M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant même d’aborder la question de nos interventions militaires à l’étranger, je voudrais rendre hommage à nos huit soldats morts au Gabon il y a quinze jours. Ces hommes en mission d’entraînement faisaient précisément partie des troupes appelées à intervenir à l’étranger. Ils ont poussé jusqu’au sacrifice suprême ce qui faisait leur engagement.
Dans ses vœux présentés au Liban aux forces armées, le Président de la République a appelé à réfléchir à la conformité de la présence de nos soldats en opération extérieure aux intérêts de notre pays, et il a souhaité un débat national sur la nature et le volume de notre présence militaire à l’étranger.
Avant d’évoquer le sujet, permettez-moi de déplorer les conditions dans lesquelles est organisé ce débat.
Si la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a, de son côté, dépêché des missions sur chacun des théâtres d’opérations en question, missions qui nous permettent aujourd’hui d’appréhender la complexité de chaque situation, en revanche, pour préparer ce débat, à aucun moment, messieurs les ministres, nous n’avons pu vous auditionner en commission. (M. Bernard Kouchner s’étonne.)
Ce débat était pourtant très attendu à un moment où jamais, depuis longtemps, nous n’avions eu autant de soldats français présents en opérations extérieures : 13 000 hommes engagés sur treize théâtres d’opérations différents.
Pour en prendre la mesure, il faut noter que, sur ce total, 71 % des effectifs déployés le sont dans un cadre multilatéral, avec 4 800 hommes engagés dans des opérations de l’OTAN, 2 100 sous les couleurs de l’ONU, et autant sous celles de l’Union européenne. Le reste, soit 3 500 hommes, est engagé dans des opérations nationales, essentiellement en Côte d’Ivoire et au Tchad.
Suivant les souhaits du Président de la République, vous nous présentez, messieurs les ministres, les grandes orientations d’un plan de révision, de redéploiement et de réduction de certains de nos effectifs à l’étranger.
Outre ce débat général, vous nous demandez, en vertu d’une disposition de la récente révision constitutionnelle, d’autoriser votre gouvernement à prolonger, ou non, nos interventions militaires dans cinq pays : la Côte d’Ivoire, l’ancienne province serbe du Kosovo, le Liban, le Tchad et la République centrafricaine.
Mon groupe n’a pas voté l’ensemble de la révision constitutionnelle, mais il convient de mesurer combien il est important que le Parlement puisse se prononcer sur l’opportunité de prolonger telle ou telle opération militaire extérieure de la France. D’autant que, jusqu’à cette révision constitutionnelle, nous étions l’une des rares grandes démocraties parlementaires dans laquelle le Parlement n’était ni informé ni consulté lorsque nos armées étaient engagées à l’extérieur.
Vous n’avez pourtant fait que la moitié du chemin puisque nous ne pouvons nous prononcer que quatre mois après la mise en place d’une opération, et non pas, comme nous l’avions souhaité, au moment de la prise de décision.
Nous voulions également, mais vous l’avez refusé, que le Parlement soit pleinement informé des accords de défense et de coopération militaire signés avec des pays étrangers. En effet, en dehors des mandats internationaux en vertu desquels nos troupes opèrent à l’étranger, ce sont ces accords qui fondent nos interventions et qui déterminent leurs formes et leurs missions.
Puisque vous nous présentez une adaptation de notre dispositif en Afrique et que le Président de la République s’était engagé au mois de février dernier, dans son discours du Cap, à remettre à plat et à rendre publics ces accords de défense avec les pays africains, je souhaite vivement que la représentation nationale ait enfin la possibilité de les examiner pour se prononcer en toute connaissance de cause.
Enfin, je voudrais ici réaffirmer que l’un des moyens les plus efficaces de gestion des crises reste encore de lutter contre l’armement des belligérants.
Notre pays devrait, dans ce domaine, mener une politique plus offensive en matière d’embargo et de lutte contre les trafics d’armes en tout genre. Certes, la France est particulièrement engagée dans l’adoption du Traité international sur le commerce des armes. Cela contribue incontestablement à limiter l’exportation et la circulation des armes. Toutefois, notre quatrième rang dans ce domaine devrait nous inciter à faire preuve encore davantage d’ambition et d’initiatives, bref, à montrer l’exemple.
Cela étant, pour en revenir à notre sujet principal, nous sommes très sceptiques s’agissant du nouveau dispositif que vous nous présentez.
Il ne procède pas d’une véritable réflexion sur la légitimité de nos interventions militaires extérieures. Les grandes orientations que vous nous exposez découlent, en premier lieu, des analyses géostratégiques du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Face aux nouvelles menaces contre notre pays, le Livre blanc recommandait ainsi de réadapter le format et la mission de notre outil de défense et appelait à être plus sélectifs dans les engagements extérieurs de nos armées, dont les coûts n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Il avait ainsi retenu sept principes directeurs pour ces opérations, dont « une définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût ».
Il me semble donc que la première motivation du dispositif que vous nous proposez consiste avant tout à faire des économies.
La remise à plat de nos engagements sur le continent africain, la révision de nos accords de défense et de coopération militaire, annoncées par le Président de la République dans son discours du Cap, pourraient sembler positives. Mais je crains, au contraire, qu’elles n’ouvrent pas la voie à de nouvelles relations avec les pays africains.
Cette décision, avec la réduction de nos forces prépositionnées qui s’accompagne aussi, malheureusement, d’une diminution de notre aide publique au développement, masque mal un désengagement de la France dans cette partie du monde.
Pour notre part, nous pensons que la baisse de l’aide publique et les promesses non tenues, qui étranglent l’Afrique, augurent mal de la nouvelle politique avec ces pays annoncée par le Président de la République : il y a un décalage flagrant entre ses paroles et ses actes. Elles ne s’inscrivent pas dans le sens du développement, de la coopération, du partage des richesses et, pour tout dire, du nouvel ordre mondial qu’attend l’Afrique.
Au-delà d’une réflexion générale sur les déploiements extérieurs de nos forces, vous nous demandez concrètement de nous prononcer sur le maintien ou non de celles-ci.
Les raisons de ces opérations, les situations sur place et les conditions d’emploi de nos troupes étant sensiblement différentes, je voudrais d’abord préciser les critères en fonction desquels nous nous déterminons.
Notre vision du règlement de conflits par l’envoi de troupes à l’étranger est uniquement fondée sur la recherche de la paix dans un cadre multilatéral. Les interventions de nos troupes à l’étranger ne sont donc à nos yeux légitimes que lorsqu’elles s’effectuent dans le cadre d’un mandat donné par la seule institution internationale qui privilégie le multilatéralisme et la recherche de la paix : l’Organisation des Nations unies.
Nous sommes évidemment conscients des insuffisances et, parfois, de l’inefficacité de cette grande institution. C’est la raison pour laquelle il faut absolument modifier le fonctionnement et la composition du Conseil de sécurité, afin que celui-ci reflète le monde tel qu’il est aujourd’hui.
Nos interventions militaires à l’étranger ne peuvent se justifier et être légitimes que lorsqu’il s’agit de maintenir ou de rétablir la paix, de s’interposer entre des belligérants ou, bien entendu, en cas d’urgence, de protéger nos ressortissants.
En revanche, nous sommes totalement hostiles à la participation à des opérations menées dans le cadre de l’OTAN qui découlent, comme en Afghanistan, d’un alignement pur et simple sur les intérêts de l’administration américaine. C’est la raison pour laquelle nous soutenons principalement les opérations auxquelles participent nos forces lorsqu’elles procèdent d’un mandat s’appuyant sur une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Pour ce qui est de la présence de nos troupes à l’étranger en vertu d’accords de défense ou de coopération militaire dans un cadre bilatéral, nous voulons maintenant que le Parlement puisse examiner rapidement ces accords lors de leur renégociation.
J’évoquais à l’instant le cas de la création de forces d’interposition entre belligérants. Face aux drames causés récemment par le conflit israélo-palestinien, nous pensons que la création d’une force internationale de ce type s’impose de toute urgence.
Mais je voudrais aussi que votre gouvernement, messieurs les ministres, prenne rapidement position en faveur des demandes de commission d’enquête sur les horreurs de cette guerre, qui ont été déposées par plus d’une trentaine d’associations de tous pays auprès de la Cour pénale internationale. De même, nous devrions soutenir les demandes d’enquête de M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, après le bombardement d’écoles et de bâtiments de l’ONU dans la bande de Gaza.
Je ferme cette parenthèse et j’en viens aux cinq opérations que vous nous soumettez et sur lesquelles nous nous déterminerons en fonction des critères que je viens d’évoquer.
