compte rendu intégral
Présidence de M. Bernard Accoyer
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures trente.)
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Réunion du Parlement en Congrès
M. le président. Le Parlement est réuni en Congrès, conformément au décret du Président de la République publié au Journal officiel du 18 juillet 2008.
Le bureau du Congrès a constaté que le règlement adopté par le Congrès du 20 décembre 1963 et modifié le 28 juin 1999 est applicable à la présente réunion.
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Projet de loi constitutionnelle de Modernisation des institutions de la ve république
M. le président. L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.
Avant de donner la parole à M. le Premier ministre, j’indique que les délégations de vote pour le scrutin cesseront d’être enregistrées dans trente minutes, soit à seize heures.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, monsieur le président du Sénat, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mesdames et messieurs les parlementaires, je m'adresse à vous avec la conviction intime et déjà ancienne que nos institutions doivent être rénovées. Certes, l'organisation des pouvoirs ne dicte pas les pratiques politiques et les textes ne commandent pas les vertus humaines. Mais ils les inspirent et les guident.
Je crois à la nécessité d'un État agissant et respecté, tel qu'il est garanti par la Ve République. Mais cet objectif n'est pas, n'est plus, à mes yeux, dissociable d'un Parlement fort et influent, parce que l'équilibre des pouvoirs, qui aujourd'hui nous fait défaut, est à la source de l'efficacité politique et de la responsabilité démocratique.
Vous savez mieux que personne comment le temps a altéré l'exercice de vos droits. Vous savez comment l'élection du chef de l'État au suffrage universel, depuis 1962, puis l'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier électoral des législatives ont érodé les traits originels du parlementarisme rationalisé.
Évidemment, nous pouvions nous arranger de cette érosion. Rien n'obligeait le pouvoir exécutif, dans la position commode qui est la sienne, à proposer une révision dont les avancées bénéficieront d'abord au Parlement et aux citoyens. Pour tout dire, le Président de la République aurait pu se satisfaire d'une règle qui a profité à tous ses prédécesseurs. Mais voilà, nous avions pris l'engagement de rénover nos institutions et, aujourd'hui, nous tenons parole.
Pourquoi avons-nous choisi d'agir ? Parce qu'il existe un lien étroit entre la modernisation de la France et la rénovation des institutions. Parce que cette rénovation des pouvoirs aura une incidence positive sur la vie de nos concitoyens et sur leur façon de faire valoir leurs droits et d'exercer leur citoyenneté.
À cet égard, je ne souscris pas au jugement de ceux qui prétendent que la question institutionnelle relève d'un tropisme politique auquel les Français seraient étrangers. Étrangers, le sont-ils au regard de la qualité de la loi ? Le seront-ils vis-à-vis de leur possibilité de saisir le juge constitutionnel ? Le seront-ils vis-à-vis du référendum d'initiative populaire ou du défenseur des droits ?
Entre l'organisation de nos institutions et la vie de la nation, il existe un lien étroit. Pour insuffler dans notre pays une culture de la responsabilité, il faut, au sommet, responsabiliser les pouvoirs eux-mêmes ! Pour dégager des consensus autour des grands défis de notre temps, il faut pouvoir les bâtir ici ! Pour reformer et optimiser les politiques publiques, il faut renforcer les prérogatives de ceux qui sont précisément chargés de les voter et de les contrôler ! Pour revivifier la République, pour orchestrer sa pluralité et réaffirmer sa laïcité, il faut rehausser la voix de la représentation nationale !
Mesdames et messieurs les parlementaires, si vous n'incarnez pas la souveraineté nationale, qui l'incarnera à votre place ? Si vous n'équilibrez pas et n'éclairez pas le pouvoir exécutif, qui le fera ? Les sondages, la rue, les experts ?
La faiblesse du Parlement fait la force des slogans et des démagogues. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Est-il normal, est-il sain, que le cœur de notre démocratie ne batte pas davantage ici ? Je ne le crois pas.
