M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, M. Sueur nous a tout à l'heure présenté l’antithèse, vous allez maintenant entendre la thèse !
Madame le ministre, pour examiner en deuxième lecture ce projet de loi relatif aux contrats de partenariat, nous avons interrompu la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie. J’y vois tout un symbole de la volonté de nous insérer dans une réelle modernisation de notre compétitivité grâce à un fonctionnement plus productif de nos institutions.
Je ne peux ignorer qu’hier soir, à l’Assemblée nationale, est intervenu un vote d’une importance majeure sur le projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Contrairement à ce qui était annoncé, la bataille des 35 heures n’a pas eu lieu, chacun ayant bien compris que la France a besoin de se repositionner dans la compétition internationale.
Modernisation de l’économie, simplification des règles du temps de travail, partenariat public-privé : nous avons là des outils modernes qui se mettent en place.
Comme je l’ai déjà dit maintes fois à cette tribune et à celle de l’Assemblée nationale, nous avons tout mis en œuvre en France, depuis des décennies, pour entraver notre développement économique.
Au fil du temps, nous avons fermé, une à une, les portes de la compétitivité. Nous sommes devenus les champions de la complexité administrative. Il n’est pas un chef d’entreprise, il n’est pas un élu qui ne se plaigne de l’empilement des textes, des règles, des normes et des contraintes.
Nous courons depuis quelques années après la simplification administrative, et le Gouvernement a décidé de s’y attaquer avec force au travers de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Souvenez-vous que, lors de la mise en place de feu les 35 heures, le lexique explicatif résumé à l’intention des directeurs des ressources humaines comptait plus de 900 pages et que personne n’était certain d’appliquer le dispositif en toute sécurité.
Le comble de notre système hypercontraint est que nous nous sommes condamnés, à force de protections, à acheter trop souvent plus cher et à allonger les délais. Est-ce là la mission qui nous a été confiée par nos concitoyens ?
À maintes reprises, j’ai eu l’occasion d’établir des comparaisons entre deux opérations similaires menées l’une par les collectivités publiques, l’autre par le privé. Il n’est pas rare de constater des écarts de prix de 10 %, de 15 %, voire de 20 %, et des différences de délais de réalisation de deux ou trois ans.
M. Laurent Béteille, rapporteur. Tout à fait !
M. Éric Doligé. Je voudrais prendre deux exemples simples à cet égard.
Madame le ministre, il y a un mois environ, vous êtes venue dans le Loiret, avec le Président de la République, visiter une entreprise à la pointe des nouvelles technologies dans le domaine des économies d’énergie. En moins d’un an, cette entreprise a su construire son nouveau siège, bâtiment à énergie positive d’une technologie unique en Europe, respectant totalement les normes de haute qualité environnementale, pour un coût de revient de 1 345 euros hors taxes par mètre carré.
Jamais une collectivité publique, empêtrée dans ses contraintes du quotidien, n’aurait pu trouver le moyen de mettre en œuvre un tel projet innovant. Je puis affirmer qu’il lui aurait fallu au moins trois ans – en étant optimiste – pour réaliser un projet moins performant, qui aurait coûté au moins deux fois plus cher. C’est pour moi un constat d’échec, mais certains souhaiteraient, par conservatisme ou par archaïsme, que cela continue !
Autre exemple : une société américaine importante, mondialement connue, a eu besoin, pour se positionner sur le marché de l’e-commerce, de réaliser en quatorze mois – y compris l’instruction du permis de construire – un bâtiment de 28 000 mètres carrés équipé des outils les plus modernes de gestion et de manutention, le tout sur un terrain non aménagé. Le pari a été tenu ! Par curiosité, j’ai suivi ce dossier de A à Z : là encore, les procédures administratives nous auraient à peine permis de démarrer les travaux à l’époque où l’entreprise était déjà en exploitation, et le citoyen aurait eu à payer plusieurs millions d’euros supplémentaires.
