Sommaire
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Daniel Raoul.
2. Décisions du Conseil constitutionnel
3. Libertés et responsabilités des universités. – Discussion d'une question orale avec débat
MM. David Assouline, auteur de la question orale ; Ivan Renar, Jacques Legendre, Mme Françoise Laborde, MM. Yannick Bodin, Jean-Léonce Dupont, Pierre Bordier, Serge Lagauche, André Lardeux, Mme Marie-Christine Blandin, M. Pierre-Yves Collombat.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président.
déficits publics et augmentation des prélèvements obligatoires
MM. Hervé Maurey, André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique.
MM. François Marc, André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique.
MM. Bernard Vera, André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique.
politique agricole commune : le problème des zones intermédiaires
MM. Henri de Raincourt, Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
crise économique et situation de l'emploi
Mme Françoise Laborde, M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.
plans sociaux et licenciements
MM. Roland Courteau, Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.
apprentissage et chômage des jeunes
MM. Serge Dassault, Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse.
fonctionnement des pôles emploi
Mme Patricia Schillinger, M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.
changement de statut des fonctionnaires de la poste
MM. Pierre Hérisson, André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique.
financement des instituts universitaires de technologie
M. Philippe Adnot, Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Suspension et reprise de la séance
5. Communication du Médiateur de la République
MM. le président, Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République.
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
6. Politique de lutte contre les violences faites aux femmes. – Discussion d'une question orale avec débat
Mmes Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, auteur de la question ; Christiane Kammermann, Françoise Laborde, M. Roland Courteau, Mmes Muguette Dini, Odette Terrade, Raymonde Le Texier, Catherine Morin-Desailly.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.
Clôture du débat.
7. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Romani
vice-président
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu du Conseil Constitutionnel une décision en date du 18 mars 2009 sur la situation de M. Serge Dassault, sénateur de l’Essonne, au regard du régime des incompatibilités parlementaires.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision sera publiée en annexe au compte rendu intégral de la présente séance.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 18 mars 2009, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel relative à la conformité à la Constitution de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
Acte est donné de cette communication.
3
Libertés et responsabilités des universités
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 26 de M. David Assouline à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’application de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
Cette question est ainsi libellée :
« M. David Assouline demande à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de lui indiquer l’état d’application de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités dont le dispositif encadre l’ensemble des réformes actuellement contestées par tous les acteurs de l’enseignement supérieur.
« Depuis plusieurs semaines, l’inquiétude de toute la communauté universitaire, des enseignants-chercheurs aux étudiants, en passant par de nombreux présidents d’établissements, s’exprime dans la rue et dans les médias. Leurs protestations s’amplifiant ont donné lieu à de nombreuses manifestations, partout en France où, tous unis, ils s’élèvent contre les réformes gouvernementales modifiant le statut des enseignants-chercheurs, instaurant la nouvelle organisation des instituts universitaires de technologie, IUT, réformant la formation des enseignants et dénoncent, de façon générale, les conditions de travail et d’études à l’université et la réalité des moyens financiers annoncés par le Gouvernement. »
La parole est à M. David Assouline, auteur de la question.
M. David Assouline. Madame la ministre, nous revoilà !
Souvenez-vous : quelques semaines seulement après l’élection présidentielle, vous présentiez à notre assemblée la future loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, alors appelée par le Premier ministre à devenir la réforme « la plus importante de la législature ». Il fallait aller vite, pendant l’été, pour que la communauté universitaire ne puisse pas réagir. Je vous avais avertie qu’une réforme de l’université se devait d’être discutée en profondeur avec tous les acteurs concernés.
Madame la ministre, sûre de votre rapport de force d’alors et de votre talent, vous avez foncé. Mais le talent ne suffit pas, ni même votre style incontestablement plus moderne, car vos préjugés idéologiques ne sont, quant à eux, pas du tout modernes ! Ils sentent même la naphtaline : l’université n’est pas une entreprise, la connaissance n’est pas une marchandise !
Vingt mois après, alors que la colère envahit les campus, nous voilà à l’heure d’un premier bilan, avec la question du contrôle parlementaire. Si cet exercice n’est pas tronqué ou de pure forme, si vous répondez vraiment aux questions posées, nous aurons été alors utiles au débat public, nécessaire pour toutes celles et tous ceux qui attendent que notre université et notre recherche relèvent les défis de notre temps.
Le contexte est là. Après les manifestations du 11 mars dernier, « pour la défense du service public » de l’enseignement supérieur et de la recherche, chacun peut encore voir aujourd'hui que des milliers de représentants de la communauté universitaire défilent déjà ce matin dans tout le pays contre la politique du Gouvernement.
La communauté universitaire semble donc plus mobilisée contre vos réformes que rassemblée « autour » des projets d’établissement liés à leur application.
Or, que constatons-nous dans le domaine qui relève de votre compétence ?
Le 16 février dernier, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, adoptait une motion exprimant l’opposition de la communauté universitaire aux « projets du ministère – modulation des services, mastérisation, réforme de l’allocation des moyens, restructuration des organismes de recherche … – imposés de force [et] fragilisant le service public d’enseignement supérieur et de recherche ».
Pour sa part, la Conférence des présidents d’université, la CPU, exige solennellement du Gouvernement le report à la rentrée 2010-2011 de la réforme de la formation des enseignants des premier et second degrés.
Par ailleurs, les directeurs des instituts universitaires de technologie, IUT, se rebellent, massivement, contre la remise en cause de la spécificité des cursus proposés par leurs organismes avec leur mise sous tutelle des présidences d’université.
Il est vrai qu’il est difficile de faire accepter une réforme à celles et ceux qui sont appelés à en devenir les principaux acteurs lorsque l’on se contente de les mépriser. Le 22 janvier dernier, à l’Élysée, le Chef de l’État vouait une nouvelle fois aux gémonies « un système d’universités faibles, pilotées par une administration centrale tatillonne », marqué d’« archaïsmes » et de « rigidités » dont se satisferaient des « conservateurs […] que l’on trouve à droite en nombre certain et à gauche en nombres innombrables ».
Sans polémiquer, il nous faut tout de même répondre ici à cette accusation, en revenant sur le contenu des débats ayant précédé, dans cet hémicycle, l’adoption de la loi LRU.
Que disais-je alors, pour ma part, au nom des sénateurs socialistes ?
« Oui, la grande réforme de notre enseignement supérieur est nécessaire, tant le rôle de celui-ci pour la grandeur de notre pays et sa place dans le monde est majeur, tant l’idée qu’on se fait de l’intelligence, du progrès humain et de la culture en général y est présente, concentrée au maximum. »
Et je continuais ainsi : « L’enjeu est d’assurer à notre université les moyens de l’excellence et, sur cette base seulement, de chercher à savoir comment les universités pourraient mieux fonctionner en interne, notamment avec plus d’autonomie. C’est pourquoi il aurait fallu dès maintenant travailler à un projet de loi de programmation pluriannuelle visant à donner à l’université les moyens de cette excellence. »
Qu’aurait été le contenu de cette loi de programmation ? J’en donnais aussi le détail : « Ce projet de loi de programmation aurait été construit autour de cinq priorités : premièrement, l’augmentation de 10 % par an pendant cinq ans du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’objectif étant que la dépense publique en sa faveur atteigne 3 % du produit intérieur brut ; deuxièmement, la lutte contre l’échec en premier cycle et la précarité des conditions de vie de beaucoup d’étudiants ; troisièmement, la valorisation des jeunes chercheurs, notamment en apportant des garanties de carrière aux doctorants ; quatrièmement, l’amélioration de la gouvernance par l’octroi de responsabilités supplémentaires aux établissements en contrepartie d’un approfondissement de la démocratie ; cinquièmement, enfin, l’évaluation régulière des établissements d’enseignement supérieur, de leur gestion et de leurs résultats par l’État. »
Notre contribution au débat était posée, dans la transparence, dès le début des débats. Ce matin, vous ne pourrez pas dire que ces propositions ne répondaient pas aux enjeux de l’avenir de notre service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En effet, vous aviez estimé prioritaire d’évaluer la performance des établissements et des enseignants-chercheurs et de réformer la gouvernance et l’organisation des universités. Cohérent avec la philosophie du Chef de l’État, consistant à privilégier les puissants et à sacrifier les faibles, ce gouvernement a choisi d’octroyer des libertés aux établissements ayant les moyens d’en tirer profit, selon l’adage cher aux libéraux du « renard libre dans un poulailler libre ». Vous avez donc délibérément jugé secondaires la question des moyens et de l’échec des étudiants en premier cycle, ainsi que celle des conditions de travail des universitaires.
Pendant les discussions de l’été 2007, nous vous avions pourtant mise en garde contre vos propres démons, en rappelant que « la dernière fois que la droite a voulu réformer l’université, là encore au nom de l’autonomie, avec le projet Devaquet de juillet 1986, il s’agissait de permettre aux universités de fixer librement leurs droits d’inscription, de sélectionner les étudiants et d’adapter leur offre d’enseignements et de diplômes exclusivement en fonction des besoins du marché du travail, en cassant leur valeur nationale ».
Ancrée dans vos certitudes fondées, notamment, sur le si contestable classement de Shanghai, vous étiez restée sourde aux préoccupations des enseignants-chercheurs, déjà inquiets de la remise en cause annoncée de leur statut, comme à celles de tous les acteurs de l’université de voir la démocratie confisquée, dans les établissements, par des conseils d’administration peu représentatifs et des présidents surpuissants.
Souvenez-vous de votre réponse définitive à nos interrogations et à nos mises en garde, lors du vote final du projet de loi dit LRU : « Pour l’instant, tout va bien, et, comme disait la mère de Napoléon, pourvu que ça dure ! »
Cela n’a pas duré, comme c’était prévisible, et, depuis plus de sept semaines, nos universités et nos établissements de recherche connaissent une crise de dimension inconnue depuis vingt ans.
Et qu’a fait ce Gouvernement depuis début février pour sortir de la crise, sinon cloisonner les discussions autour des deux sujets les plus brûlants : révision du statut des enseignants-chercheurs et réforme dite de mastérisation de la formation des professeurs des premier et second degrés, en excluant du dialogue un mouvement comme « Sauvons l’université » ou des associations d’enseignants et de chercheurs à l’expertise reconnue comme « Qualité de la science française » et « Défense de l’université » ?
Comment alors s’étonner du rejet par ces deux organisations, en début de semaine, de la dernière version du projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs et de la menace, sans précédent, de démission de 250 directeurs de laboratoires s’ils n’étaient pas entendus à ce sujet ?
Le temps est donc venu, pour le Sénat, de juger des premiers résultats de votre politique pour les universités.
Notons, en premier lieu, que l’article 51 de la loi LRU crée un comité de suivi. Institué par un décret du 23 janvier 2008, ce comité comprend notamment quatre parlementaires, dont aucun, à ce jour, n’appartient à l’opposition, contrairement à vos engagements de juillet 2007. Et, à notre connaissance, le rapport du comité de suivi n’a toujours pas été officiellement transmis à notre assemblée, alors que le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, et la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale en seraient saisis depuis plusieurs semaines déjà.
Pouvez-vous, madame la ministre, informer la Haute Assemblée de la date précise à laquelle ce rapport lui sera formellement communiqué ?
Cette question de procédure n’est pas anodine. Le rapport du comité, que l’on parvient néanmoins à se procurer, comporte dix-huit recommandations, dont certaines prônent des modifications législatives et des mesures réglementaires. Il est ainsi principalement consacré aux questions de gouvernance et fait état de difficultés dans l’application des nouvelles procédures d’élection des présidents. Pouvez-vous nous rendre précisément compte de ces difficultés et de leurs conséquences pour le fonctionnement des instances des universités ?
Le rapport fait aussi état d’une inquiétude concernant l’application restrictive que certains présidents d’université feraient des nouvelles règles de gouvernance issues de la loi, en constatant que « des critiques ont été émises [...] sur la manière dont certaines universités ont affaibli le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire du point de vue de leur capacité à apporter des réflexions sur la politique globale de l’établissement en matière de formation ».
Cette dérive certaine rejoint la préoccupation que j’exprimais dans nos discussions de juillet 2007 en qualifiant d’« hyperprésidentialisation » le processus permettant qu’un président d’établissement puisse « être choisi en dehors de l’université », « préside les conseils – dont le nombre a varié – [et] soit élu par des personnalités extérieures [...] ».
Plus généralement, le comité de suivi conclut son rapport en insistant sur « la nécessité pour les établissements de se doter d’un projet stratégique, portant sur la formation, la recherche mais aussi le patrimoine, sous peine de se contenter de passer simplement d’une loi de réforme universitaire à une autre ». Cette recommandation, qui prend la forme d’une mise en garde, manifesterait-elle les difficultés rencontrées par les conseils d’administration des universités « autonomes » à élaborer de tels projets ?
Lors de l’examen de la future loi LRU, nous doutions que les conseils d’administration eussent vocation à devenir les instances de pilotage stratégique des universités dans le cadre d’une « présidentialisation abusive du pouvoir ».
L’exemple de l’université de technologie de Troyes, UTT, fonctionnant déjà sous un régime dérogatoire de quasi-autonomie, montre les carences du nouveau statut créé par la loi LRU. Ainsi, transformé en véritable PDG, le dirigeant de l’UTT a mis en place une gestion des ressources humaines fondée sur la flexibilité des conditions d’emploi des personnels – avec 50 % de contractuels – et le manque de transparence dans les choix de recrutement des enseignants-chercheurs, aucun comité de recrutement n’ayant encore remplacé la commission de spécialistes.
Par ailleurs, les projets de recherche sont sélectionnés plus en fonction des bénéfices financiers attendus des transferts de technologie possibles vers le secteur privé qu’en fonction de l’intérêt scientifique des travaux. Cette « marchandisation » rampante du service public s’accompagne naturellement d’un management autoritaire et opaque, infantilisant jusqu’aux équipes scientifiques !
En réalité, la loi LRU remet en cause la particularité même de la mission des universités, qui justifie que partout ailleurs qu’en France le président et le conseil d’administration n’interviennent qu’exceptionnellement dans les choix scientifiques, de la stricte compétence des spécialistes des différentes disciplines et ce, dans le strict respect de l’indépendance du savoir.
Oserez-vous confirmer ici, madame la ministre, qu’en confondant « gestion moderne » et « gouvernance d’entreprise », comme il entretient sciemment la confusion entre « archaïsme » et « service public », ce Gouvernement a mis en chantier, avec la loi LRU, la mutation de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche en « firmes » guidées par le seul impératif de leur compétitivité sur le marché mondial de la formation des élites ?
Quoi qu’il en soit, en juillet 2007, vous vous engagiez à ce que, d’ici à 2012, toutes les universités se voient confier la maîtrise pleine et entière de leur budget, pour le fonctionnement comme pour l’investissement.
Cet objectif sera-t-il tenu ? Dans quelle mesure les dispositifs d’accompagnement préalables alors promis – formations des personnels administratifs, recensement du patrimoine immobilier – ont-ils été réalisés ? Selon quelles modalités, notamment financières, les locaux seront-ils transférés aux universités qui en feront la demande d’ici à 2012 ? À ce sujet, le comité de suivi recommande d’ailleurs que le ministère mette « en chantier les études méthodologiques et financières relatives à la gestion du patrimoine dès 2009 ». En sera-t-il ainsi ?
Vous ne serez pas surprise de l’opposition des sénateurs socialistes à voir certains campus réhabilités par des investisseurs privés dans le cadre de contrats de partenariat qui ne concerneront naturellement que les sites les plus prestigieux et les mieux dotés, ce qui approfondira les inégalités déjà existantes entre établissements.
Il nous semble donc indispensable, madame la ministre, que vous éclairiez la Haute Assemblée sur les contrats de partenariats signés ou en projet. Quels établissements concernent-ils ? Pour quels projets et avec quelles conséquences pour les finances publiques ? Rappelons qu’en loi de finances initiale pour 2009 170 millions d’euros sont inscrits pour aider au démarrage de partenariats public-privé dans l’enseignement supérieur et que le premier plan de relance gouvernemental prévoit l’engagement de nouveaux crédits d’investissement à hauteur de 731 millions d’euros, au bénéfice de votre ministère.
Quoi qu’il en soit, nous restons toujours ouverts, comme nous l’affirmions en juillet 2007, à une réforme permettant la « débureaucratisation » des universités et des établissements de recherche, dans une logique de « décentralisation » démocratique.
En revanche, sauf à vouloir abandonner la formation des étudiants et la politique scientifique des universités au féodalisme et au clientélisme, nous persistons à nous opposer à des procédures permettant que les carrières des enseignants-chercheurs soient soumises à des contraintes de service strictement locales et que la définition des programmes de formation et de recherche échappe à la stricte compétence des organes de spécialistes.
Qui peut d’ailleurs sérieusement contester que le travail de scientifiques ne peut être légitimement et efficacement évalué que par d’autres scientifiques ?
Sa remise en cause par votre malheureux projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs ne pouvait donc que susciter la réprobation de toute la communauté universitaire. Cette réprobation est d’autant plus exacerbée que, dans le même temps, le Gouvernement veut remettre à plat le processus de formation des professeurs des premier et second degrés, une nouvelle fois sans concertation préalable et au mépris de l’impératif d’apprentissage pédagogique de tout futur enseignant appelé à s’adresser à des enfants ou à des adolescents.
Qui plus est, ces deux mesures tout à fait inacceptables s’inscrivent dans l’objectif gouvernemental d’appliquer à l’éducation nationale le principe de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Ce principe ne devait pas, selon vos déclarations, s’appliquer à l’enseignement supérieur et à la recherche, priorité gouvernementale par excellence réaffirmée par le Premier ministre au moment de l’examen de la future loi LRU, avec l’annonce, dans le discours de politique générale de ce dernier, d’un effort budgétaire supplémentaire de cinq milliards d’euros sur la durée du quinquennat.
Or, après la progression « zéro » de l’année 2008, l’année 2009 est marquée, avec la suppression de 900 postes, par une régression sans précédent depuis quinze ans du volume d’emplois affectés à un secteur qui devrait pourtant être plus que jamais prioritaire à l’heure où le nombre d’universitaires va naturellement baisser dans les prochaines années, du fait des départs en retraite. Au nombre de 2 062, les universitaires devraient ainsi n’être plus que 1 506 en 2015 sous le seul effet du vieillissement.
Surtout, en décidant de ne pas remplacer un départ à la retraite sur six dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche en 2009, et en multipliant le recours aux emplois précaires, le Gouvernement a en réalité transformé les personnels et leurs conditions de travail en variable d’ajustement budgétaire.
Je prendrai quelques exemples pour illustrer ce lent, mais réel processus de remise en cause du service public.
Alors que la loi LRU était censée « débureaucratiser » le fonctionnement des universités, les enseignants-chercheurs sont confrontés à une multiplication « kafkaïenne » de tâches administratives visant à surveiller leurs travaux pour les inscrire plus dans une logique de rentabilité que dans une démarche scientifique.
Dans le même esprit, le refus du Gouvernement de revaloriser les rémunérations des emplois administratifs statutaires afin de permettre le recrutement de collaborateurs qualifiés pour assumer les fonctions d’encadrement justifie l’ouverture de recrutements de plus en plus nombreux sous contrats à durée déterminée.
Comment s’étonner, alors, du malaise des personnels de bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, ouvriers, de service et de santé, les BIATOS, ces milliers d’agents qui font fonctionner les universités quand le seul signe de reconnaissance que vous leur concédez est la remise en cause de leur statut et la précarité ?
Autrement dit, en réduisant systématiquement le nombre de fonctionnaires, ce Gouvernement crée de la précarité jusqu’à l’université.
Comment réussirez-vous donc votre Plan pluriannuel pour la réussite en licence, qui prévoit un meilleur encadrement des étudiants de premier cycle, avec des effectifs d’enseignants-chercheurs en baisse ? Confirmez-vous que, pour pallier vos difficultés dans ce domaine, le Premier ministre vous a demandé, ainsi qu’à votre collègue Xavier Darcos, d’étudier « la mise à disposition des universités de professeurs agrégés, PRAG du second degré » ?
Cette solution « placebo » servira en fait à cacher les suppressions de postes statutaires en 2010-2011, tout en permettant au Premier ministre de tenir son engagement de maintien de l’emploi dans les universités. Croyez-vous, madame la ministre, que la communauté universitaire sera dupe d’une telle manipulation ?
Le plan Campus est aussi significatif de la volonté du Gouvernement de privilégier les « puissants » au détriment des « faibles », en l’occurrence dix « pôles » universitaires « d’excellence ».
Encore une fois, lors de l’examen de la future loi LRU, nous redoutions la logique de compétition entre les « composantes du service public » que votre réforme portait intrinsèquement. Comme le soulignait récemment le président de l’université d’Auvergne-Clermont-I : « En combinant ce plan [le plan Campus] à la mise en place, le 1er janvier, d’un nouveau système de répartition des moyens entre les universités axé sur la performance, mais sans véritable rattrapage préalable des disparités criantes et injustifiées [...] entre établissements, [le Gouvernement] a fait le choix de conduire une politique de soutien discriminante », favorisant les établissements les mieux dotés. Partageant ce constat, le comité de suivi souligne pour sa part « l’importance d’un rééquilibrage des moyens et des emplois entre les universités. »
Cette logique pernicieuse fait d’autant plus sentir ses effets que, sur 792 millions d’euros de dépenses budgétaires nouvelles prévues au bénéfice de l’enseignement supérieur en 2009, seuls un peu plus de 20 % sont destinés à abonder le financement des universités, soit 175 millions d’euros, dont 107,3 millions pour accompagner le passage à l’autonomie, ne bénéficiant donc qu’aux établissements ayant d’ores et déjà fait ce choix, et 67,9 millions d’euros pour la mise en œuvre du Plan pluriannuel pour la réussite en licence.
Des informations diverses ayant fait état des évolutions très inégales des dotations des universités – on évoque une augmentation de 25 % pour certains et une quasi-stagnation en valeur pour d’autres –, pouvez-vous, madame la ministre, confirmer ces données et, le cas échéant, justifier ces inégalités de traitement, alors que toutes les universités sont censées bénéficier du Plan pluriannuel pour la réussite en licence ?
De nombreux dirigeants d’universités estiment que les éventuelles dotations supplémentaires ne compensent pas les nouvelles dépenses induites pour les établissements par la mise en œuvre de ce dispositif.
En tout état de cause, madame la ministre, croyez-vous vraiment que les bidouillages auxquels vous vous livrez dans la présentation des crédits de votre ministère pour trouver les 1,8 milliard d’euros supplémentaires promis par le Président de la République suffisent à cacher le fait que les moyens réellement dévolus à l’amélioration des conditions de travail des universitaires et des conditions de vie des étudiants ne sont pas au rendez-vous ?
Ainsi, les 58 millions d’euros supplémentaires affectés à la « vie étudiante » en 2009 représentent un effort si ridicule que celui-ci constitue presque une insulte à l’égard de ces milliers d’étudiants qui vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.
Or l’amélioration des conditions de vie des étudiants contribue de manière décisive à l’égalité des chances. Il faut offrir à ceux-ci tous les moyens pour accéder rapidement, et en conformité avec leur formation, au monde du travail.
Des mesures d’urgence s’imposent donc dans tous les domaines, y compris celui de l’orientation. Vous n’envisagez malheureusement toujours pas de créer le fameux service public national de l’orientation !
Au cours du débat parlementaire, nous avions également suggéré la création de bureaux d’aide à l’insertion professionnelle dans chaque université. Quelle est la situation réelle à cet égard ? Quels moyens ont-ils été alloués ?
Madame la ministre, vous en conviendrez, cette question orale avec débat sur l’application de la loi LRU, sur fond de crise profonde de confiance entre la communauté universitaire et le Gouvernement, tombe à pic. Elle peut être l’occasion, si vous voulez bien sortir de vos certitudes d’hier, de revoir réellement votre copie avec tous les acteurs concernés. Car j’espère que, comme moi, vous ne voulez pas que la situation pourrisse avec tous les risques que cela comporte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors des débats consacrés à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités au cours de l’été 2007, j’avais eu l’occasion, au nom du groupe CRC, de souligner les graves insuffisances de ce texte, qui contrevenait aux grands principes essentiels au bon fonctionnement de notre système d’enseignement supérieur et de recherche : respect de la démocratie interne, de la collégialité, de l’indépendance des enseignants-chercheurs et de l’évaluation par leurs pairs.
Nous avions également déploré le manque d’ambition de cette loi, qui n’engageait pas l’État à débloquer des moyens substantiels permettant aux universités de parvenir à une réelle autonomie.
En outre, nous avions dénoncé le manque de concertation pour la préparation d’une loi censée réformer en profondeur l’université française et présentée par le Premier Ministre comme « la plus importante de la législature ». Faut-il rappeler qu’elle avait été examinée en urgence, votée à la hussarde et promulguée au cours de l’été 2007 ?
À tous ces travers, à cette absence de dialogue, s’ajoutent les propos arrogants, brutaux et méprisants du Président de la République à l’égard d’une communauté scientifique présentée comme frileuse face au changement et hostile à toute forme d’évaluation de son travail. Cette accumulation, cette méfiance, cette défiance ont engendré le mouvement de fronde actuel, inédit par son ampleur.
Il est vrai que toutes les orientations politiques actuellement mises en œuvre témoignent d’un véritable mépris pour la connaissance et d’une volonté de disqualifier le savoir. Toutes les activités, de l’hôpital à l’université, du tribunal aux structures culturelles, sont appréciées et évaluées au travers d’un utilitarisme forcené à courte vue. Les critères de rentabilité imposés aux services publics ignorent les logiques et la nature même du service public, ainsi que le temps nécessaire à l’accomplissement de missions diverses très souvent complexes. L’immédiateté prend le pas sur toute vision prospective, l’organisation comptable s’impose à tous les types d’activités. Dès lors que les objectifs quantitatifs ne sont pas atteints, des mesures sont prises pour supprimer les postes dans une fonction publique perçue comme pléthorique et peu efficace.
Dans ce contexte, comment les scientifiques peuvent-ils accepter les déclarations du Chef de l’État selon lesquelles l’enseignement supérieur et la recherche de notre pays seraient « inadaptés aux défis de la connaissance et de la croissance du xxie siècle » ? Comment peuvent-ils entendre que la France se trouve en queue de peloton, quand notre pays, malgré une dépense publique par trop insuffisante, se maintient au sixième rang mondial et dispose d’un Centre national de la recherche scientifique fort d’une première place européenne pour les publications ?
La méthode est bien connue : qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage ! Derrière ce tableau outrancier, délibérément noirci, de la réalité universitaire, s’exprime une volonté de « casser » le dispositif public d’enseignement supérieur et de recherche. L’exécutif s’efforce de remettre en cause la philosophie même de la connaissance : la conception actuelle fondée sur la réflexion critique et l’échange devrait ainsi disparaître, au profit d’une conception répondant aux principes de concurrence et de résultats immédiats. Ainsi la production et la transmission des connaissances doivent-elles être soumises aux règles managériales et satisfaire aux pratiques d’étalonnage des performances, selon la logique de l’Espace européen de la recherche et de la stratégie de Lisbonne.
Concurrence et performance à tous les étages : tel est le mot d’ordre qui sous-tend la politique mise en œuvre par le Gouvernement, qui ne peut s’accommoder de la liberté des scientifiques, des échanges, partenariats et collaborations actuellement mis en œuvre au niveau des établissements et des laboratoires de recherches. Le slogan « Publish or perish » – « Publie ou crève » –, d’inspiration anglo-saxonne, semble être l’un des principaux impératifs auxquels nos enseignants-chercheurs et chercheurs devraient désormais répondre. En substance, c’est le message que le Chef de l’État a adressé à la communauté scientifique le 22 janvier dernier.
Outre ces déclarations du Président de la République, qui sont tout sauf une déclaration d’amour – ne vous en déplaise, madame la ministre ! – la communauté scientifique n’a pu rester passive face aux récentes décisions du Gouvernement l’affectant directement.
Elle ne pouvait se résoudre à accepter le décret bouleversant le statut des enseignants-chercheurs. Car, de fait, celui-ci menace la fécondation réciproque de l’enseignement et de la recherche, pourtant vitale pour le développement des universités et la qualité des enseignements dispensés aux étudiants. Les universitaires ont, à juste titre, rappelé qu’on ne saurait dissocier enseignement et recherche par souci d’économies ou pour valoriser des carrières individuelles.
De même, le projet bouleversant le recrutement et la formation des professeurs des écoles, collèges et lycées a rencontré une vive opposition, y compris au sein de la Conférence des présidents d’université, l’apprentissage et la pédagogie étant purement et simplement sacrifiés. En outre, l’incorporation de la formation des enseignants au sein des universités marquerait la fin du cadre national de cette formation, dont les instituts universitaires de formation des maîtres, IUFM, étaient les garants, chaque université devant dès lors proposer sa propre maquette de mastère. Ainsi, nous assisterions à une véritable balkanisation de la formation des professeurs, ceux-ci n’étant plus formés de manière similaire sur l’ensemble du territoire national.
Ces réformes rétrogrades sont d’autant plus rejetées qu’elles interviennent dans un contexte de suppressions de postes au niveau tant des universités et des organismes de recherche que de l’éducation nationale dans son ensemble. Alors que le caractère prioritaire et primordial de l’enseignement supérieur et de la recherche est sans cesse réaffirmé, il n’est pas concevable de diminuer les emplois statutaires dans un secteur qui n’a jamais souffert de surnombre. Doit-on rappeler que, depuis vingt-cinq ans, l’effectif du personnel universitaire a augmenté de 30 %, quand le nombre d’étudiants croissait de plus de 300 % ? Dès lors, comment s’étonner qu’un grand nombre de jeunes quittent l’enseignement supérieur sans diplômes, en situation d’échec ?
Face à l’absence de perspectives d’emploi, il n’est guère surprenant d’observer que les étudiants ne sont plus attirés par les carrières scientifiques et universitaires. Ce phénomène est pourtant particulièrement préoccupant. Comment les connaissances seront-elles produites et transmises dans un proche avenir ?
Alors qu’il y a urgence à définir un plan pluriannuel de création d’emplois statutaires, les suppressions de postes pour 2009, auxquelles s’ajoutent les annonces de suppressions de postes dans les organismes de recherche, constituent un signal très négatif adressé tant à la communauté scientifique qu’aux étudiants.
De manière plus générale, l’opinion publique désapprouve majoritairement les suppressions de postes dans l’éducation nationale, qui contribuent, elle le sait bien, à affaiblir le système éducatif français.
Madame la ministre, nombreux sont ceux à vous dire qu’il y a urgence à revoir la politique du Gouvernement en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Et tous ne sont pas, loin s’en faut, ce que vous pourriez être tentée d’appeler d’« affreux révolutionnaires » ou les « chantres de l’immobilisme ». Ceux-là mêmes que le Chef de l’État ou vous-même vous plaisiez à citer pour défendre vos projets vous le disent et le répètent : « La politique à courte vue de coupes claires sans discernement dans la recherche et l’enseignement supérieur est suicidaire. » Ces mots sont ceux du physicien Albert Fert, prix Nobel 2007, par ailleurs membre du comité de suivi de la loi LRU, dont vous chantiez les louanges il y a quelques mois encore.
Au-delà du décret sur le statut des enseignants-chercheurs, de la mastérisation des concours et de la refonte de la formation des futurs enseignants, c’est l’ensemble de la loi LRU qu’il convient de revoir en profondeur, car elle met à mal l’indépendance des universitaires. Ceux-ci sont en effet privés de la mission de définition de la politique scientifique des universités, confiée dorénavant aux conseils d’administration au sein desquels figurent des représentants étrangers à l’université. De même, l’indépendance des enseignants-chercheurs est remise en cause par les prérogatives confiées aux présidents d’université sur le plan du recrutement, de la rémunération, de l’évaluation ou de la définition des services de leurs personnels. La mise en place d’un « système “présidentiel” avec confusion des pouvoirs », pour reprendre les termes d’un universitaire, doit être abandonnée au profit d’institutions collégiales.
L’autonomie des universités suppose donc de réaffirmer la pertinence de principes contredits par la loi LRU : démocratie, collégialité, indépendance des universitaires, évaluation par les pairs sont indissociables de l’autonomie.
De même, toute réforme des universités devrait tenir compte de la spécificité des disciplines, chacune ayant sa propre temporalité, ses propres critères de recrutement, ses propres pratiques pédagogiques. Ainsi, l’autonomie des universités devrait-elle s’accompagner d’une forme d’autonomie dans chaque discipline, au niveau tant de la recherche que de l’enseignement.
Une véritable réforme n’est en outre légitime que dans la mesure où la qualité des formations est assurée, d’où l’exigence d’un recrutement des enseignants-chercheurs sur la base de critères objectifs et d’une offre de parcours de formation diversifiés adaptés aux différents publics accueillis par l’université.
De plus, il est indispensable que l’État débloque des moyens inédits pour chaque université, afin que chacune d’entre elles puisse devenir pleinement autonome. Alors que toutes ne disposent pas des mêmes atouts, il s’agit de rétablir une équité entre elles, non pas en retranchant des moyens financiers et humains à celles qui sont les plus avancées, mais, au contraire, en portant les moyens des plus modestes au niveau des établissements universitaires d’excellence. Ce n’est qu’à ce prix que l’autonomie des universités pourra s’affirmer.
Il importe de réaffirmer que, plus que jamais, l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche est une dépense d’avenir. Alors que la crise s’amplifie, il est pressant d’investir dans le futur en améliorant le système éducatif, de la maternelle à l’université. C’est un devoir que nous avons envers nos enfants et nos jeunes. Il est à noter que ce discours est aujourd’hui partagé par quelques chefs d’entreprise éclairés, tel l’ancien président du groupe Intel.
Pour reprendre les slogans entendus dans les amphithéâtres ces dernières semaines, que mon collègue David Assouline vient de rappeler, « l’université n’est pas une entreprise » et « le savoir n’est pas une marchandise ». Il est grand temps de réinscrire l’enseignement supérieur, la recherche, l’éducation et la culture au cœur d’un projet de société humaniste donnant corps aux valeurs de la République. En ce sens, il est nécessaire de revoir l’ensemble des projets en cours et de substituer à la loi LRU une authentique réforme encourageant la créativité et l’audace des enseignants-chercheurs, et assurant une réelle égalité des chances à tous les étudiants.
Madame la ministre, il vous appartient désormais de sortir de cette crise par le haut. Nous vous exhortons à répondre à l’appel de la Coordination nationale des universités, qui demande instamment l’ouverture d’états généraux de l’enseignement supérieur et de la recherche associant l’ensemble des organisations syndicales et associatives. Le Gouvernement ne peut continuer à mettre en œuvre des projets auxquels la communauté scientifique est opposée.
Il y a urgence à restaurer la confiance, à engager un véritable dialogue avec l’ensemble des personnels des universités et des organismes de recherche et avec les étudiants. Car, loin d’être les tenants de l’immobilisme, ils sont porteurs de propositions concrètes à même de donner un nouveau souffle à l’université et à la recherche françaises.
Je vous le dis très solennellement, ne manquez pas cette occasion ; ne méprisez pas cette main tendue ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à juste titre, le Président de la République avait placé au cœur de sa campagne électorale la nécessité de réformer les universités et, dès le mois de juillet 2007, le Gouvernement nous a saisis d’un projet de loi ambitieux tendant à instaurer l’autonomie de nos universités. Cette réforme longtemps attendue a été jugée indispensable sur toutes les travées de cette assemblée pour assurer notre compétitivité sur le plan international, même si nos collègues de l’opposition ne l’ont pas votée pour des motifs tenant au mode de gouvernance retenu par le projet de loi ou à l’absence d’une programmation financière.
Le Gouvernement a fait de la politique en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche sa première priorité budgétaire et ce sont, je le rappelle, près de 20 milliards d’euros supplémentaires qui seront engagés, d’ici à 2012, dans ce secteur. Face aux accusations, il est bon de rappeler les chiffres !
C’est pourquoi il me paraît indispensable, au nom de la commission des affaires culturelles, de réaffirmer la nécessité du principe de l’autonomie.
Cette réforme s’inscrit dans un projet global du Gouvernement d’augmentation du niveau des connaissances de nos concitoyens, de la maternelle à l’université.
Je rappelle que l’objectif – que nous partageons tous – est de porter 50 % d’une classe d’âge au niveau des études supérieures. Or, cet objectif est loin d’être atteint, et le taux d’échec à l’université demeure élevé, puisque près de 90 000 jeunes quittent chaque année l’université sans diplôme, soit le quart des sortants !
Personne, sur aucune de ces travées, ne peut se satisfaire d’une telle situation. C’est pourquoi le Gouvernement s’est attaché à lancer simultanément plusieurs réformes. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités est l’une des pierres de l’édifice. Ainsi est posé le socle permettant à nos universités d’accéder en cinq ans à une autonomie budgétaire et patrimoniale et de s’ouvrir au monde extérieur pour tenter d’améliorer l’insertion professionnelle des jeunes.
Il est loin le temps où certains pouvaient s’indigner que l’on ose se préoccuper d’insertion professionnelle à l’université ! C’est bien une des missions de l’université que de préparer l’accès des étudiants dans de bonnes conditions à une profession.
Du reste, lors de nos débats de 2007, nous avions tous jugé cette loi nécessaire, quoique non suffisante, et vous-même, madame la ministre, avez ouvert aussitôt cinq chantiers, auxquels un certain nombre d’entre nous ont pu participer.
M. David Assouline. Ah bon !
M. Jacques Legendre. La loi n’est pas gravée dans le marbre et il est bien clair que certaines dispositions peuvent susciter des difficultés d’application, comme c’est le cas aujourd’hui pour le décret relatif aux enseignants-chercheurs.
À cet égard, je rappelle que le principe de l’indépendance des enseignants-chercheurs, auquel le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle, leur garantit notamment une pensée libre et indépendante. Il est consubstantiel à leurs fonctions et à leurs missions dans notre société, même si cela mériterait sans doute d’être approfondi.
Personne ne songe d’ailleurs à lui porter atteinte, contrairement à ce que l’on a pu entendre ici ou là. Il y a suffisamment de véritables sujets dont il faut se saisir pour ne pas y ajouter des sujets inventés !
Pour autant, ce principe ne doit pas servir de bouclier aux défenseurs de l’immobilisme, qui, pour certains, se réfugient derrière lui afin d’éviter toute évolution. C’est pourquoi je crois, madame la ministre, qu’il était bon de rappeler ce principe dans le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs, tout en réaffirmant l’absolue nécessité de réviser les dispositions en vigueur pour les adapter à l’évolution des missions et de l’organisation des universités.
Aujourd’hui, une large majorité de la communauté universitaire en est d’ailleurs convaincue. Le texte en vigueur date de 1984, c'est-à-dire de vingt-cinq ans ! Il est rigide et inadapté à la diversité comme à la réalité des fonctions universitaires. Il doit donc être actualisé et modernisé.
Cette modernisation doit s’inscrire dans le cadre de l’autonomie des universités, qui a été voulue par le législateur, par nous ! Elle doit permettre la modulation entre les différentes activités de l’enseignant-chercheur et une gestion adaptée de sa carrière.
Elle doit également permettre une meilleure prise en compte, y compris financière, de l’évaluation de l’ensemble des fonctions qu’il remplit. À cet égard, le fait que le décret définisse un service national de référence permettra d’assurer une cohérence indispensable.
Quelles que soient les difficultés, nous ne devons pas perdre de vue l’objectif d’une meilleure formation pour notre jeunesse et nous devons aller au bout de ce chantier. Il ne me paraît donc pas concevable, moins de deux ans après le vote de la loi, de faire marche arrière et de décevoir les attentes de nos concitoyens dans ce domaine. Ils ont tous à l’esprit le fameux classement de Shanghai, qui, je le précise, n’est pas pour moi l’alpha et l’oméga. Certes, il est critiquable, mais il veut tout de même dire quelque chose ; nous ne pouvons pas l’écarter d’un revers de main. Il montre bien que nous avons des efforts à faire.
Même si les critères qu’il retient sont contestables et si, sur l’initiative de la France, on tente de mettre en place un classement européen qui nous serait plus favorable, il ne faut pas se voiler la face : nos universités ont besoin de se moderniser, de se regrouper et de disposer de plus de moyens pour acquérir une visibilité à l’échelle mondiale.
Cela est d’autant plus vrai que la crise qui se profile confirme l’impératif de la formation et des qualifications pour sauver les emplois. Il nous importe aujourd’hui de dissiper les malentendus et je crois, madame la ministre, que vous avez su créer les conditions d’un dialogue constructif qui devrait apaiser les tensions actuelles. (M. David Assouline s’exclame.)
Notre collègue Jean-Léonce Dupont, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l’enseignement supérieur et membre du comité de suivi pour l’application de la loi LRU a, dès le début de la crise, reçu bon nombre de représentants de la communauté universitaire. Il vous fera part, dans son intervention, de son sentiment sur la meilleure façon de sortir du climat actuel de défiance qui s’est instauré.
En conclusion, permettez-moi à nouveau d’insister sur la nécessité de maintenir le cap et de ne pas changer d’orientation sur la politique conduite dans ce domaine, si nous voulons relever les défis que constituent la formation et la recherche.
Nous avons souhaité de nouvelles libertés et des moyens accrus pour les universités, afin de créer de nouvelles coopérations et de les installer durablement au plus haut niveau des pays développés. C’est une exigence pour l’avenir de la France ; il est de notre devoir et de notre responsabilité, aujourd’hui, de ne pas reculer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP – M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme je l’ai déjà dit lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2009, les faits sont là. En très peu de temps, notre pays a cédé énormément de terrain. II a quitté le cercle des dix nations les plus dynamiques en matière de recherche et de développement.
Troisième pays scientifique en 1970, encore septième en 1995, la France se place désormais au quatorzième rang mondial pour la dépense intérieure de recherche et de développement rapportée à son produit intérieur brut. Cette dépense représente aujourd’hui à peine plus de 2 % du PIB, ce qui est bien évidemment très insuffisant !
Notre pays reste donc très en deçà de l’objectif ambitieux que s’est fixé l’Union européenne de consacrer 3 % du PIB communautaire à la recherche d’ici à 2010.
Le système universitaire français se dégrade. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, qu’il s’agisse du montant des dépenses par étudiant, des bourses, mais aussi des crédits d’équipement et de recherche, sans oublier le surpeuplement des amphithéâtres.
Par ailleurs, nous devons aussi faire face à une concurrence internationale de plus en plus vive. Les classements des universités mondiales se font bien trop souvent à nos dépens, malgré les nombreuses imperfections des critères qui les régissent.
Dans ce contexte, c’est la lutte contre l’échec à l’université qui doit être l’objectif premier de la réforme de l’enseignement supérieur français.
De quelle façon y parvenir, madame la ministre ? Comment donner ce nouveau souffle tant attendu ? Certainement pas dans la précipitation, l’urgence et l’absence de concertation !
Une réforme est indispensable. Sur ce point, nous sommes tous d’accord, d’autant que les enjeux de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation sont déterminants pour sortir de la crise actuelle.
Mais l’adoption en urgence de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités est très loin d’être une réponse satisfaisante. La preuve en est que, faute d’avoir été entendu, le malaise des universitaires, des chercheurs et des étudiants s’exprime dans la rue depuis de nombreuses semaines.
Dans un tel climat de défiance, comment imaginer la mise en œuvre efficace et positive d’une réforme déjà bancale ?
Le statu quo n’est pas envisageable, mais c’est bien en écoutant dans la sérénité les principaux acteurs concernés que l’on pourra améliorer les dispositifs inadaptés qui ont été imposés il y a près de deux ans.
La nomination, un peu tardive, de la médiatrice, Mme Claire Bazy-Malaurie, va dans le bon sens et j’ai hâte de lire la nouvelle mouture du décret tant décrié.
Lutter contre l’échec à l’université nécessite, d’abord et avant tout, de créer de nombreux postes d’enseignants-chercheurs, et non de recourir à des heures supplémentaires, qui alourdiraient le service des maîtres de conférences et nuiraient à la qualité de leurs enseignements et de leurs travaux de recherche.
La réforme pour le moins cavalière du statut des enseignants-chercheurs que vous avez tenté d’imposer ne résoudra aucun des problèmes dont nous sommes tous parfaitement conscients.
Une remise à plat du statut des universités et des moyens humains mis à leur disposition doit intervenir rapidement. II est absolument nécessaire pour cela de tenir compte aussi bien des exigences de l’autonomie des universités que de l’indépendance et du statut national des enseignants-chercheurs.
Le passage aux compétences élargies et les nouvelles missions confiées aux universités justifient pleinement de continuer à porter l’exigence d’un plan pluriannuel de recrutement.
L’autre levier incontournable pour lutter contre l’échec à l’université est l’orientation, la motivation et l’accompagnement des étudiants.
Ainsi, la question du logement est cruciale. En premier cycle, elle constitue l’une des principales causes de l’échec des étudiants. À cet égard, deux problèmes se posent et vont de pair : le niveau trop élevé des loyers et l’insuffisance de l’offre de logements universitaires.
Il découle de ces problèmes que la moitié des étudiants sont obligés de travailler pour financer leurs études, souvent au point de les sacrifier.
Le « plan campus », fondé sur la mise en concurrence des universités, aboutit à privilégier une petite dizaine de sites au détriment des autres. On crée ainsi clairement un système universitaire à deux vitesses, alors qu’il existait déjà une inégalité de traitement profonde entre les grandes écoles et les universités.
L’égalité des chances pour l’accès aux études supérieures, objectif républicain primordial, n’est pas près de devenir une réalité ! La réussite en licence était mise en avant dans ce grand projet : vous devez y consacrer les moyens nécessaires !
Dans cet hémicycle, j’ai déjà eu l’occasion de souligner, madame la ministre, l’excellence du département de la Haute-Garonne dans le secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur, ainsi que le grand nombre d’étudiants, qui représentent 10 % de la population de l’agglomération toulousaine.