Voilà pourquoi le Président de la République et le Gouvernement vous proposent de réviser nos institutions.
Évidemment, réunir les trois cinquièmes du Congrès est un défi, et la majorité ne dispose pas des moyens de le relever à elle seule.
M. Jean-Pierre Brard. Non !
M. le Premier ministre. La prudence aurait sans doute milité en faveur de l'esquive. Les voix n'ont d'ailleurs pas manqué pour conseiller au Président de la République comme à moi-même de temporiser, voire de renoncer. Mais ce défi, je le relève avec vous, dans l'espoir de voir le sens du mouvement et de l'intérêt général prendre le pas sur la frilosité et les logiques d'appareil.
Notre Constitution n'est ni de droite, ni de gauche, elle est notre loi fondamentale (Applaudissements sur de nombreux bancs), celle qui régit, par-delà les partis et les alternances, le fonctionnement de notre démocratie.
Aujourd'hui, vous êtes invités à décider pour la République et, pour cela, j'en appelle à un esprit de responsabilité et de cohésion nationale. Responsabilité parce que chaque voix comptera. Responsabilité, parce que votre vote dessinera le visage de notre démocratie pour plusieurs décennies, et ce visage n'est pas dissociable de celui de la France. Responsabilité, parce que si notre Constitution a connu vingt-quatre adaptations, les révisions importantes sont des procédures rares.
Il y eut celle de 1962 qui instaura l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Il y eut, en 1974, la saisine du Conseil constitutionnel par les députés et les sénateurs. Il y eut l'établissement du quinquennat en 2000. S'y ajoute – si vous en décidez ainsi ! – cette réforme qui est l'une des plus amples depuis 1958.
Certes, les projets et les tentatives pour moderniser nos institutions n’ont pas manqué, mais ils se brisèrent sur le mur des habitudes et des divisions. En 1973, Georges Pompidou échoua à instaurer le quinquennat, qui nous aurait pourtant permis d'éviter le cycle délétère des cohabitations à répétition. Vingt ans plus tard, François Mitterrand, après avoir sollicité l'avis du doyen Vedel, ne put aller au bout de sa tardive démarche.
Au regard de ces précédents, j'invite ceux qui hésitent à ne pas gâcher cette occasion et j'invite ceux qui sont hostiles à ce projet, au nom d'un hypothétique autre projet, à ne pas sous-estimer le rendez-vous d'aujourd'hui et à ne pas surestimer celui qu'il projette pour demain. Ne lâchez pas la proie pour l'ombre ! En quatorze années de pouvoir, l'auteur du Coup d'État permanent ne crut finalement ni opportun ni possible de passer aux actes. L'un de mes prédécesseurs, Lionel Jospin, a parfaitement résumé l'équation en constatant : « On a plus tendance à vouloir réformer les institutions quand les autres les font vivre que lorsqu'on est soi-même au pouvoir. »
À l’évidence, il est plus commode de disserter sur nos institutions que d'agir. Il est plus facile de promettre que d'accomplir. Aujourd'hui, nous voulons démentir cette impuissance. Notre rendez-vous est donc exceptionnel et nul ne doit en relativiser les conséquences.
Ceux qui voteront pour cette réforme le feront pour l'histoire. Ceux qui s'y opposeront le feront aussi pour l'histoire. Et l'histoire, qui va toujours à l'essentiel, ne retiendra qu'une chose : soit ce 21 juillet marquera un renforcement des pouvoirs du Parlement et des citoyens, soit cette date consacrera le statu quo et cela pour longtemps ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
Soit le renouveau, soit le statu quo : voilà l'alternative et tout le reste n'est que littérature.
Le choix du statu quo n'est pas indigne. Il ne l'est pas s'il est clairement assumé. Il ne l'est pas si l'on estime de bonne foi que notre Constitution ne mérite aucune retouche.
