Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Daniel Raoul. Il pourrait « réglementer les implantations des hypermarchés afin de protéger de ces prédateurs les petits commerces de centre-ville et fixer le salaire minimum à un niveau tel que tous les membres de la population active gagnent réellement de quoi vivre » et aient une couverture sociale.
Vous faites précisément l’inverse, au nom du dogme de la concurrence.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que votre loi est à peine opérationnelle depuis quelques mois, permettez-moi de vous demander ce qui a motivé ce changement radical de position. Certes, il y a eu la Pentecôte entre les deux événements, c'est-à-dire entre l’entrée en vigueur de votre loi et le texte que vous nous proposez aujourd'hui, mais cela n’explique pas tout ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l'article.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 21 est sans doute l’un des points délicats du texte, parce qu’il va nous falloir organiser la relation que je qualifierai de triangulaire entre des fournisseurs – beaucoup de petits, quelques gros, beaucoup de nationaux, quelques résidents étrangers –, la grande distribution, en interface, et le consommateur.
Au-delà de cette relation, nous allons devoir concilier des intérêts qui peuvent sembler contradictoires : l’intérêt du consommateur et l’intérêt des producteurs et d’une concurrence réelle, équitable et loyale.
Il y a donc, d’un côté, l’objectif du pouvoir d’achat, qui concerne directement le consommateur, et il faut bien reconnaître ici que le principe de non-discrimination tarifaire a jusqu’à présent incité quelques grands distributeurs à négocier autre chose que les prix et dans des conditions qui manquent de transparence. La conséquence en a été une augmentation des prix. Il fallait donc y remédier.
Par ailleurs, comme l’a souligné M. Gérard Longuet, la grande distribution en France dispose d’un pouvoir de marché qui très concrètement fausse la concurrence. Il va donc falloir veiller à ce que ce surcroît de concurrence ne tue pas la concurrence.
Une situation de saine concurrence, une économie de marché, ce n’est pas l’absence de règles, ce sont, au contraire, des règles du jeu valables pour tous (Mme Nicole Bricq acquiesce), équitables, permettant à chacun de jouer librement, mais avec loyauté et dans une certaine transparence.
L’Assemblée nationale est parvenue, me semble-t-il, à améliorer considérablement le texte du Gouvernement avec la contrepartie des obligations.
Il subsiste des insécurités juridiques dans la rédaction de la commission, mais je pense qu’on peut aller encore plus loin. Il nous faut parfaire cette rédaction, parce que si on laisse un espace à la moindre insécurité juridique, celle-ci profitera non pas aux PME, mais aux gros, aux grandes surfaces, aux grands distributeurs. Il nous faut polir le texte, qui est une bonne base, mais qui est perfectible.
Quant à l’article 21, même si nous devons l’examiner séparément, il doit être mis en perspective avec l’article 23, qui concerne l’Autorité de la concurrence et les problèmes de concentration, et avec l’article 27, qui a trait à l’urbanisme commercial. Les trois articles forment un tout et l’équilibre que nous attendons tous doit intervenir au sein de ces trois articles en correspondance les uns avec les autres.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, je dirai que s’il faut vraiment aboutir à une rédaction qui aille dans le sens du pouvoir d’achat, l’économie française a aujourd’hui un problème d’offre. Elle a un problème avec ces petites entreprises qui maillent notre territoire, favorisent le développement de la recherche, créent des emplois et sont au cœur de notre économie. On ne peut pas, d’un côté, déplorer que la France manque d’entreprises de taille moyenne et, de l’autre, ne pas mettre en place un système qui leur permette d’assurer leur développement dans une situation de concurrence équitable et loyale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mmes Nathalie Goulet et Bariza Khiari applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Cet article 21 est très important pour l’économie française. Pourquoi ?
Comme l’a très bien dit Gérard Longuet, il va permettre de rapprocher la négociation commerciale de la réalité économique du marché.
Aujourd’hui, en France, on peut négocier entre fournisseurs et acheteurs dans tous les secteurs de l’économie, sauf dans la distribution.
J’avais compris que la distribution, c’était du commerce et que le commerce, c’était la négociation. Dans tous les grands pays développés, les fournisseurs et les acheteurs peuvent négocier mais, en France, pour des raisons historiques et qui étaient évidemment recevables, nous avons pensé à une époque qu’il était important d’encadrer les relations commerciales entre les grands distributeurs et les fournisseurs.
Résultat : on s’est aperçu à plusieurs reprises, notamment en 2004 lorsque Nicolas Sarkozy a réuni à Bercy l’ensemble des acteurs d’amont et d’aval, qu’à force de ne pas pouvoir négocier sur la chose essentielle, c’est-à-dire le prix, on avait inventé un système de négociation parallèle, c’est-à-dire qu’on négociait sur tout le reste, sur des prestations parallèles de services plus ou moins réels. C’est ce qu’on a appelé le développement des marges arrière, avec les taux que vous avez rappelés les uns et les autres et qui s’élèvent aujourd’hui à environ 37 %.
