M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier, auteur de la question n° 372, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Alain Fauconnier. Comme je l’ai souligné dernièrement dans cet hémicycle, lorsque je me suis adressé à vous, monsieur le secrétaire d’État, à propos de la gendarmerie – je tiens d’ailleurs à vous remercier, car la concertation que nous attendions depuis longtemps a eu lieu –, le sud du département de l’Aveyron a connu ces dernières années l’amputation brutale d’un certain nombre des services publics dont il jouissait jusque-là.
Je sais bien qu’il n’est pas le seul à subir les effets d’une politique purement comptable menée par le Gouvernement. Mais la répétition des attaques contre l’hôpital, les écoles, la poste, la Banque de France, les trésoreries ou la gendarmerie font que, à la longue, les élus, au demeurant de sensibilité différente, tout comme la population, finissent par dire : « trop c’est trop ! ».
La charge est aujourd’hui menée contre la justice.
Au terme d’un processus engagé voilà deux ans sans raison aucune, sans concertation, je tiens à le préciser, et d’une manière toute souveraine, Mme la garde des sceaux a décrété, entre autres, la suppression du tribunal de grande instance de Millau et celle du tribunal d’instance de Saint-Affrique, cité dont j’ai l’honneur d’être le maire, et ce malgré les conséquences extrêmement néfastes pour l’accomplissement de la vie judiciaire.
En témoigne, par exemple, un fait divers tout à fait actuel : l’arrestation, voilà quelques jours, d’un criminel à Millau, dont le tribunal instruit actuellement le dossier. Après la fermeture du tribunal, à quelle juridiction – celle de Rodez, de Montpellier, de Toulouse… – échoira cette mission, avec tout ce que cela impliquera de perte de temps et d’argent ? Dans un territoire particulièrement vaste, les gendarmes requis pour encadrer le prévenu passeront leur temps sur les routes, à moins que ce ne soit le juge d’instruction qui se déplace en permanence, s’il reste encore un juge d’instruction !
Quoi qu’il en soit, en attendant la réponse aux légitimes recours déposés par les élus de quarante petites villes de France devant le Conseil d’État, la fermeture des tribunaux de Millau et de Saint-Affrique devait initialement être effective le 1er janvier 2011 ce qui, à défaut de satisfaire les populations, les professionnels et les élus, leur laissait au moins un peu de temps pour se préparer. Or, récemment, ces derniers ont appris que, finalement, par une nouvelle décision aussi régalienne que la précédente, et assortie d’aucune explication, cette fermeture vient d’être avancée au 1er octobre 2009, c’est-à-dire dans moins de dix mois.
Ma première question est donc la suivante : qu’est-ce qui a motivé cette nouvelle décision, tout droit sortie du « bon plaisir » de l’Ancien régime ? Qui l’a prise, et dans quel but ?
Par ailleurs, le Gouvernement ne ferait-il pas mieux d’instituer un moratoire des services publics avant toute fermeture de l’un d’entre eux, afin que la nation ne se délite pas davantage ? Au lendemain de la crise, les services publics sont plus que jamais nécessaires !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, vous prie de bien vouloir l’excuser, car elle est actuellement retenue par la séance solennelle d’ouverture de la Cour des comptes.
Vous avez souhaité l’interroger sur la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire dans le département de l’Aveyron, et particulièrement sur le projet de fermeture anticipée du tribunal de grande instance de Millau et du tribunal d’instance de Saint-Affrique.
Comme vous le savez, la révision des implantations judiciaires a vocation à prendre effet pour tous les tribunaux d’instance le 1er janvier 2010 et pour tous les tribunaux de grande instance le 1er janvier 2011.
Toutefois, il importe que cette réforme se mette en place de manière progressive et échelonnée tout au long de l’année. Un certain nombre d’inconvénients, que vous avez relevés, existent. Mais les juges d’instruction peuvent parfaitement se déplacer, sans déchoir pour autant.
Lorsque les situations individuelles de chacun des agents concernés par la réforme sont réglées et que l’infrastructure immobilière de la juridiction de rattachement est jugée satisfaisante pour permettre l’accueil de la juridiction regroupée, la date du transfert de l’activité peut être avancée, sur la proposition des chefs de cours d’appel, après avis des assemblées des juridictions concernées, des structures locales de dialogue social et des auxiliaires de justice.
