M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je commencerai par faire référence à un principe qui est inscrit depuis maintenant vingt ans dans l’article L. 115-1 du code de l’action sociale et des familles : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Monsieur le haut-commissaire, ce principe a sans doute été le fil conducteur de votre réflexion et de votre action. Je ne peux que m’en féliciter et m’en réjouir. Malheureusement, le problème de la pauvreté n’a pas été résolu depuis l’insertion de ce principe dans la loi.
Trop souvent dévoyé, le RMI s’est transformé en pur revenu d’assistance, incapable d’offrir à ses allocataires un intérêt à reprendre une activité, ainsi que l’espoir d’une insertion réelle et durable. Ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui exercent un mandat d’élu local le savent très bien : il n’est pas rare de rencontrer des concitoyens qui ne comprennent pas que l’on puisse continuer à assister ainsi des personnes sans contrepartie pour la collectivité.
À force de vouloir en combler les lacunes, nous avons empilé les dispositifs d’assistance en tous genres, sans nous préoccuper réellement ni de leur cohérence, ni de leur efficacité.
En mettant en place le RSA, nous inversons les données : la reprise du travail devient la priorité. De surcroît, un seul dispositif remplace au moins cinq prestations différentes, gage d’une plus grande lisibilité.
Le RSA, en donnant aux bénéficiaires un intérêt à reprendre une activité, constitue un élément essentiel de motivation et d’espoir de sortir de l’assistanat.
Mais le RSA a également pour objectif de soutenir l’emploi. Il est vrai que le travail tout comme l’existence d’un salaire minimum ne protègent malheureusement plus de la pauvreté. Depuis plusieurs années, la pauvreté connaît en effet un nouveau visage, celui de la « pauvreté laborieuse », à savoir des hommes et des femmes qui travaillent avec courage mais qui n’ont pas les revenus leur permettant de vivre décemment et de faire vivre leur famille.
Lors de la discussion, au mois de juillet dernier, de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, texte sur lequel j’étais rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires sociales, vous vous en souvenez, monsieur le haut-commissaire,…
M. Alain Vasselle. … je vous avais alerté sur les limites d’une expérimentation qui ne prendrait pas en considération cette catégorie de personnes. Vous m’aviez alors demandé de ne pas aller trop vite, à chaque jour suffisant sa peine. Vous souhaitiez mener d’abord l’expérimentation dans un certain nombre de départements, puis voir de quelle façon répondre à la situation des travailleurs pauvres.
Monsieur le haut-commissaire, je constate que vous avez été aussi impatient que moi !
M. Alain Vasselle. Vous n’avez pas attendu l’achèvement d’une année complète d’expérimentation pour mettre sur pied une nouvelle législation.
A-t-on perdu trop de temps ou le temps perdu était-il nécessaire pour vous permettre de peaufiner le nouveau dispositif législatif ? (Sourires.)
M. Alain Vasselle. L’avenir nous dira qui a eu raison.
Il me paraissait particulièrement inéquitable que l’inactivité, si subie soit-elle, puisse rapporter plus que le travail.
Aujourd’hui, je me réjouis du dispositif proposé, à condition toutefois que nous n’ayons pas à en subir les effets pervers.
Monsieur le haut-commissaire, j’ai pu prendre connaissance d’un rapport faisant le bilan de quelques mois d’expérimentation au regard, notamment, des effets pervers du dispositif. J’ai été assez attristé de constater que les experts étaient vraiment peu loquaces sur le sujet, pour ne pas dire qu’ils étaient tout à fait « secs ».
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Peut-être n’y avait-il pas d’effets pervers à analyser ?
M. Alain Vasselle. À croire, en effet, que le dispositif ne souffre d’aucun effet pervers !
Or, monsieur le haut-commissaire, plusieurs de nos collègues, et notamment Philippe Adnot, fort de son expérience de président de conseil général, m’ont fait part de leur crainte que l’on ne crée ici une nouvelle trappe, comme celle que l’on constate déjà en matière de bas salaires. En effet, des allocataires risquent de trouver un certain confort à évoluer du RMI vers le RSA, et pourraient être tentés de rester durablement dans leur situation de travailleurs pauvres en cumulant une petite activité avec l’aide complémentaire que va leur apporter l’État, sans parler de la contribution des départements.
Heureusement, ce n’est pas le pari que vous avez fait, et que nous faisons avec vous. Nous considérons que le RSA a pour objet de faire en sorte que de telles personnes trouvent une situation professionnelle plus rémunératrice leur permettant de faire vivre plus décemment leur famille.
Il sera utile, dans quelque temps, de dresser un bilan et d’aménager le texte résultant de nos travaux, en tant que de besoin.
Toujours lors de l’examen de la loi TEPA, j’avais également souhaité vous alerter sur les effets pervers ou d’aubaine qui pourraient résulter des éléments retenus pour le calcul du RSA. Je pense en particulier aux droits connexes.
M. Alain Vasselle. J’observe que, si vous avez réglé le problème au plan national, tout reste à faire à l’échelon local. Vous vous êtes en effet opposé à un amendement déposé par le Nouveau Centre à l’Assemblée nationale au motif qu’en vertu du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales il n’est pas possible d’intégrer dans le texte une disposition qui leur imposerait des contraintes dans la mise en œuvre de leurs politiques volontaristes.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais si ! Elles s’administrent librement dans le cadre de la loi. M. le haut-commissaire le sait bien !
M. Alain Vasselle. Nous aurons un débat sur ce point au moment de la discussion des amendements. Je n’insisterai pas davantage, sinon pour relever qu’en prenant cette position, vous risquez de laisser s’installer une nouvelle inégalité entre les bénéficiaires, selon qu’ils habitent dans tel ou tel département. Or je ne sache pas que tel est l’objectif ici.
C’est pourquoi je me permets d’attirer votre attention et celle de la Haute Assemblée sur ce point, sans entrer dans le détail, pour l’instant, des droits connexes.
Je veux maintenant aborder la question du financement.
Monsieur le haut-commissaire, vous êtes sûrement un lecteur attentif de la presse nationale. Sans doute vous souvenez-vous d’une chronique parue dans un quotidien national d’un certain renom le mardi 16 septembre dernier ?
M. Guy Fischer. C’est Le Figaro !
M. Alain Vasselle. Je constate, mon cher collègue, que vous avez de bonnes lectures ! (Sourires.)
Yves de Kerdrel y développait, à juste titre selon moi, les dix raisons pour lesquelles il ne fallait pas retenir comme solution de financement la taxation de 1,1 % du patrimoine. Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je vous fais grâce en cet instant de la citation, dans l’espoir que l’occasion nous sera donnée de revenir ultérieurement sur certains des arguments avancés dans cette chronique.
Je considérais, quant à moi, que la moins mauvaise des solutions aurait été de redéployer des crédits consacrés à la politique de l’emploi, autrement dit de les faire passer d’une politique de l’emploi vers une autre politique de l’emploi. J’ai fait part de ce point de vue à certains de mes collègues. Je le développe aujourd’hui dans cette enceinte, sans me faire toutefois d’illusions quant à la suite qui lui sera donnée. En effet, monsieur le haut-commissaire, ce n’est pas vous qui, en la matière, procédez aux arbitrages, c’est le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ou bien le ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Il semblerait même que, sur ce point, ce soit le Président de la République qui ait tranché.
Si je ne me trompe, la mesure que vous préconisez consiste à essayer de favoriser la réinsertion dans l’emploi de personnes qui n’avaient plus d’activité. Or la politique des allégements de charges mise en place avec les 35 heures ou, auparavant, avec la loi de Robien, qui se traduit par une exonération de charges jusqu’à 1,6 SMIC, pouvait être utilisée, quitte à descendre un peu en dessous de 1,6 SMIC, à concurrence de la somme de 1,5 milliard d’euros dont vous avez besoin pour financer votre politique.
M. Aymeri de Montesquiou. Bonne idée !
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Alain Vasselle. Nous aurions au moins fait l’économie du débat sur le bouclier fiscal qui, selon moi, n’est pas très fondé mais qui a cristallisé des oppositions et qui va venir polluer tout l’examen du projet de loi. Nos collègues socialistes et communistes y trouveront argument, et ce sera le seul, soit pour ne pas voter en faveur de ce texte, soit pour s’abstenir.
M. Guy Fischer. Vous avez raison !
M. Alain Vasselle. Telle fut, en tout cas, l’attitude adoptée par nos collègues socialistes à l’Assemblée nationale. Nous aurions pu éviter de leur fournir cet argument. De ce fait, monsieur le haut-commissaire, vous auriez peut-être été l’un des rares membres du Gouvernement à obtenir un vote consensuel sur un texte qui, justement, devrait faire naître le consensus.
