Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, chacun comprendra que je rende d’abord un hommage particulier au rapporteur de la commission des lois, M. Jean-René Lecerf, non seulement pour le talent dont il a fait preuve et pour tout ce qu’il a apporté à ce texte de loi, mais également, et surtout, pour l’humanité avec laquelle il consacre, depuis si longtemps, tant d’efforts et de temps à visiter les prisons, à écouter les personnels pénitentiaires, à observer les expériences des pays proches et à concilier les différents impératifs de l’institution carcérale.
Monsieur le rapporteur, vous avez eu de grands prédécesseurs ; je pense, notamment, à un homme qui m’a fait longtemps rêver – mais j’ai beaucoup rêvé à la commission des lois, sans succès –, et dont le nom devrait orner l’entrée de la salle de réunion de la commission des lois : le sénateur René Bérenger.
Enfin, nous voilà au rendez-vous que nous espérions depuis si longtemps, madame la garde des sceaux, un rendez-vous que l’on ne souhaite donc pas voir s’interrompre trop vite. C’est l’une des raisons de fond pour laquelle la procédure d’urgence n’a pas sa place ici, d’autant qu’il s’agit du sort, de la condition d’êtres humains, et au premier chef des libertés fondamentales, lesquelles relèvent consubstantiellement du domaine législatif.
Donc, écartons la procédure accélérée, puisque c’est elle qui nous régit à présent, et voyons ce qu’il en est.
Nous sommes très en retard et, je le répète, voilà longtemps que nous attendons. Pour ne citer que la dernière décennie, il y eut le rapport du Premier président de la Cour de cassation Guy Canivet, en 2000, puis, la même année, deux rapports parlementaires, dans un climat de consensus absolu, l’un au Sénat sous la présidence de M. Hyest, l’autre à l’Assemblée nationale sous la présidence de M. Mermaz. Une proposition de loi fut même déposée au Sénat.
Les élections sont intervenues et nous avons assisté à un torrent de textes législatifs, orientés vers toujours plus d’incarcération. La loi pénitentiaire, quant à elle, restait dans le domaine des colloques et des articles de presse.
Heureusement, nous avons connu avec bonheur l’influence du mouvement européen, auquel nous devons beaucoup dans ce domaine. Sans ce mouvement européen, avec ce qu’il représente ici et particulièrement au Conseil de l’Europe de volonté d’humanisation et de reconnaissance des droits des détenus et des personnels pénitentiaires, je ne suis pas sûr que le Gouvernement nous aurait enfin saisis de ce projet de loi pénitentiaire. Je tiens également à souligner, à cet égard, la pression exercée par la commission des lois du Sénat.
Le Parlement européen adopta des résolutions, dont une en 1998, invitant chaque pays à adopter une loi pénitentiaire. Plusieurs résolutions du Conseil de l’Europe vinrent s’ajouter à celles-ci. Il y eut ensuite l’adoption des règles pénitentiaires européennes. C’est à la pression de l’Europe et du Conseil de l’Europe que l’on doit, en vérité, l’instauration du contrôleur général des prisons, fonction aujourd’hui occupée par l’excellent M. Delarue.
Nous avons connu également les rapports d’inspection du Comité européen pour la prévention de la torture, les rapports des commissaires aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. À chaque fois, nous étions sinon stigmatisés, du moins pointés du doigt, véritable humiliation pour les parlementaires que nous sommes et pour la République.
Un moment particulier s’est greffé sur ce mouvement d’ensemble, celui des États généraux de la condition pénitentiaire, rassemblant la quasi-totalité des professions intervenant dans le champ pénitentiaire. Il existe des militants de la cause de l’amélioration des conditions de détention.
Nous sommes arrivés à une résolution finale qui a recueilli l’accord de tous. Au-delà de sa dimension œcuménique, celle-ci a une importance particulière parce qu’elle a recueilli une assez large approbation de principe des principaux candidats à l’élection présidentielle, notamment de l’actuel Président de la République, M. Sarkozy.
Il aura tout de même fallu attendre près de deux ans pour que le texte soit enfin soumis au Parlement. La révision constitutionnelle nous permet heureusement de débattre du texte de la commission des lois, ainsi que des amendements essentiels que vous nous proposez, monsieur About.
