M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous voici enfin réunis pour examiner le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, près de sept mois après son adoption en conseil des ministres et quinze mois après le discours du Président de la République clôturant les travaux du Grenelle.
Ces délais peuvent paraître longs, mais beaucoup a été fait dans l’intervalle. Les 263 engagements pris à l’issue du Grenelle ont en effet déjà commencé à être mis en œuvre, soit par voie réglementaire ou conventionnelle, soit dans d’autres textes législatifs, comme la loi de finances de 2009 ou la loi de finances rectificative pour 2008, soit encore à l’échelon européen, à travers l’action menée par la France durant sa présidence de l’Union européenne.
Cela nous permet de répondre à une première question que pourrait susciter l’examen du seul calendrier parlementaire : la mise en œuvre du Grenelle, loin d’être enlisée, avance sur de nombreux sujets.
Ce constat nous amène directement à une deuxième question, qui me semble devoir être abordée frontalement : quelle est l’utilité du texte qui nous est aujourd’hui soumis ? Le Gouvernement a fait le choix de présenter au Parlement, comme le lui permet l’article 34 de la Constitution, une loi de programmation, qui se borne à afficher les objectifs de l’action de l’État sans comporter de dispositions normatives d’application directe qui rendraient leur mise en œuvre immédiatement effective.
De ce fait, ce texte peut déconcerter au premier abord, d’autant que le Parlement est régulièrement accusé par de hautes instances juridiques de produire trop de textes, notamment trop de textes pas suffisamment normatifs. Je rappelle, à cet égard, que l’actuel président du Conseil constitutionnel avait fait la déclaration suivante, alors qu’il était président de l’Assemblée nationale : « Affirmer que l’air doit être pur et l’eau limpide, c’est bien, mais cela ne suffit pas à rendre l’air pur et l’eau limpide. Cela relève de déclarations politiques, et non de dispositions législatives. La loi doit seulement dire concrètement comment, par quelles règles juridiques, on arrive au but recherché. »
Je crois que deux réponses peuvent être apportées aux critiques formulées sur ce point.
Tout d’abord, sur un plan strictement juridique, le Conseil constitutionnel a autorisé le Parlement à approuver, dans le cadre des lois de programmation, « des dispositions dénuées d’effets juridiques, mais fixant des objectifs qualitatifs et quantitatifs à l’action de l’État ».
Ensuite, d’un point de vue politique, le processus du Grenelle de l’environnement s’est concrétisé, surtout dans sa première phase, par un dialogue mené par le Gouvernement avec la société civile plutôt qu’avec le Parlement, faiblement associé en tant qu’institution, même si un certain nombre de parlementaires ont, heureusement, participé aux travaux.
Ce texte permet donc au Parlement de reprendre la main et de se prononcer sur l’ensemble des engagements du Grenelle, qui, comme je l’ai rappelé, ne nécessiteront pas tous des mesures législatives. Il permettra du même coup à la représentation parlementaire de mieux contrôler, en aval, leur mise en œuvre. À ce sujet, nous ne pouvons que nous féliciter de ce que le Sénat soit, conformément au souhait que nous avons exprimé à de nombreuses reprises auprès de M. le ministre d’État, la première assemblée saisie sur le projet de loi portant engagement national pour l’environnement.
Sur le fond, le présent projet de loi de programme retranscrit fidèlement les engagements pris à l’automne 2007, qui portent sur des changements très profonds dans tous les secteurs contribuant à la dégradation de l’environnement ou au réchauffement climatique, notamment le bâtiment, avec l’objectif d’une réduction des consommations énergétiques de 38 % d’ici à 2020, et les transports, pour lesquels l’objectif est de réduire de 20 % les émissions de CO2 d’ici à 2020.
Or ces objectifs très ambitieux ne peuvent manquer de susciter une interrogation, que la crise économique ne rend que plus aiguë : la France a-t-elle les moyens de ses ambitions en matière environnementale ? En d’autres termes, la mise en œuvre des orientations du Grenelle est-elle compatible avec l’état économique et budgétaire du pays ?
Face à l’urgence écologique, que personne ou presque ne nie plus, notre pays pourrait en effet se satisfaire du constat suivant lequel la France n’est pas en retard. Par exemple, les émissions nationales de gaz à effet de serre par habitant sont inférieures de 21 % à la moyenne européenne, et même de 30 % à 40 % par rapport à nos grands voisins.
Le Grenelle a montré que la France ne se satisfaisait pas aujourd’hui de ne pas être en retard, mais souhaitait être en avance. En a-t-elle les moyens ?