Pour ce qui concerne les niches fiscales et sociales, nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. On ne peut pas se préoccuper des niches fiscales sans aborder les niches sociales, dont la Cour des comptes a estimé le montant à 35 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien.
Alors que le déficit de la sécurité sociale atteindra peut-être l’année prochaine 8 milliards d’euros ou 9 milliards d’euros, il conviendrait d’intervenir, peut-être par le biais d’une flat tax, comme nous le ferons pour ce qui concerne l’intéressement, la participation ou les stock-options. Cette piste de réflexion a été tracée l’année dernière par notre collègue député Yves Bur. Je regrette d’ailleurs que le Gouvernement ait pour réflexe de se déterminer d’abord par rapport aux positions de l’Assemblée nationale, sans prêter d’emblée toujours autant d’attention à celles du Sénat.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, ne considérez pas ces propos comme des critiques à l’égard de vos rapports. Il ne s’agit que d’une contribution au débat, mais les questions que je viens d’évoquer me semblent essentielles et porteuses d’enseignements utiles pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées du RDSE.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Contribution utile et de qualité !
M. Guy Fischer. C’est du Vasselle !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le RSA met fin à une absurdité. En effet, il est aujourd'hui parfois plus avantageux d’être assisté que de travailler !
Réponse aux défis sociaux, le RSA incarne un changement en profondeur de notre politique de cohésion sociale.
Au-delà des clivages traditionnels, nous avions imaginé des solutions variées. Sous l’impulsion du Président de la République, nous passons à l’acte.
Modifier le rapport entre l’assistance et le travail : tel est le premier défi à relever. Le RSA apporte enfin une réponse. Au-delà de la simplification que constitue la fusion du RMI et de l’API, des droits connexes, les dispositifs de retour à l’emploi avaient montré leur limite. Seuls manquaient l’audace d’imaginer et le courage de réformer.
Grâce à vous, monsieur le haut-commissaire, l’esprit du Grenelle de l’insertion nous a conduits à faire plus entrer dans les faits la solidarité nationale.
Quatre millions de Français sont ainsi concernés : ceux qui bénéficient du minimum social, mais aussi ceux qui travaillent à temps partiel ou dans le cadre de contrats à durée déterminée. Nous devons expliquer à nos concitoyens que le RSA dépasse la problématique du retour à l’emploi : il s’adresse à l’ensemble des travailleurs pauvres, en apportant une réponse concrète à une réalité économique. D’autres pays l’ont fait ; la France y arrive, et c’est heureux.
Monsieur le haut-commissaire, vous avez fait précéder la législation par l’expérimentation, et cela dans trente-quatre départements, en particulier dans le Gers, dont je suis élu, où cette expérimentation s’est révélée positive. Cette démarche a contribué à insuffler du réalisme dans votre projet. Lors de chaque débat budgétaire, il nous importera de pouvoir disposer d’un rapport sur la manière dont le RSA est mis en place sur le terrain, …
M. Aymeri de Montesquiou. … sur les éventuels problèmes et ajustements nécessaires et sur la consommation des crédits du nouveau fonds dédié à son financement.
J’en viens, justement, aux questions relatives au financement.
Dix milliards d’euros sont ainsi en jeu. Sur ce montant, comment trouver la somme de 1,5 milliard d’euros nécessaire pour mettre en œuvre les mesures nouvelles indispensables pour conduire la réforme ? Le financement par une nouvelle contribution additionnelle de 1,1 % au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et de placements alimentant un fonds national des solidarités actives apparaît juste. Il est normal que ceux qui bénéficient d’un revenu de leur capital participent à l’intégration par le travail de concitoyens moins privilégiés. Cette taxe rapportera 1,5 milliard d’euros.
De plus, ce taux maximum de 1,1 % sera diminué du produit des recettes dégagées par le plafonnement des niches fiscales, dont les modalités seront arrêtées dans le cadre du prochain projet de budget. Ce plafonnement, qui devrait rapporter entre 150 millions d’euros et 200 millions d’euros, compensera l’anomalie que constitue l’abus de ces niches.
Fallait-il à nouveau faire le choix d’augmenter les prélèvements ? N’était-il pas possible de procéder par redéploiement, par économies ? La réponse se trouve dans une autre question : veut-on attendre la fin du quinquennat pour lancer le RSA ou estime-t-on que le RSA est tout aussi important que la libération du temps de travail, les exonérations des heures supplémentaires, mesures sur lesquelles nous nous sommes engagés ? Dans un tel cas de figure, il faut le mettre en œuvre dès 2009 pour être en mesure de l’évaluer à la fin de la législature.
Compte tenu de ce qu’est aujourd'hui le budget de l’État, trouver les moyens pour le financer dès 2009 impliquait forcément la création d’une contribution nouvelle. Faut-il que cette dernière soit fixe ? Si l’on permet le retour à l’emploi des bénéficiaires de minima sociaux, ce retour ne produira-t-il pas, dans un second temps, des économies dans les budgets sociaux, permettant de réduire la taxe ?
Le montage financier que vous avez choisi est transparent. Le fonds dédié aux solidarités actives permettra de mesurer la montée en charge de cet investissement social qu’est le RSA et d’évaluer les éventuels retours sur investissement.
Pour ce qui est de la question de l’équité du financement, qui a été soulevée notamment à propos du bouclier fiscal, je rappelle, premièrement, qu’un bouclier troué est une passoire.
Si nous voulons rester fidèles à l’esprit de la loi, il faut maintenir le principe intangible, et de bon sens dans le contexte international, selon lequel un contribuable ne peut consacrer plus de la moitié de ses revenus à payer des impositions directes.
Deuxièmement, afin d’éviter toute position dogmatique, il convient de savoir quels contribuables bénéficient du bouclier fiscal.
À cet égard, je tiens à en finir avec une idée reçue : plus des deux tiers des bénéficiaires effectifs du bouclier fiscal ne sont pas redevables de l’ISF ; plus des deux tiers de ces mêmes bénéficiaires disposent d’un revenu mensuel de 1 000 euros. Ainsi, les bénéficiaires de ce bouclier fiscal sont majoritairement des Français modestes.
L’essentiel de cette réforme, qui est engagée pour s’inscrire dans la durée et qui sera évaluée, n’est assurément pas le débat sur le financement du RSA mais bien, à mon sens, le message qui est aujourd’hui diffusé : la valeur travail est défendue non pas seulement pour les actifs et pour ceux qui disposent d’un emploi stable et protégé, mais aussi pour les chômeurs et pour tous ceux qui, aujourd’hui, se situent dans les segments les plus difficiles du marché du travail.
Le seul véritable rempart contre la pauvreté demeure le travail. Pour le renforcer, il fallait une loi pragmatique et de bon sens, c'est-à-dire qui garantisse à toute personne en capacité de travailler qu’elle pourra tirer de son activité un revenu minimum et voir ses ressources augmenter à mesure que les revenus de son travail s’accroissent.
Mes chers collègues, le RSA n’est ni de droite ni de gauche : il est efficace, il est juste. Il s’agit non pas d’un sigle de plus, mais d’un outil de réduction de la pauvreté.
Ce message nous honore. Je tiens à souligner que nos concitoyens y sont très favorables, ceux qui sont au RMI et qui veulent travailler, bien sûr, mais aussi ceux qui travaillent et qui constatent que leurs impôts sont affectés en partie à des sans-emploi en mesure de travailler.
En raison des progrès qu’elle permet, cette réforme mérite la même qualité d’écoute que celle qui avait prévalu il y a vingt ans lors des débats sur le RMI ou il y a dix ans au moment de l’examen de la loi sur les exclusions.
Mes chers collègues, je souhaite que nous partagions la même sérénité et le même esprit d’ouverture : fidèles à ce dernier, les membres de mon groupe voteront le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. « Ce qui rend la pauvreté si dure, ce sont les privations, c’est la promiscuité. » Ainsi s’exprimait Marguerite Yourcenar.
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, vouloir lutter contre la pauvreté n’est pas aisé. Prétendre combattre simultanément l’exclusion constitue un défi louable, presque présomptueux, car ces deux phénomènes, qui parfois s’additionnent, n’appartiennent pas au même registre.
La notion de pauvreté renvoie aux privations qu’elle génère, celles qui sont évoquées par l’académicienne. L’exclusion, quant à elle, confine, dans ses formes les plus graves, à l’inexistence sociale. On peut être pauvre et bien inséré, alors que le risque qui pèse profondément et durablement sur la personne victime de l’exclusion est de sombrer dans l’oubli. Le lien social se trouve menacé, touché : je ne suis rien aux yeux de l’autre, je n’existe plus. Voilà qui est plus grave encore !
Mes chers collègues, la lutte contre les exclusions s’apparente donc au refus de toute forme de mise au ban. C’est en quelque sorte éviter à une personne, à tout prix, d’être considérée – passez-moi l’expression – comme un rebut.
Notre tâche est donc lourde de sens. Il nous appartient d’appréhender cette discussion avec l’humilité et la responsabilité qu’elle réclame. Les enjeux qui sous-tendent ce projet suscitent trop d’espoirs. Il ne vous est pas permis, monsieur le haut-commissaire, de décevoir.
Vous visez tout à la fois l’un des champs de la pauvreté dans ses effets privatifs et l’exclusion dans sa menace de rupture de lien social.
J’eusse préféré, pour ma part, une réforme en profondeur de nos politiques d’insertion tant professionnelle que sociale. En effet, si celles-ci ont besoin d’évoluer, c’est en ce qui concerne aussi bien la pauvreté, sur laquelle le RSA agit à la marge, que l’exclusion.
Or, si le RSA peut se révéler un outil intéressant grâce à son mécanisme incitatif et à ses résultats mobilisateurs, il ne règle aucun problème en profondeur. Il traite les effets et non les causes.
Sauf à considérer ce dispositif comme « hors-sol », les politiques dites « d’activation » font nécessairement système, et les outils mis en place peuvent aussi constituer un substitut à la dérégulation du marché du travail.
Les instruments existants, à savoir l’API et le RMI, vont disparaître au profit de ce nouveau dispositif. Reconnaissons le mérite qui leur revient. L’allocation de parent isolé, créée en 1976, procédait d’abord d’une politique familiale qui entérinait implicitement la monoparentalité. À mi-chemin entre la politique familiale et l’action sociale, elle devait inéluctablement évoluer.
Quant au RMI, n’oublions pas qu’il incarnait le progrès social …
M. Yves Daudigny. … et qu’il a fait naître un immense espoir quand il a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, voilà bientôt vingt ans.
Véritable filet de sécurité, cette allocation n’a pas étouffé l’initiative locale comme d’aucuns l’avaient craint. Au contraire, elle s’est traduite par des innovations et une ingénierie que d’autres pays nous envient.
Si une évolution est donc nécessaire, si l’on fustige parfois la complexité de notre système de protection, reconnaissons que ce dernier s’inscrit dans un processus et dans une histoire sociale qu’il faut prendre soin de ne jamais insulter.
Le RSA se propose de matérialiser – à lui seul ! – cette nécessaire transition. Y parvient-il ? Je répondrai à cette question de trois façons : positivement, tout d'abord, en ce qui concerne le principe même du RSA ; négativement, ensuite, s’agissant des manques de ce dispositif, comme l’absence de politique d’accompagnement, de ses limites, notamment à l’égard des jeunes et de ceux qui subissent le plus l’exclusion, des risques qu’il emporte, en particulier pour l’emploi précaire, de l’inégalité qu’il instaure entre les salariés et de l’injustice qu’il entraîne en matière de financement ; avec prudence, enfin, quant à la responsabilité des conseils généraux : la place et le rôle de ces derniers, qui sont essentiels à la mise en œuvre du RSA, ne font pas débat, mais à quel prix ?
Le premier aspect concerne les deux objectifs, incontestés et incontestables, du dispositif présenté.
D'une part, la reprise d’activité, ou parfois, tout simplement, l’acceptation d’un premier travail, se trouvent valorisées. Honnêtement, il faut reconnaître au mécanisme proposé le mérite de rendre la prise ou la reprise d’une activité plus attrayantes financièrement que le maintien dans l’inactivité. Cette évolution est positive, on ne peut y être hostile, mais préservons la perspective d’un régime de salariat universel que le RSA pourrait remettre en cause.
D’autre part, tous les travailleurs pauvres sont concernés par le dispositif du RSA. Là encore, on ne peut être hostile à une telle mesure.
Un deuxième aspect porte sur les questions non résolues. En ce qui concerne le financement du dispositif, si la prime pour l’emploi se trouve maintenue, on crée une nouvelle taxe à laquelle les plus riches contribuables échapperont grâce au bouclier fiscal mis en place par vos soins ! Le caractère inégalitaire et totalement injuste de cette imposition a été évoqué, démontré, dénoncé, aussi n’y reviendrai-je pas.
Dans un autre ordre d’idées, mais peut-être de façon plus grave encore, le RSA tend à institutionnaliser de manière pérenne un subventionnement public de l’emploi privé.
M. Yves Daudigny. Le mécanisme incitatif de reprise d’activité se heurte à la question des bas salaires. Compléter durablement des salaires d’emplois privés par de l’argent public pose un véritable problème de société. En effet, c’est reconnaître que, si le système économique crée des emplois, les salaires correspondant ne permettent cependant pas à ceux qui les occupent de vivre dans la dignité.
M. Yves Daudigny. Et le risque est grand, sur cette base, d’exacerber les tensions entre, d'une part, les travailleurs qui percevront des bas salaires mais pas le RSA, et d'autre part, ceux qui bénéficieront durablement des aides publiques.
Par ailleurs, le RSA n’améliore pas les conditions de vie des personnes les plus éloignées de l’emploi, voire de celles qui n’ont jamais travaillé.
Le niveau relatif des minima sociaux n’a cessé de décroître depuis une quinzaine d’années. Cette aggravation des inégalités n’est pas acceptable. L’instauration du RSA permettra-t-elle d’enrayer ce phénomène ? La réponse est non !
Je crains même que le RSA, présenté comme moins stigmatisant que les précédents dispositifs, n’induise une classification des pauvres en deux catégories : d'une part, ceux qui méritent d’être aidés pour l’effort qu’ils consentent en reprenant une activité, selon la logique classique du « donnant-donnant », mais dans une version un peu courte sur le plan conceptuel ; d'autre part, tous les autres qui, très éloignés de l’emploi, risquent d’être abandonnés à leur sort et déclassés socialement.
Mme Gélita Hoarau. Tout à fait !
M. Yves Daudigny. On peut, certes, sortir de la pauvreté grâce à des ressources supplémentaires, mais il n’en va pas de même de l’exclusion, en l’absence de formation, d’aides à la garde d’enfants, de soutien au logement et, surtout, d’un accompagnement professionnel et social personnalisé.
Le RSA mise donc essentiellement sur la reprise d’activité, dans un contexte où, malheureusement, le taux de chômage s’inscrit de nouveau à la hausse.
C’est pourquoi, et ce sera le troisième point de ma contribution, l’action attendue des départements face à cette réforme est essentielle. Les présidents de conseil général doivent en être les véritables chefs de file désignés. Ils sont prêts à soutenir la mise en œuvre du dispositif. D'ailleurs, serait-il possible de faire sans eux ?
Mais quel rôle veut-on leur faire jouer ? Ils ne sauraient se substituer à l’État, dont les désengagements financiers récurrents sont manifestes – je ne reviendrai pas sur l’écart qui existe, depuis janvier 2004, entre les ressources transférées et le coût de l’allocation du RMI. Ils ne sont pas davantage prêts à considérer l’intégration de l’actuelle API dans le futur RSA comme une simple extension de leurs attributions : c’est d’un transfert de compétence qu’il s'agit, ni plus ni moins !
Mes chers collègues, il faut défendre le principe que toute allocation individuelle décidée par la loi doit être financée par la solidarité à l'échelle nationale (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), les dépenses liées à l’animation de proximité étant prises en charge par les départements dans le plus pur respect de la décentralisation.
Ce principe, que je veux défendre, éviterait ainsi que des droits individuels ne varient d’une région à l’autre en fonction des moyens des collectivités locales et de l’importance de leurs difficultés sociales. L’exigence que nous devons poser pour le RSA est bien celle d’une compensation intégrale évoluant chaque année en fonction des dépenses réelles engagées par les départements.
Enfin, je l’affirme sans détour : les départements sont prêts à accompagner les personnes les plus éloignées de tout processus de reprise d’activité, mais ne comptez pas sur eux pour jouer les gendarmes ! Or, c’est ce rôle que vous prétendez leur confier, dans la logique contractuelle des engagements réciproques qui conditionnent le dispositif du RSA.
La logique de la loi du 1er août 2008 relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emplois ne peut être simplement reconduite et s’appliquer à l’ensemble des personnes qui, aujourd’hui allocataires du RMI et de l’API, entreront dans le RSA. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Pour conclure, le RSA qui nous est proposé constitue un outil social, avec ses points positifs, certes, mais aussi ses limites. Je ne suis pas convaincu qu’il puisse répondre à toutes les dégradations auxquelles se trouvent confrontées les personnes les plus fragilisées par la grande pauvreté.