Pourtant, je suis particulièrement préoccupée de leur qualification et de leur devenir sur le marché de l’emploi. À ce propos, madame la ministre, j’aimerais vous exposer un cas concret, sur lequel j’aimerais obtenir une réponse de votre part.
Il s’agit d’une initiative locale innovante et unique en France. L’IUT de Toulouse-Blagnac propose actuellement une formation inédite. On y a créé un diplôme universitaire de technologie, ou DUT, intitulé « Aide et assistance pour le monitoring et le maintien à domicile » – aussi appelé « 2A2M » –, dédié au service à la personne. (Mme la ministre approuve.)
Cette formation transversale est en adéquation avec un besoin de notre société en offre de services et en emplois qualifiés. Néanmoins, bien qu’elle ait obtenu l’autorisation d’ouverture en juillet 2008, cette formation n’a pas été accompagnée, jusqu’à ce jour, de la dotation des quatre postes nécessaires à sa mise en œuvre. Pour l’instant, le cursus a été ouvert, mais il fonctionne avec des postes d’enseignants vacataires et l’appui des personnels administratifs et techniques issus d’autres filières.
Cette situation met en péril la pérennisation et la réussite de l’expérimentation, ainsi que le parcours des étudiants inscrits, alors même que la question du maintien à domicile des personnes âgées ou dépendantes est un problème majeur de notre société.
II y a donc urgence à encourager de nouvelles filières ayant des débouchés assurés en termes d’emplois.
Déjà, avant la crise actuelle, le taux d’activité des jeunes dans notre pays n’était pas bon. Selon le Pôle emploi, le nombre de jeunes chômeurs a augmenté de 23 % en un an et 46 % d’entre eux restent au chômage plus de six mois. Des milliers de jeunes se trouvent donc dans une impasse.
Dans ce contexte, il est paradoxal qu’une formation comme celle du DUT « 2A2M » ne soit pas plus valorisée, alors qu’elle assurera aux étudiants un emploi après l’obtention de leur diplôme.
La seule réponse ne doit pas être l’intégration des IUT au sein des universités avec une mutualisation des moyens au bénéfice du budget de l’État et non des étudiants.
Madame la ministre, la réforme des universités françaises, que nous attendions tous et qui nous a tant déçus, doit maintenant prendre un nouvel élan, dans le respect du principe de l’indépendance, de la liberté des enseignants-chercheurs et avec comme fil rouge la réussite.
En conclusion, si un enseignement s’impose, madame la ministre, au regard de l’application de votre loi, c’est bien le suivant : on ne réforme pas contre, on réforme avec. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Madame la ministre, en préambule, je dois vous dire que je ne savais pas très bien si c’était à vous ou à votre collègue M. Xavier Darcos que je devais m’adresser ce matin.
J’ai choisi de m’adresser au Gouvernement, comme m’y invite votre déclaration commune en date du 12 mars, puisque je veux vous parler de la formation des maîtres.
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 vous a, en particulier, permis de lancer, madame la ministre, la réforme de la mastérisation de la formation des maîtres de l’enseignement primaire et des enseignants du secondaire.
Depuis plusieurs semaines maintenant, l’actualité est ponctuée par des manifestations d’étudiants et d’enseignants, ainsi que par les protestations de diverses organisations syndicales contre cette réforme.
La journée d’aujourd’hui en est d’ailleurs une nouvelle et spectaculaire illustration.
Vous venez, après des semaines d’immobilisme, de faire quelques propositions nouvelles sur certains points. Malheureusement, votre réforme n’est toujours pas acceptable en l’état et c’est l’objet de ma prise de parole aujourd’hui devant vous.
Lorsque, aux termes de la loi Fillon, les IUFM furent rattachés aux universités, nous avions, malgré les dénégations du ministre de l’époque, affirmé qu’il en résulterait à court terme la suppression pure et simple de ces instituts. Il fallait certes les réformer, mais certainement pas les supprimer, sauf à vouloir supprimer l’apprentissage professionnel du métier d’enseignant.
Jusqu’à maintenant, les futurs enseignants pouvaient intégrer les IUFM pendant deux ans. Au cours de la première année, ils recevaient des enseignements théoriques pour la préparation des concours et, au cours de la seconde, ils fréquentaient en alternance un établissement d’enseignement scolaire au sein duquel ils se trouvaient en situation, devant les élèves. Dans ce processus de formation, la pratique était reconnue comme évaluatrice et comme formatrice de la capacité d’enseigner.
Aujourd’hui, la « mastérisation » va vers la suppression de cette année d’alternance, qui disparaît au profit de la seule logique des savoirs. De surcroît, la réforme réduit de manière dramatique la possibilité d’organiser une formation continue des enseignants.
Devant les contestations émises par l’ensemble du monde enseignant, « un dispositif de stage », selon votre communiqué, va être mis en place. Il comprendra 108 heures de stages dits « d’observation » en première année de mastère et 108 heures de stages dits « en responsabilité » en deuxième année. Avouez que c’est vraiment très peu, madame la ministre, cela ne représentant que quelques semaines passées dans une classe à temps complet...
Ces stages seront certes rémunérés à hauteur de 3 000 euros, mais c’est sans aucune comparaison avec l’année en alternance passée au sein d’un IUFM !
Par ailleurs, vous octroyez généreusement 12 000 bourses supplémentaires, d’un montant maximum de 2 500 euros. Mais peut-on vivre une année entière avec 2 500 euros ? Même cumulée avec d’autres aides, cette bourse ne compensera en aucun cas l’année rémunérée de stage qui existait dans le cadre des IUFM.
Je m’interroge donc très sérieusement sur ces stages en responsabilité que vous prévoyez d’organiser pendant la formation des futurs enseignants. Seront-ils obligatoires pour passer le concours ? Il ne semble pas que ce soit le cas, si j’en crois votre communiqué du 12 mars dernier.
En matière de professionnalisation, le mastère « enseignement » ne doit pas être une simple couverture : les stages, qui pourront être effectués en cours d’année, seront réduits, juxtaposés et centrés sur une observation modélisante. Les concours seront prédominants et l’ouverture sur la recherche vraiment limitée.
La formation pédagogique, c’est l’apprentissage d’un savoir-faire et d’un savoir-être, des notions plus qu’indispensables quand on travaille avec des enfants. La pédagogie enseignée dans les IUFM permettait aux futurs enseignants d’acquérir une capacité à transmettre les savoirs, une culture professionnelle ainsi que les compétences nécessaires à l’exercice de leur métier. Madame la ministre, vous n’êtes pas sans savoir qu’enseigner est un métier et, comme tous les métiers, ça s’apprend !
Quant au concours, votre réforme prévoit qu’il s’articulera dorénavant autour de trois types de savoirs : la connaissance des programmes du premier ou du second degré, l’adaptation théorique d’un savoir à une classe à travers une leçon modèle et la connaissance de l’institution scolaire. De la maîtrise de ces savoirs dépendra le droit d’enseigner. Faire la preuve de l’acquisition des savoirs tiendra lieu de mise à l’épreuve dans la classe. Or il est faux de laisser croire que savoir, c’est savoir enseigner.
Nous sommes là dans une logique d’enseignement qui omet la logique de l’apprentissage, celle des élèves comme celle des enseignants.
Au surplus, il ne me semble pas judicieux que les épreuves du concours se déroulent la même année que celles du mastère. Cette réflexion avait déjà été faite lors de la réforme, nécessaire, de la première année d’IUFM. En effet, quels résultats les étudiants pourront-ils obtenir au mastère alors qu’ils n’auront, bien légitimement, pensé qu’à réussir leur concours ? Votre mastère « enseignement » risque de devenir un sous-diplôme.
Votre réforme prévoit également l’exigence d’un mastère II pour devenir maître. Élever le niveau des connaissances des futurs enseignants peut être une bonne chose. Puissent-ils d’ailleurs tous connaître la Princesse de Clèves ! (Sourires.)
Vous prétendez qu’elle permettra de revaloriser le statut des maîtres. Sans doute, mais elle se traduira également par la suppression d’une année de retraite pour les futurs enseignants. La suppression de l’année de stage rémunérée vous permet surtout de réaliser une économie globale de 800 millions d’euros.
De surcroît, vous sacrifiez un objectif essentiel du système universitaire actuel : la promotion de la diversité sociale à l’université et la lutte contre les discriminations. J’avais pourtant cru, à entendre vos propos, madame la ministre, et ceux de votre collègue Xavier Darcos, que le Gouvernement partageait cette volonté. La République s’est toujours honorée de recruter ses futurs enseignants parmi les classes populaires de notre pays. Elle a toujours voulu des maîtres qui soient des enfants du peuple, à l’image de la France. Aujourd’hui, à peine 33 % des enfants de classe modeste accèdent à l’enseignement supérieur à la sortie du baccalauréat, et seulement 16 % d’entre eux obtiennent les diplômes les plus élevés à l’université. En supprimant l’année où les étudiants étaient rémunérés comme stagiaires, vous appauvrissez ce recrutement, et ce ne sont pas les faibles bourses qui sont annoncées qui changeront profondément les choses.
M. Daniel Raoul. Exactement !
M. Yannick Bodin. Vous brisez les efforts menés en faveur de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances. Combien de filles et de fils de banlieue accéderont au métier d’enseignant ? Vous conférez désormais un caractère élitiste à cette formation au lieu de la démocratiser, comme ce fut toujours le cas dans l’histoire de la République. Avec des bourses aussi faibles, quel étudiant pourra se permettre d’envisager des études de cinq ans sans être rémunéré ?
En outre, madame la ministre, que comptez-vous faire des nombreux titulaires du mastère « enseignement » qui, malgré leur haut niveau de connaissances, auront raté le concours et ne pourront donc pas enseigner ? Vers quoi les réorienter alors qu’ils seront déjà titulaires d’un « bac plus cinq » ?
Les critiques se sont multipliées ces dernières semaines. Avouez, madame la ministre, que vous avez tardé à les entendre… Le conseil d’administration de la Conférence des présidents d’universités lui-même vous a solennellement demandé de repousser la mise en place des nouveaux concours à la rentrée 2011. La remise des maquettes donne lieu à toutes sortes de manifestations. Une dizaine d’universités seulement vous ont présenté ces fameuses maquettes, malgré les délais supplémentaires octroyés. Les autres hésitent entre une cérémonie officielle de non-remise et un boycott pur et simple, refusant de travailler dans des délais aussi courts. Je pense que le bon sens impose de repousser à la rentrée 2011 l’application de la réforme dans son ensemble. Toute solution de transition serait vouée à l’échec, parce qu’elle serait obligatoirement bâclée.
L’autonomie conférée aux universités par la loi LRU s’étend notamment au contenu des cours qu’elles délivrent à leurs étudiants. Comment l’uniformisation de la formation des maîtres va-t-elle se faire dans ces conditions ? Nous ne pouvons pas accepter que nos enseignants, qui peuvent être affectés à travers toute la France, ne soient pas formés de la même façon quel que soit le lieu où ils auront étudié. Si l’autonomie permet aux universités de définir leurs modules de formation et, même si ces derniers sont de bonne qualité, une harmonisation s’avère nécessaire. J’attends que vous me rassuriez sur ce point, madame la ministre, car, pour l’instant, vous n’êtes ni assez précise ni assez catégorique sur les dispositions que l’État prendra dans ce domaine.
Certes, la semaine dernière, vous avez annoncé toute une série de mesures tendant à remettre la professionnalisation des futurs maîtres au cœur de leur formation. Mais, ce faisant, c’est une panoplie de « mesurettes » et non plus une réforme cohérente que vous nous proposez.
Quand vous déciderez-vous à abandonner votre réforme pour en construire une autre qui, à la suite d’une concertation approfondie, permettra une bonne formation des maîtres grâce à une année de formation consacrée aux cours théoriques indispensables et à des stages de longue durée dans les classes ? Quand comprendrez-vous que, pour avoir des jeunes instruits et bien éduqués, il faut d’abord leur offrir des maîtres bien formés, dignes du respect et de la confiance de la République ?
Je conclurai mon intervention par une réflexion que m’inspire l’actualité : plus que jamais, l’école républicaine doit être le rempart contre la montée des intégrismes, de l’ignorance et de l’obscurantisme, dont le pape vient une nouvelle fois de prendre la tête. Lincoln disait : « L’éducation coûte cher ? Essayez donc l’ignorance ! ». Je ne souhaite pas que la France prenne ce risque.
Madame la ministre, l’avenir de notre nation dépend de la qualité de la formation de ses maîtres. Je vous en prie, sauvez-la ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat s’inscrit dans un climat d’inquiétude, les enseignants-chercheurs comme les étudiants exprimant leurs préoccupations. En tant que rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l’enseignement supérieur, j’ai tenu à entendre récemment les uns et les autres.
À l’issue de ces entretiens, je relève que plusieurs causes, de fond et de forme, peuvent expliquer ce malaise.
Certains sont certes opposés à toute réforme, mais je suis convaincu qu’ils sont ultra-minoritaires. En réalité, la plupart des acteurs concernés, comme le rappelait le président Jacques Legendre tout à l’heure, jugent les réformes nécessaires. Que les choses soient claires : je suis favorable aux réformes annoncées et je suis un fervent défenseur de l’autonomie des universités, la nouvelle donne mondiale en faisant une nécessité absolue.
Cependant, les conditions de leur réussite n’étaient peut-être pas pleinement réunies. En effet, là où le bât blesse, c’est que le rythme des réformes est tel que les acteurs n’ont pas le temps de mettre en œuvre l’une d’elles qu’ils doivent aussitôt s’atteler à un autre chantier, sans doute également utile mais parfois trop vite conceptualisé, insuffisamment préparé et assorti d’exigences de calendrier, le cas échéant peu réalistes. Le temps de la concertation avec les acteurs, comme celui de la préparation au sein des universités, n’est pas un temps perdu ; c’est un temps d’explication, de maturation du projet, de « calage ». Quand on ne le prend pas suffisamment en amont, on y est contraint en aval, mais dans des conditions plus tendues…
Par ailleurs, la priorité donnée à la réforme, bien qu’assortie de moyens supplémentaires très importants en faveur de notre système d’enseignement supérieur et de recherche, a été ternie par quelques mesures contradictoires. Je pense notamment à la suppression de 900 postes.
M. David Assouline. Ah !
M. Jean-Léonce Dupont. Même si les postes d’enseignants-chercheurs n’étaient pas visés, il est vrai que le signal n’était ni positif, ni cohérent. Le Président de la République ayant clairement affiché le caractère prioritaire de l’enseignement supérieur et de la recherche, et dans la mesure où il s’agit d’un enjeu considérable pour la Nation, il ne me paraît pas raisonnable d’appliquer à ces secteurs les règles, même atténuées, de la révision générale des politiques publiques. Application mathématique des règles et simple bon sens ne font pas toujours bon ménage… Comme vous avez dû souffrir, madame la ministre, de devoir assumer de telles contradictions !
C’est pourquoi je me réjouis que le Gouvernement soit revenu sur cette suppression de postes au sein des universités. Celles-ci ne doivent pas pour autant se dispenser de conduire une vraie réflexion sur la mise en adéquation de leurs moyens à l’évolution de leurs besoins, afin d’utiliser au mieux les deniers publics… Elles doivent notamment, y compris en ventilant différemment leurs crédits, renforcer les moyens humains consacrés au tutorat, à l’orientation et à l’insertion professionnelle ainsi que ceux alloués à la gestion, qu’il s’agisse de la gestion financière ou de la gestion des ressources humaines, des systèmes d’information ou du patrimoine immobilier.
J’ajoute que certaines déclarations, ici ou là, ont inutilement choqué les enseignants-chercheurs et les chercheurs, dans la mesure où elles leur sont apparues traduire un insuffisant respect de leurs missions et de leurs compétences.
M. David Assouline. Vous parlez des déclarations du Président de la République ?
M. Jean-Léonce Dupont. Ces déclarations maladroites et injustes ont navré la communauté universitaire, dont les membres sont, pour l’essentiel, très investis dans leurs missions.
Oserai-je dire que je ne crois pas à l’utilité et à l’efficacité de propos vexatoires, quels qu’ils soient ?
Toutes ces raisons peuvent expliquer la cristallisation des oppositions suscitées par les projets de réformes, pour des raisons diverses, parfois justifiées, parfois moins et, parfois aussi, contradictoires. Cette situation a entraîné certaines dérives, souvent encouragées par l’extrême gauche, qui a soufflé sur les braises pour chercher à enterrer la loi LRU.
Or cette loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités est une absolue nécessité pour notre système d’enseignement supérieur et sa reconnaissance internationale, pour la valorisation et l’efficacité du travail de la communauté universitaire, et pour l’avenir des étudiants français.
Ceux-là mêmes qui descendent dans la rue réclament à cor et à cri une formation et des diplômes les préparant à une bonne insertion professionnelle. Il s’agit là d’un objectif majeur de la loi LRU. Le fait qu’elle soit caricaturée par une minorité, qui cache souvent son conservatisme et son corporatisme derrière de mauvais arguments, n’y changera rien.
Mais il est vrai que cette loi a emporté certaines conséquences regrettables, que le Sénat avait pourtant anticipées. Je pense notamment au mode d’élection du président de l’université, assorti d’une prime majoritaire à la liste gagnante. Ce mode de scrutin a abouti parfois à des paradoxes en cas d’opposition frontale entre deux listes d’enseignants-chercheurs majoritaires chacune dans un collège ; dans ce cas, les personnels et les étudiants ont disposé d’un pouvoir d’arbitrage exorbitant, qui les a d’ailleurs eux-mêmes parfois surpris.
Ce mode de scrutin n’a pas toujours non plus permis de faire émerger des équipes dirigeantes prêtes à affronter l’avenir sans regarder dans le rétroviseur. Or l’un des objectifs de la loi LRU est de donner les moyens au président et à son équipe d’avoir un projet pour leur établissement et de le mettre en œuvre.
Le comité de suivi de l’application de la loi, dont je suis membre, a d’ailleurs insisté dans son rapport annuel sur cette nécessité pour les établissements de se doter d’un véritable projet qui prenne en compte l’environnement de l’université.
Je m’arrête un instant sur ce point, madame la ministre, car il me semble révélateur de ce que nous, les sénateurs, pouvons apporter à notre pays.
J’ai été le rapporteur de cette loi, et j’ai le devoir de rappeler que j’avais anticipé les difficultés d’application dont on souffre aujourd’hui. Rappelez-vous à quel point j’avais dû me battre pour faire prévaloir certains points de vue, pourtant de bon sens ! Certaines de mes propositions ont été adoptées par notre assemblée ; certaines n’ont pas été retenues par la commission mixte paritaire. Je ne parle même pas de propositions évoquées très en amont, mais malheureusement vite écartées, telle la création d’un « Sénat » académique, comme on en trouve dans de nombreux pays étrangers.
A posteriori, je constate que les préoccupations sénatoriales étaient justifiées ; d’aucuns le reconnaissent d’ailleurs aujourd’hui.
Je souhaite que l’on puisse en tirer des conséquences pour l’avenir et que le Gouvernement prenne davantage acte du fait que le Sénat incarne souvent la sagesse, dans le bon sens du terme.
Cela signifie aussi que, lorsque nous demandons qu’un temps suffisant soit consacré à la préparation ou à la mise en œuvre d’une réforme, il ne s’agit ni d’un effet de manches ni d’un caprice. C’est simplement le constat d’une nécessité. Tel a été récemment le cas lorsque le Sénat a voté le report d’un an de l’application de la réforme de la première année des études médicales. On peut être très favorable à une réforme et souhaiter donner le temps nécessaire à sa pleine réussite.
La question pourrait aussi se poser pour la « mastérisation » de la formation des futurs enseignants. L’enjeu de cette réforme est essentiel. Je rappelle que la loi LRU a permis d’intégrer les IUFM aux universités, afin de mieux préparer les futurs enseignants à leur métier et de valoriser celui-ci. Le projet de « mastérisation » de la formation des futurs enseignants a cette ambition. Toutefois, les modalités initialement envisagées posaient question. En particulier, la suppression de l’année de stage paraissait aller à l’encontre de l’objectif d’une meilleure préparation pratique des futurs enseignants à la réalité concrète de leur métier. Il ne faudrait pas que les évolutions proposées soient inspirées par les seules contraintes budgétaires.
Sur ce point, les précisions que vous avez apportées ces derniers jours devraient calmer bon nombre d’inquiétudes.
Les délais de mise en œuvre de la réforme paraissaient également peu réalistes. Là aussi, la progressivité de la réforme va dans le bon sens ainsi que la souplesse qu’elle permet en fonction du degré de préparation des établissements. De nombreux étudiants continuent cependant à s’inquiéter de la période transitoire. Certes, il y aura toujours une période transitoire. Il n’en reste pas moins que des clarifications doivent encore être apportées et qu’il faudra s’assurer de la pertinence des parcours et de l’articulation des concours avec les formations en mastère.
Autre sujet auquel j’attache beaucoup d’importance : la réforme de l’allocation des moyens aux universités. Elle était nécessaire. Au printemps 2008, les commissions des finances et des affaires culturelles du Sénat ont présenté des propositions visant à mettre en œuvre un nouveau dispositif, que nous avons appelé SYMPA, acronyme de « système de répartition des moyens à l’activité et à la performance ». Mais nous nous interrogeons sur ses modalités concrètes d’application. C’est pourquoi Philippe Adnot et moi-même allons engager une mission de contrôle sur ce point dans les semaines à venir.
À cet égard, je vous demande, madame la ministre, de mesurer précisément les conséquences de la répartition des crédits pour 2009. Ne favoriserait-elle pas les universités monodisciplinaires proposant un nombre important de mastères, au détriment des universités pluridisciplinaires accueillant de nombreux étudiants en licence, alors même qu’une priorité est utilement donnée dans le cadre du plan licence ?
Par ailleurs, la mise en œuvre de l’autonomie au sein des établissements concernés suscite des inquiétudes quant à la répartition des moyens entre les différentes composantes des universités. Les écoles internes d’ingénieurs, et surtout les IUT, craignent une diminution de leurs moyens.
Je crois que vous avez su les rassurer sur ce point, madame la ministre, au moins pour les années 2009 et 2010. L’équivalence établie entre travaux pratiques et travaux dirigés constitue une avancée ; pouvez-vous nous confirmer que ses conséquences financières seront prises en compte ?
Il me semble également très important que la charte de bonne conduite soit publiée sous forme de circulaire. Il s’agit là d’une condition préliminaire indispensable pour clarifier, dans la durée, les relations entre les universités et les IUT. Cela passe par un renforcement du dialogue budgétaire au sein des établissements.
Il convient de trouver une solution intelligente entre, d’une part, ce qui ne peut plus être un fléchage et, d’autre part, un traitement inadéquat qui consisterait à déshabiller Paul pour habiller Jacques. C’est essentiel, car il ne faudrait pas que les formations professionnalisantes performantes, dont les diplômés bénéficient d’un bon taux d’insertion professionnelle, fassent les frais d’un éventuel manque de rationalisation des moyens employés dans d’autres filières.
Bon sens et équité doivent prévaloir, en tenant compte à la fois des besoins réels des différents types de formations et de la bonne utilisation des moyens.
Enfin, la mise en œuvre pertinente de l’autonomie des universités suppose que chacune d’elles puisse adapter et organiser les moyens dont elle dispose en fonction de ses besoins, afin de remplir au mieux ses différentes missions. C’est pourquoi la modulation des services des enseignants-chercheurs va dans le bon sens.
Il est indispensable d’évaluer et de valoriser l’ensemble des missions des enseignants-chercheurs : l’enseignement, la recherche, et le pilotage, qui devrait d’ailleurs être davantage pris en charge par des personnels administratifs.
Je crois que les concertations sur le projet de décret ont permis de trouver un certain équilibre. La solution qui a émergé d’une répartition à parts égales des promotions arrêtées par le Conseil national des universités et de celles qui sont confiées aux universités est-elle idéale ? L’avenir le dira. Il me semble que certaines missions, la recherche notamment, peuvent s’évaluer plus logiquement au niveau national, tandis que d’autres semblent nécessiter plus naturellement la proximité.
Au-delà des débats parfois techniques qui animent à l’heure actuelle l’ensemble des parties intéressées, il nous faut prendre du recul et sortir de la défiance réciproque qui s’est instaurée. L’évolution du système d’enseignement supérieur et de recherche est indéniable. Elle n’est d’ailleurs pas propre à notre pays et est très souvent souhaitée par les acteurs concernés eux-mêmes. Elle est aussi liée à l’évolution des attentes de nos concitoyens à son égard.
Il appartient aussi à la représentation nationale d’assurer les enseignants-chercheurs et l’ensemble de la communauté universitaire de son estime et de sa conviction qu’ils assument, le plus souvent au mieux, un rôle fondamental pour l’avenir de notre pays et de ses jeunes. C’est avec eux qu’il nous faut construire les perspectives d’avenir, qui entraînent nécessairement des changements. La vie n’est-elle pas changement ?
M. Jean-François Humbert. Bravo !
M. Jean-Léonce Dupont. Je suis intimement convaincu que notre pays ne sortira de cette période extrêmement troublée que s’il sait tirer par le haut l’ensemble des acteurs. Il est essentiel de ne pas renoncer aux réformes. Je l’ai dit : elles sont indispensables. Construisons-les ensemble !
Elles seront profitables aux enseignants-chercheurs eux-mêmes. N’oublions pas d’ailleurs qu’elles s’accompagnent d’importantes revalorisations salariales et de carrières. Elles doivent avoir pour objectif premier la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche de notre pays, ainsi que l’avenir des étudiants, dont les attentes, notamment en termes de préparation à la vie professionnelle, sont très légitimes.
Madame la ministre, je souhaite personnellement vous rendre hommage pour votre travail et votre courage. Je forme le vœu, mes chers collègues, au nom du groupe de l’Union centriste, que notre débat de ce jour contribue à rétablir cette confiance. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.
M. Pierre Bordier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la réforme des universités a jeté les bases d’une véritable refondation. En effet, notre système universitaire a très peu évolué depuis trente ans, alors que les effectifs ont doublé et que la mondialisation nous a imposé de nouveaux défis.
Si la France peut se féliciter d’avoir permis à de nouveaux publics d’origine populaire d’entrer dans l’enseignement secondaire et supérieur, trop de jeunes quittent aujourd’hui l’université dans une situation d’échec et trop nombreux sont les diplômés qui n’accèdent pas au marché du travail.
L’université française a perdu de son rayonnement. Les résultats d’enquêtes, et notamment le fameux classement de Shanghai, quoique contestable, qui ne retient que quatre établissements français parmi les cent premiers mondiaux, révèlent bien les carences du système universitaire français. Il s’agit d’un signal d’alarme. C’est l’avenir de notre système éducatif qui est en jeu ; le sont aussi le potentiel d’innovation de notre pays, notre compétitivité, et donc la progression de nos emplois.
Au moment où la contestation universitaire vient remettre en cause la réforme engagée, je souhaite rappeler que l’université française se trouvait dans un carcan qui l’empêchait d’évoluer. Grâce au texte que nous avons voté, elle va enfin pouvoir accéder à l’autonomie, une autonomie qui sera surtout le moyen de faire d’autres réformes.
Il est regrettable que notre pays ait pris du retard sur cette question. Certains reprochent à la loi d’instituer une autonomie concurrentielle des universités et d’ouvrir ainsi la porte à leur développement inégalitaire. Pourtant, partout dans le monde, le succès des systèmes publics d’enseignement supérieur repose sur des universités autonomes. Faut-il craindre le jeu de la concurrence et demeurer dans un système archaïque alors que nos voisins ont compris la nécessité de laisser une plus grande liberté à leurs universités ?
Dans un monde de compétition, il faut une mobilité, une adaptation constante que les systèmes centralisés ne permettent pas d’obtenir. De plus, il n’y a pas de meilleur principe lorsque l’on vise l’efficacité que de faire confiance à l’esprit de responsabilité.
Pour que nos universités accèdent à l’autonomie, se posait tout d’abord la question de leur gouvernance, car le développement des responsabilités suppose que celles-ci puissent être correctement exercées.
La gouvernance de nos universités était pour le moins atypique. Dorénavant, le conseil d’administration sera un organe stratège. Il sera plus ouvert sur le monde extérieur, en particulier sur les entreprises, employeurs des futurs diplômés, et sur la région, qui en était la grande absente.
Le président de l’université, quant à lui, voit sa légitimité renforcée, car il est élu par les membres du conseil d’administration. Ses pouvoirs sont élargis.
En même temps que l’autonomie, la loi a donné de nouvelles responsabilités aux universités : tout d’abord en matière financière, avec le droit d’établir un budget global ; ensuite, en matière de gestion de leur patrimoine, notamment immobilier.
En outre, l’université pourra créer de nouvelles formations et les adapter aux besoins des étudiants et de la société, nouer des partenariats et drainer des fonds grâce aux fondations universitaires.
Enfin, en matière de gestion des ressources humaines, les universités pourront recruter l’ensemble de leur personnel, y compris le personnel administratif et les enseignants, et effectuer ce recrutement au rythme de leurs besoins, alors qu’il existait jusqu’alors une grande rigidité à cet égard.
Les ressources humaines sont le cœur de l’université et vous avez souhaité, madame le ministre, accroître l’attractivité des fonctions et des carrières des enseignants-chercheurs en réformant leur statut. Pourriez-vous nous présenter les conclusions issues de la concertation qui vient d’avoir lieu, afin de rassurer pleinement la communauté universitaire ?
Madame le ministre, je souhaite par ailleurs vous poser plusieurs questions.
Comme vous l’avez souligné, l’autonomie des universités, certes nécessaire, n’est pas suffisante. Le changement de gouvernance et l’autonomie sont un préalable à la mise en place d’une stratégie de lutte contre l’échec et d’aide à l’insertion.
Quelles solutions souhaitez-vous retenir pour remédier à l’échec dans le premier cycle universitaire ? On sait que 47 % des étudiants de première année à l’université passent en deuxième année alors que 28 % redoublent et 24 % sortent du système universitaire. Au total, en France, seuls 59 % des étudiants qui commencent leurs études universitaires les terminent ; cette proportion est de onze points inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE.
Il sera donc essentiel de revoir totalement la question de l’orientation. Pour corriger très en amont les mauvaises orientations, il est indispensable d’améliorer l’information des lycéens et des étudiants, de mieux définir les parcours de formation et d’insertion professionnelle, d’amplifier les échanges entre les acteurs du second degré et les universités.
J’ajoute que notre pays n’a pas de vision claire et exhaustive des résultats de chaque formation universitaire en termes d’accès à l’emploi. J’appelle donc de mes vœux une évaluation des possibilités d’insertion offertes par chaque filière, afin que l’étudiant choisisse sa voie en toute connaissance de cause.
Votre plan « Réussir en licence » a pour objectif d’éviter les erreurs d’orientation afin de diviser par deux le taux d’échec en première année de licence dans les cinq ans qui viennent. Pouvez-vous nous donner des précisions sur les moyens que vous envisagez d’employer par atteindre cet objectif ?
Par ailleurs, la loi a attribué au service public de l’enseignement supérieur une nouvelle mission : l’orientation et l’insertion professionnelle des étudiants. Dans cette perspective, elle prévoit que les universités créent des « bureaux d’insertion ». Pourriez-vous nous dire où en est ce projet ?
Enfin, parce que nos universités doivent acquérir une plus grande visibilité internationale, je souhaite que vous nous présentiez les premiers résultats de l’opération Campus, qui permettra aux universités sélectionnées de construire un véritable projet à long terme pour se lancer dans la compétition internationale. Cela passe en priorité par la rénovation de leur patrimoine immobilier.
À ce sujet, j’attire votre attention sur l’état médiocre de nos établissements, parfois même en deçà des normes de sécurité. En obtenant la gestion de leur parc immobilier, nos universités gagneront en souplesse, mais elles auront également un travail considérable devant elles, ce qui implique des risques financiers significatifs. Il faudra être particulièrement attentif aux difficultés des plus petites universités et je souhaite savoir quelles mesures sont prévues pour les soutenir.
L’État réalise, je le rappelle, un effort financier sans précédent pour l’ensemble de la réforme : 5 milliards d’euros sur cinq ans. En 2009, chaque université doit voir son budget augmenter d’au moins 10 %.
Pour que cet investissement sans précédent soit efficace, il faut des universités réellement opérationnelles. La loi que nous avons votée devrait permettre cette refondation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les médias ont essentiellement insisté, parmi les revendications du mouvement actuel, d’abord sur le statut des enseignants-chercheurs, puis sur la formation des enseignants, les revendications liées plus spécifiquement à la recherche ont été moins mises en exergue.
Or, madame la ministre, vous ne pourrez pas faire l’impasse sur le volet « recherche » pour dénouer la crise. Pourtant, jusqu’à maintenant, c’est la stratégie du saucissonnage qui a prévalu, le Gouvernement tablant sur le pourrissement du conflit. Vous laissez ainsi une direction du CNRS largement discréditée seule face à la colère légitime des chercheurs.
Le secteur de la recherche subit depuis plusieurs années attaques répétées, mépris, dénigrement ! C’est particulièrement vrai pour les organismes de recherche, au premier rang desquels le CNRS. Les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années se sont en effet appliqués à développer un discours « décliniste » sur la recherche française, pour mieux vendre à l’opinion publique leur casse de notre système de recherche.
Pourtant, le classement de Shanghai, cité à tout va dans notre pays, reste confidentiel dans les colloques scientifiques internationaux. La France semble être un des rares pays à lui avoir conféré autant de crédit, une telle aura ! Si notre recherche était aussi médiocre que l’on a bien voulu nous le dire, pourquoi une telle fuite des cerveaux ? Pourquoi nos chercheurs sont-ils si appréciés à l’étranger, si ce n’est parce qu’ils sont bien formés ?
Depuis 2004, la communauté scientifique a montré qu’elle était prête à évoluer, notamment avec les états généraux de la recherche. Elle a mis sur pied un ensemble de propositions, mais elle n’a pas été écoutée ; pis, certaines de ces propositions ont été détournées, voire dévoyées.
Depuis maintenant sept semaines, elle est à nouveau mobilisée dans le mouvement du monde académique pour défendre l’indépendance du savoir et de la connaissance, pour lutter contre son inféodation aux lois du marché et de la concurrence.
Le 12 mars dernier, plus de cinq cents délégués de laboratoires de toutes disciplines se sont réunis à Paris. Ils se sont organisés en coordination nationale des laboratoires en lutte pour appeler à l’arrêt du démantèlement des organismes de recherche et de l’affaiblissement de notre potentiel de recherche ainsi qu’à la création d’emplois dans la recherche publique.
Le 14 mars, ce sont plus de deux cent cinquante directeurs de laboratoires qui ont décidé d’amplifier leur action.
Hier, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, a été occupée en tant que symbole de la conception gouvernementale purement managériale de l’activité universitaire et scientifique, conception selon laquelle la bibliométrie et les classements internationaux constituent l’alpha et l’oméga de l’évaluation.
En ce qui concerne la marchandisation de la recherche, le témoignage de l’assemblée des personnels de l’université de technologie de Troyes, déjà passée à l’autonomie, est édifiant :
« La logique du retour sur investissement entraîne l’inversement quasi mécanique de l’ordre de priorités des trois missions de notre université, à savoir l’enseignement, la recherche et le transfert de technologies. Certes, le transfert était un objectif dès la création de l’université de technologie de Troyes. Les personnels adhèrent à ce point de vue et nombre d’entre eux collaborent déjà avec les entreprises. Mais aujourd’hui, le transfert est devenu “la” priorité. [...] les enseignants-chercheurs sont désormais considérés comme des exécutants, devant se conformer aux missions de la direction de la valorisation et des partenariats industriels. Ces missions sont sans lien direct avec les besoins réels du terrain et ne mènent pas à la production de connaissances originales. À titre d’illustration, le dépôt des dossiers auprès de l’Agence nationale pour la recherche est désormais validé par la direction de la valorisation et des partenariats industriels, en regard de bénéfices financiers attendus, hors les retombées scientifiques possibles.
« Dans l’esprit des nouvelles réformes, notre université est désormais gérée comme une entreprise. Ses finalités deviennent : recherche de rentabilité et marge. En appliquant chez nous des recettes qui ont prouvé leur inefficacité, le directeur peut désormais manager seul, sans contre-pouvoir, une organisation qui n ’a de publique que... plus de 90 % de son budget. »
Madame la ministre, voilà ce qui se profile pour l’ensemble de notre recherche : la soumission totale à des intérêts strictement économiques. Ce n’est pas notre vision de la recherche ni celle des chercheurs.
On comprend bien, dès lors, pourquoi le statut des enseignants-chercheurs en particulier – et celui des fonctionnaires en général –, avec son corollaire, la garantie de l’indépendance et la liberté d’enseignement et de recherche, doit être réformé. Ils constituent en effet un rempart contre les pressions économiques sur la définition de la recherche, contre les instructions du pouvoir politique et administratif.
La réduction du nombre des fonctionnaires prend ainsi tout son sens doctrinal, toute sa dimension idéologique. L’indépendance, voilà bien ce qui heurte le plus notre hyper-Président !
Il n’y a qu’à se reporter à son discours du 22 janvier dernier, dont les déclarations méprisantes envers les chercheurs, le dénigrement des valeurs du métier de scientifique, au premier rang desquelles figure l’éthique, ont légitimement heurté l’ensemble de la communauté scientifique.
Il faut dire que cette piètre caricature des chercheurs a fait énormément de mal : « mauvais, non performants, archaïques, idéologues, partisans, conservateurs, aveugles, refusant de voir la réalité, immobilistes, ayant des mentalités à changer, installés dans le confort de l’auto-évaluation, travaillant dans des structures obsolètes, archaïques et rigides. »
M. Daniel Raoul. Oh !
M. Serge Lagauche. Car il n’y a pas que le fond : c’est aussi la forme qui a creusé un fossé entre votre gouvernement et la communauté scientifique. Il faudra alors bien plus et bien mieux que des propos qui se veulent rassurants et des pseudo-négociations sur des sujets parcellaires pour regagner leur confiance.
Le premier signe fort attendu réside, me semble-t-il, dans l’annulation des suppressions nettes de postes prévues dans les organismes, mais aussi des suppressions indirectes à travers les chaires mixtes. Il devra s’accompagner d’un plan pluriannuel de programmation de l’emploi scientifique.
À cet égard, je me réfère à la position exprimée par François Fillon, actuel Premier ministre : « Il faut rendre plus lisible la politique de recrutement dans les universités et les organismes de recherche et donner aux acteurs de la recherche plus de visibilité sur le recrutement et le déroulement des carrières. C’est pourquoi je considère qu’il est nécessaire de mettre en place un plan pluriannuel de l’emploi scientifique ».
Rassurez-vous, madame la ministre, cette déclaration n’est pas récente. Elle remonte à 2004, quand M. Fillon était ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et c’est ainsi qu’il s’exprimait aux assises nationales des états généraux de la recherche. Pourtant, cette déclaration n’a jamais autant été d’actualité, et je lui dis : chiche !
Avec ce préalable, vous construiriez assurément les conditions d’un retour de la confiance et d’un dialogue apaisé sur l’avenir de notre recherche et sur son organisation institutionnelle, afin de permettre un partenariat équilibré entre universités et organismes.
Devra également être mis sur la table un vrai bilan du crédit d’impôt recherche. Il est inadmissible de continuer à arroser le sable, avec des sommes qui semblent devoir être de plus en plus démentielles, et dans des conditions de plus en plus souples. Désormais, les entreprises pourront bénéficier, dans le cadre du plan de relance, d’un remboursement anticipé du crédit d’impôt recherche. Dans le même temps, on nous signale des effets d’aubaine caractérisés.
L’entreprise Rhodia, par exemple, a bénéficié d’un crédit d’impôt recherche de 7 millions d’euros en 2007 et celui-ci devait atteindre 20 millions d’euros en 2008. Comment Rhodia envisage-t-elle d’utiliser ces 13 millions d’euros supplémentaires ? En investissant dans la recherche et développement ? Pas du tout ! Elle prévoit la suppression de 23 postes de recherche et développement en équivalent temps plein et la marge dégagée par l’abaissement du coût de la recherche grâce au crédit d’impôt recherche sera affectée à la réduction de la dette du groupe.
Pendant ce temps-là, les modalités d’évaluation du CNRS sont vilipendées par le Président de la République. Si ce n’était pas aussi grave pour l’avenir de notre pays, ce serait risible !
Que le Président de la République, si prompt à regarder de l’autre côté de l’Atlantique et à prendre les États-Unis comme modèle, observe donc les engagements pris par Barack Obama en matière de recherche !
Premièrement, doubler le financement fédéral – donc le financement d’État – de la recherche fondamentale : pas de l’innovation ni de la recherche industrielle, mais bien de la recherche fondamentale en science physique, biologie, mathématiques et ingénierie.
Deuxièmement, faire en sorte que la recherche scientifique et technologique soit présente et accessible dans toutes les universités et facultés, grandes ou petites, riches ou moins influentes.
Troisièmement : améliorer considérablement les connaissances et les compétences de la grande majorité de la population dans les domaines scientifique et technologique.
On pourrait y ajouter la récente décision de permettre le financement public de recherches sur les cellules souches embryonnaires.
Qu’a proposé M. Nicolas Sarkozy dans son plan de relance en matière d’enseignement supérieur et de recherche ? Des travaux immobiliers et une anticipation du crédit d’impôt recherche… Quelle inventivité ! Rien, on ne trouve absolument rien sur la recherche publique ! Quant à la recherche fondamentale, c’est à se demander si le Président de la République sait qu’elle existe et qu’elle présente un grand intérêt.
On aurait tout à fait pu imaginer que, face au caractère exceptionnel du contexte que crée la crise actuelle, le Gouvernement négocie avec les entreprises ayant réalisé des bénéfices record – comme Total, avec ses 13,92 milliards d’euros de profit pour 2008, grâce à l’augmentation faramineuse des cours du pétrole – en réinvestissent une partie de ces bénéfices dans la recherche publique fondamentale, dans les énergies alternatives ou sur la biodiversité marine, thématique choisie par la fondation Total pour redorer son image d’entreprise polluante. Je serais d’ailleurs curieux de connaître le montant dont bénéficiera Total au titre du crédit d’impôt recherche pour 2008 !
À vous qui semblez apprécier la pensée de Jacques Derrida, madame la ministre, puisque vous avez utilisé une courte citation de L’Université sans condition, « professer, c’est s’engager », en guise de conclusion d’une tribune intitulée « Ce que je veux dire aux enseignants-chercheurs », je propose de clore mon propos sur une citation issue de cette même conférence de Derrida : « Nous devons réaffirmer, déclarer, professer sans cesse l’idée que cet espace de type académique doit être symboliquement protégé par une sorte d’immunité absolue, comme si son dedans était inviolable [...] Cette liberté ou cette immunité de l’Université, et par excellence de ses Humanités, nous devons les revendiquer en nous y engageant de toutes nos forces. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les universités vivent à nouveau un de ces psychodrames dont seule la France a le secret. Il n’est pas l’heure de disserter sur les raisons vraies ou supposées de ce fait révélateur de l’ossification de notre société ; espérons seulement que celle-ci n’est pas inéluctable !
La loi sur l’autonomie des universités avait suscité quelques espoirs. Comme cela était prévisible, ces espoirs sont fort déçus. Les personnels n’ont guère constaté d’amélioration de leur situation, ne serait-ce qu’en termes de considération morale. S’il faut sans doute relativiser le sentiment de mépris dont ils se sentent victimes, force est de constater qu’il a tout de même quelques fondements.
De plus, cette autonomie, qui n’est que mi-chèvre mi-chou, est très limitée parce qu’on ne lui a pas donné de vrais moyens d’exister et que, les habitudes aidant, on l’a assortie de tant de conditions qu’elle est en fait en liberté surveillée.
Ce qui manque le plus, c’est la confiance, pas seulement celle des citoyens ou des représentants des personnels, mais aussi, car l’exemple vient d’en haut, celle de l’administration de l’État, qui veut toujours tout régenter depuis Paris alors qu’elle n’en a pas les moyens ; il nous faut au moins passer du contrôle a priori au contrôle a posteriori.
Cela suppose aussi que les présidents d’université, qui sont d’éminents personnages, aient tous des compétences de gestion et de management, ou qu’ils soient assistés par des personnels disposant de ces compétences.
Quoi qu’il en soit, dans l’état actuel des textes, on s’est arrêté au milieu du gué, et l’autonomie n’est qu’une fiction dont les intéressés voient bien les inconvénients, mais ne perçoivent pas les avantages.
Pour qu’il y ait vraiment autonomie, deux éléments, que l’on n’a pas voulu considérer jusqu’alors, sont indispensables : les moyens financiers et la sélection.
Certes, les moyens financiers ont progressé et l’État a fait quelques efforts qu’il ne faut pas méconnaître. Mais l’avenir n’est guère assuré, d’autant que, chacun le sait, l’impécuniosité de l’État ne peut que s’aggraver et celui-ci est condamné à plus ou moins brève échéance à une sévère cure d’amaigrissement. Quelques mesures d’économie sont néanmoins possibles quand on sait que certains enseignants, sans charge de recherche, sont loin du maximum des 128 heures de cours possibles.
Les deux seuls leviers qui existent viennent du financement privé.
Celui qui provient des entreprises est aléatoire, compte tenu de la conjoncture, et sélectionnera immanquablement les domaines immédiatement utilisables sur le plan économique : inutile de dire que les juristes et les littéraires ne peuvent guère compter figurer parmi les élus !
Le second a pour source les droits d’inscription. Quand on dit cela, les défenseurs acharnés du statu quo poussent des cris d’orfraie. Pourtant, toutes les grandes universités dans le monde exigent des droits beaucoup plus élevés que les universités françaises. L’augmentation des droits d’inscription dans des proportions suffisantes présenterait quelques avantages : d’abord, des moyens dont la pérennité est relativement assurée ; ensuite, une motivation des universités pour être plus attractives ; enfin, une motivation des étudiants qui, en tant qu’usagers, ont intérêt à obtenir un retour convenable sur leur investissement financier.
