compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Christiane Demontès,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application de la loi organique relative à la nomination des présidents des sociétés audiovisuelles et de l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable, par vingt voix pour et dix-neuf abstentions, sur le projet de nomination par M. le Président de la République de M. Jean-Luc Hees aux fonctions de président de la société Radio France.
Acte est donné de cette communication.
3
Demande d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. Par lettre en date du 27 avril 2009, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître, conformément à l’article L. 130 du code des postes et des communications électroniques, l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Jean-Ludovic Silicani aux fonctions de président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en remplacement de M. Jean-Claude Mallet, qui vient de présenter sa démission.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.
Acte est donné de cette communication.
4
Création d’une commission spéciale et candidatures
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 16, alinéa 2, du règlement, la proposition de M. le président du Sénat tendant à la création d’une commission spéciale sur le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation (n° 364, 2008-2009).
Je soumets donc cette proposition au Sénat.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour appelle la nomination des membres de cette commission spéciale.
Il va être procédé à cette nomination, conformément à l’article 10 du règlement.
La liste des candidats établie par les présidents de groupe va être affichée.
Cette liste sera ratifiée s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration d’un délai d’une heure.
5
Débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle un débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques.
La parole est à M. Bernard Vera, au nom du groupe CRC-SPG, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour.
M. Bernard Vera. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise financière est loin d’être terminée. Elle trouve ses prolongements dans le champ de l’activité économique et de la réalité sociale tant de la France que des autres pays européens.
C’est pourquoi la tenue de ce débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques, organisé sur notre initiative et à notre demande, sera sans doute utile pour faire un point précis de la situation, comme de son interprétation.
Pour ma part, je commencerai par le point où nous en sommes arrivés, c’est-à-dire par le sommet de Londres, cette réunion du G20 qui, selon les termes élyséens, devait tout changer.
À l’occasion de ce sommet, l’opinion publique a manifesté à la fois beaucoup d’attente et un important scepticisme quant aux suites et aux décisions prises à l’issue des discussions entre les vingt plus importants chefs d’État et de gouvernement de la planète.
Or, malgré le battage médiatique, rien ne semble devoir profondément modifier la situation économique après la réunion de Londres.
L’objectif du G20 était précis : comment permettre aux pays occidentaux et au Japon, engoncés dans les effets de la crise systémique des marchés financiers, de solliciter auprès des économies émergentes les moyens de renflouer les caisses de leurs établissements financiers en difficulté ?
Dans cette optique, pour masquer ce qui était sans doute le véritable enjeu du G20, c’est-à-dire le maintien coûte que coûte et quoi qu’il arrive de l’ordre actuel des choses, on a agité avant l’heure quelques pistes de réflexion secondaires, qui se révèlent en réalité être des leurres.
Il en va ainsi des paradis fiscaux, des agences de notation ou encore de la rémunération des traders.
En ce qui concerne les paradis fiscaux, on a publié une liste noire comprenant quatre pays essentiels sur l’échiquier des transactions financières internationales : le Costa Rica, les Philippines, l’Uruguay et la Malaisie.
Pas de trace en revanche des territoires situés sur le périmètre même de l’Union européenne ou dans sa périphérie, comme peuvent l’être Jersey, Guernesey, Andorre, Monaco ou encore le Liechtenstein. En effet, peu de sanctions semblent devoir être prises face aux agissements des établissements financiers domiciliés dans ces « paradis fiscaux ».
Le déclassement rapide des pays placés sur la liste noire et la montée en charge d’une « liste grise », où se sont discrètement intégrés des pays comme Malte, Chypre, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, tous membres de l’Union européenne, sont autant de signes qu’on ne souhaite pas vraiment s’attaquer au problème.
Demain, le canton de Zoug pourra continuer sans trop de risques à exempter largement entreprises et gros revenus de toute fiscalité !
Demain, le Delaware pourra jouer au dumping fiscal avec l’État de New York ou le Connecticut et le Nevada pourra poursuivre le recyclage dans ses casinos de l’argent du jeu et de la retraite des pensionnés américains.
L’Irlande pourra continuer de s’en sortir en « écrasant » le taux de l’impôt sur les sociétés !
Et Arcelor-Mittal restera une société de droit néerlandais, tandis que l’usine de Gandrange a fermé et que la moitié de Florange est à l’arrêt !
Et ne parlons pas de la facilité avec laquelle la City de Londres ou les services juridiques belges accueillent les entreprises soucieuses de bénéficier de délocalisations le plus souvent « immatérielles », mais à fort rendement en termes d’exemption fiscale !
En prétendant lutter contre les paradis fiscaux exotiques, on laisse de côté ce que M. Daniel Lebègue appelle les « trous noirs » de la finance, ces lessiveuses d’argent pas toujours honnêtement gagné qui existent au cœur même des pays les plus développés !
Dans ces conditions, je crains que la lutte contre les paradis fiscaux n’en reste au niveau de la proclamation.
Sur les agences de notation, qui ont failli en accordant à certains établissements financiers en déroute depuis 2007 une bonne note jusqu’à la crise, comment ne pas être surpris par l’étonnement bien tardif de certains ?
Les agences de notation ne notent que quelques entités économiques, celles qui font « appel public à l’épargne » ou qui sont cotées en Bourse.
Mais qu’attend-on pour confier aux banques centrales, autorités indépendantes des marchés financiers, une mission de notation de toutes les entreprises et de tous les établissements financiers, une mission de service public, permettant d’avoir de la transparence sur la situation réelle des entreprises et donc résoudre les difficultés nées de l’inégalité d’accès au crédit ?
Tant que rien ne sera fait en ce sens, nous en resterons au mieux aux déclarations d’intention.
Et en ce qui concerne la rémunération des traders, je souhaite poser une question simple. Qui est le plus coupable dans l’affaire de négoce sur titres dite « affaire Kerviel » et qui a failli faire perdre 5 milliards d’euros à la Société générale ?
Les traders sont seulement les opérateurs de stratégies bancaires et financières définies par les directives qui leur sont données.
Et si la Société générale a préféré un temps les produits dérivés au développement des entreprises françaises et à la facilitation de l’accès au crédit de nos PME et TPE, elle est directement responsable des difficultés qu’elle a rencontrées !
Ne cherche-t-on pas, en fait, à faire des traders des boucs émissaires bien commodes d’une crise du capitalisme que l’on cherche à présenter comme passagère, simple résultat d’une dérégulation qu’il suffirait de corriger et de moraliser ?
La crise financière et économique internationale n’est pas une simple affaire de dérèglement des marchés financiers, qu’il conviendrait de résoudre au travers d’une plus grande régulation ou de mesures de contrôle « administratif » plus importantes.
Ces pistes de réflexion évoquées au G20 – paradis fiscaux, agences de notation et rémunération des traders – ne peuvent pas masquer l’essentiel.
Car les deux principales décisions prises au sommet de Londres consistent précisément à encourager la poursuite des pratiques anciennes.
Ainsi annonce-t-on un renforcement des moyens du Fonds monétaire international et des autres institutions financières internationales, à hauteur de 1 000 milliards de dollars.
Je souhaite formuler une remarque sur l’origine de ces fonds. On s’oriente, semble-t-il, vers une ponction particulièrement forte sur les disponibilités des pays émergents. Mais pour quels motifs et quelles politiques ces moyens seront-ils mobilisés ?
Comme rien ne figure dans les conclusions du sommet de Londres sur l’aide au développement des pays du Sud ou, par exemple, sur l’accès à l’eau pour les peuples et les êtres humains qui en sont aujourd’hui privés, il est à craindre que les ressources du FMI ne soient mobilisées au secours de la crise financière !
J’en fournirai un seul exemple. Il a été décidé de mobiliser 19 milliards de dollars pour subventionner des investissements dans les pays les plus pauvres, mais le gouvernement américain est prêt à engager 70 milliards de dollars pour sauver de la faillite la seule compagnie d’assurance AIG, dont les pertes sont supérieures au PIB de 150 des pays de la planète !
En réalité, le G20, loin de parvenir à la mise en place d’une nouvelle organisation économique internationale, a surtout permis à chaque puissance de valoriser son plan « national » de sortie de crise.
Ainsi en est-il du plan Geithner, appliquant le vieux principe « socialisation des pertes, privatisation des profits ».
La décote appliquée aux créances douteuses des établissements financiers et des compagnies d’assurance sera supportée, pour l’essentiel, par le Trésor américain, c’est-à-dire par le contribuable et, au-delà, par l’émission de nouveaux titres de dette publique américains sur les marchés financiers !
