du comité de suivi des mesures d’aides de l’État mis en place par Mme la ministre, afin de vérifier que les banques et les sociétés remplissent bien la conditionnalité désormais inscrite dans la loi de finances rectificative de ne pas utiliser, elles ou leurs filiales, les paradis fiscaux. La base législative existante permet maintenant de demander des comptes.
À l’échelon mondial, les résultats du G20 sont très loin des exigences que nous avions posées. Monsieur Jean Arthuis, vous avez évoqué le passage du noir, au gris, au blanc... Tout cela est quand même très flou !
Il est une exigence à laquelle je suis attachée, c’est l’alourdissement des taxations des opérateurs en lien avec les juridictions non coopératives qui pourraient figurer sur la liste de l’OCDE. À cette occasion, je voudrais répondre à l’interpellation de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.
La Commission européenne a demandé au commissaire Charlie McCreevy de réfléchir à un projet de directive pour encadrer les fonds spéculatifs, les hedge funds. J’ai constaté qu’il avait procédé à un toilettage. Je sais que la France, l’Allemagne et l’Italie n’accepteront pas en l’état ce projet de directive et j’espère que le Conseil européen retoquera M. José Manuel Barroso et M. McCreevy !
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Cela en dit long sur la Commission !
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. Je suis tout à fait d’accord !
L’encadrement ne porte pas sur les fonds. Il vise les gestionnaires qui, une fois enregistrés auprès des instances européennes, pourraient démarcher tous les investisseurs, même off shore, et disposeraient d’un passeport dans tout l’espace européen. Ils géreraient des portefeuilles dépassant 250 millions d’euros. Que se passera-t-il pour ceux d’un montant inférieur ? Tout cela n’est pas sérieux !
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. C’est de la provocation !
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. Le Parti socialiste européen s’est opposé très vigoureusement à un tel projet de directive. Je sais aussi que la France, l’Allemagne et l’Italie ont marqué leurs préventions. Il faut arrêter les sottises, surtout en ce moment !
Quant aux normes comptables contracycliques qu’il faut élaborer au niveau mondial, nous avons pu vérifier, lors de notre déplacement aux États-Unis, l’effet néfaste des normes actuelles, lesquelles ne disposent d’aucune légitimité démocratique et constituent un bon alibi – je ne citerai pas les grands banquiers que nous avons rencontrés, pour ne pas leur porter tort – pour entretenir l’opacité sur les bilans et les actifs toxiques, élégamment rebaptisés aux États-Unis « actifs hérités », …
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. « Legacy », en anglais.
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. … dont la présence dissimulée dans des banques ou des établissements non encore « purgés » nous fait craindre de nouvelles catastrophes.
Ces quelques illustrations témoignent de la nécessité de poursuivre la tâche entreprise par le groupe de travail. C’est le seul moyen dont dispose le Parlement pour faire la preuve de son efficacité dans la crise, qui sera longue et profonde, mais aussi dans la sortie de crise.
Notre voyage aux États-Unis nous a permis de rencontrer autorités, banquiers et opérateurs. Comme M. le rapporteur général, et bien que n’ayant pas eu l’occasion de m’en entretenir avec lui depuis notre retour, j’ai été frappée de constater que, pour nos interlocuteurs, le modèle développé aux États-Unis et dans le monde au cours des trente dernières années n’est pas mort. Souvent de bonne foi, du reste, ils étaient dans l’incapacité de se projeter dans un autre modèle, incapacité à mon sens plus intellectuelle qu’idéologique. Selon moi, il s’agit d’un problème de construction mentale.