Ce texte est exceptionnel en ce qu’il touche, au premier chef, à la condition d’êtres humains ; c’est ce que nous devons conserver à l’esprit quand nous abordons ce domaine. Il s’agit de milliers d’êtres humains confinés dans un espace clos, prévenus, suspectés ou condamnés pour des infractions de natures diverses.
C’est une population particulière que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur. L’opinion publique s’en fait une idée au travers des faits divers les plus saisissants, les seuls qui l’intéressent par leur dramatisation ; elle imagine je ne sais quel rassemblement de Mesrine ou de Dils.
Au-delà d’un noyau dur de criminels, auquel il faut porter la plus extrême attention, comment est composée l’immense majorité des quelque 100 000 personnes qui entrent chaque année en prison en France ?
Entre 25 % et 30 % des détenus souffrent d’affections mentales graves, ce qui soulève de grandes difficultés auxquelles il faudra absolument remédier, sans parler des cas de dépression, qui sont légion. Seuls 40 % des détenus jouissaient d’un emploi avant d’entrer en prison. Près de 13 % sont complètement illettrés et 12,5 % sont à peine capables de déchiffrer un texte et encore moins d’écrire. J’ajoute qu’une grande partie des détenus est composée de marginaux dès l’enfance, puisque 28 % d’entre eux ont connu un placement par le juge des enfants.
Telle est la réalité de la population carcérale, à laquelle nous devons songer quand nous examinons une loi pénitentiaire.
En observant la prison contemporaine, on est saisi de retrouver les traits des lieux d’enfermement dénoncés par les hommes des Lumières où l’on mêlait les fous, les vagabonds, les criminels, les filles de joie. Ceux qui ont beaucoup fréquenté les prisons ont le cœur serré devant ce magma de populations indifférenciées. Vous ne verrez jamais le fils d’un banquier ou d’une grande avocate en prison. L’inégalité sociale s’inscrit en ces lieux en lettres impitoyables.
On comprend bien à quel point il est difficile d’intervenir auprès de cette population pénale. Je tiens à mon tour, après MM. Lecerf et About, à rendre hommage aux personnels pénitentiaires – ce que je fais depuis longtemps, avec toujours plus de conviction –, qui ne sont pas nécessairement formés, comme ils le disent modestement, pour veiller sur les 30 % de détenus qui souffrent de troubles mentaux, responsabilité qu’ils assument pourtant. J’aurais souhaité que la loi s’ouvre par un article reconnaissant l’importance de la mission des personnels pénitentiaires.
Au regard de ces questions essentielles, je rejoins votre préoccupation, monsieur le rapporteur : il ne faudrait pas que cette loi pénitentiaire soit une chance perdue, une occasion manquée ; revenons au souffle des grands principes ! Ces principes, nous les connaissons bien – ils sont faciles à rappeler – quand il s’agit, dans une grande démocratie du XXIe siècle, des conditions de détention. J’aurais souhaité qu’on les proclamât également solennellement dans la loi.
Le premier principe, celui qui sous-tendait l’ensemble du rapport du Premier président de la Cour de cassation Guy Canivet, c’est que les détenus sont des êtres humains, des hommes, pour l’essentiel, et des femmes, et, quand ils sont français, des citoyens : nous ne devons jamais perdre de vue cette évidence ! Par conséquent, ils doivent jouir de tous les droits de l’homme et du citoyen, à l’exception de ceux que l’autorité judiciaire leur a retirés, avant ou après leur condamnation. Tout s’éclaire si l’on aborde la condition pénitentiaire au travers de ce prisme.
Dans un espace clos, il faut évidemment prendre en compte la sécurité des personnes et des biens quand ceux-ci sont gravement menacés, car c’est un monde de tensions et de violences. C’est la seule restriction au principe que je viens d’évoquer.
Le deuxième principe majeur, c’est que l’État de droit ne peut pas s’arrêter à la porte des prisons ; il doit aussi régir l’univers pénitentiaire. Nous aurons l’occasion d’y revenir quand nous aborderons les problèmes complexes posés par les régimes différenciés et les sanctions disciplinaires.
Nous devrons également revenir sur le règne de l’arbitraire, trop longtemps toléré en matière de fouille et constitutif d’une atteinte grave à la dignité humaine. Cette pratique corporelle est inacceptable à tous égards quand il s’agit de fouille intégrale. La commission des affaires sociales a proposé des amendements complétant le texte élaboré par la commission des lois et auxquels nous devons souscrire. Je me demande même s’il ne faudrait pas aller plus loin sur ce point.
