M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais dénoncer une incohérence majeure de la période que nous venons de vivre.
Au mois de juillet dernier, nous avons été convoqués en Congrès à Versailles, en vue de réviser la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est généralement ce que l’on fait à Versailles !
M. Yannick Bodin. L’objectif affiché par le Président de la République, le Premier ministre, son gouvernement et sa majorité, était de renforcer les droits du Parlement. C’était naturellement tentant !
Pourtant, nous étions un certain nombre à nous montrer méfiants. Aujourd'hui, la démonstration est faite que nous avions raison.
En effet, comment faire confiance au président du pouvoir d’achat et du « travailler plus pour gagner plus » et croire qu’il suffit de réviser la Constitution pour renforcer les pouvoirs du Parlement, quand, au retour de Versailles, se dresse au coin d’un bois un projet de loi organique qui, sous couvert de renforcer les droits du Parlement, nous invite à nous taire, après nous avoir octroyé un temps de parole limité tout de même ?
L’article 13 du projet de loi organique, en contradiction flagrante avec les principes énoncés lors de l’examen du projet de loi de révision constitutionnelle tant à l’Assemblée nationale et au Sénat qu’au Congrès de Versailles, apporte à lui seul la démonstration que le discours d’alors était un leurre.
M. le président du Sénat estime que le droit d’amendement est un droit « consubstantiel » au statut des parlementaires : c’est le droit de s’exprimer, de défendre une idée nouvelle et d’essayer de la faire partager.
On a même entendu affirmer par certains que le droit d’amendement était « sacré » pour les parlementaires. Mais les défenseurs de l’article 13 disent en substance : « le droit d’amendement est sacré, mais nous avons droit au sacrilège » !
Certes, monsieur le président, lors des réunions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement, nous avons entendu des propos à même de nous rassurer quant au règlement intérieur du Sénat applicable à partir du mois de mars. Mais de quelles garanties disposons-nous pour l’avenir, que ce soit d’ici à quelques mois ou à quelques années ?
Déclarer que l’Assemblée nationale peut s’organiser comme elle l’entend et que le Sénat peut faire ce qu’il veut, c’est oublier que les droits et les devoirs des députés et des sénateurs doivent être identiques et traités de la même façon.
Les évolutions à l’Assemblée nationale nous préoccupent autant que celles du Sénat. Dans cette optique, globaliser le temps de parole à l’Assemblée nationale ou au Sénat reviendrait à bafouer le droit d’amendement des parlementaires, tant au niveau des groupes qu’à titre individuel.
Supposons que le temps de parole accordé à un groupe soit épuisé après l’examen de son amendement n° 100 et que l’un de ses membres intervienne au motif que, ayant déposé l’amendement n° 101 et ne s’étant pas encore exprimé, il estime devoir bénéficier du droit que lui confère la Constitution de défendre son texte et de le faire voter : comment appliquer alors un tel règlement pour respecter le droit individuel et inaliénable de ce parlementaire ?
Je le dis résolument, il faut supprimer purement et simplement l’article 13, que vous allez traîner comme un boulet au pied.
À l’occasion de cet article 13, j’ai entendu les intervenants précédents se référer aux périodes de l’histoire où la démocratie était la plus malmenée. Je serais particulièrement peiné, comme nombre de mes collègues, de faire partie d’une assemblée à une époque où le Parlement n’a que le droit de se taire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Roger Romani remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nombre de mes collègues l’ont dit avec éloquence et conviction, l’article 13 visant à fixer par avance la durée d’examen des textes n’est pas acceptable.
Mais revenons aux attendus proposés. L’exposé des motifs du présent projet de loi organique évoque l’objectif de renforcer l’efficacité du travail parlementaire pour améliorer la qualité de la loi. Cet objectif, nous le partageons évidemment, et c’est bien pourquoi nous récusons les dispositions proposées qui nous paraissent précisément contraires à celui-ci.
Le travail législatif exige réflexion, confrontation, échange. Il a besoin de temps et de distance. Ce n’est pas une tâche comme les autres. L’encadrer conduirait à coup sûr à nuire à sa qualité et à son efficacité et, par voie de conséquence à renforcer ce que nous connaissons déjà aujourd’hui, à savoir le caractère d’urgence de quasiment tous les textes. Le résultat serait donc pis que la situation actuelle.