Lorsque nous vivons cela, nous ne pouvons qu’être frustrés. Heureusement, tout espoir ne nous est pas interdit.
Lancés il y a quatre ans, les PPP ont offert une petite ouverture, sans rencontrer le succès qu’ils auraient normalement dû connaître, c’est-à-dire représenter environ 10 % du total des marchés publics. Cette formule, bien utilisée outre-Manche, devrait heureusement connaître un nouvel essor chez nous, car les modifications apportées par ce projet de loi devraient lever certains obstacles.
Jusqu’à présent, pour lancer un PPP, il fallait prouver l’urgence ou la complexité du projet. Or ces notions, surtout la première, sont empreintes de subjectivité. J’en veux pour preuve que lorsqu’un projet de loi est présenté en urgence au Parlement, les parlementaires qui soutiennent le Gouvernement confirment l’urgence, alors que l’opposition ne la ressent pas. C’est l’affaire du verre à moitié vide et du verre à moitié plein ! Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans cette insécurité juridique.
L’outil doit donc être simplifié et sécurisé, pour prendre la place qui doit être la sienne. Comme l’a dit avec beaucoup de justesse le rapporteur Laurent Béteille, depuis sa création en France en 2004, ce mode opérationnel a été finalement peu utilisé. Il était nécessaire de réviser les conditions de sa mise en œuvre pour le rendre plus accessible.
Deux nouveautés introduites au travers de ce projet de loi sont capitales.
D’une part, le recours au PPP ne se justifiera que si son intérêt économique et financier est démontré. Tout à l’heure, notre collègue Jean-Pierre Sueur a dit que cela était indémontrable. Si l’urgence est difficilement démontrable, l’intérêt économique, lui, l’est facilement, par l’établissement de comparaisons !
D’autre part, le recours au PPP sera également accepté à titre exceptionnel dans certains secteurs prioritaires.
Mes chers collègues, il faut dépasser l’idéologie ! Dans un monde ultra-concurrentiel, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont insupportables, dans le cadre de budgets de plus en plus difficiles, a-t-on le droit de dépenser l’argent des citoyens sans compter ? Est-il normal que la règle soit de payer 20 millions d’euros ce qui en vaut 15, uniquement par confort administratif ou idéologique ?
Dans mon département, j’ai lancé en même temps la construction de deux collèges de capacité identique. Mon collègue Daniel Dubois a d’ailleurs fait tout à l’heure allusion à un petit incident qui est en train de se régler, du moins je l’espère.
L’un de ces collèges a été construit selon la procédure du PPP. Il va coûter à la collectivité 21,3 millions d’euros sur dix ans, tout compris : construction, maintenance, financement, consommation d’énergie, gros entretien.
L’autre a été construit pour le même prix, mais hors maintenance, financement, consommation d’énergie, entretien. L’écart de coût est de 25 % sur la durée en faveur du collège construit en PPP, et le délai de réalisation de ce dernier a été inférieur de deux ans. Il suffit donc d’établir les comparaisons !
L’un de nos collègues, très opposé à ce système, sous prétexte d’un risque de généralisation, utilise de faux arguments. Bien sûr, comme il le dit, les contrats de partenariat ne sont pas la panacée ! Cela étant, il est faux de prétendre qu’ils vont se banaliser et se généraliser. L’objectif, ambitieux, est que les PPP représentent à terme 10 % des investissements publics. Peut-on parler de généralisation ? À ce niveau, le PPP relève encore de l’exception !
Le risque d’inégalité devant la commande publique est également un faux argument, tout comme la pénalisation des PME et l’impossibilité, pour les artisans, d’accéder à la commande publique à cause des PPP.
Ainsi, le conseil général du Loiret a pour la première et pour l’instant unique fois en France réalisé un collège au moyen d’un PPP. S’il l’avait construit en passant un marché d’entreprise générale de travaux, les PME et artisans auraient été dans l’impossibilité de répondre aux appels d’offres, alors que, dans le cadre du PPP, le département a pu imposer dans le cahier des charges la participation des PME à hauteur d’au moins 50 %, condition qui a été respectée.