Tout cela se résume en une préoccupation essentielle ! L’apport personnel du grand René Cassin à la Déclaration universelle des droits de l’homme a été le respect de la dignité humaine, qui ne figurait pas dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le respect de la dignité humaine est un principe majeur qui doit gouverner notre approche de l’univers pénitentiaire. Or celui-ci ne s’accommode pas des fouilles que j’évoquais précédemment, pas plus que de l’absence d’encellulement individuel, phénomène récurrent qui s’inscrit dans la douloureuse histoire pénitentiaire.
C’est en 1874 que le brillant vicomte d’Haussonville, au terme d’un rapport pénitentiaire admirable – certainement la plus brillante étude jamais réalisée sur l’univers carcéral dans une société –, a fait voter, à l’aube de la IIIe République, le principe de l’individualisation de la cellule des prévenus et des condamnés à une peine de moins d’un an. Mais cela n’a jamais – je dis bien « jamais » ! – été mis en vigueur, et toujours pour des considérations budgétaires.
Nous ne pouvons pas transiger sur un tel principe, qui figure d’ailleurs dans les règles pénitentiaires européennes. Nous devons simplement prendre en considération les cas de figure où un détenu, dans son propre intérêt, ne doit pas rester seul. J’évoquais tout à l’heure les dépressions : nombre de personnalités sont fragiles et ne peuvent pas vivre dans l’isolement cellulaire.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. C’est vrai !
M. Robert Badinter. Il s’agit là de principes que nous aurons à mettre en œuvre demain et après-demain.
Dans une remarquable intervention, M. Alain Anziani a rappelé que chacun des droits des détenus devait être pris en compte au regard de ces principes fondamentaux, auxquels le président Jean-Jacques Hyest a eu raison d’ajouter la réinsertion du détenu, devenue un objectif de valeur constitutionnelle à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1994. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, acquiesce.)
Toutefois, je trouve que beaucoup sont étonnamment discrets sur un autre volet du texte ; j’étais habitué à entendre des communications fracassantes sur les innovations pénales et les modifications des textes de procédure.
Les enjeux du titre II du présent projet de loi ne sont pas, loin s’en faut, indifférents. De quoi s’agit-il ? Il nous est proposé de revenir à un principe qui n’aurait jamais dû être perdu de vue : l’impératif de l’individualisation des peines ; l’emprisonnement ne doit être qu’un dernier recours.
Je me réjouis également des modalités qui sont offertes aux magistrats – ce sont eux qui en ont la responsabilité au premier chef – pour prononcer des mesures alternatives à l’emprisonnement ou pour recourir à des aménagements de peines. En pratique, de telles possibilités sont complètement oubliées. Aujourd'hui, moins de 20 % des détenus bénéficient d’aménagements de peines avant leur sortie de prison. Or nous savons à quel point la « sortie sèche » de prison est dangereuse.
Toutes ces facultés sont considérablement élargies. J’aurais aimé que l’on s’en vantât ; j’aurais souhaité entendre des expressions telles que « admirable conversion » ou – cela doit naturellement s’entendre en termes maritimes – « changement de cap ». On redonne enfin aux principes d’humanisation et d’individualisation de la peine toute leur place ! Quelle modification par rapport aux peines planchers ou à ce qui était auparavant prôné, notamment l’emprisonnement ferme, y compris, le cas échéant, pour les mineurs !
Je salue un tel changement avec satisfaction. Je le considère comme infiniment heureux. De mon point de vue, la deuxième partie du projet de loi ne manquera pas de servir grandement la cause de l’humanisation des prisons.
J’aurais préféré que l’on commençât par ces mesures avant d’adopter les autres dispositions législatives que nous avons connues. Je ne citerai pas les propos que j’avais tenus à ce moment-là, en guise d’avertissement : c’est le triste privilège de l’âge et d’une certaine expérience.
Par ailleurs, ce texte comporte un autre aspect, auquel je suis très attaché. En posant dans la loi les principes devant gouverner la condition pénitentiaire, nous allons permettre le développement d’une démarche très importante, qui est d’ailleurs déjà à l’œuvre : le contrôle juridictionnel des conditions de détention.
