Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez du mérite, car, si la petite mission « Politique des territoires » est dotée de 386 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 375 millions d’euros en crédits de paiement, le rôle de l’État en matière d’aménagement du territoire est évalué à 5,6 milliards d’euros, et vous subissez de surcroît l’effet de toutes les politiques restrictives que le Gouvernement met en œuvre.
Il en est ainsi, par exemple, de l’administration de l’État à travers la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP, en fait une régionalisation des administrations déconcentrées qui fragilisera et marginalisera les départements périphériques.
De même, la réduction des moyens accordés aux collectivités territoriales vous empêchera de vous appuyer autant qu’il le faudrait sur les élus, qui sont devenus eux-mêmes, au fil des ans, de véritables stratèges de l’aménagement des territoires. Il faut vous appuyer sur eux, monsieur le secrétaire d’État ! C’est le rôle irremplaçable des contrats de plan que de favoriser les synergies entre les différents niveaux de collectivité, à partir de quelques grandes priorités nationales.
On nous rebat les oreilles avec la nécessité de clarifier les compétences mais, franchement, en matière économique, il est tout à fait utile que les différents niveaux de collectivités soient compétents pour favoriser le développement endogène autant qu’exogène. Les contrats de plan sont le meilleur outil pour faire jouer harmonieusement les compétences dites « croisées », que l’on décrie à tort. C’est le moyen de favoriser la coopération la plus efficace entre les différents niveaux de collectivités.
Les contrats État-région, sur la période 2007-2013, représentent des engagements de 28,2 milliards d’euros. Les retards pris sur les contrats de la génération précédente n’ont pas encore été comblés. J’en parle d’expérience puisque, à Belfort, les locaux de l’université de technologie n’ont pas encore été menés à bien. Je doute fort que les crédits du FNADT, vu leur proportion modeste, permettent de combler ces retards.
Peut-être le plan de relance permettra-t-il d’y pourvoir ? Il faudra aussi tenir les engagements pris à hauteur de 12,7 milliards d'euros pour la période 2007-2013.
J’observe la baisse des crédits du Fonds européen de développement régional, le FEDER. Nous n’avons obtenu que 5,6 milliards d’euros sur sept ans, de 2006 à 2013. Cette régression est le fruit d’un élargissement mal négocié, compte tenu des délocalisations qu’induit cet élargissement, notamment dans un secteur comme celui de l’automobile, que je connais bien.
Les moyens dont vous disposez sont donc modestes, monsieur le secrétaire d’État, même si les dépenses fiscales s’y ajoutent pour un montant non négligeable.
Toutefois, l’action de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires, la DIACT, est, comme son nom l’indique, interministérielle. Vous avez donc une capacité d’entraînement pour réaliser les mises en synergie nécessaires et faire face au défi des mutations que nous connaissons, particulièrement dans des régions comme la mienne où l’industrie automobile et ses sous-traitants sont gravement éprouvés. Vous y êtes d’ailleurs venu récemment.
J’aimerais élever le débat puisque j’ai entendu M. Alain Fouché parler d’une grande politique d’aménagement du territoire. Comment mener une grande politique d’aménagement du territoire dans le contexte de la globalisation financière ?
Notre pays subit, depuis les années quatre-vingt-dix, la distension croissante des liens entre les entreprises et les territoires, du fait d’une ouverture sans limite aux mouvements des capitaux, résultant évidemment de l’Acte unique européen, et d’une ouverture sans limite aux mouvements de marchandises. En effet, sous l’impulsion de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, le niveau moyen pondéré de nos droits de douane est passé, de 1992 à aujourd’hui, de plus de 14 % à 1 %, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de tarif extérieur commun.
Les entreprises françaises réalisent de plus en plus leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices à l’étranger, et un mouvement de délocalisation des activités productives vers les pays à bas salaires frappe notre pays.
Notre croissance potentielle s’est réduite, la part de l’Europe à vingt-cinq dans le commerce international est passée de 30 % du commerce mondial en 1980 à 20 % aujourd’hui, tandis que celle de la Chine est passée dans le même temps de 2,6 % à 14 %.