Je sais, par ailleurs, que des PME du bâtiment, très intéressées, se regroupent afin de pouvoir constituer des dossiers de candidature à des PPP. J’ai entendu affirmer tout à l’heure qu’un certain nombre de syndicats professionnels sont opposés aux PPP : c’est le cas d’un seul, mais je peux vous dire que la Fédération française du bâtiment, syndicat national du secteur du bâtiment – vous avez assisté en même temps que moi à son assemblée générale, monsieur Sueur –, a déclaré publiquement, sous les applaudissements de l’ensemble des artisans et architectes présents, qu’il était totalement favorable aux PPP. Mme Rozier peut également en témoigner. (Mme Janine Rozier approuve.) J’observe d’ailleurs que les trois sénateurs du Loiret sont actuellement présents en séance, ce qui prouve leur intérêt pour cette question !
Cessons en outre d’invoquer les majors pour faire croire que le système sera exclusif ! Ces majors sont d’ailleurs une fierté pour la France !
Les opposants au PPP avancent souvent que la collectivité va devoir verser pendant trente ou quarante ans à une major des loyers dont l’importance est difficile à apprécier sur la durée. Or nombreux sont les dossiers qui ont porté sur des durées plus courtes : dix ans suffisent très souvent pour réaliser une opération en PPP. À une telle échéance, on maîtrise fort bien la dépense. Il est vrai qu’il faut savoir négocier…
Je crois avoir entendu dire – mais cela est certainement faux – que la réalisation d’un grand stade dans le nord de la France vient d’être attribuée dans de mauvaises conditions, dans le cadre d’un PPP, en choisissant le candidat le plus cher, avec un surcoût de trois millions d’euros par an sur une longue période. Effectivement, un PPP négocié dans de telles conditions n’est pas intéressant ! Si cette information devait être confirmée, elle prouverait que le PPP n’est pas la panacée.
Pour conclure, madame le ministre, je crois au PPP ! Les citoyens nous ont élus pour bien gérer les finances qu’ils nous confient ; ils ne nous ont pas demandé de payer 25 % plus cher et de perdre des années pour répondre à leurs attentes. Le PPP peut devenir un très bon outil si on lui confère un peu de souplesse, comme on tente de le faire au travers de ce projet de loi.
Madame le ministre, vous ne serez pas surprise d’apprendre que je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, à mon tour, remercier plus particulièrement les rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable sur ce projet de loi.
M. Béteille, rapporteur au fond, a contribué de façon décisive à l’amélioration et à l’enrichissement du projet de loi, avec une sérénité et un calme absolument imperturbables. M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, Charles Guené, et M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Michel Houel, grâce à leur grande compétence dans leurs domaines respectifs, ont su l’un et l’autre traiter des questions techniques.
J’ai noté que M. Sueur, s’il ne se montre pas opposé à la technique même du contrat de partenariat, développe à son endroit une certaine méfiance et souhaite en limiter l’utilisation. J’espère que nous réussirons, durant l’examen des articles, à le convaincre de la justesse de nos propositions et des errements où le conduit cette méfiance !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sera difficile ! (Sourires.)
Mme Christine Lagarde, ministre. M. le sénateur Billout nous a fait part de ses nettes réserves, mais je relève que les PPP, depuis l’époque où ils déchaînaient parfois les passions hostiles, ont fait du chemin.
Pour autant, je suis la première à le reconnaître, le recours aux PPP ne doit pas être la règle : comme l’a rappelé clairement M. le sénateur Dubois, les PPP ne doivent être utilisés qu’en complément des outils classiques de la commande publique – et non en substitution –, lorsque l’évaluation préalable – assimilable à une paire de lunettes contre la « myopie » en matière de PPP – nous démontre la nécessité d’y recourir.