En République de Côte d’Ivoire, avec la force Licorne et le soutien aux troupes de l’ONUCI, nous avons 2 000 hommes présents sur place. La mission de la force Licorne, qui repose sur plusieurs résolutions de l’ONU, dont la dernière consiste principalement à assurer la tenue d’une élection présidentielle plusieurs fois reportée, n’est pas achevée.
Dernièrement, M. Choi Young-jin, représentant de l’ONU sur place, a réclamé de nouveau des autorités ivoiriennes la mise en place d’un calendrier électoral, seul à même de sortir le pays d’une crise politique qui dure depuis cinq ans.
À l’évidence, les conditions prévues par la résolution 1721 du Conseil de sécurité ne sont toujours pas remplies. Ni le désarmement et le démantèlement des milices, ni l’identification du corps électoral, ni le redéploiement de l’administration et la préparation technique de l’élection ne sont assurés. Dans ces conditions, il nous semble nécessaire de prolonger la mission de la force Licorne, mais en réduisant les effectifs, comme vous le proposez, puisque la situation s’est en partie stabilisée.
Nous souhaitons toutefois que cette décision soit prise en concertation avec les autorités ivoiriennes, le Premier ministre Guillaume Soro et le Président Laurent Gbagbo, et qu’elle débouche à terme, comme le souhaitent les Ivoiriens, sur un calendrier de retrait de nos troupes.
Concernant le Kosovo, où nous avons 2 000 hommes au sein de la KFOR sous un commandement OTAN, nous sommes contre la prolongation de notre intervention.
En effet, nous considérons que la présence de nos soldats, qui sont souvent engagés en raison de l’inefficacité de la police kosovare et de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo, la MINUK, cautionne la déclaration unilatérale d’indépendance du parti kosovar au pouvoir. Cette déclaration d’indépendance de la province albanophone, qui n’a d’ailleurs pas été reconnue par tous les pays composant la KFOR, bafoue purement et simplement la résolution 1244 du Conseil de sécurité qui définissait les missions de la force de l’OTAN.
Le contexte ayant changé avec le déploiement de l’opération européenne EULEX et d’une nouvelle force de sécurité kosovare, la FSK, qui se met progressivement en place, nous estimons qu’il ne faut pas maintenir notre présence militaire au Kosovo.
Concernant le Liban, avec 1 900 hommes, le maintien de notre participation à la FINUL renforcée paraît nécessaire au regard des derniers évènements du conflit israélo-palestinien.
Les missions de la FINUL qui, là aussi, se fondent sur plusieurs résolutions de l’ONU, sont l’exemple même de missions d’interposition et de rétablissement de la paix. Pourtant, la mise en œuvre des résolutions de l’ONU est inachevée. Elle consiste, d’une part, à surveiller la bonne application du cessez-le-feu entre l’armée libanaise, le Hezbollah et l’armée israélienne et, d’autre part, à appuyer l’armée libanaise pour empêcher le réarmement du Hezbollah.
L’heure n’est donc pas au désengagement alors que la situation n’est pas stabilisée et que la tension reste vive dans la région, comme on a pu le voir après des lancements de missiles en provenance du Liban-Sud lors de la crise de Gaza.
Concernant le Tchad, il faut distinguer l’opération EUFOR Tchad/République centrafricaine, d’une part, et les opérations Épervier et Boali, d’autre part.
L’opération EUFOR, à vocation humanitaire de protection des réfugiés et déplacés du Darfour, doit de toute façon prendre fin à compter du 15 mars prochain et être relayée par la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad, la MINURCAT. Le problème qui se pose est que cette force ne sera pas opérationnelle avant la fin de 2009. Nous proposons donc qu’une partie des effectifs de l’opération Épervier rejoignent la MINURCAT pour assurer un soutien logistique.
En revanche, nous sommes contre la prolongation de l’opération Épervier. En effet, malgré son objectif affiché d’aide à la stabilité du Tchad et de la sous-région, nous estimons qu’elle apporte avant tout un soutien contestable à un régime issu d’un coup d’État. En cela, elle est un obstacle à un règlement durable de la crise tchadienne, qui ne peut intervenir que dans le cadre d’un processus de paix soutenu par la communauté internationale.
