Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement a déclaré l’urgence, le 16 février 2009, sur un texte déposé le 28 juillet 2008... Or, si urgence il y avait, c’était bien du côté de l’outre-mer !
Les luttes engagées par nos concitoyens en Guadeloupe, en Martinique et, aujourd’hui, à la Réunion sont exemplaires : il faut changer de modèle de développement économique et social en outre-mer. À cet égard, ce projet de loi est encore une occasion manquée !
L’accord signé après six semaines de grève générale en Guadeloupe montre, par l’exhaustivité des sujets engagés, qu’il s’agit bien d’une urgence vitale et sociale. En contrepoint, le texte proposé à notre assemblée est en décalage complet avec les attentes et les espoirs immenses soulevés par les mouvements sociaux des dernières semaines.
Malgré l’ajout, tardif, de mesures en faveur du pouvoir d’achat, le projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer porte bien mal son titre. À l’instar des lois Pons, Girardin, Perben et Baroin, il fait encore la part belle aux exonérations de charges et autres exemptions fiscales, qui ont eu pour seul point commun, depuis des décennies, d’accroître les inégalités de revenus et de ressources entre ces territoires et la métropole.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut cesser d’argumenter, comme vous le faisiez encore devant la commission des finances la semaine dernière, sur les efforts financiers de l’État, car le développement économique des départements d’outre-mer ne doit plus être celui de mesures de pure opportunité fiscales ou financières réservées à quelques groupes, voire à quelques individus.
Il est temps de passer d’une économie de rente à l’action pour un développement économique endogène, respectant les ressources et les potentialités ainsi que la situation géographique propres à chaque département et collectivité ultra-marine.
L’énumération des mesures fiscales comprises dans ce projet de loi est impressionnante, d’autant qu’aucune approche critique ni évaluation rigoureuse n’a été menée sur leurs supposés bienfaits depuis vingt ans. Or ceux-ci paraissent bien minces aux yeux de l’immense majorité de nos compatriotes d’outre-mer, dont le souci premier est la vie chère.
Le remède à la vie chère ne réside en aucun cas dans les zones franches, dans les véhicules de défiscalisation ou dans les dispositions transitoires en matière de revenus de transfert. Il faut donner véritablement du pouvoir d’achat par des hausses de salaire, une réduction de la TVA et la mise en place d’une politique du crédit et du microcrédit qui soit immédiatement favorable à ceux, toujours plus nombreux, en particulier parmi la jeunesse et les travailleurs, qui doivent faire face aux difficultés du quotidien.
Les conditions du développement des économies locales, dans leur diversité, ne sont pas réunies : les territoires d’outre-mer veulent s’affranchir de leur dépendance vis-à-vis de la métropole et de l’Europe, si lointaine, pour promouvoir des liens propres avec les pays voisins, des accords régionaux de partenariat.
Le modèle de domination coloniale a montré ses limites en termes socio-économiques. Des sources de richesse locales doivent être promues en rendant le foncier à sa vocation agricole et nourricière première, plutôt que de le dédier à la spéculation immobilière ; en développant les énergies renouvelables comme sources d’indépendance énergétique des territoires ; en mettant l’accent sur la formation primaire et professionnelle des Domiens ; en développant la commande publique et en assurant aux collectivités locales des moyens pérennes pour conduire leur avenir et renforcer la cohésion sociale.
Rien de tout cela n’est rendu possible par les mesures contenues dans le projet de loi que nous examinons aujourd’hui !
Les États généraux de l’outre-mer annoncés pour le printemps et la mission commune d’information parlementaire confiée à certains de nos collègues apporteront-ils des réponses aux graves questions posées par nos concitoyens ?
Quoi qu’il en soit, et en l’état du texte qui nous est proposé, le groupe CRC-SPG ne votera pas le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur quelques travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi pour le développement économique et la promotion de l’excellence en outre-mer tend à un double objectif.
Premièrement, il vise à créer une zone franche par de larges exonérations de charges qui, d’une part, permettront aux entreprises d’améliorer leur rentabilité et, d’autre part, leur offriront une possibilité d’exportation dans la zone.
Deuxièmement, il tend à améliorer, à la suite des diverses évaluations qui ont été faites, le mécanisme de défiscalisation, celui-ci n’ayant pas toujours démontré une efficacité totale.
La création de zones franches d’activités, j’en suis convaincue, ne permettra pas aux entreprises des Antilles d’occuper une place importante au sein de la Caraïbe, même si nous sommes exportateurs dans le domaine des technologies de pointe.
Nous sommes, en effet, confrontés à un dilemme.
D’un côté, le niveau de vie aux Antilles - nous souhaitons l’améliorer - est inférieur à celui de la métropole et, de l’autre, le niveau de vie des Antilles est bien supérieur à celui de la Caraïbe.
Cela explique pourquoi les Français de la métropole préfèrent aller en vacances dans les îles de la Dominique et de Sainte-Lucie plutôt que dans d’autres îles des Antilles.
Cela démontre aussi pourquoi la vente de produits français de qualité est beaucoup plus développée dans la Caraïbe que dans les Antilles.
Que doit-on faire ?
La France doit avoir le courage, d’une part, de pallier ces disparités à l’occasion des négociations qui ont lieu dans le cadre du Fonds européen de développement, le FED, et, d’autre part - je vous l’ai dit ce matin, je le répète pour la énième fois -, dans le cadre de sa politique de coopération, d’imposer sa présence dans les instances caribéennes, au sein du CARICOM et du CARIFORUM, plutôt que de continuer à donner à l’Europe un blanc-seing pour négocier en son nom.
Ce projet de loi, toutefois, porte une autre approche de la défiscalisation, qu’il me plaît de souligner, parce que c’est une réponse plus efficace au problème du logement social.
En ce sens, je considère que ce texte aborde aussi la question de la répartition des richesses en outre-mer, que la crise actuelle a mise en évidence.
Le Gouvernement, en effet, ne pouvait plus continuer à donner le sentiment à nos compatriotes que le développement ne profitait qu’à une seule catégorie sociale.
Mme Nicole Bricq. C’était pourtant la réalité !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Je salue donc le courage politique que vous avez eu d’aborder ces questions, dans des conditions parfois très difficiles, monsieur le secrétaire d'État, et j’en témoigne, et de moraliser la défiscalisation.
Il est pour le moins surprenant que certains élus, sur le terrain, continuent de soutenir une défiscalisation qu’ils n’ont pas votée et qui est confisquée au service de quelques-uns. (M. le secrétaire d'État opine.)
M. Jean Arthuis. Très bien !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Il est pour le moins surprenant qu’ils n’aient pas compris le message du Gouvernement, en restant enfermés dans le carcan de leur politique politicienne, au moment où, justement, la crise commande à la France de mettre en place une politique plus juste et plus équitable, qui permette à chacun de trouver sa place dans la République.
Il n’est plus possible dans la société française, sur un territoire comme celui de la Guadeloupe, de pérenniser un système où la moitié de la population vit des minima sociaux, avec un taux de chômage de 25 % qui frappe les plus jeunes.
Je suis, et je l’ai toujours été, contre le revenu minimum d’insertion, le RMI, comme je suis contre le revenu de solidarité active, le RSA. Je vous demande d’appliquer le RSA à la condition expresse que les gens travaillent. La seule façon de sauver l’outre-mer, c’est de remettre l’outre-mer au travail et d’arrêter l’assistanat ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Nous avons le devoir d’aller plus loin, et nous en avons le courage. La dignité, c’est le travail, a dit le Président de la République, et il a été applaudi par la jeunesse.
La question de la répartition des richesses est posée ; c’est par le travail que nous obtiendrons plus de cohésion sociale. Refuser de l’admettre, c’est créer les conditions de la situation que nous venons de vivre.
Sur la question de la zone franche, vous avez eu le courage de reconnaître que la Guadeloupe est un archipel et, dans ce cadre, une attention particulière a été portée aux îles du Sud. Il faudra simplement s’assurer que ces zones franches d’activités vont vraiment permettre, pour les îles du Sud, notamment les petites îles de Terre-de-Bas et de Terre-de-Haut, un décollage des petites économies. J’aurai d'ailleurs l’occasion de souligner les points sur lesquels il faut faire porter l’effort.
Mais je ne peux pas m’empêcher, monsieur le secrétaire d'État - je m’adresse à vous particulièrement puisque nous en avons parlé plusieurs fois -, de vous faire part de mon inquiétude concernant la Côte-sous-le-vent.
Le poumon de la Côte-sous-le-vent, c’est la ville de Basse-Terre, capitale administrative de la Guadeloupe. Et pourtant, toutes les administrations de Basse-Terre vont s’installer à Pointe-à-Pitre. Quant aux propositions que j’ai faites sur le découpage en matière de justice, je n’ai pas eu de réponse.
Cela fait quinze ans - cela me donne un certain âge, mais j’en suis fière -, quinze ans que je dis que le port de Basse-Terre doit siéger au conseil d'administration du port autonome. J’en ai parlé à Dominique Bussereau, à ses collaborateurs et aux vôtres. J’ai toujours le sourire, mais dois-je vous la jouer à la Domota pour que vous m’entendiez ? (Sourires.)
Vous venez d’allouer 300 millions d'euros aux Abymes et à Pointe-à-Pitre, pour résorber l’habitat insalubre, mais rien pour l’une des villes les plus belles de la Guadeloupe, Basse-Terre, dont je suis le maire depuis mars 2008.
C’est pourtant dans cette ville que se trouve un symbole emblématique de la lutte contre l’esclavage, qui n’est pas désuète, et de la résistance par la dignité ; je peux parler du Fort Delgrès, qui rappelle l’histoire du colonel Louis Delgrès. Cela devrait être un moyen de transmettre à la jeunesse l’idée que le courage consiste, non à pleurnicher sur l’esclavage, mais, comme le font certains, à résister, et que la résistance est une vertu.
Il y aura bientôt dix ans, c’était le 1er décembre 1999, avec mon collègue socialiste de la Guyane, mon collègue indépendantiste de la Martinique, nous avons eu le courage de dire qu’il y avait des dysfonctionnements, des inadaptations. Nous avons alors proposé au Gouvernement un programme de développement cohérent, fondé sur ce seul principe : la dignité par le travail.
Mais tout a été organisé en métropole pour démolir ce projet. Je savais que j’allais perdre le conseil régional, mais entre gagner une assemblée ou gagner la dignité de la Guadeloupe, j’ai préféré la dignité de la Guadeloupe.
Pourquoi ce projet a-t-il échoué ? J’ai le courage de le dire, ici, avec force : ce projet ne sortait pas de la métropole, il venait des Antilles…
Alors, j’ose espérer que les États généraux de l’outre-mer seront pour moi l’occasion non d’attendre mais de proposer, car – c’est ma devise - l’outre-mer doit être une force de proposition. Si nous voulons que la France nous entende, nous ne devons pas rester passifs à attendre qu’on nous donne.
La France, en effet, a contribué à l’émergence en outre-mer d’une élite fondée sur le savoir-faire français. Mais le France donne le sentiment qu’elle continue à cautionner une politique de lobby au mépris de l’intelligence locale, comme si elle ne nous faisait pas confiance.
C’est le général de Gaulle qui s’est exclamé, à la préfecture de Basse-Terre : « Comme elle est blanche, la Guadeloupe ! ». Quant à François Mitterrand, il a dit, à la mairie de Basse-Terre : « Il y a trop de petits Napoléon chez les fonctionnaires. » N’oubliez jamais cette phrase ! Ce sont ces petits Napoléon qui, dans les différents services de l’État, provoquent les dysfonctionnements qui font la révolte d’aujourd'hui.
Pour pérenniser les avantages obtenus en faveur de la population, il faut changer les structures politiques. Il ne s’agit aucunement d’une politique de rupture avec la métropole, mais on ne peut pas non plus continuer à colmater des brèches. Nous devons maintenant trouver des solutions pérennes.
Je l’ai dit tout à l’heure à mes collègues, l’outre-mer subit trop les discours ravalant les Antilles à de véritables économies de comptoir, tournées vers la seule consommation de rentes administratives, profitant de systèmes sans y contribuer pour quoi que ce soit, où les entreprises ne survivraient que grâce à des subventions de toutes sortes.
Il faut dépolluer la métropole de ces clichés et de ces fausses informations.
La politique, pour moi, est un acte de courage. Le bonheur, pour moi, ne se trouve que dans le travail, et non dans l’assistanat ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Le Gouvernement est confronté, d’une part, aux aspirations profondes d’une population qui s’inquiète de la préservation de son histoire - de notre histoire -, qui s’inquiète de son mode de vie, de sa qualité de vie. Personne n’a le monopole du bonheur.