Mais le statu quo est coupable dès lors qu'il s'appuie sur des supposées prétentions réformistes. On ne peut pas regretter le déséquilibre institutionnel actuel et voter « non » à une réforme qui tend à le corriger.
M. Guy Teissier. Très bien !
M. le Premier ministre. On ne peut pas, d'un côté, dénoncer la prétendue « hyperprésidence » et, de l'autre côté, repousser cette réforme qui tempère les pouvoirs de l'exécutif en renforçant ceux du législatif ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.) On ne peut pas, tout à la fois, rejeter cette réforme au prétexte qu'elle ne va pas assez loin et faire mine de regretter le sur-place. En la matière, la surenchère n'est rien d'autre que le paravent de l'immobilisme !
Pour être adoptée, cette réforme a besoin de réunir une majorité d'hommes et de femmes qui, l'espace d'un instant, se rassemblent autour d'un projet dont le succès pourra être revendiqué par chacun et dont la réalisation sera l'œuvre de tous, dans le seul intérêt de la nation.
Sommes-nous capables de nous libérer des logiques de l'affrontement pour aller ensemble de l'avant ? Sommes-nous capables de ce sursaut commun ou sommes-nous condamnés à rejouer la sempiternelle guerre de tranchées ?
Par le passé, nous avons déjà fait la démonstration de notre capacité à avancer d'un même pas. Ce fut le cas, en 2007, pour l'inscription dans la Constitution de l’interdiction de la peine de mort. Pour le mandat d'arrêt européen, en 2003. Pour le quinquennat, en 2000. Pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Pour la Cour pénale internationale, en 1999. Pour la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et la création de la Cour de justice de la République, en juillet 1993.
A contrario, d'autres exemples invitent à ne pas se tromper de combat. En 1958 et 1962, plusieurs partis appelèrent au rejet de la Ve République, puis à l'une de ses clés de voûte, c'est-à-dire l'élection du Président au suffrage universel. En 1974, la gauche d'alors se levait comme un seul homme pour combattre la saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs. Cette clause, qui constitue désormais l'une des garanties les plus fortes de notre démocratie, qui, parmi vous, la regrette ? Et en 1995, le parti socialiste s'opposait à la loi constitutionnelle du 4 août qui prévoyait, notamment, l'élargissement du champ du référendum aux questions économiques et sociales. Qui aujourd'hui s'y opposerait ?
C'est ainsi : les divisions d'un jour font souvent les consensus du lendemain. Alors, mesdames et messieurs les parlementaires, tentons, ici même, d'avoir raison maintenant et ensemble !
Depuis le discours prononcé à Épinal par le Président de la République, le 12 juillet 2007, nous nous efforçons de bâtir autour de la question institutionnelle un consensus,
L'ancien Premier ministre, Édouard Balladur, auquel je tiens à rendre hommage, a tenu dans cette démarche un rôle décisif. Son comité était composé d'experts et de personnalités aux sensibilités variées, adverses même. Nous nous sommes largement inspirés de ses recommandations.
À la demande du Président de la République, j'ai reçu tous les responsables politiques. Tous m'ont dit leur souci de voir le rôle du Parlement revalorisé. Tout au long des débats, le Gouvernement, par la voix de Rachida Dati et de Roger Karoutchi, s'est, par ailleurs, montré ouvert à la discussion et aux amendements.
M. Jean-Pierre Brard. Comme une huître !
M. le Premier ministre. Ce sont 271 amendements qui ont été adoptés, près d'une cinquantaine émanant de l'opposition, dont celui sur le référendum d'initiative populaire, celui sur les commissions d'enquête et celui sur la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne en cas de non-respect du principe de subsidiarité.
La cohérence voudrait que cet esprit constructif se manifeste jusqu'au bout, car on ne peut pas, d'une main, enrichir le contenu d'un texte et, de l'autre, voter contre sa mise en œuvre.
Jusqu'à ces derniers jours, le Président de la République lui-même s'est montré à l'écoute des craintes éventuelles et ouvert à des évolutions. C'est notamment le cas sur le temps de parole du Président de la République.