Convenez-en, le fonctionnement d’aujourd’hui est loin d’être satisfaisant. Nous assistons déjà à une inflation législative forte. Le temps des annonces est de plus en plus rapide, au rythme d’une conjoncture elle-même de plus en plus folle.
Le temps parlementaire doit-il en être le reflet ? Sûrement pas ! La frénésie législative dans laquelle nous vivons actuellement conduit déjà à un déferlement de textes.
Pourtant, ce déferlement, présenté comme une nécessité d’agir vite, n’est pas synonyme d’efficacité. Jugez-en au résultat : pour l’année 2007-2008, le taux moyen de mise en œuvre des textes est de 24,6 % ! On veut contraindre les parlementaires à aller vite, alors que le pouvoir réglementaire prend tout son temps. Aujourd’hui déjà, on marche à l’envers !
Mes chers collègues, en résumé, une seule raison justifie notre opposition. Cette raison est décisive : en réintroduisant la notion de temps global pour la discussion des textes, le Gouvernement remet en cause le pouvoir d’amender, c’est-à-dire de proposer une modification de la loi et d’en discuter devant l’opinion publique.
Y renoncer – de nombreux collègues se sont exprimés sur ce thème –, c’est revenir au Tribunat du premier Empire, qui approuvait les lois sans les discuter.
Le droit d’amendement des parlementaires n’est pas moins essentiel, il n’est pas moins sacré que la liberté d’expression des citoyens. Ces deux principes s’appellent et se complètent réciproquement. Attenter à l’un, c’est attenter à l’autre ! En d’autres termes, le droit d’amendement est par nature sans limite, absolu.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est faux !
M. Claude Jeannerot. C’est précisément pour cette raison qu’il permet d’améliorer les textes.
Mes chers collègues, référez-vous à l’expérience sénatoriale. Voyez comment s’est passé le débat sur le Grenelle de l’environnement. Nos discussions ont été de qualité précisément parce qu’elles étaient totalement libres et ouvertes.
A contrario, nous avons gardé le souvenir des conditions d’examen au Sénat du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision. Ces conditions sont emblématiques de la volonté d’un pouvoir pressé et impatient de mettre en œuvre des réformes avant même qu’elles ne soient votées. Nous ne voulons plus de cela, mes chers collègues !
Nous avons le devoir de nous opposer au bâillonnement des parlementaires. Nous voulons imposer le temps des parlementaires, qui est celui de la libre confrontation, de l’analyse, de la contre-expertise, c’est-à-dire, en définitive, le temps de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le secrétaire d'État, au travers de l’article 13, vous vous attaquez à la liberté de parole de l’opposition. Que vous la baptisiez « temps programmé » ou « rationalisation des débats », cette modification constitutionnelle vise à instituer le pouvoir de faire taire celui qui n’est pas d’accord avec vous !
Le pire est que rien ne justifie une telle remise en cause des droits de l’opposition. Depuis que Nicolas Sarkozy est élu, une nouvelle loi est votée tous les dix jours : c’est du jamais vu !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si !
Mme Raymonde Le Texier. Ce que vous appelez « obstruction » n’est, dans les faits, qu’une mobilisation de l’opposition pour porter un débat. Chacun le sait, une telle mobilisation n’a jamais empêché l’adoption d’un texte.
Êtes-vous à ce point faibles et peu sûrs de vous pour vouloir, en plus de la maîtrise de la décision, le contrôle de la parole ?
Si ce qui motive ce projet de loi est, en revanche, le constat d’une production législative dont la profusion se fait au détriment de la qualité, si ce qui vous anime est le ras-le-bol face à des lois inappliquées parce qu’inapplicables, si vous êtes exaspérés de constater que le taux d’application des lois votées en urgence en 2007-2008 ne dépasse pas 10 % et que seules 55 % des mesures votées en 2006-2007 sont effectives, si vous refusez de continuer à traduire chaque fait divers en loi compassionnelle, alors il faut vous en prendre non pas à l’opposition, mais à la frénésie législative d’un Président de la République qui confond gesticulation et action, et réduit sa majorité au rang d’exécutants !
Que le Président de la République ne réussisse pas à prendre les dimensions de sa charge et vive comme une agression personnelle le fait que l’opposition porte des valeurs différentes, des convictions fortes et une parole autre serait risible si ce n’était pas aussi pathétique et dangereux.
Avoir réduit ses ministres au rang d’attachés de presse, évaluer leur compétence à leur dextérité à manier l’encensoir et leur avenir à la souplesse de leur échine ne lui suffit donc plus : il lui faut également museler l’opposition puisqu’elle a l’outrecuidance de vouloir jouer son rôle.