C’est le cas du tribunal de grande instance de Millau, dont la suppression pourrait intervenir dès le 1er octobre 2009. Pour cette juridiction, les services de la Chancellerie se sont assuré que toutes les conditions utiles à la réalisation de la fermeture anticipée étaient réunies et ont procédé aux consultations nationales nécessaires. Un projet de décret permettant cette anticipation est en cours de signature.
En revanche, le reclassement des fonctionnaires du tribunal d’instance de Saint-Affrique, ville qui vous est chère, n’ayant pas encore trouvé de solution, il n’est pas, en l’état, envisagé de modifier la date de suppression de cette juridiction, fixée par le décret n° 2008-1110 du 30 octobre 2008 au 1er janvier 2010.
M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier. Je ne suis pas surpris de la réponse de M. le secrétaire d’État. Bien entendu, elle ne me satisfait pas ; elle est même inacceptable.
La décision de fermer les tribunaux en 2011 n’a fait l’objet d’aucune concertation ; je l’ai redit à Montpellier à Mme Rachida Dati. Quand le président du tribunal de grande instance de Montpellier est venu à Saint-Affrique pour annoncer la réforme au personnel, je me trouvais à la mairie, mais je ne l’ai jamais vu, ce qui est tout de même un peu fort ! Maintenant, la date est avancée de neuf ou dix mois ! Le bâtonnier de Millau aurait fait, semble-t-il, une déclaration en disant qu’il y était favorable. Or il n’y a eu aucune réunion des avocats, et ceux-ci ont fortement protesté contre cette déclaration.
Maladie rare et reconnaissance de handicap
M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 350, adressée à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.
M. Michel Houel. La cystite interstitielle est une maladie inflammatoire chronique de la vessie extrêmement douloureuse, qui débute en moyenne entre trente et quarante ans et touche essentiellement les femmes. Plus fréquente qu’on ne le croit, elle se caractérise par un besoin urgent et très fréquent d’uriner avec des douleurs au niveau du bas-ventre.
Le manque d’autonomie qui en découle peut avoir des conséquences importantes sur la vie professionnelle, sociale et familiale. En effet, les patients doivent adapter leur mode de vie. L’impact psychologique est considérable : plus de 50 % d’entre eux sont déprimés et le taux de suicide est quatre fois plus élevé que pour le reste de la population. Une étude épidémiologique a également montré qu’une majorité de malades ne pouvaient plus travailler à temps plein et que leur qualité de vie est comparable à celle des dialysés.
Le décret du 3 mars 2008 facilite la prise en charge des patients souffrant de maladies rares ou graves, et le plan pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques, développé en 2007, a pour objet de garantir une offre de soins initiale de qualité afin de limiter la perte d’autonomie.
Nous ne pouvons que nous féliciter de ces avancées tout à fait notables. Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, cela ne suffit pas : ces malades subissent un handicap quotidien ; ils ne peuvent, en effet, marcher ou rester debout très longtemps, ou encore demeurer en position assise.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d’État, de prendre les mesures afin que ces malades puissent disposer, tout simplement, d’une carte officielle de priorité pour personnes handicapées, et qu’ainsi leur invalidité soit reconnue.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports. Monsieur le sénateur, vous interrogez Roselyne Bachelot-Narquin sur la question de la cystite interstitielle, la CI.
Cette maladie provoque d’intenses douleurs ainsi que des mictions fréquentes et urgentes de jour comme de nuit, et évolue par poussées. La prévalence de la CI est mal connue en France ; on estime qu’elle touche 1 femme sur 1 000.
Le diagnostic de la CI est dit « d’exclusion » ; il doit être établi dans une consultation spécialisée d’urologie. La prise en charge thérapeutique optimale est multidisciplinaire, c’est-à-dire qu’elle doit associer des mesures hygiéno-diététiques, un traitement médicamenteux et/ou neurophysiologique, des instillations vésicales et des séances de kinésithérapie.
Le décret no 2008-211 du 3 mars 2008 organisant le dispositif de « prise en charge à titre dérogatoire de certaines spécialités pharmaceutiques, produits ou prestations », en principe non remboursés, pour des patients souffrant de maladies rares ou graves, a permis de garantir aux patients une meilleure prise en charge, ce dont il faut se réjouir.
Une demande de carte d’invalidité est instruite par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, au sein de la maison départementale des personnes handicapées. Cette carte est traditionnellement délivrée à toute personne dont le taux d’incapacité permanente est au moins de 80 %, bénéficiaire d’une pension d’invalidité classée en troisième catégorie par la sécurité sociale.
Il revient donc aux patients malheureusement atteints d’effectuer la demande de carte d’invalidité, qui sera attribuée au regard du handicap estimé lors de l’instruction du dossier.
M. le président. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. C’est la première fois que l’on nous indique qu’il est possible d’obtenir cette carte d’invalidité auprès de la maison départementale des personnes handicapées.
Vous comprenez qu’il est tout de même désagréable pour une personne atteinte de cette maladie, si tout à coup elle a besoin d’aller aux toilettes, de devoir entrer dans un café et de consommer, même si elle ne boit pas, pour ne pas avoir à se justifier, ou d’exposer ses soucis de santé au patron qui lui demande où elle va. Je crois important que ces personnes aient la carte de handicapé.
Bruit à l'hôpital
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, auteur de la question no 361, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.
M. Alain Gournac. Je souhaite aborder un sujet qui me paraît extrêmement important : le bruit à l’hôpital.
Le Sénat s’est beaucoup battu, aux côtés de Lucien Neuwirth, pour la lutte contre la douleur à l’hôpital. Il semble qu’il faille aujourd’hui mener un nouveau combat – certes sans lien direct avec le précédent – pour qu’enfin il ne soit plus impossible, ou presque, de dormir, la nuit, à l’hôpital.
M. René-Pierre Signé. Surtout quand il n’y a pas de place et que l’on est dans le couloir !
M. Alain Gournac. Il ne s’agit en rien de mettre en cause le personnel, qui, tout le monde s’accorde à le reconnaître, est remarquable et réalise un travail formidable.
C’est sans doute quand on est hospitalisé – donc malade ! –, que l’on a le plus grand besoin de silence pour dormir.
Cette nuit, j’ai accompagné l’un de mes amis à la mort ; j’étais présent avec lui à l’hôpital : les portes qui claquent, les chocs lors des déplacements de brancards, les roulettes de chariot qui grincent, l’occupant d’une chambre voisine qui écoute la radio, les bruits de chaussures, des équipements médicaux, des conversations – de ce point de vue, chacun de nous est responsable quand il va à l’hôpital –, les personnels qui s’interpellent en urgence dans les couloirs – « Va au 6 ! Vite ! » –, la relève des équipes se passant les consignes… Il y avait même des visiteurs bavardant devant la porte de la chambre ; je croyais qu’il n’y avait pas de visites la nuit !
Et le lendemain matin, alors que le malade, après avoir mal dormi, essaye de récupérer, a lieu ce qu’un ancien ministre de la santé avait plaisamment appelé « l’intéressante pratique de la distribution des thermomètres à six heures du matin » !
Je le répète, il ne s’agit absolument pas de mettre en cause le personnel, qui est admirable. Mais, monsieur le secrétaire d’État, je vous prie de transmettre ma demande à Mme le ministre de la santé : il faut que nous essayions, dans la mesure du possible, d’éviter la plupart de ces bruits ; il sera sans doute difficile de les éliminer tous, mais nombre d’entre eux sont sans doute aisés à supprimer. Peut-être le personnel, qui n’est pas toujours en nombre et doit agir vite, ne se rend-il pas compte de l’effet de ces bruits sur les malades, qui, du fait de leur faiblesse, de leur fatigue, de la passivité que celles-ci induisent, ne disent rien.
J’ai tenu la main de mon ami jusqu’à son décès, à sept heures du matin : je peux vous dire exactement comment s’est passée la nuit !
Monsieur le secrétaire d’État, c’est à nous qu’il revient de prendre en compte, avec sérieux, le bruit la nuit à l’hôpital. Et si je ne mentionne que l’hôpital, c’est parce que je me limite à ce que j’ai vécu ; d’autres institutions sont probablement concernées aussi.
Nous devons absolument nous fixer un objectif à moyen terme, commencer par établir une liste des bruits faciles à éviter, puis élaborer un plan, comme nous l’avons fait dans d’autres domaines, pour atteindre une qualité de vie qui soit la moins mauvaise possible et, peu à peu, parvenir à supprimer tous ces bruits qui résonnent si fort aux oreilles d’un malade, d’un opéré, bref, d’une personne en situation de détresse. (M. René-Pierre Signé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports. Monsieur le sénateur, vous interrogez Roselyne Bachelot-Narquin sur les mesures à mettre en œuvre afin de limiter les désagréments liés au bruit dans l’hôpital.
Cette question fait l’objet d’une attention constante au sein des établissements de santé. Des solutions techniques et de construction existent pour réduire les nuisances sonores, et des opérations de sensibilisation ont également été menées auprès du personnel. En effet, des actions de formation continue du personnel, notamment paramédical, sont régulièrement conduites afin d’améliorer la prise en charge du malade en termes, notamment, d’accueil, de propreté et de bruit.
Le 25 avril 2003, un arrêté consacré au bruit dans les établissements de santé a été signé afin de préciser quelles règles doivent s’appliquer pour limiter le bruit. Y sont précisément définis les seuils et exigences concernant l’isolement acoustique entre les différents types de locaux dans un hôpital.
La circulaire d’application précise en outre les dispositifs à mettre en œuvre afin d’atténuer les bruits extérieurs liés à la vie normale de l’établissement, tels que le passage des véhicules d’urgence, l’atterrissage ou le décollage d’hélicoptères, les livraisons, la collecte des déchets, et, pour les chariots et les lits, les chocs lors des déplacements.
Ces exigences sont également précisées pour les isolements à prévoir vis-à-vis de l’extérieur.
Le code de la santé publique dispose que chaque établissement de santé doit procéder à une évaluation régulière de la satisfaction de ses patients. Les questions portent notamment sur les conditions d’accueil et de séjour. Un livret d’accueil auquel est annexée la charte du patient hospitalisé est par ailleurs remis à chaque patient.
Un indicateur important porte sur l’absence de nuisances diverses telles que le bruit, l’éclairage ou les odeurs. C’est un objectif prioritaire pour rendre compte de la satisfaction des patients.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, la qualité de la prise en charge globale des patients est une préoccupation constante de l’ensemble des acteurs de santé.
M. René-Pierre Signé. Qui se plaint a peur des représailles ! On sait comment cela se passe !
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai écouté avec attention, et je sais que vous dites vrai. Néanmoins, j’appelle, sincèrement, à une évaluation de toutes les mesures qui ont déjà été prises.
Certes, des dispositions figurent dans le code, un arrêté a été pris, une circulaire d’application a été publiée, mais il devrait tout de même être facile de procéder à une évaluation ! Je n’ai même pas évoqué les hélicoptères, je m’en suis tenu aux bruits provenant du service lui-même. Il ne doit pas être très compliqué d’éliminer le bruit des portes qui claquent sans fin ! Tout ce qui a été fait est très bien, monsieur le secrétaire d’État ! S’agissant du livret d’accueil, je le connais par cœur ; j’en ai un sur moi, je peux vous le montrer ! Je continue néanmoins de penser que nous devons nous fixer un objectif global pour améliorer les conditions dans lesquelles se déroule la nuit à l’hôpital, même si, bien évidemment, la situation n’est pas catastrophique à proprement parler.
Je le répète, monsieur le secrétaire d’État, la personne malade, qui vient d’être opérée, qui est faible, doit absolument avoir la possibilité de dormir la nuit. Sans cela, elle va somnoler dans la journée et elle aura d’autant plus de difficulté à dormir la nuit suivante.
C’est un appel que je lance, je ne demande rien d’autre ! Et j’espère, mes chers collègues, ne pas être hospitalisé trop vite : c’est donc plutôt pour les autres que je souhaite que nous nous engagions dans cette démarche.
Accès aux soins, au logement et aux prestations sociales des « vieux migrants »
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question no 374, transmise à Mme la ministre de la santé et des sports.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, mes premiers mots seront pour regretter l’absence de Mme la ministre de la santé. Mais il est vrai que la situation des vieux migrants exige d’eux un véritable sport ! (Sourires.)
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je souhaite vous interpeller sur la situation des vieux migrants, ces personnes âgées que l’on nomme affectueusement les « chibanis ». Ils ont pour la plupart travaillé vingt, trente ou quarante ans en France, pour des salaires très bas et dans des conditions qui laissent souvent des traces sur leur santé.
À l’heure de la retraite – quand ils ont la chance d’y arriver –, ils se trouvent confrontés à des difficultés importantes liées aux allers-retours entre ces deux pays avec lesquels ils ont des liens très forts : leur pays de résidence, où ils ont toujours vécu, et leur pays d’origine.
En effet, même s’ils continuent à résider régulièrement en France, ces migrants, une fois à la retraite, se rendent souvent dans leur pays d’origine pour un mois, deux mois, parfois davantage. Ces allers-retours sont nécessaires au maintien des liens familiaux dans le pays, et importants pour la conservation de leurs droits dans leur pays de résidence.
Or plusieurs associations qui accueillent les chibanis, les médecins qui les suivent, nous ont alertés sur la précarité de leur situation et les problèmes administratifs qu’ils vivent : en raison de ce « nomadisme » ces vieux migrants perdent le bénéfice de nombreuses prestations sociales. Ces populations vulnérables, particulièrement fragiles, connaissent en particulier des difficultés d’accès au logement, d’accès aux soins, d’accès aux droits sociaux.
En matière de logement, tout d’abord, les migrants ne peuvent s’absenter de leur domicile plus de trois mois s’ils veulent pouvoir bénéficier de l’allocation logement ; tout séjour d’une durée supérieure entraîne la suspension de leur allocation.
Dans le domaine de la santé, ensuite, l’accès aux produits pharmaceutiques n’est pas le problème le moins important. En effet, en raison d’instructions données aux pharmacies par les caisses d’assurances-maladie, ces migrants ne peuvent obtenir de traitement pour une durée supérieure à un mois. De ce fait, les migrants malades – et ils sont nombreux – suivant un traitement pour une maladie chronique ou une infection de longue durée ne peuvent voyager plus d’un mois. Même quand leur ordonnance est renouvelable trois mois, ils sont obligés de revenir pour pouvoir se procurer leurs médicaments, alors qu’ils pourraient bénéficier de leur traitement pour au moins un trimestre, ce que les pharmacies leur refusent. Parce que le voyage est onéreux, ces migrants préfèrent parfois interrompre leurs soins pendant un temps. Tout cela a de graves conséquences sur leur santé, voire aggrave leur pathologie.
Ces retraités, compte tenu des conditions de vie et de travail qu’ils ont connues pendant toute leur existence, sont beaucoup plus fragiles que d’autres. Ainsi, les travailleurs migrants souffrent dès l’âge de cinquante-cinq ans de pathologies que l’on ne rencontre chez les Français que parmi les personnes de vingt ans plus âgées.
En termes de droits sociaux, enfin, il faut noter que de nombreux migrants, ayant travaillé toute leur vie à de très bas salaires, bénéficient en France du minimum vieillesse ou d’une retraite complémentaire. Or, pour pouvoir toucher ces prestations, ils doivent résider en France de manière stable et continue, ce qui est incompatible avec le mode de vie qu’ils adoptent une fois à la retraite et les nombreux allers-retours qu’il comporte. On leur demande de produire leur passeport pour constater qu’il n’y a pas eu d’absence de plus de deux mois, ce qui me semble un contrôle abusif lorsqu’ils ont une carte de résidence « retraité ».
Les caractères de stabilité et de continuité de l’obligation de résidence sont à leur égard inadaptés et constituent pour eux un obstacle sévère. On leur propose parfois une indexation de leur retraite complémentaire sur la monnaie de leur pays d’origine ; mais alors, ils doivent diviser leur pouvoir d’achat par dix !
Tout cela m’amène à souligner que l’obligation de résidence régulière ne doit pas être considérée comme une obligation de résidence continue, afin qu’il puisse être tenu compte des pratiques de vie, des va-et-vient entre le pays d’origine et le pays de résidence.
Je souhaite donc savoir quelles dispositions le Gouvernement entend prendre pour garantir le droit d’accès effectif de ces personnes hautement vulnérables au logement, aux soins, aux prestations sociales. Ne pense-t-il pas que ces personnes ont suffisamment cotisé, par leur travail en France, pour pouvoir obtenir, notamment, le droit à la santé et aux soins lorsqu’ils sont à la retraite ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Bernard Laporte, secrétaire d’État chargé des sports. Madame la sénatrice, vous avez bien voulu appeler l’attention de Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, sur la situation des « chibanis », qui sont des ressortissants des pays du Maghreb venus en France dans les années soixante-dix pour y travailler.
Ces personnes sont désormais retraitées. Elles vivent en France, mais effectuent de fréquents allers-retours entre la France et leur pays d’origine, notamment pour rejoindre les membres de leurs familles qui y demeurent toujours.
Vous indiquez que ces allers-retours ont pour conséquence la perte de certains de leurs droits sociaux, notamment au regard de leur retraite et des allocations logement. En outre, ceux qui souffrent de maladies chroniques seraient contraints de revenir très fréquemment en France dès lors que les prescriptions médicales ne sont données que pour une durée limitée à un mois.
Votre question appelle trois observations.
Tout d’abord, concernant les droits à la retraite, il est important de préciser que ces migrants ont, pour la quasi-totalité d’entre eux, exercé une activité professionnelle en France. Ils perçoivent à ce titre une pension contributive de la part des régimes de retraite de base et complémentaire. Cette pension contributive, qui est la contrepartie des cotisations versées, est « exportable », c’est-à-dire qu’ils peuvent continuer à la percevoir dans son intégralité quel que soit le pays dans lequel ils résident.
Toutefois, comme vous l’indiquez, un certain nombre d’entre eux perçoivent de petites retraites en raison soit de carrières incomplètes, soit de salaires souvent faibles. En conséquence, ces personnes se voient allouer, en complément de leur pension contributive, une allocation différentielle dans le cadre du minimum vieillesse.
Il est important de rappeler que la prestation non contributive que constitue le minimum vieillesse est subordonnée à une condition de ressources et à une condition de résidence. Cette prestation exprime la solidarité de la nation à l’égard des personnes qui perçoivent en France de faibles retraites. Le montant de cette prestation a donc été fixé à un niveau permettant aux intéressés de vivre décemment sur notre territoire.
Ces prestations n’ont pas vocation à être exportables et ne sont donc pas versées aux personnes qui quittent durablement le territoire français. Ce principe de non-exportation des prestations non contributives n’est pas propre aux chibanis.
Ensuite, concernant les allocations logement, pour prétendre bénéficier d’une aide, il faut pouvoir justifier d’une résidence de huit mois sur le territoire français. En cas de résidence à l’étranger de plus de quatre mois, ces personnes ne peuvent plus prétendre au bénéfice des aides au logement.
Pour prendre en compte la situation des anciens salariés hébergés en foyers de travailleurs migrants ou en résidences sociales et dont les retraites contributives sont très faibles, l’article 58 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable a permis de créer une aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine.
Cette aide est ouverte aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, vivant seuls et âgés d’au moins soixante-cinq ans, qui justifient d’une résidence régulière et ininterrompue en France pendant les quinze ans précédant la demande d’aide et qui effectuent des séjours de longue durée dans leur pays d’origine. Elle a pour but de compléter leurs ressources afin qu’ils puissent, s’ils le désirent, retourner régulièrement dans leur pays d’origine.
Compte tenu toutefois des difficultés juridiques complexes, soulignées par le Conseil d’État, que soulèvent les modalités d’application de cette mesure, le Gouvernement privilégie une mise en œuvre de ce dispositif par voie d’accords bilatéraux avec les pays les plus concernés.
En dernier lieu, s’agissant de la délivrance de traitements pour les patients malades chroniques, il est vrai qu’en règle générale les pharmaciens n’ont pas le droit de délivrer de médicaments pour une durée supérieure à un mois. Cette limitation résulte non pas d’une instruction de la Caisse nationale d’assurance maladie, mais de l’application de l’article L. 5123-7 du code de la santé publique, édicté pour des raisons de santé publique et pour éviter tout gaspillage.
Toutefois, des exceptions existent, en particulier pour la délivrance de médicaments en grands conditionnements, dans le cas d’un traitement de trois mois pour une pathologie chronique, l’hypertension artérielle notamment. Le Gouvernement est d’ailleurs favorable au développement des prescriptions de ces grands conditionnements, plus économiques pour le patient et l’assurance maladie.
En outre, une circulaire de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés autorise les caisses à prendre en charge les médicaments des assurés qui sont obligés de se rendre à l’étranger pour des durées supérieures.
Comme vous pouvez le constater, madame la sénatrice, le Gouvernement est mobilisé sur cette question et met en place les dispositifs adaptés, qui répondent, je l’espère, à vos légitimes préoccupations.