L’avidité des actionnaires a creusé aussi des inégalités entre les entreprises, au détriment des petites, des inégalités dans les rémunérations, et jamais les écarts n’ont été aussi grands. Les couches populaires ont été reléguées dans les zones périurbaines.
Dans ce contexte de globalisation financière qui fracture la société française, il est difficile de mener à bien une politique d’aménagement du territoire rationnelle.
L’erreur en matière d’aménagement du territoire serait – mais elle vous est antérieure, monsieur le secrétaire d’État – de substituer à une logique globale d’aménagement du territoire, à partir d’une vision d’ensemble que seul l’État peut assurer, une autre logique qui consiste à mettre en concurrence les territoires entre eux.
Malheureusement, nous le voyons bien, ce sont les évolutions du marché qui aujourd’hui commandent. La puissance publique n’intervient plus qu’à la marge.
Cette évolution se pare du masque du girondinisme pour mieux fustiger l’état jacobin, ce pelé, ce galeux d’où viendrait tout le mal !
Cette idéologie est pernicieuse. Les temps nous obligent au contraire à organiser, y compris en matière d’aménagement du territoire, le grand retour de l’État républicain. Peut-être M. Alain Fouché ne me contredira-t-il pas.
Je me bornerai à vous suggérer quelques pistes pour enrayer le déclin de l’aménagement du territoire.
J’évoquerai d’abord la DIACT, l’ancienne DATAR. Elle ne fait pas assez d’études de prospective. La qualité des hommes et des équipes n’est pas en cause. C’est un mal plus général. On le voit avec la disparition du Commissariat général du Plan, mais plus généralement de l’administration économique de l’État.
J’ai été ministre de l’industrie, et je sais donc de quoi je parle. Dans une certaine improvisation, on a juxtaposé au niveau européen des plans nationaux en ce qui concerne le sauvetage des banques et la relance économique. Les règles européennes ont été suspendues en matière de concurrence. L’erreur serait de croire que l’on peut ne les suspendre que pour un temps limité. Ce n’est pas une petite parenthèse que l’on ouvre et que l’on va fermer. Il faut vraiment penser la politique industrielle, la politique d’aménagement du territoire sur le long terme.
Le ministère de l’industrie pourrait utilement évaluer les programmes des pôles de compétitivité pour nous dire en quoi il y a des doublons, des gaspillages, comment il faut donner les impulsions nécessaires, par exemple en matière de recherche finalisée.
Il faudrait aussi guider les choix du fonds d’investissement stratégique dévoilé par le chef de l’État. Avec 6 milliards d’euros de fonds propres et 14 milliards d’euros de fonds empruntés, ce fonds d’investissement stratégique n’est pas à la hauteur du défi. Songez que les fonds souverains étrangers représentent près de 2 000 milliards de dollars. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Monsieur le secrétaire d'État, il faut aller beaucoup plus loin sur la voie de la réglementation des offres publiques d’achat, les OPA, voire de leur interdiction quand elles émanent d’entreprises non « opéables », comme c’était le cas de Mittal sur Arcelor. On voit les conséquences de la vente de Pechiney à Alcan, et celles sur Arcelor, qui supprime des emplois. Il est important de préserver la nationalité française de la plupart de nos entreprises en favorisant des pactes d’actionnaires stables.
L’État doit se donner les moyens durables d’une politique industrielle digne de ce nom. On pourrait reconstituer des équipes d’ingénieurs compétents sur les décombres du ministère de l’industrie mis à sac par M. Alain Madelin et ses successeurs. (Murmures sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le sénateur !
M. Jean-Pierre Chevènement. J’en termine, madame la présidente.
Ce qui vaut pour l’industrie vaut pour l’aménagement du territoire.
Vous mettez l’accent sur les réseaux numériques et sur les liaisons à grande vitesse. Mais où sont les plans, les programmes correspondants ? Il y a encore trop de zones d’ombre en matière de téléphonie mobile. C’est l’effet de l’abandon du service public au bénéfice des concessionnaires privés.
Je ne sache pas que le plan de relance vous en donne les moyens, trop ciblé qu’il est sur la trésorerie des entreprises et insuffisamment sur les programmes publics.
Vos moyens sont limités, mais vous pouvez quand même exercer une magistrature d’influence. Vous pouvez hâter la réalisation de certains tronçons de TGV, par exemple le tronçon entre Petit-Croix et Lutterbach, qui permettra de gagner vingt-cinq minutes sur la liaison Strasbourg-Lyon, ou la réouverture de la liaison ferroviaire Belfort-Delle, vers la Suisse et l’Italie.
La France n’est plus au centre de l’Europe mais le nord-est de la France est près de l’Europe centrale et des marchés. C’est un atout qu’il faut valoriser.
Enfin, permettez-moi un dernier mot sur le tarif extérieur commun, qu’il faut rétablir, monsieur le secrétaire d’État. Mais en avez-vous la volonté ? C’est en effet le seul moyen, avec des taxes anti-dumping ou des écotaxes, d’inciter les grandes entreprises à investir à nouveau dans l’Union européenne.
Je n’aurai qu’une raison de m’opposer à la mission « Politique des territoires », raison que vous partagez sans doute, monsieur le secrétaire d'État : la modestie de ses crédits !
Mais, plus généralement, une autre question se pose : il ne suffit pas d’être réactif, comme le Président de la République sait l’être à l’occasion ; il faut inscrire l’action de l’État dans la perspective longue d’un retour de la puissance publique. En avez-vous vraiment la volonté ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’aménagement du territoire est une grande et belle intention qui suppose une politique cohérente de long terme, des moyens importants et des outils d’intervention pluriannuels et adaptés.
Or nous parlons, aujourd’hui, d’une mission dont le périmètre se réduit chaque année. Il s’agit de l’une des plus faibles en termes de crédits. Cette mission est une addition de projets sans beaucoup de moyens, qui peine à trouver une traduction claire dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Les pôles de compétitivité et les pôles d’excellence rurale, comme le programme des interventions territoriales de l’État, le PITE, ciblent des points particuliers, un peu comme les « lois particulières » sous l’Ancien Régime.
Le dispositif des pôles de compétitivité est l’illustration d’une politique qui attribue souvent des primes à la concentration de capital humain ou financier. Il est présenté comme un moyen de résoudre, à lui seul, les problèmes d’attractivité du territoire et de délocalisations.
Quant aux pôles d’excellence rurale, je m’interroge sur la capacité de territoires non organisés à concrétiser des projets pour lesquels les taux de subvention sont très imparfaits, ce qui oblige à trouver d’autres financements locaux.
Concernant la prime d’aménagement du territoire, la PAT, nous pouvons nous interroger sur le rôle que peut jouer ce dispositif doté de moins en moins de moyens pour les territoires fragilisés.
Les contrats de projet ont remplacé les contrats de plan État-région. La participation de l’État est inférieure à la contribution européenne et les routes sont exclues des contrats. Il est nécessaire que l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, soit dotée des moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre d’une vraie ambition dans le domaine des infrastructures.
En effet, l’aménagement du territoire passe par des infrastructures performantes et réparties harmonieusement, par le maintien des services publics en milieu rural et dans les zones urbaines sensibles, afin de respecter l’égalité d’accès aux droits fondamentaux de nos concitoyens : éducation, emploi, santé, logement, transports, culture, etc.
Les réponses apportées ponctuellement masquent mal le renoncement de l'État à équilibrer, à répartir et à aménager le territoire dans une vision de long terme. L'exécutif n'a en effet dévoilé aucun « grand dessein » mobilisateur depuis 2002.
Pourtant, le concept d'aménagement du territoire est essentiel et parfaitement actuel. Les questions relatives aux transports, à la téléphonie mobile, ou encore à l’accès à l'internet à haut débit sont au cœur des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens.
Aujourd'hui, force est de constater que tout service public essentiel considéré comme non directement rentable est simplement condamné ou menacé de disparition. Il en est ainsi de la desserte ferroviaire ou du réseau postal.
Signée en 2002 sous le parrainage du Sénat par les trois associations nationales d'élus – l’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France et l’Assemblée des régions de France – la charte des services publics locaux n'a pas été mise en œuvre.
La charte sur l'organisation de l’offre des services publics et des services au public en milieu rural, signée en juin 2006 par le Premier ministre, n'est pas respectée. La tenue régulière d'une conférence de la ruralité était prévue. Or, cette dernière ne s'est jamais réunie depuis l'élection présidentielle de 2007.
La loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a, quant à elle, été dénaturée et vidée de son contenu. Les exonérations dont bénéficient les territoires ruraux classés en zone de revitalisation rurale ont ainsi été remises en cause. Monsieur le secrétaire d’État je préside le seul département intégralement classé, me semble-t-il, en ZRR.
La finalité d’une politique des territoires est avant tout la répartition des services et la péréquation des moyens. Je ne conteste pas l'intérêt d'encourager l'excellence, mais, sans infrastructures de transport et de télécommunications dignes de ce nom, il est impossible de développer un territoire, d'autant plus s'il est fragilisé.
Or, sous l’appellation « cartes », les restructurations se multiplient.
En premier lieu, la réforme de la carte judiciaire a pour conséquence la disparition de centaines de juridictions de proximité, qu’il s’agisse des tribunaux d'instance ou des conseils de prud'hommes.
La RGPP agit par « paliers de compression ». Elle s'attaque désormais aux effectifs et aux implantations du ministère de la défense. En parallèle, les crédits du plan d'accompagnement des territoires touchés par les restructurations militaires paraissent bien insuffisants pour répondre à l’incidence de celles-ci.
Mais, au-delà de la « carte militaire », tous les ministères sont visés. La RGPP fonctionne comme une machine à détricoter le maillage des solidarités nationales et territoriales. Nos « services publics » sont voués à être de plus en plus lâches, voire abstraits dans le cas de l'éducation nationale. Et il nous faudra bientôt être extrêmement vigilants à l’occasion de la présentation de la réforme hospitalière, dont l’impact territorial sera fort.
L’ouverture du capital de La Poste au secteur privé annonce quant à lui la prochaine privatisation de cette dernière, au prétexte de règles européennes qui ne l'imposent pourtant nullement. C’est toujours la même litanie, accompagnée de la même logique mécanique et comptable, sans concertation avec les élus locaux, et ce alors qu’aucune grande politique nationale ne peut être conduite sans le concours des collectivités locales.
La politique actuelle bénéficie ainsi aux territoires favorisés et néglige ceux qui sont en situation de dévitalisation, voire de détresse.
« On peut aussi faire de la discrimination positive à la française pour les départements qui souffrent. Il faut aider la Creuse plutôt que les Hauts-de-Seine » affirmait Nicolas Sarkozy au cours de la campagne présidentielle.
Force est de constater que cette déclaration d'intention n’était qu’une promesse électorale non suivie d’effet. Les écarts de richesses entre collectivités se creusent tandis que les différences de développement entre les territoires s’accentuent. Consacrée par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, la péréquation est pourtant en net recul depuis 2004.
Je prendrai pour exemple la dotation de fonctionnement minimale des départements. Initialement créée pour aider les vingt-quatre départements les plus défavorisés, son rythme d'évolution annuelle était jusqu'alors de 3% à 4 %.
Département le plus âgé de France, la Creuse est également caractérisée par le plus bas revenu par habitant. Son potentiel fiscal est par conséquent le plus faible de France. Pour autant, l’augmentation de la dotation de fonctionnement minimale des départements en Creuse n’était que de 0,013 % en 2008 : du jamais vu !
L'autonomie financière des collectivités sera mise à mal en 2009. Mais il faut bien appliquer le dogme : « moins de services, moins de personnel, moins d'État sur les territoires ».
En ce qui concerne les dotations de l'État pour 2009, le manque à gagner pour l’ensemble des collectivités sera de l'ordre de 734 millions d'euros, dont plus de 250 millions pour les seuls départements. Ceux-ci ne sauraient pourtant être tenus pour seuls responsables de la dette publique de notre pays : la totalité de leur endettement s'élève à 23 milliards d'euros seulement, alors que la dette nationale atteint 1 250 milliards d’euros ! Par ailleurs, leur endettement est intégralement consacré à l’investissement, et jamais aux dépenses de fonctionnement. Lors du congrès d'Orléans organisé les 28 et 29 octobre dernier, l'Assemblée des départements de France a adopté à l'unanimité une résolution appelant solennellement à ce que toute réforme des compétences des collectivités territoriales s’accompagne d’une réforme fiscale, et ce afin d’établir une péréquation plus juste et plus forte.