Enfin, concernant la République centrafricaine et l’opération Boali, nous considérons que nous intervenons directement, sans mandat international, pour tenter de régler les affaires intérieures de ce pays. Derrière les objectifs affichés de maintien de la paix, notre rôle est équivoque et nous prenons parti, dans un pays souverain, pour maintenir en place un régime menacé par son opposition. Pour cette raison, nous sommes également contre la prolongation de l’opération Boali.
Au total, messieurs les ministres, nous vous avons donné nos appréciations sur ces cinq opérations extérieures. Toutefois, dans votre présentation, vous n’avez pas précisé l’utilisation ultérieure qui serait faite des réductions d’effectifs.
Ces décisions n’ont à aucun moment été présentées devant les commissions parlementaires.
Cette absence de concertation, alors même que le Gouvernement prétend renforcer les droits du Parlement, nous fait craindre que, malgré les démentis de M. Morin, vous nous annonciez dans quelques mois que vous cédez aux demandes pressantes de l’Otan et des États-Unis de renforcer les troupes en Afghanistan.
Mme Michelle Demessine. J’ai dit « malgré les démentis de M. Morin » !
Lors du scrutin public, le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche votera, conformément aux explications qu’il a développées sur chaque opération, pour la prolongation de l’intervention des forces armées en Côte d’Ivoire et au Liban, contre la prolongation de l’intervention des forces armées au Kosovo, au Tchad et en République centrafricaine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce soir, le Sénat est appelé à se prononcer sur la prolongation de l’intervention de nos forces armées en Côte d’Ivoire, au Tchad, en Républicaine Centrafricaine, au Liban et au Kosovo.
Ces votes sont l’une des applications directes de la réforme de la Constitution souhaitée par le Président de la République et que nous avons adoptée en juillet dernier. En vertu de l’article 35 de la Constitution, l’envoi et le maintien de nos troupes et matériels sur des théâtres d’opérations extérieures sont désormais soumis au Parlement. Il y va donc de notre responsabilité de parlementaires.
La France, membre fondateur de l’Union européenne, la France, symbole de la liberté et membre permanent du Conseil de sécurité, a une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Notre histoire, .notre tradition démocratique, mais aussi nos capacités militaires complétées par notre expérience accumulée, nous désignent tout naturellement comme l’un des premiers États vers lesquels se portent les sollicitations.
Mais ces opérations, décidées par le Gouvernement et désormais validées par le Parlement, s’appuient sur des hommes et des femmes qui ont choisi de servir notre pays, les valeurs qu’il représente et qui portent cet engagement à travers le monde, parfois au prix du sacrifice ultime ; vous avez eu raison, monsieur le ministre, de rappeler le sang versé en Afghanistan, au Gabon et, ne l’oublions pas, en Côte d’Ivoire.
Ce soir, au nom du groupe UMP, je souhaite saluer le courage et le professionnalisme de nos soldats qui, à des milliers de kilomètres de leur famille, défendent une certaine idée de la France et de sa mission en garantissant la sécurité internationale ou en maintenant une paix souvent fragile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je tiens à leur rendre hommage et à rappeler à chacune et à chacun d’entre nous sur les travées de la Haute Assemblée que les votes auxquels nous allons procéder nous engagent sur la scène internationale, bien sûr, mais aussi vis-à-vis de chacun de nos soldats. Cette responsabilité partagée, monsieur le ministre de la défense, nous amènera à être plus vigilants, plus fermes, plus pressants pour les demandes de matériels et de moyens dont nos armées ont besoin sur ces terrains difficiles et souvent hostiles.
Plusieurs de nos collègues qui ont participé à des missions sur l’initiative de la commission des affaires étrangères et de la défense peuvent témoigner du dévouement, de l’excellence de nos troupes et de leur respect des populations sur les différents théâtres. Je tiens à remercier M. le président de Rohan, car ces différents déplacements nous ont permis de recueillir des informations sur la pertinence politique et stratégique de nos engagements. Ils sont aussi l’expression de l’intérêt su Sénat envers nos personnels militaires.
La situation géopolitique étant de plus en plus complexe, nous devons répondre à de nouveaux défis, dans le respect de la légalité internationale et en faveur de la paix.
Face à des conflits asymétriques et à des acteurs non étatiques - les actes de piraterie au large des côtes somaliennes constituent un bon exemple - notre stratégie de défense doit s’adapter en permanence, et c’est le caractère même des opérations extérieures qui a évolué.
Force est de reconnaître que les OPEX font désormais partie intégrante de l’activité de nos armées. Elles n’ont plus de caractère exceptionnel : aujourd’hui – et ce sera de plus en plus le cas à l’avenir – les OPEX se caractérisent, comme le rappelle le chef d’état-major des armées, par leur durée, leur durcissement et leur dispersion géographique. Cela se traduit par une augmentation des coûts, point sur lequel j’aurai l’occasion de revenir.
Il est primordial que les OPEX répondent aux critères fixés par le Président de la République dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Leur programmation doit également s’inscrire en cohérence avec la réforme des armées engagée il y a quelques mois.
Le choix d’envoyer des contingents français dans telle ou telle région du globe découle avant tout de l’évaluation des menaces, de plus en plus diffuses et de plus en plus difficiles à identifier.
La juste appréciation de la gravité de la menace pour la sécurité internationale et pour nos intérêts nationaux constitue un principe élémentaire de notre politique de défense. Aussi, avant de procéder à l’envoi de soldats, soyons assurés d’avoir examiné les alternatives au recours à la force armée. C’est dans ces cas précis que les relais de notre diplomatie doivent opérer. L’étendue et la qualité de nos relations diplomatiques doivent nous permettre, chaque fois que cela est possible, d’impliquer les autorités et les responsables politiques des zones géographiques concernées et de les appeler à engager le dialogue au travers de leur propre réseau diplomatique.
Parmi les autres principes directeurs définis par le Président de la République en juillet 2007, il y a ce que j’appellerai « l’appréhension réaliste » de notre participation à la résolution des conflits.
Avant d’engager nos forces, il convient d’acquérir plusieurs degrés de certitude : premièrement, nous assurer que nous serons en mesure d’assumer le niveau d’engagement que nécessitera un nouveau théâtre ; deuxièmement, avoir les moyens humains et matériels suffisants pour répondre à la crise – il n’est pas possible d’envoyer des soldats sur des théâtres d’opérations avec des matériels et des équipements insuffisants, inadaptés, et en sous-estimant les rotations des personnels ; troisièmement, avoir une visibilité dans le temps qui nous permette une juste évaluation des coûts – même si nous sommes capables de mettre en place une politique de crash programmes et d’acheter « sur étagère » les matériels, comme pour l’Afghanistan, et je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réactivité, nous devons mesurer notre capacité de réactivité humaine et budgétaire ; enfin, quatrièmement, il faut toujours envisager les perspectives de règlement effectif du conflit et, si possible, la fin de notre intervention.
Dans de nombreux cas, je pense notamment à l’Afghanistan, l’action militaire est indispensable, mais elle ne suffit pas et ne suffira pas.
Il faut, comme le dit Paul Haeri, « gagner les paix de sorties de guerres ». Pour cela, il faut convaincre les populations, en ramenant la sécurité humaine de proximité, pour pouvoir reconstruire une vie durable, avec une administration et ses services locaux, l’éducation, l’accès aux soins, le développement agricole et, surtout, la mise en place d’une armée autochtone crédible, seule porteuse de légitimité.
Il s’agit de conduire une action globale avec et pour les populations locales. Cela nécessite de la volonté, des moyens importants, de la patience et du temps. Cela signifie, mes chers collègues, que certaines OPEX vont durer et perdurer.
Mes chers collègues, mener des opérations dans un cadre multinational, qu’il soit onusien ou européen, présuppose que notre armée ait des effectifs suffisants avec des moyens terrestres, aériens et navals correspondants. Les efforts réalisés en 2008 et 2009, comme la loi de programmation militaire sur laquelle nous travaillons, vont dans le bon sens.
Actuellement, la France compte plus de 13 000 hommes participant à trente opérations de présence et de gestion de crise à travers le monde. La France, avec le Royaume-Uni, est l’une des puissances les plus engagées dans les opérations de maintien de la paix. Les opérations auxquelles la France participe sous le drapeau onusien représentent plus de 16 % des opérations en cours.
Il s’agit principalement de l’opération FINUL–DAMAN au Liban, avec plus de 1 800 hommes. La France est engagée dans la FINUL depuis sa création en 1978. Les événements de l’été 2006 et le renforcement du contingent par les pays européens comme l’Italie et l’Espagne, dans le cadre de la FINUL II et à la suite de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, ont été les conditions essentielles de l’arrêt des hostilités entre Israël et le Hezbollah.