La majorité à l’époque a alors décidé de réformer progressivement ce système.
D’abord, nous avons donné la possibilité aux distributeurs de rebasculer dans les prix une partie de ces marges arrière – c’était la loi Dutreil d’août 2005. Puis en décembre dernier, vous avez adopté la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, qui permet depuis le mois de janvier aux distributeurs de réintégrer la totalité de ces marges arrière dans les prix.
Monsieur Raoul, nous avions annoncé la couleur à l’époque. J’avais dit au Sénat : ce n’est pas la réforme ultime, il y aura une réforme ultime, qui est la libre négociation entre fournisseurs et distributeurs.
Cette loi a commencé à avoir un impact. Aujourd’hui, deux grandes enseignes, Carrefour et Système U, mènent des opérations promotionnelles qui ne sont rendues possibles que par la réintégration totale des marges arrière dans les prix.
Nous vous proposons maintenant d’aller au bout de cette démarche (M. Daniel Raoul sourit), en votant la liberté de négocier entre un fournisseur et un distributeur. Mais la liberté de négocier, ce n’est pas la loi de la jungle,…
M. Daniel Raoul. Oh !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. …et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’est entouré d’un certain nombre de précautions fortes.
Premièrement, nous avons entendu ici où là des acteurs, des prescripteurs, des observateurs, nous demander de supprimer l’interdiction de revente à perte : nous ne l’avons pas supprimée et nous ne voulons pas la supprimer.
Deuxièmement, la négociation commerciale ne se fera pas sur un coin de table. Ce n’est pas le distributeur qui va imposer cette négociation sur la base de ses propres simulations. Cette négociation se fera – c’était une recommandation du rapport de Mme Marie-Dominique Hagelsteen, ancienne présidente du Conseil de la concurrence – sur la base des conditions générales de vente du fournisseur.
Par ailleurs, nous avons prévu un certain nombre de garde-fous dans l’article 21 mais aussi dans les articles 22 et 23 : le renforcement des sanctions, la possibilité de lutter contre les abus de puissance d’achat.
Cette réforme est à la fois le point d’aboutissement de celles que vous avez votées depuis 2005 et elle est nécessaire pour l’économie française parce que le système des marges arrière fait que nous avons des prix plus élevés qu’ailleurs.
Selon l’indice Eurostat, les prix en France sont 5 % plus chers en moyenne que dans les autres pays européens. Mais si on compare avec l’Allemagne, l’Espagne ou les Pays-Bas, ils sont 10 % à 15 % plus élevés sur les produits de grande consommation, l’écart pouvant atteindre 15 % à 20 % sur les produits de grande marque.
Avec cet article 21, nous vous proposons de sortir définitivement de ce système des marges arrière, qui a été dénoncé par tous et dont les plus faibles, les petits producteurs, les petits industriels ont été les principales victimes. (M. Daniel Raoul s’exclame.) Nous voulons tourner le dos à cette situation et introduire une plus grande transparence et une plus grande liberté dans la relation commerciale. Tel est l’objet de l’article 21.
M. le président. Je rappelle que, pour la clarté de nos débats, nous avons décidé, sur proposition de la commission spéciale, d’examiner séparément les amendements de suppression nos 413 et 526, puis les amendements nos 509 et 527 de rédaction globale de l’article.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 413 est présenté par M. Raoul, Mmes Bricq et Demontès, M. Godefroy, Mme Khiari, MM. Lagauche, Massion, Pastor, Repentin, Sueur, Yung, Desessard et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 526 est présenté par Mmes Terrade, Beaufils et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Raoul, pour présenter l’amendement n° 413.
M. Daniel Raoul. J’ai défendu cet amendement de suppression lors de mon intervention sur l’article. J’apporterai simplement quelques éléments complémentaires à l’analyse que j’ai développée.
Comme vous l’avez encore dit à l’instant, monsieur le secrétaire d’État, vous pensez, par cet article, mettre fin aux marges arrière. Je ne crois pas que vous y parviendrez de cette manière.
Le rapport de Mme Marie-Dominique Hagelsteen laisse sceptique. Elle souligne, en effet, que les objectifs poursuivis par les réformes Dutreil puis Chatel n’ont pas permis de réduire significativement les marges arrière : « On doit cependant constater qu’un des objectifs poursuivis, le recul des marges arrière, n’a pas été atteint, ou ne l’a été que partiellement. De fait, ces marges ont continué de croître, passant de 33,5 % du prix net sur facture en 2005 à environ 37 % en 2006. ».
Je ne suis pas sûr que plus de liberté de négociation et plus de liberté de discrimination permettront de mettre fin à ce système.
En revanche, je crains que cette liberté de négociation des conditions générales de vente ne mène à une nouvelle détérioration des conditions de travail dans la grande distribution, déjà marquée par des politiques salariales draconiennes.
Le secteur de la grande distribution est, en effet, réputé pour la faiblesse des salaires de la majorité de ses employés.
En 2004, dans ce secteur, l’augmentation des salaires de la majorité des employés s’est située en dessous du niveau de l’inflation. Ainsi, les employés de Carrefour ont perçu une augmentation de leur salaire de 1,79 %. Mais, dans le même temps, – vous connaissez cet épisode – le P-DG de Carrefour partait avec une indemnité de départ de trois années de salaire, soit au total 9,39 millions d’euros, dont 4,9 millions payés en 2005.
Cette confortable indemnité était assortie, comme le soulignent Patrick Artus et Marie-Paule Virard dans leur ouvrage Le capitalisme est en train de s’autodétruire –, « d’une retraite supplémentaire lui garantissant à vie 40 % de son dernier salaire et pour laquelle l’entreprise a provisionné 29 millions d’euros dans ses comptes ».
En février dernier, un mouvement de grève important a touché la grande distribution. Les salariés ont protesté contre la faiblesse des salaires, la dureté des conditions de travail, le temps partiel non choisi, les heures de travail éparpillées au cours de la semaine, etc.
Dans Le Monde daté du 25 mars, on apprenait que les salariés du plus grand hypermarché marseillais de l’enseigne Carrefour « demandaient une prime exceptionnelle de 250 euros, la fin des temps partiels imposés et la revalorisation du ticket-restaurant – il était à 3,05 euros », ce qui représente « tout juste de quoi acheter un sandwich » […]. Ils souhaitaient également que le magasin ferme à 21 heures au lieu de 22 heures, au moins pendant l’hiver. »
Sur les 650 000 salariés que compte le secteur de la grande distribution, 37 % sont employés à temps partiel. Pour les femmes, cette proportion atteint 55 % : ce sont surtout elles qui subissent aujourd’hui de plein fouet la précarisation de leur statut et la dégradation de leurs conditions de travail, notamment en raison de la parcellisation de leur temps de travail, dans un contexte d’exacerbation de la concurrence.
Nous craignons qu’avec l’article 21 le pire ne soit à venir, pour les salariés du secteur aussi bien que pour les consommateurs !
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour présenter l'amendement n° 526.
Mme Odette Terrade. L’expression « système mafieux » a été employée à l’Assemblée nationale pour définir les pratiques abusives des centrales d’achat et des distributeurs à l’égard des fournisseurs. Il y a également été question des agissements consistant à faire payer aux fournisseurs un droit d’entrée dans la négociation pour être éligibles au référencement dans les centrales d’achat.
Dans le rapport fait au nom de la commission spéciale, il est constaté avec beaucoup de flegme que l’« éclatement de l’offre et la concentration extrême de la demande constituent des faits qu’il convient sans doute de déplorer, mais qui sont trop prégnants pour être surmontés par un dispositif juridique seul, aussi complexe soit-il. » Il est rappelé également « qu’une des solutions pour dépasser ce déséquilibre constitue la structuration de l’offre ».
Cette « structuration » passerait-elle, selon vous, par une élimination naturelle des plus petits fournisseurs ?
De plus, – cela n’est pas rassurant quand on connaît le contenu de l’article 22 – il est indiqué dans le rapport que le « Gouvernement s’efforce ici d’appliquer le principe classique qui veut que plus de liberté s’accompagne de plus de responsabilité ».
Les amendes prévues sont d’un montant ridicule, les services de l’État concernés, qui sont confrontés à des diminutions d’effectifs et de crédits, rencontrent des difficultés pour faire face à la charge de travail, et il est peu probable qu’une PME aille porter plainte car elle risquerait de devoir mettre la clef sous la porte avant même que le jugement soit rendu. Tout cela montre à quel point la question des responsabilités est complètement absente des préoccupations du Gouvernement.
Une fois n’est pas coutume, je citerai de nouveau le rapport au sujet de l’article 21. Notre rapporteur y formule de bonnes remarques, mais n’en tire aucune conséquence : « Dans ces conditions, on pourrait s’interroger sur la nécessité juridique de maintenir le dispositif des conditions générales de vente. En effet, une interdiction a peu de sens s’il est possible d’y déroger librement et sans justification. ».
Après une telle analyse, vous ne pouvez, mes chers collègues, que soutenir notre amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. La commission spéciale est défavorable à ces deux amendements qui tendent à supprimer l’article 21.