À structure constante, les autorisations d'engagement de la mission « Politique des territoires » augmentent cette année de 9 %. Mais en parallèle, les crédits de paiement baissent d’autant. Il faut s'attendre à des lendemains plus difficiles, puisque la programmation des dépenses de l'État sur la période 2009-2011 laisse apparaître une baisse constante des autorisations d’engagement.
De fait, monsieur le secrétaire d’État, les engagements pris dans le cadre du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire seront-ils tenus ? Ma question intéresse tant les engagements visant la politique des pôles que ceux qui concernent l'accès aux technologies de l'information et de la communication. Les carences de la couverture numérique territoriale ont de l'avenir, n'en déplaise aux effets d'affichage de M. Éric Besson. Il est donc urgent d'intégrer le haut débit dans le service universel.
Je crois important de rappeler qu'efficacité économique et solidarité sociale et territoriale vont de pair. L'aménagement du territoire doit être le moyen d'affirmer le rôle de l'État, afin de faire valoir les principes d'égalité et de solidarité.
La politique du gouvernement auquel vous appartenez semble aller à l'encontre de ces objectifs. C'est pourquoi le groupe socialiste votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviendrai à la fois en mon nom et en celui de mon collègue Yves Détraigne, qui a été obligé de s’absenter.
Au cours des années soixante et soixante-dix, la politique volontariste de l'État dans le domaine de l'aménagement du territoire a fortement contribué à l'équipement de notre pays, à son développement économique et à l'égalité entre les citoyens français, et ce quels que soient les lieux d'habitation de ces derniers. Or, aujourd’hui, de nombreux Français ont plutôt le sentiment d'un recul des politiques territoriales de l'État.
En 2009, l’État consacrera 386 millions d'euros à l’aménagement du territoire. Il est légitime de se demander si cette somme permettra de poursuivre le double objectif de cohésion et de compétitivité des territoires. Vous me permettrez d'en douter. Malgré les efforts fournis, les inégalités sont fortes entre des régions privilégiées et d’autres qui manquent encore de l’essentiel.
Les réorganisations successives de la carte judiciaire, de la carte militaire, et celles à venir de la carte hospitalière et des services publics dans leur ensemble font craindre à un très grand nombre d'élus ruraux l’apparition de déserts territoriaux.
Il existe des pôles de compétitivité et des pôles d'excellence rurale. Les premiers, plutôt urbains, mobilisent sur la durée 1,5 milliard d'euros, dont 831 millions de crédits d'État. Quant aux seconds, ils ne bénéficient que de 235 millions d'euros. Comment comprendre un traitement aussi déséquilibré entre les secteurs urbains et ruraux ? Et je ne parle pas des conditions de délais et de présentation imposées en milieu rural lors du dépôt des dossiers.
La politique territoriale est hélas ! souvent synonyme de recul plus que de progrès. Il suffit de penser à l'évolution de la présence postale territoriale, à la fermeture des services de l'État, telles les trésoreries, ou encore aux grands projets d'aménagement annoncés et toujours différés, comme le projet autoroutier du « Y ardennais » encore en attente ou l'électrification de la ligne reliant Paris à Bâle.
Par ailleurs – c’est une situation que je dénonçais déjà voilà un an à cette tribune , comment expliquer une différence aussi importante entre le montant des crédits affectés à la dotation de solidarité urbaine – plus d’un milliard d’euros en 2009 – et ceux de la dotation de solidarité rurale– environ 700 millions d’euros ?
La DSU bénéficie à quelques dizaines de villes alors que la DSR concerne près de 20 000 communes, certes plus petites. Peut-on dès lors parler encore de « solidarité rurale » alors que le fossé continue à se creuser ?
De la même manière, des zones franches urbaines et des zones de revitalisation rurale ont été créées. Les premières ont dans l’ensemble donné d’excellents résultats tandis que les secondes peinent à se développer, notamment parce qu'elles ne bénéficient pas des mêmes réductions de charges sociales et fiscales que les zones franches urbaines.