Cela suppose, bien sûr, que les étudiants d’origine modeste puissent bénéficier d’un système de bourses digne de ce nom. Ces bourses devraient au départ être attribuées, comme c’est le cas actuellement, sur des critères sociaux, mais ensuite renouvelées sur des critères académiques, incitation nécessaire pour que les étudiants soient assidus et efficaces.
Cela permettrait probablement aux enseignants d’avoir des bureaux pour recevoir les étudiants, d’avoir accès à des moyens informatiques en dehors de ceux qui leur sont personnels, et aux bibliothèques universitaires d’être ouvertes le samedi, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Cela mettrait aussi fin à de grandes inégalités, où les moins favorisés paient pour les plus favorisés.
Quant à la sélection, elle favoriserait un fonctionnement plus démocratique dans la jungle actuelle Mais ce gros mot heurte notre mentalité égalitariste, laquelle, pourtant, ne s’émeut guère des inégalités existantes, car elle admet malgré tout que certains sont plus égaux que d’autres…
Il me semble que les universités doivent pouvoir sélectionner les étudiants pour mettre fin à une hypocrisie peu glorieuse, sous réserve d’une sérieuse réforme du lycée pour que celui-ci forme des jeunes aptes à faire des études supérieures.
D’ailleurs, une grande partie des études supérieures ne se fait qu’après sélection. On peut citer, pêle-mêle, les BTS, les IUT – il faut se souvenir que ceux-ci devaient s’adresser à l’origine aux bacheliers technologiques, qui ont maintenant beaucoup de mal à y accéder –…
M. Jacques Legendre. C’est vrai !
M. André Lardeux. … les grandes écoles – pour certains, il y a d’ailleurs double sélection, avant et après les classes préparatoires –, les études médicales et paramédicales, les écoles de formation sociale, les établissements relevant de certains ministères, les instituts d’études politiques. Et cette énumération est loin d’être exhaustive.
Dans ce contexte, envisager la sélection à l’université n’a donc rien d’incongru. Le maintien de la situation actuelle est une faute vis-à-vis des jeunes. En effet, il est peut-être souhaitable d’augmenter le nombre de diplômés, mais pour quels diplômes ? Il ne faut pas oublier qu’avec le système actuel beaucoup quittent l’université sans rien.
Parmi ceux qui obtiennent un diplôme, pour combien celui-ci n’est-il qu’un passeport pour nulle part, avec un visa pour l’inconnu ? Certes, l’université est là pour la culture générale, mais il y a des limites à la tartufferie.
Je ne citerai pas d’exemples pour ne pas faire de peine à certaines filières, mais tout le monde ici pourrait le faire. Je me contenterai de dire que, voilà quelques années, j’ai procédé au recrutement d’un conservateur de musée. Plus de quatre-vingts candidats se sont présentés, dont les dossiers, au moins sur le papier, étaient recevables. Je voudrais bien savoir ce que sont devenus les soixante-dix-neuf postulants que je n’ai pas retenus.
Ayons le courage de développer certaines formations en BTS ou en IUT, même si elles sont plus coûteuses que l’université, et d’empêcher trop d’étudiants de s’engager dans des voies sans issue.
Bien sûr, avec une certaine mauvaise foi, d’aucuns prétendront que je veux limiter l’accès à l’enseignement supérieur. À mon sens, il n’en est rien, si la sélection est réalisée sérieusement en tenant compte des besoins sociaux et économiques. Le nombre d’étudiants ne diminuerait pas, mais chacun pourrait trouver sa place.
Dans les années à venir, des changements dans l’organisation territoriale du pays vont s’amorcer. Ceux-ci pourraient être l’occasion d’associer davantage les régions à l’établissement de la carte des formations universitaires.
Pour terminer, j’évoquerai deux points particuliers concernant l’enseignement supérieur privé.
Il apparaît que, à l’heure où l’on veut donner un peu de liberté aux universités publiques, on en retire aux établissements privés. Jusqu’alors, les facultés libres et les établissements qui en relèvent, en vertu de la loi de 1875, pouvaient passer convention avec n’importe quelle université publique pour la validation des examens ou recourir à un jury nommé par le recteur d’académie. Or l’administration vient d’imposer que cela se fasse avec l’université la plus proche. Il est dommage que le Gouvernement accepte ce recul de la liberté d’enseignement.
Dans le même ordre d’idée, pourriez-vous nous dire, madame la ministre, quelle interprétation fait le Gouvernement de l’accord passé en matière universitaire entre le ministère des affaires étrangères et le Saint-Siège ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Daniel Raoul. Ça, c’est une bonne question !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les universités sont depuis plus de six semaines le lieu d’une mobilisation forte et transversale contre les textes du Gouvernement et leurs conséquences sur le terrain.
La communauté universitaire demande qu’on la respecte. Les phrases prononcées le 22 janvier par le Président de la République ne sont pas de ce registre, et la question gratuite « les prix Nobel ne sont-ils pas l’arbre qui cache la forêt ? » révèle, outre le mépris, une profonde sous-estimation de l’importance de la transmission des savoirs pour une société cultivée, ainsi qu’une grande ignorance des mécanismes de l’émergence des découvertes, qu’elles soient de connaissance ou d’innovation.
M. Daniel Raoul. Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. Comme en matière de biodiversité, c’est la forêt qui permet l’arbre exceptionnel, grâce à sa diversité, précisément, et à son fonctionnement systémique. S’accrocher à un désir d’arbre exceptionnel et répandre le défoliant est, par essence, contradictoire. (Sourires.)
La communauté universitaire n’est pas respectée quand elle voit ces mots repris pour servir de cheval de Troie à des concepts très libéraux de mise en concurrence des campus, des laboratoires, des équipes, des individus, par un système mixte de précarisation et de management fondé sur le mérite, à partir de critères qui ne sont ni pensés ni gérés par la communauté scientifique.
Vous qui parlez « résultats », n’avez-vous pas vu que, selon l’OCDE, en dépit d’investissements français qui se situent au dix-huitième rang mondial, le CNRS est au premier rang européen et au quatrième rang mondial ?
Dans ce contexte de raréfaction des moyens et de management compétitif, chacun est sous tension, non pas pour être le meilleur, c’est-à-dire le plus curieux, le plus pédagogue, le plus attentif aux difficultés des autres, mais pour être le plus performant, celui que l’on voit, celui qui publie, celui qui répond aux critères d’un conseil d’administration où la parole de la communauté scientifique et les attentes des étudiants s’effacent devant le souci du président d’avoir pour son site de quoi remplir le meilleur dossier afin de pouvoir prétendre aux justes subventions qui lui permettront de rénover un bâti vétuste.
Ce management relève de l’esprit entrepreneurial et franchit allègrement les limites qui garantissaient un véritable service public de l’enseignement supérieur et de la recherche : c’est la fin des garanties de l’emploi et de l’évolution de carrière ; c’est aussi la fin de la nécessaire étanchéité entre les moyens des ressources humaines et ceux de la logistique.
Dès lors, la variable d’ajustement devient l’enseignant qui exige de faire de la recherche, le chercheur qui n’a pas publié depuis deux ans, le laboratoire qui dénonce des risques sanitaires, l’équipe qui ne décroche pas de partenariat avec une entreprise, la discipline qui ne débouche pas sur des brevets…
Avec cette idéologie, les spécialistes de l’archéologie ne pèsent pas lourd ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Ce management joue mécaniquement la carte de l’utilité immédiate. Dans cette logique, il faut pouvoir prendre et laisser des enseignants au rythme des inscriptions, prendre et laisser des chercheurs au fil des modes de l’Agence nationale de la recherche, mais surtout ne pas être obligé de conjuguer la dualité fertile de la mission de recherche et de la mission d’enseignement.
Vous sous-estimez l’importance, pour un chercheur, de confronter ses explications avec les capacités de compréhension de ses étudiants, tout comme vous sous-estimez la richesse que porte en lui chaque jeune thésard, que l’on ne saurait brider en lui confiant seulement des tâches d’enseignement.
Vous jouez la carte de la rentabilité à très court terme, et c’est ainsi que la richesse intrinsèque du CNRS vous a échappé. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.) Tout au plus avez-vous repéré quelques domaines visibles, que vous avez souhaité rapprocher des départements semblables de grands organismes.
Or la richesse du CNRS, c’est sa diversité, ses échanges, sa possibilité de pluridisciplinarité ; et c’est précisément cette souplesse que vous entamez.
C’est un grand manque d’anticipation au regard des mutations profondes qui nous attendent : changement climatique, démantèlement de l’organisation du travail, érosion de la biodiversité, migrations des peuples du Sud. Ces défis-là ne relèvent assurément pas d’un empilement de solutions techniques, fussent-elles brevetables !
Ces défis-là ont également bien peu de chance d’être éligibles au crédit d’impôt, meilleur moyen que le Gouvernement a trouvé pour gonfler l’apparence de son budget.
La communauté universitaire veut être respectée, et quand elle mesure sur le terrain les suppressions de postes, l’érosion des subventions, un pilotage non éclairé, des fusions à marche forcée, des mises en concurrence contre-nature, il faut l’écouter, entendre ses représentants, lui donner de vrais interlocuteurs, non la diviser et l’égarer dans des instances éphémères et sans légitimité.
Cette communauté veut une réforme ambitieuse, une réforme qui repose la question des grandes écoles, qui revisite le pilotage et le rôle de l’ANR, qui s’appuie sur des évaluations repensées et qui articule intelligemment les organismes et l’Université.
Elle conçoit l’appui aux entreprises, mais en contrepartie du développement de l’emploi scientifique et de vrais débouchés pour les doctorants.
Elle imagine de meilleurs processus pour dialoguer avec la société, répondre à ses attentes tout en gardant sa nécessaire autonomie.
Elle aspire à pouvoir être mieux impliquée dans la définition et la mise en œuvre des synergies européennes.
De la scandaleuse réforme que vous projetez pour la formation des professeurs, qui nie l’importance de l’apprentissage pratique de la pédagogie, je ne donnerai qu’un exemple : la connaissance du spectrographe de masse n’est pas une condition suffisante pour installer un terrarium pour les collégiens !
M. Yannick Bodin. Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. Je parlerai des étudiants, qui, eux aussi, veulent être respectés. Ils sont issus de cette classe que l’on appelle « les jeunes », celle dont un membre sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Certains, révoltés par le sort qui leur était fait, ont eu le malheur de vous croire, le temps d’une négociation, pendant la discussion de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, la loi LRU. Ils ont vite appris ce qu’est une politique de communication : malgré les promesses, ils attendent toujours les logements !
Un an après, le document budgétaire pour 2009 ne prévoyait aucune construction, tandis que les inscriptions de 2008 n’avaient été qu’à moitié affectées.
À côté des 7 % d’hébergés dans les logements universitaires, il y a 93 % d’étudiants livrés au marché, et à la spéculation sur les loyers qui sévit dans les grandes villes.
Voilà un an, huit étudiants se sont installés dans un immeuble vide depuis onze ans ! Aujourd’hui, le tribunal, sur la demande de la riche propriétaire, les a condamnés à payer 6 000 euros par mois et 53 000 euros pour immobilisation de biens. Leurs ressources vont de 0 à 800 euros par mois. Leurs comptes sont donc bloqués. Cherchez l’erreur, cherchez qui les a mis dans cette impasse ! C’est sur la santé, puis sur la culture, puis sur la nourriture qu’ils économisent. Et, recherchant toutes les ressources possibles, ils se font exploiter par des employeurs peu scrupuleux, acceptant des horaires qui ne peuvent que nuire à leurs études.
De vrais pôles de recherche et d’enseignement supérieur commenceraient par construire du logement étudiant, commenceraient aussi par aider aux démarches pour les étudiants étrangers, si mal accueillis chez nous.
Un vrai souci de démocratisation de l’accès aux études supérieures doit conduire à une proposition de revenu étudiant – c’est le cas au Mali ! – et à envisager un revenu pour les jeunes.
Il est une dernière catégorie, madame la ministre, qu’il vous faut respecter : celle des parlementaires, en répondant à nos questions que justifie, une fois de plus, la colère du terrain.
Combien de postes supprimés au CNRS en 2008 ? En 2009 ? Combien de suppressions prévues pour les années à venir parmi les ingénieurs, les chercheurs, les techniciens ? Combien dans les autres organismes ?
Et ne nous parlez pas de départs à la retraite non remplacés ! Ce n’est pas une excuse, c’est un handicap transmis aux générations futures.
Autres questions précises : où est le milliard de plus par an prévu dans la loi de programme pour la recherche de 2006 ? Et le milliard d’euros du Grenelle vient-il en plus ou se cache-t-il dans le même milliard ?
Une suggestion : si les 600 millions d’euros de crédit d’impôt ne sont pas fictifs, peut-être est-il temps d’en réorienter une partie pour des postes ? Car vous conviendrez que consacrer 0,23 % du plan de relance à la recherche, en dehors, bien sûr, des engagements déjà pris, ce n’est pas digne de notre ambition.
Des réponses sans détour donneront à voir la réalité du soutien à l’Université et l’utilité du nouveau règlement du Sénat, qui, paraît-il, nous permet de contrôler sur pièces le travail du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, je compte revenir sur la réforme de la formation des enseignants ; mon propos s’adressera donc aussi, à travers vous, à M. Darcos, et je vous laisserai faire le tri des reproches qui s’adressent à l’un et à l’autre.
Madame la ministre, quel talent ! Réaliser pareille unanimité, contre vous, de tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à l’éducation n’est pas à la portée de tout le monde !
Ainsi en va-t-il de votre projet de réforme : des étudiants à la Société des agrégés en passant par les enseignants et leurs syndicats, les présidents d’université, les directeurs d’IUFM, les sociétés savantes, les associations de spécialistes et j’en passe, l’opposition est générale. Seul varie le niveau de langage.
Vos intentions étaient pourtant pures puisque, selon M. Darcos, il s’agissait d’assurer aux enseignants français « une formation universitaire comparable à celle de l’ensemble de leurs collègues européens au terme de cinq années d’études », de mettre en place « une meilleure qualité de la formation des enseignants pour assurer une meilleure qualité de l’enseignement délivré à nos élèves ». Et, sublime effort, d’augmenter leur rémunération !
Malheureusement, c’est du bluff !
Actuellement, si l’on totalise formation universitaire, préparations spécifiques aux concours de recrutement et formation professionnelle en IUFM, quels enseignants, des professeurs des écoles aux professeurs agrégés, n’ont pas déjà au minimum cinq années d’études supérieures derrière eux ? Beaucoup d’ailleurs, y compris parmi les professeurs des écoles, en ont bien plus !
Alors, si votre objectif est de donner un sésame européen aux enseignants français, pourquoi ne pas vous contenter, au lieu de cette réforme dont personne ne veut, d’une simple reconnaissance par un mastère des années de formation initiale des enseignants, comme le demandent unanimement et depuis longtemps les directeurs d’IUFM ? Accessoirement, d’ailleurs, vous pourriez augmenter leurs salaires !
C’est à se demander si l’objectif final n’est pas l’organisation d’un vaste marché des étudiants demandeurs d’emplois, selon le modèle anglo-saxon, grand marché dans lequel les établissements d’enseignement pourront puiser directement. Il deviendra alors possible de recruter sur la base de CDI, voire de CDD, une main-d’œuvre qui n’aura plus rien à voir avec les fonctionnaires de l’éducation nationale d’aujourd’hui. Belle modernisation !
Je caricature ? Mais alors, comment interpréter cette réponse de DRH faite par le ministre de l’éducation nationale aux présidents d’université réticents : « On va les trouver, les gens pour passer nos concours. […] Donc moi, je n’ai pas absolument besoin d’entrer dans des discussions sibyllines… » – je pense qu’il voulait dire « byzantines » – « …avec les préparateurs à mes concours. Je suis recruteur. Je définis les concours dont j’ai besoin. Je garantis la formation professionnelle des personnels que je recruterai. Après, chacun nous suit, ou pas. »
Vous garantissez la formation professionnelle des personnels que vous recrutez ; mais peut-on appeler formation professionnelle des bouts de stage et des remplacements dispersés sur les deux années de mastère sans la cohérence d’ensemble que pourraient assurer les IUFM ? Particulièrement fâcheuse est la disparition de l’actuelle année de formation professionnelle après la réussite au concours de recrutement. Les nouvelles recrues seront immédiatement mises devant une classe. Ah ça, ils ne seront pas dans un simulateur ! Ce luxe est désormais réservé aux pilotes de ligne et de chars Leclerc, qui, il est vrai, manipulent des engins coûteux !
Critiquable, la formation professionnelle des IUFM ? Certes ! Mais l’absence de formation professionnelle, est-ce mieux ? Disons que cela coûte moins cher !
À ces défauts rédhibitoires de la réforme s’ajoutent deux effets pervers moins immédiatement visibles.
D’abord, repousser d’une année l’accès aux concours de recrutement de l’éducation nationale, c’est demander un effort financier supplémentaire aux étudiants issus des classes populaires, pour qui ces concours représentent un débouché professionnel traditionnellement important, et cela sans véritable plus-value en matière de formation académique. C’est particulièrement vrai des futurs professeurs des écoles, par définition polyvalents. Une année de plus dans leur discipline d’origine ne leur donnera pas plus de compétence dans celles qu’ils ne maîtrisent pas, mais qu’ils devront néanmoins enseigner ! Tous les cautères, sous forme de bourses ou de rémunérations accessoires des stages, n’y changeront rien.
Ensuite, le projet signifie aussi, à terme, la disparition des IUFM, en tout cas de leurs antennes départementales, maintenues à bout de bras par les collectivités locales parce qu’elles sont l’une des rares institutions universitaires du département. La réforme n’est pas encore passée dans les faits que le déménagement du territoire a commencé !
C’est en tout cas ce que j’observe dans mon département, le Var, avec la suppression de la moitié des postes de professeur des écoles maître-formateur associés au centre IUFM de Draguignan. J’aimerais, madame la ministre, que vous me répondiez sur ce point : la disparition des IUFM et de leurs antennes départementales est-elle programmée ?
Madame la ministre, pour conclure, je vous proposerais bien de méditer les propos que Mme de La Fayette, si admirée du Président de la République, prête à la princesse de Clèves lorsqu’elle prend congé de Nemours : « Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles de mon devoir. »
Madame la ministre, la sagesse commande de remettre votre projet de réforme des formations en chantier. Si vous ne le faites pas par conviction, faites-le au moins pour votre repos ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de cette nouvelle procédure de contrôle parlementaire, qui nous permet de réaffirmer les priorités fixées au Gouvernement par le Président de la République, en l’occurrence la priorité absolue donnée, durant ce quinquennat, à l’enseignement supérieur et à la recherche.
M. Daniel Raoul. Il ne suffit pas de le dire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est une priorité absolue parce que, dans une société mondiale de la connaissance, il est impératif que nos universités et nos organismes de recherche soient en mesure de rayonner davantage, que les recherches fondamentales puissent se dérouler dans un large continuum qui va du plus fondamental jusqu’à l’appliqué, de la recherche en laboratoire jusqu’à l’application et à l’innovation.
Cette priorité donnée à la connaissance, à la transmission des savoirs et à la jeunesse est confirmée par les faits, et j’entends, en réponse à toutes les questions qui m’ont été posées, montrer comment elle se traduit concrètement.
Nous voulons placer les universités au cœur de notre dispositif d’enseignement supérieur et de recherche, ce que n’a fait aucun des précédents gouvernements au cours des quarante dernières années. Cela suppose que nos universités aient un grand rayonnement. Il nous fallait donc d’abord leur donner les moyens juridiques de ce rayonnement.
Je le répète parce que c’est à la fois mon devoir et ma conviction, le moyen juridique qui permet à une université de rayonner, c’est l’autonomie.
L’autonomie, c’est le mode de fonctionnement qui, dans le monde entier, permet aux universités de rayonner. L’Union européenne a d’ailleurs adopté, durant la présidence française, une résolution en ce sens.
L’autonomie est le moyen juridique qui donne le pouvoir de définir une stratégie de recherche et une stratégie de formation, d’accéder à la liberté, mais aussi, selon le très bel intitulé donné à la loi par le Sénat lui-même, d’assumer ses responsabilités, car c’est le corollaire de cette liberté.
Dès 2007, je m’étais engagée à accompagner cette autonomie par la concrétisation de cinq chantiers. Je les rappelle : la réussite des étudiants en licence ; un grand plan de rénovation de l’immobilier universitaire ; un grand plan pour les carrières de tous les personnels de l’Université ; une réponse aux jeunes chercheurs, qui, aujourd’hui, ont du mal à engager des études doctorales ; enfin, un grand plan pour la vie étudiante.
Sur ces cinq chantiers, nous avons réalisé des avancées concrètes extrêmement significatives, même si leur traduction sur le terrain ne sera sensible que dans les mois et les années qui viennent.
Sur la mise en œuvre de la loi, permettez-moi, monsieur Assouline, de vous indiquer où nous en sommes.
Aujourd’hui, la loi du 10 août 2007 est appliquée par l’ensemble des quatre-vingt-trois universités. Le calendrier est respecté. Tous les nouveaux conseils d’administration sont en place et travaillent.
Les dispositions relatives à l’autonomie prévoient un processus progressif de passage aux compétences élargies en matière financière et de ressources humaines dans un délai de quatre ans, avec une date butoir au 1er janvier 2012.
D’ores et déjà, depuis le 1er janvier 2009, vingt universités sont autonomes. Cela signifie qu’aujourd’hui les emplois et la masse salariale correspondante leur ont été transférés. La stratégie et la politique scientifiques et de formation se décident désormais dans chacune de ces universités.
Trente-quatre autres universités candidates à l’autonomie – nous avions plus de quarante demandes pour 2010 – bénéficient actuellement d’audits destinés à vérifier leur capacité à acquérir ces nouvelles compétences au 1er janvier 2010. La liste en sera donnée en juin 2009.
S’agissant de l’accompagnement des universités passées à l’autonomie, chacune des vingt universités d’ores et déjà concernées a reçu une subvention de 250 000 euros pour lui permettre de l’aider à se préparer aux changements indispensables, de mettre en œuvre une politique indemnitaire pour les personnels qui se sont impliqués avec courage et volontarisme dans la préparation de ce grand passage et d’opérer les recrutements de compétences professionnelles qu’elle n’avait pas en son sein. En 2009, ces 250 000 euros leur seront de nouveau alloués.
L’encadrement a été renforcé par des mesures de requalification des emplois, nécessaires dans toutes les universités ; cela a concerné 800 personnes. Le même processus de requalification des emplois, par promotion interne, est en cours pour septembre prochain.
Un plan triennal de formation a été mis en place pour l’ensemble des personnels d’encadrement supérieur et administratif. Depuis le printemps 2008, il a concerné plus de 1 500 agents et coûté plus de 1,5 million d'euros.
Les services du ministère ont créé une cellule de soutien particulier des universités autonomes, en assurant le suivi des plans d’action élaborés par chaque université, pour la mise en œuvre des recommandations des audits.
Quels moyens avons-nous mis en œuvre en faveur du passage à l’autonomie ? C’est l’une des principales priorités du budget de 2009, qui acte le transfert de 1,890 milliard d’euros de masse salariale et de 34 175 emplois de l’État aux vingt universités intéressées.
La réussite de cette autonomie est liée à l’accompagnement des établissements au moment du passage : 16 millions d'euros y seront consacrés en 2009 et 52 millions d'euros entre 2009 et 2011.
La réforme des modes de financement des universités est primordiale pour réussir ce passage à l’autonomie, car elle doit rénover les liens entre l’État et les universités, qui seront désormais contractuels : un contrat d’objectifs et de moyens liera l’État et les universités.
Contrairement à ce que j’ai entendu dire, il n’y a aucune privatisation des universités puisque 95 % de la dotation des universités restera une dotation d’État contractualisée sur la base des objectifs et des engagements de formation et de recherche.
Les mesures en faveur du plan Carrière – 250 millions d'euros sur 2009-2011 – font partie intégrante de ce passage à l’autonomie parce qu’elles vont permettre de valoriser la richesse humaine de chaque université.
Enfin, le plan de relance permettra d’entrer dans la phase 2 de l’autonomie puisque, dans le cadre de ce plan, 30 millions d'euros sont consacrés à la préparation du transfert de l’immobilier pour les universités qui souhaiteraient prendre cette compétence.
MM. Renar et Lardeux ont particulièrement insisté sur la question des moyens de l’enseignement supérieur.
Je rappelle que le budget de 2009 a été construit sur l’hypothèse d’une inflation à 0,4 %. Ce chiffre est à mettre en regard de crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche qui augmenteront, à travers le projet de loi de finances et le plan de relance, de 9 % en crédits budgétaires et de 26 % au total, en incluant la mobilisation anticipée du crédit d’impôt recherche et son augmentation. Il s’agit évidemment là d’une augmentation exceptionnelle : quasiment dix-huit fois le maintien du pouvoir d’achat ! Quel autre département ministériel dispose d’autant de moyens ?
Il ne faut pas oublier que les budgets des universités qui ne disposent pas de l’autonomie aujourd'hui ne comprennent ni l’immobilier ni la masse salariale. Ces crédits figurent dans le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans lequel on trouve également les contrats de projet État-région, qui permettent de faire de l’immobilier universitaire et qui seront « boostés » par le plan de relance puisque ce dernier permettra de financer une annuité et demie de contrats de projet État-région pour toutes les universités.
Quant aux crédits en faveur des carrières, qui s’élèvent à 250 millions d’euros, ils sont inscrits dans le budget de l’État et non pas dans le budget des universités.
S’agissant du budget des universités à proprement parler, un chiffre traduit notre engagement : en 2007, la France dépensait 7 500 euros par étudiant ; en 2009, elle dépensera 8 500 euros en moyenne, soit un effort budgétaire de plus de 1 000 euros par étudiant.
En 2009, les universités bénéficieront de 117 millions d'euros de crédits de fonctionnement supplémentaires et de 150 millions d'euros de crédits de mise en sécurité, soit au total 267 millions d'euros, contre 78 millions d'euros l’an dernier : cette année, les universités auront donc trois fois plus d’argent.
Monsieur Dupont, vous avez évoqué les petites universités. Elles bénéficient, elles aussi, de moyens totalement inédits. En effet, si l’on totalise les crédits de fonctionnement et de mise en sécurité des locaux – nombre d’entre elles ont des locaux très dégradés – les dix-sept universités pluridisciplinaires les plus petites bénéficient en moyenne de 11 % d’augmentation, contre 3 % l’an dernier.
À l’université d’Avignon, par exemple, le budget augmente de 13 %, contre 3 % en 2007, et nous avons conclu un contrat de projet État-région pour le centre de recherche en agrosciences. Au Havre, le budget augmentera de 13 %, contre 8 % en 2008. L’université a reçu le label « campus prometteur » et disposera de 20 millions d'euros au titre de la rénovation de son campus.
Par ailleurs, je tiens à dire que je suis ouverte à la discussion sur les universités pluridisciplinaires des villes moyennes, qui ont un rôle tout à fait spécifique et primordial de formation de proximité.
M. Jacques Legendre. Très bien !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Dans le cadre de la réflexion que nous allons lancer sur le modèle de l’allocation des moyens, ces universités feront l’objet d’une attention toute particulière de la part des services de mon ministère.
Vous avez évoqué les suppressions d’emplois.
Le secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur, parce qu’il est une priorité du Président de la République, ne sera pas soumis en 2009 à la règle de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. Tel était déjà le cas en 2008 puisque aucune suppression d’emploi n’avait affecté l’enseignement supérieur.
En 2009, seulement 900 postes – soit moins de 0,6 % des effectifs de mon ministère – ne seront pas renouvelés après le départ à la retraite de leurs titulaires. Ces 900 postes se répartissent de la façon suivante : 433 emplois statutaires, soit un départ à la retraite sur douze, 183 dans les organismes de recherche, une petite centaine au CNRS.
Je précise à Mme Blandin qu’en 2008 il n’y avait eu aucune suppression d’emploi au CNRS et que, cette année, il y en aura une petite centaine sur environ 30 000 emplois.
Sur les 408 emplois statutaires non remplacés, 225 concernent l’enseignement supérieur, mais aucun enseignant-chercheur. Au contraire, la campagne d’emplois nous permettra d’avoir cette année, sur le plan national, une création nette de 85 emplois d’enseignants-chercheurs par le jeu des redéploiements opérés par mon ministère. En effet, les emplois restitués par les universités concernent plutôt des personnels de catégorie C, administratifs et techniques, dont les missions ne sont pas au cœur du service public de l’enseignement supérieur, alors que les emplois qui ont été restitués aux universités sous-dotées sont souvent des emplois d’enseignant-chercheur, pour permettre un meilleur encadrement des élèves, notamment dans le cadre du plan « Réussir en licence ».
Ces 225 non-renouvellements en 2009 correspondent en moyenne à deux emplois par établissement.
Par ailleurs, 492 emplois non statutaires ne seront pas renouvelés : 225 emplois d’allocataire de recherche, qui correspondent en fait à des postes non pourvus, et 267 « post-docs » puisque l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, est devenue depuis deux ans le principal financeur de « post-docs », avec 1 000 nouveaux contrats cette année.
Je souligne que l’effort demandé aux établissements à travers le non-renouvellement de ces emplois a été intégralement restitué aux personnels à travers les mesures en faveur des carrières de l’enseignement supérieur et de la recherche. La masse salariale correspondant à ces emplois sera répartie dans le budget de toutes les universités, leur permettant d’avoir la souplesse nécessaire pour mieux gérer leurs emplois.
J’ajoute que le Premier ministre s’est engagé à ce que, en 2010 et 2011, l’enseignement supérieur voie ses postes maintenus.
Toutes ces mesures montrent la priorité absolue donnée à ce secteur, dans un contexte d’emploi très contraint.
J’en viens au plan Carrière 2009-2011.
Des moyens budgétaires exceptionnels seront affectés à la revalorisation des carrières des enseignants-chercheurs.
De 2009 à 2011, un effort exceptionnel de 252 millions d'euros cumulés sera réalisé et cette somme s’ajoutera aux 759 millions d'euros de revalorisation des rémunérations décidée sur le plan national pour la fonction publique.
Au total, par rapport à 2006-2008, deux fois plus de moyens nouveaux seront mobilisés sur la période 2009-2011.
Les jeunes maîtres de conférence seront recrutés à des salaires de 12 % à 25 % supérieurs grâce à la prise en compte du doctorat et des périodes post-doctorales. Cela permettra d’attirer davantage de jeunes de talent vers le doctorat et les carrières de l’enseignement supérieur.
Les taux de promotion à tous les grades, maîtres de conférences hors classe, professeurs, professeurs à classe exceptionnelle, seront doublés d’ici à 2011. De nouvelles primes seront créées pour valoriser l’enseignement supérieur et la recherche, pouvant atteindre jusqu’à 15 000 euros par an. Il n’existait malheureusement jusqu’à présent aucune prime de pédagogie, l’enseignement étant beaucoup moins valorisé que les activités de recherche, alors que la transmission des savoirs est, à mon sens, avec la recherche, l’une des missions essentielles de l’université.
Enfin, toutes ces mesures concernant les enseignants-chercheurs seront adossées à d’autres mesures concernant les personnels de recherche et de formation. Les taux de promotion des personnels de recherche et de formation – je l’ai annoncé hier – seront augmentés de 62 % d’ici à 2011 et les crédits destinés à leurs primes seront augmentés de 32 % d’ici à 2011.
M. David Assouline. Bref, tout va bien !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ces mesures ne sont pas encore entrées en vigueur, mais elles s’appliqueront dès que le nouveau statut des enseignants-chercheurs aura été adopté. Il s’agit tout de même de bonnes nouvelles et je me devais d’en faire part à la représentation nationale.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Pour attirer les talents à l’université, nous avons également décidé – il s’agit d’une mesure qui sera bientôt portée sur les fonts baptismaux – d’offrir un vrai contrat de travail à tous les doctorants, un contrat de droit public, plus simple, avec les mêmes garanties sociales qu’un contrat de droit administratif : allocations de chômage, congé de maternité, congé de maladie et une rémunération minimale assurée. Ainsi, le doctorat pourra être valorisé à la fois dans les carrières académiques, mais aussi dans l’entreprise, où il était jusqu’à présent considéré uniquement comme un diplôme, comme des années d’études supplémentaires, et non pas comme une véritable expérience professionnelle. Ce contrat doctoral est une avancée ; il nous a été demandé spécialement par la conférence des jeunes chercheurs et il est issu du chantier sur les jeunes chercheurs.
M. Jean-Léonce Dupont. Très bien !
Mme Valérie Pécresse, ministre. S’agissant du financement des universités, nous avons décidé de placer l’équité au cœur du mode d’allocation des moyens universitaires.
Désormais, compte tenu de leurs missions de service public, 80 % des moyens financiers des universités seront attribués en fonction de l’activité. Cela signifie que des universités qui, sur cinq ans, ont perdu beaucoup d’étudiants voient leurs moyens revus à la baisse, tandis que les universités qui, au cours de la même période, ont vu le nombre de leurs étudiants augmenter jusqu’à 25 %, verront leurs moyens accrus. Cela s’appelle l’équité et la solidarité entre les établissements.
Mais, là aussi, l’approche du financement à l’activité est revue et corrigée. Pour la formation, les crédits seront alloués sur la base du nombre d’étudiants présents aux examens, et non plus sur celui des étudiants inscrits, de façon à inciter les universités à accompagner et encadrer les étudiants toute l’année, non à se contenter de les inscrire et les laisser ensuite dériver.
Pour la recherche, la répartition sera fondée sur le nombre d’enseignants-chercheurs « publiants ».
La réforme de l’allocation des moyens permettra de répartir sur l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur 889 millions d’euros cumulés sur la période 2009-2011.
Grâce à ces moyens, toutes les universités verront leurs crédits progresser fortement dans les trois années à venir, et ce d’une manière totalement inédite : compte tenu de leurs performances et de leurs activités respectives, les universités les moins bien dotées verront leurs crédits augmenter plus vite par rapport à celles qui sont mieux loties.
En 2009, la hausse moyenne des budgets est de 6,5 %, mais la fourchette est large puisque l’augmentation oscille entre 0,5 % pour les mieux dotées et 25 % pour les moins bien dotées.
Au travers de cette réforme, l’objectif est de faire entrer les universités dans une culture de liberté et de responsabilité. Cela doit être une exigence dans la mesure où l’effort budgétaire important consenti par l’État en faveur de l’enseignement supérieur s’inscrit dans un contexte de gestion contrainte des finances publiques.
Désormais, 20 % des moyens des universités, contre 3 % aujourd’hui, seront attribués en fonction des performances enregistrées en matière de formation et de recherche.
La conception même de la performance à l’université est appelée à être totalement revue. Les déterminants fondamentaux du financement en matière de formation seront dorénavant l’insertion professionnelle ou encore la valeur ajoutée, qui permettent d’apprécier les résultats à l’aune de la fragilité des étudiants accueillis. La cotation des laboratoires de recherche fera l’objet d’évaluations indépendantes réalisées par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et sera, elle aussi, prise en compte dans le cadre de la part de financement liée à la performance.
L’accompagnement des nouveaux projets et la tenue des objectifs contractuels par les universités seront évidemment valorisés grâce à cet outil renouvelé qu’est le nouveau contrat d’établissement signé entre l’État et les universités.
Monsieur Bordier, vous avez, comme d’autres de vos collègues, évoqué le classement de Shanghai. Celui-ci est, il est vrai, biaisé puisqu’il ne prend pas en compte la spécificité du système français, dans lequel une partie non négligeable de nos meilleurs étudiants et de nos meilleurs chercheurs ne sont pas à l’université.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est primordial que les universités françaises jouissent d’une visibilité mondiale. Pour répondre à cet objectif, nous avons décidé d’accompagner l’autonomie d’une politique de rapprochement et d’alliance, sur un même territoire, entre les universités, les organismes de recherche et les grandes écoles, par le biais des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES. Cette politique est en train de progresser de manière très spectaculaire dans le cadre de l’opération Campus, et j’espère avoir l’occasion, d’ici à la fin de l’année, de venir en faire le bilan devant vous.
Ainsi, le regroupement des universités en pôles de recherche et d’enseignement supérieur, d'une part, et la simplification de la gestion des unités mixtes de recherche dans les universités, d'autre part, permettront à notre pays de donner une meilleure visibilité à la recherche française et un plus grand rayonnement à nos universités.
Du reste, à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, nous avons, conscients des lacunes du classement de Shanghai, lancé un processus visant à instaurer un classement européen des universités du monde pour disposer de données extrêmement précises et fiables. Nous pourrions ainsi mettre beaucoup mieux en évidence la qualité de nos formations et de nos recherches.
J’en viens au nouveau projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs, évoqué, notamment, par MM. Legendre, Renar et Bordier.
Le décret actuel ne correspond plus à la richesse de ce métier et ne permet pas de reconnaître l’investissement des enseignants-chercheurs dans les différentes activités.
L’objectif de la réécriture de ce décret est d’aboutir à un statut protecteur qui garantisse une progression dans la carrière fondée sur une évaluation nationale, par les pairs, de chaque discipline, sur la base de critères rendus publics. Nous souhaitons donc instaurer de la transparence.
Dans le contexte de l’autonomie, les universités doivent pouvoir s’appuyer sur leurs piliers que sont les enseignants-chercheurs, dans le respect de leur liberté de penser et de leur indépendance, principes à valeur constitutionnelle.
La rédaction du nouveau décret a été précédée de dix-huit mois de concertation, au travers d’une mission confiée à M. Schwartz. Dans ce domaine, c’est le dialogue continu qui a prévalu.
Pour placer la communauté universitaire au cœur des établissements, l’engagement des enseignants-chercheurs doit aussi être reconnu. Tel est l’objet du plan de revalorisation des carrières que je vous ai décrit et qui entrera en vigueur dès la publication du décret.
C'est la raison pour laquelle seront précisés un certain nombre de points placés au cœur du nouveau texte.
Tout d’abord, un service de référence sera fixé pour l’activité d’enseignement et pour celle de recherche. C’est la base qui déclenchera, comme c’est le cas aujourd’hui, le paiement des heures complémentaires. Elle inclura la valorisation des travaux pratiques au même titre que les travaux dirigés.
Ensuite, l’évaluation de l’ensemble des activités des enseignants-chercheurs sera effectuée au niveau national par les pairs, section par section, dans le cadre du Conseil national des universités.
En outre, la modulation des services ne pourra se faire sans l’accord des intéressés et s’organisera en référence à un cadre national d’équivalences selon les différentes activités des universitaires. Elle pourra être envisagée de manière pluriannuelle et s’inscrire dans un projet collectif, pédagogique, scientifique ou un projet lié à des tâches d’intérêt général.
Enfin, la répartition des promotions entre le niveau national et le niveau local sera réalisée, pour moitié, par les universités et, pour moitié, par le Conseil national des universités. Les propositions de promotion seront élaborées sur la base de critères rendus publics et de l’évaluation de l’ensemble des activités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nombre d’entre vous ont évoqué le plan « Réussir en licence », pour lequel, je le rappelle, un effort inédit de 730 millions d’euros sur cinq ans a été consenti afin de lutter contre l’échec des étudiants.
Nous en sommes à la première année d’entrée en vigueur de ce plan. Elle a été financée au prorata du nombre d’étudiants présents en première année, tout en prenant en compte les étudiants en retard et, donc, les plus fragiles par rapport à ceux qui forment la « cohorte de bac ».
Toutes les universités sont mobilisées et mettent en place des actions ciblées : enseignants référents ; étudiants tuteurs ; enseignements en petits groupes ; enseignements transversaux obligatoires, notamment pour les technologies de l’information et de la communication et pour l’anglais ; stages obligatoires en licence.
L’orientation active est un processus global, qui permet une meilleure transition du lycée vers l’université. Elle comporte quatre phases : l’information des lycées, d’ores et déjà engagée ; la préinscription sur un site unique « www.admission-postbac.fr », donnant toutes les informations sur les différentes filières et ouvrant un dialogue avec les universités d’accueil ; le conseil des universités sur les vœux exprimés par les lycéens ; enfin, l’entrée dans l’enseignement supérieur et, en cas d’échec, la réorientation dès la fin du premier semestre.
Nous allons, dès maintenant, réaliser une enquête de suivi de la mise en œuvre de la nouvelle mouture de cette première année, ô combien fondamentale, à l’université.
J’aborderai maintenant la vie étudiante, qui a été notre priorité.
M. Daniel Raoul. Pour vous, tout est prioritaire…
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous avons voulu un système de bourses plus généreux, plus lisible et plus juste, et dépensé, pour cela, plus de 100 millions d’euros en deux ans.
Le relèvement du plafond de revenus annuels, passé en un an de 27 000 euros à 32 000 euros pour une famille, a permis à 50 000 étudiants supplémentaires d’être boursiers. En outre, en deux ans, les bourses ont été revalorisées de 5 %, soit beaucoup plus que l’évolution constatée ces dix dernières années !
M. David Assouline. La droite a été au pouvoir la plupart du temps !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Pour les 100 000 étudiants les plus modestes, nous avons consenti un effort supplémentaire, avec une augmentation de 10 % des bourses en deux ans.
Nous avons plus que doublé le nombre des bourses de mobilité internationale, qui est passé de 12 000 à 30 000.
Monsieur Lardeux, nous avons également doublé, de 15 000 à 30 000, le nombre des bourses au mérite.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le logement étudiant a, lui aussi, bénéficié d’un effort massif, même si certains d’entre vous le contestent. Ainsi avons-nous, en deux ans, rénové ou reconstruit 30 000 chambres. C’est plus que ce qui a été fait au cours des dix dernières années !
M. David Assouline. La droite fait mieux que la droite !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous poursuivrons cet effort grâce aux crédits issus du plan de relance que je détaillerai par la suite.
J’évoquerai également l’orientation et l’insertion professionnelle.
Dans le cadre de la mise en place des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle, les présidents d’université ont été invités à adresser au ministère leur schéma directeur d’aide à l’insertion professionnelle. À ce jour, les trois quarts l’ont fait.
L’analyse de ces documents montre que la préparation de l’insertion est bien prise en charge, qu’il s’agisse de l’acquisition de pratiques de recherche de stages ou d’emplois, d’information sur les procédures d’embauche ou d’assistance à la maturation des choix. Nous constatons une montée en charge des actions grâce au plan pluriannuel pour la réussite en licence, alors que, auparavant, l’insertion professionnelle n’était privilégiée qu’au niveau mastère 2. Les universités portent également une attention particulière aux doctorants.
Des observatoires des parcours et de l’insertion sont le plus souvent mis en place par les universités. Il est assez surprenant de constater que, près de trois ans après l’adoption d’un ensemble de textes spécifiques, la gestion des stages est encore très hétérogène et, surtout, artisanale. L’absence de pilotage au niveau de l’université est quasiment la règle. Pour remédier à cette situation, de nombreuses universités sont en train d’élaborer des systèmes de gestion numérisés des stages, parfois fort ambitieux.
Étroitement liée à la question des stages, l’instauration de partenariats avec les milieux professionnels était loin d’être systématique, formalisée et, moins encore, mutualisée au sein de l’université. Cela devrait désormais être chose faite dans les établissements qui nous ont transmis leur schéma directeur.
Par ailleurs, l’autonomie doit, à l’évidence, s’accompagner d’une réorganisation du ministère. Nous ne pouvons plus fonctionner avec cette même administration, qui se montre parfois « tatillonne ».
Le ministère se doit d’être un stratège, plus efficace et plus transparent. C’est d’une administration de mission que nous avons besoin. Pour cela, le ministère s’appuiera sur deux nouvelles directions générales, recentrées sur des objectifs précis : la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, la DGESIP, et la nouvelle direction générale de la recherche et de l’innovation, la DGRI. Grâce à une mutualisation des moyens, nous avons privilégié une stratégie globale en matière d’enseignement, de formation et de recherche, en créant un pôle de contractualisation chargé de traduire la politique de formation menée par la DGESIP dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens signé par les universités.
En dix-huit mois, l’ensemble des textes d’application de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités auront été publiés. Cet effort a été salué par la révision générale des politiques publiques.
J’en viens maintenant aux travaux du comité de suivi de la loi.
Nous avons tenu à ce qu’y siègent les deux sénateurs et les deux députés qui étaient les rapporteurs du texte. Toutes les sensibilités politiques du Parlement auraient pu, certes, y être représentées, mais au risque de dénaturer ce comité et de le transformer en véritable agora !
M. David Assouline. Il n’y a qu’un seul bloc politique : la droite ! Les rapporteurs ont voté votre loi, ils sont d’accord avec vous !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Le comité de suivi vient de rendre son rapport. Il a été adressé au président du Sénat, qui nous a répondu le 26 janvier dernier. Il est donc à la disposition de la Haute Assemblée.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai, je l’ai demandé, mais en vain ! La commission des affaires culturelles ne l’a jamais eu !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ce comité de suivi a pour mission de suivre l’application de la loi sur une durée de cinq ans. Un tel délai est nécessaire pour évaluer les effets des différentes dispositions qui ne peuvent être immédiats, en particulier en matière de gouvernance ou de mise en place de l’orientation active ou de l’insertion professionnelle.
D’ores et déjà, le comité de suivi a relevé un certain nombre de difficultés de mise en œuvre. Il décline dix-huit recommandations. Je citerai les plus marquantes.
Il s’agit, tout d’abord, de l’amélioration de la participation des étudiants aux élections, par des moyens modernes tels qu’internet, et d’une meilleure prise en compte de l’engagement des étudiants dans la vie institutionnelle. Ce point fera l’objet d’une large concertation avec les organisations étudiantes, qui ont la même préoccupation que moi sur ce sujet. Nous allons avancer à cet égard dans le cadre de la deuxième étape du plan pour la vie étudiante, qui se concrétisera d’ici au mois de mai prochain.
Il s’agit, ensuite, de l’amélioration des modalités de la désignation des personnalités extérieures. Une université ne peut se permettre de rester sans gouvernance pendant plusieurs semaines, dans l’attente d’un accord sur une liste de personnalités extérieures. Là encore, il est déplorable que l’idéologie et la politique se soient parfois immiscées dans des choix qui devraient être totalement objectifs. Il est envisageable de suivre la recommandation du comité, qui prévoit de réduire le nombre de tours de scrutin.