C’est finalement un hommage involontaire qui nous est rendu, car cette attaque démontre que, au Parlement, l’opposition travaille et dérange. En effet, loin d’être le fruit de l’obstruction, les débats qui mobilisent l’énergie des parlementaires et qui prennent du temps rencontrent toujours un écho fort dans la société, tant ils correspondent à des attentes ou à des craintes profondes et tant ils interrogent sur notre devenir ou interpellent nos principes. École obligatoire, abolition de l’esclavage, laïcité, IVG, peine de mort, PACS : tous ces débats ont été riches, difficiles, houleux, non parce qu’ils étaient instrumentalisés, mais parce qu’ils interpellaient nos consciences.
Monsieur le secrétaire d'État, le 10 février dernier, dans votre intervention lors de la discussion générale, vous avez volontairement occulté tout cela. Selon vous, l’article 13 dont nous abordons l’examen ne posait pas de problème au sein du Sénat, raison pour laquelle vous nous exhortiez à le voter tel quel, le président de notre assemblée s’engageant à ne pas le mettre en pratique dans le règlement.
Mme Raymonde Le Texier. Notre collègue Bernard Frimat vous a fait alors remarquer que, si vous ne comptiez pas appliquer cette disposition, il était inutile de nous demander de la voter.
Il est vrai que les promesses n’engageant que ceux qui les écoutent, vous aviez beau jeu de nous demander de nous dessaisir d’une garantie constitutionnelle et de nous contenter d’un règlement amendable à volonté et reposant sur l’engagement personnel de l’actuel président du Sénat.
Non, nous ne nous dessaisirons pas de notre droit à débattre et à discuter des amendements, car c’est à l’aune de la garantie des droits accordés à l’opposition que se juge la qualité d’une démocratie ! Si le Gouvernement a oublié cette exigence, c’est à nous qu’il revient de lui rappeler sans cesse !
C’est pourquoi nous nous opposerons de toutes nos forces à cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous vivons sous la constitution de 1958, qui a limité considérablement les droits du Parlement. Ce texte fondamental manifestait d’ailleurs une grande défiance à l’égard des parlementaires.
L’article 34 de la Constitution ne fait-il pas de la loi un domaine résiduel laissé aux parlementaires, tout le reste étant du domaine du décret ?
Et, dans ce domaine résiduel, on souhaite encore restreindre notre possibilité de prendre la parole, de débattre, d’apporter une contradiction sur les textes qui nous sont présentés ! Telle est la situation dans laquelle nous sommes !
En faculté de droit, j’avais des cours magistraux et des travaux dirigés ; ni le rapporteur, ni le secrétaire d'État, ni personne ne répondant aux questions pratiques que je pose, je vais à nouveau les présenter.
Comment sera comptabilisé le temps global ? Les suspensions de séance en feront-elles partie ou seront-elles défalquées au fur et à mesure qu’il y en aura ? Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous répondre à cette question ?
Par ailleurs, comment seront comptabilisés les rappels au règlement ? Faudra-t-il restreindre leur usage ? Dans ce cas, bien entendu, l’opposition aura intérêt à faire de l’obstruction parlementaire pour allonger les débats indéfiniment et, quelquefois, sans raison. L’objectif que vous visez ne sera donc pas atteint.
Comment les services de la séance et les groupes eux-mêmes pourront-ils connaître le temps qu’il restera ? Installerons-nous des écrans électroniques géants pour décompter le temps imparti afin que les responsables de chaque groupe et les parlementaires puissent se concerter avant de décider d’appuyer tel ou tel amendement ou d’avancer plus vite jusqu’à un amendement plus lointain dans le texte, mais risquant, au final, de se faire guillotiner ?
Monsieur le secrétaire d'État, vous haussez les épaules et, s’agissant de ces questions intéressantes qui relèvent de l’application pratique de nos débats, peu vous chaut : on se débrouillera, dites-vous ! Mais vous ne serez peut-être plus là pour le voir, puisque vous serez président de région, …paraît-il ! (M. le secrétaire d'État s’esclaffe.)
M. Josselin de Rohan. Karoutchi président ! Bravo ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Michel. Mme Pécresse étant hors-jeu, il ne reste plus que M. le secrétaire d'État !
