Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les membres du groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour de cette semaine de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques ce débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine.
C’est l’occasion pour nous de revenir sur les méthodes très contestables employés par le Gouvernement à l’égard de tous ceux qui, aujourd’hui, aident les étrangers sans papiers, ces bénévoles qui n’ont d’autre souci que le respect de la dignité et des droits des étrangers en situation irrégulière. Certes, ces hommes et ces femmes sont dépourvus de papiers, mais ils ne sont pas pour autant privés de droits ! Nul papier n’est nécessaire, en particulier, pour que soient respectés les droits fondamentaux.
Votre démarche consiste à casser, de manière méthodique et régulière, la chaîne de solidarité qui s’est construite depuis plusieurs décennies autour de ces personnes, particulièrement vulnérables en raison de leur situation précaire.
Je citerai deux exemples, emblématiques de l’hypocrisie du Gouvernement, qui s’est lancé depuis deux ans dans une chasse aux sorcières ne disant pas son nom.
Je reviendrai d’abord sur le tristement fameux « délit de solidarité ».
Une disposition du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fonde des poursuites contre des citoyens honnêtes, qui n’ont d’autre ambition que d’aider, dans un élan de solidarité, les étrangers qu’ils croisent au détour de leurs actions bénévoles.
L’article L. 622-1 du CESEDA avait pour objet initial – il suffit de consulter le compte rendu des débats parlementaires pour s’en convaincre – de lutter contre les passeurs et les filières d’immigration qui exploitent la misère et se livrent au trafic d’êtres humains.
Or on constate que le champ de cette disposition a été étendu de manière sournoise à ceux qui, sans être des passeurs, offrent leur solidarité aux sans-papiers.
En effet, les termes, volontairement flous, de l’article sont interprétés par les autorités de police, sous vos instructions, comme concernant toute personne qui aide un étranger en situation irrégulière, quels que soient les moyens et les motivations.
Ainsi, à Norrent-Fontes, dans le Nord-Pas-de-Calais, une femme a récemment été interpellée à son domicile et placée en garde à vue pour avoir rechargé les batteries des téléphones portables de treize Érythréens.
Une autre personne, appartenant à la même association d’aide aux étrangers, Terre d’errance, a été placée en garde à vue, à Boulogne-sur-Mer, dans le cadre d’une procédure visant une « aide au séjour irrégulier commise en bande organisée ».
Cette disposition est donc devenue la base juridique de poursuites contre les acteurs de la solidarité, sans qu’aucune distinction ne soit établie en fonction de la nature de l’aide.
En effet, la loi ne distingue pas clairement l’aide désintéressée ou humanitaire de l’aide « à but lucratif ». Cela aurait pourtant permis d’exclure du champ de l’aide au séjour irrégulier les intervenants bénévoles qui distribuent des repas ou hébergent à titre gratuit un étranger.
Monsieur le ministre, aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2004 relative à la loi Perben II, qui a renforcé ce « délit de solidarité », « le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers ».
Le 8 avril, sur une radio nationale, France Inter, vous avez tenu les propos suivants : « toutes celles et tous ceux qui, de bonne foi, aident un étranger en situation irrégulière doivent savoir qu’ils ne risquent rien ». Ce sont vos propres mots, monsieur le ministre.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Comment expliquer, alors, le placement en garde à vue de certains bénévoles, parfois pendant huit heures, à Norrent-Fontes, à Marseille ou à Boulogne-sur-Mer ? Admettez-vous qu’il s’agit là d’un abus de pouvoir ?
En fixant, dans la loi de finances de 2009, un quota de 5 000 interpellations d’aidants, vous avez, monsieur le ministre, conféré à cet article du CESEDA une nouvelle vocation : vous avez créé une arme pour combattre la solidarité.
Encore une fois, la politique du chiffre est au cœur de ce détournement de la loi, dont les autorités de police abusent avec frénésie, surtout depuis le mois de janvier dernier.
Vous le savez très bien, cet objectif chiffré a eu une incidence immédiate sur le comportement des autorités de police : on leur demande de faire du chiffre et, faute de trouver des passeurs, on élargit la définition de l’aidant à toute personne qui serait en contact avec un étranger sans papiers.
On aboutit à un paradoxe : cette disposition, censée protéger les étrangers en situation irrégulière contre les réseaux de passeurs, les patrons voyous qui exploitent le travail clandestin et les marchands de sommeil qui abusent de leur vulnérabilité, est devenue une arme contre toute tentative d’humanisation de la condition des étrangers séjournant irrégulièrement en France.
Aujourd’hui, votre mépris pour les associations s’affiche au grand jour. Nous nous souvenons tous de l’épisode de l’incendie du centre de rétention de Vincennes. À cette occasion, votre prédécesseur avait indirectement accusé les associations d’aide aux étrangers. Il avait même songé à créer un fichier de bandes, dans lequel les acteurs de la solidarité auraient pu être enregistrés. Comme lui, vous éprouvez une aversion à l’encontre de ces associations qui agissent au quotidien pour adoucir un peu la violence de la politique d’exclusion et d’expulsion mise en œuvre.
Vous œuvrez de manière méthodique et progressive à un appauvrissement de l’aide aux étrangers, notamment en créant les conditions d’une mise en concurrence des associations qui agissent dans ce domaine. En témoigne, monsieur le ministre, le sort réservé à la CIMADE pour ce qui concerne l’aide aux étrangers dans les centres de rétention : vous avez démantelé la mission d’accompagnement et de défense des droits des étrangers, qui était assurée jusqu’à présent par cet organisme, en éclatant son exercice en huit lots, répartis entre six associations sur tout le territoire français.
Par tous moyens, vous cherchez à casser la chaîne de solidarité qui existe autour des étrangers sans papiers. Par tous moyens, vous cherchez à rendre impossible, en droit comme en fait, l’aide bénévole à l’étranger. Par tous moyens, vous cherchez à « contaminer » pénalement toute personne qui viendrait en aide à un étranger à titre humanitaire.
Nous savons aujourd’hui quelle est la finalité de votre politique : isoler l’étranger, le transformer en paria, en faire le bouc-émissaire d’une crise à laquelle vous n’avez aucune solution à proposer, le couper de toute chaîne de solidarité, induire chez ceux qui épousent la cause des étrangers sans papiers un sentiment de peur et instaurer une quasi-obligation de délation. Par cette politique, vous criminalisez les mouvements associatifs et la solidarité.
Vous avez assuré, une fois encore dans les médias, que personne n’avait fait l’objet d’une condamnation pour délit d’aide au séjour irrégulier. C’est faux, monsieur le ministre ! Nous avons recensé, auprès de différents tribunaux, plus de soixante-dix exemples de condamnations pénales prononcées, sur la base de ce délit, contre des citoyens exemplaires, des combattants pour les libertés, des résistants ! Un chauffeur de taxi a même été condamné à un an de prison ferme pour avoir conduit un étranger sans lui demander ses papiers ! Vous rendez-vous compte de l’absurdité de cette condamnation ?
Il est devenu criminel d’avoir des sentiments, des idéaux et de la compassion pour ces personnes exclues, fragilisées, précarisées, qui tentent de survivre sur notre territoire. Monsieur le ministre, il est aujourd'hui urgent d’abroger l’article L. 622-1 du CESEDA. D’ailleurs, les Verts soutiennent toutes les propositions allant dans ce sens et visant à mieux définir le délit d’aide au séjour irrégulier en excluant, de manière expresse, les acteurs bénévoles de la solidarité.
Comme cela a été dit, traiter ce dossier demande du courage, monsieur le ministre : celui de régulariser, et non d’expulser ! Si vous avez ce courage, nous serons à vos côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je scinderai mon intervention en deux parties : dans un premier temps, je présenterai les éléments fondamentaux de notre politique de lutte contre l’immigration clandestine ; dans un second temps, j’apporterai, de façon plus improvisée, un certain nombre de précisions pour faire suite aux différentes interventions, que j’ai écoutées avec beaucoup d’intérêt.
Mme Escoffier a rappelé à juste titre que, depuis toujours, les hommes et les femmes se sont déplacés, poussés par la recherche de terres cultivables, chassés par les guerres, les conflits, les crises politiques, les tensions économiques, les catastrophes naturelles et peut-être, demain, écologiques.
Ces femmes et ces hommes nés dans un autre pays que celui où ils résident représentent aujourd’hui 3 % de la population mondiale, contre 2 % voilà quarante ans, et constituent virtuellement, avec 191 millions de personnes, le cinquième pays du monde.
L’immigration est donc une réalité incontournable dans tous les pays développés. Elle est un phénomène positif, accroissant notre bien-être collectif, lorsqu’elle répond à un triple intérêt : l’intérêt du migrant tout d’abord, qui veut légitimement améliorer son sort et celui de sa famille ; l’intérêt du pays d’origine ensuite, qui n’est pas de se voir privé de ses ressources humaines, essentielles pour assurer son développement ; l’intérêt du pays de destination enfin, qui est de bien vérifier qu’il est en mesure d’accueillir dignement le migrant et de l’intégrer, notamment en lui offrant un emploi et un logement, la langue, l’emploi et le logement restant les facteurs fondamentaux d’une bonne intégration.
Chaque relâchement de cette triple exigence est presque immédiatement sanctionné par l’apparition de problèmes d’intégration et par la résurgence de mouvements nationalistes, xénophobes ou racistes.
Ce triple intérêt est au cœur du pacte européen sur l’immigration et l’asile conclu l’an passé sous l’égide de mon prédécesseur, Brice Hortefeux. Ce pacte a permis de construire un consensus parmi les vingt-sept États membres de l’Union européenne, toutes tendances politiques confondues, pour maîtriser les flux migratoires, lutter contre l’immigration irrégulière et mieux intégrer les immigrants en situation régulière. J’invite qui en douterait à prendre connaissance des propos qu’a tenus hier le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, devant le Président de la République française, lorsqu’il a affirmé sa détermination à lutter contre l’immigration clandestine et sa volonté de renforcer la coopération, en la matière, avec la France. Ce pacte européen proscrit à la fois les politiques d’immigration zéro et les politiques de régularisation massive.
Ce triple intérêt est à la base d’une politique française de l’immigration et de l’intégration équilibrée, juste et ferme, assurant à la fois la maîtrise de l’immigration et l’intégration effective des migrants. Cette politique traduit l’un des engagements souscrits devant les Français par le candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy lors de sa campagne et l’une des priorités de l’action du Gouvernement.
Dans le cadre de l’exercice de cette mission, une préoccupation essentielle m’anime : la loi républicaine doit être appliquée avec humanité, mais aussi avec fermeté et rigueur.
Déterminer qui a droit de séjour sur son territoire et dans quelles conditions ce droit peut être accordé constitue le fondement même de la souveraineté d’un État. Un consensus républicain absolu devrait se dégager sur cette question, me semble-t-il.
Lionel Jospin, lors de l’élaboration de la loi du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers et au droit d’asile, indiquait que son objectif était de « conduire une politique de régulation des flux migratoires à la fois réaliste et humaine, qui prenne en compte les intérêts de la nation et respecte la dignité des personnes humaines, et de combattre sans défaillance l’immigration clandestine et le travail irrégulier ». Ces mots, je les fais miens aujourd’hui.
La délivrance du visa de long séjour accordé par le consul, en relation avec l’autorité préfectorale, s’impose comme le seul acte de souveraineté par lequel le Gouvernement autorise un étranger, avant son entrée sur le territoire, à s’installer durablement en France. Les régularisations, qui, par définition, y dérogent, ne peuvent être accordées qu’au cas par cas. Les étrangers en situation irrégulière sur le territoire national ont vocation à rejoindre leur pays d’origine, de préférence en y retournant volontairement, à défaut par exécution d’une mesure d’éloignement forcé. Ces termes sont ceux du pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté par les vingt-sept États membres de l’Union européenne, toutes tendances politiques confondues, je le répète.
Oui, la frontière, même si son contrôle est repoussé aux limites de l’espace Schengen, conserve toute sa valeur. Elle reste le cadre à l’intérieur duquel les citoyens se sont organisés pour vivre ensemble, respecter les mêmes règles, accepter les mêmes devoirs, bénéficier des mêmes droits. La frontière doit être franchissable, mais il y faut des règles.
Non, abolir les frontières, ce n’est pas s’ouvrir au monde. C’est, au contraire, ouvrir le pays à toutes les peurs et à tous les replis. Dans un pays soumis à la crise économique mondiale, où le taux de chômage des étrangers non communautaires dépasse 23 %, et qui continue, malgré cela, de soutenir, par la solidarité nationale, un niveau élevé de protection sociale, les propositions conduisant à admettre sans limite de nombreux demandeurs d’emploi sur le territoire n’ont, en vérité, que l’apparence de la générosité.
Oui, comme dans beaucoup d’autres grandes démocraties, la politique française d’immigration et d’intégration est assortie d’objectifs chiffrés, non seulement pour les reconduites à la frontière d’immigrés en situation irrégulière – l’objectif, pour 2009, est de 27 000 éloignements, volontaires ou forcés –, mais aussi pour le nombre de filières clandestines démantelées – un doublement est visé en 2009, soit 240 filières –, pour le nombre de passeurs et de trafiquants d’être humains interpellés – 5 000 cette année, et je reviendrai ultérieurement sur le concept d’ « aidant » –, pour le nombre d’opérations conjointes de contrôles avec l’inspection du travail – 1 500 en 2009 : nous allons lutter avec plus de fermeté contre le travail illégal –, pour le nombre de demandes d’asile déposées et acceptées, qui doit rester le plus élevé en Europe, pour le nombre de naturalisations – 100 000 par an –, qui doit demeurer lui aussi, en pourcentage de la population, le plus élevé d’Europe, la France étant le pays le plus généreux en matière d’accès à la nationalité : 100 000 personnes naturalisées par an, ce n’est pas rien, et le délai de présence continue sur le territoire requis pour pouvoir prétendre accéder à la nationalité française, fixé à cinq années, est le plus court en Europe. J’ajoute, sur ce point, que le Gouvernement entend diviser par deux le délai de la procédure de naturalisation, pour le faire passer de vingt mois à dix mois.
S’agissant toujours des objectifs chiffrés, aux termes de ma lettre de mission, le nombre d’étudiants étrangers accueillis devra s’élever à 50 000 en 2009 et le pourcentage de diplômes initiaux de langue française obtenus par les primo-arrivants devra atteindre 90 %, tandis que celui des bilans de compétence effectués dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration devra s’élever à 80 % avant la fin de l’année. Enfin, le nombre d’entreprises et d’administrations labellisées pour leurs pratiques exemplaires en matière de diversité dans le recrutement et la gestion des ressources humaines doit être de 100 au moins avant la fin de 2009. Quant au nombre des principaux pays sources de l’immigration avec lesquels la France aura conclu des accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire, il doit passer à 20 avant 2012, contre 8 aujourd’hui.
Certains, se focalisant exclusivement sur les mesures d’éloignement forcé, que nous assumons d’ailleurs, nous accusent de mener une politique du chiffre. Ils oublient toutes les autres données – je viens de les rappeler – qui montrent que la France reste fidèle à cette tradition républicaine d’accueil et d’intégration qui l’honore. Ils travestissent, à mon sens, la réalité d’une France ouverte et généreuse, cherchant à ternir l’image de la République et à caricaturer notre politique, en la réduisant à son volet le moins agréable tout en passant sous silence les politiques d’accueil et d’intégration qui en sont la contrepartie.
Certes, reconduire des étrangers aux frontières ne fait plaisir à personne, pas plus à moi qu’à mon prédécesseur ! La question est de savoir si de telles mesures sont nécessaires ou non, et si une autre politique est possible.
M. Alain Anziani. Oui !
M. Éric Besson, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais rappeler d’autres chiffres : chaque année, 200 000 étrangers entrent légalement sur le territoire de la République française au titre du long séjour et deux millions de titres de court séjour sont accordés ; quelque 100 000 naturalisations, je l’ai déjà souligné, sont prononcées ; en matière de droit d’asile, la France est le pays d’Europe le plus généreux, j’y insiste, c'est-à-dire celui qui accueille le plus grand nombre de réfugiés politiques sur son territoire, se plaçant au troisième rang mondial à ce titre, après les États-Unis et le Canada.
Oui, au sein de cette politique d’immigration et d’intégration, nous devons assumer de reconduire dans leur pays d’origine certains étrangers en situation irrégulière. D'ailleurs, comment envisager de réguler les flux migratoires en abandonnant toute perspective de reconduite ?
Permettez-moi de citer de nouveau Lionel Jospin – ce sera la dernière fois aujourd'hui ! –, alors Premier ministre :
« Dire à ceux qui ne peuvent être régularisés qu’ils doivent repartir dans leur pays, qu’ils ont vocation à être reconduits à leurs frontières, c’est simplement le respect du droit international, et je dirais même du droit des gens.
« C’est très exactement cette politique, qui se complète d’une volonté d’intégration des étrangers en situation régulière qui vivent dans notre pays, que nous avons définie, que vous avez votée et que nous appliquons.
« Je ne connais aucune formation politique représentée sur ces bancs – il s'agissait de ceux de l’Assemblée nationale – qui ait préconisé l’entrée sans règles d’étrangers sur notre territoire et qui ait voulu qu’aucun étranger en situation irrégulière ne puisse être reconduit dans son pays. Peut-on avoir ce débat ? »
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas la question !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La question, c’est le respect des droits des étrangers !
M. Éric Besson, ministre. Ce débat, nous l’avons aujourd'hui, onze ans après les déclarations de Lionel Jospin. Ce sont exactement les mêmes principes et les mêmes valeurs que nous observons actuellement.
Ma conviction est que la France ne peut accueillir indistinctement toutes celles et tous ceux qui souhaitent s’y établir, précisément parce qu’elle doit bien accueillir celles et ceux à qui elle a donné droit de séjour. La lutte contre l’immigration clandestine et l’intégration sont les deux facettes d’une même politique.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais maintenant répondre aux interventions des différents orateurs.
Madame Escoffier, je vous remercie d’avoir été à l’origine de ce débat. Je vous sais également gré du ton de votre intervention : tout en affirmant vos convictions sur un certain nombre de points, vous avez évité la caricature et les effets de tribune.
Je reprends volontiers à mon compte certains des principes que vous avez évoqués.
Oui, traiter dignement les étrangers en situation irrégulière est un devoir qui s’impose à nous ; j’affirme que c’est ce que nous faisons.
Vous m’avez demandé si le film récent auquel vous avez fait référence ne m’avait pas ébranlé dans mes convictions. J’évoquerai le moins possible cette œuvre, dont on a déjà excessivement parlé… Certes, elle est émouvante par certains côtés, mais il s’agit d’une fiction et à ce titre je n’ai pas grand-chose à en dire. Comme dans toute fiction, il faut des bons et des méchants : le bon, en l’occurrence, est un jeune homme qui veut rejoindre sa fiancée au Royaume-Uni ; les méchants, par construction, ce sont les policiers. Bien sûr, dans un film, on peut caricaturer l’action de la police. Le problème est qu’on le présente comme un documentaire, et les multiples invraisemblances et erreurs qu’il comporte comme des vérités. Cela m’a obligé à intervenir pour rétablir les faits. À votre question, madame Escoffier, je répondrai donc, au risque peut-être de forcer le trait à vos yeux, que ce film, loin de m’avoir ébranlé dans mes convictions, a au contraire renforcé celles-ci !
En effet, ce que montre cette œuvre, c’est que l’immigration clandestine est organisée. Le jeune héros a payé très cher pour arriver jusqu’à Calais, comme dans la réalité. C’est d'ailleurs sur le terrain des faits que je souhaite me situer : il en coûte de 10 000 à 12 000 euros pour aller jusqu’à Calais, somme à laquelle s’ajoutent plus de 500 euros pour tenter de passer la Manche.
L’autre réalité que suggère le film, et qui est bien plus dramatique encore que ce qui est montré, ce sont les rixes, les bagarres entre bandes et les partages de territoire au sein de la « jungle ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. Quelles solutions proposez-vous ?
M. Éric Besson, ministre. Ce mot de « jungle », ce sont les migrants eux-mêmes qui l’emploient, ainsi que les associations qui leur apportent de l’aide. Dans cette zone prévaut la « loi de la jungle » : l’État de droit n’y est plus respecté, les passeurs y règnent. Au cours des dernières semaines, certains journalistes et photographes, qui ne m’avaient pas semblé particulièrement bienveillants à l’égard de la politique migratoire du Gouvernement, ont voulu se rendre dans cette « jungle ». Ils m’ont confié, en privé, qu’on leur en avait interdit l’entrée : « Ici, c’est Kaboul ! Ici, c’est nous qui faisons la loi ! Vous n’entrerez pas ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, la République française ne peut accepter l’existence d’une telle zone de non-droit ! Les passeurs ne peuvent faire la loi ni à Calais, ni ailleurs sur notre territoire. C’est ce que je suis allé signifier dans cette ville il y a quelques jours, en annonçant le démantèlement de la « jungle » avant la fin de l’année.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas une solution ! On déplace simplement le problème.
M. Éric Besson, ministre. En même temps, j’ai proposé six mesures humanitaires, après une concertation étroite avec les associations concernées. J’ai d'ailleurs apprécié que plusieurs de ces dernières, tout en critiquant la décision de démantèlement des campements, aient eu le courage et l’honnêteté de saluer des « avancées » en matière humanitaire.
Madame Escoffier, je vous remercie aussi d’avoir souligné que la création du ministère dont j’ai aujourd'hui la charge avait abouti à clarifier les compétences en la matière et à rendre plus cohérent leur exercice.
Oui, il fallait, à l’instar de ce qu’ont fait de nombreux pays européens, regrouper dans une même administration des fonctions essentielles jusque-là éclatées entre les ministères de l’intérieur, des affaires sociales et des affaires étrangères, afin d’améliorer la cohérence de notre politique migratoire. Ainsi, nous serons plus efficaces pour répondre aux problèmes qui se posent à nous.
C’est ce que j’ai voulu faire également pour la politique de naturalisation, que vous n’avez pas évoquée, madame la sénatrice, mais dont je dirai néanmoins quelques mots.
J’ai voulu déconcentrer dans les préfectures non pas les décisions de naturalisation, mais seulement l’instruction des dossiers, dont j’ai souhaité en outre qu’elle ne soit pas double, pour éviter toute dépense inutile.
La sous-direction de l’accès à la nationalité française, qui est implantée à Rezé, près de Nantes, continuera d’assurer la cohérence des décisions prises en matière de naturalisation, l’administration de mon ministère et moi-même se prononçant en dernier ressort. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que je serai particulièrement vigilant sur ce point.
Madame Escoffier, il s’agit non pas de venir à bout de l’immigration, mais de la maîtriser. En effet, pourquoi voudrions-nous réguler la mondialisation dans tous ses aspects, sauf celui-là ? La migration est l’une des facettes de la mondialisation ! Je ne la présente pas comme un danger ; c’est aussi une chance, mais, dans ce domaine également, une régulation est nécessaire, j’en suis absolument convaincu. Dans cette perspective, les procédures en vigueur seront non pas compliquées, mais au contraire simplifiées.
Monsieur Buffet, vous avez souligné à juste titre que la sécurisation des documents d’entrée sur notre territoire, notamment le passeport et les visas biométriques, constituait l’une des clefs de la libéralisation de l’admission. D'ailleurs, ce ne sont pas simplement les pays du « Nord » ou les États européens qui l’affirment : les pays d’émigration, qui sont de plus en plus souvent, en même temps, des terres d’immigration, sont confrontés aux mêmes questions. Par exemple, les responsables des États d’Afrique de l’Ouest nous expliquent qu’ils veulent sécuriser leurs documents d’entrée pour faciliter leurs relations et les flux migratoires au sein de leur zone.
En ce qui concerne l’immigration choisie, elle doit être liée d'abord à notre capacité d’accueil. Je le répète, la maîtrise de la langue et, surtout, la possibilité de trouver un emploi et un logement sont les conditions incontournables de l’accès à notre territoire et de l’intégration.
Madame Escoffier, comme vous l’avez souligné, nous ne mettrons pas fin à ce que vous avez qualifié, en usant d’un mot qui m’est familier et cher, de « noria de l’immigration clandestine ».
Permettez-moi toutefois de citer, sans aucune malice car je partage vos convictions, un rapport que vous avez rédigé sur ce sujet alors que vous n’étiez pas encore parlementaire et que vous exerciez les fonctions d’inspectrice générale de l’administration.
Je n’évoquerai pas toutes les pistes de réflexion que vous traciez alors, mais seulement celle-ci, qui concerne la lutte contre les entrées illégales : « En donnant un signal fort aux filières et aux candidats à l’immigration régulière, la libre circulation des personnes n’est pas synonyme d’une ouverture incontrôlée du territoire national aux flux migratoires illégaux. »
Par ailleurs, en matière de laissez-passer consulaires, autrement dit de possibilité de reconduire les étrangers dans leur pays d’origine, vous souligniez le nécessaire affichage d’ « une volonté politique extrêmement ferme ». Je le répète, ne voyez pas malice à mes propos, mais c’est très exactement ce que nous cherchons à faire ! Je souscris tout à fait à vos propositions de l’époque.
Vous avez évoqué les parents qui sont interpellés alors qu’ils viennent chercher leurs enfants à la sortie de l’école. Soyons clairs : de tels cas ont pu se produire par le passé, une ou deux affaires ayant défrayé la chronique, mais ils ne sont plus possibles aujourd’hui. Des circulaires très explicites ont été adressées aux préfets et aux services de police pour qu’aucun étranger en situation irrégulière ne soit plus interpellé devant une école, à l’hôpital ou au guichet d’une préfecture.