Au Liban, nous pouvons décemment affirmer que les objectifs de l’OPEX ont été atteints. L’assistance à l’armée libanaise et le rétablissement de l’autorité effective ont permis de faciliter les négociations aboutissant à un cessez-le-feu quasi permanent annonçant, nous l’espérons, un accord politique à long terme.
De plus, la France a pu bénéficier d’un levier diplomatique pour la stabilisation de la situation au Liban, mais aussi, de façon plus générale, pour notre action au Proche-Orient.
Nul ne pourra contester que cette implantation au Liban a pu faciliter l’action diplomatique du Président de la République ces dernières semaines au cours des tristes événements dans la bande de Gaza.
Dans le cadre de la résolution 1832, nos troupes devraient y stationner jusqu’en août 2009. Nous ne pouvons qu’être en accord avec ce calendrier et favorables au retrait futur des troupes, sans oublier la fragilité et la réversibilité potentielle de cette zone.
Je voudrais rappeler que notre pays participe à la force navale déployée dans ce secteur. Depuis septembre 2006, il a été procédé par cette composante à plus de 20 000 vérifications. Aucune n’ayant donné lieu à des découvertes suspectes, il me semble judicieux d’alléger rapidement cette partie navale du dispositif. Je me félicite, monsieur le ministre, de la décision que vous venez d’annoncer.
L’action et l’implantation de nos forces au Tchad et en République centrafricaine doivent être abordées sous le prisme d’une politique globale dans la région. Nous y menons plusieurs opérations dans un cadre national pour la mission Épervier au Tchad, ainsi que pour la mission Boali en République Centrafricaine, mais aussi sous mandats onusien et européen pour la mission EUFOR Tchad/RCA, puis MINURCAT II.
Je tiens à rendre hommage au général irlandais Patrick Nash, à la tête des opérations EUFOR sur place, et à souligner l’effort consenti par la Pologne et par l’Irlande. En revanche, nous ne pouvons que regretter de n’avoir pu mobiliser nos partenaires européens traditionnels. Ce n’est qu’une victoire en demi-teinte pour l’Europe de la défense.
L’initiative française et la présence de nos troupes ont permis la mise en place de relais par les organisations et forces de sécurité régionales. Elles ont contribué à la protection des civils, notamment celle des réfugiés et déplacés, des personnels et des biens des Nations unies et des ONG. Elles ont, en outre, facilité l’aide humanitaire.
Rappelons-nous les violents combats à N’Djamena au début du mois de février 2008 : la France, après avoir sécurisé l’aéroport, a procédé à l’extraction des personnels diplomatiques, en particulier allemands et américains, avec une grande efficacité, que je tiens à saluer.
Concernant notre présence en République de Côte d’Ivoire, depuis 2002, les soldats de l’opération Licorne ont participé à la sécurisation du pays et à l’accompagnement vers une sortie de crise politique que connaissait le pays. Le soutien, depuis 2004, de nos troupes à l’ONUCI a permis une normalisation de la vie politique du pays.
Même si l’on peut regretter que la date des élections présidentielles ait été, encore une fois, repoussée, la France a largement contribué à la pacification et à la stabilisation de la situation. Le retrait d’une partie de nos troupes nous paraît raisonnable puisque, parallèlement, d’autres pays de la zone, tel le Burkina Faso, ont engagé des médiations avec la République de Côte d’Ivoire, en collaboration avec l’Union africaine. Lorsque les élections auront enfin lieu, il serait souhaitable de prévoir l’envoi d’observateurs internationaux.
L’attachement naturel de la France au continent africaine et sa tradition d’intervention en cas de conflits, pour les raisons historiques que l’on sait, ne doivent pas nous faire perdre de vue la nécessité pour l’Union africaine d’assurer le relais et d’imposer progressivement la reconnaissance de ses forces d’intervention par les différents pays lorsqu’un conflit éclate.
Monsieur le ministre, au Kosovo, la superposition des mandats des organisations internationales nous permet difficilement d’avoir une vision globale sur notre action. Les soldats français déployés au nord-ouest sont intégrés dans plusieurs missions et dépendent, pour les uns, de la KFOR, qui opère comme soutien à la mission MINUK, quand d’autres attendent d’être relayés par la mission EULEX. Comprenne qui pourra !
À cette situation s’ajoute la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, qui, voilà un an, fut source d’inquiétude, laissant planer la possibilité d’une reprise des violences avec la Serbie.
À ce jour, seulement cinquante et un États ont reconnu le Kosovo,...