De plus, comment chaque groupe pourra-t-il anticiper sur la séance ? Le texte qui nous occupe cet après-midi est un peu spécial, mais prenons une séance d’amendements ordinaire, sur un texte normal, par exemple la séance de mercredi dernier, au cours de laquelle nous avons discuté d’une proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées.
L’examen de certains articles nous a pris plus de temps que ce que nous escomptions quand d’autres articles ont été examinés plus rapidement que prévu. Finalement, nous avons passé l’après-midi à discuter de ce texte, alors que certains d’entre nous pensaient qu’une heure ou deux de débat suffiraient !
Eh bien non, nous avons débattu de questions importantes ! Chacun a eu le droit de donner son avis et, au final, l’adoption de certains amendements par la majorité ne s’est jouée qu’à une voix !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Celle du président !
M. Jean-Pierre Michel. Tout à fait ! Celle du président, qui, contre toute attente et contre toute pratique, a voté !
M. Jean-Louis Carrère. À l’insu de son plein gré ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Michel. J’ai présidé deux fois l’Assemblée nationale et je ne me suis jamais permis de voter, même quand la gauche était en très grande difficulté à la suite de l’obstruction pratiquée par la droite à l’époque !
Que dire également des non-inscrits – pauvres non-inscrits ! – ou de ceux qui, n’étant pas sanctionnés, agissent en francs-tireurs au sein de leur groupe, n’acceptent pas la discipline collective et déposent des amendements à titre individuel ? On nous répond qu’il reviendra à chaque groupe de faire sa discipline. Les présidents de groupe doivent-ils donc se transformer en surveillants généraux de potaches ? Je ne le pense pas !
Les amendements de ces parlementaires seront-ils comptabilisés dans le temps des groupes si ces derniers ne le désirent pas ? Certes, il y aura un temps supplémentaire.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, comme notre collègue Michel Mercier l’a fort opportunément relevé, il est possible à l’heure actuelle de déposer des sous-amendements. Mais nous ne pourrons plus nous livrer à cette pratique si les amendements sont appelés sans être discutés : c’est donc tout le droit parlementaire qui s’effondrera !
En réalité, l’enjeu de l’article 13 est beaucoup plus grave que tout ce qu’on a bien voulu nous faire croire puisqu’il revient à museler le temps de parole de l’opposition. Cet article fait tomber tout un pan du droit parlementaire patiemment établi par la règle constitutionnelle et par la pratique des présidents de séance, des bureaux des assemblées et des groupes politiques parlementaires. Le tout, pour un résultat qui n’est pas à l’honneur de la démocratie ni du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, un résultat que vous défendez mollement, sans le soutenir. (M. le secrétaire d'État s’esclaffe.) M. le rapporteur n’ose même pas en parler, car ce serait grossier.
On nous dit que ce texte passera comme une lettre à la poste : eh bien non, ce ne sera pas le cas, y compris au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je souhaite intervenir brièvement sur l’article 13 pour vous faire part de mon opinion de parlementaire nouvellement élu.
Si je ne maîtrise pas encore totalement toutes les subtilités du droit parlementaire, je me rappelle en revanche très bien le mandat qui m’a été confié par les grands électeurs, voilà maintenant six mois : ils m’ont demandé de défendre des convictions, d’avancer des propositions concrètes chaque fois que cela est possible et de relayer parfois devant la Haute Assemblée des situations spécifiques.
Or le droit d’amendement est l’un des moyens de mener à bien le mandat qui m’a été confié. Il me paraît donc véritablement anormal qu’il soit réduit à la portion congrue.
Amender, mes chers collègues, n’est pas un simple droit d’expression ; amender, c’est proposer ; amender, c’est instaurer un dialogue entre une majorité ouverte et une opposition responsable ; amender, c’est offrir une occasion d’unité nationale d’où peuvent naître des compromis ; amender, c’est discuter en amont des spécificités locales, des cas particuliers, et non les régler à coup de jurisprudence.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Martial Bourquin. Amender est un espace de convictions, et donc de démocratie.
Au fur et à mesure des séances auxquelles j’ai pu assister, j’ai été frappé de constater qu’il pouvait naître beaucoup plus de la discussion d’un amendement qu’un simple avis couperet, adopté ou rejeté. D’un amendement, surgit parfois une étude ou un groupe de travail.
J’ai été frappé que la discussion d’un amendement mette très souvent à jour des difficultés d’application futures d’une loi et soit un instrument précieux d’efficacité législative.
Le groupe socialiste ne défend pas l’obstruction parlementaire.
M. Josselin de Rohan. Non ! Il ne l’a jamais pratiquée ! (Sourires.)
M. Martial Bourquin. Pour preuve, il entend limiter la possibilité de disposer d’un temps plus long de discussion au cours d’une session. Les socialistes savent bien que la majorité actuelle, quand elle sera dans l’opposition – cela arrivera ! – et comme elle a su le faire dans le passé, usera de toutes les possibilités pour défendre ses convictions. J’ai, pour ma part, toujours préféré la force de l’argument à l’argument de la force.
Notre très illustre prédécesseur Victor-Hugo mettait cette formule dans la bouche de l’un des héros des Misérables : « Rien n’est stupide comme vaincre ; la vraie gloire est convaincre. » Car, après tout, qu’a-t-on à craindre de la discussion d’un amendement ? De quoi le Gouvernement a-t-il donc si peur ? Craignez-vous seulement de perdre du temps, ou craignez-vous d’être convaincus de la pertinence de telle ou telle argumentation ?
Monsieur le secrétaire d’État, bon nombre de nos concitoyens vivent des moments difficiles et l’engagement de tous est requis. Or vous restreignez les postes dans la fonction publique : des milliers de postes sont supprimés dans l’éducation nationale et l’administration et vous effectuez des coupes sévères dans les budgets. Aujourd’hui, on nous propose une autre version de la RGPP : la révision générale des pouvoirs des parlementaires !
Effectivement, mes chers collègues, nous sommes en crise ! Mais la parole et la vitalité de la démocratie ne doivent pas s’inscrire dans une démarche comptable ; plus la démocratie est forte, plus elle prend le temps de s’exprimer et mieux notre société se porte ! Notre assemblée ne doit pas faire l’économie du temps de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler qu’en première lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, nous avions supprimé, à l’unanimité, le renvoi à la loi organique la fixation du cadre d’exercice du droit d’amendement des parlementaires.
Voici la teneur des propos tenus par le président de notre commission des lois, lors de ce débat : « La référence faite ici à la loi organique limite la compétence de principe que la Constitution reconnaît aux règlements des assemblées et contredit l’autonomie des assemblées pour fixer les modalités d’exercice du droit d’amendement. Aussi, nous proposons de supprimer cette référence ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Tout est dit : la fixation de limites au droit d’amendement contredit l’autonomie des assemblées et porte un coup intolérable à notre droit sacré de parlementaires de déposer et défendre des amendements.
Finalement, le constituant a maintenu le renvoi à la loi organique et les limitations possibles du droit d’amendement qui lui sont attachés. Peu importe quelle forme prend aujourd’hui cette limitation, qu’elle porte plutôt sur le droit de défendre des amendements que sur celui de les déposer, qu’elle se manifeste par un crédit-temps ou par toute autre formule : avec cet article 13, le droit d’amendement devient une chimère !
Les conclusions du groupe de travail sur la réforme du règlement, dont nous sommes ici plusieurs à faire partie, peuvent laisser penser que nous ne sommes pas concernés par ce crédit-temps. Il s’agirait là, en réalité, d’une mesure disciplinaire à l’égard de députés avides de défendre, à tour de bras, des amendements sans réelle portée pour le débat. J’entends encore ces propos selon lesquels nous ferions beaucoup de bruit pour rien au sujet de cet article 13, puisque le règlement du Sénat pourra prévoir ce qu’il veut, dans la mesure où la loi organique le lui permet…
Mais je vous rappelle, mes chers collègues, que nous faisons la loi pour l’ensemble du Parlement. Alors, pourquoi cette loi organique ? Pour dire que, finalement, il n’y a pas de limite au droit d’amendement ? Certainement pas ! Pour dire qu’il peut, éventuellement, rencontrer des limites dans le cadre fixé par le règlement ? Évidemment, oui ! Et de cette éventualité découle un certain nombre de conséquences qui peuvent mener au musellement des parlementaires, condamnés à voir leurs amendements mis aux voix sans discussion.
Ce procédé est malsain puisqu’il impose une discipline interne, des arbitrages entre des amendements, bref, il oblige à faire un choix.
La première conséquence est simple : il n’y aura plus d’amendements de parlementaires, mais des amendements de groupes parlementaires, puisque c’est au sein de ces groupes que sera centralisée la gestion du crédit-temps.
Ensuite, je souhaite attirer votre attention sur la situation des parlementaires qui, bien que rattachés à un groupe, n’en demeurent pas moins autonomes pour le dépôt et la défense des amendements. Aujourd’hui, les sénateurs Verts jouissent dans ce domaine d’une liberté précieuse que vous voulez transformer en dépendance arithmétique malsaine ! Il faut le reconnaître, grâce au groupe socialiste et à notre mode de fonctionnement, nous avons toujours eu la possibilité de nous exprimer en discussion générale. Mais que se passera-t-il demain, avec votre nouveau dispositif, pour la défense des amendements ? Les sénateurs Verts, qui ne constituent pas un groupe mais sont seulement rattachés au groupe socialiste, seront-ils considérés comme des membres de ce groupe ou un temps spécifique leur sera-t-il accordé ?
Le dispositif que vous nous proposez de voter est une atteinte à notre droit absolu de nous opposer, de nous exprimer et de défendre nos idées dans cet hémicycle ! Ce dispositif est castrateur et vous comprendrez que nous ne puissions pas l’accepter. Au nom de notre droit, au nom de notre responsabilité de parlementaires, nous affirmons que ce système représente un danger, pour notre démocratie parlementaire et pour notre République tout entière ! C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons pas voter cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il me semble important d’intervenir aujourd’hui sur l’article 13 du projet de loi organique. Certes, on nous dit que son objet n’intéressera pas le Sénat, puisqu’il est prévu que cette disposition ne s’appliquera pas à notre chambre. Doit-on pour autant laisser passer sans rien dire un article dont le contenu même est une insulte au travail parlementaire ?
Le droit d’amendement constitue l’une des prérogatives essentielles de la fonction de parlementaire, que nous soyons députés ou sénateurs. L’article 13, qui prévoit une limitation des débats dans le temps, présuppose donc que l’on ne pourra plus discuter certains amendements une fois ce délai dépassé. Il s’agit donc bel et bien d’une atteinte au droit d’amendement, contraire à l’esprit de notre Constitution. Nous ne pouvons que nous élever contre une attaque constituant une remise en cause du rôle du Parlement.
On justifie cette disposition par la nécessité de ne pas retarder le travail gouvernemental. Cette explication, apparemment simple et légitime, ne saurait résister à l’épreuve des faits et je ne puis que m’élever contre une telle mauvaise foi. Plusieurs rapports ont souligné que notre droit devient de plus en plus « bavard » à mesure qu’il tend à intervenir sur un nombre croissant de sujets. Cette inflation législative, dangereuse pour la loi dont elle mine le pouvoir, est le véritable frein à l’action gouvernementale.
Votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, tend à vouloir légiférer rapidement dans tous les domaines. On voit donc se multiplier des textes mal ficelés, sans étude d’impact préalable. Le vrai frein à une action efficace résulte de cette précipitation qui frise l’agitation pathologique, sous couvert de réformes.
Pire, nous sommes bien placés pour savoir que la plupart des lois votées ne sont pas applicables, faute d’une publication rapide de leurs décrets d’application. On multiplie donc des textes de qualité médiocre, sans les appliquer ensuite, et l’on voudrait nous faire croire que le Parlement, dont le rôle n’est pas d’enregistrer les décisions de l’exécutif mais bien de les discuter, est responsable de cette situation calamiteuse ! De qui se moque-t-on ?
Enfin, alors qu’une révision de la Constitution a été entreprise l’année passée pour reconnaître un rôle plus important au Parlement, voici qu’un texte censé mettre en application cette révision tâche de limiter le droit d’amendement, donc le droit du Parlement. Il y a donc une contradiction majeure, et inacceptable, entre l’esprit de la révision constitutionnelle et ce projet de loi organique. Bien des parlementaires de la majorité auraient sans doute refusé de voter la révision constitutionnelle s’il leur avait été annoncé qu’elle aboutirait à cet article 13 !
Après toutes les atteintes aux libertés publiques, après tous ces textes liberticides fondés sur des réactions émotionnelles et non sur l’intérêt général, vous vous attaquez maintenant à un droit consubstantiel à la fonction de parlementaire !
Cet article 13 est un déni de démocratie puisque le droit d’amendement du parlementaire est la manifestation, voire le prolongement, de la liberté d’expression du citoyen. Nous sommes les dépositaires de ce droit démocratique que le citoyen remet entre nos mains. Je m’adresse donc à mes collègues de la majorité : refusons ensemble cette régression démocratique ! C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de voter unanimement pour la suppression de cet article 13. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)