Il s’agit, aussi, de la participation des personnalités extérieures à l’élection du président.
Enfin, la sixième recommandation, relative au vote des chercheurs, a fait l’objet d’une application immédiate par une modification du décret électoral.
Par ailleurs, les comités de sélection pour le recrutement des enseignants-chercheurs sont en cours de généralisation et remplacent désormais les commissions de spécialistes. Ceux-ci ont été constitués dans neuf universités dès le premier semestre de 2008.
Ces commissions ont été beaucoup critiquées, et ce à plusieurs titres. Désormais, les comités de sélection permettent d’effectuer des recrutements « au fil de l’eau », ce qui était impossible dans le cadre des procédures annuelles, trop rigides, des commissions de spécialistes.
Composés pour moitié d’experts extérieurs à l’université, ces comités de sélection corrigent certains effets pervers du localisme. Ils favorisent la mobilité et l’excellence. Le comité de suivi de la loi a d’ailleurs recommandé de rendre obligatoire la présence d’experts étrangers au sein des comités de sélection.
Dans tous les endroits où les comités de sélection ont été mis en place, ils ont fonctionné à la satisfaction générale de la communauté universitaire et n’ont donné lieu à aucun litige.
J’aborde à présent la compétence patrimoniale.
Deux universités se sont prononcées très tôt pour l’acquérir : Paris VI et Corte. Depuis, d’autres universités commencent à nous faire savoir qu’elles seraient intéressées.
Il convient de rappeler que plusieurs conditions doivent être remplies.
Les universités doivent démontrer leur savoir-faire en la matière et avoir un véritable schéma directeur, expression d’une stratégie immobilière au service d’un grand projet pédagogique et scientifique. Ce sont les audits qui nous le diront.
La loi prévoit que l’État, avant tout transfert, a l’obligation d’effectuer la mise en sécurité du patrimoine après expertise contradictoire.
Enfin, il nous faut faire le point sur les obligations financières que cela pourrait représenter pour les universités en matière d’amortissements ou d’assurances. Il nous faut voir comment les accompagner.
Je suis très favorable à ce transfert de la compétence patrimoniale, car la gestion en pleine propriété par l’université de son patrimoine lui apportera des marges de manœuvre importantes. Grâce à cette compétence nouvelle, le processus d’autonomie sera réellement abouti. Mais nous devons agir avec ordre et méthode.
Il est possible de lancer quelques expérimentations avec des universités volontaires ayant un patrimoine de qualité.
Dès 2009, ce sont 10 millions d’euros qui seront distribués à l’ensemble des universités afin qu’elles bâtissent leur bilan patrimonial et établissent leurs besoins, et 30 millions d’euros à celles des universités qui se lanceront dans cette nouvelle compétence.
Avant d’évoquer le bilan d’étape de l’opération Campus, je rappelle que cinquante-neuf universités sont concernées par cette opération, et non dix, comme je l’ai entendu dire à cette tribune.
Le Président de la République a lancé, fin 2007, l’opération Campus pour faire émerger les grands sites universitaires français, ceux qui sont à même de compter dans la compétition internationale de la connaissance.
M. David Assouline. Combien sont-ils ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Au départ, dix sites ont été retenus au terme d’une sélection exigeante réalisée par un jury international et indépendant. Il s’agit d’Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Montpellier, Strasbourg, Toulouse et de trois sites franciliens, Condorcet Paris-Aubervilliers, Paris intra-muros et Saclay.
Les critères qui devaient être remplis sont l’ambition scientifique et pédagogique, l’urgence de la situation immobilière, le développement de la vie de campus et le caractère structurant pour un territoire.
Je rappelle que ces sites ont été sélectionnés par un jury international et non pas, pour une fois, dans le cadre d’un cabinet ministériel.
Postérieurement, les cas de Lille et de Nancy-Metz ont été également labellisés. Ils seront financés sur crédits budgétaires.
L’opération Campus a fait bouger les lignes au sein des grands pôles universitaires. Elle a accéléré une vaste dynamique de rapprochements et de regroupements des forces scientifiques françaises qui place l’université au cœur du dispositif.
Parmi ces douze sites figurent quarante-six universités, mais aussi quarante écoles et tous les principaux organismes de recherche. Au total, 760 000 étudiants et 24 000 chercheurs et enseignants-chercheurs « publiants » sont concernés.
Le cas francilien est particulièrement révélateur : les rapprochements engagés témoignent d’un effort inédit de coopération entre des acteurs de très haute valeur scientifique.
L’opération Campus marque un tournant décisif dans les relations des universités avec les collectivités locales et le monde socio-économique. La participation directe annoncée par les collectivités locales se montera à près d’un milliard d’euros sur les sites situés en région.
Le Président de la République a décidé de doter cette opération d’un montant de 5 milliards d’euros. C’est un effort exceptionnel que consent l’État.
J’ai d’ores et déjà annoncé que le campus de Lyon, dans le cadre de son PRES, bénéficierait de 575 millions d’euros de dotations pérennes en capital pour son développement, et celui de Strasbourg de 375 millions d’euros. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes : ils sont sans précédent sur un seul projet.
J’irai annoncer sur chaque site, à partir du mois d’avril, le montant qu’il se verra attribuer.
M. David Assouline. À Paris aussi ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ces sommes seront, à terme, transférées aux pôles créés pour devenir une dotation en capital qui conférera à ces pôles une assise financière sans précédent, comparable à celle des grandes universités internationales.
Les projets immobiliers seront réalisés sous forme de partenariats publics-privés. Le démarrage des premiers chantiers est attendu pour la fin 2011.
En outre, nous consacrerons 400 millions d’euros au total, sur la période 2009-2011, à des campus prometteurs et innovants, c’est-à-dire en tout neuf projets – cinq prometteurs, quatre innovants –, qui concernent treize universités supplémentaires.
Un campus prometteur est un campus qui possède un fort potentiel, qui est prometteur pour l’avenir, et dont le rôle au plan national, voire européen, est loin d’être négligeable.
C’est un signal fort envers les collectivités territoriales concernées. Cette mention doit les inciter à s’investir fortement dans leurs universités pour accroître sensiblement le potentiel scientifique et pédagogique de celles-ci, et ainsi renforcer leur visibilité au niveau européen ou international.
Ces campus prometteurs sont Paris-Est, c’est-à-dire le campus de Créteil-Marne-la-Vallée, Clermont-Ferrand, Nantes, Nice et Rennes : 30 millions à 60 millions d’euros seront consacrés à chacun de ces campus prometteurs.
Quant aux campus innovants, ce sont des sites de taille sensiblement inférieure, mais dont le projet a été jugé particulièrement intéressant. Ce sont des universités qui font, dans la majorité des cas, le choix de se recentrer sur une thématique scientifique spécialisée. C’est donc une prime au dynamisme, à la créativité, à l’engagement et à la mobilisation. Les campus de Cergy, Dijon, Le Havre et Valenciennes se verront, en tant que campus innovants, attribuer 20 millions d’euros.
Je compte évidemment sur tous les sénateurs ici présents pour servir de relais auprès des collectivités locales, afin que celles-ci accompagnent ces campus prometteurs et innovants dans leur dynamique de développement.
Outre les cinquante-neuf universités concernées par l’opération Campus, toutes les universités bénéficieront de crédits nouveaux puisque nous avons décidé d’une accélération très sensible, durant une année et demie, des contrats de projets État-région dans le cadre du plan de relance et d’une hausse des crédits de mise en sécurité. Au total, 550 millions d’euros seront consacrés, au titre du plan de relance, aux projets immobiliers de l’ensemble des universités.
J’en viens aux IUT.
La globalisation des dotations est au cœur de l’autonomie que la loi du 10 août 2007 a reconnu aux universités. Maintenir les fléchages antérieurs des crédits irait à l’encontre de cet objectif. Néanmoins, la spécificité des IUT est préservée, notamment pour tenir compte de la réussite qui est la leur en matière de professionnalisation des formations universitaires.
Les IUT continuent de disposer d’un budget propre.
Le nouveau modèle de répartition des moyens prend en compte le coût plus élevé de la formation dispensée aux étudiants inscrits en DUT, diplôme universitaire de technologie.
La référence à la performance en matière de réussite aux examens et d’insertion professionnelle se fera également à l’avantage des IUT, qui seront bien entendu associés au travail d’évaluation de ce système de répartition.
Un dialogue fructueux a été mené entre universités et IUT, sous l’égide du ministère, pour qu’une charte soit signée entre eux afin de structurer leurs relations. J’ai annoncé, il y a quelques jours, que cette charte aurait valeur réglementaire et serait intégrée dans le code de l’éducation afin de rassurer pleinement toutes les parties prenantes à l’accord.
Dès les prochaines semaines, universités et IUT vont pouvoir travailler à l’élaboration des contrats d’objectifs et de moyens qui les lient.
À ma demande, les présidents d’université ont accepté de s’engager dans une sanctuarisation a minima des moyens des IUT en 2010, comme ils l’ont fait en 2009.
L’État, quant à lui, est plus que jamais présent aux côtés des IUT : les 5 millions d’euros qui leur avaient été alloués en 2008 pour encourager l’accueil de bacheliers technologiques seront maintenus en 2009, et je consacrerai 10 millions d’euros supplémentaires à l’équipement des IUT, dans le cadre du plan de relance.
Mme Laborde a évoqué le cas de l’IUT de Blagnac. Un accord a été trouvé localement pour l’ouverture de ce nouveau département, si nécessaire à la formation de nos jeunes, dans un contexte budgétaire contraint en matière d’emplois publics. Il faut s’en féliciter, et non pas le déplorer ! Je ne doute pas que, dans le nouveau contrat d’objectifs et de moyens qui sera signé entre l’université et l’IUT, les moyens humains nécessaires seront mis à la disposition de cet IUT.
Vous avez dit, monsieur Renar, qu’il fallait sortir de la crise par le haut. Cette sortie de crise passe par le dialogue social permanent sur tous les sujets. Le dernier sujet d’inquiétude, la mastérisation, est en cours de résolution.
Je ne vois pas la nécessité de tenir des états généraux de la recherche et de l’enseignement, car ces états généraux ont déjà eu lieu, en octobre 2004, et ont été le résultat d’une large mobilisation de la communauté scientifique française durant plusieurs mois de discussions et de contributions. Ils représentent, à ce titre, un grand moment de la réflexion sur l’organisation de la recherche en France, dans le droit fil du colloque de Caen de 1956 et des assises nationales de la recherche de 1981-1982.
Un grand nombre de propositions faites en 2004 se trouvent d’ailleurs aujourd’hui concrétisées et le rapport final de ces états généraux qui avait été transmis au Gouvernement, a été, pour une très large part, mis en œuvre.
Je citerai plusieurs exemples.
Les états généraux appelaient à la création d’un ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur de plein droit, qui déterminerait les grands choix et affirmerait le caractère prioritaire de la recherche dans notre pays et son lien très fort avec l’enseignement supérieur. Ce ministère, nous l’avons créé ! Et c’est la politique du Gouvernement que de faire de la recherche et de l’enseignement supérieur une priorité et de mettre l’université au cœur du dispositif de recherche, avec une formation de qualité, comme c’est le cas dans les grands pays développés.
Nous voulons faire des organismes de recherche, le CNRS en tête, des stratèges pour construire et consolider notre recherche au niveau national, afin d’en finir avec les redondances entre organismes de recherche et avec les lourdeurs administratives qui assaillent nos chercheurs.
M. Pierre-Yves Collombat. Des mots !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous voulons établir une stratégie nationale de la recherche et de l’innovation avec les chercheurs eux-mêmes, publics et privés, et avec les associations porteuses d’enjeux, pour que notre pays puisse faire enfin les grands choix scientifiques et technologiques essentiels pour son avenir. Cette démarche partira d’en bas, des besoins du terrain.
En 2004, les états généraux de la recherche appelaient à redonner leur juste place à des universités pourvues de capacités de décisions rénovées, qui pourraient alors développer des relations de confiance et de partenariat équilibré avec les autres acteurs du système de recherche.
Ces universités, elles existent : ce sont les vingt premières universités autonomes, et toutes celles qui suivront ; grâce à la loi LRU et à un investissement financier de l’État, elles bénéficieront de toutes les marges de manœuvre juridiques et financières nécessaires au développement et à la maîtrise de leur stratégie de recherche.
En 2004, les états généraux de la recherche appelaient à la création d’une nouvelle structure dotée d’un budget propre, interlocuteur exclusif pour le financement de projets « blancs » et de projets thématiques d’intérêt national : le CoFiPS. Cette agence de financement nouvelle, nous l’avons créée : c’est l’Agence nationale de la recherche, dont je vais augmenter la proportion de « programmes blancs » – ils étaient 25 % en 2008, ils sont 35 % en 2008, et seront 50 % en 2010 ! –, afin d’offrir aux équipes de recherche la possibilité de produire de la créativité pure et de l’excellence.
En 2004, les états généraux de la recherche appelaient à la création d’un comité d’évaluation des opérateurs de recherche indépendant des structures d’évaluation existantes et en charge d’un audit régulier de la politique scientifique des opérateurs de recherche, pour veiller à la qualité de l’évaluation et de la prise en compte de ses conclusions par les opérateurs.
Ce comité d’évaluation existe désormais : c’est l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, créée par la loi de 2006, et qui, conformément aux recommandations des états généraux, accrédite les bonnes pratiques d’évaluation, pratique un suivi régulier du fonctionnement des commissions d’évaluation et analyse l’utilisation des moyens financiers et humains mis à la disposition des opérateurs pour leurs missions de recherche.
En 2004, les états généraux de la recherche appelaient à la création de pôles de recherche et d’enseignement supérieur, associant localement les différents partenaires de l’enseignement supérieur et de la recherche publique et privée. Aujourd’hui au nombre de douze, ces PRES seront bientôt quatorze, et j’ai bon espoir que l’ensemble de notre paysage universitaire et de recherche sera, d’ici à la fin de l’année, structuré en pôles.
Monsieur Lagauche, je ne peux pas vous laisser dire que le plan de relance, auquel sont consacrés 730 millions d’euros de crédits budgétaires supplémentaires, oublie la recherche : 286 millions d’euros lui sont affectés, dont 46 millions d’euros, soit plus 17 %, pour les très grandes infrastructures, et 220 millions d’euros vont au plan « Nanosciences », au Grenelle de l’environnement et à la recherche duale en matière de défense ; enfin, 20 millions d’euros de travaux sont destinés aux laboratoires des organismes de recherche qui souffrent, eux aussi, malheureusement, de vétusté. Or, comme vous le savez, l’épanouissement des chercheurs et l’attractivité de nos laboratoires passent aussi par l’immobilier.
En outre, les organismes de recherche publics vont voir, grâce au plan de relance, leurs moyens progresser de 5,5 %, contre 3,5 % avant la mise en œuvre de ce plan. Au total, la progression représente donc onze fois l’inflation.
J’en viens au rôle du crédit impôt recherche, ou CIR. Il répond à quatre objectifs, que je rappelle.
Premier objectif : encourager au maintien sur le sol français des centres de recherche qui y sont aujourd’hui implantés. Les risques de délocalisation, avec leurs conséquences désastreuses pour notre économie, ne doivent en effet pas être sous-estimés. Il s’agit, en mettant en œuvre une stratégie industrielle, de défendre la France dans une période de crise.
Deuxième objectif : attirer des activités de recherche et de développement actuellement conduites à l’étranger par des entreprises multinationales. Le président de Sanofi l’a encore dit au Président de la République la semaine dernière, nous avons désormais la fiscalité la plus avantageuse d’Europe pour les centres de recherche. Et nous en recueillons les fruits : Microsoft vient d’implanter un laboratoire à Lille, IBM à Sofia Antipolis et General Electric envisage de revenir en Île-de-France, région qu’il avait quittée.
Troisième objectif : stimuler l’effort d’innovation de nos PME. Alors qu’elles engagent 19 % des dépenses nationales de recherche et de développement, la part du crédit impôt recherche qui reviendra aux PME après la réforme s’élèvera à 35 %. Ce sont en fait plus de 450 millions d’euros supplémentaires de CIR dont bénéficieront 5 000 PME.
Quatrième objectif : développer des liens entre la recherche privée et publique. Contrairement aux idées reçues, une partie de la dépense fiscale découlant de la mise en œuvre du CIR revient dans les laboratoires publics. L’emploi des jeunes docteurs compte double dans le crédit d’impôt recherche.
Enfin, le CIR est désormais une arme anti-crise. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé le dégagement de 3,8 milliards d’euros de crédits supplémentaires pour payer en 2009 aux entreprises ce que l’État leur aurait payé sur trois ans. À 90 %, ce remboursement profitera à des PME.
M. David Assouline. Et combien pour Total ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous évaluerons ce dispositif, mais vous comprendrez que la première année de sa mise en application, l’évaluation n’est pas pertinente. Nous la ferons dans l’année qui vient.
M. Bodin et d’autres ont évoqué la question de la « mastérisation » des formations et des professeurs du premier et du second degré. Cette réforme du recrutement des maîtres à bac + 5 avec un mastère a été souhaitée par le ministre de l’enseignement supérieur pour revaloriser les carrières des enseignants du premier et du second degré. C’est une chance pour nos étudiants, pour nos futurs enseignants, qui auront de meilleures carrières et de meilleures rémunérations.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est de la théorie !
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est une chance pour nos enfants qui auront des professeurs mieux formés, à bac + 5,…
M. Pierre-Yves Collombat. Ils les ont déjà, les cinq ans d’études !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … et c’est aussi la norme pour tous les grands pays qui ont fait de l’éducation leur priorité !
Aujourd’hui, la concertation est en cours. Nous travaillons à faire en sorte que l’année de transition, 2010, se déroule dans de bonnes conditions, de manière à aboutir, en 2011, à une formation définitivement validée et approuvée par tous.
Quant aux IUFM, leur intégration à l’université va dans le sens de l’histoire. Tous les grands pays qui ont fait de l’éducation leur priorité forment leurs maîtres à l’université.
M. Jacques Legendre. Évidemment !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il faut donc que les IUFM prennent toute leur part dans la définition de ces nouvelles formations. C’est ce qu’ils font sur le terrain.
M. Pierre-Yves Collombat. Et les antennes locales ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Rassurez-vous, les antennes de proximité des IUFM conserveront leur rôle, sinon en tant qu’institution, du moins en tant que structure de formation de proximité, au plus près des classes et au plus près des territoires. La formation des maîtres en proximité des classes n’est pas remise en cause !
M. Pierre-Yves Collombat. Si ! Il n’y a plus de stages !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous mettons en place 20 000 bourses supplémentaires pour permettre à tous les jeunes étudiants de financer cette année supplémentaire. Ils pourront accomplir des stages rémunérés à hauteur de 3 000 euros et bénéficier de bourses au mérite d’un montant de 2 500 euros, qui viendront s’ajouter aux bourses sur critères sociaux de mon ministère.
M. Pierre-Yves Collombat. On le sait ! On lit le journal !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous répétez ce qu’il y a dans le journal !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je suis désolée de vous dire ici la même chose que ce que je dis dans les journaux ! Ce qui serait inquiétant, ce serait que je n’aie pas le même langage selon que je m’adresse à la presse ou à la représentation nationale !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous vous avons posé des questions !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ma dernière réponse est destinée à Mme Blandin. Puisque vous avez parlé, madame la sénatrice, de biodiversité, cela me donne l’occasion de rappeler, pour conclure, la priorité que la France lui a donnée et le rôle qu’elle joue dans ce domaine, sur le plan national comme à l’échelle internationale.
Cette année, nous avons mis en place une fondation de coopération scientifique nationale pour rassembler tous les acteurs scientifiques en faveur de la biodiversité.
Je me suis personnellement engagée auprès des instances internationales : j’ai milité, dans le cadre du G8, de l’Union européenne et du Programme des Nations unies pour l’environnement, en faveur de la création d’une sorte de groupe intergouvernemental d’experts sur la biodiversité, comme il en existe un sur l’évolution du climat. Il s’agit de lutter contre l’extinction des espèces dont le monde est actuellement le théâtre.
Je me bats aussi pour que le siège de ce groupe, qu’on appelle IPBES – Intergovernmental Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services –, soit à Paris, de manière à être en lien avec l’UNESCO. Il pourrait être accueilli dans les locaux du Musée de l’Homme, à la rénovation duquel nous consacrerons d’ailleurs, je le rappelle, 50 millions d’euros, car, contrairement à ce que certains d’entre vous prétendent, l’anthropologie et l’ethnologie ne sont pas pour moi des sciences inutiles ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question de même que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente. Je demande à chacun de bien respecter ce temps de parole.
déficits publics et augmentation des prélèvements obligatoires
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Ma question s'adresse à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
Monsieur le ministre, depuis quelques jours, la question de l’augmentation des prélèvements obligatoires fait débat, au sein même de la majorité. Nous l’avons vu ce matin à l’Assemblée nationale, et nous le verrons très certainement bientôt dans cette enceinte.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Hervé Maurey. Certaines personnalités suggèrent, en effet, de supprimer le bouclier fiscal, en tout cas de le modifier.
M. Jean-Patrick Courtois. Eh oui !
M. Thierry Foucaud. C’est une nécessité !
M. Hervé Maurey. D’autres proposent de créer, à l’instar de ce qui s’est fait aux États-Unis, un prélèvement supplémentaire sur les très hauts revenus.
M. Jean-Marc Todeschini. Il faut faire les deux !
M. Hervé Maurey. Un amendement en ce sens a été adopté hier par la commission des finances de l’Assemblée nationale.
Ces prises de position résultent, bien entendu, de la dégradation des déficits publics du fait de la crise économique.
M. Claude Domeizel. C’est sûr !
M. Jean-Marc Todeschini. Il n’y a pas que cela !
M. Hervé Maurey. Je rappelle que le projet de loi de finances rectificative pour 2009, dont nous allons débattre dans les prochains jours, portera le déficit budgétaire à 104 milliards d’euros et le total des déficits publics à 5,6 % du PIB. (M. Bernard Frimat s’exclame.)
Le projet de loi de finances initiale pour 2009 était fondé sur un déficit budgétaire de 52 milliards d’euros, c’est-à-dire deux fois moins, et sur un déficit public de 3,1 % du PIB, et ce voilà seulement six mois !
Ces initiatives répondent également à un souci d’équité et de justice fiscale, parce qu’il n’est pas anormal de considérer que, dans une période telle que celle que nous connaissons actuellement, un effort de solidarité supplémentaire peut être demandé à ceux qui en ont les moyens.
Le Président de la République, pour sa part, a déclaré qu’il n’avait pas été « élu pour augmenter les impôts ». Je souscris pleinement à cette affirmation, compte tenu du poids trop élevé des prélèvements obligatoires dans notre pays.
C’est d’ailleurs pourquoi j’avais émis quelques réserves lorsque nous avons créé, voilà quelques mois à peine, une nouvelle taxe pour financer le revenu de solidarité active, ou RSA.
Cependant, les circonstances exceptionnelles que nous connaissons à l’heure actuelle pourraient justifier, me semble-t-il, des mesures exceptionnelles, elles aussi, à condition naturellement qu’elles aient un caractère provisoire.
Monsieur le ministre, ma question est très simple. Dès lors que le Gouvernement n’envisage ni augmentation des impôts ni diminution des déductions fiscales, comment entend-il maîtriser et a fortiori réduire les déficits publics, sachant que la réduction des déficits et de la dette était aussi un engagement de Nicolas Sarkozy lors de la campagne pour l’élection présidentielle ? (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. Jean-Marc Todeschini. Il l’a oublié !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord d’excuser Éric Woerth, qui est retenu à l’Assemblée nationale pour la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2009.
Le niveau des déficits traduit, en effet, la gravité de la situation. Mais il faut bien voir que nous sommes confrontés à la fois à un déficit de crise et à un déficit structurel.
Il convient donc, d’une part, de s’assurer que le déficit dû à la crise reste bien temporaire et, d’autre part, de poursuivre les réformes afin de parvenir à réduire le déficit structurel.
On ne peut pas, même devant une crise de cette ampleur, mettre en péril la soutenabilité à moyen terme de nos finances publiques.
Cependant, il ne faut pas se tromper de solution : augmenter les impôts n’est pas une solution.
Lorsqu’on commence à augmenter les impôts des plus aisés, il n’est pas loin le temps où l’on augmentera les impôts de tous. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. C’est un peu léger !
M. Jean-Marc Todeschini. Il y a de la marge !
M. André Santini, secrétaire d'État. Je suis heureux de réjouir la gauche, qui a enfin trouvé une occasion de parader !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela le fait rire lui-même !
M. André Santini, secrétaire d'État. En cette période, la justice et l’efficacité me semblent mieux servies par une baisse des prélèvements sur les plus modestes que par une sanction appliquée aux plus riches. (M. Bernard Frimat s’exclame.)
Quant au bouclier fiscal, nous avons eu ce débat légitime voilà dix-huit mois. Un bouclier à 50 %, c’est tout simplement juste, monsieur le sénateur. Est-il interdit de réussir en France ?
M. Jean-Marc Todeschini. Ah non !
M. André Santini, secrétaire d'État. Silence à gauche ! (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La réussite matérielle doit-elle rimer avec expatriation ? Décourager l’effort et le travail ne peut pas être une solution.
La clé, c’est d’agir sur la dépense. Pour les dépenses visant à lutter contre la crise, nous avons mis en place un plan de relance rapide, temporaire et ciblé sur l’investissement. (M. Bernard Frimat s’exclame.) Ces dépenses ne dégradent pas « l’actif net » de la France et sont réversibles. Parallèlement, nous conservons une ferme maîtrise des dépenses courantes. (Mme Raymonde Le Texier rit.)
Nous poursuivons donc la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, et l’ensemble des réformes structurelles. Nous avons fait aussi des avancées majeures en matière de contrôle des niches fiscales et sociales. En outre, nous avons inscrit dans la loi de programmation des finances publiques une croissance des dépenses deux fois plus faible que celle qui a été enregistrée en moyenne par le passé.
Une relance efficace, ciblée, temporaire, préparant l’avenir, et une maîtrise sans précédent des dépenses courantes : voilà, monsieur le sénateur, comment nous pourrons sortir de la crise plus forts que lorsque nous y sommes entrés ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
le bouclier fiscal
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et porte sur le véritable scandale que constitue aujourd’hui le bouclier fiscal. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Marc Todeschini. Eh oui !
M. François Marc. Notre pays traverse une grave crise financière, économique et sociale.
Aujourd’hui, particulièrement, le peuple de notre pays gronde. Et je vous prie d’excuser l’absence de nombre de nos collègues, actuellement aux côtés des manifestants qui, par millions, défilent en France. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Josselin de Rohan. Ils devraient être ici !
M. Alain Gournac. Le Sénat, c’est ici !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a du monde dans les rues !
M. François Marc. Ne nous dites pas que ces protestations sont le fruit d’une mauvaise information sur la situation ! Les Français savent faire la part des choses : ils font très bien la différence entre ce dont vous êtes comptable et ce dont vous n’avez pas la maîtrise.
M. Roland Courteau. Effectivement !
M. François Marc. Les Français, que voient-ils aujourd’hui ? Ils constatent que la majorité d’entre eux connaissent de plus en plus de difficultés, des difficultés d’emploi,…
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François Marc. …de pouvoir d’achat, de logement, d’éducation, de santé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut leur dire d’écouter M. Santini !
M. François Marc. En même temps, les Français voient que des entreprises – certes pas toutes, loin de là – versent de gros dividendes tout en licenciant,…
M. Roland Courteau. C’est encore vrai !
M. François Marc. …que des dirigeants d’entreprise touchent des rémunérations indécentes,
M. Roland Courteau. Vrai aussi !
M. François Marc. …et que le gouvernement auquel vous appartenez ne cesse de protéger les plus aisés et d’alléger le poids des contributions dont ils sont redevables envers la communauté nationale !
Un sénateur socialiste. Eh oui !
M. François Marc. Ainsi, alors que le déficit budgétaire pour 2009 va battre tous les records – la prévision à ce jour est de 104 milliards d’euros –, alors que le Premier ministre annonce que « les caisses sont vides », ce gouvernement trouve néanmoins l’argent nécessaire pour envoyer 834 chèques d’un montant moyen de 368 000 euros – excusez du peu ! – à des contribuables très aisés.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme cadeau de fin d’année, c’est pas mal !
M. François Marc. Ce véritable scandale du bouclier fiscal illustre, à lui seul, la déraison de la politique fiscale de ce gouvernement : les impôts des plus modestes servent à faire des chèques aux plus riches ! (Voilà ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) On est très loin des grands principes de la République, mes chers collègues !
M. Jean-Marc Todeschini. Silence à droite ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Vous dites toujours la même chose ! C’est du Eugène Sue !
M. François Marc. En réclamant la suppression du bouclier fiscal,…
M. le président. Posez votre question, je vous prie.
M. François Marc. …nos concitoyens demandent à juste raison que l’on mette fin à ce dévoiement de la République.
Plusieurs sénateurs UMP. La question !
M. François Marc. Madame la ministre, si tant de voix s’élèvent aujourd’hui contre le bouclier fiscal, ce n’est pas uniquement pour une question de morale républicaine ; c’est aussi parce que le souci de lutter efficacement contre la crise…
M. Alain Gournac. La question !
M. François Marc. …et de mobiliser tous les Français à cette fin nécessite de pouvoir s’appuyer sur une vraie solidarité, une solidarité bien comprise, condition première de l’efficacité politique.
M. le président. Posez votre question !
M. François Marc. J’en viens à ma question, monsieur le président. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
Les gouvernements britannique et américain l’ont bien compris, en annonçant de prochaines hausses d’impôts pour les plus aisés.
Madame la ministre, le bouclier fiscal est injuste et antirépublicain.
M. Alain Gournac. Toujours pas de question !
M. François Marc. Quand allez-vous le supprimer ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. Tout de suite !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vois que le sujet passionne sur toutes les travées, puisqu’il donnera lieu à une troisième question tout à l’heure ; je vais m’efforcer de ne pas me répéter pour ne pas vous lasser ! (M. Roland Courteau s’exclame.)
Monsieur le sénateur, un bouclier à 50 %, c’est tout simplement juste ! Qui peut dire le contraire ? (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) C’est même une règle de valeur constitutionnelle chez plusieurs de nos voisins. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Non !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est une plaisanterie !
M. André Santini, secrétaire d'État. Il s’agit d’éviter que l’on ne travaille plus d’un jour sur deux pour l’État.
En face de cela, la majorité a bien veillé, grâce au plafonnement des niches fiscales, à ce qu’un contribuable ne puisse plus s’exonérer de l’impôt en cumulant les avantages fiscaux.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sympa !
M. André Santini, secrétaire d'État. Le bouclier fiscal de 2008, mesuré au 12 février 2009 – dernières données chiffrées disponibles –, représente 458 millions d’euros sur 7,7 milliards liés à la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un différentiel !
M. André Santini, secrétaire d'État. Entendons-nous bien, le bouclier fiscal, c’est 6 % du total lié à la loi TEPA, pas plus ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
La loi TEPA, ce sont d’abord des mesures pour le plus grand nombre, à commencer par les heures supplémentaires qui concernent tout le monde. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas la question !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a plus d’emplois !
M. André Santini, secrétaire d'État. À la vérité, nous trouvons ce débat un peu contre-productif. Gagner de l’argent en France est-il illégitime ? À question directe, réponse directe : non, bien sûr que non !
M. Pierre-Yves Collombat. Ça dépend comment on le gagne !
M. André Santini, secrétaire d'État. Et nous nous étonnons que vous la posiez en ces termes, monsieur le sénateur. Serions-nous pervertis au point de dénigrer ceux qui réussissent ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Seriez-vous prêt à montrer du doigt les chefs d’entreprise de votre circonscription qui réussissent, qui ont décidé d’y investir, d’y créer des richesses et de l’emploi. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils délocalisent !
M. André Santini, secrétaire d'État. Plafonner la pression fiscale, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est limiter le départ des Français vers des pays dont la fiscalité est moins élevée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Justement, ils partent tous les jours ! Comment expliquez-vous cela ?
M. Jean-Marc Todeschini. C’est un peu court !
Mme Nicole Bricq. Ils ne sont pas revenus !
M. Yannick Bodin. Ils sont à Coblence ! (Sourires.)
M. André Santini, secrétaire d'État. Nous croyons qu’il faut cesser la politique politicienne (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) et, disons-le, la démagogie pour en convenir tous ensemble : il y avait dans notre pays deux offenses à la justice fiscale, deux « péchés contre l’esprit ».
M. Jean-Marc Todeschini. La démocratie, c’est quoi ?
M. André Santini, secrétaire d'État. Le premier péché, c’était que l’on puisse payer plus de 50 % de son revenu, parfois même 100 % ou plus, en impôts annuels.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est surtout que l’on puisse avoir des revenus démentiels !
M. André Santini, secrétaire d'État. Le second péché, celui contre lequel personne n’avait trouvé de solution avant cette législature (Ah ! sur les travées du groupe socialiste), c’est que la multiplication et le déplafonnement de certaines niches fiscales permettaient à des contribuables de s’exonérer complètement d’impôt sur le revenu.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai : quand on est riche, on ne paie pas d’impôts !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État,… pour l’absolution. (Rires.)
M. André Santini, secrétaire d'État. …nous avons eu raison de le faire, et nous le revendiquons ! Cette vérité-là, nous aimerions que tout le monde s’attache à la rappeler ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Bel. Il n’est pas là !
M. Jean-Marc Todeschini. Il a mal au dos ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Vera. Je tiens tout d’abord à saluer le mouvement social, puissant et rassembleur, qui se déroule aujourd’hui et se traduit par de nombreuses manifestations réunissant plusieurs millions de salariés, soutenu par 80 % de l’opinion publique. La plupart des sénatrices et des sénateurs du groupe CRC-SPG sont d’ailleurs présents dans ces manifestations.
Ce mouvement est le signe évident de l’inquiétude et de la colère de la France qui travaille et qui crée les richesses, un signe qui appelle d’autres réponses que les « mesurettes » fort limitées annoncées par le Gouvernement.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Vera. Il participe aussi, après les succès des mouvements revendicatifs de l’outre-mer, d’une profonde et large aspiration à trouver, dans la situation de crise, d’autres solutions que la litanie des plans de licenciement, le développement du chômage partiel ou le blocage des salaires et des pensions.
Cette aspiration à la justice sociale est si forte qu’elle rend indécente l’existence du bouclier fiscal, comme celle des rémunérations et des bonus exorbitants des patrons du CAC 40 et des plus grandes entreprises !
Le bouclier fiscal est bel et bien un cadeau éhonté destiné à une infime minorité de privilégiés, au moment où la grande majorité du peuple de notre pays doit se serrer la ceinture !
Si le ministère des finances ose prétendre que les deux tiers des 14 000 bénéficiaires du bouclier fiscal sont de condition modeste, c’est pour mieux masquer que 834 ménages fortunés ont obtenu du Trésor public plus de 368 000 euros de remboursement en 2008, soit 300 années de SMIC par contribuable !
Au total, le bouclier fiscal coûte 458 millions d’euros. C’est plus que les crédits de rénovation urbaine et que les aides versées par le ministère de la jeunesse et des sports !
Affirmer que le bouclier fiscal a favorisé le retour des émigrés fiscaux est un pur effet d’affichage !
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue !
M. Bernard Vera. J’y viens, monsieur le président.
Les parlementaires de mon groupe, soucieux de l’équilibre des deniers publics et de la justice fiscale, ont déposé, le 15 octobre dernier, une proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal.
Ce texte est inscrit à l’ordre du jour du Sénat le 26 mars prochain, mais la majorité de droite semble décidée à empêcher son adoption
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Bernard Vera. Je regrette l’absence de M. le Premier ministre, comme celle des ministres concernés, mais ma question est simple : le Gouvernement va-t-il enfin entendre le peuple ?
Allez-vous supprimer cette disposition inique ? Appuierez-vous notre proposition d’abrogation du bouclier fiscal, qui viendra en débat le 26 mars ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Plusieurs sénateurs de l’UMP. André ! André !
M. Jean-Pierre Bel. Voilà l’épilogue !
M. Bernard Frimat. L’auteur du texte va-t-il changer ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. On connaissait le bis, on n’avait pas le ter ! (Sourires.)
Monsieur le sénateur Vera, je risque de représenter le Gouvernement le jour de l’examen de votre proposition de loi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors développez vos arguments !
M. André Santini, secrétaire d'État. C’est bien sûr ce que je vais faire !
Il n’est pas juste de stigmatiser les bénéficiaires du bouclier fiscal. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.) Ce sont des personnes qui ont un remboursement total de 458 millions d’euros, mais qui avaient préalablement payé plus de 1,1 milliard d’euros d’impôts ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les pauvres !
M. André Santini, secrétaire d'État. Je constate que votre cœur demeure inaccessible à ce genre de détresse, mais il faut néanmoins que les chiffres soient cités !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais combien gagnent-ils ?
M. André Santini, secrétaire d'État. Ils versaient plus de 80 %, voire 100 % de leurs revenus aux impôts, et leur contribution a été ramenée à 50 % !
L’impôt, monsieur le sénateur, est une affaire de citoyenneté,…
Mme Nicole Bricq. Ah oui ! Justement !
M. André Santini, secrétaire d'État. …non de confiscation ! Vous avez invoqué la justice : est-il juste de payer plus de 50 % de ses revenus en impôts ? Est-il juste de travailler plus d’un jour sur deux pour l’État ?
M. Jean-Marc Todeschini. C’est dur le métier de secrétaire d'État ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si, elle existe ailleurs !
M. André Santini, secrétaire d'État. En France, la coexistence d’un impôt sur le revenu élevé et d’un impôt sur le patrimoine également élevé impose de plafonner la pression fiscale, d’où l’instauration du bouclier fiscal, qui est un système juste.
La véritable injustice, c’était que certains contribuables puissent s’exonérer de l’impôt à travers l’utilisation excessive d’avantages fiscaux par le recours aux niches fiscales : c’est pourquoi nous avons décidé de plafonner ces dernières.
Enfin, monsieur le sénateur, en France, lorsqu’on gagne de l’argent parce qu’on a réussi, on n’est pas un voleur !
M. Bernard Vera. Qui a dit ça ?
M. André Santini, secrétaire d'État. Si l’on veut faire partir de la France toute sa richesse, alors il faut prendre les mesures que vous préconisez.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais ils partent !
M. André Santini, secrétaire d'État. À une époque de très grande mobilité du capital et de compétition très rude,…
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État.
M. André Santini, secrétaire d'État. …notamment entre pays européens, surtaxer aboutit en réalité à détaxer !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec les aides publiques, ils vont produire en Chine !
M. André Santini, secrétaire d'État. En 2007, les départs du territoire ont baissé de 15 % et les retours ont augmenté de 10 %. Ce coup de frein aux départs, c’est la première fois qu’on l’observe depuis 2000 et ce n’est pas un hasard si c’est la première année de mise en œuvre du bouclier fiscal ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste et sur les travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Très bien ! Remarquable !
politique agricole commune : le problème des zones intermédiaires
M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Henri de Raincourt. Ma question s’adressant au ministre de l’agriculture, elle se situe sur un autre registre que celui sur lequel nous « entonnons » depuis la reprise de la séance ! (Sourires.)
Il s’agit d’une question agricole et M. Karoutchi y répondra. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas M. Santini, spécialiste de l’agriculture, qui va le faire ? (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. André Santini, secrétaire d'État. Si cela peut vous faire plaisir, madame la sénatrice ! (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. Le ministre de l’agriculture nous a présenté, il y a peu, les modalités de mise en œuvre du bilan de santé de la politique agricole commune, la PAC, au terme d’une très longue concertation.
Près de 1, 4 milliard d’euros d’aides directes reçues par les agriculteurs seront réorientées en 2010 pour consolider l’économie et l’emploi dans les territoires, pour soutenir l’élevage à l’herbe, pour prévoir un développement durable et pour instaurer la gestion des risques.
La profession sait qu’il est indispensable d’adapter la politique agricole commune dans la perspective de 2013.
Cependant, en abordant le financement des quatre objectifs que je viens de rappeler, on s’aperçoit que les prélèvements de solidarité, en particulier sur les cultures végétales, risquent de créer de vraies difficultés aux « zones intermédiaires », qui ont des rendements moyens sur des sols relativement médiocres, sur lesquelles sont implantées le plus souvent des exploitations elles-mêmes de taille moyenne.
Les conséquences pourraient conduire à supprimer ces soutiens indispensables à la survie de nombreuses exploitations, qui pourraient perdre jusqu’à 80 euros à l’hectare.
Je souhaite vous poser trois questions.
Comment faire évoluer le système pour qu’il prenne en compte la diversité de nos régions et assure à nos céréaliers, quelle que soit la région, la juste rétribution de leur travail ?
Pourrait-on envisager une mise en application progressive sur la période 2010-2013 des mesures qui ont été prises ?
Pourrait-on accompagner financièrement les exploitations de type « spécialisé » ou « polyculture–élevage », ayant des surfaces consacrées aux productions végétales, qui s’engageraient sur les axes de développement de la biodiversité ou de réduction de la dépendance énergétique grâce à des choix culturaux ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Bernard Frimat. Un élu d’un département agricole ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de Michel Barnier. Il aurait eu bonheur et plaisir à vous répondre, mais il est aujourd'hui à Bruxelles, en négociation justement sur la PAC. (Mme Nicole Bricq et M. Jean-Marc Todeschini s’exclament.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’est pas à la manif ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Henri de Raincourt, vous avez exprimé plusieurs inquiétudes auxquelles le Gouvernement est très sensible.
Premier point, malheureusement, et vous le savez, la réorientation des aides de 1,4 milliard d’euros ne peut pas être appliquée avec progressivité. Elle interviendra donc sur les aides payées en décembre 2010. Il s’agit d’un accord européen, et nous ne disposons pas d’une entière liberté.
Cependant, le ministre de l’agriculture est très attentif à la situation des départements des secteurs intermédiaires, qui sont, en réalité, les secteurs les plus en difficulté par rapport au rééquilibrage et à la réorientation.
Michel Barnier a mis en débat, dans le cadre des groupes de travail, la situation des territoires intermédiaires, qui ont des niveaux de soutien et de revenus plus faibles que les régions à fort potentiel, et plus forts que les régions qui connaissent de vraies difficultés. Ces territoires intermédiaires sont ceux qui ont le plus de problèmes par rapport à la réorientation des aides.
Diverses voies ont été ouvertes et sont à l’étude. M. le ministre de l’agriculture annoncera au début du mois d’avril un certain nombre de mesures.
Parmi ces voies à l’étude, il convient de citer la réattribution prioritaire d’une partie des aides aux grandes cultures – vous avez évoqué, monsieur le sénateur, les zones végétales et céréalières –, l’accompagnement de la réorientation des systèmes de production, l’engagement sur un développement durable – nous en avons parlé dans le cadre du Grenelle 1 et nous aurons l’occasion d’aborder de nouveau le sujet, car il faut peut-être faire des efforts en la matière.
Les décisions qui vont être prises et qui seront annoncées pour partie au début du mois d’avril doivent préfigurer de nouveaux modes de soutien pour notre agriculture et engagent sur la voie d’une sortie progressive de références historiques qui ne peuvent plus être des références actuelles.
La pire des solutions pour notre agriculture serait le statu quo. Nous allons donc, et le ministre de l’agriculture s’y est engagé, avec vous et l’ensemble des acteurs, essayer de définir des politiques prioritaires pour les zones intermédiaires.
Monsieur de Raincourt, soyez assuré que le Gouvernement prend bien en considération la situation particulière des zones intermédiaires dont vous êtes l’un des porte-parole les plus émérites. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
crise économique et situation de l'emploi
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite interroger le Gouvernement sur sa politique économique et sociale dans une situation de crise grave pour notre pays, pour nos territoires et pour tous les Français.
Alors que les effets annoncés du plan de relance se font toujours attendre, en particulier pour ceux, de plus en nombreux, qui souffrent d’une forte diminution de leur pouvoir d’achat, vous vous refusez toujours à agir sur la consommation, privilégiant le seul investissement.
C’est pourquoi je vous invite à lire le récent rapport du Sénat, rédigé par notre collègue Bernard Angels, dans lequel ce dernier démontre qu’une relance directe par la consommation serait d’une grande et d’une rapide efficacité.
Les faits et les chiffres sont là : les entreprises licencient, ajoutant la crise sociale à la crise industrielle.
Alors, pourquoi persistez-vous dans la mauvaise direction ?
Avec mes collègues radicaux de gauche et la majorité du groupe RDSE, je partage les inquiétudes des Français qui s’expriment, avec force, aujourd’hui, dans tout le pays sur les conséquences de la politique qui est menée, en particulier sur les orientations prises en matière d’emploi et de pouvoir d’achat pour les plus modestes.
Cette politique et les priorités retenues enfoncent chaque jour un peu plus les Français dans la précarité, l’appauvrissement et l’incertitude.
Dans le secteur public, la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques est synonyme de réduction drastique des emplois sur l’ensemble du territoire, y compris en zone rurale et dans les quartiers sensibles. Je pense, en particulier, aux secteurs de la santé, de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans tous ces domaines, force est de constater que notre pays régresse.
Dans le secteur privé, 400 000 chômeurs supplémentaires sont déjà annoncés pour 2009. Les indicateurs sont au rouge et les réponses du Gouvernement sont insuffisantes, quand elles ne sont pas inadaptées.
M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue.
Mme Françoise Laborde. Dans ces conditions, combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que Gouvernement ne prenne la mesure de la crise qui frappe les Français ?
Quand allez-vous cesser de gérer la crise et quand interviendrez-vous enfin avec force et détermination ?
Quand allez-vous préférer le bouclier social à l’injuste et si indécent bouclier fiscal ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Quand allez-vous agir sur le seul véritable levier de relance qui soit : la consommation ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Madame le sénateur Françoise Laborde, nous ne partageons pas votre analyse (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) et l’histoire nous donne raison ! Vous connaissez l’échec historique du plan de relance par la consommation engagé par le président Mitterrand dans les années 1980. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. Pierre-Yves Collombat. Mais c’est faux !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Ce plan a entraîné un recentrage de la politique économique, largement commenté dans les manuels de science économique, qui nous instruit sur l’inanité d’une relance par la consommation.
M. Pierre-Yves Collombat. Cela figure dans les manuels, mais c’est faux !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Nous avons préféré la relance par l’investissement en choisissant, en premier lieu la réactivité,…
M. Jean-Marc Todeschini. Les riches !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. …avec un plan qui est aujourd’hui l’un des plus puissants de ceux qui sont engagés par tous les pays de l’Union européenne. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Vera. Cela ne marche pas !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres qu’il ne faut pas oublier, madame le sénateur. Cette crise n’est pas française…
M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas vrai !
M. Thierry Foucaud. Trois points de récession !
M. Pierre-Yves Collombat. Personne n’y est pour rien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Vos amis socialistes espagnols en sont aujourd’hui, sur le seul mois de janvier, à 350 000 chômeurs supplémentaires ! Vos amis travaillistes anglais traversent une des crises les plus profondes de leur histoire. Aussi, il ne sert à rien de dénoncer les responsabilités de tel ou tel gouvernement !
Un sénateur socialiste. Mais si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourtant, vous trouviez que la Grande-Bretagne et l’Espagne avaient une bonne politique !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Nous avons donc été parmi les plus réactifs de l’Union européenne.
Quand vous dites que nous ne faisons rien pour l’emploi,…
Mme Nicole Bricq. Vous ne faites pas assez !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. …je voudrais vous rendre attentive au fait que les moyens de la politique de l’emploi ont été augmentés de près de 25 % depuis le début de la crise.
M. Bernard Frimat. Et le nombre de chômeurs ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Nous avons augmenté les allocations de chômage partiel, qui sont passées de 60 % à 75 % du salaire brut.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas assez !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout le monde travaille à temps partiel !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Nous avons aidé les salariés qui ont perdu leur emploi à « rebondir » par une meilleure indemnisation et des formations renforcées.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Enfin, nous soutenons l’emploi. Nous y consacrons un dispositif qui rencontre un grand succès (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste),…
Plusieurs sénateurs socialistes. Oh !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. …le dispositif « zéro charge », dédié aux très petites entreprises, qui bénéficie déjà de 3 000 embauches par jour.
Voilà la réalité, qui est bien éloignée de la description que vous faites de la situation de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
plans sociaux et licenciements
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Des centaines de milliers d’emplois sont menacés et supprimés, dans l’agro-alimentaire, la chimie, l’automobile, la distribution et de nombreuses industries : Continental, Total, Sony à Pontonx, Mamor et tant d’autres entreprises. Mes collègues Jean-Louis Carrère et André Vantomme, notamment, ne me démentiront pas.
Certaines entreprises qui ont perçu des fonds publics se sont même délocalisées !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Roland Courteau. L’exemple le plus frappant est Total, qui, avec 14 milliards d’euros de profits, ose annoncer plus de cinq cents suppressions d’emplois. Un autre exemple est Continental, qui a trompé ses salariés, en leur promettant des investissements en échange de sacrifices et qui, maintenant, les envoie au chômage !
Le seul objectif de ces groupes est non seulement le profit, mais la distribution des dividendes aux gros actionnaires et le maintien des rémunérations pharaoniques des dirigeants. Tant pis pour les salariés sacrifiés ! Face à un tel cynisme, que fait le Gouvernement ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Rien !
M. Roland Courteau. Il parle d’annonce maladroite, il affirme qu’il sera exigeant, vigilant… La belle affaire !
M. Sarkozy déclare qu’un nouveau type de capitalisme va se mettre en place et qu’il n’admet pas que les entreprises profitent de la crise pour se restructurer et supprimer des emplois. En réalité, rien ne se passe !
La France a perdu 107 000 emplois, au dernier trimestre de 2008, et l’assurance chômage annonce 400 000 destructions d’emplois pour 2009. Mais le Gouvernement refuse de reconnaître ses erreurs : le boucher fiscal, par exemple (Ah ! sur les travées de l’UMP), qui ne crée aucun emploi, nous coûte des milliards d’euros et permet aux plus riches d’échapper à l’impôt sur leurs dividendes.
M. Alain Gournac. C’est reparti !
M. Roland Courteau. Notez que le Gouvernement se garde bien de présenter un projet de loi qui permettrait aux comités d’entreprise de se prononcer non pas sur le contenu d’un plan social, mais sur son utilité économique, et d’évaluer les dégâts sociaux qu’il va provoquer.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue !
M. Roland Courteau. Le Gouvernement n’exige même pas des entreprises qui bénéficient des exonérations de cotisations sociales qu’elles signent des accords salariaux ou de maintien de l’emploi. Or l’Union européenne n’interdit pas de tels accords !
Quand allez-vous réagir enfin concrètement contre les pratiques scandaleuses de ces entreprises qui ont perçu des fonds publics et qui engrangent des bénéfices colossaux ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Monsieur le sénateur Roland Courteau, j’approuve le début de vos propos (Exclamations sur les travées du groupe socialiste)…
Mme Bariza Khiari. C’est déjà ça !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. En effet, nous connaissons aujourd’hui – qui pourrait le nier ? – une augmentation sensible du nombre de plans sociaux dans notre pays et une hausse des inscriptions au chômage pour licenciement économique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est facile !
M. Jean-Marc Todeschini. Ce n’est pas vrai !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. …qui se traduit dans l’ensemble des pays par des plans sociaux de grande ampleur et une augmentation du chômage : en Espagne, par exemple. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, ce pays a enregistré 350 000 demandeurs d’emploi supplémentaires au mois de janvier. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourtant vous disiez que c’était très bien, l’Espagne !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Vous dites que nous avons peu fait, mais notre pays se distingue d’autres pays de l’Union européenne, monsieur le sénateur, par les obligations très fortes qui pèsent sur les entreprises dans l’établissement des plans sociaux.
Permettez-moi de rappeler, car vous semblez l’avoir oublié, qu’une entreprise de plus de mille salariés qui procède à des licenciements doit respecter des obligations financières en termes de revitalisation des territoires. Quant à celles de moins de milles salariés, elles doivent proposer à leurs personnels des conventions de reclassement personnalisé.
Évidemment, le Gouvernement ne se borne pas à veiller à la bonne application des dispositions légales, il fait tout pour éviter au maximum ces suppressions d’emplois,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. …en facilitant le recours à l’activité partielle pour les entreprises en difficulté, parce que tout vaut mieux que le chômage. C’est nous – et non pas vous ! – qui avons amélioré l’indemnisation du chômage partiel, laquelle est passée de 50 % à 60 % puis 75 % du salaire brut. Cela mérite d’être souligné.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Nous avons aussi permis aux salariés de « rebondir » par l’extension à de nouveaux bassins du contrat de transition professionnelle. Vous n’en avez pas parlé, je le regrette, monsieur le sénateur.
M. Jean-Pierre Bel. Allez voir sur le terrain !
M. Jean-Marc Todeschini. Et en Moselle ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le Gouvernement refuse toute forme de fatalisme en matière d’emploi, mais il ne se livre pas, comme vous, à des incantations, en attribuant à telle ou telle mesure la responsabilité d’une crise qui est malheureusement mondiale. Or vous vous acharnez à nier ce caractère ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Vous avez tort car, lorsque nous sortirons de la crise, nous en sortirons plus forts grâce à nos mesures et non grâce à vos incantations ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le haut-commissaire à la jeunesse.
Je voudrais rappeler au préalable que le nombre de jeunes sans emploi est malheureusement beaucoup plus élevé en France qu’ailleurs. Pourquoi ? Parce que notre système de formation scolaire est devenu inadapté aux motivations de certains de nos jeunes…
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Serge Dassault. …qui souhaiteraient suivre une formation plus professionnelle que théorique ! Le collège unique est un échec puisque, chaque année, 140 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune formation professionnelle ! Ils deviennent chômeurs, voire délinquants (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG),…
M. Jean-Marc Todeschini. Il ne manquait plus que ça !
M. Serge Dassault. …alors que de nombreux emplois professionnels restent inoccupés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Des chômeurs délinquants !
M. Jean-Pierre Bel. C’est extraordinaire !
M. Serge Dassault. Je crois que vous n’habitez pas dans les communes concernées, mes chers collègues !
Il existe une solution : l’apprentissage, qui forme à des métiers, au lieu du passage obligatoire par le bachot, lequel ne mène, le plus souvent, à aucun emploi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les apprentis qui ne trouvent pas d’emploi ?
M. Serge Dassault. Mais ce problème concerne plus le ministre de l’éducation nationale, M. Darcos, qui devrait y réfléchir.
Si l’on veut développer l’apprentissage, il faudrait aussi modifier notre système de formation scolaire et faire en sorte que les apprentis puissent trouver une entreprise pour les accueillir, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
M. Yannick Bodin. Ça, c’est vrai ! Parlez-en à vos collègues !
M. Serge Dassault. Car, si les entreprises de plus de 250 salariés sont obligées d’accepter des apprentis, rien n’est prévu pour les plus petites.
Alors, monsieur le haut-commissaire, je voudrais simplement vous proposer d’abaisser ce seuil à cinquante salariés (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame), de façon à augmenter le nombre d’entreprises pouvant accueillir des apprentis, et réduire ainsi le chômage des jeunes.
Je voudrais aussi ajouter que des modifications récentes au code du travail obligent le chef d’entreprise à demander l’avis du médecin du travail sur les machines tournantes mises à la disposition des apprentis de moins de dix-huit ans. La plupart de ces entreprises, petites et moyennes entreprises et très petites entreprises, y renoncent devant le coût, les difficultés de paiement et d’obtention des visites par la médecine du travail surchargée. C’est pourquoi les chefs d’entreprise ne veulent plus accueillir d’apprentis de moins de dix-huit ans.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En voilà une explication !
M. Serge Dassault. L’abaissement à cinquante salariés du seuil à partir duquel les entreprises sont obligées d’accueillir des apprentis devrait donc être assorti d’une modification du code du travail pour les apprentis de moins de dix-huit ans, car la disposition que j’ai évoquée bloque totalement leur formation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse. Monsieur le sénateur Serge Dassault, nous connaissons tous ici votre engagement en faveur de l’emploi des jeunes, notamment au niveau local.
M. Jean-Marc Todeschini. Trop, c’est trop !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je partage pleinement votre volonté de soutenir le développement des formations en alternance et, notamment, l’apprentissage et le contrat de professionnalisation.
M. Daniel Raoul. Cirer les pompes, c’est un métier !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. En effet, nous savons que ces solutions sont efficaces : l’alternance est un vrai passeport pour l’emploi.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Elle est plébiscitée par les employeurs comme par les jeunes, puisque huit jeunes sur dix qui s’engagent dans cette voie trouvent un emploi à l’issue !
M. Charles Revet. Exactement !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Vous avez raison de dire qu’il faut soutenir cette formule et en réviser les conditions parce que aujourd’hui, en période de crise, le nombre de places de formation en alternance diminue.
Le développement de l’apprentissage ces dernières années a été favorisé notamment par un ensemble de mesures prises depuis 2005, qui doivent beaucoup à l’action du président Larcher, lorsqu’il était secrétaire d’État au travail et à Jean-Louis Borloo (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP),…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Encore un coup de brosse à reluire !
M. Jean-Marc Todeschini. C’est un métier !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. …je veux parler du crédit d’impôt de 1 600 euros, de la revalorisation du statut d’apprenti, des campagnes de promotion de l’apprentissage, de la création d’un fonds national de modernisation de l’apprentissage – toutes ces initiatives avaient été, je crois, approuvées par l’opposition et la majorité – et, enfin, du quota de 3 % de jeunes en formation en alternance dans les entreprises de plus de 250 salariés, à défaut de quoi celles-ci encourent une majoration de 0,1 % de la taxe d’apprentissage.
Il nous faut poursuivre dans cette voie et la commission de concertation sur l’autonomie des jeunes a créé un groupe de travail spécifique sur ce sujet, en liaison avec Laurent Wauquiez.
La proposition d’être plus exigeant avec les entreprises de moins de 250 salariés mérite cependant réflexion, afin d’éviter qu’elle ne se retourne contre ces petites entreprises. En effet, plusieurs éléments doivent être pris en considération : en premier lieu, il faut pouvoir mesurer la réalité de l’effort de l’entreprise en matière d’apprentissage. Aujourd’hui, nous appliquons la règle du « tout ou rien » : on traite de la même façon l’entreprise qui respecte un quota de 2,8 % et celle qui se limite à 0,2 % ; elles sont soumises à la surtaxe dans les mêmes conditions.
Il faut aussi prendre en compte la durée de la présence des jeunes dans l’entreprise au cours de l’année et vérifier que le quota d’apprentissage reste relativement constant.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le haut-commissaire !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous sommes donc d’accord pour approfondir cette question afin d’envisager si nous pouvons décider, en opportunité, d’abaisser ce seuil.
J’ajouterai un dernier mot sur les conditions de sécurité applicables aux jeunes de moins de dix-huit ans pour l’utilisation des machines-outils : vous comprendrez bien que nous ne pouvons pas nous permettre de vider de leur substance ces contraintes de sécurité, surtout s’agissant de jeunes. Ce sont des questions de sécurité et de responsabilité extrêmement importantes : nous avons réussi à faire baisser le taux d’accidents du travail, il ne faut pas le faire repartir à la hausse ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
fonctionnement des pôles emploi
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité et porte sur les graves difficultés de fonctionnement rencontrées par Pôle emploi.
En effet, Pôle emploi, issu de la fusion de l’Agence nationale pour l’emploi, l’ANPE, et du réseau des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, les ASSEDIC, a été créé pour être plus efficace et plus réactif dans le service offert aux demandeurs d’emploi. Mais force est de constater que, un an et demi après l’annonce par le chef de l’État de la fusion de l’ANPE et de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, l’UNEDIC, Pôle emploi est inefficace et, même, inopérant.
Du fait de l’augmentation importante du taux de chômage, les chômeurs doivent faire face aux standards téléphoniques saturés, aux retards dans le traitement des dossiers, aux délais qui s’allongent pour décrocher un premier rendez-vous, et les appels téléphoniques sont surtaxés ! Au sein des services de Pôle emploi, 68 000 dossiers d’indemnisation de demandeurs d’emploi sont en retard de traitement. Alors que le chômage explose, le Gouvernement reste de marbre !
Avec 250 000 demandeurs d’emploi supplémentaires en quatre mois, Pôle emploi doit faire face à un raz-de-marée sans précédent ! Tous les experts prévoient que le taux de chômage dépassera la barre des 10 % au début de l’année 2010, voire avant la fin de cette année. Autre signal inquiétant : la progression rapide, de 0,6 point sur un trimestre, du taux de chômage de la tranche d’âge de vingt-cinq à quarante-neuf ans. En outre, on observe une augmentation du chômage des personnes qualifiées et diplômées, âgées de quarante à cinquante ans.
Il est certain que l’afflux des chômeurs va provoquer une tension encore plus forte sur Pôle emploi. En effet, ses 45 000 agents sont déjà en surcharge de travail et doivent, dans le même temps, se former pour exercer leur nouveau rôle.
Aujourd'hui, un conseiller de Pôle emploi est chargé de 120 chômeurs environ. On est loin de l’objectif, qui était d’un conseiller pour 60 chômeurs. La fusion n’a pas été suffisamment anticipée.
M. le président. Posez votre question, madame le sénateur.
Mme Patricia Schillinger. La crise ne justifie pas tous les problèmes de dysfonctionnement interne de ce nouvel organisme. L’insuffisance du nombre de ses agents est intolérable. L’inscription, l’indemnisation et l’accompagnement des chômeurs sont les missions que devrait remplir Pôle emploi : on en est bien loin !
Face à la dégradation des conditions de travail, il faut prendre des mesures d’urgence pour augmenter les effectifs.
Monsieur le secrétaire d’État, la situation s’aggrave et le Gouvernement n’apporte pas de réponse adaptée. Il a mis en œuvre des mesures inefficaces,…
M. Roland du Luart. La question !
Mme Patricia Schillinger. …alors qu’il devrait tout faire pour faciliter la recherche d’emploi.
M. le président. Votre question, madame le sénateur !
Mme Patricia Schillinger. Dans un contexte aussi difficile, il est essentiel de disposer d’un grand service de l’emploi moderne et performant, capable d’orienter les demandeurs d’emploi et de leur fournir un interlocuteur.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est la suivante : quelles mesures d’urgence le Gouvernement entend-il prendre pour pallier ces dysfonctionnements ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Madame Schillinger, la mise en place de Pôle emploi, qui a été annoncée il y a quelques mois, est effective depuis le 1er janvier dernier. Nous offrons désormais aux demandeurs d’emploi un seul interlocuteur pour le placement et pour l’indemnisation, un seul système d’aides et un accompagnement renforcé grâce à la mutualisation des moyens. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
J’ajoute qu’a été confiée à Pôle emploi la gestion du dispositif « zéro charge » pour toutes les embauches dans les très petites entreprises en 2009.
L’ensemble des simplifications apportées seront mises en place d’ici au mois de septembre,…
M. Bernard Frimat. Pôle emploi est injoignable par téléphone ! Essayez de l’appeler !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. …avec 100 % de guichets uniques d’ici à l’été et la généralisation de l’entretien unique et des référents uniques à la rentrée.
Il ne s’agit pas de nier les difficultés. Mettre en place une telle nouveauté dans le paysage social français n’est, bien évidemment, pas si facile ! Le Gouvernement a conscience des tensions fortes et de la surcharge de travail que cela entraîne pour les 45 000 agents de Pôle emploi.
M. Bernard Frimat. Il est injoignable !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Nous ne voulons pas critiquer leur action ; bien au contraire, je tiens à saluer ici le travail exemplaire qu’ils fournissent.
Afin de faire face à l’augmentation du nombre de dossiers, Pôle emploi a procédé, à la demande du Gouvernement, à des recrutements en CDD et a mobilisé ses agents, y compris le samedi. Grâce à ces mesures, – je souhaite le préciser, madame le sénateur, car vous ne semblez pas le savoir – le nombre de dossiers en attente dont vous avez fait état est retombé aujourd'hui à 58 000,…
M. Roland Courteau. Quand même !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. …ce qui est le niveau normal. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je tiens à le souligner, il n’y a aucun retard en matière de versement de l’indemnisation chômage (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées), ce qui me semble naturel et important.
Par ailleurs, le Gouvernement étudie la demande d’un renfort des effectifs de Pôle emploi, permettant ainsi de garantir aux demandeurs d’emploi un accompagnement adapté.
Vous avez parlé des difficultés du 39 49,…
Mme Patricia Schillinger. Absolument !
M. Bernard Frimat. Eh oui !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. …le numéro d’appel unique. Il est vrai que le nombre très élevé d’appels reçus – plus de 1 million – a entraîné des difficultés, ce que nous ne cherchons pas à nier. Nous avons fait en sorte d’y apporter les réponses techniques nécessaires. Je vous indique que le taux d’aboutissement des appels est désormais de plus de 70 %, avec toutefois des disparités régionales encore importantes.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Bernard Frimat. Et la surtaxe ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Madame le sénateur, cette réforme qui consistait à créer un interlocuteur unique, cela fait plus de vingt ans qu’elle était demandée. Il y a, d’un côté, le ministère de la parole et, de l’autre, le ministère de l’action : nous l’avons fait ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Muguette Dini applaudit également ; Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Marc. Cela fait sept ans que vous êtes au pouvoir !
changement de statut des fonctionnaires de la poste
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Ma question s'adresse à M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le président, pardonnez mon audace : je voudrais, avant de poser ma question, remettre à M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, mon badge de la candidature de la ville d’Annecy à l’organisation des jeux Olympiques d’hiver de 2018 ! (M. Pierre Hérisson se lève et joint le geste à la parole. – Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. Nous nous réjouissons du choix du Comité national olympique français.
M. Pierre Hérisson. Merci, monsieur le président !
M. Jean-Marc Todeschini. Moi, j’ai un badge « Sauvons la recherche », je vais le porter !
M. Pierre Hérisson. J’en viens à ma question.
L’article 48 de la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique a ouvert aux fonctionnaires de La Poste la possibilité d’être intégrés dans les corps ou cadres d’emplois de la fonction publique de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière.
M. Bernard Frimat. La question !
M. Pierre Hérisson. Cet article limite néanmoins dans le temps ce dispositif spécial de mobilité entre les fonctions publiques, en fixant comme date butoir le 31 décembre 2009. Cette date avait été retenue par référence à celle qui a été fixée à l’article 5 de la loi du 31 décembre 2003, qui ouvrait la même possibilité pour les fonctionnaires de France Télécom.
M. Daniel Raoul. C’est quoi, la question ?
M. Pierre Hérisson. Toutefois, une des principales caractéristiques de ce dispositif tient au fait que la demande de l’agent pour intégrer le corps d’accueil choisi ne peut se concrétiser qu’à l’issue d’une période d’une année comprenant quatre mois de mise à disposition en guise de stage probatoire puis huit mois de détachement.
Or, l’article 29-5 créé à l’article 48 précité dispose que les fonctionnaires de La Poste peuvent être intégrés sur leur demande jusqu’au 31 décembre 2009.
Cependant, dans ces conditions, les fonctionnaires de La Poste désireux de s’engager dans ce dispositif ne peuvent plus le faire depuis le 31 décembre 2008.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, que puis-je répondre à mon postier haut-savoyard (Ah ! sur les travées du groupe socialiste)…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y aura plus de postier bientôt !
M. Pierre Hérisson. …qui a un projet professionnel dans la fonction publique territoriale et qui s’inquiète de savoir s’il pourra bénéficier en 2009, comme ses collègues l’an passé, du dispositif de détachement dérogatoire facilitant sa mobilité vers une autre fonction publique ?
Ma question est donc la suivante : le dispositif de détachement dérogatoire de La Poste est-il effectivement opérationnel en 2009 et envisagez-vous de le proroger ? Je vous remercie par avance de votre réponse. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Claude Biwer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur Hérisson, merci de ne pas m’interroger sur le bouclier fiscal ! La leçon a apparemment porté, chacun est maintenant parfaitement informé.
M. Jean-Marc Todeschini. M. le secrétaire d’État fait de la provoc, monsieur le président !
M. Pierre Hérisson. En l’occurrence, c’est le bouclier postal ! (Sourires.)
M. André Santini, secrétaire d'État. Comme vous venez de le rappeler, la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique a ouvert aux fonctionnaires de La Poste la possibilité d’être intégrés dans la fonction publique de l’État, dans la fonction publique territoriale ou dans la fonction publique hospitalière, à l’instar d’ailleurs de ce qui a été fait pour France Télécom.
Vous soulignez une difficulté réelle dans l’application de ce dispositif, qui n’est plus opérationnel depuis le 31 décembre 2008.
Je vous confirme que le Gouvernement souhaite permettre aux fonctionnaires de La Poste qui le demandent d’entrer dans ce dispositif jusqu’au 31 décembre 2012, afin d’aligner la durée totale de ce dispositif sur celle qui avait été offerte aux fonctionnaires de France Télécom. Il faut modifier les dispositions actuelles pour permettre ce prolongement.
M. Éric Woerth et moi-même avons écrit en ce sens à Jean-Paul Bailly, président de La Poste, le 27 octobre dernier, pour formaliser cet engagement. Nous allons aussi écrire à Jean Courtial, conseiller d’État, président de la commission de classement de La Poste – commission administrative placée sous l’autorité du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi – pour lui indiquer que le Gouvernement prendrait, dans le courant de l’année 2009, la disposition législative nécessaire afin de proroger le dispositif.
Il est en effet indispensable que la commission chargée de cette question puisse continuer d’instruire les dossiers pour que les fonctionnaires de La Poste qui souhaiteraient revenir vers la fonction publique ne soient pas pénalisés, comme le postier haut-savoyard auquel vous avez fait référence et que je tiens à saluer, dans l’attente d’un véhicule législatif approprié. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et porte sur la concrétisation des garanties données aux instituts universitaires de technologie, IUT, quant à leurs moyens de fonctionnement.
Lorsque nous avons réfléchi à la révision du mode de calcul des dotations budgétaires attribuées par l’État aux universités, nous avons voulu afficher l’ambition d’aboutir à une plus grande équité et à une efficacité accrue de l’utilisation des moyens.
Dans notre rapport, que nous avons rendu en juin dernier au nom de la commission des finances et de la commission des affaires culturelles, avec Jean-Léonce Dupont, nous avons préconisé une enveloppe financière globale allouée par l’université à ses IUT afin de leur permettre de mettre en œuvre leurs projets.
Madame la ministre, je sais l’action déterminante qui est la vôtre pour prendre en compte nos recommandations, mais j’aimerais connaître l’état d’avancement des garanties promises par le Gouvernement.
Je pense, par exemple, au pourcentage des modes de financement reposant sur la performance, et notamment l’insertion professionnelle. Je songe également à la prise en compte du coût plus élevé de la formation dans les IUT.
Je vous remercie de nous apporter des réponses susceptibles de conforter les directeurs d’IUT et les étudiants, et ainsi de les rassurer sur la pérennité du financement de ces établissements qui, je le rappelle, jouent un rôle majeur dans notre système d’enseignement compte tenu de leur succès en matière de professionnalisation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Adnot, les instituts universitaires de technologie sont l’un des piliers de notre système d’enseignement supérieur et l’une des filières de réussite. Dispensant une formation de qualité et de proximité, ils participent à la dynamique de chacun de nos territoires et ont des résultats impressionnants en matière d’insertion professionnelle.
Cette réussite doit être préservée. Cela signifie que les universités autonomes doivent tenir compte des spécificités des IUT. C’est pourquoi j’ai souhaité que les présidents d’université et les directeurs d’IUT signent une charte pour mettre en œuvre leurs bonnes relations futures. Pour donner toute sa force à cette charte, je vais lui conférer une valeur réglementaire. Elle sera adressée dès demain à tous les présidents d’université et directeurs d’IUT.
Il faut que les IUT aient les moyens, financiers et humains, de s’épanouir dans le cadre des universités autonomes ; ils les auront ! Un contrat d’objectifs et de moyens va être négocié entre le président de l’université et le directeur de l’IUT, et il sera transmis en juin prochain à mon ministère. D’ores et déjà, tous les présidents d’université se sont engagés pour 2009, mais aussi pour 2010, à maintenir a minima les moyens actuels de chacun de leurs IUT. Quant à l’État, vous le savez, monsieur Hérisson, il a accordé 5 millions d’euros de crédits supplémentaires aux IUT cette année, pour améliorer l’accueil des bacheliers technologiques et faire fonctionner l’ascenseur social. Ces 5 millions d’euros seront reconduits en 2009.
Par ailleurs, dans le cadre du plan de relance, j’ai le plaisir de vous annoncer que 10 millions d’euros seront spécifiquement affectés à l’équipement des IUT.
Enfin, les IUT seront associés à la réflexion sur le modèle d’allocation des moyens que vous avez mentionné.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette question tombe vraiment à pic !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cher Philippe Adnot, les IUT comptent pour vous. Sachez qu’ils comptent aussi pour nous ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. le président. Nous en avons fini avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Communication du Médiateur de la République
M. le président. L’ordre du jour appelle la communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Médiateur de la République dans l’hémicycle.
(M. le Médiateur de la République est introduit avec le cérémonial d’usage.)
Monsieur le Médiateur de la République, cher Jean-Paul Delevoye, je vous souhaite, au nom du Sénat tout entier, mais aussi pour la première fois en mon nom personnel, une cordiale bienvenue dans notre hémicycle où vous venez présenter aujourd’hui votre rapport annuel, que vous m’avez remis il y a quelques instants.
Vous exercez la mission difficile et pourtant essentielle à notre République consistant à faciliter, par votre action, les relations des citoyens avec l’administration, et à rechercher des solutions concrètes aux difficultés et aux incompréhensions du quotidien.
Il est symbolique de constater que vous venez déposer votre rapport au cours de la première semaine qui, en application des nouvelles règles constitutionnelles entrées en vigueur le 1er mars, est consacrée dans son intégralité au contrôle de l’action du Gouvernement.
Vos observations, la relation directe que vous entretenez tant avec les autorités administratives qu’avec nos concitoyens, sans oublier celle que vous avez avec le Sénat et moi-même – je pense au long échange que nous avons eu la semaine passée –, constituent une évaluation in vivo – c’est le vétérinaire que je suis qui parle (Sourires) – des conditions d’application de nos lois.
Vous contribuez donc à faire progresser la réflexion du Sénat sur cette question. Vous avez déjà pu le constater : les expériences vécues relatées dans votre rapport nous servent ainsi régulièrement, dans notre fonction de parlementaires, à contribuer par nos initiatives à l’amélioration de la loi et à l’effectivité de sa mise en œuvre, qui est un point important.
Aussi, c’est avec une grande attention que nous allons maintenant vous écouter, avant de passer la parole à M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Vous avez la parole, monsieur le Médiateur de la République. (Applaudissements.)
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Monsieur le président, je vous remercie de la qualité de votre accueil. Je tiens à dire que j’apprécie la richesse de nos relations, qui sont empreintes d’une constante volonté de tenir compte de la réalité de l’application des textes et de la situation de nos concitoyens.
Je remercie également le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest. Nos services respectifs collaborent en effet de manière très efficace en vue d’aboutir à des réformes législatives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’en venir à la teneur du rapport de la Médiature de la République.
Je rappelle que les trois grands domaines de compétence du Médiateur sont les services publics, les droits de l’homme et les réformes.
Pour agir, nos moyens sont restés identiques : nous disposons de 100 collaborateurs à Paris, mais il est à noter que, depuis le 1er janvier 2009, nous avons créé une plateforme téléphonique pour le pôle santé-sécurité-soins, dont j’aurai l’occasion de vous reparler ; nous disposons également de 386 points d’accueil, dont plus de la moitié sont situés en zones urbaines sensibles ; nous avons en outre un délégué référent auprès de chaque maison départementale des personnes handicapées ; enfin, 45 délégués tiennent une permanence en milieu carcéral.
Nous avons voulu faire un effort pour améliorer l’accueil à la Médiature. Tout d’abord, nous nous sommes appliqués à ce que le nombre d’appels téléphoniques perdus passe de 25 % à 5 %. Ensuite, pour la première fois dans une e-administration française, un e-Médiateur a été mis en place. Ainsi, nous pouvons être contactés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pour les deux premiers mois, nous avons recensé 1 000 utilisateurs. Ce qu’il est intéressant de constater, ce sont les thèmes les plus consultés. Il s’agit, par ordre décroissant, du surendettement, du pôle santé, des impôts, des amendes et infractions routières ainsi que des problèmes entre locataires et propriétaires.
Parmi les 65 000 dossiers que nous avons traités, – il est important de le noter – plus de la moitié ne sont pas des réclamations, mais des demandes d’information. Si en cas d’incendie ou de vol, on sait qu’il faut s’adresser aux pompiers ou aux gendarmes, en revanche, quand on a un souci à caractère personnel, on ignore où trouver la bonne information pour faire valoir ses droits. Les personnes confrontées à des difficultés juridiques sont d’ailleurs de plus en plus isolées, ce qui conduit à des injustices et à des inégalités. Il nous faut donc réfléchir au développement des centres d’accès au droit.
Je tiens à le souligner, grâce à la mobilisation du personnel de la Médiature, à effectifs constants, 20 % de dossiers de plus ont été traités. Les délais de réponse et d’instruction ont en effet été réduits. Mais aujourd’hui, le contexte malheureusement s’y prête, plus de 34 % des dossiers relèvent de difficultés sociales.
Nous avons axé le développement dans plusieurs directions.
Je voudrais, messieurs les présidents de commission, mesdames et messieurs les sénateurs, saluer votre travail sur le projet de loi pénitentiaire.
Compte tenu de nos liens avec le commissaire européen aux droits de l’homme et avec la Cour de justice des Communautés européennes, je sais à quel point le travail parlementaire du Sénat a été suivi à l’échelon européen et à l’échelon international.
Nous avons, dans le souci de l’accès aux droits, développé la présence des délégués du Médiateur au sein des prisons, partant du principe que la privation de la liberté n’est pas la privation de l’accès aux droits. D’ici à 2010, la totalité de la population carcérale pourra être en contact avec le délégué du Médiateur. Nous avons par ailleurs noué un partenariat avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Depuis le 1er janvier 2009, nous avons créé un pôle « santé-sécurité-soins », la Mission pour le développement de la médiation, de l’information et du dialogue pour la sécurité des soins, la MIDISS, qui dépendait de la Haute Autorité de santé, ayant rejoint la Médiature.
Il s’agit d’une plateforme téléphonique destinée à celles et ceux qui rencontrent des difficultés dans leur parcours de santé avec le milieu hospitalier, mais aussi avec la médecine libérale.
Ce pôle dispose d’un réseau de médecins et d’experts dans quatre domaines de compétences – le respect des droits du malade, la qualité du système de santé, la sécurité des soins, l’accès aux soins –, avec la totale confiance de l’ensemble des acteurs.
Quand cette mission était au sein de la Haute Autorité de santé, elle recevait cent cinquante appels téléphoniques par mois, 50 % concernant les infections nosocomiales. Depuis le 1er janvier, au sein de la Médiature, elle a reçu cinq cents appels, 25 % concernant les infections nosocomiales, 15 % émanant des professionnels de santé eux-mêmes.
Il convient de souligner que 47 % des appels sont des demandes d’information. Que se passe-t-il ? Dans 90 % des conflits entre les acteurs de la santé et les patients, ceux-ci n’ont pas du tout l’intention de saisir la justice : ils ont simplement besoin d’un dialogue pour apaiser leur douleur ou leur inquiétude.
Je voudrais attirer l’attention de la Haute Assemblée, et particulièrement celle de la commission des affaires sociales, sur un point. Dans le milieu hospitalier comme dans d’autres, l’administration donne la priorité à la protection du système plutôt qu’à son adaptation à la protection de l’individu. Aujourd’hui, la culture du signalement est sanctionnée. Comme le non-signalement est récompensé, on a naturellement tendance à privilégier sa carrière, le confort de la hiérarchie plutôt que l’adaptation du système.
Il existe cinq types de signalement dans le monde hospitalier. Avec une charge administrative incroyable, comment distinguer l’événement potentiellement dangereux de l’événement indésirable grave – EIG –, qui n’est adressé ni au même organisme, ni selon les mêmes procédures, celui qui signale se faisant parfois sanctionner. Nous devrons réfléchir à la simplification des signalements, afin de disposer d’une juste appréciation de la réalité.
Près de 450 000 événements indésirables graves provoquant une altération de la santé, une prolongation de l’hospitalisation, voire le décès surviennent chaque année dans le monde hospitalier ; 85 % d’entre eux sont dus à des erreurs de procédure et 15 % à des erreurs médicales. Cependant, l’observatoire des signalements peut être contesté dans la mesure où cette étude date de 2005. En effet, on ne peut pas aborder un problème de façon apaisée si on ne dispose pas de données fidèles à la réalité.
Le pôle « santé-sécurité-soins », par son indépendance, par son absence de corporatisme – nous ne sommes ni procureurs ni avocats – devrait faciliter l’instauration d’un partenariat avec les professionnels, afin d’améliorer la gestion et la prévention des risques par l’analyse des erreurs. Nous répondrons ainsi à l’attente des victimes, qui ne cherchent pas à condamner le médecin, mais qui veulent savoir ce qui s’est passé et éviter que cela ne se reproduise.
Monsieur le président de la commission des lois, je me permets de souligner que je vous présente aujourd'hui l’avant-dernier rapport annuel du Médiateur de la République. Les projets de lois organiques dont vous allez débattre prévoient en effet la création d’un Défenseur des droits. Nous souhaiterions pouvoir étudier avec vous les modalités de saisine et le périmètre d’action de cette nouvelle autorité, ces questions relevant de la décision politique. Mais il conviendra aussi de réfléchir à la nature des pouvoirs qui lui seront confiés, notamment en matière de recommandation en équité.
Nous avons aujourd’hui un débat avec l’administration fiscale sur une profession libérale qui avait suivi à la lettre une instruction fiscale applicable à une profession non assujettie à la TVA. Cette profession libérale, assujettie depuis un an, sur instruction de l’administration fiscale, à la TVA, s’est vu réclamer, à la suite d’un contrôle, la TVA sur les quatre années précédentes. Le représentant de l’administration fiscale m’a fait la réponse suivante : Monsieur le Médiateur, vous avez moralement raison, mais juridiquement tort ; la loi m’interdit de remettre des pénalités sur des contributions indirectes car le redevable est considéré non pas comme un contribuable mais comme un collecteur d’impôt.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est exact !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Dès les premiers débats sur la démocratie entre Platon et Aristote, Platon soulevait l’imperfection de la loi quand Aristote plaidait pour le pouvoir du juge. En 1973, dans cette assemblée, le législateur a très clairement indiqué que la stricte application d’une loi par une administration pouvait aboutir à des situations injustes…
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. …car le législateur ne peut prévoir toutes les situations. La création du Médiateur devait permettre de juger en équité et non en droit. Il serait intéressant d’envisager aujourd'hui la possibilité d’une décharge de responsabilité d’un fonctionnaire qui s’appuierait sur une recommandation en équité. En effet, beaucoup de hauts fonctionnaires me disent : vous avez raison, faites-moi une recommandation en équité suffisamment forte afin que je puisse justifier telle décision aux yeux de ma hiérarchie ou de la Cour de discipline budgétaire et financière.
Ce débat touche également à la protection des fonds publics, car l’administration a parfois intérêt à être condamnée pour justifier les dépenses auprès de Bercy plutôt que de suivre une recommandation qui épargnerait l’argent public. Un débat législatif sur la recommandation en équité et ses limites me paraît donc nécessaire.
Il faudra également réfléchir à l’accès aux documents. Trop souvent, lorsque l’administration risque d’être mise en cause, le dossier ou certains documents disparaissent. C’est le cas, notamment, pour les dossiers médicaux,…
M. Daniel Raoul. C’est classique !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. …les pièces n’étant pas codifiées.
Si nous voulons restaurer la confiance entre l’administration et les administrés, il faut avoir le courage de la vérité. L’équilibre de notre société est aujourd’hui très fragile. Quand on ne croit plus à la force du droit, on revendique le droit à la force. En l’absence de dialogue, la violence l’emporte. Nous devons y être extrêmement attentifs.
Il en est de même pour l’inspection et l’injonction, voire pour la saisine du Conseil d’État. Les administrations se plaignent souvent que la lecture d’une circulaire ou d’un décret varie d’un département à l’autre, et la décision du Conseil d’État se fait attendre deux ou trois ans.
Nous avons souhaité vous livrer les impressions ressenties par nos services.
Le service « agents publics » souligne le sentiment de précarité dans la fonction publique ; le service fiscal, la complexité et l’insécurité juridique. Le service « affaires générales et urbanisme » évoque une réglementation de plus en plus compliquée, conjuguée parfois à une absence de conseil auprès des élus locaux. Ceux-ci, qui ne disposent pas d’une école de formation, ont tendance à s’adresser à des experts, lesquels ne sont pas toujours à la hauteur, ce qui génère des conflits d’urbanisme d’une extrême complexité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Sur le plan social, les textes ne tiennent pas compte de la mobilité croissante et des fractures de parcours. La mobilité européenne, qui s’accroît, est de plus en plus souvent confrontée à des difficultés de coordination entre les législations. En cas de nouvel emploi, le passage d’une convention collective à une autre n’est pas harmonisé. Le suivi des dossiers se fait difficilement en cas de rupture de couple et de changement de département.
Aujourd’hui, nous sommes particulièrement vigilants devant la situation que connaissent Pôle emploi et les caisses d’allocations familiales. En effet, la réorganisation des services liés à l’emploi et aux allocations familiales coïncide avec l’accroissement du nombre de demandeurs d’emploi. Il ne faut pas que ces services ajoutent une rupture à une rupture : bien souvent, les personnes qui perdent leur emploi et donc leur salaire ne peuvent pas se permettre d’attendre deux ou trois semaines le versement des indemnités auxquelles elles ont droit. Une perte de revenu de 150, 200 ou 300 euros crée de sérieuses difficultés.
Soyons attentifs à ce que les amortisseurs sociaux dont la France dispose par rapport à d’autres pays pour affronter la crise ne soient pas paralysés par des dysfonctionnements administratifs provoquant des ruptures de revenus, au risque d’entrer dans la spirale de l’endettement.
Dans le domaine de la santé, nous souhaitons que l’on passe d’une culture de la faute à une culture de l’erreur. La faute est inexcusable et condamnable, alors que l’erreur doit être expliquée, éventuellement comprise, à condition d’en tirer profit pour changer les procédures.
Je voudrais insister sur le droit à la bonne administration, qui est inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Aujourd’hui, trop d’administrations créent une insécurité juridique par leurs délais de réponse, voire par leur absence de réponse. Les préjudices sont considérables et les possibilités de recours sont insuffisamment indiquées.
La question du « malendettement » sera reprise par les textes que préparent Mme Lagarde et M. Hirsch. Nous remercions le Parlement et le Gouvernement d’avoir accepté que nous soyons saisis de ce sujet.
La totalité des décideurs, qu’ils soient politiques, chefs d’entreprise, médecins, vont devoir prendre des décisions dans des domaines dans lesquels ils seront de moins en moins compétents. La qualité de leurs décisions dépendra donc de la qualité des experts sur lesquels ils s’appuieront.
Or les magistrats n’ont pas aujourd'hui à leur disposition les experts judiciaires médicaux dont ils auraient besoin. Nous devons réfléchir à la qualification d’expert judiciaire, notamment dans le domaine de la santé, qui ne doit pas être uniquement un titre, mais la sanction d’une compétence permettant au magistrat de prendre une bonne décision.
J’ai en mémoire le cas d’un obstétricien qui avait tout perdu – son travail, son honneur, sa femme – à la suite du rapport de deux experts qui l’avaient condamné dans sa pratique. Il a été réhabilité quinze ans après par une expertise reconnue par tous.
La question de l’expertise dans les décisions est donc extrêmement sensible ; j’y reviendrai tout à l’heure. Je souhaite également que vous puissiez avoir un regard distancié sur le principe de précaution. Au nom de ce principe, en effet, on favorise aujourd'hui la non-décision ou la contestation de la décision publique.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Nous devons aussi nous interroger sur la médiation familiale judiciaire. Les ruptures de couples sont très nombreuses. Le Médiateur souhaite qu’il puisse y avoir une médiation familiale dans les tribunaux de grande instance. Il faudrait sensibiliser les magistrats, les greffiers et les avocats sur sa pertinence, en donnant au juge aux affaires familiales le pouvoir de rétablir le dialogue par la médiation. Les enfants sont trop souvent confrontés à une double souffrance : la séparation, puis le déchirement des parents. Les expériences québécoises montrent tout le bénéfice de cette médiation.
Nous voulons souligner quelques situations inéquitables, mesdames et messieurs les parlementaires.
Le Médiateur n’est pas un décideur politique ; je n’ai pas à me prononcer sur le PACS – le Pacte civil de solidarité –, mais c’est une réalité prévue par la loi. En 2008, ont été signés quelque 145 000 PACS, soit une augmentation de 42 % par rapport à l’année précédente, par des couples qui étaient, pour 85 % d’entre eux, hétérosexuels.
Il est important que ces personnes aient choisi une communauté juridique et non une simple communauté affective. En effet, à côté du seul mariage, nous risquions de voir de plus en plus de personnes cohabiter parce qu’elles s’aiment puis se séparer quand elles ne s’aiment plus, ce qui aurait posé le problème de la disparition des pensions de réversion dans trente-cinq ou quarante ans.
Je voudrais souligner que, lorsqu’ils signent un PACS, les fonctionnaires ont droit à quatre jours de congé, alors que les salariés du privé n’ont droit à aucun congé. Les salariés du privé et les fonctionnaires territoriaux peuvent, quant à eux, bénéficier du capital décès de leur partenaire pacsé, mais pas les fonctionnaires d’État. C’est incompréhensible !
De même, pourquoi les pacsés n’ont-ils pas droit aux pensions de réversion, alors qu’il s’agit bien d’une communauté juridique ? Il faudrait donc envisager une évolution sur ce point, éventuellement en instituant une franchise de deux ans.
J’en viens à présent au problème des retraites. Je souhaite notamment dénoncer une iniquité. Aujourd'hui, dans le régime général, le calcul s’effectue à partir des vingt-cinq meilleures années. Mais il s’agit des vingt-cinq meilleures années « civiles ». En d’autres termes, si un salarié prend sa retraite au 31 décembre, il n’y a aucune difficulté. Mais s’il la prend au 1er septembre, il perd le bénéfice des cotisations versées du 1er janvier au 31 août, puisque le calcul s’arrête au 31 décembre de l’année précédente. Je pense que vous pourriez éventuellement mener une réflexion sur cette question, mesdames, messieurs les sénateurs.
En tant qu’ancien ministre de la fonction publique, je fais mon mea culpa : je me suis battu en faveur d’une majoration de la durée d’assurance pour les femmes élevant seules leurs enfants, mais j’ai totalement oublié que des hommes pouvaient également élever seuls leurs enfants.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Or pourquoi un père ayant élevé seul ses enfants ne pourrait-il pas avoir droit aux mêmes avantages qu’une femme dans une situation identique ? Nous devrions donc réfléchir sur ce sujet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La demi-part pour les parents isolés a été supprimée !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. J’aimerais également aborder les réformes que vous avez engagées, mesdames, messieurs les sénateurs. Certaines sont très importantes. D’autres sont perçues, à tort, comme plus anecdotiques.