Depuis quelques années, nous assistons à des mouvements concordants : la prise en compte par l’autorité judiciaire, sous toutes ses formes, du contrôle des détentions. Il s’agit de s’assurer que les droits fondamentaux des personnes, dont le respect doit précisément être garanti par ces juridictions, ne sont pas méconnus au sein de l’univers carcéral.
Le 16 octobre 2008, dans un arrêt Renolde contre France, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en raison des conditions de détention. D’ailleurs, nous retrouvons la même question à propos de la période possible d’isolement cellulaire : attention aux quarante-cinq jours !
Mais, plus important encore, le Conseil d'État est à l’origine d’une jurisprudence essentielle ; je pense, notamment, à un arrêt de l’assemblée du contentieux rendu au mois de décembre 2007, ainsi qu’à trois arrêts de section plus récents du 17 décembre 2008 : dans toutes ces décisions, le Conseil d’État a rappelé que l’État de droit ne s’arrêtait pas à la porte des prisons et qu’il appartenait aux juridictions administratives d’user de leurs compétences pour veiller au respect de tels principes. Aujourd'hui, nous donnons aux juges la possibilité d’assurer encore plus fermement leurs missions.
Je n’insiste pas sur la jurisprudence des juridictions de l’ordre judiciaire ; je rappellerai simplement qu’une juridiction rouennaise a, en référé, permis de faire procéder à des constats.
Je suis convaincu qu’il s’agira là d’une grande loi. D’ailleurs, monsieur Lecerf, je souhaite qu’elle porte votre nom, car vous en êtes le véritable père. (Bravo ! sur les travées de l’UMP.) J’ignore ce qu’en diront les Dalloz, souvent infidèles en la matière, sans parler des journalistes, souvent incertains. Mais, pour moi, ce sera bien la loi Lecerf. Et, croyez-moi, dans l’histoire désolante, terrible, de l’institution pénitentiaire, la loi Lecerf marquera le moment où l’État de droit aura cessé d’être seulement une référence pour devenir une réalité dans l’univers carcéral, que je connais bien, dont les acteurs savent les responsabilités et les difficultés quotidiennes. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai choisi de concentrer mon propos sur la prise en charge des soins des détenus, laquelle a connu une profonde mutation avec la loi du 18 janvier 1994. Brève dans sa rédaction, mais très puissante dans son contenu, cette loi a fondamentalement modifié l’organisation des soins dispensés aux personnes détenues. Depuis, cette organisation repose sur une conception globale de la prise en charge des soins, dans ses aspects somatique et psychique, ainsi que dans ses dimensions préventive et curative.
La réforme de 1994 a consisté à assurer aux détenus une qualité et une continuité des soins équivalentes à celles qui sont accordées à l’ensemble de la population. Un tel principe d’égalité ressort également de la loi du 4 mars 2002, qui effectue un rappel des droits des patients, sans distinction aucune en raison de la situation pénale du malade.
Concrètement, cela s’est traduit principalement par le transfert de la prise en charge sanitaire des personnes détenues de l’administration pénitentiaire au service public hospitalier et par l’affiliation de tous les détenus à l’assurance maladie et maternité du régime général de la sécurité sociale. Par conséquent, la santé des détenus a quitté le code de la procédure pénale pour entrer dans ceux de la santé publique et de la sécurité sociale.
C’est une véritable éthique de soins en prison qui fut ainsi affirmée. De ce fait, la médecine en prison s’est transformée. D’une médecine humanitaire et de l’urgence, elle est devenue un mode normal de prise en charge hospitalière.
En principe, les détenus bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers, au sein des établissements pénitentiaires comme dans les établissements publics de santé, lors de consultations d’urgence, de consultations spécialisées et d’hospitalisations.
Le dispositif de soins en milieu pénitentiaire, autour notamment des unités de consultations et de soins ambulatoires, pour les soins somatiques, et des services médico-psychologiques régionaux, en matière de prise en charge psychiatrique, a été fort bien décrit par notre rapporteur pour avis, Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; je n’y reviens donc pas.
À ce jour, de nombreuses études et documents officiels – le dernier en date est le rapport pour avis de la commission des affaires sociales – mettent en évidence les progrès apportés par la loi du 18 janvier 1994. Dans le même temps, ils soulignent les difficultés persistantes dans la mise en œuvre au quotidien des soins et des activités de prévention en milieu carcéral.
De plus, de nouveaux besoins en santé des détenus se font jour. Nous devons bien entendu les prendre en compte.