Certains d’entre vous ont posé des questions techniques, et je voudrais y répondre rapidement, ce qui me permettra peut-être de raccourcir certaines de mes interventions lors de la discussion des articles.
Monsieur Guené, vous souhaiteriez qu’une précision soit apportée sur le seuil en deçà duquel un bail emphytéotique administratif sera éligible au Fonds de compensation pour la TVA. Vous souhaitez en particulier que la construction d’un collège en BEA puisse être éligible au FCTVA, ce qui peut, dans certains cas, représenter un montant avoisinant le seuil que j’avais évoqué dans mon propos introductif. Naturellement, vous vous inquiétez du renvoi de la fixation de ce seuil à un décret dont la date de parution est hypothétique. Je vais essayer de vous apporter quelques éclaircissements.
En ce qui concerne le niveau du seuil, nous avions d’abord envisagé de retenir le montant de 5 millions d’euros. Après examen attentif de vos arguments, je vous confirme que nous pensons actuellement à un seuil de 10 millions d’euros, qui nous paraît correspondre aux cas pratiques que vous avez évoqués.
Par ailleurs, je vous indique que le décret sera publié dès la rentrée, afin qu’il puisse être opposable nonobstant toute discussion lors de l’élaboration de la loi de finances. Je serai très attentive, comme pour tous les projets de loi qui relèvent de ma responsabilité, à ce que nous publiions très rapidement l’ensemble des textes d’application.
Monsieur Guené, vous êtes également attaché à ce que l’effort pour établir la neutralité fiscale entre tous les types de contrats de la commande publique aboutisse complètement. Vous signalez à juste titre l’existence des taxes locales d’équipement autres que les taxes pour dépassement du plafond légal de densité ou les redevances pour la construction de bureaux en Île-de-France.
Le Gouvernement, vous le savez, cherche à atteindre l’objectif de neutralité fiscale, en tout cas d’élimination des « frottements » fiscaux, liés au mode de dévolution des contrats publics, et de suppression des distorsions fiscales éventuelles entre les différents modes de passation des contrats : contrats de partenariat ou opérations menées sous maîtrise d’ouvrage publique classique.
En effet, le choix de la personne publique doit être déterminé par les mérites intrinsèques du mode de passation, et non par des considérations uniquement fiscales, ce qui conduit généralement à une mauvaise décision.
Si la finalité est identique, le mode opératoire pour assurer cette neutralité fiscale varie selon que l’exonération des taxes relève de la loi ou du règlement.
Or le mécanisme d’exonération de la taxe locale d’équipement relève du pouvoir réglementaire. L’article 1585 C du code général des impôts exonère, par principe, les constructions destinées à un service public ou d’utilité publique et renvoie à un décret en Conseil d’État le soin d’énumérer plus en détail ces constructions.
Je vous confirme dès aujourd’hui que nous étendrons le mécanisme d’exonération de la taxe locale d’équipement aux contrats de partenariat, dans les conditions et limites prévues par l’article 1585 C du code général des impôts. Ce décret sera pris rapidement, comme le précédent décret que j’ai évoqué, et en tout état de cause avant la fin de l’année 2008.
En ce qui concerne l’importance de l’évaluation préalable, vous avez raison, monsieur Houel, de souligner que celle-ci doit être la pierre angulaire des contrats de partenariat. Cette évaluation préalable tient lieu, comme je l’ai déjà dit, de lunettes corrigeant la « myopie » évoquée, par personne interposée, par un autre orateur.
C’est une préoccupation que partage M. le sénateur Dubois. Dans la lignée des travaux du Sénat, l’Assemblée nationale a rendu obligatoire une méthodologie d’évaluation qui sera définie par la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé, dont certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont reconnu les compétences.
Je m’associe à votre souhait qu’à moyen terme, tous les contrats de commande publique complexes ou de taille importante fassent l’objet d’une évaluation préalable. Un premier pas a été fait en ce sens, sur votre initiative, en subordonnant l’éligibilité au FCTVA des baux emphytéotiques administratifs à la réalisation effective d’une évaluation préalable.