Vous avez décidé l’exonération de la redevance audiovisuelle des téléviseurs loués par les personnes détenues. Autrefois, parmi les détenus, ceux qui avaient de l’argent pouvaient acheter un poste de télévision et étaient dispensés de redevance, tandis que les autres étaient contraints de louer un téléviseur et d’acquitter la redevance. Vous avez supprimé cette disparité, qui créait des tensions très fortes dans les prisons.
J’attire également votre attention sur quelques éléments complémentaires.
Aujourd'hui, le Gouvernement se réjouit, non sans raison, de la montée en puissance du statut d’auto-entrepreneur. Mais peut-être faudrait-il instituer quelques garanties. Prenons le cas d’un chômeur, actuellement couvert par un régime de protection sociale, qui deviendrait auto-entrepreneur. S’il dépose son bilan au bout de deux ans, il perd le bénéfice de son régime de protection salariale. Sans doute serait-il intéressant d’envisager une forme de « parachute » d’une durée un peu supérieure.
Je sais que vous suivez avec attention la mise en œuvre des lois qui sont votées, notamment la publication des décrets d’application.
Pour ma part, je salue l’engagement de M. le président du Sénat et de M. le président de la commission des lois en faveur du texte relatif aux tutelles et aux curatelles. Mais je constate avec irritation qu’aucune instruction n’a été donnée aux tribunaux. Dès lors, ceux-ci n’ont pas mené le travail de séparation entre les personnes fragiles psychologiquement, d’une part, et les personnes fragiles socialement, d’autre part. En outre, certains conseils généraux n’ont pas non plus préparé l’accompagnement social.
La loi qui a été votée prévoyait un délai d’adaptation de deux ans. À l’issue de ce délai, que constatons-nous ? Certains présidents de tribunal ou de conseil général se sont mobilisés pour favoriser la mise en œuvre du nouveau dispositif, d’autres n’ont rien fait. La situation est donc totalement inique.
Vous avez adopté une loi sur les contrats d’assurance vie en déshérence. Aux termes de ce texte, un rapport indiquant la part des contrats concernés, les bénéficiaires recherchés et le montant des sommes versées au Fonds de réserve des retraites devait être remis au Gouvernement au 1er janvier 2009. À ce jour, il ne l’a toujours pas été. Où est-il donc ?
Je mentionnerai également les hospitalisations psychiatriques, notamment l’évaluation concernant les droits des malades. Sur ce thème, je vous renvoie au discours du Président de la République.
La collaboration entre les médecins du travail et les médecins-conseils fait trop souvent l’objet d’une rupture par conflit de droits. Prenons le cas d’une personne en arrêt maladie chez qui on décèlerait un handicap. Elle n’est alors plus considérée comme malade et perd le bénéfice de ses indemnités. Compte tenu de son handicap, elle ne peut pas reprendre son activité professionnelle dans les mêmes conditions qu’auparavant. Elle n’est donc ni malade ni salariée, et il y a un conflit de droits entre le médecin du travail et le médecin-conseil. Le Parlement devrait, me semble-t-il, se saisir de cette question.
Les prestations familiales au titre d’enfants séjournant régulièrement en France sont attribuées de plein droit. La loi a été votée et elle est claire. Mais je vous invite à examiner ses conditions d’applications, qui varient selon les caisses d'allocations familiales.
Dans un courrier relatif aux victimes des essais nucléaires, le ministre de la défense a indiqué être favorable à une liste unique ou, plus précisément, à une prise en charge de l’indemnisation par le ministère de la défense plutôt qu’à la création d’un fonds spécifique. Il s’agit d’un véritable débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite également attirer votre attention sur les conséquences de l’absence de décision politique sur quelques sujets douloureux.
Je vous avais alertés sur la situation des enfants nés sans vie. Je vous en rappelle le contexte. L’Organisation mondiale de la santé avait fixé deux critères pour définir la notion de « viabilité » : une durée d’aménorrhée de vingt-deux semaines et un poids du fœtus de cinq cents grammes. La Cour de cassation a estimé, non sans raison, que cette définition n’avait pas de valeur juridique. Aujourd'hui, le sujet divise la classe politique. Les uns jugent nécessaire de donner une valeur juridique à une telle définition, arguant que la notion de viabilité figure déjà dans quatre codes. Les autres craignent que cela ne relance le débat sur le statut du fœtus, donc sur l’avortement.
Qu’en est-il concrètement aujourd'hui, compte tenu de l’absence de décision politique ?
Dans le monde hospitalier, notamment dans les maternités, la suppression des seuils de viabilité jusqu’alors retenus par référence à une circulaire de la Direction générale de la santé du 22 juillet pose un véritable problème. En effet, l’absence de seuil conduit à faire de la fin de la période considérée comme « fausse couche précoce » le démarrage ou la fin de la viabilité. En d’autres termes, en l’absence de décision politique, la pratique hospitalière a fixé la notion de viabilité à quinze semaines d’aménorrhée. Et on laisse les services municipaux de l’état civil dans la même indécision : s’ils sont sollicités pour délivrer un acte d’état civil, ils pourront opposer un refus…
En outre, les instructions ministérielles ayant accompagné la mise en œuvre de telles dispositions visent à faire de la déclaration à l’état civil une responsabilité parentale. Par conséquent, les enfants décédés en toute fin de grossesse pourront ne faire l’objet d’aucune déclaration en mairie, faute d’initiative parentale. Alors que toutes les grossesses précocement arrêtées étaient systématiquement déclarées, un certain nombre d’entre elles ne le sont plus aujourd'hui.
De plus, les droits sociaux sont hétérogènes selon la nature des enfants.
Une telle absence de décision politique m’amène à vous poser une question simple : envisagez-vous de supprimer la notion de viabilité dans tous les codes ? Je vous le rappelle, au-delà de vingt-deux semaines, la fin de la grossesse est un congé maternité ; en deçà, c’est un congé maladie. Et le droit pour le mari d’avoir un congé de quatre jours vient d’une décision du Premier ministre fondée sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé que j’ai évoquée tout à l’heure.
M. Nicolas About. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Nous le voyons, nous sommes dans une totale incohérence juridique. Que vous optiez pour la suppression de la viabilité ou pour sa consolidation, vous ne pouvez pas ne pas décider ! À défaut, la notion de viabilité sera définie par les praticiens : un médecin pourra fixer le critère de viabilité à quinze semaines, comme à dix-sept, à vingt ou à vingt-deux semaines…
L’absence de décision politique place les obstétriciens, les officiers d’état civil que sont les maires, l’ensemble des familles, qui ne connaissent pas forcément leurs droits, et même les gestionnaires, dans une situation de vide juridique.
Par conséquent, je souhaiterais que vous puissiez fixer un seuil, ouvrir un droit général à l’inhumation des corps des enfants, quel que soit le stade du développement – je rappelle que ces corps font autrement partie des « déchets hospitaliers » – et clarifier les droits sociaux.
J’attire également votre attention sur la bioéthique, dans la perspective des lois dont vous serez bientôt saisis. Nous commençons à entendre des réclamations, de la part, entre autres, des médecins, sur une problématique un peu douloureuse.
Nous devons, me semble-t-il, réfléchir aux questions soulevées par les quelque 18 000 amputations qui sont dues au diabète chaque année. Comme vous le savez, compte tenu de leurs croyances religieuses, des personnes de confession musulmane souhaitent être enterrées en entier. Dès lors, quel est le statut du membre amputé ? De même, dans certaines cultures africaines, on demande à récupérer le placenta pour l’enterrer. Quelle réponse pouvons-nous y apporter ?
En l’absence d’analyse juridique, des questions éthiques lourdes se posent. Nous ne pouvons pas laisser les gestionnaires hospitaliers et les médecins totalement désemparés. Si la pratique n’est pas encadrée, les réponses à de telles questions seront différentes selon les convictions des personnes ou les établissements.
Il revient au politique de se saisir de tels enjeux, quitte à ne pas prendre de décision, mais il doit alors expliquer pourquoi. Et, s’il tranche, il doit préciser les conditions dans lesquelles il le fait.
Je tiens à vous remercier des amendements que vous déposez en matière de santé et j’attire votre attention sur l’absence de décrets relatifs à l’indemnisation des victimes du sang contaminé. Vous aviez pris des dispositions afin que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, indemnise les personnes transfusées dans les petits établissements sans transferts d’actifs. Or le décret n’est toujours pas paru. Je souhaiterais que vous puissiez user de votre pouvoir en la matière. (M. Nicolas About s’exclame.)
Enfin, et nous sommes là au cœur de la collaboration que je souhaite avoir avec le Sénat, je pense que nous vivons dans une société anxiogène. Je le dis sans chercher à pointer la responsabilité des uns ou des autres.
Nous le voyons bien, nos sociétés sont structurées par trois sentiments : la gestion des peurs, la gestion des humiliations et la gestion des espérances. Certains se nourrissent des peurs. D’autres réagissent aux humiliations, lorsque l’arbitraire méprise l’individu. Et il est difficile d’avoir des espérances quand l’avenir est sombre.
L’un des éléments de la gestion des peurs, c’est la recherche de l’apaisement, qui passe par l’écoute et le respect. Le service public se doit d’écouter et d’accompagner, plutôt que de gérer. Nous devons changer de culture. Le système administratif doit faire confiance aux fonctionnaires pour qu’ils puissent avoir le droit à l’erreur. En outre, le principe de précaution mérite d’être analysé.
Tout cela est au cœur de la notion de « vivre-ensemble ». Si nous ne restaurons pas la confiance de nos concitoyens dans nos institutions, nous aurons un système fondé sur le rapport de force, et non sur le dialogue et le respect.
Je salue également le rapporteur du texte sur le « malendettement », que j’avais oublié de mentionner tout à l’heure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention et je me réjouis de notre collaboration. (Applaudissements.)
(M. Bernard Frimat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
M. le président. Le Sénat vous donne acte de cette communication, monsieur le Médiateur de la République.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le Médiateur de la République, le rapport d’activité que vous venez de remettre à notre Haute Assemblée confirme que votre institution s’est imposée au fil des années comme un acteur majeur du paysage administratif français, jouissant d’une notoriété croissante auprès de nos concitoyens.
Cette année encore, votre action est placée sous le signe de la proximité. Grâce aux délégués du Médiateur, l’institution est en effet présente dans un nombre croissant de points d’accueil. Maintenant, il existe même un « e-médiateur » ! (Sourires.) Cela passe-t-il par l’adresse électronique des parlementaires ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au total, 275 délégués agissant dans 386 points d’accueil reçoivent aujourd’hui le public dans des structures de proximité, comme les maisons de justice et du droit, les maisons de service public ou les points d’accès au droit – vous avez signalé combien nos concitoyens ont besoin d’accès au droit –, mais également les préfectures et sous-préfectures.
D’ailleurs, dans votre rapport, vous soulignez ceci : « La plupart des implantations récentes résultent du souci permanent des délégués de se rapprocher des usagers ; ils acceptent d’assurer des permanences dans deux, voire trois implantations différentes. »
Emblématique de cette évolution est la présence des délégués dans les prisons. Cette présence, expérimentée depuis 2005 et progressivement généralisée sur la base d’une convention signée le 25 janvier 2007 entre le ministre de la justice et vous-même, se renforce année après année. Vous notez ainsi dans votre rapport qu’en l’espace d’un an, entre décembre 2007 et décembre 2008, le nombre de détenus ayant accès directement à un délégué est passé de 26 500 à plus de 44 000, soit les deux tiers de la population carcérale.
Ces délégués jouent un rôle essentiel en prison, comme l’ont récemment rappelé nos collègues Jean-Claude Peyronnet et Jean-René Lecerf.
Rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, des crédits du programme budgétaire « Protection des droits et libertés », notre collègue Jean-Claude Peyronnet s’est rendu dans le département des Yvelines en novembre dernier pour rencontrer deux de vos délégués, dont il a noté « le dynamisme et la compétence ». Il a pu également constater, lors de la visite qu’il a effectuée à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, que l’intervention des délégués du Médiateur était appréciée par les détenus,…
M. Nicolas About. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … même lorsqu’elle portait sur des dossiers que l’administration pénitentiaire pouvait parfaitement traiter elle-même, telle la demande d’un détenu pour connaître l’état d’avancement d’un transfert. Le délégué rencontré par le rapporteur a souligné que, au-delà du fait d’obtenir une réponse à leurs questions, les détenus avaient besoin d’être écoutés par un « tiers de confiance » et que l’échange constituait pour eux « un exutoire » et « une soupape ». (M. le Médiateur de la République fait un signe d’approbation.) Je crois comprendre que vous vous félicitez du travail du Sénat, monsieur le Médiateur de la République… Espérons que l'Assemblée nationale en fera de même !
Quant à notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi pénitentiaire, au nom de la commission des lois, il a constaté dans son rapport que « de l’avis des différents chefs d’établissements [qu’il a] rencontrés, la présence [des délégués] est un facteur d’apaisement en détention ». C’est pourquoi, sur son initiative, notre assemblée a consacré l’existence des délégués dans la loi pénitentiaire. Il faut s’en réjouir, car, je tiens à le rappeler de nouveau, la privation de liberté ne signifie pas la privation de l’accès au droit ; nous avions beaucoup insisté sur ce point lors de la discussion de ladite loi.
Aussi important soit-il, ce sujet est loin d’épuiser le champ de votre action. Parmi les nombreux thèmes abordés dans votre rapport, trois ont particulièrement retenu mon attention : le traitement du surendettement – un sujet qui n’est pas nouveau pour ce qui me concerne –, les expertises médicales judiciaires et le problème de l’application de la loi.
En outre, vous avez évoqué tout à l'heure la problématique des enfants sans vie, posant même des questions sous-jacentes. Certes, le problème est complexe, mais il faudra effectivement trouver une solution, car, vous avez raison de le dire, on ne peut rester sans solution légale.
À propos du traitement du surendettement, vous avez formulé plusieurs propositions de réforme, poursuivant ainsi votre engagement dans la lutte contre le « malendettement ».
J’en ai relevé une qui me paraît essentielle, à savoir l’amélioration du fonctionnement du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le FICP.
Rappelons que ce fichier, mieux connu sous le nom de « fichiers des surendettés », ne doit pas être confondu avec le fichier des interdits bancaires géré par la Banque de France, ce qui est souvent le cas.
Vous avez souligné, monsieur le Médiateur de la République, que l’extinction de l’action en recouvrement des sommes dues doit conduire à la radiation de ce fichier.
D’une manière générale, la commission des lois, à laquelle appartient M. Alex Türk, président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, est très attentive au traitement des données à caractère personnel et au traçage des individus ; j’en veux pour preuve la constitution récente d’un groupe de travail sur ce thème, animé par nos collègues Mme Anne-Marie Escoffier et M. Yves Détraigne.
Si l’intérêt du fichier des surendettés n’est pas en soi contestable – protéger les personnes, en évitant l’accumulation d’emprunts bancaires –, il faut rappeler que toute inscription non justifiée de personnes dans ces fichiers peut conduire à des situations particulièrement difficiles, telles que le refus d’ouverture d’un compte ou le refus d’octroi d’un crédit.
Or il semble que la CNIL soit régulièrement saisie de réclamations concernant des inscriptions à tort ou des « défichages » tardifs, alors que les personnes concernées ont régularisé leur situation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je rappelle d’ailleurs que ce sont ces mêmes problèmes de mise à jour ou d’inscription erronée qu’ont relevés votre institution et la CNIL à propos des fichiers STIC et JUDEX.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ces fichiers, qui recensent les infractions constatées respectivement par la police et la gendarmerie, peuvent être consultés dans le cadre d’une enquête préalable à une décision administrative en vue de l’accès à certains emplois, notamment dans les secteurs de la sécurité et de la défense. Or de nombreuses personnes restaient inscrites à ce fichier, alors même qu’elles avaient fait l’objet d’un acquittement ou d’un non-lieu.
C’est pourquoi vous avez opportunément proposé, voilà deux ans, une amélioration des conditions de transmission des suites judiciaires par les parquets et la mise en place de garanties pour les citoyens susceptibles de faire l’objet d’une enquête administrative donnant lieu à la consultation des fichiers STIC et JUDEX.
Par ailleurs, vous préconisez dans votre rapport une réforme des expertises médicales judiciaires et vous suggérez, notamment, que « pour renforcer l’indépendance et la fiabilité des expertises, l’expert déclare systématiquement au juge et aux parties l’absence de conflit d’intérêts risquant de porter atteinte à l’impartialité de ses analyses ».
Je note que cette question – essentielle pour garantir le droit à un procès équitable, exigence de la Convention européenne des droits de l’homme – rejoint les préconisations du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire dite « d’Outreau », qui soulignait que l’engagement d’un expert dans des activités associatives était susceptible de créer un conflit d’intérêts avec l’affaire dans laquelle il est commis, et donc de mettre à mal son impartialité. On ne peut pas mieux dire !
C’est pourquoi la commission d’enquête avait opportunément repris la préconisation figurant dans le rapport Viout d’instaurer « une obligation de déclaration d’appartenance à une association […] lorsque les faits portent sur des faits pour lesquels cette association peut se constituer partie civile ».
Cette année encore, vous appelez l’attention des pouvoirs publics sur certains problèmes en matière d’application des lois votées. Vous soulignez que « la vie politique ne saurait se contenter de voter des lois en négligeant leur mise en œuvre ».
Prenant l’exemple de la loi réformant la protection juridique des majeurs, pleinement applicable depuis le 1er janvier 2009, vous notez que les départements et les parquets y sont peu préparés et que la réforme risque ainsi de connaître de grandes difficultés d’application.
Ces informations nous intéressent au plus haut point car, comme vous le savez, le Sénat est particulièrement attentif à la mise en vigueur des lois. Chaque année, le bilan du contrôle de l’application des lois par toutes les commissions est présenté à la conférence des présidents, ce qui permet au ministre chargé des relations avec le Parlement de relayer auprès de ses collègues les observations formulées par les commissions.
Concernant les tutelles, il va falloir réagir rapidement, car la situation est inadmissible. Même si la loi existe, des personnes seront confrontées à un vide juridique dans certains cas particuliers.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au-delà, le Sénat entend exercer pleinement sa mission d’évaluation des politiques publiques, désormais consacrée par l’article 24 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, en particulier dans le cadre de la semaine sénatoriale de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.
Je souhaiterais conclure mon propos en évoquant l’avenir de l’institution.
Vous le rappelez dans votre rapport, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a créé un nouvel article 71–1 instituant un Défenseur des droits, terme bien français, contrairement à d’autres.
Notre assemblée a apporté cinq modifications importantes à la rédaction initialement proposée par le Gouvernement.
Elle a tout d’abord retenu le nom de « Défenseur des droits » au lieu de « Défenseur des droits des citoyens », afin de marquer que cette nouvelle autorité devra être accessible non seulement à ces derniers, mais aussi à toute personne mineure et aux ressortissants étrangers établis en France, en situation régulière ou non.
Elle a ensuite ouvert la possibilité de regrouper en son sein des autorités administratives indépendantes compétentes à l’égard non seulement du service public, mais aussi du secteur privé.
Elle a permis au Défenseur des droits de se saisir d’office et a prévu qu’il pourrait être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions, afin de renforcer les garanties d’indépendance et de compétence offertes aux personnes qui le saisissent.
Enfin, elle a précisé que le Défenseur devrait rendre compte de son activité au Président de la République et au Parlement, une tâche que vous remplissez déjà, monsieur le Médiateur de la République.
Nous attendons donc le dépôt par le Gouvernement du projet de loi organique qui définira le statut et les fonctions de ce Défenseur, sachant qu’il est aujourd’hui établi qu’il reprendra, en les étendant, vos attributions et qu’il pourra être saisi directement par toute personne. Ce dernier point mérite d’être salué. En effet, la commission des lois du Sénat militait depuis de nombreuses années pour une saisine directe de votre institution, autrement dit pour la suppression du filtre parlementaire obligatoire.
En conclusion, monsieur le Médiateur de la République, votre mission paraît plus que jamais essentielle dans notre société, qui aspire à un droit accessible et à une administration respectueuse des droits fondamentaux. Je ne parle pas seulement de l’administration d’État ; nous devons aussi être vigilants à l’égard des collectivités locales, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … car les régions, les départements et les communes doivent également respecter le droit.
Soyez assuré, monsieur le Médiateur de la République, du soutien et de l’attention que le Sénat tout entier, en particulier la commission des lois et celle des affaires sociales, porte à votre action. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste.)
M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le Médiateur de la République.
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Politique de lutte contre les violences faites aux femmes
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 24 de Mme Michèle André à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.
Cette question est ainsi libellée :
Mme Michèle André demande à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville de lui préciser les grandes orientations retenues par le Gouvernement dans la conduite de sa politique de lutte contre les violences faites aux femmes, déclarée grande cause nationale pour 2009.
Elle lui demande également dans quel délai le Gouvernement transmettra au Parlement, comme le lui en fait l’obligation l’article 13 de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, le rapport portant sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple.
La parole est à Mme la présidente de la délégation, auteur de la question.
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la secrétaire d’État, avant d’aborder ce débat, je souhaite revenir sur l’interruption volontaire de grossesse d’une fillette victime d’un inceste au Brésil et sur la sanction féroce de l’église catholique, alors même que l’IVG est autorisée dans ce pays. Après la polémique sur les méthodes de contraception et la façon dont elles ont été mises en exergue, et à quelques jours de la conférence « Durban II » sur le racisme prévue à Genève, qui semble promouvoir des thèses sexistes, manifester une véritable hostilité à l’égard des droits des femmes et contester leur émancipation, notre débat sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes s’inscrit dans un contexte international où la dignité des femmes et la dynamique évolution de leurs droits rencontrent quelques « ratés ». Nous devons donc veiller à ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières.
J’en viens au sujet qui nous occupe.
Nous avions légiféré, il y a trois ans, sur les violences familiales en adoptant la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, sur laquelle je souhaite apporter un éclairage et vous poser quelques questions, madame la secrétaire d'État.
Premièrement, cette loi est née d’une initiative parlementaire, sénatoriale, et a recueilli l’unanimité des suffrages au Sénat, comme à l’Assemblée nationale.
La « paternité » directe de cette loi revient, en grande partie, à notre collègue Roland Courteau, et je tiens ici à lui rendre publiquement hommage. Par la force et la profonde humanité de ses arguments, il avait convaincu ses collègues du groupe socialiste de se joindre à lui pour signer un texte que je qualifierai volontiers de « proposition de loi-programme ». En effet, non seulement cette proposition ciblait, de façon large et réaliste, les violences « au sein du couple », en dépassant la notion de violences conjugales stricto sensu, mais aussi et surtout elle prévoyait de traiter toutes les composantes du problème : la prévention, l’aide aux victimes et, bien entendu, la sanction.
Dans le même sens, notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres de son groupe avaient signé une proposition de loi qui avait notamment le mérite d’insister sur la nécessité de former tous les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires – cela reste d’une très grande actualité – à la problématique des violences conjugales.
N’oublions pas non plus que le thème des violences faites aux femmes avait, bien entendu, constamment imprégné les travaux de la délégation aux droits des femmes présidée alors par notre collège Gisèle Gautier, et que les premières avancées législatives sur l’éloignement du conjoint violent ont été suscitées par les analyses de la délégation sénatoriale au moment des débats relatifs à la réforme du divorce.
Deuxièmement, on ne dira jamais assez à quel point la loi que nous avons adoptée a levé un peu plus l’un des tabous majeurs de la société française. Madame la secrétaire d'État, vous vous inscrivez dans la longue lignée de toutes ces femmes membres du Gouvernement chargées du droit des femmes, et vous poursuivez ce que j’avais commencé lors de la première campagne de 1989, lorsque j’étais moi-même à votre poste ; nous entrions alors dans un débat qui allait au-delà de la vie privée, avec toutes les craintes que cela inspirait à l’époque.
Depuis lors, je le constate, toutes les femmes qui ont occupé vos fonctions ont eu à cœur d’avancer sur une problématique qui constituait, je le répète, l’un des tabous majeurs de la société française. La complaisance constatée çà et là en la matière était même un facteur culturel ! C’est dire si nous revenions de loin et c’est encore le cas aujourd’hui.
Chacun sait combien il est difficile de parler des violences familiales. Il faudra que les historiens – mais dans combien de temps ? – et les sociologues nous expliquent un jour pourquoi il aura fallu attendre 2006 pour débattre de ce thème au sein des assemblées parlementaires d’un pays comme la France ! Comment expliquer ce silence législatif ? Nous avons pourtant toujours su combien étaient nombreux ces enfants et ces adultes à jamais traumatisés dans l’intimité du cadre familial. Tous, en effet, nous connaissions des victimes, des témoins et même des agresseurs, qui étaient, pour certains, rongés par le remords et, pour d’autres, dans le déni.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons rendu un très grand service à notre pays en faisant en sorte que la loi reconnaisse enfin les violences familiales, car il était important de pouvoir identifier ce problème.
L’impulsion législative était ainsi donnée, même si nous regrettions à l’époque qu’elle ne fût pas complète, car seul l’aspect pénal avait été pris en compte. Mais nous savons bien qu’il ne suffit pas de légiférer, même à l’unanimité – ce qui, convenons-en, est rare –, …
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes …pour surmonter les blocages de notre société !
Dès lors, deux séries de motifs conduisent les parlementaires de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes à interroger le Gouvernement sur la mise en œuvre de ce texte.
Tout d’abord, sur le plan juridique, on peut formuler deux observations qui amènent une première interrogation.
L’article 13 de la loi du 4 avril 2006 précise : « Le Gouvernement dépose, tous les deux ans, sur le bureau des assemblées parlementaires, un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples, portant notamment sur les conditions d’accueil, de soin et d’hébergement des victimes, leur réinsertion sociale, les modalités de la prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs des faits ainsi que le nombre, la durée et le fondement juridique des mesures judiciaires tendant à leur ordonner de résider hors du domicile ou de la résidence du couple. ».
Comme vous pouvez le constater, il s’agit non pas d’alimenter la profusion d’écrits administratifs – lesquels restent très précieux lorsque nous avons besoin de références –, mais, conformément à l’esprit de nos institutions, de vérifier l’impact sur le terrain du dispositif que nous avons voté. C’est un exercice difficile que celui qui a été demandé au Gouvernement, je le sais, et l’on peut donc se réjouir que ce rapport ait finalement été publié avant-hier.
M. Roland Courteau. In extremis !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous l’avons peut-être.
M. Odette Terrade. Pas encore !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des. Si nous ne l’avons pas, il doit maintenant être à notre disposition.
Mes chers collègues, j’y vois là une première illustration de l’efficacité de nos séances de contrôle du Gouvernement ! (Sourires.) J’espère toutefois qu’à l’avenir nous ne serons pas obligés d’organiser systématiquement un débat tous les deux ans – même si celui d’aujourd’hui, j’en suis persuadée, s’avère très riche – pour hâter la sortie des rapports qui doivent en principe être publiés à cette fréquence.
Quand aura lieu le prochain rendez-vous, madame la secrétaire d'État ? En 2010 ou en 2011 ? Le compteur repart-il à dater d’aujourd'hui ?
En complément de cette remarque, j’observe, plus globalement, que la loi du 4 avril 2006, bien loin de rejoindre l’assortiment déjà trop vaste de textes peu ou pas du tout appliqués, a enclenché une véritable dynamique. Deux indices en témoignent.
D’abord, du point de vue législatif, un an après le vote de cette loi du 4 avril 2006, une avancée complémentaire, également suggérée dans la proposition de loi de Roland Courteau, a été apportée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
Elle concerne le suivi socio-judicaire des auteurs de violences familiales élargi par l’article 222-48-1 du code pénal pour permettre au juge d’obliger à s’y soumettre non seulement le conjoint ou le concubin de la victime, ou le partenaire lié – lié ou non ; le médiateur vient de nous inciter à réfléchir sur le sujet – à celle-ci par un pacte civil de solidarité, mais aussi l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un PACS ainsi que, lorsque l’agression concerne un mineur de quinze ans, l’ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou toute autre personne ayant autorité sur la victime.
Corrélativement, il semble bien qu’aujourd’hui tous les magistrats – certains savaient déjà faire face à ces problématiques, mais avec un dispositif différent – aient trouvé dans ce texte des outils préventifs et répressifs.
Faut-il aller plus loin dans le perfectionnement du code pénal ? Le Gouvernement estime-t-il pertinent aujourd’hui, notamment sur la base de la pratique judiciaire qui a suivi l’adoption de cette loi, d’introduire une incrimination spécifique des violences habituelles, physiques ou psychologiques au sein du couple ? C’est la question de principe que nous vous posons, madame la secrétaire d’État. Il y a eu un long débat sur cette question !
Voilà trois ans, cette incrimination que nous préconisions dans notre proposition de loi avait suscité des objections. Ainsi, dans le rapport n° 228 de M. Henri de Richemont, établi au nom de la commission des lois, à laquelle j’appartenais à l’époque, il est précisé que « les violences au sein du couple apparaissent presque toujours comme des violences habituelles. », ou encore que cette incrimination risquait de soulever de réelles difficultés, en particulier quant aux « imputations de causalité », entre le fait générateur et le préjudice.
Les esprits ont-ils évolué sur ce point ? Je rappelle qu’un tel dispositif existe en Espagne. En France, la notion de violences habituelles figure d’ores et déjà dans le code pénal pour protéger les mineurs de quinze ans, sans que ce texte ait suscité, semble-t-il, des difficultés d’application insurmontables.
L’essentiel est de rappeler ici que certaines agressions légères et isolées sont difficilement punissables. Accepterons-nous de reconnaître et d’inscrire dans la loi que leur répétition peut, à la longue, rendre la vie de couple insupportable ?
Le Gouvernement peut-il nous faire part des réflexions du groupe de travail interministériel qui, si nous nous référons aux travaux actuels de l’Assemblée nationale, semble avoir été constitué sur ce thème le 2 juillet 2008 ?
J’en viens à des aspects plus pragmatiques, mais qui ont tout autant d’importance à nos yeux, sinon plus.
S’agissant tout d’abord de la mesure des phénomènes, madame la secrétaire d'État, n’ayons pas peur pour l’instant des chiffres qui explosent. L’effort de dénombrement des violences familiales est naturellement le bienvenu. Toutefois, pour nous, élus de terrain, je signale que l’embarras de l’Observatoire national de la délinquance pour interpréter la croissance verticale des violences faites aux femmes en 2007 – 47 500, soit 30 % de plus qu’en 2004 – a une dimension quelque peu irréelle.
En effet, à de très nombreuses reprises, la délégation a relayé les témoignages relatifs à la difficulté de faire enregistrer une plainte par la gendarmerie ou la police. Soyons réalistes ! Ce sont non pas les violences familiales qui ont augmenté de 30 %, du moins je l’espère, mais les faits enregistrés par la police ou la gendarmerie.
M. Roland Courteau. C’est cela !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous le savons bien – peut-être mes collègues reviendront-ils sur ce point –, certains agents de la police et de la gendarmerie n’acceptent pas, parfois, de prendre en compte ces faits. C’est pourquoi des plaignants se retournent vers leurs parlementaires pour leur demander d’être attentifs à cet aspect des choses. Félicitons-nous, malgré tout, de l’amélioration de l’écoute des victimes, qui est certainement en corrélation étroite avec les actions de sensibilisation des personnels.
Le Gouvernement peut-il solennellement s’engager à poursuivre les efforts dans ce sens, en évitant le piège qui consisterait à craindre de « mauvais » chiffres, alors que ceux-ci confirment de façon très positive la levée d’un tabou ?
De façon plus précise, j’insisterai sur quatre points.
Nous avons bien noté que le Gouvernement avait attribué à l’élimination des violences faites aux femmes le label « Campagne d’intérêt général » pour l’année 2009 et prévu une reconnaissance de celle-ci comme « grande cause nationale » en 2010.
Ces initiatives médiatiques améliorent la prise de conscience de l’opinion et sont indispensables. Nous serons attentifs aux moyens financiers que vous leur consacrerez pour appuyer l’action des associations. Leur mobilisation est indispensable en ce domaine, mais ce n’est pas avec leurs seuls moyens, pauvres parfois, qu’elles peuvent agir !
Notre devoir consiste aussi à attirer l’attention sur le silence des femmes qui se trouvent dans les situations les plus tragiques.
Je souhaite revenir sur une demande que j’avais déjà formulée en séance à l’occasion de la discussion du texte qui allait devenir la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ; je veux parler du renouvellement des titres de séjour des femmes étrangères victimes de violences conjugales.
M. Brice Hortefeux, alors en charge de l’immigration, m’avait indiqué en séance les raisons pour lesquelles le Gouvernement refusait d’introduire dans la loi l’automaticité de ce renouvellement pour les victimes de violences. Mais il s’était engagé – le compte rendu de nos débats du 4 octobre 2007 en atteste – à donner des instructions aux préfets, non par voie orale, mais par circulaire, afin que ces derniers prennent en considération cette demande, qui était soutenue par nombre d’entre nous. Madame la secrétaire d'État, où en est, à votre connaissance, le processus d’élaboration de ces instructions ?
Pour faciliter la prise en charge des victimes, vous prévoyez la mise en place de référents locaux qui ont vocation à suivre le parcours individualisé de la victime. Je m’interroge sur l’articulation de ce dispositif avec celui, très riche, des chargées de mission départementales et des déléguées régionales, d’autant que les services déconcentrés de votre ministère font actuellement l’objet d’une profonde réorganisation dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques, la RGPP.
Même si cela n’a rien à voir avec ce sujet, je vous supplie, madame la secrétaire d'État, de veiller à ce que vos services ne soient pas répartis dans des secteurs où ils seraient moins facilement à votre disposition pour mener vos politiques. Il y va de l’efficacité de toutes les femmes dans ce domaine !
Enfin, j’insisterai sur les questions d’hébergement et de réinsertion des femmes victimes de violences. Le Gouvernement a annoncé, à cet égard, une expérimentation tendant à développer les familles d’accueil et à rendre les victimes prioritaires pour l’accès au logement. Qu’en est-il, sur le terrain, des réalisations concrètes de ce programme ?
À propos de ces questions d’hébergement, je tiens très solennellement à réaffirmer que, contrairement à ce qui se produit encore parfois, et l’on peut comprendre pourquoi, le principe de base est celui de l’éviction de l’agresseur, et non de la victime, du domicile du couple.
M. Roland Courteau. C’est cela !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Quant aux mesures de réinsertion des victimes, je souligne d’abord qu’elles sont essentielles, car c’est la dépendance économique des femmes qui explique bien souvent leur silence à l’égard des violences, donc le temps important qui s’écoule entre le moment où elles disent subir des violences et celui où elles acceptent de quitter leur domicile avec la certitude qu’elles seront, elles et leurs enfants, souvent, sorties d’affaire.
Je rappelle ensuite, sur la base de l’une des suggestions de notre collègue Roland Courteau dans la proposition de loi initiale, qu’un certain nombre d’emplois relevant du secteur public pourraient être attribués à des personnes victimes de violences conjugales. C’est une mesure importante dont la mise en œuvre s’avérerait utile à ces femmes pour la reconquête de leur propre image. Elle permettrait aussi d’améliorer les conditions d’accueil dans des services qui en ont besoin.
L’aide aux victimes est une nécessité, mais nous devons également prévenir les violences conjugales et combattre énergiquement la récidive. Cela suppose de s’intéresser aussi aux auteurs de violences.
En octobre 2007, le Dr Roland Coutanceau a remis au Gouvernement un rapport dans lequel il insiste sur la notion de récidive chez les hommes violents et constate un véritable « phénomène d’addiction » aux violences conjugales. Pour sortir de ce cercle infernal, il préconise très clairement le développement de la prise en charge thérapeutique des agresseurs, dont l’efficacité est prouvée, et l’envoi systématique aux prévenus d’une convocation pour se présenter auprès d’une structure médicosociale.
Les lois du 5 mars 2007 et du 10 août 2007 ont instauré une injonction de soins pour les auteurs de violences. Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous tracer un bilan de ce qui est réalisé dans ce domaine et des perspectives que vous nous proposez ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voici les quelques pistes que je souhaitais aborder pour lancer ce débat.
En tant qu’élus, nous sommes tous sollicités à l’occasion de drames familiaux. Il est essentiel que, chacun à notre niveau, nous apportions, au-delà du réconfort moral et humain, les réponses et les solutions les plus efficaces à nos concitoyennes et à nos concitoyens qui perdent pied face aux difficultés les plus cruciales de leur existence. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, les femmes peuvent subir différents types d’atteintes et de violences dans leur vie : dans les espaces publics, au travail, mais aussi dans leur couple. Je souhaite évoquer plus particulièrement ce phénomène de la violence domestique, qui demeure largement méconnu et atteint les femmes de tous les milieux.
Une femme sur dix est victime de violences conjugales, et une femme en meurt tous les trois jours. Un phénomène de cette ampleur et de cette gravité déborde largement la sphère privée et nécessite des réponses appropriées de la société.
La violence au sein du couple n’a un statut particulier que depuis la loi du 22 juillet 1992. Sous l’impulsion de l’Union européenne, les États membres ont été incités à mieux prévenir et traiter le problème.
La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a permis de mieux organiser l’accueil des victimes et le traitement spécifique des violences faites aux femmes. Depuis 2004, une série de lois a développé et précisé ce dispositif, en s’attachant en particulier à mieux protéger le conjoint.
La possibilité d’évincer du domicile le conjoint violent a été introduite en 2005, cette éviction permettant d’inverser le rapport de force entre les époux et de mieux prendre en compte les intérêts des enfants.
La loi du 4 avril 2006, surtout, qui avait pour origine deux propositions de loi sénatoriales, a apporté des avancées majeures en matière de prévention et de répression des violences au sein du couple. Cette loi a d’ailleurs été adoptée à l’unanimité, ce qui montre qu’il n’existe pas de clivage politique sur un sujet aussi sensible, qui touche à notre conception des rapports entre les êtres humains.
M. Roland Courteau. Heureusement !
Mme Christiane Kammermann. Elle a notamment introduit une circonstance aggravante pour le meurtre commis par le conjoint. Celle-ci a été étendue aux ex-conjoints, ex-concubins ou ex-pacsés, car 31 % des cas de décès surviennent au moment de la rupture du couple ou après celle-ci. Le viol entre époux, qui n’était reconnu que par la jurisprudence, a fait l’objet d’une loi. Notre droit a ainsi rompu avec un non-dit de notre société, imprégnée de l’idée du « devoir conjugal ».
Il y eut encore la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
Nous disposons donc d’un dispositif juridique solide. En outre, un second plan triennal particulièrement ambitieux, dont la mise en œuvre a débuté en 2008, est articulé autour de quatre axes prioritaires : mesurer, prévenir, coordonner et protéger.
Le Gouvernement a déposé cette semaine un rapport très complet qui fait le point sur les résultats de la politique nationale menée dans le domaine des violences au sein du couple. Nous vous écouterons attentivement les décrire tout à l’heure, madame le secrétaire d’État.
Je souhaiterais par ailleurs vous poser plusieurs questions.
Tout d’abord, l’une des dispositions principales du plan triennal vise, me semble-t-il, à mieux quantifier les actes de violence commis à l’encontre des femmes. Les données issues du casier judiciaire donnent une mesure objective, mais elles sont sans doute très en deçà de la réalité, compte tenu de la réticence des victimes à porter plainte. Il faut les compléter par d’autres éléments d’information. Je voudrais connaître les mesures que vous envisagez de prendre dans ce domaine.
À cet égard, je tiens à le souligner, le Conseil économique et social a émis le souhait que soit de nouveau employée la méthodologie de la première enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, qui prévoit une interrogation anonyme et un questionnaire ouvert. Cette enquête pourrait être étendue aux collectivités territoriales d’outre-mer, qui n’avaient pas été prises en compte.
Un rapport d’information déposé par le député Guy Geoffroy en décembre 2007 a posé la question de la disparité des politiques pénales menées par les parquets. Il est en effet anormal qu’il existe, d’un tribunal à un autre, des différences dans la réponse pénale apportée à des faits de violence similaires. Il était prévu qu’en 2008 un guide de l’action publique en matière de violences conjugales adresse un message de grande fermeté pour mettre fin à cette disparité. Pouvez-vous nous préciser si la situation a évolué depuis ?
Je souhaiterais également évoquer le problème de l’hébergement des femmes victimes, car il semble qu’il soit nécessaire d’améliorer le dispositif existant. L’insuffisance des structures d’accueil et d’hébergement a été soulignée par les inspections générales dans un rapport d’évaluation du plan global 2005-2007 de lutte contre les violences faites aux femmes. Je voudrais savoir si l’idée de recourir à des familles d’accueil, qui avait été retenue à titre expérimental, a progressé.
Enfin, les actions de prévention doivent viser plus particulièrement la jeunesse. L’image de la femme est malmenée et de tristes faits divers, tel le phénomène des viols collectifs – les « tournantes » –, sont révélateurs d’un total manque de respect de certains jeunes, qui ne perçoivent souvent même pas la gravité de leurs actes.
Ce n’est qu’en faisant évoluer les mentalités que nous aiderons les femmes victimes à briser le silence dans lequel la peur les enferme et que nous pourrons faire reculer le fléau de la violence. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des violences faites aux femmes, qui nous réunit aujourd’hui, dépasse les clivages politiques, sociaux, culturels et économiques : elle est malheureusement universelle et touche les femmes, les hommes et les enfants.
Fort heureusement, elle a trouvé une première réponse législative grâce à l’adoption, en 2006, de la loi « Courteau ». Permettez-moi, avant de développer mon argumentation, de saisir l’occasion pour rendre hommage à la pugnacité de notre collègue, éminent défenseur des droits des femmes, auquel nous devons cette loi.
M. Roland Courteau. Merci !
Mme Françoise Laborde. Cette loi a marqué, en effet, le début d’une prise de conscience collective de ce fléau, non seulement par les pouvoirs publics, mais également par l’ensemble de la société, et d’une volonté d’agir pour prendre en charge les victimes de manière transversale.
Elle a permis de briser le tabou social reposant sur la loi du silence, liée à la fois à un fort sentiment de culpabilité des victimes et à une indifférence des pouvoirs publics, trop longtemps sourds aux revendications du milieu associatif. Elle a surtout libéré la parole des victimes et prévu des sanctions contre les agresseurs.
On peut se réjouir du chemin parcouru. Cette loi participe d’un bouleversement profond de la société française, qui repose sur la lutte contre le sexisme et toute forme de discrimination liée au genre. Elle a plus prosaïquement permis de soustraire les victimes à leurs agresseurs, d’instituer des mesures de protection d’urgence et de prise en charge par des professionnels au travers d’un dispositif à trois niveaux : l’information, la répression et l’aide aux victimes.
Elle s’inscrit dans la droite ligne de la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, de la loi Neuwirth sur la contraception et de la mise en place du planning familial. Pour autant, le combat contre les violences faites aux femmes est loin d’être gagné.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
Mme Françoise Laborde. Nous avons sans doute parcouru la moitié du chemin ; les enjeux sont terribles, puisque trop souvent, hélas ! il est question de vie ou de mort. Sous cet éclairage, la question posée par Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes est pleinement justifiée et la réponse que vous y apporterez, madame la secrétaire d’État, sera déterminante pour l’avenir.
En effet, il a été démontré que 40 % des adolescents violents ont assisté à des violences parentales et que 30 % des enfants violents ont eux-mêmes été victimes de violences. Il y a encore à peine quelques années, ces statistiques n’existaient même pas en France. Pour avancer, nous devons nous inspirer d’exemples étrangers réussis, comme celui de l’Espagne, qui a voté des mesures législatives plus complètes en 2004.
La mise en place d’outils de mesure pertinents et de lieux d’écoute et de conseils aux victimes a conduit à enregistrer, depuis 2004, une hausse de 30 % des plaintes pour faits de violence. Loin de me réjouir d’un tel chiffre, je me contenterai de l’interpréter comme la démonstration de l’efficacité de la loi. Les outils de mesure étant relativement récents, cette évolution semble plutôt apporter la preuve que les victimes dépassent leur peur de témoigner et s’approprient les moyens mis à leur disposition par le législateur.
Tel est le cas dans le département de la Haute-Garonne : le Centre d’information sur les droits des femmes a reçu 3 765 personnes ; 439 demandes étaient liées à la question des violences conjugales et 151 d’entre elles ont débouché, en 2008, sur des consultations juridiques, contre 104 en 2007.
Le témoignage de ces femmes reflète une réalité cruelle. C’est d’ailleurs ce qui motive mon intervention devant vous aujourd’hui. En effet, la violence conjugale physique et psychologique a des retombées désastreuses sur tous les aspects de la vie quotidienne des victimes, que ce soit en matière de santé, d’emploi, de vie sociale, de logement, ou encore d’autonomie financière.
Je n’évoquerai pas plus longuement des sujets pourtant importants, comme la procédure de divorce par consentement mutuel, qui fragilise les femmes victimes de violences, ou encore les circonstances aggravantes, au sujet desquelles un effort de prévention et de transversalité devrait être fait ; je pense, en particulier, aux addictions, notamment à l’alcoolisme.
En revanche, dans une logique pragmatique, je ferai miennes les propositions des principales associations, afin qu’une loi-cadre vienne compléter le dispositif existant et permette à la France de rattraper son retard. C’est le travail accompli sur le terrain par les professionnels et les bénévoles qui doit nous inspirer.
Parmi les principales préconisations, je retiens en particulier les éléments suivants : favoriser un accès au logement prioritaire pour les femmes avec enfants et augmenter le nombre de centres d’hébergement d’urgence ; informer et mettre à l’abri les victimes en temps réel, avant même l’aboutissement des procédures devant le juge aux affaires familiales ; généraliser la formation des personnels qui recueillent la parole des victimes, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou encore à l’École nationale de la magistrature ; instaurer un suivi psychologique gratuit pour les victimes et les enfants ; sensibiliser davantage les élèves des collèges et lycées ; renforcer la protection de l’enfant en instaurant un principe de précaution, notamment concernant l’autorité parentale, en introduisant dans le code civil des mesures temporaires d’éloignement de l’agresseur et de restriction de ses droits, en assurant la confidentialité du nouveau lieu de résidence et en suspendant le droit de visite.