Il est, d’autre part, confronté aux questions sociales et sociétales que pose l’outre-mer. Nous avons, vous avez aujourd'hui le devoir historique d’y répondre franchement, afin d’éviter que de petites fissures n’engendrent demain des fractures, alors que l’Histoire, les valeurs humaines et républicaines de la métropole et de l’outre-mer sont indissociables. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en ce 10 mars 2009, nous examinons dans un contexte très particulier le projet de loi d’orientation pour le développement économique de l’outre-mer.
Je souhaite tout d’abord faire plusieurs remarques sur les circonstances qui conduisent à l’examen de ce texte aujourd’hui par le Parlement.
Il a, en fait, été rédigé en grande partie il y a presque deux ans maintenant, soit avant la crise financière et économique mondiale que nous traversons.
Cette crise sévère a sans doute amplifié les tensions déjà existantes outre-mer et contribué ainsi à déclencher le conflit social sans précédent que nous connaissons.
Dès le début, le texte qui nous est soumis n’a recueilli l’assentiment ni des socioprofessionnels, ni des élus locaux, ni de la plupart des parlementaires de l’outre-mer, toutes tendances politiques confondues.
Ses principales mesures remettent, en effet, en cause la plupart des instruments de soutien à l’économie des départements d’outre-mer, qui, pour imparfaits qu’ils étaient, avaient tout de même le mérite de commencer à produire de premiers effets en termes de développement économique et de création d’emplois.
Nous examinons donc en urgence un texte remanié en catastrophe, mais qui, en réalité, ne répond toujours pas aux enjeux de développement ni de la Guadeloupe, ni de la Martinique, ni de la Guyane, ni de la Réunion, et surtout pas aux attentes de ceux qui sont encore dans la rue !
Que de malentendus, monsieur le secrétaire d'État ! Que de temps perdu ! Que de gâchis ! Un homme, Jacques Binot, a été assassiné, des magasins ont été saccagés !
Cette fois-ci, le pourrissement de la situation n’aura pas eu raison des revendications légitimes des Martiniquais et des Guadeloupéens.
Elles trouvent leur source dans les préoccupations concernant la cherté de la vie, qui porte en elle misère et drames pour les plus vulnérables. Mais, à l’occasion de ces manifestations, l’économie n’a pas été le seul sujet amené sur la place publique ; c’est tout le schéma socio-historique particulier à nos îles qui a été décortiqué et porté à la connaissance de tous.
Si la dégradation du pouvoir d’achat, plus prégnante encore en outre-mer qu’en métropole, a été un élément déclencheur pour pousser les gens dans la rue, il faut discerner la véritable nature de cette crise au plan local pour y répondre.
Il s’agit, bien sûr, d’une crise économique et sociale, mais plus largement, il s’agit véritablement d’une crise de société.
Ce que disent les dizaines de milliers de Guadeloupéens et de Martiniquais qui occupent la rue semaine après semaine depuis plus d’un mois, ce n’est pas seulement que les prix sont scandaleux et les salaires insuffisants. Ce qu’ils disent, c’est que le régime de l’exclusif postcolonial doit cesser et faire place au véritable développement économique, en lien avec la réalité de l’environnement de ces territoires.
Ce qu’ils disent aussi, c’est que l’État ne peut pas être éternellement complice de la perpétuation d’un système illégal, fondé sur des ententes oligopolistiques, mais qu’il doit au contraire assumer son rôle de contrôle et de régulation.
Ce qu’ils disent encore, c’est qu’en tant que citoyens de la République ils ne réclament ni l’aumône ni l’assistanat, mais tout simplement les conditions réelles de l’égalité.
Ce qu’ils disent enfin, c’est qu’ils n’ont nul besoin d’interlocuteurs condescendants, drapés dans les habits trop usés de l’amour paternaliste, mais qu’ils attendent de partenaires véritablement intéressés à enfin comprendre et relever les défis considérables auxquels sont confrontés nos territoires.
Le Président de la République a semblé mesurer la gravité de cette crise en annonçant la tenue, très rapide, d’États généraux dans chacun des départements d’outre-mer - c’est une bonne initiative – et la possibilité de mesures d’urgence en attendant. Dès lors, pourquoi s’obstiner à examiner un texte qui n’est pas adapté ?
Il eût été préférable de tirer les enseignements de ces États généraux avant de légiférer, comme l’a souligné ce matin Marc Massion, corapporteur. C’est une question de méthode, à moins qu’on ne veuille une fois de plus se contenter d’effets d’annonce !
Venons-en, maintenant, au contenu de ce texte.
Celui-ci prévoit un développement économique endogène, mais c’était déjà le cas de la loi de 2003, avec un soutien à l’investissement, à l’emploi et à la production locale ! Programmée pour quinze ans, son interruption brutale a eu pour effet de briser la confiance des socioprofessionnels.
Avec le plafonnement, dans la loi de finances pour 2009, des défiscalisations mises en place afin de favoriser les investissements outre-mer, cette belle volonté avait déjà reçu un coup d’arrêt massif. Nous avions alors dénoncé, sans être entendus, comme d’habitude, les effets pervers qui risquaient d’en découler.
Ce même budget réduisait aussi de 150 millions d’euros les exonérations de charges sociales pour les entreprises. Là encore, nous dénoncions l’incongruité de la mesure, sans être entendus, comme d’habitude ! Or, lors de la réunion du 19 février dernier à l’Élysée, le Président de la République annonçait, magnanime, une enveloppe supplémentaire de… 150 millions d’euros pour financer des améliorations dans le projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer.
Mais de quelles améliorations s’agit-il en réalité ? Dans quels secteurs cette enveloppe sera-t-elle redéployée ?
Il est prévu d’augmenter le nombre des secteurs prioritaires dans le cadre des zones franches d’activités. Il s’agit, en fait, d’ajouter un secteur. Cette harmonisation n’est que la réponse aux revendications unanimement exprimées depuis longtemps.
Le régime applicable aux zones franches d’activités pose un certain nombre de questions. Par exemple, la durée d’exonération est au total de dix années, mais le taux ne s’applique que pendant les sept premières années, puis devient dégressif les trois années suivantes. Les mesures prévues dans la loi de 2003 devaient être d’une durée de quinze ans. Celles dont nous discutons actuellement s’achèveront, elles aussi, en 2017, à la différence près qu’elles sont moins favorables pour les professionnels. Le compte n’y est donc pas !
Est aussi programmé un aménagement de la dégressivité des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale, votée dans le cadre de la loi de finances de 2009, mesure à laquelle nous nous sommes opposés dans le principe, car ce système est défavorable à la hausse des salaires moyens et handicape particulièrement l’embauche des cadres intermédiaires.
En réalité, monsieur le secrétaire d’État, vous aménagez cette disposition, par voie d’amendement, et pour partie seulement, sans revenir sur la suppression de la dégressivité des charges patronales. L’exonération des charges était pourtant l’un des éléments majeurs des négociations sur les augmentations de salaires en Martinique ! L’enjeu était d’assurer une meilleure redistribution des revenus, et non un quelconque assistanat !
Il s’agissait également de permettre une relance des économies des outre-mers par la consommation. C’est exactement ce qu’a exprimé la rue : les salariés grévistes ont exigé du « yo », les profiteurs, un meilleur partage de la richesse.
Pour ce qui concerne les mesures pour le logement, vous aviez, semble-t-il, oublié, monsieur le secrétaire d’État, que la défiscalisation dans le secteur du bâtiment a fait ses preuves en matière d’aide à l’investissement. Vous réintroduisez donc partiellement, par voie d’amendement, une fois de plus, la défiscalisation sur le logement intermédiaire, initialement supprimée avec celle qui concernait le logement libre, pour la redéployer exclusivement sur le logement social.
Nous sommes sceptiques sur le bien-fondé d’une mesure qui n’est souhaitée ni par les élus locaux ni par les acteurs du logement social, car le dispositif de défiscalisation ne semble pas assez attractif financièrement pour fonctionner, d’où une crainte de baisse d’activité dans le secteur, particulièrement porteur, du bâtiment. Il ne sera pas suffisant pour répondre aux besoins locaux, d’autant que le nombre de logements construits est en baisse constante depuis trois ans.
Nous souhaitons donc que soit maintenue la défiscalisation au profit du secteur intermédiaire et du secteur libre.
Nous craignons également que, malgré vos dénégations, la ligne budgétaire unique, qui finance le logement social outre-mer et qui est déjà insuffisante, ne baisse encore.
Pour ce qui relève des aides fiscales à la réhabilitation des logements, il s’agit de rétablir, par voie d’amendement, une mesure existant dans le système actuel, que ce projet de loi a supprimée.
D’autres amendements du Gouvernement réintroduisent quelques mesures demandées. Mais que proposez-vous pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans, pour les bénéficiaires des minima sociaux ou encore pour les vieux travailleurs, ceux qui ont débuté sans connaître la sécurité sociale ? Ce sont les grands oubliés de votre politique de rattrapage des inégalités qui frappent les outre-mers.
Comment avez-vous pu laisser sur le bord de la route ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés ? Et comment pensez-vous redonner de l’espoir aux jeunes adultes en difficulté dans leur parcours d’insertion professionnelle ? Cette population est passée par pertes et profits dans vos mesures d’amélioration de la LODEOM, alors même que, chacun le sait, 50 % des chômeurs de nos régions sont des jeunes, et souvent qualifiés.
Pour toute réponse, l’article 27 de ce projet de loi supprime le dispositif de soutien aux jeunes diplômés, sans rien prévoir en remplacement ! Pourquoi ne pas étendre aux DOM le contrat d’autonomie mis en place en métropole en faveur des jeunes défavorisés des banlieues ?
Monsieur le secrétaire d’État, les événements que la Guadeloupe et la Martinique ont connus vous ont obligé à revenir, en apparence et en partie, sur vos positions. Présenté comme un outil de développement, ce texte manque cependant d’ambition et de souffle ; il est en réalité un texte de restrictions et d’économies budgétaires, et l’injection tardive de 150 millions d’euros ne changera pas son économie générale.
Il n’est pas certain que nous pourrons le réécrire par voie d’amendements pour prendre en considération non seulement les conséquences de la crise sociétale et économique en outre-mer, mais également les enjeux d’un véritable développement de nos territoires.
Pendant que nous sommes ici à débattre en urgence d’un texte inadapté, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la rue continue à gronder en Martinique ! Les écoles, les mairies, les entreprises de production, les commerces sont à l’arrêt depuis plus d’un mois ! Des États généraux sont prévus dans quelques semaines, mais peut-on les tenir sur un tas de cendres ? Quelle application pourrez-vous faire de cette loi une fois que les conclusions de ces États généraux seront venues en rappeler, une fois encore, les très grandes insuffisances ?
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, écoutez les parlementaires de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion ! Je vous le demande solennellement, écoutez bien les outre-mers, sauf à avoir fait un autre choix, dont les conséquences seraient dramatiques, mais que vous devriez alors assumer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au moment où débute l’examen du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer, je ne pourrais entamer cette intervention sans exprimer toute ma solidarité à mes collègues de Guadeloupe, qui ont vécu, ces derniers temps, des moments intenses et difficiles.
Vous le savez, la collectivité de Saint-Barthélemy est restée liée à la Guadeloupe dans le cœur, et ses habitants ont suivi avec un intérêt fraternel les événements qui s’y sont déroulés.
Monsieur le secrétaire d’État, je dois vous dire que je n’ai pas douté de votre totale implication dans la gestion de ce conflit, et je demeure convaincu que vous avez employé un langage clair et dit de nombreuses vérités.
Je crois également que les tensions qui se sont exprimées outre-mer ont non seulement traduit des inquiétudes communes, mais aussi révélé les particularités de chacune des collectivités. C’est pourquoi l’approche différenciée qui a été retenue avec la LODEOM me semble la plus pertinente.
Si vous me permettez une parenthèse institutionnelle, je dirai que les choix aussi bien économiques qu’institutionnels de Saint-Barthélemy incarnent et démontrent que chaque territoire d’outre-mer peut s’emparer de son développement, construire sa responsabilité en tenant compte de ses réalités locales, tout en restant dans le cadre républicain.
M. Éric Doligé, rapporteur. Bravo !
M. Michel Magras. Après un peu plus d’un an, le cadre de l’article 74 a permis l’épanouissement de Saint-Barthélemy, qui a lié un choix de statut à un modèle de développement économique.
N’ignorant pas le débat institutionnel qui ne manquera pas de s’ouvrir dans les DOM avec les États généraux, et sans faire de prosélytisme, sachez, mes chers collègues, que la collectivité de Saint-Barthélemy est disposée à vous ouvrir ses portes et à vous faire part de son expérience.
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, les choix de Saint-Barthélemy expliquent qu’elle soit relativement peu concernée par les mesures inscrites dans le texte que vous nous soumettez.
Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles le maintien du dispositif d’exonération de cotisations patronales était vital pour les entreprises. Mais, dès lors qu’il s’agit de tenir compte du tissu économique et d’alléger les coûts d’exploitation des entreprises, je veux attirer votre attention sur les caractéristiques de l’économie de Saint-Barthélemy.
Tout d’abord, chacun doit garder à l’esprit qu’il convient de distinguer le niveau de vie de la clientèle touristique de celui des résidents de l’île, faute de quoi on ne peut que céder aux clichés qui donnent malheureusement une image déformée de Saint-Barthélemy.
Structurellement, l’économie de l’île est dominée par trois secteurs : le tourisme, le commerce et le BTP. En dehors d’une petite industrie artisanale de produits cosmétiques, elle ne dispose d’aucune activité productive, alors que le coût de la vie est plus élevé qu’ailleurs outre-mer en raison de la double insularité de Saint-Barthélemy.
Une large part des entreprises se trouvent donc exclues du dispositif d’exonération de cotisations patronales, entraînant une forme de distorsion de concurrence locale.
Je souhaite donc que le Gouvernement tienne compte de cette structure particulière en étendant à Saint-Barthélemy le bénéfice de l’exonération des cotisations patronales au secteur du petit commerce, acteur majeur, avec le tourisme, de l’équilibre économique local, et secteur tout aussi exposé que ce dernier.
En effet, en ces temps de crise économique, le commerce pâtit, comme le secteur touristique, de la diminution de la fréquentation dont il dépend au même titre que les hôteliers, qui, eux, contrairement aux commerçants, bénéficient des mesures d’exonération plus avantageuses que celles de la loi Fillon sur les salaires.
En ce qui concerne la défiscalisation des investissements, la collectivité de Saint-Barthélemy s’est déterminée au regard de plusieurs aspects. Idéalement, elle aurait préféré que le territoire ne soit pas éligible. En effet, du fait du statut fiscal, ce ne sont pas les investissements des entreprises implantées localement qui bénéficieront désormais de ce dispositif. La défiscalisation en tant qu’outil destiné à attirer les investisseurs extérieurs à l’île par le jeu d’une fiscalité avantageuse n’est pas adaptée au projet économique de Saint-Barthélemy. Ce projet vise, au contraire, à ne pas rompre l’équilibre économique en suscitant des investissements d’opportunité attirés par la perspective de l’effet d’aubaine, car toute la stratégie de Saint-Barthélemy repose sur la cohérence et la maîtrise de son développement économique.
Je dois toutefois préciser qu’il serait erroné, et hypocrite, d’ailleurs, de penser que Saint-Barthélemy souhaite développer une économie autarcique refusant tout apport de l’extérieur. Nous sommes seulement persuadés que le fait d’attirer des investissements par le biais de la fiscalité comporterait un risque de déstabilisation économique trop important, d’autant plus que l’île est devenue fiscalement attractive, depuis qu’elle jouit de son nouveau statut. La collectivité entend plutôt privilégier les investissements qui sont décidés d’abord pour la rentabilité intrinsèque de l’opération – je pense en particulier au secteur hôtelier ou à la navigation de plaisance –, à la condition qu’ils s’inscrivent en cohérence avec la politique définie globalement, comme la préservation de certaines zones. C’est un choix avec lequel on peut être ou pas d’accord, mais nous l’assumons.
La collectivité a aussi considéré que le fait d’attirer des investissements dans des secteurs d’intérêt général, tels que les énergies renouvelables, la production d’eau ou le traitement des eaux usées, l’élimination des déchets ou les nouvelles technologies, pouvait revêtir un intérêt non négligeable.
Elle s’est ensuite positionnée en tenant compte de son environnement régional immédiat, principalement la collectivité voisine de Saint-Martin, et de la fiscalité applicable aux investissements.
Ainsi, il est apparu qu’en souhaitant l’exclusion de Saint-Barthélemy du champ de la défiscalisation dans certains secteurs les entreprises se trouveraient exposées à la concurrence de celles qui auraient bénéficié de la défiscalisation de leurs investissements dans l’île voisine, tout en pouvant exercer leurs activités à Saint-Barthélemy.
Je remercie la commission des finances d’avoir introduit dans le texte qu’elle nous présente la possibilité pour les collectivités d’outre-mer d’être informées des projets de réalisation d’investissements sur leur territoire, avec la possibilité d’émettre un avis.
Je proposerai néanmoins que cette faculté soit renforcée et que l’avis rendu par la collectivité de Saint-Barthélemy soit plus qu’un avis simple. N’y voyez pas, mes chers collègues, l’expression d’un manque de confiance à l’égard des services chargés d’examiner les demandes d’agrément, mais plutôt un signe adressé aux investisseurs potentiels, pour leur indiquer que leurs investissements doivent être réalisés en concertation avec la collectivité et en cohérence avec la stratégie économique locale.
J’ai également noté avec satisfaction la généralisation de la procédure d’agrément, qui, comme le soulignait M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, devrait contribuer à favoriser un « bon usage de la défiscalisation ». Je partage en tout point cette position.
La défiscalisation du logement social est un autre aspect de ce texte par lequel Saint-Barthélemy se singularise. C’est encore une position que je dois assumer. Je vous proposerai donc, mes chers collègues, un amendement visant à exclure Saint-Barthélemy de ce dispositif.
Pourquoi ? Il faut savoir que, à Saint-Barthélemy, le logement locatif libre peut être considéré comme un secteur économique à part entière. De plus, il joue un rôle de régulateur en constituant une source de revenus complémentaires pour de nombreux résidents. En outre, son existence explique en partie un taux de chômage très bas, en dépit de l’étroitesse du marché du travail, ainsi qu’un très faible nombre de bénéficiaires de minimas sociaux.
L’autre aspect de cette réalité est le niveau très élevé des loyers, qui sont en moyenne de 10 % à 20 % plus chers que ceux de l’Île-de-France.
Ensuite, au regard du niveau des prix du foncier, la construction de logements sociaux à Saint-Barthélemy au prix du mètre carré plafonné pour la défiscalisation est irréalisable. C’est une première raison pour laquelle il n’y a pas lieu de maintenir Saint-Barthélemy dans le champ d’application de ce dispositif.
La deuxième raison est que, dans le contexte actuel, un tel dispositif comporte un risque, même très faible, de susciter de la spéculation foncière.
La troisième raison est que nous ne souhaitons pas susciter une demande qui ne s’est jamais exprimée jusqu’ici.
La collectivité, consciente de la nécessité d’une régulation du marché du logement, notamment au bénéfice des jeunes, étudie la mise en place d’un dispositif qui permettrait de faciliter l’accès au foncier et, parallèlement, un moyen de faire diminuer, voire de plafonner les loyers.
À cet égard, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, j’attire votre attention sur l’adaptation des critères d’attribution de l’allocation logement à la réalité de Saint-Barthélemy. Comme je viens de l’indiquer, les loyers sont très élevés, et certaines personnes, en raison de leur revenu, se trouvent exclues du bénéfice de cette allocation alors que leur revenu disponible, compte tenu de la charge que représente le loyer, devrait leur permettre d’en bénéficier. C’est un point que je vous serais reconnaissant de bien vouloir examiner.
Enfin, pour toutes les collectivités d’outre-mer, la mise en place d’un dispositif de continuité territoriale se justifie.
Je comprends et partage l’intention du Gouvernement de fixer des critères d’attribution fondés essentiellement sur la condition de ressources et la formation. Toutefois, si ces deux critères permettront de répondre aux besoins des habitants de Saint-Barthélemy, ils mériteraient, et la collectivité le souhaite, d’être adaptés afin de correspondre au public le plus large possible.
Le projet de loi ne vise que les étudiants de l’enseignement supérieur, alors qu’à Saint-Barthélemy, où il n’existe pas de lycée, les élèves quittent l’île dès le début du cycle secondaire. De même, la prise en charge de certaines pathologies ne peut se faire sur place et passe par des déplacements. En outre, les compétitions sportives, pour des besoins que tout le monde peut comprendre, supposent de se déplacer. Cette aide serait donc utile pour faciliter les déplacements destinés à satisfaire des besoins qui ne peuvent pas l’être sur l’île.
Aussi, je souhaite que l’extension du bénéfice de l’aide à la continuité territoriale aux élèves du secondaire de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon s’applique aussi à ceux de Saint-Barthélemy.
Voilà les quelques aspects de la LODEOM qui concernent plus particulièrement Saint-Barthélemy. Naturellement, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous pourrez compter sur mon soutien, et j’espère que les demandes d’adaptation de la future LODEOM à Saint-Barthélemy recevront le vôtre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)