Sur ce sujet, j'invite l'opposition à la réflexion. Le chef de l'État n'est pas un responsable politique tout à fait comme les autres. Au cours des septennats de François Mitterrand, nul d'entre nous n'a jamais dénoncé ce statut singulier qui s'attache à la fonction présidentielle. Le CSA, qui est saisi de cette question du temps de parole, formulera ses propositions. Et Nicolas Sarkozy a pris l'engagement que des garanties seraient apportées pour que l'opposition puisse répondre chaque fois qu'il s'exprimera sur des sujets qui relèvent de la politique française.
Le sens du compromis n'a cessé de guider notre démarche. Nous en avons collectivement fait preuve au cours de nos débats, ce dont je veux remercier la majorité, et vos deux rapporteurs, Jean-Luc Warsmann et Jean-Jacques Hyest.
Ce fut notamment le cas pour la rédaction de l'article 88-5 qui prévoyait un référendum automatique pour les nouvelles adhésions à l'Union européenne, au-delà d'un certain seuil de population. Pour les uns, cette clause était vexatoire vis-à-vis de certains grands États qui aspirent à rejoindre l'Union, la Turquie au premier chef. Pour d'autres, elle était une remise en cause du pouvoir d'appréciation du Président de la République, qui doit pouvoir choisir entre la voie du Congrès et celle du référendum. Pour d'autres encore, le référendum automatique n'était pas négociable.
Nous avons trouvé ensemble un accord qui respecte les convictions de chacun. Pour tout élargissement, la voie du référendum restera la règle, sauf exception dont vous serez les seuls initiateurs. L'Assemblée nationale et le Sénat pourront ainsi proposer au Président, chacune à la majorité des trois cinquièmes, de ratifier un traité d'élargissement par un vote au Congrès.
Sur d'autres sujets, le compromis était, à l'évidence, aujourd'hui impossible : c'est le cas sur les modes de scrutin ou sur le vote des étrangers.
Chercher et vouloir le compromis : la tâche, j'en conviens, n'est pas simple. Sur la question institutionnelle, chacun d'entre nous à ses opinions, ses préférences, ses priorités. Mais voilà, il n'y a qu'une Constitution et celle-ci ne peut être la somme de toutes nos exigences. Personne ne peut nous reprocher de ne pas avoir cherché à rassembler ! Et nul ne peut suspecter la réalité et la densité du compromis que nous avons bâti !
Et ce compromis, mesdames et messieurs, il repose sur un choix clair : celui de nous inscrire dans la Ve République.
Le Directoire, le Consulat, l’Empire, la Restauration... Depuis 1789, quinze régimes se sont succédé dans une démonstration presque permanente de fébrilité politique. La Ve République a rompu avec cette détestable tradition française. Elle a confirmé la prescience du général de Gaulle, qui faisait de notre stabilité politique le cadre du développement économique et social de notre pays. Il s’agit là d’un héritage inestimable. Dans ce XXIe siècle qui s’annonce difficile, traversé par des défis considérables, la France a besoin d’être dirigée et non ballottée au gré des humeurs du jour.
La logique de la stabilité et de l’efficacité est excellente. Elle est actuelle. Nous ne renonçons à aucun des principes qui la conditionnent.
Ce projet ne modifie pas les articles 5, 20 et 21 de notre Constitution. Il respecte la définition d’un domaine de la loi, la possibilité d’avoir recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l’encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement et, naturellement, le droit de dissolution en cas de grave blocage. Pour tout dire, le pouvoir exécutif conserve le pouvoir d’agir !
Nous restons dans la Ve République, mais nous la rénovons. Et cette rénovation renforce sa pérennité plus qu’elle ne la menace. Car la menace – si menace il devait y avoir –, elle est dans le déséquilibre actuel des pouvoirs et le déficit démocratique qu’il induit, elle n’est pas dans ce projet.
Mesdames et messieurs les parlementaires, nous sommes nombreux ici à afficher pour le général de Gaulle une admiration et une estime immenses.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très juste !
M. le Premier ministre. Ces sentiments nous portent à la fidélité mais aussi au mouvement. Au mouvement parce que la Constitution de 1958 n’est pas un texte intouchable. Le Général lui-même y apporta des retouches à trois reprises. Quant à son initiative de 1969, elle n’aurait eu d’autre conséquence que de mettre un terme au bicaméralisme. Ceci pour dire que la question institutionnelle ne fut et n’a jamais été figée !
Du reste, à quel texte songent ceux qui suggèrent de sanctuariser notre Constitution ? À celui de 1958, à celui de 1962, à celui de 2000 ? Un texte a été promulgué il y a un demi-siècle. Mais, en réalité, nous le savons bien, nous en pratiquons un autre aujourd’hui.
Je l’ai indiqué, la force de la légitimité politique du Président, issue du suffrage universel, et l’« effet de souffle » induit par l’inversion du calendrier électoral, ont privé le Parlement d’une partie des pouvoirs dont il était doté et, ce faisant, ont asséché l’une des sources de notre démocratie. C’est cette lacune que nous vous proposons de corriger.
Les quarante-sept articles modifiés ou créés par ce projet de révision constitutionnelle vont tous dans le même sens : plus de pouvoirs au Parlement et plus de droits pour les citoyens. Je défie quiconque de trouver dans un seul de ces articles un recul pour les libertés ! Tous convergent pour élargir les champs de notre démocratie et mieux équilibrer les pouvoirs.
Après plusieurs semaines de débat, l’heure du choix approche, et chacun, en conscience, va devoir répondre à des questions simples.
Souhaitez-vous la maîtrise de la moitié de l’ordre du jour de vos assemblées ? Voulez-vous augmenter le nombre de vos commissions permanentes ? (« Oui ! » sur quelques bancs.)
Jugez-vous utile d’autoriser la prolongation des interventions militaires au-delà de quatre mois ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs.)
Voulez-vous débattre en séance publique sur la base du texte issu de vos commissions ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs.)
M. Jean-Pierre Brard. Amen !
M. le Premier ministre. Estimez-vous raisonnable d’encadrer l’usage du 49-3 ? (« Oui ! »)
M. Jean-Pierre Brard. Amen !
M. le Premier ministre. Voulez-vous être associés au pouvoir de nomination de l’exécutif ? (« Oui ! »)
Souhaitez-vous disposer de la possibilité d’adopter des résolutions ? (« Oui ! »)
M. Jean-Pierre Brard. Ce ne sont pas les vêpres, monsieur le Premier ministre !
M. le Premier ministre. Voulez-vous activement contribuer à la qualité de la loi à travers les études d’impact, des délais minima d’examen et l’encadrement de la procédure d’urgence ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs. – « Non ! » sur quelques bancs.)
Voulez-vous affirmer vos fonctions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs. – Quelques applaudissements. – Quelques exclamations.)
Voulez-vous élargir les droits de l’opposition en lui ouvrant une part de l’ordre du jour et en vous saisissant des propositions concrètes du président Accoyer ? (« Oui ! » et applaudissements sur de nombreux bancs. – « Olé ! » sur de nombreux autres bancs.)
M. Benoist Apparu. On hésite ! (Sourires.)
M. le Premier ministre. J’arrête ici la liste des dispositions nouvelles qui donneront au Parlement un véritable poids démocratique. Mais, mesdames et messieurs les parlementaires, la réforme ne s’arrête pas aux portes du Parlement ! Nos concitoyens, eux aussi, sont invités à se saisir de nouveaux droits.
Êtes-vous favorables à la faculté qui sera donnée aux Français de saisir le juge constitutionnel, comme cela existe dans toutes les démocraties modernes ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs.)
Voulez-vous le référendum d’initiative populaire ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs.)
Êtes-vous pour l’institution d’un défenseur des droits ? (« Oui ! »)
Souhaitez-vous permettre aux justiciables de saisir le Conseil supérieur de la magistrature ? (« Oui ! »)
Voulez-vous renforcer le droit à la parité dans le champ professionnel et social ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs. – Exclamations sur plusieurs autres bancs.)
Certains parmi vous n’estiment-ils pas qu’il est juste d’offrir à nos langues régionales une plus large reconnaissance ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs.)
Voulez-vous affirmer les principes de liberté et d’indépendance des médias ? (Rires puis huées sur de nombreux bancs. – Applaudissements sur de nombreux autres bancs.) Voulez-vous conforter celui du pluralisme ? (Mêmes mouvements.)
Voilà, mesdames et messieurs les parlementaires, les questions qu’il vous faut trancher. Personne ne peut nier qu’il y a, derrière chacune d’entre elles, des avancées considérables pour notre démocratie.
M. Jean-Pierre Brard. C’est une parodie de Premier ministre !
M. le Premier ministre. L’opposition fait mine de ne pas voir ces avancées, et va même jusqu’à jurer que cette réforme est destinée à amplifier les pouvoirs du Président de la République. (« Oui ! » sur de nombreux bancs.) Cela n’est pas sérieux et, d’ailleurs, mesdames et messieurs les parlementaires de l’opposition, les Français ne s’y trompent pas ! (Exclamations sur plusieurs bancs.)
Le combat politique n’exige pas de tronquer les faits. On ne peut accuser le Président de la République de vouloir le contraire de ce qu’il propose ! (« Si ! » sur quelques bancs.) Il vous propose, par ce projet, de limiter à deux le nombre de ses mandats.
M. Jean-Pierre Brard. Ici, un seul suffit !
M. le Premier ministre. De limiter ses prérogatives en matière de nomination. Il suggère des garanties nouvelles en cas de mise en œuvre de l’article 16. Une limitation du droit de grâce. Il propose de ne plus présider le Conseil supérieur de la magistrature.
Quant au droit de message devant le Parlement,…
M. Jean-Pierre Brard. Le discours du trône !
M. le Premier ministre. …qui peut sérieusement l’assimiler à je ne sais quel « coup de force » ?
M. Jean-Pierre Brard. C’est le 18-Brumaire !
M. le Premier ministre. Ce droit de message est encadré, ainsi que vous l’avez voulu par vos amendements. Il interviendra dans le cadre de moments solennels et sera réservé au Parlement réuni en Congrès. Il se substituera à une règle de 1873, dont le caractère désuet n’échappe à personne.
M. Jean-Pierre Brard. C’est Napoléon !
M. le Premier ministre. Il contribuera à hausser le prestige du Parlement plutôt que celui des plateaux de télévision. (Applaudissements sur de nombreux bancs. – Rires et exclamations sur de nombreux autres bancs.) Laurent Fabius s’était d’ailleurs montré favorable à cette procédure dès lors qu’elle était ordonnée, ce qui est le cas ici.
Le 22 mai dernier, dans une tribune libre et courageuse (« Ah ! sur quelques bancs), dix-sept députés socialistes écrivaient : « Rien dans cette réforme ne donne des pouvoirs nouveaux au Président de la République, si ce n’est la possibilité toute symbolique de se rendre devant le Congrès. » Voilà la réalité ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
Alors, peut-on, pour une fois, pour une journée, échapper à la thèse du « coup d’État permanent » ? Peut-on espérer que les enjeux de ce Congrès ne soient pas occultés par ceux d’un autre congrès ? (Applaudissements sur de nombreux bancs. – « Le congrès du MEDEF ? » sur quelques bancs.) Peut-on, tout simplement, être cohérent et constructif ?
En 1981, François Mitterrand proposait de limiter le nombre de mandats présidentiels. En 1988, François Mitterrand proposait le référendum d’initiative populaire. En novembre 1992, il marquait son intention de limiter l’application de l’article 49-3, d’élargir le nombre des commissions permanentes, de permettre aux citoyens de saisir le Conseil constitutionnel. En 1996, le parti socialiste suggérait la création d’un défenseur des droits. En 1997, enfin, Lionel Jospin proposait d’instaurer un statut pour l’opposition.
La cohérence porte à être constructif, et l’intransigeance porte à l’impuissance. Ceux qui prétendent que ce texte n’est pas parfait en tous points se réfugient, en réalité, sur des sommets qui les condamnent à l’inaction. Quant à ceux qui affirment qu’il ne va pas assez loin, ils n’avaient qu’à agir lorsqu’ils en avaient l’opportunité ! (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
Mesdames et messieurs les parlementaires, cette réforme sera à la source d’une profonde mutation politique. Vous aurez plus de droits ; mais qui dit plus de droits dit aussi plus de devoirs. Si le fonctionnement de l’exécutif devra changer pour être davantage à votre écoute, votre fonctionnement s’en trouvera, lui aussi, modifié.
Dans le partage de l’ordre du jour, dans l’élaboration et l’évaluation de la loi, dans la gestion de l’État, dans les nominations, dans la mise en œuvre de la politique étrangère et de défense, le Gouvernement devra vous rendre davantage de comptes, et vous devrez, a fortiori, en rendre davantage à nos concitoyens. Le regard qu’ils porteront sur vous sera sans doute plus exigeant. Celui que vous porterez sur le Gouvernement le sera aussi, et c’est ainsi que la responsabilité, l’efficacité et la confiance seront confortées. Ainsi, par là même, c’est la République qui se grandira.
Mesdames et messieurs les parlementaires, ce projet est entre vos mains. Chacun, en conscience, va se prononcer. À ceux de mes amis qui craignent les évolutions proposées, je demande : « Êtes-vous sûrs que la situation actuelle soit tellement favorable au fonctionnement de notre démocratie qu’il n’y faille rien changer ? » Et à ceux qui, à gauche, rêvent d’une autre réforme, je demande : « Êtes-vous sûrs de vouloir refuser un progrès au nom d’un autre projet, pour l’heure improbable ? »
Tous les votes seront respectables. Cependant, ceux qui diront « non » aux droits nouveaux accordés au Parlement et aux citoyens devront s’en expliquer devant les Français. Ceux qui le feront au nom du statu quo devront expliquer pourquoi ils ont si peu confiance en l’élargissement de notre démocratie. Et ceux qui le feront au nom du changement devront expliquer pourquoi ils n’ont pas saisi l’opportunité de tendre vers leur idéal. Les yeux dans les yeux, ils devront expliquer aux Français les raisons pour lesquelles ils leur ont refusé des droits nouveaux. (Exclamations sur plusieurs bancs.)
Mme Martine Billard. Facile !
M. le Premier ministre. Mesdames et messieurs les parlementaires, les assemblées qui furent saisies d’une révision constitutionnelle aussi large et aussi profonde sont rares. Vous faites partie de celles-là. Votre choix dessinera le visage de notre démocratie. Il enrichira les contours de notre loi fondamentale, elle qui protège nos libertés, arbitre nos différences et rassemble la nation.
La France a la force de croire que ce qui la concerne, concerne tous les peuples. Et au cœur de cette vocation universelle, il y a notre démocratie et notre République. Eh bien, vous allez décider pour la démocratie et vous allez décider pour la République ! (De très nombreux parlementaires se lèvent et applaudissent longuement M. le Premier ministre.)
Explications de vote
M. le président. Je vais maintenant donner la parole aux orateurs inscrits pour les explications de vote au nom des groupes de chacune des assemblées.
Je rappelle que chaque orateur dispose de dix minutes.
Le premier orateur inscrit, dont le nom a été tiré au sort, est M. Bernard Frimat, pour le groupe socialiste du Sénat.