Enfin – et je termine là cette énumération laborieuse, mais non exhaustive – il conviendrait de compléter l’arsenal législatif en introduisant dans le code civil le délit de violence conjugal ; cela me paraît indispensable.
Permettez-moi, madame la secrétaire d’État, d’insister sur deux pistes qui me tiennent à cœur.
Il faudrait favoriser la reconnaissance juridique des violences conjugales psychologiques répétées avant qu’elles dégénèrent en violences physiques, et participer ainsi à la prise de conscience des victimes elles-mêmes, notamment grâce à des campagnes nationales d’information du grand public. La reconnaissance de la violence faite aux femmes comme cause nationale devrait vous donner l’occasion de le faire
L’autre mesure incontournable à mes yeux est de rendre possible rapidement la suspension provisoire de la communauté de biens, que ce soit pour les comptes bancaires, l’obtention de crédits, ou encore le logement ; je pense en particulier à une inscription sur les baux locatifs des conjoints.
Après l’amélioration des principes par le biais d’initiatives législatives consensuelles se pose la question des moyens mis en œuvre pour les appliquer.
À ce propos, je tiens à vous faire part de mon inquiétude, madame la secrétaire d’État, sur les difficultés rencontrées par certains centres d’information sur les droits des femmes. Leur financement connaît des dysfonctionnements. Il semblerait en effet que, depuis 2008, le champ d’application « violences faites aux femmes » ne soit plus inscrit dans les priorités de certains services de la direction des affaires sanitaires et sociales, la DASS, lesquels, de ce fait, réduisent considérablement les subventions dédiées à ces actions. Le Conseil national s’en est d’ailleurs ému dans un courrier qui vous a été adressé. Je serai attentive à votre réponse sur ce point.
Concernant le référent unique, mis en avant dans le plan triennal 2008-2010, je souligne que près d’un tiers des départements attendent encore l’appel d’offres de la préfecture pour son lancement. Il faut dire que les professionnels de l’accompagnement aux victimes de violences conjugales soulignent le caractère stigmatisant d’un tel guichet unique, surtout en zone rurale. Mais je crois que vous avez déjà pris acte de leurs remarques.
Telles sont les éléments sur lesquels je voulais attirer votre attention, madame la secrétaire d’État. En tant que membre de la délégation aux droits des femmes, je ne manquerai pas de faire pression auprès de vous pour les inscrire dans la loi ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, le phénomène des violences faites aux femmes est d’une ampleur et d’une gravité considérables, qu’il s’agisse des violences commises en milieu professionnel ou des violences au sein du couple. Ces dernières constituent un phénomène massif qui touche un nombre important de femmes de tous âges, de tous milieux et de toutes origines. Ce mal fut trop longtemps considéré comme un tabou, appartenant à la sphère privée et relégué au rang de simple dispute de ménage.
Quand une femme sur dix est victime de violences, quand une femme décède tous les deux jours et demi sous les coups de son partenaire, quand plusieurs milliers de femmes sont victimes de viol, quand plusieurs dizaines de milliers de femmes sont victimes de mariages forcés, s’agit-il de simples problèmes d’ordre privé ou d’un grave problème de société ?
C’est pour lutter contre un tel fléau que j’avais effectivement déposé, en novembre 2004, une proposition de loi, avec le soutien du groupe socialiste, des Verts et, plus particulièrement, de Michèle André, ancienne secrétaire d’État chargée des droits des femmes.
Il s’agissait pour nous, au départ, d’une proposition de loi-cadre, mais, dans le contexte politique du moment, j’ai vite compris qu’il valait mieux adopter la stratégie des petits pas, plutôt que celle du « tout ou rien ».
Comme a bien voulu le rappeler Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, notre proposition de loi fut ensuite, conjointement à celle qui avait été déposée par le groupe CRC, inscrite à l’ordre du jour des travaux du Sénat, et adoptée après modifications à l’unanimité par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale. Enfin, la loi fut promulguée : il s’agit de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
Les associations, unanimes, ont considéré que cette loi avait représenté une grande avancée et même un pas sans précédent. C’était en tout cas, faut-il le rappeler, la première fois que le Parlement acceptait de légiférer sur un tel sujet. Dès lors, et puisque la mémoire est parfois fragile, j’en rappellerai les grands axes.
D’abord, cette loi a modifié le code civil sur l’âge légal du mariage des femmes, fixé à dix-huit ans. Nous avons en effet considéré qu’à l’âge de dix-huit ans une jeune fille était mieux à même de résister aux pressions familiales, dans le cas d’un mariage forcé, qu’à celui de quinze ans.
Ensuite, la loi a introduit le mot « respect » dans l’article 212 du même code : les époux se doivent « respect, fidélité, secours, assistance. »
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Vous oubliez « mutuellement » !
M. Roland Courteau. Le texte comporte aussi des mesures spécifiques permettant de lutter contre les mariages forcés : aggravation des peines pour les faits commis au sein du couple ; possibilité donnée aux magistrats d’éloigner l’auteur des violences du domicile ; incrimination du viol au sein du couple ; accompagnement psychologique, sanitaire et social des auteurs de violences.
Cette loi comporte également des dispositions relatives aux mutilations sexuelles féminines et fait obligation au Gouvernement de déposer tous les deux ans sur le bureau des assemblées parlementaires un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples.
Concernant ce rapport, vous m’avez annoncé mardi dernier, madame la secrétaire d’État, qu’il serait mis en distribution le jour même, ce qui a été fait. Mais convenez qu’il était temps, puisque ce rapport aurait dû être déposé, comme l’a rappelé Michèle André, en avril 2008 ! Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si le prochain rapport sera déposé en 2010 ou en 2011.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Nous ferons une session de rattrapage ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. En fait, ce texte nous permet de mieux avancer dans la lutte contre un tel fléau. La loi peut, en effet, devancer les mentalités et en accélérer l’évolution. Mais, je le reconnais, elle n’est pas la seule réponse à apporter pour éradiquer les violences conjugales : elle doit être relayée par d’autres dynamiques pour faire changer certains schémas profondément ancrés dans les mentalités.
Cela étant, je constate que les choses évoluent. Je note que le taux de réponse pénale augmente, passant de 69 % en 2003 à près de 84 % en 2008. Je note également que la prise en charge des victimes s’est améliorée. Je note encore que, depuis les débats qui ont conduit à l’adoption de nos propositions de loi, les faits de violences sont mieux recensés. Souvenez-vous, je l’avais dénoncé ici même, en 2005 : on connaissait en France le nombre de portables dérobés, celui des taille-crayons fabriqués, mais on ignorait le nombre exact de femmes qui décédaient chaque année des suites de violences qu’elles avaient subies.
Je crois savoir que cela a été en partie corrigé. Toutefois, certaines associations, comme Femmes solidaires, regrettent qu’il n’existe pas, d’une façon générale, de données établies selon le sexe. On déplore notamment « un glissement sémantique tendant à englober toutes les violences dans le terme général de “violences intra-familiales” ».
Je me demande aussi pourquoi les suicides consécutifs aux violences conjugales ne sont pas comptabilisés, mais je mesure la difficulté de la chose. Cela dit, force est de constater que, depuis trois ans, le voile du silence s’est déchiré, la parole s’est libérée : les victimes osent enfin dénoncer et porter plainte.
Les plaintes ont ainsi augmenté de 31 % en trois ans sur le plan national et de plus de 58 % dans le département de l’Aude. Ne vous méprenez pas ! Les violences ne se sont pas multipliées dans l’Aude. Vous l’avez compris : il y a une meilleure prise de conscience collective, une meilleure information sur ce type de violences, une meilleure connaissance des droits et, surtout, un travail important de la part des associations spécialisées et de la mission départementale aux droits des femmes.
Bref, les violences sont de moins en moins cachées et le phénomène de moins en moins tabou, ce qui ne signifie pas que la partie est déjà gagnée, loin de là !
L’ampleur et la gravité de ce phénomène sont telles qu’il faut accroître encore l’effort de prévention. J’ai eu l’occasion de dire ici, à plusieurs reprises, que nous avions besoin, avant tout, de mettre en œuvre une prévention massive, celle-là même que nous avions prévue dans notre proposition de loi initiale, en 2004, et que le Sénat et le Gouvernement n’ont pas souhaité retenir soit au nom de la séparation de la loi et du règlement, soit en raison du manque de volonté de débloquer les financements nécessaires à la mise en œuvre d’un tel dispositif préventif.
Certes, je connais le deuxième plan global triennal 2008-2010 qui est actuellement engagé pour combattre les violences faites aux femmes. J’ai bien noté, parmi les douze objectifs fixés, ceux qui visent à « accroître l’effort de sensibilisation de la société pour mieux combattre et prévenir les violences ». Mais je ne saurais trop insister sur la nécessité de campagnes de sensibilisation plus nombreuses et plus régulières par voie d’affichage et de presse, mais aussi à la radio, à la télévision, au cinéma, sans oublier internet, contre toutes les formes de violences envers les femmes, tant au sein des couples que sur le lieu de travail.
Il faut également faire porter plus fortement l’effort de sensibilisation sur les jeunes. Romain Rolland le disait : tout commence sur les bancs de l’école !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est sûr !
M. Roland Courteau. Il avait cent fois raison ! Si nous voulons changer les mentalités, c’est par là qu’il faut commencer. Trop souvent, les jeunes garçons et les jeunes filles sont enfermés dans des représentations très stéréotypées de leur rôle et de leur place dans la société.
Je n’ignore pas que des instructions ont été données en 2006, qui mettent l’accent sur la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sur la promotion du respect mutuel entre filles et garçons.
Je sais également qu’en 2005 les instances de l’Union européenne ont bien recommandé aux États membres de veiller à une éducation de base qui évite les schémas et les préjugés culturels et sociaux ou les images stéréotypées du rôle de chaque sexe.
J’avais suggéré fortement, avec mes collègues du groupe socialiste, dans notre proposition de loi initiale, l’introduction dans les programmes scolaires d’une information sur le respect mutuel entre garçons et filles, sur l’égalité entre les sexes, sur le respect des différences, sur le respect de l’intégrité physique, ainsi qu’une sensibilisation à la nécessité de résoudre les conflits d’une façon non violente.
Mais le Sénat, suivant, sur ce point également, l’avis du Gouvernement, n’avait pas retenu cette proposition, ce qui nous était apparu comme très regrettable à la lumière du climat de violence qui commençait déjà à s’étendre autour de certains établissements scolaires.
Pouvez-vous donc m’indiquer, madame la secrétaire d’État, quelles ont été, au cours des trois dernières années, les actions concrètes engagées dans ce domaine auprès des établissements scolaires ?
Je rappelle, en effet, que les différents ministres en charge du dossier des violences à l’égard des femmes avaient, ici même, pris des engagements pour justifier leur refus de voir nos amendements introduits dans la loi, prétextant que tous les outils se trouvaient déjà dans le code de l’éducation et qu’il n’y avait nul besoin d’en créer d’autres. Dès lors, puisque les outils sont censés exister, je souhaiterais connaître l’usage qui en a été fait. Quelles actions ont été engagées, en trois ans, en direction des écoles, et quel bilan peut-on en tirer aujourd’hui ?
Le problème est d’importance, car on assiste à un accroissement des comportements et des violences sexistes chez de nombreux adolescents.
Il m’a été également rapporté que le nombre d’adolescentes victimes d’agression sexuelles serait en augmentation.
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est certain !
M. Roland Courteau. Serait-ce dû au fait que, parfois, l’apprentissage de la sexualité chez certains adolescents se fait à partir d’internet ou de cassettes pornographiques qui évoquent l’usage consensuel de la violence dans les relations sexuelles, de même que la banalisation de celles-ci ?
Toujours en ce qui concerne la prévention, il est par ailleurs impératif de veiller à l’image de la femme dans les médias. Voilà pourquoi, à diverses reprises, ici même, j’ai rappelé qu’il fallait que, dans ce domaine, soit appliquée plus rigoureusement la loi de 1986. Cette loi, relative à la liberté de communication, dispose : « L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise [...] par le respect de la dignité de la personne humaine ».
Améliorons donc l’application de la loi, en faveur du respect de la personne humaine et contre les images choquantes, dévalorisantes et dégradantes de la femme.
Mais peut-être faut-il aller plus loin pour faire respecter les femmes et leur image, par le biais notamment de campagnes de sensibilisation grand public, et surtout par un réel contrôle qui ne se limite pas aux seules publicités télévisées.
Enfin, je note avec satisfaction l’annonce faite par le Premier ministre d’ouvrir la voie à la reconnaissance de la lutte contre les violences faites aux femmes comme grande cause nationale pour 2010.
Je souhaite également m’attarder quelques instants sur le problème des violences psychologiques. Je rappelle à cet égard que notre proposition de loi initiale les prenait bien en compte. Par ailleurs, un amendement concernant cette question a été rejeté par le Sénat, par 140 voix contre 138, si ma mémoire est bonne.
Trois ans après le rejet par le Sénat de cette disposition, la plupart des associations nous disent attendre que soit introduite dans le code pénal une définition des violences psychologiques. Les questions relatives au harcèlement ou aux comportements « persécutoires » sont au premier rang des préoccupations des associations, car celles-ci en mesurent chaque jour les effets désastreux.
Je n’en suis pas étonné ! Comme je l’ai tant de fois expliqué ici même, la violence psychologique est l’arme de l’agresseur habile. Elle détruit un être à petit feu, elle le conduit vers la dépression et sur des pentes extrêmement périlleuses pour sa santé et pour sa vie. Mais, le plus souvent, elle ne laisse pas de marques visibles. Pas de traces, donc pas de preuves !
J’ai trop entendu dire qu’il ne s’agirait pas là de véritables violences. Pourtant, comment qualifier autrement cet acharnement à détruire la personnalité de sa partenaire, à l’humilier, à la rabaisser, à la harceler, à la dénigrer, à la menacer, et cela de façon répétée, jour après jour, nuit après nuit, durant des mois voire des années ?
Il m’apparaît nécessaire, madame la secrétaire d’État, de faire en sorte que les violences psychologiques soient prises en compte au même titre que les violences habituelles, physiques. Peut-être pourrions-nous y parvenir en insistant sur la notion de « harcèlement » ou de « comportement persécutoire » : les preuves sont en effet plus faciles à réunir dans ces cas-là.
Je rappelle que nous avons déposé, en 2007, une proposition de loi dans laquelle nous suggérions d’insérer, après l’article 222-14-1 du code pénal, un article 222-14-2 visant les violences physiques et psychologiques habituelles – j’insiste sur ce dernier terme – commises au sein du couple, dès lors qu’elles portent atteinte à l’intégrité de la personne. Mais j’aurai sans doute l’occasion de revenir prochainement sur ce sujet.
Je souhaite également évoquer l’une des dispositions phares de la loi du 4 avril 2006, celle qui est relative à l’éloignement du domicile de l’auteur des violences. Comme votre rapport le précise, madame la secrétaire d’État, cette mesure permet d’inverser le rapport de force symbolique, car, trop souvent, la victime était obligée de quitter le domicile. Cependant, sauf erreur de ma part, cette disposition, impatiemment attendue par les associations et, plus largement, par l’ensemble des intervenants, est peu utilisée par les magistrats, car seulement un peu plus de 9 % des affaires donnent lieu au prononcé d’une mesure d’éloignement.
Quelles en sont les raisons ? Les places disponibles dans les structures de prise en charge ou dans les hébergements sont-elles insuffisantes pour accueillir les auteurs des faits ? S’agit-il d’un manque de ressources, ou encore de l’absence de familles d’accueil ? Je m’interroge sur l’effectivité de cette mesure et je sollicite des éléments de réponse de votre part, madame la secrétaire d’État.
Une autre question porte sur l’injonction de soins prévue pour les auteurs de violences conjugales : est-elle appliquée aussi souvent que nécessaire ? La prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique est une mesure importante pour lutter contre la récidive chez les auteurs de violences. Or je note que, sur le plan national, le taux de récidive est croissant. Je précise également que, dans mon département, les associations ont mis en place une permanence d’accueil pour les auteurs de violences et constitué des groupes de parole, en liaison avec la mission départementale.
La prévention de la récidive par l’injonction de soins à l’agresseur implique l’existence de lieux d’accueil, de structures de soins, d’intervenants qualifiés et donc de financements. On en revient toujours au problème récurrent du financement ! Je souhaiterais que vous m’éclairiez sur ce point, madame la secrétaire d’État : quels moyens entendez-vous y consacrer ?
Cela m’amène à revenir sur la réduction des crédits alloués par l’État à des associations comme le Planning familial, même s’il semble que ces crédits soient en voie d’être rétablis.
M. Roland Courteau. Vous conviendrez que ce n’était pas le meilleur endroit pour faire des économies !
Puisque j’en suis aux épineuses questions financières, je souhaite évoquer les difficultés rencontrées par les associations en matière d’hébergement des victimes. Les places manquent dans ce domaine, tout comme elles manquent en « accueil d’urgence de nuit ».
Nous ne pourrons appliquer correctement cette loi du 4 avril 2006, en matière d’éviction, d’obligation de soins, d’hébergement de l’agresseur et de protection des victimes que si des moyens sont corrélativement mis en place. À défaut, certaines mesures resteront lettre morte.
Pardonnez-moi de le dire ainsi, madame la secrétaire d’État, mais dès lors qu’il s’agit de solidarité nationale, la balle est dans votre camp.
On ne peut décemment laisser les associations, les salariés et les élus bénévoles, se débattre dans d’inextricables problèmes de financement, alors qu’elles s’efforcent de rendre effectif l’essentiel des mesures que nous avons décidées. Prenons garde qu’à trop tirer sur la corde elle ne finisse par casser…
Une autre question concerne la formation des différents intervenants, à commencer par celle des professionnels de santé, souvent en première ligne face aux violences physiques, sexuelles ou psychologiques. Ceux-ci considèrent que le dépistage ou le conseil aux victimes pour prévenir les drames humains n’est pas chose aisée et se disent pris entre le devoir de protection de la santé de leurs patientes et les impératifs du secret professionnel.
Ils leur arrivent même, parfois, de solliciter les associations. Or, dans l’hypothèse de poursuites, la rédaction d’un certificat médical et l’évaluation de l’incapacité temporaire de travail, l’ITT, sont essentielles, d’où la nécessité d’une formation et d’une information approfondies des professionnels de santé.
En fait, sur ce sujet, de nombreux intervenants ont un rôle majeur à jouer en matière de détection, de repérage, d’accompagnement et de prise en charge.
C’est la raison pour laquelle il nous était apparu nécessaire de poser, d’abord dans la proposition de loi, ensuite par voie d’amendement, le principe de la formation initiale et continue de tous les acteurs sociaux, médicaux et paramédicaux : personnels de la police et de la gendarmerie, magistrat, avocats, enseignants.
Il a manqué un consensus pour introduire ces dispositions dans la loi, mais le Gouvernement a pris des engagements. Si j’ai pu vérifier qu’un effort avait été réalisé en matière de formation des policiers et des gendarmes, pour le reste, sauf erreur de ma part, je n’ai rien vu venir. La charte d’accueil ainsi que les instructions interministérielles ont effectivement permis de mobiliser les acteurs de la sécurité. Cependant, en ce qui concerne les autres intervenants, l’essentiel reste à faire en matière de formation.
Ne pourrait-on pas introduire la problématique des violences conjugales dans les programmes des étudiants qui se destinent aux carrières d’avocats, de magistrats, d’enseignants ou de médecins ?
Encore une fois, si les attentes sont fortes et les besoins évidents, les professionnels ne sont pas toujours sensibilisés à la problématique des violences conjugales. À quelques exceptions près, j’ai le sentiment que ce terrain est encore en friche.
Je veux évoquer également le sujet de l’aide juridictionnelle qu’il conviendrait d’accorder, sans condition de ressources, aux victimes de violences conjugales. Celles-ci sont souvent en état de choc et il faut leur faciliter la tâche, notamment dans les moments difficiles où elles décident de réagir. Leur dépendance financière risque aussi de constituer un frein dans la recherche d’un avocat, et il est inutile de compter sur le concours du conjoint ou du partenaire pour faire face à ce type de dépenses.
Une autre priorité serait de permettre aux victimes de violences conjugales d’obtenir, sans condition de ressources, la réparation intégrale des dommages subis, en intégrant, de manière explicite, dans l’article 706-3 du code de procédure pénale, les infractions les plus graves commises au sein du couple. Cette possibilité existe déjà pour certaines infractions.
L’accès au logement social constitue un autre problème. Il s’agit d’une mesure essentielle pour permettre aux femmes de se reconstruire et de se retrouver en sécurité. La solution du centre d’hébergement spécialisé ne peut durer qu’un temps ; ces établissements manquent d’ailleurs de places, je le répète. Il existe une pénurie de logements adaptés aux ressources de ces personnes. On note même, de la part de certains propriétaires, une forte réticence à reloger ces familles monoparentales à revenus faibles.
Il est capital que les femmes victimes de violences conjugales soient véritablement prioritaires dans l’accès au logement social, en particulier celles qui sortent des centres spécialisés. Le logement et l’insertion professionnelle jouent un rôle essentiel dans le retour à l’autonomie. Et même si la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion présente quelques avancées sur ce point, je suggère que, chaque année, des propositions de logements sociaux soient faites aux associations spécialisées.
Je veux enfin m’attarder sur un point capital, que nous n’avons que très rarement évoqué : l’incidence des violences conjugales sur les nourrissons et les jeunes enfants. Ils en sont en effet les spectateurs et les victimes collatérales et, lorsqu’ils sont exposés à des violences domestiques, leur cerveau ainsi que leur développement moteur et cognitif peuvent subir des dommages sévères liés au stress émotionnel ressenti. Ces enfants peuvent présenter des troubles du sommeil ainsi que des troubles du comportement et de la personnalité tels que des dépressions, des tendances suicidaires, une énurésie ou des maladies psychosomatiques.
Certaines études ont par ailleurs révélé que 40 % des adolescents très violents ont eux-mêmes été exposés à ce genre de violences lorsqu’ils étaient jeunes enfants.
Bref, les violences conjugales constituent une redoutable machine à fabriquer et à reproduire de la violence. Les enfants exposés aux violences ont souvent tendance à considérer celles-ci comme un moyen habituel de résoudre les problèmes interpersonnels. Une prise en charge de ces enfants s’impose donc si l’on veut limiter l’impact psychique que peuvent avoir sur eux les violences conjugales. C’est pourquoi certaines associations comme le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles, le CIDFF, du département de l’Aude envisagent de mettre en place des « lieux d’écoute ». Je souhaiterais savoir si vous entendez encourager et, surtout, soutenir de telles initiatives, madame la secrétaire d’État.
Je ferai encore une remarque sur un point soulevé, voilà quelque temps, par notre collègue Raymonde Le Texier. Il a été reproché à une femme battue par son mari, ainsi qu’à l’association qui l’hébergeait, d’avoir dissimulé au père l’adresse réelle de la mère et des enfants. L’affaire a été jugée voilà environ deux ans. Or, s’il est légitime de veiller aux droits du père, il importe aussi d’assurer la protection de la mère et des enfants. Cela soulève le problème du cloisonnement entre le pénal et le civil. C’est pourquoi nous suggérons la création de « lieux neutres » ou d’« espaces de rencontre » où le parent exclu du domicile et tenu de rester éloigné de sa compagne pourra rencontrer ses enfants. Je me permets de vous signaler qu’un tel projet pourrait prochainement voir le jour, en terre d’Aude, sur l’initiative du CIDFF.
Cela me conduit à plaider pour une véritable cohérence entre les procédures pénales et civiles, ce qui rejoint d’ailleurs l’une de vos préoccupations, madame la secrétaire d’État. Plusieurs associations me faisaient remarquer que les juges aux affaires familiales n’étaient pas toujours informés des faits de violences conjugales et des procédures en cours. Je pense aussi que les avocats devraient saisir plus souvent le juge aux affaires familiales dans les cas de violences commises à l’encontre d’une mère.
Il me semble également qu’il conviendrait de compléter l’article 220-1 du code civil, qui permet au juge aux affaires familiales de statuer tout à la fois sur la résidence séparée des conjoints et sur l’exercice de l’autorité parentale. Comme chacun l’aura remarqué, cette disposition ne vaut que pour les couples mariés. Or, à l’instar des magistrats, des associations et des avocats, il me paraît indispensable de l’étendre également aux couples qui vivent en concubinage ou à ceux qui sont liés par un pacte civil de solidarité.
Je ne vous cache pas, madame la secrétaire d’État, que nous essaierons, avec le groupe socialiste, de faire avancer certaines de nos propositions au travers de différentes initiatives législatives à venir.
En tout état de cause, je crois que le Sénat peut être fier d’avoir joué, dès 2005, un rôle de précurseur dans un domaine qui, aujourd’hui encore, nous mobilise, sur l’initiative de Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si, par nos initiatives respectives, passées, présentes et futures, nous pouvions contribuer à éradiquer les violences au sein du couple par une vraie révolution des mentalités, nous ferions alors vraiment œuvre utile. Certes, la tâche sera ardue... Raison de plus pour la poursuivre et l’amplifier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon analyse de la situation actuelle en matière de violences subies par les femmes est la suivante : un dispositif législatif fort, une prise de conscience politique affirmée, mais des violences persistantes.
Je m’attacherai à développer ce constat et ma collègue Catherine Morin-Desailly insistera sur les moyens qu’il nous semble important de mettre en œuvre.
À titre liminaire, je souhaite insister sur le fait que les violences faites aux femmes constituent une violation des droits humains que sont le droit à la sécurité, le droit à l’égalité, le droit à la liberté et, surtout, le droit à la vie.
Je tiens également à replacer cette violence dans le contexte plus large de la discrimination. En effet, la violence envers les femmes est étroitement liée à une discrimination, qui perdure et qui se fonde uniquement sur l’appartenance sexuelle. Elle s’exerce contre les femmes parce qu’elles sont femmes. La substance même de la discrimination est l’exercice d’une différence de traitement arbitraire. Le sexisme, comme le racisme, c’est nier à un autre son statut d’alter ego.
Les violences faites aux femmes restent entretenues par un système de discrimination qui conforte celles-ci dans une position de subalternes. La discrimination constitue un terreau propice à des manifestations de violence. Elle engendre des rapports de force et de domination et se traduit par un sentiment de propriété du corps et de l’esprit de la femme.
Ces vingt dernières années, notre dispositif législatif a beaucoup évolué, et ce en accord avec les principes du droit international et des droits humains en matière de lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes.
Depuis 1994, quand les violences criminelles ou délictuelles au sein du couple sont le fait du conjoint ou du concubin, elles sont sanctionnées par l’introduction d’une circonstance aggravante.
La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a marqué une étape fondamentale. Plusieurs de ses dispositions constituent de réelles avancées. Tel est le cas de l’élargissement au partenaire lié à la victime par un PACS de la circonstance aggravante précitée. Cette extension vaut aussi à l’encontre des « ex » et s’avère tout à fait adaptée. En effet, la période consécutive à la rupture est souvent le moment où la violence se manifeste de manière exacerbée. Ainsi, l’Observatoire national de la délinquance affirme que si seulement 9 % des femmes déposent plainte quand elles sont victimes d’un conjoint, elles sont 50 % à le faire quand l’agresseur est un ex-conjoint.
Au titre des avancées de la loi du 4 avril 2006, je citerai également l’incrimination spécifique du viol et des autres agressions sexuelles au sein du couple, l’interdiction du domicile conjugal ou familial et l’injonction de soins pour le conjoint violent, la prévention des mariages forcés, avec notamment le relèvement de l’âge légal du mariage, le contrôle du consentement des époux et les nouvelles règles de l’action en nullité du mariage pour vice de consentement.
Dans la lutte contre les violences subies par les femmes, le dispositif législatif constitue un cadre normatif essentiel, mais insuffisant. La responsabilité de l’État est également essentielle. Ce dernier doit continuer à se donner les moyens nécessaires pour que ces droits soient véritablement respectés, garantis et protégés. Cela implique non seulement de sanctionner les auteurs de ces violences, d’offrir des réparations adéquates aux femmes, mais aussi de prendre toutes mesures pour prévenir ces violences. Il s’agit d’une véritable obligation de diligence.
L’État doit prendre toutes les mesures ad hoc pour prévenir les préjudices potentiels à l’égard des femmes. Cela signifie qu’il a l’obligation de lutter par tous les moyens contre les comportements sexistes, notamment en intégrant cette démarche dans ses vecteurs éducatifs et dans les cursus scolaires, en soutenant des campagnes d’information régulières, en formant ses agents dans une optique égalitaire.
Madame la secrétaire d'État, vous avez affirmé cette volonté politique, mais les résultats ne semblent pas tout à fait à la hauteur de vos ambitions. Pourtant, à l’occasion des dernières campagnes de sensibilisation, vous avez indiqué vouloir sonner l’heure de la réaction. La campagne d’octobre 2008, avec son ton inhabituellement grinçant et une accroche au second degré, voulait provoquer un déclic, susciter l’action aussi bien auprès des femmes et de leur entourage, trop souvent muet, que des auteurs de violences.
Le label « campagne d’intérêt général » attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes va également dans le bon sens, puisque les associations pourront travailler ensemble à une communication qui sera mieux relayée par les médias.
La mise en place d’une plateforme téléphonique d’aide aux victimes – le 39 19 – est aussi une bonne initiative. Le nombre important d’appels – plus de 7 000 par mois – prouve qu’elle répond à une vraie demande.
Toutefois, en dépit d’un dispositif législatif fort, d’une vraie prise de conscience politique, les violences subies par les femmes ne régressent pas.
Les dernières statistiques ne sont guère encourageantes à cet égard. Il ressort d’une enquête récente de l’INSEE, réalisée auprès de 17 500 personnes, qu’une femme sur cinq victime de violences physiques au sein de sa famille n’a ni porté plainte ni parlé à un professionnel, policier ou médecin. Pour les violences sexuelles, la proportion de victimes murées dans leur silence est même de une sur trois.
Au total, toujours selon cette enquête, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans disent avoir été l’objet d’injures sexistes, 2,5 % avoir été agressées physiquement et 1,5 % avoir subi un viol ou une tentative de viol en 2005 ou en 2006.
Madame la secrétaire d'État, beaucoup reste à faire. Notre arsenal législatif est un premier pas vers l’éradication des violences faites aux femmes, encore faut-il que nos lois soient bien appliquées sur l’ensemble du territoire. Très souvent, elles ne le sont pas, faute de moyens suffisants.
Nos lois doivent aussi s’accompagner d’une véritable évolution des mentalités. Cette évolution-là, beaucoup plus lente, est celle qui fera la différence dans la pratique. Sur ce plan, les maîtres mots sont prévention, sensibilisation et formation.
Je laisse ma collègue Catherine Morin-Desailly développer ces différents points, notamment celui de la sensibilisation des plus jeunes au respect de leur corps et de celui de l’autre, à la sexualité et à la prévention des comportements sexistes.
Madame la secrétaire d'État, tels sont notre rapide constat et notre analyse. Nous serons attentifs à vos propositions. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les violences dont sont victimes les femmes, particulièrement au sein du couple, ne peuvent que nous alerter sur le poids d’une société qui se construit toujours, malgré de notables évolutions, sur la domination masculine dans les rapports sociaux de sexes.
Les violences faites aux femmes constituent la violation des droits humains la plus répandue. Il s’agit d’une problématique qui se trouve au croisement d’une question de société et d’une question individuelle. Lorsqu’une femme sur dix est victime de violences dans son couple, on voit bien qu’il s’agit d’un phénomène largement présent dans notre société, fondée sur le patriarcat. En même temps, les comportements individuels s’inscrivent dans des rapports sociaux régis par la domination masculine.
Malgré des conquêtes fondamentales, fruit des luttes collectives des femmes, les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent dans notre société. Elles sont le terreau sur lequel se construisent les violences envers les femmes.
Le 4 février dernier, l’Observatoire des inégalités révélait que l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes était de 33 % en moyenne, atteignant 44 % pour les ouvriers. Cette différence s’explique principalement par le travail à temps partiel subi, qui touche particulièrement les femmes : à horaires inférieurs, salaires inférieurs !
Il n’en demeure pas moins que plus on s’élève dans la hiérarchie des salaires, plus l’inégalité entre hommes et femmes est forte. L’écart va de 6 % chez les employés à 30 % chez les cadres supérieurs.
Les violences faites aux femmes sont encore trop souvent niées. Pourtant, leur ampleur et leur dangerosité doivent nous alerter.
Ainsi, selon les études de l’Observatoire national de la délinquance, 47 573 faits de violence à l’égard des femmes ont été enregistrés en 2007 par les services de gendarmerie ou de police. Ce chiffre, en nette progression par rapport à 2004, année au cours de laquelle on a enregistré 36 231 faits de violence, doit nous conduire, en tant que législateur, à chercher toujours les moyens les mieux adaptés pour répondre à ce qui s’apparente à un véritable fléau.
Ce chiffre est d’ailleurs en dessous de la réalité. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le rapport remis en février 2009 par l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, selon lequel 12 % seulement des violences font l’objet d’un dépôt de plainte.
Selon une enquête de l’INSEE, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans ont été, en 2005, victimes d’injures à caractère sexiste, et 2,5 % d’entre elles auraient subi une agression physique.
À ce triste tableau, il convient d’ajouter les 130 000 viols dénombrés par l’Observatoire national de la délinquance et les 166 assassinats de femmes par leur partenaire ou ex-partenaire violent en 2007.
J’ai cité tous ces chiffres pour indiquer qu’il y a urgence à mieux protéger les femmes victimes de violences. Cela suppose de les encourager à porter plainte, de mieux les accueillir, de davantage les accompagner dans leurs démarches. Il faut encore que les femmes osent plus souvent porter plainte, et je ne pense pas qu’une énième mission soit nécessaire pour mettre ce fait en évidence. Le phénomène est connu, bien qu’il soit sans doute encore sous-évalué.
À ce stade de mon intervention, je voudrais que nous nous posions collectivement une question : la législation actuelle est-elle suffisante ou faut-il la faire évoluer ?
Au sein du groupe CRC-SPG, nous considérons que la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple et commises contre les mineurs, fruit de l’examen commun de deux propositions de loi, dont l’une était présentée par nos soins, a représenté une évolution positive notable dans la prise en compte et la sanction de ces violences. Mais il faut aller plus loin, en proposant par exemple une ordonnance de protection pour les femmes victimes de violences. Cela correspond également aux conclusions du rapport de la mission d’évaluation du plan global 2005-2007 de lutte contre les violences faites aux femmes. L’observatoire départemental des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis, qui accomplit un travail remarquable, a analysé les homicides de femmes et fait également cette proposition.
Pour lutter efficacement contre les violences envers les femmes, il faut agir selon quatre axes, en complément de ceux dont j’ai déjà parlé.
D’abord, il faut informer et sensibiliser toute la population sur les mécanismes de la violence masculine et la dangerosité des hommes violents. C’est pourquoi je propose de lancer une grande campagne radiotélévisée et d’affichage sur ce thème.
Ensuite, il convient de former tous les professionnels : ceux de la police, de la justice, de la santé, les travailleurs sociaux, les professionnels de l’enfance, les enseignants, afin de leur permettre de mieux connaître, pour mieux les aider, les femmes victimes de violences.
Nous partageons aussi l’analyse de l’Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes, pour qui la législation doit évoluer afin d’y intégrer un volet préventif et éducatif qui fait cruellement défaut à la législation actuelle. Cela est d’autant plus nécessaire que, comme l’a rappelé Roland Courteau, nous savons aujourd’hui combien les enfants et les jeunes souffrent des violences dont leur mère est victime. Il est donc important de prendre en compte le fait que les enfants sont des victimes des violences dans le couple.
Il ne peut y avoir de lutte efficace contre les violences faites aux femmes qu’en actionnant tous les leviers : la prévention, l’éducation, l’apprentissage de la mixité, les sanctions, la protection, la lutte contre les inégalités salariales et contre une image dégradée de la femme.
Je dois d’ailleurs dire combien je regrette que le groupe UMP du Sénat ait profité de l’examen d’un projet de loi de transposition d’une directive européenne contre les discriminations pour autoriser, contre l’avis de la délégation aux droits des femmes, que perdure dans les médias, et particulièrement dans la publicité, le recours à des stéréotypes et à une conception dégradée de la femme.
Je regrette également que la majorité de notre assemblée ait accepté, sous un prétexte fallacieux, de revenir sur le principe républicain primordial de mixité à l’école, mixité dont l’apprentissage doit impérativement se faire en milieu scolaire, dès le plus jeune âge.
Nous proposons en outre de faire de cette politique préventive une véritable mission de l’éducation nationale, en incluant dans le code de l’éducation, par exemple, les principes d’éducation non sexiste.
Nous proposons enfin de modifier le code de la consommation afin de créer une nouvelle catégorie de publicités illicites, à savoir celles qui présentent les femmes de manière attentatoire à leur dignité. Il est en effet grand temps de réaffirmer que les corps des femmes ne sont pas des supports publicitaires.
Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la secrétaire d’État, veut faire des violences faites aux femmes une grande cause nationale. C’est une bonne chose, à condition de sortir de la logique d’annonces pour enfin proposer des actions concrètes.
La législation, j’en suis convaincue, doit évoluer. Les chercheurs l’affirment, les associations le demandent : il faut impérativement intégrer à la loi un volet préventif, comme nous l’avions fait en 2006, par voie d’amendements, ainsi qu’en 2007, en déposant, à l’Assemblée nationale et au Sénat, une proposition de loi-cadre issue du travail collectif d’associations et de mouvements féministes. Ce texte comprend cent quinze articles qui, de la prévention à la sanction, couvrent tous les aspects des réponses nécessaires pour éliminer enfin ce fléau !
Le 25 novembre 2008, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, ces associations ont rappelé l’urgence de l’adoption d’une loi-cadre en apportant à l’Assemblée nationale plus de 16 000 pétitions recueillies dans tout le pays. Les députés ont même décidé la création d’une mission d’information sur ce sujet.
Cette proposition de loi-cadre, à l’image de ce qui a été fait en Espagne, est à la disposition du Gouvernement. Il suffit de l’inscrire à l’ordre du jour d’une des chambres du Parlement.
Prendre en compte les solutions retenues par les pays les plus avancés dans ce domaine serait le signe que nous soutenons l’idée de l’application de la « clause de l’Européenne la plus favorisée ». Il ne faut pas hésiter, pour une fois, à procéder à un alignement par le haut, plutôt que par le bas ! Telle est la proposition que je formule aujourd’hui devant le Sénat au nom du groupe CRC-SPG.
Permettez-moi d’évoquer quelques idées fortes de notre proposition de loi.
Il faut impérativement modifier les dispositions pénales, afin que les femmes qui déclarent avoir été victimes de violences conjugales n’encourent plus le risque de poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse.
Il convient d’apporter des réponses concrètes aux difficultés financières que peuvent rencontrer les femmes victimes de violences au sein du couple, difficultés qui, tout le monde le sait, peuvent être une entrave à leur volonté de quitter le domicile commun.
Certes, la législation prévoit que les femmes maltraitées soient prioritaires pour l’attribution de logements sociaux. Mais, vous le savez, madame la secrétaire d’État, en raison de la pénurie de logements sociaux – dont le Gouvernement et les élus de votre majorité sont responsables –, cette priorité demeure trop souvent un principe et reste, dans les faits, lettre morte.
C’est pourquoi nous entendons réformer la politique des aides sociales en instituant une aide d’urgence, équivalente à six mois de salaire et pouvant être débloquée dans le mois qui suit le départ du domicile. Cette mesure participerait des droits qu’ouvrirait l’ordonnance de protection que j’ai évoquée voilà un instant.
Enfin, sur le plan pénal, nous proposons de faire évoluer la notion de violence au sein du couple, en y intégrant la notion de harcèlement moral et sexuel, comme cela a été fait pour le code du travail.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous pouvez le constater, le champ d’intervention, en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, est important.
C’est la raison pour laquelle je veux dénoncer les risques qui pèsent sur le Service des droits des femmes et de l’égalité, le SDFE. Son existence est menacée en raison de l’application de la fameuse RGPP, la révision générale des politiques publiques, dont le « R » signifie trop souvent réduction, et non pas révision ! Ce service joue pourtant un rôle très important. Sa fermeture serait interprétée comme un très mauvais signal. Je vous demande donc de revenir sur ce projet de suppression, qui résulte exclusivement d’une analyse comptable.
Dans le même esprit, nous considérons – et je vous ai récemment posé une question écrite sur ce sujet, madame la secrétaire d’État – qu’il est temps de créer, comme le recommande le Conseil économique, social et environnemental, un ministère des droits des femmes de plein exercice. Ce n’est pas que nous mettions en cause votre personne, madame la secrétaire d’État, mais, en matière de violences, comme dans tous les domaines qui touchent aux droits des femmes, nous avons besoin d’un véritable effort national, conduit par un ministère dédié.
En effet, lutter contre les violences faites aux femmes exige, il faut le dire, une forte volonté politique assortie de moyens humains et financiers, que le Gouvernement ne semble pas disposé à débloquer. Dès lors, en dépit de la volonté que je sais être la vôtre, il est à craindre que l’idée de hisser la lutte contre les violences faites aux femmes au niveau de grande cause nationale ne soit qu’un effet d’annonce. Tout n’est pas budgétaire, certes, mais des moyens sont nécessaires, et ils doivent être mobilisés dans la transparence.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
Mme Odette Terrade. Or, dans le climat de crise économique et sociale que nous connaissons, il semble que le Gouvernement privilégie d’autres choix.
Pourtant, les violences faites aux femmes coûtent cher à la société. Selon une estimation du Service des droits des femmes et de l’égalité, le coût associé s’élèverait à 1 milliard d’euros. Je propose de consacrer cette somme à lutter contre ce fléau.
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Et on n’invoquerait pas l’article 40 ! (Sourires.)
Mme Odette Terrade. Tout à fait, la dépense serait gagée !
Cependant, le Gouvernement fait le choix inverse : devant l’explosion des besoins, il tarit les ressources. J’en veux pour preuve la situation dramatique de l’accueil d’urgence, qui, chacun le sait, devrait jouer un rôle fondamental pour permettre aux femmes de se soustraire à leur compagnon violent. En raison de votre politique budgétaire, l’accueil d’urgence se trouve dans une situation de quasi-indigence. Cette compétence, pourtant nationale selon les textes, est trop souvent assumée par les départements. Or cet échelon territorial, qui intervient dans de trop nombreux cas à la place d’un État défaillant dans le domaine de la solidarité, est aujourd’hui menacé. Si l’État ne prend pas toutes ses responsabilités, qu’adviendra-t-il de ces centres ?
Enfin, permettez-moi de rendre ici hommage aux associations nationales, départementales et locales qui, par leurs réseaux de proximité, viennent quotidiennement en aide aux femmes victimes, aux côtés des professionnels de terrain. Ces associations, ces professionnels manquent cruellement de moyens. Il faut accroître l’aide financière aux associations et renforcer le service public de proximité, qui montre tous les jours son efficacité.
Le chantier est immense, madame la secrétaire d’État. Pourtant, soyons tous convaincus qu’en avançant sur ce sujet, en faisant reculer les violences faites aux femmes, c’est bien la société tout entière que nous ferons progresser.
Aujourd’hui, des femmes meurent encore sous les coups de leur conjoint. Je vous invite donc à faire nôtre le slogan de la Marche mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté : « No more ! Ni una mas ! Pas une de plus ! » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, tous les trois jours, une femme meurt du fait des violences qu’elle subit.
Je ne reprendrai pas les arguments qui ont été développés notamment par Mme Michèle André et M. Roland Courteau. Je partage leurs interrogations, leurs analyses. Leur réquisitoire a été fort et douloureux ; ne pas s’attaquer de manière concrète à cet épineux problème serait lourd de conséquences sociales et humaines.
Je saisis l’occasion de ce débat pour élargir notre approche et l’étendre aux violences sociales que subissent les femmes.
L’accroissement des inégalités constatées entre les hommes et les femmes n’est pas un symptôme mineur, la queue de comète d’un combat achevé ou le dernier soubresaut d’un monde ancien. Il traduit malheureusement un renforcement des pressions et des contraintes qui pèsent sur les femmes et qui nous obligent, en tant que parlementaires, à regarder la situation en face et à nous mobiliser pour inverser la tendance.
Les chiffres sont là, les faits divers sont révélateurs, les témoignages des femmes éloquents, et pourtant le sujet n’est pas au cœur de nos préoccupations. La question se pose même de savoir si notre société a encore conscience de l’importance de ce combat.
Or la violence sociale que subissent les femmes est sensible dans tous les domaines : travail, carrière, statut, vie quotidienne, mais aussi perspectives d’émancipation, liberté de choix de vie et épanouissement individuel.
En matière d’emploi, ce sont les femmes qui alimentent en masse le vivier des travailleurs sous contrats précaires ou à temps partiel. Elles représentent 82 % des actifs à temps partiel et occupent 78 % des emplois non qualifiés. Sachant que moins les emplois sont qualifiés, moins le temps partiel est choisi, cela donne une idée de la situation de nombre de femmes au regard tant de la nature de leur emploi que de la rémunération de leur travail !
Loin de se résorber, ces inégalités s’accentuent depuis les années quatre-vingt-dix : la part des femmes parmi les salariés les moins bien rémunérés et occupant des emplois à temps partiel est de dix points supérieure à celle qui était constatée à l’époque. Et avec la crise, cette situation ne fera qu’empirer ! Il serait bon de garder cela présent à l’esprit chaque fois que, dans cette enceinte, on légifère pour durcir les conditions de travail et développer le recours aux emplois précaires. Il y a eu, au cours des deux dernières années, pléthore de textes allant dans ce sens.
L’existence de telles inégalités, et surtout leur cumul, constituent une véritable violence faite aux femmes.
À cet égard, le cas des « familles monoparentales » est édifiant. Cette expression neutre masque hypocritement une situation monolithique puisque, neuf fois sur dix, il s’agit de femmes élevant seules leurs enfants. Certaines d’entre elles sont en grande difficulté. Ce sont des femmes souvent jeunes qui, au-delà de l’absence du père de leurs enfants, cumulent tous les facteurs de la précarité : solitude familiale, rupture affective, isolement social, horaires inadaptés, travail précaire et fins de mois impossibles.
Ces situations sont largement passées sous silence et n’émergent souvent qu’à travers des événements dramatiques dont, en général, l’enfant est la victime. Ces femmes sont soumises à une pression qui jamais ne se relâche. Leur vie est un véritable combat pour survivre, qui nous rappelle de manière cuisante notre incapacité à réduire la violence sociale.
Pourtant, il est possible d’agir pour lutter contre l’isolement de ces femmes, dont les enfants sont également victimes. En repérant les situations de détresse au moment de l’accouchement ou du suivi de grossesse, on pourrait mettre en place un accompagnement à domicile et, ainsi, entourer ces femmes d’un réseau de professionnels qui conseilleraient, rassureraient, aideraient et rompraient leur solitude.
Lorsque j’ai débuté ma carrière professionnelle, dans les années soixante, le suivi de jeunes mères à domicile fut ma première mission. Ce n’était pas si mal ! (Mme la secrétaire d’État approuve.) Remettre à l’ordre du jour ce mode d’intervention serait une initiative pertinente. Cela vaudrait mieux que de réduire insidieusement les subventions aux associations qui interviennent dans ce domaine.
Par ailleurs, la liberté des femmes et leur émancipation n’échappent pas à la violence sociale, notamment dans les quartiers sensibles.
Les droits des femmes sont récents, pourtant ils ne cessent d’être insidieusement remis en cause. Au travers des faits divers et de leur cortège de drames, ce sont les tensions de notre société qui nous sont révélées. Dans les cas de « crime d’honneur », de viol collectif, de mariage forcé, de fille brûlée pour avoir refusé de se soumettre à la loi des hommes, c’est le caractère exceptionnel des faits qui frappe d’abord, puis c’est leur répétition qui inquiète.
Ces exemples extrêmes dévoilent la violence quotidienne que subissent les femmes dans ces banlieues que l’absence de mixité sociale a transformées en ghettos. Les débats qui en découlent montrent la résurgence d’un discours obscurantiste sur la place des femmes et leur soumission à un ordre présenté comme naturel.
En France, le poids du sexisme, de la religion et de la tradition est une réalité dont pâtit un nombre croissant de femmes, qui se trouvent assignées à résidence dans un statut inférieur, voient leurs faits et gestes contrôlés, subissent une restriction de leur liberté d’aller et venir, ne peuvent pas s’habiller comme elles le souhaitent et sont entravées dans leurs choix de vie. Dans ce cadre, toute tentative d’émancipation est vécue comme une trahison envers la famille, la culture d’origine, l’identité sociale.
Pour ces femmes, s’affirmer en tant qu’individus revient alors à rompre toutes les solidarités, ce qui est souvent impossible. Il ne leur reste plus qu’à intérioriser la norme et à participer à l’oppression, à la fois victimes consentantes et actrices de leur propre enfermement et de celui des autres.
C’est une situation que peu de responsables politiques dénoncent, dans cette enceinte ou ailleurs. Le travail d’un mouvement comme « Ni putes ni soumises » a eu le mérite de révéler le problème. Mais, concrètement, la situation des femmes de ces quartiers n’a guère évolué, si ce n’est dans le mauvais sens.
Dans son livre Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Didier Lapeyronnie dresse un tableau très sombre de la situation des quartiers de relégation sociale. Il décrit un univers où le racisme est fortement lié au sexisme. Il explique comment, au fur et à mesure que le racisme et la ségrégation se sont renforcés, le contrôle des femmes est devenu un principe central d’organisation de la vie du quartier. Cela se traduit par une séparation nette des genres, par une pression forte sur les femmes, non seulement par la violence, mais aussi par les rumeurs et les réputations.
Cette étude sociologique démontre ainsi que, lorsqu’une population est placée dans une situation de pauvreté à laquelle s’ajoute la relégation, elle se replie sur des définitions très traditionnelles des rôles sociaux, notamment familiaux, et sur une morale rigide et souvent bigote.
Ce constat, qui nous interpelle, reflète l’explosion des inégalités sociales en France et les échecs en matière d’intégration. Nous le faisons aussi dans nos quartiers : ce n’est pas un cas d’école, mais il est largement absent du discours politique.
Cet abandon est d’autant moins acceptable qu’il repose également sur la crainte de vexer des communautés dont l’emprise sur leurs membres est jugée telle que l’on agit davantage en fonction de leur capacité à mobiliser des votes que du respect des valeurs sur lesquelles nous avons construit notre idéal social. Il est d’autant moins justifié qu’en abandonnant ces femmes à leur sort, on abandonne, plus largement, ces territoires à leur misère éducative et sociale.
À travers ce prisme, ce sont les effets d’une politique de gribouille menée dans les banlieues que nous observons. Le refus de faire de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, une vraie arme pour faire vivre la mixité sociale et arrêter de concentrer l’exclusion et la misère dans les mêmes territoires a de terribles conséquences.
L’abandon de la parole politique et du discours laïque a indiqué aux intégristes de tout poil que ceux qui sont chargés d’incarner et de porter les valeurs de notre société avaient déserté ce combat.
Enfin, l’absence de réflexion, en France, sur les politiques de genre, alors que l’Europe du Nord travaille sur ces questions pour faire avancer concrètement la cause des femmes, est dommageable dans notre situation.
Analyser les violences faites aux femmes sous cet angle est rare. Pourtant, travailler pour faire évoluer les mentalités et mettre en œuvre les solutions concrètes qui permettront de changer la donne est la mission du politique. Il s’agit là d’un enjeu non seulement pour les femmes, mais pour la société tout entière.
Madame la secrétaire d’État, vous me direz peut-être que je suis peu ou prou hors sujet, et j’en prendrai alors acte.
Mme Raymonde Le Texier. Il me semblait cependant important de vous alerter sur ces violences faites aux femmes, dont vous n’ignorez rien et qui méritent, me semble-t-il, toute notre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, depuis le temps où Valéry Giscard d’Estaing nommait Françoise Giroud première secrétaire d’État à la condition féminine, les politiques menées en faveur des femmes se sont largement développées afin de défendre leurs droits et de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes. Bien sûr, dans les années soixante-dix, la question des violences subies par les femmes n’avait pas l’acuité qu’elle a aujourd’hui. Sans doute était-elle plus cachée, plus tue ; elle était en tout cas plus taboue.
L’ampleur du phénomène, qui ne peut être considéré comme un ensemble de faits divers et qui ne doit pas être une fatalité, est maintenant pleinement prise en compte par les pouvoirs publics. Je me réjouis d’ailleurs que cette cause ait reçu le label « campagne d’intérêt général » pour l’année 2009. Nous savons également le rôle absolument fondamental joué par les associations dans ce domaine et le travail de terrain qu’elles accomplissent.
De nombreuses mesures et dispositions ont été adoptées depuis quelques années, notamment des plans globaux. Le premier a donné lieu à une évaluation remise au Gouvernement en juillet 2008, évaluation dont il a été tenu compte pour améliorer le deuxième plan que vous avez lancé à l’automne dernier, madame la secrétaire d’État, accompagné d’une large campagne de communication rénovée et percutante.
Un certain nombre de lois ont pris en compte cette réalité, notamment celle du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, que nous avons longuement évoquée aujourd’hui. Je me félicite de ce que le rapport prévu à son article 13 soit disponible, car il nous fournit des éléments sur l’application de cette loi et les points à améliorer. Cette démarche s’inscrit pleinement dans le renforcement des droits et des prérogatives du Parlement, s’agissant notamment de son rôle de contrôle et d’évaluation des politiques publiques tel qu’issu de la révision de la Constitution de juillet dernier.
Au-delà de l’ensemble de ces dispositifs, je voudrais insister sur quelques points qui doivent constituer, me semble-t-il, le cœur de la politique de lutte contre les violences subies par les femmes.
Il est nécessaire de développer et de privilégier une approche transversale et globale, seule à même de permettre une lutte efficace contre ce fléau.
Cela implique de traiter l’ensemble des thématiques de façon articulée : prévention, éducation, information et sensibilisation, répression et suivi des auteurs de violences, accompagnement et réinsertion des victimes. Des acteurs du milieu associatif m’ont rapporté que la prise en charge et le suivi des hommes violents est un aspect insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Or, si une femme sur dix est violentée, combien d’hommes sont violents…
Cela suppose par ailleurs une coordination de l’ensemble des intervenants : gendarmerie, police, hôpital, justice, travailleurs sociaux, éducation nationale… Le deuxième plan triennal va dans ce sens et repose sur une démarche interministérielle.
Toutefois, nous savons – les témoignages des femmes ayant déposé plainte l’attestent – que le volet social et le suivi des victimes sont encore insuffisants. Or ces femmes doivent pouvoir être certaines qu’elles auront les moyens d’être autonomes pour trouver la force de dire « stop, ça suffit ! ». Elles doivent être sûres que le chemin vers l’indépendance et la liberté ne sera pas barré par des obstacles insurmontables.
Cette démarche transversale, que vous avez engagée, madame la secrétaire d’État, est essentielle. Elle mériterait à mon sens d’être développée dans les territoires : il revient aussi aux élus locaux, dont nous sommes les représentants, de la mettre en œuvre à leur échelle. Nous devons les y inciter.
En ce qui concerne maintenant les moyens et les structures, un corpus juridique doit certes être élaboré afin de donner un cadre à ce combat, mais il restera lettre morte s’ils sont insuffisants. Il faut faire vite, le temps presse ! Nous avons toutes et tous en tête ce chiffre terriblement effrayant : tous les trois jours, une femme meurt des suites de violences. Les violences contre les femmes progressent plus que l’ensemble des violences commises contre les personnes. Le rapport d’évaluation du premier plan a pointé ce manque de structures et de moyens, garanties préalables pourtant indispensables pour que les femmes victimes de violences franchissent le pas et déposent plainte.
Des progrès législatifs majeurs ont été accomplis ces dernières années, et le cadre législatif français paraît assez complet. Le rapport ne préconise d’ailleurs pas l’adoption d’une loi-cadre comme il en existe par exemple en Espagne. Aussi aimerais-je connaître votre sentiment sur ce point, madame la secrétaire d’État.
Développer les structures, se donner des moyens suffisants, changer les mentalités afin de modifier les comportements des hommes violents et aider les victimes : tels sont les impératifs. En un mot, il faut agir, et je sais, madame la secrétaire d’État, que vous partagez pleinement cet objectif !
Pour changer les comportements des hommes et faire comprendre aux femmes que la violence, physique ou psychologique, n’est ni normale ni acceptable, je crois beaucoup à l’éducation et à la sensibilisation, dès le plus jeune âge, des filles mais surtout des garçons. À cet égard, je regrette que la sensibilisation soit principalement à destination des filles et des femmes, ce qui les place toujours en situation de victimes et de coupables.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. Il me semble essentiel qu’un effort tout particulier soit désormais accompli en direction des garçons. Ainsi, madame la secrétaire d’État, ne pourrait-on pas concevoir, pour les garçons, un livre similaire à celui que recevront toutes les jeunes filles de 18 ans lors des journées d’appel de préparation à la défense ? Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier les petites filles victimes de viols commis au sein de leur famille et qui portent ce poids toute leur vie.
Les stéréotypes, les clichés, les images ou les propos sexistes sont intériorisés très tôt, parce que largement diffusés, de façon consciente ou inconsciente, d’ailleurs. Les équipes éducatives doivent faire comprendre aux enfants que filles et garçons sont égaux et leur inculquer le respect de l’autre, quel que soit son sexe.
Toutefois, face à l’influence des médias et d’Internet, leur tâche est lourde. C’est pourquoi cette politique de lutte contre les violences doit être menée de pair avec un combat contre les stéréotypes et clichés, véhiculés notamment au travers des médias. J’ai évoqué ce sujet en tant que rapporteur du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. J’espère que, fort de son nouveau cahier des charges, le service public de l’audiovisuel, qui doit être exemplaire dans ce domaine, sera attentif à cette question de la représentation des femmes.
Si des représentations stéréotypées perdurent dans les médias, plus inquiétant encore est ce qui se passe sur Internet. Les jeunes, surfant pendant des heures et sans barrières sur le réseau, sont confrontés à ces représentations déconnectées de la réalité, qu’ils considèrent alors comme vraies. Ils sont exposés à des images dégradantes, humiliantes, qui banalisent la violence sous toutes ses formes. Comment les femmes peuvent-elles ensuite être respectées ? Aussi l’accompagnement des jeunes dans le monde numérique, qui offre par ailleurs, il ne faut pas le nier, de formidables possibilités, doit-il être envisagé très sérieusement : la commission des affaires culturelles y réfléchit actuellement. Il faudrait une sorte de CSA de l’Internet, qui veille au bon usage de la « toile » et au respect de la dignité humaine.
Mme Reiser vous a remis en septembre dernier, madame la secrétaire d’État, un rapport sur l’image des femmes dans les médias, dans lequel elle parle « d’invisibles barrières bloquantes pour les femmes et les jeunes filles françaises qui ont un rôle à jouer dans la société ». Eu égard à votre forte implication sur cette question, pourriez-vous nous préciser quelles suites vous comptez donner à ce rapport ?
Célébrer des journées comme le 8 mars, journée internationale des femmes, ou du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, est indispensable pour alerter chaque année l’opinion publique. Mais nous rêvons tous du jour où nous n’aurons plus à célébrer ces journées, parce que les droits et le respect des femmes seront pleinement acquis partout dans le monde.
En attendant, comme vous, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, j’ai une pensée pour cette petite Brésilienne violée par son beau-père et dont la mère a été excommuniée à la suite de l’avortement de sa fille. Que de souffrances qui auraient pu, qui auraient dû être évitées !
La France, pays des droits de l’Homme – avec une majuscule –, a aussi un rôle à remplir pour faire progresser cette cause sans frontières de la lutte contre les violences physiques, psychologiques et morales faites aux femmes, et doit, au sein de chaque instance internationale, jouer de toute son influence.
Je vous remercie des réponses que vous voudrez bien nous apporter, madame la secrétaire d’État, au terme de ce débat. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer le choix de votre assemblée d’inscrire à son ordre du jour, dès sa première semaine de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, la question des violences faites aux femmes. Cela montre combien le Sénat, où les femmes sont, en proportion, plus nombreuses qu’à l’Assemblée nationale, est attentif à tous les sujets de société et à quel point l’image que certains veulent bien en donner est éloignée de la réalité. (Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et Mme Catherine Procaccia applaudissent.) Il faut combattre de tels clichés qui, comme les stéréotypes de genre, ont la vie dure…
Les violences faites aux femmes constituent un phénomène inacceptable dans nos démocraties modernes. Nous ne devons tolérer aucune atteinte à l’intégrité physique et psychologique des femmes, car ces violences qui s’exercent au quotidien sont une réalité dévastatrice. Elles touchent toutes les catégories sociales, tous les âges, et restent pour les femmes la plus grave violation de leurs droits fondamentaux, ainsi qu’un obstacle récurrent à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Dans les faits, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, cela signifie que les femmes sont davantage en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail.
M. Roland Courteau. C’est certain !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Par conséquent, il est essentiel de mener une politique nationale active de lutte contre ces violences que, pour l’heure, il faut bien l’avouer, le progrès social n’a pas permis de supprimer.
Mmes Kammermann, Dini, Terrade et Le Texier ont rappelé des chiffres qui restent terribles : une femme sur dix est victime de violences physiques, sexuelles, verbales ou psychologiques au sein de son couple ; 166 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint ou de leur concubin en 2007, soit une tous les deux jours et demi ; 47 500 faits de violences volontaires sur femmes majeures par le conjoint ou l’ex-conjoint ont été enregistrés en 2007, soit une augmentation de 30 % – les femmes osent plus qu’avant briser le tabou et déposer plainte, cela a été dit, mais 400 000 d’entre elles déclarent avoir été victimes de violences. Selon le dernier rapport de la délégation aux victimes, le nombre de décès survenus à la suite de violences commises au sein du couple a augmenté de 14 % par rapport à 2006.
Mme Kammermann s’est également interrogée sur notre capacité à prendre la mesure de ce fléau. Nos chiffres reflètent-ils l’entière réalité des violences commises au sein du couple, compte tenu de la réticence de certaines victimes à porter plainte ?
Pour approcher au plus près la réalité que recouvrent les chiffres, l’INSEE, en partenariat avec l’Observatoire national de la délinquance, conduit en France métropolitaine une enquête annuelle de victimation destinée à compléter les éléments issus de l’état 4001, lequel recueille les données de la police et de la gendarmerie. Il résulte des enquêtes menées en 2007 et en 2008 que près de 2 % des femmes de 18 à 60 ans déclarent avoir subi des violences au sein de leur couple.
Je tiens également à signaler qu’une enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, l’ENVEFF, est en cours à la Martinique ; ses résultats seront connus à la fin du premier semestre de 2009. Une enquête similaire a déjà été réalisée à la Réunion, et il est prévu d’en mener une en Guadeloupe. La connaissance du phénomène est en effet loin d’être précise pour les départements d’outre-mer, et il était urgent de remédier à cette situation.
Ce constat suffit à montrer à quel point il est nécessaire de rester mobilisés. Dès maintenant, je puis vous rassurer sur le point suivant : il n’existe bien évidemment aucun projet de fermer le Service des droits des femmes et de l’égalité, le SDFE, dont je tiens à saluer l’implication et le professionnalisme des agents. Ce service est essentiel à la mise en œuvre de la politique du Gouvernement, puisqu’il assure la coordination de son action en faveur des femmes. Non seulement il ne sera pas supprimé, mais, au contraire, il sera rattaché à la déléguée interministérielle aux droits des femmes qui sera prochainement créée. De plus, cela a été évoqué tout à l’heure, un document de politique transversale conduira chaque ministère à faire apparaître la part affectée à la promotion des droits des femmes dans son champ de compétences. Ce sont autant d’outils qui renforceront les moyens à notre disposition pour faire progresser les droits des femmes.
Permettez-moi, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, de vous remercier d’avoir été à l’origine de ce débat. Je sais que ce combat vous tient tout particulièrement à cœur, et ce depuis de nombreuses années, vous qui occupiez dans le gouvernement de M. Michel Rocard les fonctions qui sont aujourd’hui les miennes.
Dès 1989, vous aviez pris l’initiative de mettre en place dans chaque département une commission d’action contre les violences faites aux femmes, afin que tous les partenaires institutionnels et associatifs s’impliquent dans cette lutte et travaillent ensemble. Depuis, les gouvernements successifs ont progressé, mais, malheureusement, le phénomène est loin d’avoir disparu.
Vous l’avez souligné : sur le plan international, la situation des femmes est souvent critique. La participation de la France à la conférence de Durban II est subordonnée, comme l’a indiqué Bernard Kouchner, à une décision européenne qui sera prise en fonction de la qualité du texte préparatoire à cette conférence, notamment bien sûr du point de vue des droits des femmes et du respect de l’égalité.
En effet, nombre des intervenants l’ont relevé, à l’heure où l’actualité remet chaque jour cette question au premier plan, nous devons faire preuve de vigilance. Il faut rappeler que toutes les formes d’intégrisme mènent forcément au sexisme, à l’intolérance, qu’il nous faut savoir combattre.
La question du renouvellement du titre de séjour des femmes immigrées victimes de violences conjugales a également été abordée. Comme l’a indiqué Brice Hortefeux dans sa réponse à une question écrite du 19 février 2008, des instructions ont été données aux préfets pour qu’ils appliquent avec la plus grande rigueur les règles protectrices du droit au séjour des femmes victimes de violences conjugales. Je transmettrai néanmoins à Éric Besson votre demande renouvelée, madame André, afin que ces instructions soient rappelées en tant que de besoin.
Par ailleurs, vous avez rappelé, ainsi que M. Courteau et Mme Laborde, l’obligation pour le Gouvernement de remettre au Parlement le rapport prévu à l’article 13 de la loi du 4 avril 2006. Ce rapport a été déposé sur le bureau des assemblées lundi 16 mars. Il nous a paru essentiel – au risque, il est vrai, de retarder son dépôt – d’y intégrer des mesures mises en œuvre récemment et de disposer de données précises. Nous avons pu nous appuyer sur le rapport d’évaluation du premier plan triennal global 2005-2007, réalisé à ma demande par l’Inspection générale des affaires sociales, l’Inspection générale des services judiciaires et l’Inspection générale de l’administration, avec le concours de l’Inspection générale de la police nationale. Ce rapport a été rendu public à la fin de l’été dernier et les recommandations qu’il comporte ont été présentées par leurs auteurs le 1er octobre 2008 devant les membres de la Commission nationale de lutte contre les violences envers les femmes.
En outre, un groupe interministériel copiloté par le ministère de la justice et par le SDFE a été constitué le 2 juillet dernier. C’est dans ce cadre que se traite la question importante de l’ordonnance de protection juridique évoquée par Mme Terrade. Mme la garde des sceaux et moi-même avons effectivement souhaité que soit engagée une réflexion sur l’évolution du cadre juridique, afin de définir et d’explorer des pistes d’amélioration, portant notamment sur la reconnaissance des violences psychologiques et sur l’articulation entre procédures pénales et procédures civiles. Ce groupe rendra ses conclusions très prochainement. Nous ferons alors des propositions concrètes, madame la présidente. Nous formulerons également des propositions en vue de lutter contre les violences au travail, en nous fondant sur les conclusions de la mission confiée à Mme Grésy, de l’IGAS, sur un autre volet de l’action du ministère, celui de la promotion de l’égalité professionnelle. La note d’orientation que cette mission rendra au début de l’été constituera la base d’une concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité salariale, sur l’accès des femmes aux responsabilités, ainsi que sur les questions liées aux violences.
Le rapport qui vous a été remis au début de la semaine dresse le bilan des actions menées en 2006 et en 2007, mais aussi celui de la première année de mise en œuvre du plan 2008-2010 de lutte contre les violences faites aux femmes.
Avec le document de politique transversale relatif aux droits des femmes, dont le Parlement a inscrit le principe dans la dernière loi de finances et qui paraîtra pour la première fois dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2010, nous disposerons ainsi d’un état des lieux précis de toutes les actions engagées, dont nous pourrons, à l’avenir, évaluer précisément l’efficacité. Afin que la loi soit respectée, le prochain rapport au Parlement sera remis en 2010, ce qui permettra, d’une certaine façon, de « rattraper » le retard du premier rapport. Encore une fois, nous avons préféré, pour ce premier bilan, attendre de disposer d’éléments qui nous paraissaient extrêmement utiles et que nous n’aurions pu intégrer si nous l’avions établi plus tôt.
Vous avez été également nombreux à le souligner, la politique de lutte contre les violences conjugales et, plus largement, de lutte contre les violences faites aux femmes présente un caractère transversal et interministériel. Elle mobilise le Gouvernement tout entier : chaque ministère intervient dans son domaine de compétences, mais l’approche adoptée reste globale.
C’est cette approche transversale que je défends depuis mon arrivée au secrétariat d’État. Dans cet esprit, j’ai lancé en novembre 2007 le deuxième plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes. Le rapport permet de présenter les avancées obtenues collectivement par le Gouvernement, avec le concours des collectivités territoriales.
Dans ce travail collectif, je tiens à souligner l’importance de l’apport de la Commission nationale contre les violences envers les femmes, composée de représentants de l’État et des associations, ainsi que de personnalités qualifiées. Renouvelée en décembre dernier, cette commission, que j’ai réunie en séance plénière à trois reprises – en novembre 2007, en mars et en octobre 2008 – et que je convierai de nouveau à la fin du mois d’avril, est une instance essentielle de concertation et d’animation du réseau des conseils départementaux. Elle garantit les échanges de bonnes pratiques, elle émet des recommandations et des propositions de nature législative ou réglementaire. Elle peut aussi faire réaliser des analyses, des études, des recherches, et recueillir des données. Son impulsion, sa vigilance et sa mission de veille sont fondamentales pour assurer la cohérence de notre action.
Au-delà du niveau institutionnel, vous avez rappelé, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur Courteau, madame Laborde, combien la mobilisation des associations sur le terrain est remarquable et leur action nécessaire. Bien évidemment, je partage ce constat, et nous savons tous que ce réseau associatif joue un rôle extrêmement important et puissant dans toutes les politiques en faveur des droits des femmes. Il est au cœur de nos préoccupations et mérite véritablement d’être soutenu.
M. Roland Courteau. Il ne faut pas les désespérer !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Nous ne les désespérerons pas, monsieur Courteau, ne vous inquiétez pas ! (Sourires.)
Les intervenants de proximité jouent donc un rôle irremplaçable. Nous ne pouvons que saluer leur action.
Je rappellerai, à cette occasion, que nous avons confirmé que le Gouvernement apportera son soutien au planning familial, dont les ministères chargés de la santé, des droits des femmes, de la famille et de la politique de la ville sont les partenaires et les financeurs, ainsi que de toutes les associations qui œuvrent dans le domaine du conseil conjugal.
De surcroît, nous avons garanti que cet effort financier du Gouvernement ferait l’objet d’une convention triennale. Cela représente une sécurité supplémentaire pour le réseau associatif, qui constitue un véritable pilier dans ce combat.
Vous m’avez interrogée, madame Laborde, sur le financement des centres d’information sur les droits des femmes et des familles, les CIDFF. Vous savez combien, là aussi, nous nous appuyons sur le réseau associatif, auquel l’État a confié la mission d’assurer l’accès des femmes à l’information sur leurs droits dans les domaines juridique, professionnel, économique, social et familial. Parmi les activités des CIDFF, la lutte contre les violences sexistes tient une place essentielle.
Les ressources globales des CIDFF, apportées à hauteur de 34 % par l’État, représentent plus de 30 millions d’euros, le SDFE y contribuant pour plus de 5 millions d’euros en 2009. Je vous confirme mon engagement de maintenir ce niveau de financement.
Plusieurs CIDFF n’ont pas encore reçu les premiers acomptes, car certaines conventions sont en cours de signature. Nous envisageons d’ailleurs de généraliser en 2010 la contractualisation triennale, à l’instar de ce que nous faisons pour le planning familial. Soyez cependant assurée, madame la sénatrice, que je donne instruction aux DDASS de verser les crédits prévus au plus tôt et que, pour l’avenir, grâce à cette contractualisation triennale, nous ne connaîtrons plus ces retards qui peuvent intervenir lorsque l’effort budgétaire est annualisé.
La complémentarité des partenariats institutionnels, réunissant public et privé, associations et élus locaux, est elle aussi essentielle. S’il est un sujet sur lequel la solidarité doit être au rendez-vous, c’est bien celui-là ! Les parquets nouent de nombreuses relations avec les associations. Les travailleurs sociaux sont également de plus en plus sollicités par les professionnels du monde judiciaire, de la police, des unités de gendarmerie. Les services déconcentrés et les collectivités territoriales travaillent aussi en partenariat. De nombreuses actions de sensibilisation et de formation sont organisées à l’échelon local en direction des élus et du grand public, avec le concours des intervenants associatifs.
Ces multipartenariats permettent à l’État de continuer à mener de façon pragmatique une politique volontariste de lutte contre les violences, de mieux en mieux adaptée aux besoins et de plus en plus propre à répondre aux attentes.
Oui, la prise en charge globale des personnes concernées s’améliore. Mme Dini et Mme Kammermann ont mis l’accent sur les avancées obtenues en la matière, même si M. Courteau regrette qu’elles se fassent à petits pas.
M. Roland Courteau. Je ne le regrette pas, je le constate !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Le travail des acteurs de proximité, l’élaboration d’outils pertinents et les dispositions réglementaires et législatives contribuent à ces progrès. Vous me permettrez de citer quelques exemples à cet égard, en insistant sur certains dispositifs novateurs.
En effet, de nouvelles mesures ont été adoptées et mises en œuvre depuis 2006, et le plan triennal 2008-2010 permet de les conforter.
Mme Dini a relevé que le 39 19, numéro d’appel unique mis en place le 14 mars 2007, recevait 7 000 appels par mois. Ce numéro est facile à retenir, gratuit et, pour éviter de mettre les femmes concernées en danger, il n’apparaît pas sur les relevés de communications téléphoniques. Géré par la Fédération nationale Solidarité Femmes, il dispense une écoute de qualité, professionnelle, anonyme et personnalisée. Le cas échéant, une orientation adaptée est proposée. J’ai tenu à renforcer les moyens financiers de cette plate-forme d’écoute par un redéploiement des crédits d’intervention. Ce numéro national unique a d’ores et déjà permis une avancée significative dans l’appui aux femmes victimes.
Plusieurs d’entre vous m’ont interrogée sur les référents.
Je souhaite insister sur l’importance de la mise en place progressive d’un réseau de référents locaux, qui répond en partie aux préoccupations exprimées tout à l’heure par Mme Le Texier à propos du nécessaire accompagnement des femmes victimes de violences, au fil d’un très long parcours semé d’embûches.
Ces référents sont les interlocuteurs uniques de proximité pour l’accompagnement des femmes victimes de violences au sein du couple. Ils pourront ainsi apporter dans la durée une réponse globale aux femmes et les orienter vers les structures adaptées à leurs besoins.
Douze référents ont été recrutés et sont financés par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, dans le cadre d’une expérimentation. Une vingtaine de départements projettent de les mettre en place prochainement en s’appuyant sur un cahier des charges précis, diffusé avec une circulaire du 14 mai 2008 adressée aux préfets. Leur rôle sera déterminant, j’en suis convaincue, pour simplifier les démarches des femmes victimes de violences et assurer un suivi individualisé de leur parcours, en complément du réseau des partenaires de terrain.
Notre objectif est le maillage du territoire. Le Premier ministre a clairement demandé, le 25 novembre dernier, que leur déploiement soit accéléré et que, d’ici à la fin du premier semestre de 2009, chaque département soit doté d’un tel référent local. Le dispositif a pour vocation non pas de se substituer aux acteurs existants, mais au contraire de les coordonner et de faciliter les démarches de la victime.
C’est pourquoi les déléguées régionales et les chargées de mission du SDFE ne peuvent être elles-mêmes référents locaux. Je veux au contraire qu’elles continuent à assumer des missions transversales, tout en pilotant la mise en place des référents locaux, dispositif qui sera, pour elles aussi, un outil de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.
Vous avez été unanimes à souligner que la réponse à la recherche d’autonomie des femmes victimes de violences passe obligatoirement par une solution adaptée en matière d’hébergement et de logement. De nombreuses mesures ont été prises sur ce plan, mais il nous faut, à l’évidence, encore progresser.
En ce qui me concerne, j’ai souhaité diversifier les réponses offertes. Telle est la raison pour laquelle j’ai lancé une expérimentation concernant les familles d’accueil. Mme Kammermann m’a demandé de faire le point sur cette question. Je vais donc lui indiquer où nous en sommes à l’heure actuelle.
Pour faire suite à une circulaire interministérielle de juillet 2008, nous avons saisi les présidents de conseil général, qui se sont fortement mobilisés. Aujourd’hui, plus de soixante-dix familles ont été choisies pour accueillir les femmes victimes de violences, avec ou sans enfants, là aussi dans le cadre d’une expérimentation. Elles sont réparties dans une vingtaine de départements ; quinze d’entre eux, par exemple la Manche, la Sarthe, l’Oise, la Creuse, la Drôme ou l’Ardèche, veillent à l’opérationnalité des familles. Notre objectif est d’arriver à cent familles d’accueil d’ici à 2010. Lorsque ce dispositif aura été expérimenté sur une période suffisamment longue, nous l’évaluerons et apporterons les ajustements nécessaires.
J’y insiste, nous n’agissons pas ici dans le cadre de la protection de l’enfance. La mise en place de ces familles d’accueil répond à un cahier des charges spécifique, comportant des mesures adaptées et mis en œuvre en liaison, bien sûr, avec le réseau des structures d’accueil et d’hébergement d’urgence, qui ont l’habitude de prendre en charge ces situations, en assurant déjà un accompagnement éducatif et psychologique. Il s’agit de créer un outil adéquat, qui viendra compléter le maillage du territoire, les zones rurales, notamment, étant souvent dépourvues, à l’heure actuelle, de structures collectives d’hébergement d’urgence.
Il nous faut donc approfondir cette question, évaluer et ajuster les solutions envisagées.
S’agissant de l’hébergement d’urgence, sur lequel plusieurs d’entre vous m’ont interrogée, la proportion de femmes accueillies dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, est désormais importante. Ces derniers accueillent, en effet, environ 33 % de femmes ; 115 privilégient l’accueil de femmes victimes de violences, 169 hébergent des femmes en grande difficulté sociale.
Par ailleurs, pour les femmes, 40 % des places en CHRS relèvent de structures « éclatées » – il s’agit d’appartements –, et non de structures collectives. Pour la première fois, en 2008, une enquête a été réalisée pour mieux identifier les femmes victimes de violences parmi les publics en difficulté accueillis dans les structures d’hébergement.
Plus globalement, nous veillons aussi à ce que les femmes victimes de violences conjugales soient prioritaires pour l’accès au logement. La loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion adoptée le 19 février dernier comporte, à cet égard, deux dispositions importantes, insérées par voie d’amendements votés à l’unanimité et visant à rendre les femmes victimes de violences conjugales prioritaires pour l’accès au logement social.
Dans le domaine de la santé, je mettrai en exergue les efforts réalisés pour améliorer la connaissance du phénomène des violences envers les femmes, faire de la prévention, développer la formation des professionnels de santé et faciliter le repérage des situations de violence.
Ces actions ciblées en fonction des situations et de la nature des violences témoignent une fois de plus que le Gouvernement s’attache à prendre en compte toutes les formes de violences dont sont victimes les fillettes, les jeunes filles et les femmes.
À cet égard, madame Morin-Desailly, monsieur Courteau, vous avez insisté sur l’importance de la prévention très en amont, dès le plus jeune âge.
C’est un souci constant du Gouvernement. Nous menons un travail en partenariat avec l’éducation nationale, notamment dans le cadre de la convention interministérielle pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, dans le système éducatif, qui implique neuf ministères. Le ministre de l’éducation nationale a chargé Mme Philippe, rectrice de l’académie de Besançon, de piloter l’action et d’animer la mise en œuvre des mesures qui peuvent être prises pour généraliser les dispositifs de prévention, mais aussi d’orientation des jeunes filles, dans l’ensemble des établissements scolaires. Prévenir les comportements violents et combattre les stéréotypes font partie des priorités de Mme Philippe.
Le respect de l’autre ne se décrète pas, il s’apprend sur le terrain. À cette fin, des actions de sensibilisation ont été inscrites dans le plan Espoir banlieues, madame Le Texier. L’éducation au respect, à la mixité et à l’égalité ne se limite pas aux établissements scolaires. Elle doit investir la sphère familiale et toucher les jeunes au travers des dispositifs existants, tels que le programme « Ville Vie Vacances », qui propose des loisirs aux jeunes des quartiers pendant les vacances scolaires. On sait que seulement 25 % des jeunes filles des quartiers y participent aujourd’hui, par crainte de comportements violents de la part des garçons. Nous soutenons ce programme, l’objectif étant d’augmenter de 40 % la fréquentation des jeunes filles en 2008. Il faut encourager les filles à pratiquer les mêmes activités de loisirs, à s’orienter vers les mêmes filières et à exercer les mêmes métiers que les garçons.
Par ailleurs, il convient de renforcer l’accès des filles et des femmes à l’information sur leurs droits, de développer des actions spécifiques concernant les mariages forcés et les mutilations sexuelles en s’appuyant sur les associations et les adultes relais, en utilisant les antennes des centres d’information sur les droits des femmes et des familles et en mettant en place des espaces de dialogue.
Parallèlement, depuis 2006, l’arsenal législatif et juridique est plus répressif et protecteur. Les victimes sont encouragées à porter plainte et le taux de réponse pénale à l’encontre des auteurs de violences conjugales a augmenté, passant de 68,9 % en 2003 à 83,8 %. De très nombreux parquets se sont engagés dans la mise en place de conventions ou de protocoles visant à la prévention de la récidive des auteurs de violences grâce à une prise en charge sociale, médicale et psychologique.
De même, l’éviction du conjoint violent, qui constitue une disposition phare de la loi de 2006, se révèle être une mesure pertinente. Elle permet d’inverser le rapport de force qui se crée lors du processus de violence et de limiter les violences indirectes dont sont victimes les enfants. Vous avez souligné, madame André, son intérêt. Les efforts doivent être poursuivis. Nous travaillons avec le ministère de la justice sur ces questions ; j’y reviendrai ultérieurement.
Si de réelles avancées ont été obtenues, elles méritent d’être consolidées.
La coordination des acteurs reste un enjeu fort dans la lutte contre les violences au sein du couple. Ceux-ci prennent de plus en plus conscience de l’importance de développer des relations entre leurs réseaux, d’adopter une démarche interdisciplinaire et de se coordonner au travers de différentes instances.
Le rôle des « référents » est essentiel. D’autres interlocuteurs référents ont été mis en place dans les domaines de la santé, de la justice et du logement. C’est cette articulation de tous les outils et de tous les acteurs qui nous permettra de développer le réseau des acteurs sur le terrain et de répondre à toutes les interrogations dans le cadre d’un pilotage dans la durée. Il faut sans nul doute mieux les identifier et clarifier leurs missions et leur profil en fonction de leurs compétences.
Au-delà des diverses solutions d’hébergement et de logement adapté citées dans le rapport, la situation tendue qui prévaut dans les zones très urbanisées freine l’accès au logement social et retarde le retour à l’autonomie des victimes.
La prise en charge dans les unités médico-judiciaires, les UMJ, constitue un moment important du processus. Les UMJ accueillent, examinent et informent. Au nombre de cinquante, elles méritent d’être déployées. De nouveaux schémas ont été élaborés en janvier dernier avec des établissements pivots pour activer le réseau et assurer un meilleur maillage.
Je voudrais enfin, madame Kammermann, vous confirmer que le guide de l’action publique a été réactualisé en 2008.
S’agissant des auteurs de violences, le manque de places dans les différentes structures de prise en charge thérapeutique réduit l’efficacité de l’éviction du conjoint violent, mesure prononcée dans 9,6 % des affaires de violences conjugales.
M. Roland Courteau. Voilà le problème !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Nous travaillons à la généralisation des soixante structures d’accompagnement des auteurs de violences qui existent aujourd'hui.
Pour conforter les résultats, la concertation des acteurs locaux et la formation des professionnels – personnels de santé, de la police, de la gendarmerie, de la justice – doivent être renforcées. Roselyne Bachelot-Narquin travaille à la mise en place de modules de formation interdisciplinaires. De son côté, Michèle Alliot-Marie m’a rappelé très récemment sa volonté non seulement de poursuivre la formation des personnels de police, mais aussi de renforcer leur action grâce à l’intervention de travailleurs sociaux et de psychologues pour accompagner le premier accueil.
M. Roland Courteau. Oui !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Il faut également mutualiser les moyens et les outils existants pour une mise en œuvre homogène sur tout le territoire. Ce sont les clés d’une politique efficace en faveur de la lutte contre les violences au sein du couple.
À ce propos, madame Terrade, vous avez eu raison de citer l’action du parquet de Bobigny. Nous devons nous inspirer des bonnes pratiques que le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports, l’IGJS, ont utilement recensées.
À cet égard, j’évoquerai la politique pénale conduite par le procureur près le tribunal de grande instance de Bobigny, qui a désigné depuis 2005 des référents spécialisés au sein du parquet, avec des résultats visibles : le taux de classement sans suite est passé de 24 % à 15 %, et le recours à la médiation pénale a été interdit.
Un mémento à l’attention des membres du parquet a été élaboré afin d’harmoniser les réponses pénales, et des instructions précises sont données aux services de police pour systématiser les rapports téléphoniques, même en l’absence de plainte. On le voit, des marges de progression existent si l’on s’inspire de ce qui fonctionne bien.
Par ailleurs, on ne pourra éradiquer le phénomène des violences au sein du couple sans travailler sur l’image des femmes, comme l’ont indiqué Mme Morin-Desailly et M. Courteau. Le poids des clichés et des stéréotypes continue à se faire sentir et à compromettre les progrès.
C’était l’objectif que j’avais assigné à la commission « Image des femmes dans les médias », présidée par Mme Reiser. Cette commission a rendu ses conclusions, et je souhaite qu’elles ne restent pas lettre morte. Sa mission va être prolongée, afin de lui permettre d’assurer le « monitoring » de nos médias en matière de respect de l’image de la femme. Il convient d’étudier comment nous pouvons faire évoluer l’image de la femme véhiculée par les médias. Ceux-ci étant le miroir de notre société, ce point est essentiel.
Sur le thème connexe du respect, j’ai souhaité m’adresser plus particulièrement aux jeunes filles. Elles recevront, lors des journées d’appel de préparation à la défense, un ouvrage intitulé 18 ans, Respect les filles ! pour les aider à faire respecter leurs droits. Il sera également accessible à tous sur le site internet du secrétariat d’État. Nous envisageons en outre de décliner cet outil en direction des garçons du même âge.
Prévenir, c’est aussi sensibiliser et se doter de nouveaux outils. Vous avez tous insisté sur la prévention par la communication. C’est par le biais des médias – l’écran, l’image, la presse – que l’on entre dans les foyers.
Une première campagne de communication grand public a donc été lancée le 2 octobre dernier. Cette campagne de presse et d’affichage visait trois cibles : la victime, le témoin et l’auteur de violences au sein du couple. Elle est complétée aujourd'hui par un site internet gouvernemental sur l’ensemble des violences faites aux femmes.
Toutes les formes de violences sont prises en compte. Des brochures, en cours d’élaboration, seront destinées, en avril-mai, aux femmes et aux jeunes filles victimes de violences coutumières – mariage forcé, excision. En outre, un spot télévisé sur les violences conjugales sera diffusé avant l’été.
Une pierre a été ajoutée à l’édifice que nous construisons pour protéger les femmes avec l’attribution en 2009 du label « campagne d’intérêt général » à la lutte contre les violences faites aux femmes, en vue de la préparation de la grande cause nationale 2010. Cette action très forte en direction du public sera organisée par l’ensemble du collectif associatif et s’accompagnera d’une mobilisation sans précédent des médias, avec un soutien interministériel renforcé.
Certains d’entre vous considèrent qu’une loi-cadre est indispensable, à l’instar de celle qui a été mise en œuvre en Espagne en 2004. La présentation d’un tel texte est une revendication récurrente de plusieurs mouvements associatifs.
À cet égard, le rapport d’évaluation du premier plan triennal 2005-2007 de lutte contre les violences faites aux femmes devait notamment porter sur l’opportunité de l’adoption d’une loi-cadre. Or il ressort de l’analyse des dispositifs législatifs européens et internationaux, ainsi que des avis des acteurs ministériels, des associations et des décideurs locaux, qu’une loi-cadre n’apporterait pas un bénéfice particulier pour régler les dernières difficultés persistantes.
En effet, nous disposons déjà d’un arsenal juridique complet, particulièrement répressif à l’encontre des auteurs de violences faites aux femmes. Depuis 2004, nous consolidons régulièrement ce dispositif législatif pour mieux protéger les femmes victimes de violences. Nous entendons poursuivre cet effort avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, s’agissant notamment des violences habituelles et psychologiques, au sujet desquelles nous réfléchissons à un texte spécifique.
Aujourd’hui, notre objectif premier est donc l’application pleine et entière de ce dispositif sur le terrain, sachant que, de l’avis général, confirmé par vos interventions, la marge de progrès se situe moins dans l’élaboration de nouvelles dispositions législatives que dans l’application des mesures existantes. C’est là tout l’objet des plans triennaux, dont le deuxième, en cours de mise en œuvre et couvrant la période 2008-2010, va au-delà d’une loi-cadre en visant les auteurs de violences et les enfants exposés aux violences intrafamiliales.
En revanche, il me semble primordial, madame Laborde, de rassembler toutes les dispositions législatives et réglementaires au sein d’un seul et même code commenté sur les droits des femmes. Ce code unique donnera une réelle lisibilité aux multiples mesures actuellement éparpillées dans plusieurs codes. Il permettra aux femmes de connaître leurs droits et simplifiera leurs démarches, tout en répondant à leurs interrogations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse a été très longue, mais vous aurez compris que je défends cette cause, qui nous est commune, avec autant de conviction que vous et le même souci d’efficacité que celui dont vous faites preuve dans le cadre de vos responsabilités respectives. Je tiens à vous remercier, d’ores et déjà, pour le soutien que vous apporterez à la promotion de toutes les actions qui contribueront à la faire progresser encore. Les années 2009 et 2010 seront riches dans les champs de la lutte contre les violences et du renforcement de l’égalité professionnelle. Nous aurons à travailler beaucoup ensemble ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Roland Courteau applaudit également.)
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Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1212/2005 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines pièces de voirie en fonte originaires de la République populaire de Chine.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4354 et distribué.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1858/2005 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de câbles en acier originaires, entre autres, de l’Inde.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4355 et distribué.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la signature et la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre la Communauté européenne et l’État d’Israël relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1 et 2, de l’annexe du protocole n° 1 et de l’annexe du protocole n° 2, et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et l’État d’Israël, d’autre part.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4356 et distribué.
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Dépôt d'un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la proposition de loi de M. Thierry Foucaud, Mme Marie-France Beaufils, M. Bernard Vera, Mme Éliane Assassi, MM. François Autain, Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Claude Danglot, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Guy Fischer, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Josiane Mathon-Poinat, Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade et M. Jean-François Voguet, tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus (n° 29, 2008-2009).
Le rapport sera imprimé sous le n° 295 et distribué.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 24 mars 2009 à quinze heures et le soir :
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures (n° 34, 2008-2009).
Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 209, 2008-2009).
Texte de la commission (n° 210, 2008-2009).
Avis de Mme Jacqueline Panis, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 225, 2008-2009).
Avis de Mme Françoise Henneron, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 227, 2008-2009).
Avis de M. Bernard Angels, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation (n° 245, 2008-2009).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD