M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.
M. Robert Navarro. Monsieur le secrétaire d’État, je ne doute pas de vos bonnes intentions. Mais comment expliquez-vous la contradiction entre votre action et ce que fait votre gouvernement en France ? Ces derniers temps, l’État s’est montré plus exigeant que le droit communautaire et s’oriente clairement vers le tout marché public dans les services sociaux. De nombreux témoignages montrent qu’en matière de SSIG les trésoriers-payeurs généraux ont reçu la consigne de privilégier les modes de contractualisation par marchés publics aux conventions de subventions existantes.
Les méthodes varient d’un TPG à l’autre, allant de la recommandation au refus de paiement. Une fois que les collectivités territoriales auront basculé vers le marché public, il leur sera très difficile de revenir en arrière.
L’État est à ce jour plus exigeant que le droit communautaire en matière de contractualisation des SSIG, plus exigeant que la Cour de justice des Communautés européennes sur la notion de « publicité préalable adéquate ».
Comment expliquez-vous cette contradiction, monsieur le secrétaire d’État ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Nous nous efforcerons de la lever avec le plan de relance, en assouplissant les règles d’appels d’offres et les règles relatives aux marchés publics, tant à l’échelon national que sur le plan communautaire.
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Ma question est plus serrée et plus rapide que celle de M. Navarro.
Monsieur le secrétaire d’État, l’Europe de la défense constitue, à nos yeux, une question majeure dont l’Union européenne ne pourra faire l’économie, car elle est un élément structurant de l’identité et de la crédibilité de l’Europe.
L’Europe de la défense, sujet sensible et difficile, est une ambition qui correspond aux besoins des Européens.
Le Président de la République a souhaité en faire l’une des priorités de la Présidence française de l’Union, sachant que ce domaine demandait une forte volonté politique face aux difficultés, aux réticences, voire aux oppositions de certains États membres.
La meilleure façon de montrer aux États réticents la nécessité de s’unir en matière de défense reste donc la création d’une opération concrète et utile. C’est le cas, depuis le début de la semaine.
Sur mandat de l’ONU, l’Union européenne a lancé lundi la première opération navale de son histoire, dont la mission, complexe s’il en est, consiste à neutraliser les pirates somaliens qui multiplient les attaques de navires et élargissent au fil des mois leur rayon d’action dans l’océan Indien.
L’opération Atalante est placée, c’est un signe fort, sous le commandement d’un officier britannique, le vice-amiral Philip Jones. Cette opération prend le relais de l’OTAN.
Il s’agit d’une opération de première ampleur. Elle montre que, contrairement à ce que j’ai entendu, l’Europe de la défense existe, en pleine complémentarité avec l’OTAN et dans le respect des singularités nationales.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous en dire plus sur cette opération, sur le nombre de pays qui y participent, sur ses missions et sur ses moyens ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur Gautier, je ne puis que vous féliciter pour la précision et la clarté de votre synthèse.
Il s’agit de la première opération navale conduite au nom de la politique européenne de sécurité et de défense. Elle est placée sous commandement britannique et se déroule dans les conditions que vous avez indiquées.
Une dizaine d’États membres de l’Union se sont engagés à participer à cette opération.
M. Pierre Fauchon. C’est de la coopération renforcée !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Cinq à sept frégates et des moyens aéronavals sont mobilisés pour toute la durée de l’opération.
Selon les résolutions adoptées par les Nations unies, l’opération Atalante durera un an. Notre objectif est, en coordination avec tous les acteurs concernés, de mobiliser le maximum de moyens navals sur la zone et de veiller à la complémentarité de leurs actions.
Cette opération est exemplaire de par son délai de mise en œuvre. Voilà encore un mois, personne n’aurait parié sur un lancement aussi rapide ni sur la coopération d’une dizaine d’États membres.
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le secrétaire d’État, je considère que c’est par la coopération que nous pourrons avancer.
Je tiens à vous féliciter d’avoir obtenu l’engagement des Britanniques, quitte à leur laisser la responsabilité ou l’autorité de l’opération.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Force est de constater que les conclusions adoptées à l’issue de la réunion des ministres de l’espace Euromed, au mois de novembre, posent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Il convient, me semble-t-il, de préciser la vocation de l’Union pour la Méditerranée puisque l’on prétend créer une nouvelle structure.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir rappelé que le parti socialiste était un grand parti internationaliste. Je puis vous rassurer, il le demeure, en dépit des critiques qui concernent la politique actuelle.
Si l’Union pour la Méditerranée vise à dynamiser le processus de Barcelone, je ne puis qu’approuver cette judicieuse initiative ! Néanmoins, la disparition de la référence au processus de Barcelone qui précédait la mention « Union pour la Méditerranée » est problématique.
Si l’Union pour la Méditerranée reprend nombre de missions du processus et si son siège se situe à Barcelone, l’absence de toute mention à ce processus conduit à s’interroger tant sur son devenir que sur sa pérennité.
Plus encore, la création d’un secrétariat général de l’Union pour la Méditerranée bénéficiant d’une personnalité juridique indépendante de celle du processus de Barcelone augure d’une volonté de créer une concurrence entre les deux.
Pour l’heure, il apparaît que la plus grande confusion règne sur les rôles de chaque structure. La fragilisation du processus de Barcelone à des fins d’affichage politique du volontarisme présidentiel n’est ni acceptable, ni concevable. Il ne sert à rien de vouloir donner l’impression de faire du neuf si l’on n’a pas tiré les leçons des échecs du vieux !
Que dire, dès lors, d’un projet vendu comme un grand projet de civilisation, dont les financements semblent reposer sur la réaffectation ou le redéploiement des crédits alloués au processus de Barcelone ?
L’espoir suscité par les déclarations du Président de la République risque d’être déçu par la faiblesse des réalisations.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai plusieurs questions qui sont liées.
D’abord, que devient le processus de Barcelone dans le cadre de l’émergence de l’Union pour la Méditerranée ?
Ensuite, quel rôle auront la Commission européenne et les parlements dans la mise en place, l’exécution et le contrôle de l’Union pout la Méditerranée et de ses opérations ?
Enfin, pensez-vous qu’il soit réaliste d’en appeler à des fonds privés dans le contexte actuel ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. L’important, pour moi, et c’est un point de divergence avec M. Billout, c’est que le projet soit plus européen qu’internationaliste. Cela dit, l’universalisme est aussi une belle vocation ! (Sourires.)
Madame Khiari, et je répondrai par là même à M. Peyronnet, il faut déterminer si l’on se situe dans le cadre du processus de Barcelone ou si l’on veut une Union pour la Méditerranée ambitieuse.
Je me suis efforcé d’ajuster les deux. En fait, le processus de Barcelone se fond dans le projet de l’Union pour la Méditerranée.
Les structures de l’Union pour la Méditerranée sont nouvelles. Les financements des projets seront assurés par des crédits communautaires et par des fonds privés. Je ne prétends pas que cela soit facile dans la conjoncture actuelle, mais il est important de trouver des partenariats, que certains veulent publics et d’autres privés. Des financements seront également apportés par des banques régionales de développement multilatéral qui sont dans l’orbite de la Banque mondiale.
En toute franchise, le plus important est de bien articuler le secrétariat général de Barcelone, qui doit rester de dimension mesurée, et les structures qui sont en charge de ces questions au sein de la Commission. Nous devons éviter toute duplication et favoriser la gestion indépendante de chaque projet.
Deux éléments vont changer et vont dissoudre le processus au sein de l’Union.
Il s’agit d’abord de l’importance du dialogue politique. M. Jacques Blanc a évoqué la date du 13 juillet, qui a vu pour la première fois, sur le plan méditerranéen, une réunion des chefs d’État et de gouvernement. Une telle réunion n’a jamais eu lieu dans le processus de Barcelone.
Il s’agit ensuite de la gestion indépendante de projets identifiés, par opposition à la gestion antérieure, en octroi de crédits.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le secrétaire d’État, je comprends bien que le processus de Barcelone se dissout dans l’Union pour la Méditerranée. Pour l’heure, la réalisation de cette fusion est plutôt brouillonne ! Or, à court et à long terme, cela ne peut que nuire à l’efficacité et à la capacité à porter des projets viables.
Enfin, on ne peut évoquer l’Union pour la Méditerranée sans mentionner les flux migratoires. J’aborderai ce sujet au nom de M. Peyronnet.
Les convergences sur la directive « Retour » ne sont pas vraiment évidentes.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Je le sais !
Mme Bariza Khiari. Nous n’approuvons pas son contenu et nous considérons qu’elle constitue une menace pour les libertés publiques.
Par ailleurs, le parti socialiste européen a voté contre ce dispositif, à l’exception des Espagnols !
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. On peut se féliciter des engagements pris par l’Europe dans le domaine de la sécurité et de la défense. Jacques Gautier a fort bien expliqué l’opération navale Atalante.
On assiste à un nouvel élan, en complémentarité avec l’OTAN et dans le respect des spécificités de certains États membres.
Dans dix ans, nous devrions être en mesure de déployer 60 000 hommes et de mener à bien plusieurs opérations civiles et militaires.
Je citerai deux exemples confirmant ces engagements : Eulex au Kosovo et l’opération navale Atalante au large de la Somalie.
Au Kosovo, malgré les difficultés et les protestations des albanophones et des Serbes, la mission de police de l’Union, l’Eulex, succède à la mission de l’ONU : 2 000 hommes, protégés par les soldats de l’OTAN, aideront les autorités du Kosovo à établir un État de droit, notamment à lutter contre la corruption et le crime organisé.
Avec ces missions, l’Union européenne fait un grand pas vers la défense européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous donner au Sénat des explications sur la lettre du Président de la République française au secrétaire général de l’ONU au sujet du nucléaire ?
Si j’ai bien compris, M. Nicolas Sarkozy propose l’ouverture sans préalable de négociations sur l’interdiction complète des essais nucléaires et le démantèlement, le plus rapidement possible, de toutes les installations destinées à ces essais nucléaires. Cela vise bien sûr la Chine, l’Inde, l’Iran, la Corée du Nord, mais aussi, ne l’oublions pas, les États-Unis, la Russie et deux pays de l’Union, la Grande-Bretagne et la France, qui font partie du club très fermé des puissances nucléaires.
L’Europe, par la voix de son Président, plaide-t-elle pour la prise en compte des armes nucléaires tactiques par les États dans les processus globaux de désarmement ? Compte-t-on sur des avancées lors de la conférence qui examinera en 2010 la mise en œuvre du traité de non-prolifération des armes nucléaires ? Quelles sont les réactions de la communauté internationale à ce plan d’action du Président, si, toutefois, il y en a déjà ? Dans les jours à venir, le Conseil abordera-t-il la question ?
Monsieur le secrétaire d'État, je veux vous remercier de ce que vous avez déjà fait et je pense que les compliments que je vous adresse sont partagés par tous mes collègues.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Tout d’abord, madame Khiari, je sais parfaitement que les socialistes français n’ont pas voté la directive « Retour », à l’inverse du PSOE et d’une grande partie du SPD, et je n’ai jamais dit le contraire ! Il ne faut pas prétendre que seuls les Espagnols, au sein du PSE, ont voté ladite directive. Telles sont les informations dont je dispose à ce jour. Je les vérifierai, et si j’ai tort, je vous en informerai.
Monsieur del Picchia, comme vous l’avez souligné, en matière de politique européenne de sécurité et de défense, nous avons fait d’un point de vue opérationnel et en matière d’orientation ce qui devait être fait.
Le désarmement ne figure pas, en tant que tel, à l’ordre du jour du Conseil européen. Aux termes de la lettre de M. le Président de la République, l’Union européenne, en particulier la France, doit montrer l’exemple. Il est nécessaire de préparer la conférence sur la révision du traité de non-prolifération, qui aura lieu en 2010 afin de tenir compte de l’évolution des menaces nucléaire et balistique. À cette occasion seront examinés la généralisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, l’égal accès de tous au nucléaire civil et un meilleur contrôle des produits sensibles.
Les propositions du Président de la République rejoignent les préoccupations d’autres États membres en matière de désarmement. Il est important que la France, puissance nucléaire, montre l’exemple.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, et je vous souhaite bonne chance pour vos prochaines fonctions.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, ce soir, nous nous séparons ; nous savons depuis déjà quelque temps que vous allez nous quitter pour occuper d’autres fonctions. Ainsi va la vie ! Habituellement, le départ d’un membre du Gouvernement n’est jamais programmé. Je veux donc vous remercier en cet instant de la façon dont vous avez rempli vos fonctions auprès du Sénat. Je pense que vous avez apporté satisfaction à tous les sénateurs. Ce soir encore, vous avez largement répondu aux questions, sans faire usage de la langue de bois, comme il est assez courant en politique.
Grâce à votre grande connaissance des dossiers européens, vous avez pu mieux expliquer l’Europe et la faire comprendre ; vous n’avez pas cultivé la morgue que l’on constate parfois ici ou là.
Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas ménagé votre peine : vous avez été très présent à Bruxelles et à Strasbourg pour défendre efficacement les intérêts et les points de vue français, tout en ayant à l’esprit, comme le disait, me semble-t-il, Talleyrand, que les intérêts français ne peuvent jamais être dissociés des intérêts de l’Europe.
Vous allez bientôt participer à votre dernier Conseil européen. Je souhaite que ce dernier soit, pour vous, la conclusion réussie d’un parcours sans faute.
Pour terminer, je voudrais vous remettre, à vous qui êtes républicain et attaché aux valeurs de la République, le symbole de la République : la Marianne du père de Jean-Paul Belmondo que j’ai fait graver à votre nom ! (M. le président remet une Marianne à M. le secrétaire d’État. - Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie. Vous avez toujours été assidus. Pour ma part, j’ai toujours essayé de répondre sans fard, comme je l’ai encore fait ce soir. Je dis les choses telles quelles sont, et c’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’il convient que je change d’orientation ! (Sourires.) Je resterai cependant européen, puisque je continuerai à agir à l’échelon européen, dans le cadre d’une certaine régulation, ce qui, soit dit en passant, me convient très bien. (Applaudissements.)
M. le président. Le débat est clos.
(La séance est levée le mercredi 10 décembre 2008, à zéro heure quinze.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD