M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Janine Rozier. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, mon temps étant compté, je ne me prononcerai que sur l’adoption française.
Selon l’exposé des motifs du projet relatif à l’adoption, « chaque adoption est la rencontre de deux histoires : celle d’un enfant déjà né, parfois déjà grand, qui n’a pas ou plus de famille susceptible de le prendre en charge, et celle de parents ou futurs parents qui souhaitent profondément accueillir pour toute leur vie un ou plusieurs enfants, en les entourant de toute l’affection nécessaire ».
Cette définition me convient, bien sûr ! Cependant, pour la compléter et pour exprimer mes propres sentiments, je dirai en préambule que l’adoption, ce n’est pas donner un enfant à des parents qui le désirent, c’est surtout donner des parents à un enfant pour qu’il soit aimé, entouré, élevé, pour qu’il ait l’amour et les soins nécessaires et même indispensables afin de devenir un adulte responsable, comme dans une vraie famille à laquelle tout enfant devrait avoir droit.
Dès le berceau, quand tous ses sens s’éveillent, un enfant a autant besoin d’amour que de nourriture !
Membre de la commission des affaires sociales d’un conseil général pendant dix-neuf ans, j’ai assidûment assisté aux réunions au cours desquelles les services de l’aide sociale à l’enfance, l’ASE, rendaient compte de leur travail sur le terrain concernant la santé et le suivi de chacun des pupilles.
Placé dès sa naissance dans une famille habituée à accueillir au pied levé un petit, tel pupille restera quinze jours dans cette famille, puis sera placé dans une autre famille d’accueil, où il séjournera peut-être plus longtemps et où ses vrais parents pourront venir le voir quand ils en auront envie, et s’ils en ont envie... S’ils envoient un courrier ou s’ils font une visite, même seulement deux fois par an, l’enfant n’est pas considéré comme abandonné ; il n’est donc pas adoptable et reste en famille d’accueil.
À chaque réunion organisée par l’ASE, l’avis des membres de la commission est sollicité. Il est fait appel à notre mémoire : nous devons nous souvenir, trois ou six mois après, du sentiment qu’avait fait naître en nous le petit Julien ou le petit David, qui sont, nous dit-on, dans leur famille d’accueil des enfants épanouis, quelquefois bagarreurs, quelquefois tristes… II nous faut donner un avis sur leur maintien ou non dans cette famille, dont nous ne connaissons rien. La vraie maman avait envoyé une carte postale trois mois auparavant ; l’enfant n’est donc pas abandonné ; il n’est pas adoptable, etc. Tout le monde est en attente !
À la sortie de cette réunion et pendant plusieurs jours, comment ne pas être obsédé par le cas de chacun de ces enfants, même si nous ne les avons jamais vus ?
Si pointilleuses et honnêtes que soient les enquêtes des assistants sociaux et les renseignements précis glanés auprès des pupilles et des référents de leur famille d’accueil, nous devons juger et décider du suivi de ces enfants et souvent de leur sort. C’est déchirant ! Qui dit que nous ne nous trompons pas ?
Voilà pourquoi il est impérieux d’améliorer rapidement la résolution des situations de délaissement parental, afin que les enfants puissent, dès leur plus jeune âge, avoir des repères affectifs durables et ne pas être considérés comme des objets que l’on a envie de revoir de temps en temps.
Les enfants qui, dès la naissance, ont déjà le handicap d’être des laissés-pour-compte devraient, si la législation permettait une adoption plus précoce, pouvoir trouver rapidement des parents adoptants très demandeurs, dont les dossiers sont en attente depuis des années dans les services de l’aide sociale à l’enfance.
Les parents adoptants demandeurs sont en souffrance ; les enfants abandonnés souffrent aussi. Pourtant, tout nous prouve que, dans la majorité des cas, les adoptions sont des réussites. Il nous faut donc améliorer la résolution des situations de délaissement parental et trouver les moyens de permettre l’adoption le plus tôt possible après la naissance. Nous le devons !
Selon l’article 350 du code civil, lorsqu’ils constatent au bout d’un an un délaissement de la part de la famille biologique, les services sociaux peuvent le signaler au magistrat, qui constatera l’abandon, ce qui permettra de proposer l’enfant à l’adoption. Que de temps perdu ! Actuellement, une simple lettre ou quelques coups de téléphone au cours de l’année écoulée suffisent à prouver le maintien du lien au parent biologique.
Le rapport de M. Colombani, qui a étudié la situation d’enfants placés dans onze départements, démontre que de 9 % à 13 % des pupilles seraient de fait abandonnés et auraient donc pu prétendre à une adoption plus prompte s’ils avaient été signalés plus tôt.
Le problème réside surtout dans la longueur des procédures, qui peut atteindre six ans. Comme vous l’avez très bien dit à plusieurs reprises, madame Morano, « le temps administratif n’est pas le temps de l’enfant ».
Faut-il s’accrocher à une possible famille biologique bancale ou confier l’enfant à des adoptants impatients d’aimer un enfant ?
Quel bonheur de constater la joie de parents adoptants, qui attendent quelquefois depuis cinq ans, quand on leur annonce que leur enfant sera chez eux dans deux semaines et qu’ils peuvent venir immédiatement pour faire sa connaissance et l’apprivoiser ! Ils accourent !
L’INSEE a réalisé une étude qui révèle qu’un tiers des sans-abri ont été des mal-aimés longuement passés par l’aide sociale à l’enfance, sans vraie famille de référence.
Le projet de loi relatif à l’adoption permettra, je l’espère, de lever un certain nombre de blocages. Vous avez d’ores et déjà prévu, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, de fournir aux travailleurs sociaux des critères précis pour caractériser le délaissement, assortis d’une évaluation dès la première année de placement, puis chaque année. Mais la question est de savoir combien d’années !
Dans son rapport, M. Colombani proposait de réunir sur ce sujet une conférence de consensus rassemblant le parquet, le juge des enfants, le juge des tutelles, les assistants sociaux, les responsables de l’aide sociale et les pédopsychiatres. Sur la base de cette plateforme de recommandations, il serait possible de mettre en place des expérimentations dans des départements volontaires, au profit de tout-petits placés précocement.
J’aimerais savoir, madame la secrétaire d’État, ce que vous pensez de cette proposition. Quelles sont les mesures que vous avez prévues dans ce domaine et quand comptez-vous les mettre en œuvre ?
Pourquoi ne pas opter pour une adoption simple, qui permettrait de ne pas couper les contacts avec les parents biologiques en attendant une adoption plénière ?
Par ailleurs, si une adoption réussie nécessite en amont un travail de préparation, un travail de suivi et d’accompagnement est également nécessaire. Une fois l’adoption prononcée se pose la question de l’accompagnement des parents mis en présence d’un enfant qui, s’il n’est pas un nourrisson, a déjà un passé et une histoire propres. La France est en retard par rapport à d’autres pays dans ce domaine. Que prévoyez-vous à ce sujet ?
À la suite d’un sondage réalisé par l’IFOP en novembre 2006, le porte-parole du collectif « Maires pour l’enfance », également maire de Sotteville-sous-le-Val, s’était exprimé en ces termes : « Au nom de la défense de l’intérêt de l’enfant, il faut maintenir le modèle parental avec un père et une mère. »
Je partage tout à fait l’analyse émanant de ce collectif, qui regroupait 12 594 maires en 2008, soit un tiers des maires de France !
Bien des choses sont dites à ce sujet et de nombreuses associations s’émeuvent du fait que cette précision relative au modèle parental ne figure pas dans votre projet de loi, madame la secrétaire d’État. Sur ce point également, nous sommes impatients d’avoir votre avis.
En tout état de cause, j’espère que ce projet de loi redonnera espoir à toutes les familles qui ont décidé d’accomplir ce magnifique geste d’amour qu’est l’adoption d’un enfant. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur les travées de l’Union centriste.)
Mlle Sophie Joissains. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, trois ans après sa mise en place effective, l’Agence française de l’adoption fait l’objet d’un bilan mitigé, voire préoccupant.
Une première alerte avait été donnée par les familles membres d’associations agréées, suivie du rapport de Jean-Marie Colombani sur l’adoption, qui dénonce tant l’absence de résultats probants que le manque de professionnalisme et d’expérience de cette agence. La Cour des comptes, dans le cadre de son dernier rapport public annuel, est aussi intervenue en formulant un certain nombre de recommandations.
C’est maintenant au tour du Sénat, à travers le rapport de MM. Cazalet, de Montgolfier et Paul Blanc, de mettre en évidence l’incapacité de l’AFA à atteindre les objectifs qui lui ont été fixés.
Créée par la loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption, l’Agence est destinée à offrir une troisième voie d’adoption aux personnes qui ne peuvent être prises en charge par un OAA et qui ne souhaitent pas entreprendre seules les démarches. L’AFA a donc une mission d’information, de conseil et d’intermédiaire.
Le rapport rappelle les moyens dont dispose l’Agence, moyens financiers, avec un budget de 4 millions d’euros, et moyens logistiques, au niveau tant des ambassades que des conseils généraux.
Or, entre 2007 et 2008, le nombre d’adoptions réalisées par l’AFA a diminué aussi bien en valeur absolue qu’en valeur relative.
Malgré un contexte international difficile, dans lequel est observée une baisse généralisée du nombre d’adoptions à l’étranger, quel que soit le pays d’accueil, nos collègues relèvent les points suivants : choix d’une stratégie de déploiement et d’implantation inadéquate, coordination imparfaite avec les OAA et mauvaise identification de l’Agence dans les pays où elle est présente.
Le constat est cependant plus nuancé en ce qui concerne les missions d’information et de suivi.
Une grande majorité de conseils généraux ont fait part, en effet, de leur satisfaction à l’égard de la qualité des informations mises à la disposition de leurs agents et des familles par l’AFA.
Toutefois, l’Agence elle-même a signalé quelques difficultés de transparence ou de chevauchement de compétences avec l’Autorité centrale pour l’adoption internationale.
Durant les débats qui se sont déroulés ici même en 2005, sans vouloir jouer les Cassandre, j’avais alerté le Gouvernement et nos collègues sur les imperfections et le manque d’ampleur de la réforme qui nous était alors proposée.
La création de l’AFA ne s’est pas accompagnée, comme cela aurait dû être le cas, d’une réflexion d’ensemble sur l’organisation institutionnelle de l’adoption internationale.
Je regrette que nos craintes se vérifient aujourd’hui. À l’époque, je relevais ainsi : « Alors que les pays d’origine réclament une plus grande lisibilité structurelle et privilégient l’interlocuteur unique, la proposition de loi prévoit la création d’un quatrième organisme. […] Cela ne va pas dans le sens d’une meilleure crédibilité de la France en matière d’adoption internationale [et] n’aboutit finalement qu’à ajouter un peu plus de confusion dans notre paysage institutionnel. »
Les deux autres objectifs de la réforme de 2005, qui visaient respectivement à harmoniser les conditions de délivrance des agréments et à développer l’adoption nationale, n’ont pas davantage été atteints.
Cela a été dit précédemment, 28 000 agréments sont en cours de validité, soit sept fois plus que le nombre d’enfants en situation d’être adoptés. En outre, seulement 775 enfants ont été adoptés en France en 2007, sur les quelque 3 200 pupilles de l’État.
Au vu de ce constat, les préconisations de nos collègues pour créer des conditions favorables à l’action de l’AFA nous semblent aller dans le bon sens.
Il s’agit d’accroître l’efficacité et la lisibilité de l’organisation institutionnelle de l’adoption en France, de mieux adapter les missions de l’AFA aux réalités de l’adoption internationale, de poursuivre la réforme engagée pour encadrer les conditions de délivrance des agréments, de favoriser davantage l’adoption nationale au travers, notamment, de l’adoption simple.
J’avais fortement défendu cette dernière idée lors de nos débats de 2005. Je constate d’ailleurs que l’état d’esprit de nos collègues a beaucoup évolué depuis cette date, ce dont je me réjouis. En effet, l’adoption simple n’est pas suffisamment développée dans notre pays. Cependant, je suis beaucoup plus réservée, j’aurai l’occasion d’y revenir dans un instant, sur les propositions concernant l’article 350 du code civil.
Pour l’AFA – je partage à cet égard le point de vue des auteurs du rapport –, il doit s’agir d’une deuxième chance, ou plutôt d’une dernière chance.
M. Paul Blanc. Tout à fait !
Mme Claire-Lise Campion. Le maintien de cette institution dépend de résultats futurs, qui devront être probants.
Toutefois, il semble que le Gouvernement n’ait pas pris toute la mesure des différents avertissements, préconisations ou propositions formulés ces deux dernières années. Le projet de loi présenté le 1er avril dernier en conseil des ministres soulève légitimement de vives interrogations. Réduit à six articles, le texte se présente comme une réforme de plus. Seul son article 4 vise l’AFA et prend en compte la nécessité de préciser les missions de conseil à l’attention des usagers. Il prévoit l’habilitation générale de l’institution dans les pays d’origine, et non plus dans les seuls États signataires de la convention de La Haye.
L’article 3 du texte tend à instaurer l’obligation, pour le titulaire de l’agrément, de confirmer chaque année son projet d’adoption et, pour les conseils généraux, de le vérifier systématiquement. Je soutiens une telle mesure.
Mais l’objet principal de ce projet de loi est de réformer une fois de plus l’article 350 du code civil, relatif à la procédure de déclaration judiciaire d’abandon. Depuis son introduction, en 1966, cet article n’a cessé d’être remanié puisqu’on compte six modifications à ce jour. Or il ne peut être considéré comme une variable destinée à compenser la dénatalité ni comme un droit des adoptants.
Si j’entends parfaitement les arguments qui ont guidé la position adoptée dans le projet de loi, je rappelle que l’accueil d’un enfant par l’aide sociale à l’enfance est non pas une fin en soi, mais un temps donné, un moyen. La mission de l’ASE est de tout mettre en œuvre pour ne pas rompre le lien entre les parents et l’enfant, pour permettre à ce dernier de retrouver sa place auprès des siens.
Nous l’avons entendu, certains enfants vont de foyer en foyer, de famille d’accueil en famille d’accueil et sont dans une instabilité affective complète : ce n’est pas acceptable ! Des solutions doivent être trouvées.
Ne l’oublions pas, l’adoption est au carrefour de plusieurs demandes, qui sont toutes légitimes : celle d’un couple en désir d’enfant, celle d’un enfant en manque de parents. Mais c’est bien l’intérêt de l’enfant qui doit avant tout être privilégié et non le désir des adultes.
En 2005, déjà, les « cas de grande détresse » avaient été exclus de cet article, afin d’augmenter le nombre d’enfants français adoptables. Ne peut-on aujourd’hui tirer un premier bilan de cette évolution législative avant de poursuivre la réforme ? Pourquoi limiter le débat au seul article 350 du code civil ?
L’adoption simple est une solution, tout comme le parrainage. Que faisons-nous pour les pupilles de l’État, qui, en situation d’être adoptés, ne trouvent pourtant pas de famille ? Ils sont un millier !
Une fois encore, le Gouvernement va nous demander de légiférer. Nous nous devons de lancer la réflexion et d’entamer un large débat. C’est cela, réformer !
Une fois de plus, le Gouvernement n’a malheureusement pas fait le choix de recentrer ce débat essentiel autour de l’intérêt de l’enfant. Des questions restent en suspens. Quels projets offrir aux enfants pupilles de l’État, qui, dans la pratique, ne sont pas adoptés du fait de leur âge, de leur fratrie ou de leur handicap ?
Il est également nécessaire de doter les enfants d’un statut stable dans les cas de parents-couples homosexuels.
Il convient aussi de faciliter l’accès aux origines des enfants adoptés.
Mesdames les secrétaires d’État, je crains que, en l’état, ce projet de loi que nous serons appelés à examiner prochainement ne représente qu’une occasion manquée supplémentaire. Il est regrettable que les pouvoirs publics ne se donnent pas les moyens d’un débat à la hauteur de nos devoirs vis-à-vis de ces enfants. Car c’est bien de devoirs qu’il s’agit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Bout.
Mme Brigitte Bout. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, dans le court laps de temps qui m’est imparti, je me bornerai à mettre l’accent sur quelques-uns des nombreux problèmes que pose l’adoption telle qu’elle est conçue et telle qu’elle est appliquée dans notre pays.
S’agissant tout d’abord de l’adoption nationale, c’est-à-dire de l’adoption des enfants nés en France, on constate qu’en 2007, seulement 775 des 3 212 pupilles de l’État ont été placés en vue d’adoption. En effet, nombre d’enfants délaissés par leurs parents biologiques et placés sous la protection de l’aide sociale à l’enfance ne peuvent être adoptés parce qu’ils n’ont pas été légalement abandonnés au sens de l’article 350 du code civil.
Par la loi du 4 juillet 2005, on avait voulu améliorer cette situation très préoccupante en assouplissant les critères auxquels doit se référer le juge pour prononcer une déclaration d’abandon. On ne peut que déplorer que les pratiques n’aient pourtant guère évolué, les juges et surtout, semble-t-il, les services sociaux s’efforçant de maintenir, parfois au-delà du raisonnable, un lien, aussi ténu soit-il, entre l’enfant et ses parents biologiques. Certains enfants de six ans et plus, manifestement abandonnés, ne sont cependant pas considérés comme adoptables.
L’intérêt bien compris de l’enfant commande, à mon avis, qu’on cesse de privilégier par principe la filiation biologique dès lors qu’elle ne correspond à aucun attachement réel de la part de géniteurs parfois peu capables d’assumer leurs responsabilités. Cet acharnement aboutit seulement à priver les enfants de parents adoptifs qui les auraient, à l’évidence, mieux aimés.
Pour ce qui concerne l’adoption internationale, la loi du 4 juillet 2005 avait pour but de mieux encadrer les procédures et d’apporter ainsi davantage de garanties aux candidats à l’adoption comme aux enfants étrangers susceptibles d’être adoptés. C’est notamment à cette fin que le législateur avait créé l’Agence française de l’adoption.
Sans prétendre dresser ici un bilan de l’action de l’AFA, ce qui a été parfaitement fait par nos collègues Auguste Cazalet, Albéric de Montgolfier et Paul Blanc, je voudrais évoquer quelques difficultés.
La définition d’une véritable stratégie de l’adoption internationale ne relève pas de l’AFA, mais reste de la compétence de l’Autorité centrale pour l’adoption internationale, l’ACAI, laquelle ne semble pas toujours s’acquitter au mieux de cette tâche, spécialement en matière de coordination de l’implantation de l’AFA et des organismes autorisés pour l’adoption, les OAA, dans les pays d’origine des enfants. Il serait souhaitable que l’AFA puisse agir dans tous les pays d’origine, que ces derniers soient signataires ou non de la convention de La Haye.
L’AFA, soumise de par son statut aux règles de la comptabilité publique, se révèle incapable d’assurer l’accompagnement financier des familles adoptantes dans les pays d’origine : on constate à regret que les OAA sont en mesure d’offrir à ces familles un accompagnement qualitativement supérieur.
J’insisterai, enfin, sur un problème qui me semble particulièrement grave, celui des candidatures multiples des familles adoptantes. Rien n’interdit, en effet, aux candidats à l’adoption d’engager tout à la fois des démarches auprès de l’AFA, des OAA et à titre individuel ; l’AFA elle-même peut d’ailleurs faire des recherches dans plusieurs pays pour le même candidat. Il s’agit évidemment, pour les candidats à l’adoption, de multiplier leurs chances d’obtenir un enfant. Mais lorsque plusieurs de ces demandes multiples aboutissent simultanément, les familles candidates se trouvent dans l’obligation de choisir entre des enfants d’origines différentes et donc, en réalité, d’en abandonner plusieurs à leur sort : ces enfants se trouvent ainsi, en quelque sorte, abandonnés deux fois, ce qui paraît non seulement contraire aux principes de la convention de La Haye, mais encore tout à fait inacceptable sur le plan humain.
Chacun aura compris quelle est ma priorité en matière d’adoption : si compréhensible et souvent nécessaire que soit la prudence des services sociaux, si légitime, si sympathique et si respectable que puisse être la démarche des candidats à l’adoption, tout doit être fait, à mon sens, d’abord dans l’intérêt bien compris des enfants susceptibles d’être adoptés, qu’il s’agisse d’enfants nés sur notre sol ou d’enfants venant du bout du monde.
Les auteurs de la proposition de loi à l’origine de la loi du 4 juillet 2005 se proposaient de faire de l’adoption l’un des piliers de la politique familiale de la France. Force est de constater qu’en dépit des excellentes intentions du législateur et du nombre croissant des candidats à l’adoption cet objectif n’a pas été pleinement atteint : c’est la raison pour laquelle nous nous réjouissons que le Gouvernement ait déposé un projet de loi relatif à l’adoption. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, l’adoption, sans conteste, est un geste d’amour généreux destiné à donner une famille à un enfant, et, ainsi, à faire le bonheur de ce dernier.
Cette démarche doit toutefois, dans les faits, être davantage clarifiée et mieux encadrée.
La convention de La Haye vise à protéger l’enfant, entre autres éléments, des dérives éthiques et financières qui peuvent entourer l’adoption. Des mesures sont ainsi mises en place pour maintenir l’enfant dans sa famille biologique ou lui trouver une famille d’accueil dans son pays d’origine. La France, pays des droits de l’homme, ne peut que se réjouir de la réduction du nombre d’enfants abandonnés ou confiés à des orphelinats dans les soixante-dix-huit pays signataires de cette convention.
Cette évolution a cependant pour effet de limiter dans les faits les possibilités d’adoption sur le plan national comme sur le plan international, et elle crée un fort déséquilibre entre la demande de parents français candidats à l’adoption et le nombre d’enfants véritablement adoptables ou adoptés.
Sur le plan national, les procédures pour rendre un enfant adoptable sont certes complexes et mériteraient d’être assouplies. La décision du magistrat de rendre adoptable un enfant n’en est pas moins lourde de conséquences, tant pour l’enfant lui-même que pour ses parents. Si des améliorations peuvent être recherchées en liaison avec la justice et les services sociaux, il est néanmoins illusoire de penser que quelques cas emblématiques seraient le reflet d’un dysfonctionnement généralisé et que leur règlement permettrait de répondre à toutes les demandes des familles.
Quelques chiffres à ce sujet : en France, 28 000 familles attendent un enfant pour 3 000 pupilles et moins de 800 adoptions annuelles. Il est vrai que, comme cela a déjà été souligné, les familles souhaitent accueillir des enfants jeunes et – faut-il le dire ? – en bonne santé.
Sur le plan international, on évalue en 2008 le nombre d’enfants adoptés dans le monde entre 30 000 et 40 000, alors que la France, à elle seule, compte près de 28 000 agréments en cours de validité ! Des pays comme Madagascar, la Chine ou le Vietnam ont récemment ratifié la convention de La Haye, qui interdit toute démarche individuelle d’adoption internationale. Dans le monde, le nombre d’adoptions internationales a diminué dans la quasi-totalité des pays d’accueil, notamment de 10 % aux États-Unis et de 25 % en Norvège. En France, on accuse un recul de 20,5 % entre 2006 et 2007, notamment en raison de l’allongement du délai des procédures en Chine et de la fin des procédures individuelles au Vietnam.
On observe ainsi beaucoup de souffrance chez les parents adoptants en attente, qui disposent d’un agrément et ne voient pas leurs souhaits légitimes se réaliser.
Aussi, il me semble urgent de tenir sur l’adoption un langage de vérité et de responsabilité.
En premier lieu, il convient de spécifier avec franchise aux parents que l’agrément qui leur est délivré, souvent après un véritable parcours du combattant particulièrement éprouvant, ne leur donne aucun droit acquis impératif, pas plus que la certitude d’un « résultat ». Comme beaucoup d’orateurs l’ont rappelé, l’adoption consiste avant tout à donner des parents à un enfant, avant d’ouvrir un droit aux parents adoptants, dont l’attente reste par ailleurs tout à fait légitime. Un travail d’information préalable des candidats s’avère donc nécessaire sur la réalité de la situation.
En second lieu, les pays ayant ratifié la convention de La Haye refusent désormais les démarches individuelles. C’est notamment ce qui a justifié, en 2005, la création de l’Agence française de l’adoption, dont les résultats limités ont déçu les espérances suscitées par sa création. Néanmoins, avant de faire le procès de l’AFA, ne convient-il pas de s’interroger sur une spécificité bien française, qui veut que les candidats à l’adoption de notre pays ne conçoivent pas d’accueillir des enfants autrement que sous le régime de l’adoption plénière ? Cette pratique, qui efface l’état civil de l’enfant, pénalise la France par rapport aux pays qui, en pratiquant l’adoption simple, moins exclusive, laissent une place à l’histoire de l’enfant. C’est un véritable paradoxe français dans un contexte où l’accès aux origines est avancé comme un droit de l’enfant.
Sans doute convient-il de faire évoluer notre vision sur le sujet, d’autant plus que les droits reconnus à l’enfant, sous régime plénier ou simple, ne sont pas si éloignés les uns des autres ! C’est du reste la conclusion préconisée par mes collègues auteurs du récent rapport du Sénat, lesquels proposent de donner une « nouvelle chance pour l’Agence française de l’adoption ».
En conclusion, c’est une réflexion d’ensemble qu’il nous faut engager, dans l’unique intérêt de l’enfant. Faciliter l’adoption simple par une meilleure information, sensibiliser les travailleurs sociaux et les juges pour améliorer les procédures nationales et procéder à des signalements plus précoces, développer l’adoption internationale en intégrant mieux les cultures et sensibilités des pays concernés, réguler la délivrance des agréments pour ne pas laisser espérer en vain certains parents adoptants : telles sont les pistes qui rationaliseraient utilement le dispositif des adoptions en France.
Répondre à l’attente des familles, à la faveur d’une nouvelle loi, ne peut se résumer à vouloir ajuster une offre de plus en plus rare à une demande croissante. Seule une vision globale et équilibrée de ce dossier si chargé d’émotions contradictoires pourra, en mettant l’enfant au centre de la démarche, offrir une solution acceptable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)