Je suis également favorable à la proposition de M. Dubois d’élaborer un cadre méthodologique d’utilisation des PPP, avec des formations adaptées pour les fonctionnaires concernés par ces contrats. Nous avions évoqué ce point lors de la première lecture.
Monsieur le sénateur Doligé, je vous remercie d’avoir une nouvelle fois apporté des illustrations pratiques en évoquant des cas réels de recours au PPP et en présentant l’ensemble des enseignements que l’on peut en tirer.
Prenant l’exemple de ce remarquable bâtiment à énergie positive –dont je garderai longtemps le souvenir – construit dans le département du Loiret, terre d’accueil des investissements directs étrangers que je tiens à saluer, vous avez défini la notion d’urgence à l’aune de l’exigence de croissance durable. C’est la véritable urgence, dans le contexte économique contraint et tendu que nous connaissons tous.
En tout état de cause, la réalisation à laquelle vous avez fait référence illustre, s’il en était besoin, la nécessité de définir le plus clairement possible la notion d’urgence. Le projet de loi répond bien, me semble-t-il, à cette exigence.
J’en viens maintenant aux arguments mettant en cause le principe même du contrat de partenariat ou tendant à cantonner celui-ci dans un régime d’exception. Je me référerai en particulier aux interventions de qualité de MM. Sueur et Billout.
La question de la constitutionnalité, sur laquelle nous avons déjà eu un débat en première lecture, a tout d’abord été soulevée. Elle nous tient à cœur, puisque nous respectons, bien évidemment, les décisions du Conseil constitutionnel,…
M. Jean-Pierre Sueur. C’est ce qu’on va voir !
Mme Christine Lagarde, ministre … que je persiste à trouver admirables de façon générale ! (Sourires.)
Je rappelle que le Conseil d’État a validé le projet de loi, après un examen attentif. En particulier, la création d’un troisième cas de recours aux contrats de partenariat, qui est envisagé à l’article 2 du projet de loi modifiant l’article 2 de l’ordonnance du 17 juin 2004, a été jugée conforme à la décision du Conseil constitutionnel en question.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’étions pas informés de cet avis.
Mme Christine Lagarde, ministre. Je souhaitais vous en faire part dans le cadre de ce débat.
Lorsque le Conseil constitutionnel fait référence aux notions d’urgence et de complexité,…
M. Jean-Pierre Sueur. Très rarement !
Mme Christine Lagarde, ministre. … il n’énumère pas de manière exhaustive les différents cas dans lesquels il est possible d’avoir recours à un contrat de partenariat. Vous vous en souvenez certainement, nous avions fait l’exégèse de ce paragraphe de la décision du Conseil constitutionnel, notamment en ce qui concerne l’utilisation de l’expression « tels que » et de la conjonction de coordination « ou », qui suppose une alternative. Les exemples énumérés ont un simple caractère illustratif. L’interprétation que nous faisons de l’ensemble du paragraphe me paraît conforme à ce principe de lecture. Cela justifie pleinement l’ajout du cas supplémentaire de recours aux PPP prévu dans le projet de loi.
Je rappelle en outre que l’adoption de ce troisième critère est pleinement conforme aux dispositions des directives européennes sur les marchés publics.
Il ne s’agit donc pas, comme certains ont pu le dire, d’un alinéa de « contournement » des directives européennes ou des principes constitutionnels, auxquels ce texte, me semble-t-il, est parfaitement fidèle et conforme.
J’ajoute qu’aucune disposition du projet de loi ne porte atteinte aux principes d’égalité devant la commande publique, de protection des propriétés publiques ou de bon usage des deniers publics.
S’agissant du respect de la concurrence, les exigences économiques et qualitatives que nous posons permettront de prendre en compte l’intérêt général en obtenant le meilleur rapport qualité-prix. M. Guené a évoqué le value for money : cette notion reflète le souci de servir au mieux l’intérêt du « consommateur » du service public.
Certains d’entre vous craignent que les contrats de partenariat ne conduisent, à maints égards, à réduire la concurrence, en particulier par un effet d’éviction des architectes. Cependant, imposer systématiquement, comme il est proposé, un concours d’architecture avant toute passation de contrat de partenariat alourdirait la procédure de choix du titulaire.
La procédure proposée par le Gouvernement et acceptée par le Sénat en première lecture est beaucoup plus souple : elle autorise à confier tout ou partie de la conception du projet au partenaire privé, qui pourra, je vous le rappelle, reprendre les contrats passés par la personne publique. Nous voulons simplifier le dispositif et multiplier les options, et non pas exclure la possibilité, pour la personne publique, de lancer un concours d’architecture. Il ne s’agit pas de cela.
Monsieur Billout, j’ai bien noté votre opposition de principe aux contrats de partenariat, même si vous avez admis que l’adoption de certains amendements avait permis d’apporter des améliorations.
Différents arguments sont invoqués contre les contrats de partenariat. Pour certains, il s’agirait d’une privatisation du service public, pour d’autres, d’un report du coût de financement de projets sur les générations futures.
Je veux répondre à ceux qui craignent pour l’avenir du service public : le contrat de partenariat ne constitue en rien un « bradage » du service public, ni même un désengagement de l’État ; il est un instrument de modernisation et d’amélioration de l’efficacité de l’action publique, pour servir au mieux l’intérêt général.
En France, aucun des contrats de partenariat signés à ce jour n’a conduit, à notre connaissance, à une dégradation du service public. Au contraire, ils ont permis à la personne publique de se dégager, notamment dans le domaine de la maîtrise d’ouvrage, de contraintes matérielles pour lesquelles elle n’était peut-être pas la mieux équipée, pour se consacrer pleinement au cœur même de sa mission de service public. Dans de nombreux cas, ils ont aussi permis d’accélérer considérablement la satisfaction des besoins des usagers.
Certains d’entre vous ont affirmé que des PPP seraient en fait réservés à trois majors.
M. Jean-Pierre Sueur. Voyez Auvers-sur-Oise !
Mme Christine Lagarde, ministre. Vous oubliez de mentionner des contrats d’éclairage public confiés à des PME. En outre, M. Doligé s’en est fait l’écho, les grands contrats de partenariat sont aussi accessibles aux PME, notamment lorsqu’elles se regroupent ou travaillent en cotraitance avec le titulaire du contrat. Le projet de loi ouvre aux PME l’accès aux PPP. Je sais que M. Dubois est vigilant sur ce point.
Simplification, rapidité, efficacité, maintien du rôle de la puissance publique, qui doit se concentrer sur son cœur de mission, caractère exceptionnel et non généralisation du recours au contrat de partenariat, clarification des cas de l’urgence : mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte permet, me semble-t-il, d’atteindre un point d’équilibre entre différents impératifs, en vue de concilier l’accomplissement des missions de service public avec l’efficacité de la gestion et l’optimisation du financement, au bénéfice de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 4, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux contrats de partenariat.
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à en croire le Gouvernement et sa majorité, l’objet du projet de loi est de fournir à l’État, aux collectivités locales et aux personnes publiques en général un outil supplémentaire, particulièrement souple, pour la réalisation de leurs projets.
Si tel était le cas, il faudrait certes avoir mauvais esprit pour refuser. Mais il n’en va pas ainsi…
Les contrats de partenariat public-privé tels que ce texte les prévoit ne seront pas un instrument supplémentaire de la commande publique, utile pour faire face à des situations exceptionnelles bien identifiables, mais deviendront une de ses modalités générales, licite désormais en toutes circonstances, ou presque.
Le Conseil constitutionnel ayant déjà indiqué qu’une telle généralisation n’était pas possible, on s’étonne que le Gouvernement revienne ainsi à la charge !
Cette généralisation n’est pas possible : en effet, comme je vais essayer de vous le montrer, seul le caractère exceptionnel des projets ou des circonstances peut justifier que l’on transgresse les exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique, de protection des propriétés publiques et de continuité du service public.
La décision du 26 juin 2003 du Conseil constitutionnel, que vous connaissez tous par cœur, est à « double détente ».
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel admet que les contrats de partenariat public-privé ne contreviennent à aucun principe, impératif ou règle de valeur constitutionnelle, bien qu’ils ne confient pas à des personnes distinctes la conception, la réalisation, la transformation, l’exploitation et le financement d’équipements publics ou la gestion et le financement de services, bien qu’ils autorisent un jugement global sur plusieurs lots et bien qu’ils permettent le recours au crédit-bail et à l’option d’achat anticipé pour préfinancer un ouvrage public.
Dans un second temps, cependant, le Conseil constitutionnel précise que ces contrats n’en constituent pas moins des « dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique ». Conséquence logique, « la généralisation de telles dérogations au droit commun […] serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l’égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics » et constituerait donc une violation de ces principes constitutionnels.
De semblables dérogations devront donc être réservées « à des situations répondant à des motifs d’intérêt général tels que l’urgence qui s’attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement ou d’un service déterminé ».
Pour être dérogatoires au droit commun, les contrats de partenariat le sont, en effet !
Ils permettent de réduire au minimum le formalisme ordinaire, particulièrement strict, du code des marchés publics ou de la délégation de service public et le champ de la concurrence. Puisque les contrats de partenariat deviennent d’application générale, pourquoi d’ailleurs conserver le formalisme strict des autres procédures ? Il vaudrait peut-être mieux se séparer de ces « vieilleries »…
Le présent texte tend à généraliser ce qui devrait rester une exception imposée par la nécessité de combler un manque ou par la complexité des projets. Ce faisant, il ne respecte pas la décision du Conseil constitutionnel précédemment évoquée.
Vous contestez ce point, madame la ministre, et vous nous avez tout à l’heure rappelé l’argumentation que vous aviez présentée en première lecture.
À l’époque, vous nous aviez tenu les propos suivants : « Lorsque le Conseil constitutionnel fait référence aux notions d’urgence et de complexité, il n’énumère pas de manière exhaustive et limitative les cas dans lesquels il est possible d’avoir recours à un contrat de partenariat. Il les cite à titre d’exemple. » Jusque-là, vous avez raison.
Le sophisme vient ensuite, et l’argumentation devient moins claire : selon vous, le Conseil constitutionnel « parle de “situations répondant à des motifs d’intérêt général” – ces termes sont importants – “tels que l’urgence qui s’attache, en raison des circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable”.
« L’utilisation par le Conseil constitutionnel dans les deux considérants des termes “tels que”, dans le premier, et “au nombre de”, dans le second, me paraît donc indiquer que le Conseil constitutionnel a simplement souhaité donner deux exemples d’un principe – le motif d’intérêt général, qui recouvre celui du bon usage des deniers publics.
« Dans ces conditions, l’extension des possibilités de recours au contrat de partenariat prévue dans ce projet de loi – le critère étant, d’une certaine manière, l’efficience, et donc la bonne gestion des deniers publics, à la lumière d’une évaluation nécessaire et renforcée – me paraît répondre aux exigences de constitutionnalité que le Conseil Constitutionnel nous a indiquées. »
Si je vous comprends bien, madame la ministre, ce que vous avez appelé le troisième critère, c'est-à-dire le bon usage des deniers publics, qui est censé être vérifié dans le cas des PPP par une étude préalable, doit être placé au rang des « exceptions » au droit commun de la commande publique, au même titre que l’urgence ou la complexité ! L’interprétation est pour le moins osée, en tous cas certainement « moderne ».