Je crois que l’un des mérites du Grenelle est précisément d’avoir accéléré la prise de conscience du potentiel de croissance que recèle l’écologie – ce que l’on appelle la « croissance verte » –, dont l’intérêt est particulièrement mis en évidence aujourd’hui, dans le contexte de la crise économique.
Je ne citerai que deux chiffres à cet égard, qui ont le mérite de provenir de sources très différentes.
À l’échelon international, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE, le marché des produits et services écologiques pourrait doubler d’ici à 2020, pour atteindre 2 740 milliards de dollars.
En France, les mesures proposées dans le cadre du Grenelle devraient aboutir à court terme à des investissements sources de croissance, dans des activités à forte intensité de main-d’œuvre et peu délocalisables, notamment le bâtiment, les transports et l’énergie. L’étude d’impact réalisée en novembre 2008 par le ministère a ainsi montré que près de 500 000 emplois devraient être créés. En outre, il faut souligner que de très nombreuses mesures seront, à terme, financées par les économies d’énergie réalisées.
Toutefois, ces prévisions ne se réaliseront que si un certain nombre de conditions sont réunies. Cela m’amène à évoquer les principes qui ont guidé la commission des affaires économiques dans l’examen de ce texte.
Je voudrais tout d’abord rappeler que notre commission s’est très tôt impliquée dans le processus du Grenelle. Elle fut en effet à l’origine de la création, à l’été 2007, du groupe sénatorial de suivi du Grenelle. Celui-ci a travaillé parallèlement au processus du Grenelle, puis a procédé à soixante-quinze auditions sur le présent projet de loi.
J’ai ainsi pu mesurer pleinement l’ampleur des évolutions proposées et le chemin parcouru par les différentes parties en présence pour rapprocher des positions au départ éloignées.
Ces auditions ont également montré qu’il faut, dans l’intérêt même de la réussite du Grenelle, rester vigilants sur plusieurs points, s’agissant non seulement de ce texte, mais aussi de ceux qui suivront.
Premièrement, la pression fiscale globale ne doit en aucun cas être alourdie et la fiscalité environnementale doit servir à financer des actions environnementales. C’est dans cet esprit que la commission a adopté un amendement faisant clairement référence au nécessaire respect de ces principes.
Deuxièmement, les nouveaux dispositifs ne doivent pas alourdir les contraintes qui pèsent notamment sur les petites et moyennes entreprises, mais aussi, plus généralement, sur les projets d’investissement. Après l’examen au Parlement d’un projet de loi visant à simplifier les procédures pour relancer l’économie, ce serait vraiment contradictoire.
Troisièmement, le manque de compétences pourrait freiner la progression envisagée des créations d’emplois. Ainsi, les 88 000 emplois supplémentaires prévus d’ici à 2012 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, au titre de l’amélioration énergétique du secteur résidentiel dépassent largement le rythme actuel de formation. En conséquence, un effort devra impérativement être fait en la matière.
Quatrièmement, toute adoption ou modification de réglementation nationale en matière d’environnement doit être précédée d’une étude d’impact. C’est notamment pour cette raison que la commission a adopté un amendement tendant à demander la réalisation d’une étude de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le sujet, particulièrement important, des bâtiments à basse consommation avant de fixer la modulation de la norme de consommation des nouveaux bâtiments.
Enfin, les collectivités territoriales ne doivent en aucun cas supporter les coûts supplémentaires engendrés par le manque de moyens budgétaires de l’État. Ce point suscite de réelles inquiétudes au sein des associations d’élus, s’agissant notamment de la question du financement des transports collectifs. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez les rassurer à cet égard.
Sur la forme, l’adoption par les députés, dans des conditions d’examen qui n’ont pas toujours été optimales, de 390 amendements a quelque peu éloigné le texte transmis au Sénat du projet de loi initial. C’est pourquoi la commission a adopté un certain nombre d’amendements visant à revenir à l’esprit d’une loi de programmation.
Enfin, sans entrer davantage dans le détail de ces amendements, j’indique que la commission vous proposera un certain nombre d’ajouts, portant notamment sur les points suivants : la discussion par les partenaires sociaux de la création d’un « carnet de santé » du travailleur lui permettant de disposer, tout au long de son parcours professionnel, d’informations précises sur les substances auxquelles il a été exposé sur son lieu de travail ; la demande au Gouvernement d’un rapport sur les enjeux et l’impact, d’une part, de l’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes, et, d’autre part, de la réduction à 80 kilomètres-heure de la limite de vitesse et de l’interdiction des dépassements pour tous les poids lourds circulant sur autoroute ; la création d’une instance de médiation des éco-organismes compétents en matière de gestion des déchets, qui s’avèrera particulièrement utile après le récent scandale lié à la gestion des fonds d’Éco-Emballages.
En conclusion, ce projet de loi devrait favoriser la mobilisation de toutes les énergies en fixant des objectifs très ambitieux. Il nous restera, bien entendu, à en examiner la déclinaison concrète dans le projet de loi portant engagement national pour l’environnement. La commission des affaires économiques vous propose donc d’adopter le présent texte, mes chers collègues, sous réserve de la centaine d’amendements qu’elle vous soumet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, l’urgence écologique était une vérité qui dérange ; c’est aujourd’hui une exigence partagée.
Le film de l’ancien vice-président des États-Unis Al Gore et l’attribution à ce dernier du prix Nobel ont indéniablement marqué une étape importante dans la prise de conscience écologique à l’échelle internationale.
« Nous allons exploiter l’énergie du soleil, du vent et du sol pour faire marcher nos voitures et nos usines. » Ces mots, prononcés il y a une semaine seulement par le président Obama lors de sa cérémonie d’investiture, ont, par leur évidente simplicité, concrétisé le changement d’orientation de l’administration américaine, dont nous devons nous réjouir.
Je n’oublie cependant pas que cette prise de conscience a été longue à se dessiner, tant sur le plan mondial que dans notre pays, et que certains doivent encore être convaincus. Je n’oublie pas non plus les textes, les discours et les écrits de ceux qui, en France, ont été les premiers militants de l’urgence écologique, en particulier dans les années soixante-dix. À l’époque, ils étaient bien seuls.
C’est dire si le texte qui nous est présenté aujourd’hui vient de loin. Pour cette raison, il laissera sans doute une trace dans notre histoire législative, mais, pour qu’il marque vraiment, il faut aussi qu’il soit suivi d’effets.
Or, de ce point de vue, les incertitudes sont grandes. Peut-être partagez-vous d’ailleurs, monsieur le ministre d’État, certaines de nos inquiétudes. Elles portent sur le financement des engagements du Grenelle, le recul des services publics, l’influence des lobbies.
Sans anticiper sur nos débats ni sur le vote final du groupe socialiste, je peux vous dire que nous nous engagerons dans cette discussion avec le même état d’esprit que nos collègues de l’Assemblée nationale, c'est-à-dire avec responsabilité et pragmatisme.
Oui, nous approuvons la démarche visant à établir un diagnostic partagé pour faire bouger les consciences et pour infléchir la courbe des certitudes concernant la lutte contre l’effet de serre.
Oui, nous approuvons la démarche concertée, élargie, coproductrice de pratiques nouvelles et de solutions innovantes du Grenelle, avec ses comités opérationnels, les COMOP.
Oui, nous approuvons également l’idée d’un compromis du possible, car il serait présomptueux de notre part de donner des leçons à quiconque sur un sujet aussi complexe.
Oui, nous sommes pour le volontarisme en matière d’économies d’énergie.
Ce texte vient de loin, ai-je dit ; j’aurais aussi pu dire qu’il revient de loin, car son parcours parlementaire a déjà été pour le moins chaotique.
Des voix se sont élevées, à l’Assemblée nationale, pour en amoindrir la portée, sinon en dénaturer le contenu. Cela risque de se produire également dans notre assemblée.
En tout état de cause, j’ai déjà entendu quelques apartés, au sein de notre commission, pouvant donner à penser que ce texte pourrait essuyer quelques déboires au cours de nos discussions…
Le parcours risque encore de se compliquer puisque, vous l’avez confirmé, monsieur le ministre d’État, la navette parlementaire sur le présent texte ne sera pas achevée que nous devrons déjà aborder l’examen du projet de loi dit « Grenelle II ».
Il a fallu d’ailleurs toute la ténacité de nos collègues députés socialistes pour conserver sa force au texte et en améliorer la portée sur certains points. Ainsi, 150 amendements de notre groupe ont été adoptés à l’Assemblée nationale, où le projet de loi a été voté à la quasi-unanimité. On pourrait dire, en forçant un peu le trait, que c’est la gauche qui a sauvé votre texte, monsieur le ministre d’État !
À mes yeux, cela montre d’une part la possibilité du consensus entre nous, d’autre part l’utilité du droit d’amendement parlementaire. Au moment où nous nous apprêtons à débattre du projet de loi organique relatif à l’organisation de nos travaux, il n’est pas superflu de rappeler la valeur de ce droit constitutionnel.
Ce texte revient également de loin du point de vue gouvernemental. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son portage ministériel a connu quelques soubresauts ! À quelques jours près, monsieur le ministre d’État, vous vous présentiez au Sénat pour défendre ce texte sans secrétaire d’État chargé de l’écologie. Heureusement, le Président de la République a pourvu au remplacement de Mme Kosciusko-Morizet, et je veux saluer la nomination de Mme Jouanno, dont je connais les compétences puisqu’elle a occupé des fonctions opérationnelles à Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l’ADEME, dont le siège social se trouve dans ma ville ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido, rapporteur. Combien de kilowattheures par mètre carré ?
M. Alain Gournac. Connivence !
M. Daniel Raoul. Nous approuvons, je le redis, le constat et les principes qui sous-tendent ce projet de loi : l’urgence écologique est majeure et il est juste qu’elle soit reconnue par la loi ; la démarche participative est innovante, mais l’affirmation du rôle de l’État est nécessaire ; dans la période de crise que nous vivons, le besoin d’investir massivement dans la croissance durable est réel.
Cependant, des questions importantes se posent et de sérieuses contradictions existent, hélas ! entre le texte présenté aujourd’hui et la réalité de la politique gouvernementale.
Une première question est liée à la crise économique actuelle : les moyens mobilisés dans le cadre du plan de relance permettent-ils de procéder à une mise en œuvre accélérée des orientations du Grenelle de l’environnement ?
S’il s’agit, comme nous le pensons, d’une crise du système économique lui-même et pas seulement d’un retournement de conjoncture, alors cette crise appelle des réponses de long terme et une réorientation profonde des investissements et de la consommation en faveur de l’économie verte.
Cette exigence est-elle prise en compte dans le plan de relance que le Sénat a examiné la semaine dernière ? À l’évidence, non !
Une deuxième question de fond découle de cette analyse : l’échec du système ultralibéral ne démontre-t-il pas que ce dernier est fondamentalement incompatible avec le développement durable ? La spéculation sur les matières premières et la prise en otage des peuples souffrant de la faim sont des illustrations significatives de cette incompatibilité. Malheureusement, la privatisation de Gaz de France et sa fusion avec Suez montrent que les logiques libérales sont toujours à l’œuvre.
Une troisième question a trait au rôle et à la place de l’État en matière de développement durable : le désengagement de l’État et le recul des services publics sont-ils « grenello-compatibles » ?
Je rappelle que le développement durable, c’est « penser global » et « agir local ». Autrement dit, il faudrait proposer des réponses de proximité, notamment pour ne pas multiplier les déplacements. Or le gouvernement auquel vous appartenez prend des décisions allant dans le sens inverse !
Comment prétendre que l’on respecte les principes du Grenelle lorsque, à la suite de la fermeture d’un tribunal, un justiciable doit effectuer un trajet d’une heure et demie en voiture pour un problème de tutelle ? Il en va de même pour les fermetures d’hôpitaux, de bureaux de poste ou pour les suppressions d’emplois dans l’éducation nationale.
Avez-vous chiffré le bilan « carbone » des déménagements des services de l’État que le Gouvernement organise, qui induisent des déplacements pour les agents des administrations, mais aussi pour les administrés ?
Comment expliquer que notre assemblée ait adopté, la semaine dernière, un amendement concernant l’organisation d’un grand prix de Formule 1 dans les Yvelines, département cher à notre président ? (Sourires.) Une telle implantation dans un environnement sensible est-elle « grenello-compatible » ?
Une autre difficulté pourrait naître de l’opposabilité juridique des principes du Grenelle inscrits dans la loi. C’est là d’ailleurs un des arguments avancés par les nombreuses communes qui ont déposé un recours devant le Conseil d’État contre la fermeture de leur tribunal. En clair, révision générale des politiques publiques ou Grenelle, il vous faut choisir !
Sur le plan financier, l’absence de garanties durables pour les financements annoncés et l’impasse budgétaire dans laquelle se trouvent des pans entiers des politiques nationales en faveur du logement, de la recherche, des transports et de l’agriculture posent question.
J’illustrerai mon propos par deux exemples.
Tout d’abord, le budget du logement pour 2009 marquant une diminution de 7 % des crédits, comment voulez-vous que les bailleurs sociaux puissent satisfaire aux exigences de consommation énergétique s’appliquant aux nouvelles constructions ? Tous les acteurs du logement considèrent qu’il sera difficile d’atteindre l’objectif ambitieux de 50 kilowattheures par mètre carré et par an pour les logements neufs. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point lors de l’examen de l’article 4, et en particulier de l’amendement de la commission visant à demander la réalisation d’une expertise par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il faudra pourtant bien prendre en compte ces deux priorités que sont la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la réponse à la demande de logements, ce qui suppose un compromis sur le plan énergétique.
J’évoquerai ensuite le financement des projets de transports collectifs en site propre. J’attire votre attention sur le fait que les crédits mobilisés au titre de la mise en œuvre du dispositif de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi TEPA, suffiraient à financer l’ensemble des projets de transports collectifs en site propre. Comparaison n’est pas raison, certes, mais cela montre en tout cas que des moyens existent !
De ce point de vue, pour assurer le financement des dispositions du Grenelle, nous proposerons l’instauration d’une taxe « carbone » tenant compte de l’aménagement du territoire, la création d’un prélèvement sur les superprofits des compagnies pétrolières pour financer les transports collectifs, ainsi que la baisse de la TVA sur les produits « verts ».
Cela étant, pour nous, la question écologique est aussi, et peut-être avant tout, une question sociale, qui n’a d’ailleurs pas été prise en compte dans le plan de relance.
Ainsi que l’observent Jean-Paul Fitoussi et Éloi Laurent dans leur ouvrage intitulé La Nouvelle Écologie politique, paru en septembre 2008, « la solution au problème écologique n’est donc pas la fin de la croissance des niveaux de vie, mais la décroissance des inégalités : il faudra alors moins de croissance pour satisfaire les besoins de la population, car une part moins importante en sera accaparée par les plus riches, et les plus pauvres, délivrés de contraintes du quotidien, pourront de nouveau penser à l’avenir ».
À cet égard, il convient de rappeler que le poids des dépenses énergétiques dans le budget des ménages n’a cessé d’augmenter ces dernières armées, tandis que les inégalités s’accroissaient.
C’est pourquoi nous avons déposé plusieurs amendements visant à éviter que l’amélioration de l’efficacité et de la sobriété énergétiques ne rende l’énergie inaccessible à certains. Il faut, en effet, garantir un accès minimal à l’énergie pour tous grâce à la préservation d’un tarif abordable.
Mes chers collègues, nous abordons ce débat avec vigilance mais dans un esprit de responsabilité, afin d’éviter qu’il n’aboutisse à une dénaturation du texte, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, avec quelques mois de retard sur le calendrier initial, le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, ou « Grenelle I », nous est finalement soumis.
Je déplore d’autant plus ce retard que l’ordonnancement prévu des textes relatifs à la mise en œuvre des orientations du Grenelle de l’environnement a été bouleversé.
Ainsi, nous avons déjà voté les dispositions du « Grenelle III », qui ont été incluses dans la loi de finances de 2009. Par ailleurs, le « Grenelle Il » a déjà été présenté en conseil des ministres et se trouve désormais au cœur des débats entre les parties prenantes au Grenelle.
De ce fait, le présent projet de loi se trouve quelque peu court-circuité, alors même que c’est pourtant un texte fondamental, qui fixe les grandes orientations. Il reprend les objectifs issus du processus du Grenelle, qui a été un véritable succès dans la mesure où il a déclenché une prise de conscience de l’urgence environnementale chez l’ensemble de nos concitoyens.
Il est, en effet, indispensable que nous soyons tous convaincus que nous devons agir pour protéger notre environnement.
On a tendance à l’oublier, la consommation d’énergie des ménages continue de croître tous les ans, alors que le secteur industriel a entrepris depuis déjà plusieurs années sa mue énergétique.
Ce projet de loi, dont la forme très déclarative est pour le moins étonnante, aborde pêle-mêle une multitude de secteurs d’activité et d’actions à mener. Compte tenu du temps limité qui m’est imparti, je bornerai mon intervention à la problématique agricole.
Tout d’abord, je regrette que ce projet de loi donne de l’activité agricole une image un peu caricaturale, se réduisant à une opposition entre l’agriculture intensive, qui détruirait notre environnement, et l’agriculture biologique. Cela ne reflète pas la réalité agricole.
L’agriculture que nous connaissons aujourd’hui résulte directement de la mission qui lui a été confiée : nourrir les hommes. Plus de 900 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde aujourd’hui et, il faut le dire, ce n’est pas l’agriculture biologique qui permettra de nourrir la planète. Je suis d’autant plus à l’aise pour le dire que j’apprécie cette forme d’agriculture, à laquelle j’ai toujours apporté mon soutien dans le cadre de mes responsabilités. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur ce point.
De nombreux agriculteurs se sont engagés dans des démarches responsables, prenant en compte la protection de l’environnement tout en cherchant à maintenir des rendements élevés. C’est notamment le cas de l’agriculture raisonnée.
Or ce type cultural n’est même pas cité dans le projet de loi, alors qu’il s’inscrit dans la même logique que la certification environnementale des exploitations portée par ce texte. C’est là une lacune à laquelle il convient de remédier. J’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
En ce qui concerne la réduction des intrants, le Parlement européen a voté, la semaine dernière, un texte prévoyant l’interdiction en Europe d’une vingtaine de pesticides, soit vingt-deux substances cancérigènes, toxiques pour la reproduction ou perturbant le système endocrinien. Les autorisations ne devraient pas être renouvelées pour ces produits.
Cette réglementation, qui entre en vigueur dès cette année, s’accompagne aussi d’une interdiction des pulvérisations aériennes. Il est normal d’encadrer ces pratiques, ne serait-ce que pour protéger la santé des agriculteurs. Le projet de loi que nous examinons s’inscrit parfaitement dans cette logique.
Toutefois, les conditions d’application des produits phytosanitaires ne sont nullement anodines, monsieur le ministre d’État. Il importe de se montrer prudents en matière de préconisations, car de trop fortes contraintes peuvent empêcher de traiter la récolte, et donc de la préserver.
Dans un pays comme la France, qui figure au troisième rang des consommateurs de pesticides dans le monde et au premier dans l’Union européenne, la réduction de l’emploi des pesticides n’est pas un vain mot. Elle devrait entrer en vigueur non seulement par le biais de la directive européenne, mais aussi au travers du plan Ecophyto présenté en conseil des ministres en septembre dernier.
Ce plan prévoit d’interdire les cinquante-trois molécules les plus dangereuses et de réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici à dix ans. Nous sommes tous favorables au principe de la réduction de l’usage des produits phytosanitaires, pour des raisons tant sanitaires qu’économiques, mais elle ne doit pas porter préjudice aux filières de production qui ne disposent aujourd’hui d’aucune molécule pouvant se substituer à celles qui sont interdites ou le seront prochainement.
Les petites productions, telles certaines cultures légumières et fruitières, ne sont pas rentables pour les sociétés privées. Néanmoins, elles comptent beaucoup sur le plan local, car elles assurent une véritable vitalité économique des territoires.
Il est donc nécessaire que l’État puisse accorder des moyens spécifiques à ces productions mineures et leur appliquer un régime plus souple. Parallèlement, il faudra orienter la recherche et l’innovation publiques dans ces secteurs. L’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, a une responsabilité éminente dans ce domaine et il revient à l’État de l’inciter à accélérer et à approfondir ses efforts.
Enfin, je me réjouis que ce projet de loi prévoie le stockage de l’eau. J’ai déposé un amendement spécifiant que ce stockage aura pour objet de créer de nouvelles ressources en eau. Stocker l’eau quand elle est abondante, en prévision des périodes plus sèches, relève du bon sens et répond au principe de précaution. Cette disposition sera particulièrement utile aux agriculteurs du Sud-Ouest, qui sont confrontés à de très forts besoins en eau pratiquement tous les étés, alors que, par ailleurs, les pluies hivernales et printanières, nécessaires pour réalimenter les réserves naturelles des sols et sous-sols, sont parfois insuffisantes pour recharger les nappes phréatiques.
Aussi, afin de répondre aux besoins tant de la population que des activités économiques, pour lesquelles il est indispensable de mieux utiliser les eaux de surface plutôt que de puiser dans les réserves profondes, et afin de soutenir le débit des rivières en période d’étiage, de manière à maintenir la vie aquatique et la production piscicole, la création de ressources nouvelles est urgente et indispensable pour amortir les effets du réchauffement climatique.
Au moment où nous parlons d’environnement et de climat, permettez-moi, monsieur le président, d’avoir une pensée pour toutes les victimes de la catastrophe que nous venons de connaître dans le grand Sud-Ouest. Je tiens à remercier ici tous ceux de nos collègues qui se sont déjà emparés de ce dossier. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)