Monsieur le secrétaire d’État, je demande non pas un traitement privilégié en faveur des zones rurales, mais simplement des mesures égales à celles dont disposent les zones urbaines:
Plusieurs solutions sont envisageables. En premier lieu, les pôles d'excellence rurale pourraient bénéficier d'un montant de crédits identique à celui des pôles de compétitivité. De même, il serait logique que le montant de crédits attribué à la dotation de solidarité rurale soit équivalent à celui de la dotation de solidarité urbaine. En réalité, compte tenu du nombre de communes et de territoires concernés, ce montant devrait même être supérieur. Il faudrait aussi autoriser les zones de revitalisation rurale à créer des zones franches rurales à l'instar des zones franches urbaines. Pourquoi ce qui est possible ici ne le serait-il pas ailleurs ? J’avais déposé sur ce thème une proposition de loi qui n’est toujours pas venue en discussion, ce que je regrette.
L'aménagement du territoire concerne également les infrastructures de transport qui irriguent tous notre territoire, notamment les zones les plus mal desservies. Permettez-moi de vous faire part de mes craintes concernant les moyens financiers de l'AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France. Tout indique que cette dernière sera en quasi-cessation de paiement en 2009. Comment dès lors mettre en œuvre un ambitieux programme d'infrastructures de transport et contribuer au désenclavement des zones rurales les plus vulnérables ? Là encore, une proposition de loi est dans les tiroirs…
Enfin, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication constitue également un enjeu majeur pour l'aménagement du territoire au cours des prochaines années.
De ce point de vue, je crains que la fracture numérique à laquelle nous assistons déjà ne s'aggrave terriblement avec le développement du très haut débit.
En effet, dans le département de la Meuse, la téléphonie mobile n'est pas encore correctement accessible dans certaines communes. S'agissant de l'internet à haut débit, nombreux sont mes compatriotes à devoir se contenter, comme c’est le cas dans mon propre village, d'un débit inférieur à 512 kilobits. Et j'ose à peine évoquer le très haut débit, qui coûtera quinze fois plus cher dans les territoires ruraux qu'en Île-de-France, sans que la même rentabilité soit assurée ! J'avais à ce sujet proposé la mise en place d'une taxe de péréquation uniquement à la charge des fournisseurs d'accès à internet.
Certaines technologies particulières, comme le WiMax, ont été développées. Mais leur coût est trop important pour nombre de communes rurales, ce qui donne le sentiment à certains maires d'être victimes d'une double injustice : non seulement leurs communes se situent dans des zones moins attractives, mais, de plus, elles doivent payer pour avoir accès à des technologies leur permettant d'améliorer leur situation, alors que d'autres les ont obtenues gracieusement et souvent même sans avoir à les demander !
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’Etat : quelles initiatives pouvez-vous prendre afin que l'aménagement numérique du territoire ne laisse pas de côté des pans entiers de notre pays et les entreprises installées dans ces zones, qu'il s'agisse du haut et du très haut débit, voire de la TNT ?
Au-delà du phénomène de disparitions de services publics que je n’ai pas vraiment évoqué, telles sont les réflexions que m'inspire le budget de la mission « Politique des territoires ». Si nous voulons mettre en œuvre une véritable politique d'aménagement du territoire, il faudra à mon sens développer des moyens autrement plus importants. Sinon, nous risquons de faire de nos zones rurales un nouveau désert technologique.
La volonté du Gouvernement et les propositions que vous avez évoquées m’engagent néanmoins à la confiance en l’avenir dans ce domaine comme dans d’autres. C’est pourquoi mes amis de l’Union centriste et moi-même soutiendrons votre projet de budget. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous exprimer tout le plaisir que j’ai à être parmi vous pour présenter les crédits de la mission « Politique des territoires ».
Sachez que notre souhait n’est pas d’opposer les territoires ruraux et les territoires urbains. Nous vivons dans un beau pays, riche de sa diversité. Je suis moi-même acteur de ce magnifique territoire qu’est la France : avant d’être maire d’une grande ville, j’ai en effet longtemps été maire d’une commune rurale, fonction que beaucoup d’entre vous occupent. Je puis donc vous assurer que nous essayons, dans la politique que nous menons, de ne pas créer de disparités entre les villes et les campagnes.
Ensuite, je souhaite féliciter et remercier MM. les rapporteurs de la qualité de leur travail d’analyse, qui témoigne une fois encore de l’intérêt porté par le Sénat à la politique d’aménagement du territoire, et de son attachement à cette dernière. Mais je n’en doutais pas !
Dans le cadre qui nous réunit aujourd’hui, le projet de budget pour 2009 contient quatre idées clés.
Premièrement, la mission « Politique des territoires » reste bien identifiée dans le budget de l’État. Certes, comme l’ont observé MM. les rapporteurs, elle ne supporte pas toutes les actions sectorielles qui contribuent à l’aménagement du territoire, mais elle joue un rôle pivot avec 1,056 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,133 milliard d’euros en crédits de paiement sur la période 2009-2011.
Deuxièmement, au sein de cette mission, le programme « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », qui porte les moyens de fonctionnement et d’intervention de la DIACT, que je ne désespère pas d’appeler à nouveau la DATAR, dispose des moyens d’accompagner les grandes mutations de notre territoire en 2009 et pour les années suivantes, tout en s’inscrivant dans la politique de maîtrise des dépenses publiques.
Les autorisations d’engagement s’élèvent à 346,5 millions d’euros, soit une progression de 22,5 % par rapport à 2008, et à 339 millions d’euros en crédits de paiement. Au cours d’une seconde délibération, l’Assemblée nationale a réduit ces deux montants de 2,3 millions d’euros dans le cadre d’un prélèvement général afin de financer des contrats aidés supplémentaires.
Troisièmement, la dette du FNADT, qui est l’une de vos préoccupations, mesdames, messieurs les sénateurs, est aujourd’hui maîtrisée. Sachez que les efforts de réduction de cette dette seront poursuivis.
Je l’indique à M. Chevènement, nous conservons le cercle vertueux engagé en 2007. M. le rapporteur spécial, François Marc, l’a d’ailleurs bien souligné dans son rapport.
La dette exigible était de 123 millions d’euros à la fin de 2006 ; elle a atteint 75 millions d’euros à la fin de 2007 et devrait être d’un niveau similaire à la fin de 2008. Le montant des restes à payer diminue lui aussi en parallèle.
Quatrièmement, sans préjuger les mesures que vient d’annoncer le Président de la République, le projet de budget s’inscrit pleinement dans l’objectif de relance de notre économie, notamment par une attention marquée en faveur de la cohésion territoriale et de la compétitivité. Je souhaite le montrer en répondant maintenant aux différents intervenants.
Monsieur Chevènement, je ne vais pas opposer l’ombre à la lumière. Il y a toujours eu des zones d’ombre dans ce pays, et personne n’est encore parvenu à apporter toute la lumière ! Cependant, le plan de relance permettra d’ajouter au moins 400 millions d’euros aux interventions normalement prévues en 2009 par l’État pour les contrats de plan État-région, c’est-à-dire environ 1,8 million d’euros par an.
En matière de compétitivité, monsieur le rapporteur pour avis, vous avez raison de dire que la politique des pôles de compétitivité est un réel succès. Le Président de la République a d’ailleurs annoncé, le 26 juin 2008, à Limoges, le lancement de la deuxième phase de cette politique avec un budget global affecté par l’État de 1,5 milliard d’euros, soit autant que pour la phase 1.
Pour les pôles existants, à ma demande, nous avons adopté une attitude équilibrée. Ainsi, en ce qui concerne les treize pôles nécessitant une reconfiguration, après une évaluation de la DATAR et d’un cabinet spécialisé, le dispositif est maintenu jusqu’à la fin de l’année 2009. Les pôles disposent donc d’une année supplémentaire pour faire leurs preuves.
J’ai tenu à ce que l’État les accompagne individuellement. Pour chacun d’eux, un plan de progrès et des objectifs sont établis en commun en ce moment. Ils constitueront la référence d’une évaluation qui sera conduite avant la fin de l’année 2009. La confirmation du label pour la période 2010-2011 sera bien sûr conditionnée au caractère positif de cette évaluation. Nous avons donc donné une deuxième chance aux treize pôles qui n’avaient pas atteint leurs objectifs.
Monsieur Pointereau, les points de faiblesse que vous avez soulevés dans votre rapport pour avis concernant la place insuffisante laissée aux PME, le manque d’implication parfois des établissements de recherche et de formation ainsi que le souhait d’une association plus étroite des collectivités correspondent aux axes essentiels d’amélioration retenus pas le Gouvernement.
Mais il n’y a pas que les pôles de compétitivité. Les dynamiques des réseaux d’entreprises sont multiples. Ceux qui se tournent davantage vers la recherche et le développement s’inscrivent dans la logique des pôles de compétitivité. D’autres sont orientés principalement vers la compétitivité des entreprises et ont une composante « recherche » limitée.
Je me suis engagé à ce que l’on puisse proposer un dispositif de soutien à cette seconde catégorie de réseaux innovants, qui n’ont pas la taille critique d’un pôle mais qui participent pleinement à la compétitivité des territoires. La DIACT fera des propositions à ce sujet en 2009.
Comme l’ont constaté MM. Pointereau, Fouché et Boyer, la politique des pôles d’excellence rurale est essentielle pour nos territoires ruraux. D’ailleurs, lors de mes déplacements, j’ai pu vérifier sur le terrain la pertinence des projets mis en œuvre par les PER.
Où en est-on à l’échéance des trois ans de l’appel à projets ?
À mon arrivée au mois de juin, une première estimation a été faite par la DIACT. Une centaine de pôles d’excellence rurale étaient à la traîne. Ils ont alors été invités à se reprendre et à respecter leurs objectifs.
Après une vigoureuse relance, aujourd’hui, moins d’une dizaine de PER n’ont pas démarré et à peine six n’ont pas rempli leurs objectifs. Les PER qui n’auront engagé juridiquement aucune action avant la fin de l’année perdront leur label, sauf circonstances exceptionnelles pouvant justifier une prolongation de ce délai, par exemple à cause de l’impact d’une restructuration de la défense sur le projet. Avouez que si, sur 379 pôles labellisés, seulement six sont « délabellisés » à la fin de l’année, nous pourrons dire que l’objectif aura été atteint.
En 2009, l’État engagera la dernière tranche des 235 millions d’euros prévus pour le soutien des projets.
Je vous confirme que je souhaite lancer un nouvel appel à projets en 2009. Il portera prioritairement sur les deux enjeux majeurs du monde rural aujourd’hui : la mutualisation des services publics et le développement durable des territoires.
Je suis particulièrement sensible aux observations et aux propositions que vous formulez dans votre rapport pour avis sur la gestion des fonds des PER, monsieur Pointereau. Sans renoncer aucunement au principe de l’appel à projets, gage de qualité et d’efficacité, nous devons effectivement – j’ai bien retenu ce que vous préconisez – alléger pour l’avenir certaines contraintes de gestion en renforçant encore la position du FNADT comme réceptacle unique des crédits des ministères pour les PER et en donnant une certaine marge d’appréciation au préfet lorsqu’il y a des changements dans le portage des opérations du PER, dès lors qu’ils ne remettent pas en cause les projets labellisés. Nous avons tout à gagner à simplifier les procédures. En ayant comme interlocuteur la DIACT et le FNADT, la situation sera beaucoup plus claire.
Ces éléments renforceront les résultats des évaluations, que j’attends pour la mi-décembre.
À la lumière de l’expérience des pôles d’excellence rurale, je pense, monsieur Biwer, que, au cœur de la question de l’égalité entre les villes et les campagnes, il y a la nécessité d’aider à faire émerger et prospérer les projets des territoires urbains comme des territoires ruraux, et de disposer pour cela des moyens de mener des politiques d’excellence ciblées et efficaces. C’est grâce à la complémentarité que nous avancerons. Et, croyez-moi, j’ai l’intention de m’y employer !
En matière de cohésion territoriale, j’assure la coordination de la politique de redynamisation des territoires concernés par le redéploiement des armées. Les mesures d’accompagnement sont financées par le Fonds de restructuration de la défense, le FRED, à hauteur de 126 millions d’euros sur trois ans, et par le FNADT pour 75 millions d’euros sur trois ans, dont 30 millions en 2009. La DIACT assure le pilotage interministériel de ce plan.
Madame Terrade, vous avez abordé la question des délocalisations. Il est vrai qu’elles constituent un outil d’aménagement et de solidarité entre les territoires. Mais nous agissons de manière plus cohérente et plus progressive que ce n’avait été le cas, par exemple, en 1992 !