Sur plusieurs points, la réforme majeure intervenue en 1994 est à bout de souffle. Le projet de loi qui nous est soumis devrait apporter un nouvel élan.
Pour apprécier le chemin qui reste à parcourir, il est nécessaire d’analyser la situation sanitaire des détenus, laquelle demeure globalement dégradée si on la compare à celle de la population générale d’âge similaire. En effet, la population carcérale continue de cumuler les facteurs de risque. Certains de ces facteurs sont stables. Ainsi, la précarité, le faible accès aux soins, la forte consommation d’alcool et de tabac, la toxicomanie et les phénomènes de violences sont des caractéristiques constantes chez les personnes qui entrent en prison.
Mais, au-delà de ce constat, plusieurs évolutions primordiales se produisent actuellement.
On observe une montée importante de la polytoxicomanie, les combinaisons alcool-drogue, héroïne-cocaïne, produits de substitution-cocaïne étant parmi les plus fréquentes.
Le vieillissement de la population carcérale est également un fait nouveau. L’âge des entrants augmente de manière continue depuis vingt ans et l’allongement des peines touche plus fortement les condamnés déjà âgés.
On constate aussi une baisse constante de la prévalence du virus de l’immunodéficience humaine, le VIH, en prison, mais le taux des personnes détenues atteintes reste supérieur à celui de la population générale.
En outre, il ressort que les hépatites B et C sont très présentes, très mal dépistées et donc rarement soignées avant l’incarcération.
La recrudescence de la tuberculose est inquiétante. D’ailleurs, madame la ministre, vous vous êtes exprimée récemment sur le sujet, après l’annonce de la contamination par le bacille de Koch d’un détenu, puis de cinq surveillants de la prison de Villepinte.
Surtout, une forte proportion de personnes détenues nécessite une prise en charge psychologique ou psychiatrique. Comme le montre l’enquête de prévalence des troubles mentaux chez les détenus menée par les professeurs Bruno Falissard et Frédéric Rouillon, les personnes incarcérées présentent de lourds antécédents personnels et familiaux, et ce quels que soient la population et le type d’établissement. Avant leur incarcération, plus du tiers d’entre elles ont déjà consulté un psychologue ou un psychiatre. Et 16 % des hommes détenus ont déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. La prison est le plus souvent un facteur d’aggravation de ces troubles.
Plus généralement, l’étude souligne qu’un grand nombre de personnes détenues ressentent un niveau de souffrance psychique élevé.
Des avancées réelles doivent donc être envisagées, et ce dans quatre domaines.
Le premier se révèle être celui du dispositif de soins mentaux, particulièrement inadapté face à cette demande croissante.
Les unités pour malades difficiles à l’extérieur des prisons sont saturées, avec pour conséquence des délais d’attente importants. Dans les prisons disposant d’un service médico-psychologique régional, ou SMPR, il n’y a pas d’hospitalisation psychiatrique proprement dite, car les cellules sont identiques aux autres cellules.
Les soins dispensés correspondent le plus souvent à une hospitalisation de jour, qui n’est pas adaptée aux patients suicidaires, puisque le cadre légal n’autorise pas la prise en charge des patients sans leur consentement aux soins. Dans ces conditions, il n’y a souvent pas d’autre possibilité que de recourir à des hospitalisations d’office. Ces dernières sont généralement courtes et n’ont souvent pour seul effet que de pallier une crise aiguë, sans perspective de prise en charge prolongée de pathologies chroniques.
Les problèmes sanitaires liés au vieillissement doivent également être résolus dans les établissements pénitentiaires. Les handicaps sont sévères, particulièrement en établissements pour longue peine. Or la vétusté des équipements des locaux de détention empêche tout déplacement, ce qui aggrave les difficultés en matière d’hygiène. Les fins de vie liées aux cancers sont de plus en plus problématiques.
La prévention et l’éducation pour la santé restent timides, alors même que la population pénitentiaire en a le plus grand besoin. Plus globalement, la construction d’un programme cohérent de santé publique s’impose.
L’hygiène, autant individuelle que collective, présente des lacunes importantes : une hygiène corporelle non respectée – moins de trois douches par semaine et par personne –, un blanchissage inefficace, un système de chauffage défaillant, un mauvais éclairage, tout cela s’ajoute à l’insalubrité des locaux.
Enfin, on ne peut ignorer la misère sexuelle à laquelle sont confrontés les détenus ni le silence qui l’entoure.
Sur tous ces points, la commission des affaires sociales et la commission des lois, au travers de leurs excellents rapporteurs, proposent de vraies solutions, que le groupe de l’Union centriste soutiendra, en souhaitant qu’elles ne restent pas des vœux pieux. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi s’ouvre dans un contexte difficile. Aussi, je tiens à rendre hommage à votre courage, madame la ministre. Je salue également l’engagement de notre rapporteur, Jean-René Lecerf, son humanité, son obstination ; le président Nicolas About s’est aussi beaucoup investi dans ce projet de loi, comme peuvent en témoigner les membres de la commission des affaires sociales.
L’institution pénitentiaire a été mise au cœur de l’actualité en ce mois de janvier 2009, durant lequel nos prisons ont connu onze suicides de détenus, pour des raisons psychologiques et affectives, parce que la prison est considérée comme un temps mort, un temps d’absence définitive de la société. Avec quinze suicides pour 10 000 personnes détenues, la France connaît l’un des taux les plus élevés d’Europe.
Mais ces actes désespérés ne doivent pas seulement soulever des interrogations sur le fonctionnement du « monde carcéral », comme nous l’appelons, expression d’ailleurs inappropriée, qui illustre bien le malaise que suscite ce que nous considérons comme un « autre monde ». Celui-ci relève non pas d’une galaxie inconnue, mais bien de notre société, concentrant de façon cruciale nombre de ses caractéristiques et, naturellement, de ses faiblesses.
Ces faiblesses, ce sont nos impossibilités à prendre soin des autres lorsqu’ils ne se situent pas dans notre champ de vision. Ainsi en est-il des personnes atteintes de troubles mentaux. Nous, familles et État, ne savons pas nous y prendre avec elles. Alors, nous les conduisons en prison.
Ces faiblesses, ce sont aussi les séquelles que laisse la prison sur ceux qui ont séjourné en ce lieu de misère psychologique, sociale et affective, qui dit l’absence d’amour ; ces séquelles se nomment violence, drogue, dépression et maladies.
Certes, le droit de la prison s’est progressivement structuré autour d’objectifs tels que la resocialisation des personnes détenues, au-delà des considérations d’ordre et de sécurité. Mais certaines règles, bien que reconnues, sont parfois difficiles à mettre en œuvre, même si la politique menée depuis plusieurs années – création des unités de visite familiale et des unités hospitalières sécurisées interrégionales, projets d’établissements pour mineurs, unités hospitalières spécialement aménagées – permet de développer la prise en charge de publics spécifiques et de progresser pour allier sécurité et respect des droits de l’homme.
Il s’avère aujourd’hui d’une façon criante que la fracture du lien entre l’hôpital et la prison n’est pas encore ressoudée et que la préparation du détenu à sa sortie de prison n’est pas assurée.
Le présent projet de loi vise à permettre une meilleure prise en compte de la situation actuelle. Cependant, il m’a paru opportun, après Nicolas About, d’attirer votre attention sur les deux points essentiels que constituent la prise en charge médicale des détenus et leur réinsertion.
Qu’il soit condamné à six mois, deux ans ou trente ans de prison, nous devons garder à l’esprit le fait que le détenu est une personne qui a vocation à reprendre vie au sein de la société.
Comme l’a souligné Nicolas About, la manière dont l'État prend en charge la santé des détenus est révélatrice de l’attention que notre société prête à ses membres les plus faibles et de sa volonté de leur offrir la possibilité de retrouver une place en son sein, voire tout simplement d’en trouver une.
Si la prise en charge des soins somatiques en prison est, dans l’ensemble, efficace, les soins psychiatriques souffrent d’un manque de moyens. Est-il normal, madame la ministre, que des psychiatres recrutés à plein temps dans nos prisons ne semblent pas y exercer l’intégralité de leur service ?
Est-il normal que les soins ne soient pas garantis le week-end ou la nuit en raison de l’absence de surveillants disponibles, voire du refus d’alerter les services compétents en raison d’une mauvaise évaluation de l’urgence ?
En matière de prise en charge de pathologies mentales, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2006, déjà, le Comité national consultatif d’éthique a exprimé sa préoccupation quant au taux de pathologies psychiatriques, qui est vingt fois plus élevé en prison qu’au sein de la population dans son ensemble !