Le plan Geithner, c’est, en effet, 66 % de la valeur d’une créance en contrepartie d’un engagement du Trésor !
De fait, les désaccords persistants sur le processus de convergence des politiques économiques des gouvernements du G20 montrent que la règle du chacun pour soi prime sur tout autre principe !
D’aucuns se félicitaient encore il y a peu de temps, ce lundi même, que le nombre de chômeurs progressait moins vite dans notre pays qu’en Espagne ou aux États-Unis !
Doit-on rappeler que, en France, le droit du travail, malgré sa rigidité et ses pesanteurs, permet de protéger les salariés du licenciement à effet immédiat. Doit-on rappeler également que le chômage partiel et l’exercice du droit à la formation préservent parfois du chômage total ?
Quant aux mauvaises habitudes, elles n’ont pas été oubliées !
Malgré les louables efforts de René Ricol et de ses collaborateurs, les banques de notre pays continuent de « snober » la demande de crédits des PME et TPE, trop occupées sans doute à attribuer parachutes dorés, retraites « chapeau » et autres stock-options à leurs dirigeants !
Pourtant, avec la retraite « chapeau » de Daniel Bouton, il y avait sans doute de quoi sauver quelques-unes de nos PME qui ont déposé leur bilan ou ont été placées en redressement judiciaire depuis l’automne !
Le capitalisme n’est pas à refonder, en se contentant, comme nous le voyons, de mesures temporaires avant de renouer avec les pratiques anciennes.
L’ordre des choses, économique et social, tant sur le plan national qu’aux échelons européen ou international, doit être profondément modifié.
Une véritable sortie de crise, c’est autre chose que le sommet du G20 !
S’agissant des solutions, de notre point de vue, trois échelons doivent être clairement identifiés.
Le premier échelon est national.
Le Gouvernement doit soumettre au débat et mettre en œuvre la constitution d’un pôle public financier destiné à faciliter l’accès au crédit des PME et des TPE, encourageant une juste allocation de la ressource disponible en faveur de l’activité créatrice de richesses et d’emplois.
Dans ce cadre, il faut bien évidemment revenir sur la privatisation des établissements financiers mise en œuvre depuis 1986, une privatisation qui ne se comprend d’ailleurs plus aujourd’hui, notamment quand l’État se déclare prêt à engager 360 milliards d’euros pour recapitaliser les établissements de crédit ou leur apporter de l’argent frais !
Et la révélation du nouveau « trou » de la Société générale – 5 milliards d’euros de pertes de la filiale SGAM, Société Générale Asset Management » – montre la gravité de la situation !
Le deuxième échelon est européen.
Cette question est d’actualité, au moment même où on « lockoute » le débat sur les enjeux européens à un mois du renouvellement du Parlement européen.
La Banque centrale européenne, ou BCE, doit changer de rôle et cesser d’être le gardien d’une orthodoxie monétariste et libérale qui a failli, comme l’a montré la crise.
Ce sont les choix de Maastricht, de Nice et de Lisbonne qui sont sur la sellette avec la crise !
La Banque centrale doit donc, à notre sens, devenir l’instrument d’un financement de l’économie valorisant les potentiels de chaque pays membre, favorisant les coopérations transfrontalières, générant la création de richesses et d’emplois, développant la formation et la promotion professionnelle des salariés !
Tournons le dos aux politiques d’allégement du coût du travail et de dumping fiscal, tournons le dos à la directive Bolkestein et à ses rebondissements multiples !
L’Europe sociale, c’est d’abord une BCE recentrée sur l’aide à l’économie et à l’activité !
Enfin, le troisième échelon est international.
Nous ne pouvons nous contenter des conclusions du sommet du G20, où les plus riches tentent désespérément de maintenir leurs positions dominantes, quitte à s’affronter, bien entendu !
Il faut profondément transformer les conditions d’intervention du FMI, en réduisant le poids excessif des États-Unis dans les droits de vote et en développant le dispositif des droits de tirage spéciaux. Ces derniers doivent devenir l’alternative à la suprématie d’un dollar sans cesse dévalué, mais toujours prédominant.
Le monde a changé et changera encore.
Les puissances occidentales ne peuvent ignorer la place de nouvelles économies dans le concert des nations : le FMI, dans sa composition comme dans ses interventions, doit en tenir compte.
Comment ne pas critiquer le peu de place accordé aux questions du développement du Sud dans le sommet de Londres ?
Et nos réflexions sur le FMI valent aussi pour le cycle de négociations commerciales de Doha, c’est-à-dire l’Organisation mondiale du commerce, ou OMC.
Le libéralisme appliqué à la mondialisation a fait son temps ici, en Europe, comme dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jean Milhau applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà un an, les carnets de commandes étaient pleins,…
M. François Marc. Il y a deux ans !
M. Aymeri de Montesquiou. …les perspectives d’avenir, prometteuses, les bourses mondiales, au plus haut. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Aujourd’hui, toutes les bourses ont plongé,…
M. François Marc. Ça, c’est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. … les carnets de commandes sont vides et, surtout, des dizaines et, pour certains pays, des centaines de milliers de chômeurs font monter une inquiétude terrible, d’abord chez ceux qui ont perdu leur travail, mais aussi chez les dirigeants économiques ou politiques totalement pris au dépourvu devant une crise qu’ils n’avaient pas anticipée et dont ils sont incapables de prévoir la fin.
John Galbraith avait raison lorsqu’il énonçait que la prévision économique était aussi fiable que l’astrologie est proche de la science.
M. Hubert Haenel. Oh !
M. Aymeri de Montesquiou. Néanmoins, la politique étant l’art du possible, nous ne devons pas renoncer et, dans cet environnement très difficile, il faut avoir la volonté de concrétiser les espoirs qu’a pu faire naître le G20 de Londres. Tout passe par la mise en place de nouvelles règles de fonctionnement et d’organisation du système financier international.
Cette crise financière doit être l’occasion de redéfinir les relations entre les banques et l’économie réelle. Cela est primordial pour regagner la confiance et débloquer certains obstacles à l’accès au crédit.
Plusieurs constatations m’amènent à approfondir cette nécessaire réorganisation fondée sur l’indéniable besoin d’une éthique financière.
Voilà un an, une telle expression aurait encore prêté à sourire. Aujourd’hui, elle s’impose comme le principal enseignement d’une crise qui est, avant tout, une crise de l’avidité et des excès de la finance et des défaillances multiples des autorités chargées de la régulation.
Nous devons tout faire pour peser avec nos alliés européens sur l’organisation internationale.
En premier lieu, la crise nous montre que les marchés, surtout dans le cadre de la mondialisation, ne sont pas capables d’éviter seuls les effets systémiques. Leur organisation comme leur fonctionnement doivent être une responsabilité publique, et donc politique.
Il faut, par conséquent, institutionnaliser la surveillance et l’organisation des marchés nationaux et mondiaux selon un programme de réformes et par l’instauration d’organes appropriés.
En deuxième lieu, il est indispensable de revoir les priorités de la régulation financière au travers de la mission et du statut des régulateurs.
La protection des épargnants non professionnels, le bon fonctionnement des marchés, la lutte contre les abus et les manipulations constituent les objectifs principaux ; il faudra désormais y ajouter l’encadrement du risque.
En troisième lieu, on ne soulignera jamais assez l’importance de la transparence de l’information quand on évoque les marchés financiers.
Aujourd’hui, la seule transparence ne suffit plus, il faut créer des outils de régulation et de contrôle. Ces outils pourraient reposer sur des principes simples, mais efficaces : la standardisation internationale par le retour aux normes comptables antérieures et la responsabilisation des autorités de marché. La règle mark to market imposant une évaluation des actifs à la valeur du marché et les normes IFRS – International financial reporting standards – reposant sur leur juste valeur doivent être reconsidérées.
Il est urgent de redonner du sens aux transactions financières afin qu’elles ne soient plus uniquement des opérations spéculatives complexes, désordonnées et déconnectées du réel. Il nous faut maîtriser l’ensemble du processus de chacune des opérations des marchés.
Cela signifie également un renforcement du pouvoir de contrôle et de sanctions des sociétés de cotation par une autorité supérieure sur le fondement de normes internationales et uniformes.
Il s’agit ici de l’un des enseignements majeurs de la crise : aucun pays ne pourra efficacement fixer ses propres règles normatives si celles-ci ne sont pas reconnues par tous les autres.
Enfin, la liquidité est indispensable au bon fonctionnement du système international. En dernier ressort, elle est assurée par les banques centrales. Celles-ci ont un rôle majeur tant dans la supervision des établissements financiers que dans la structuration du marché. C’est pourquoi il serait judicieux de responsabiliser les agences de notation en demandant qu’elles s’enregistrent par zone monétaire d’intervention, en organisant la reconnaissance mutuelle entre leurs régulateurs, en différenciant les échelles de notation entre les produits financiers et les entités, en donnant toute indication sur la liquidité des marchés des produits notés par les agences.
Je conclurai mon propos en évoquant la crise de 1929 et la réorganisation du secteur bancaire qui en résulta, à la demande du législateur américain. À la suite des travaux de la Commission bancaire du Sénat sur les causes du krach boursier, le Congrès américain adopta, le 16 juillet 1933, le Glass-Steagall Act, loi qui instaura une séparation stricte entre les activités des banques commerciales gérant les dépôts et crédits consentis aux particuliers et celles des banques d’investissement qui émettent des actions ou des obligations sur le marché boursier.
Cette disposition, qui reprend aujourd’hui tout son sens, a perduré dans la législation américaine jusqu’en 1999 et a été abrogée par le Congrès sans que le Président Clinton y mette son veto. L’abrogation à caractère protectionniste du Glass-Steagall Act devait permettre aux banques américaines de faire face à la concurrence internationale. Elle a surtout ouvert la porte aux subprimes et autres produits dérivés. Dix ans plus tard, cette compétition biaisée entre banques commerciales et banques d’investissement a tourné très largement à l’avantage des premières, qui bénéficient des fonds propres de leurs déposants.
C’est pourquoi des banques d’investissement comme Bear Stearns, Lehman Brothers ou encore Merryl Lynch ont pris des risques, au point que, pour 1 dollar de fonds propres, elles investissaient jusqu’à plus de 30 dollars dans des opérations à haut risque. Aujourd’hui, ces banques ont tout simplement disparu.
Aussi, madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe du RDSE regrette que le G20 de Londres n’ait pas pris la principale mesure qui, pourtant, nous semble s’imposer : instaurer un Glass-Steagall Act à l’échelle mondiale. (MM. Jean Milhau et Joël Bourdin applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, permettez-moi de faire une remarque préliminaire, en émettant le souhait que vous en fassiez part à la conférence des présidents.
Ce débat s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle consacrant une semaine mensuelle au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques. Alors que nous n’avons pas voté cette réforme, les travées de la gauche sont beaucoup plus fournies aujourd'hui que celles de la droite,…
M. Charles Gautier. Exactement !
Mme Nicole Bricq. … qui l’a votée !
M. Charles Gautier. Ils ne sont pas là, ce qui est honteux !
M. Joël Bourdin. Il y a les meilleurs !
Mme Nicole Bricq. Le déséquilibre de la participation à ce débat montre les limites de la réforme.
Il se trouve qu’un débat sur la crise financière est inscrit à la demande de la commission des finances à l’ordre du jour de nos travaux demain matin.
Il va donc falloir revoir cette organisation ! Sinon, ce ne seront que des palabres…
M. Charles Gautier. C’est du cinéma !
Mme Nicole Bricq. … dénuées de fonction normative.
Cela nous conduit à nous exprimer sur des sujets fondamentaux devant ...
M. Charles Gautier. … des fauteuils vides !
Mme Nicole Bricq. … un hémicycle dégarni, notamment du côté de nos collègues de droite.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je fais partie, avec mes collègues François Marc et Bernard Vera, du « G24 » (Sourires.), groupe parlementaire qui travaille sur la crise financière de manière sérieuse et dont il a été beaucoup question voilà quelques jours, mais pas pour les meilleures raisons !
Avant le premier G20, celui de Washington, au mois de novembre, nous avions établi un diagnostic partagé sur les causes de la crise : déformation du partage des revenus du capital et du travail ; développement irresponsable du crédit aux États-Unis ; taux de rentabilité à deux chiffres exigé par les marchés sans aucun rapport avec l’économie réelle ; hypertrophie des marchés financiers conduisant à multiplier les pratiques à risque, notamment en ce qui concerne les modalités de rémunération ; règles comptables pro-cycliques…. Et à partir de ce diagnostic, nous avons avancé un certain nombre de propositions de réforme.
Rétrospectivement, on peut s’interroger sur le fait que ce modèle ait perduré durant trente ans sans que l’on se pose la question de sa fin et de ses fins.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Vous ne vous êtes pas non plus posé la question !
Mme Nicole Bricq. Il en a fallu des renoncements, monsieur le secrétaire d'État : …
Mme Nicole Bricq. … ceux des États, impuissants à juguler la globalisation, et celui de l’Europe, qui n’a pas construit son propre modèle de régulation.
Que de directives transposées, qui ne faisaient que traduire des procédures technocratiques !
Que d’espaces laissés à des instances professionnelles sans légitimité politique ! Je parle du groupe de travail, monsieur le secrétaire d'État !
Mme Nicole Bricq. Si vous voulez bien relire le premier texte que nous avons remis au Président de la République lors du G20, vous y trouverez mot à mot ce que je viens de vous dire.
La crise nous ramènera-t-elle, comme nous le souhaitions en novembre, à moins de conformisme intellectuel ? Les États retrouveront-ils la force de s’opposer à la toute-puissance des marchés ? Trouverons-nous les bons niveaux d’intervention nationaux, européens, mondiaux ?
Nous nous posions ces questions en novembre, indépendamment de notre appartenance politique. C’est tout l’intérêt du groupe de travail parlementaire pour lequel nos groupes respectifs nous ont désignés. Cela ne gomme pas les divergences sur la nature et la profondeur de la régulation nécessaire, sur la place de l’État, sur l’ampleur et le contenu de la relance, sur les contreparties à exiger aux aides financières de l’État.
Quoi qu’il en soit, puisqu’il s’agit d’un débat engagé sur l’initiative de nos collègues du groupe CRC-SPG, permettez aux socialistes, qui reconnaissent l’économie de marché, de dire qu’il ne peut s’agir, en ce siècle, de revenir aux trente glorieuses, trop souvent présentées comme un « monde enchanté », alors que cette période a représenté une phase importante d’accumulation du capital et qu’elle s’accompagnait, on l’a oublié, d’inégalités très brutales.
Car la crise, qui est mondiale, à la différence de celle de 1929, pose la question du choix du mode de développement.
Pour ce qui nous concerne, nous voulons fonder ce mode de développement sur la reconnaissance du facteur humain, sur la juste rémunération du travail, sur la prise en compte de la finitude des ressources de la planète, sur l’allocation des richesses produites à ceux qui, par naissance ou par destinée, ne peuvent vivre décemment qu’avec l’aide de la solidarité nationale. C’est ce système que nous devons construire !
Lors de la mission que la commission des finances a effectuée la semaine dernière aux États-Unis, nous avons rencontré l’ensemble des grands opérateurs, les autorités fédérales, les banquiers, les gérants de hedge funds, les agences de notation et les membres des think tanks, à la fois des démocrates et des républicains. La crainte des républicains et des libéraux – il en reste encore beaucoup aux États-Unis et suffisamment en France – c’est que le président Obama mette en œuvre ses engagements en faveur de l’éducation et de la santé dès le plan de relance de 780 milliards de dollars, d’où l’âpreté des débats budgétaires. Pour eux, la priorité est d’abord de relancer le système à l’identique, comme s’il s’agissait d’une crise habituelle du capitalisme, d’une « purge », en quelque sorte.
En France, la confrontation des modèles de société que les uns et les autres souhaitent n’a pas vraiment eu lieu. Toutefois, quand, au Sénat et à l’Assemblée nationale, avec nos collègues communistes, nous nous opposons à la droite sur la fiscalité, sur la nature et l’ampleur de la relance, sur le niveau de régulation nécessaire, sur l’encadrement des rémunérations, nous traduisons bien des visions différentes de la société.
Cette crise constitue un révélateur. Elle nous conduira, dans nos formations respectives, à développer nos propositions pour la société du XXIe siècle que nous voulons bâtir. J’y reviendrai demain en développant des propos plus techniques sur la mise en œuvre des orientations du sommet de Londres au niveau à la fois national et de l’Union européenne.
Finalement, et ce sera ma conclusion, à l’instar du XXe siècle, qui a commencé avec la guerre de 1914, le XXIe siècle a débuté en 1989. Je ne fais pas allusion uniquement à la chute du mur de Berlin : 1989 a acté la mondialisation et la crise de 2008 se situe dans cette continuité puisqu’elle traduit la globalisation financière.
Pour nous, il ne peut y avoir de mondialisation sans organisation financière, commerciale et sociale. Voilà ce à quoi il faut s’atteler ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)