En effet, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État, cet article va contribuer à simplifier les relations commerciales…
M. Daniel Raoul. Ça, c’est sûr !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. …et à réduire autant que possible les marges arrière. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’a travaillé notre commission spéciale en vous présentant l’amendement n° 130, que nous aurons l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises au cours de ce débat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Compte tenu de l’argumentation que j’ai développée tout à l’heure, vous comprendrez que je ne sois pas favorable à l’adoption de ces deux amendements.
J’ajouterai simplement une remarque portant sur la méthode employée. Il y a encore quelques mois, la question de la négociabilité suscitait de très vifs débats. Un certain nombre d’acteurs de la distribution y était farouchement opposés. Le travail de concertation effectué depuis plusieurs mois a permis de déboucher sur une situation où les différentes parties en présence sont presque unanimes pour considérer que le système proposé est de nature à fixer la règle du jeu la plus claire possible et à instaurer la transparence la plus totale.
Voilà qui nous conforte dans l’idée qu’il est nécessaire d’adopter ces articles.
Pour cette raison, le Gouvernement est opposé aux deux amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne voterai pas ces deux amendements.
En effet, ayant observé avec attention comment les réglementations étaient utilisées dans la négociabilité, j’ai pu constater que, quelles que soient les protections mises en œuvre, la règle était systématiquement détournée en faveur du plus fort contre le plus faible.
M. Daniel Raoul. Nous n’avons pas dit autre chose !
Mme Odette Terrade. Tirez-en les conséquences !
M. Jean-Pierre Raffarin. On l’a vu dans le passé, plus on bâtit des réglementations, plus elles sont « tordues » au bénéfice de celui vers lequel penche le rapport de force.
Finalement, on obtient donc souvent le résultat contraire de celui qu’on cherchait. C’est pourquoi le développement de la négociabilité me semble une bonne orientation, même si, je le regrette, monsieur le secrétaire d’État, le texte présenté ne comporte aucune disposition en faveur des petites et moyennes entreprises.
Or, vous l’avez dit vous-même, c’est pour les grandes marques que l’on observe les écarts de prix les plus importants. Que celles-ci se trouvent dans des rapports de force très tendus avec les grandes surfaces, je n’y vois pas d’inconvénient. Qu’il y ait dans ce cas une ouverture à la négociabilité totale et un affrontement entre « grands » pour faire baisser les prix, je m’en réjouis.
Mais il n’est pas possible de dire que la négociabilité met à égalité nos PME de l’agroalimentaire, je pense à nos coopératives agricoles, à un certain nombre de structures qui n’ont pas aujourd’hui la puissance de la marque pour s’imposer dans le rapport de force.
Le sujet est certes complexe, mais il convient, monsieur le secrétaire d’État, d’y travailler en engageant de nouvelles réflexions.
Le Président de la République, au cours de la campagne pour l’élection présidentielle, s’était engagé à mettre en œuvre dans notre pays un Small Business Act qui s’inspirerait des règles existant dans les marchés publics américains pour les PME innovantes.
Sans doute faudrait-il inventer des dispositifs qui éviteraient aux PME d’être écrasées par les centrales d’achat et la grande distribution.
En effet, il serait incohérent d’essayer d’un côté, dans le domaine industriel, de miser sur une politique de l’offre en renforçant les entreprises, et, de l’autre, dans le domaine commercial, de tout jouer sur le consommateur, c’est-à-dire sur une politique de la demande.
Le Président de la République a raison de répéter, comme il le fait souvent, que nous avons besoin d’entreprises qui produisent de l’offre, car elle signifie plus d’activité, donc plus de travail et plus de pouvoir d’achat : cela donne du ressort à l’économie. Pour autant, il ne faudrait pas oublier l’offre que représentent, dans le domaine commercial, les PME.
M. Bruno Retailleau. Très juste !
M. Jean-Pierre Raffarin. Sur nos territoires, les PME structurent notre économie locale. Si l’on gagne en pouvoir d’achat ce que l’on perd en emploi, je ne vois guère le bénéfice !
Aussi, je le dis clairement, monsieur le secrétaire d’État : la négociabilité entre les « grands » est nécessaire. C’est pourquoi je voterai l’article 21. Mais cela ne m’empêche pas de penser qu’il conviendrait de poursuivre la réflexion pour sauvegarder ce réseau de PME de l’agroalimentaire, dont la tradition spécifique – je pense aux appellations d’origine et autres processus de qualité – est une partie de l’infrastructure économique et sociale de nos territoires. Essayons, au-delà de ce texte, de trouver des solutions à ce problème. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mmes Nathalie Goulet et Bariza Khiari applaudissent également.)
M. Daniel Raoul. Le début n’était pas mal !
Mme Isabelle Debré. La fin aussi !
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai toujours été en faveur de la négociabilité, pour des raisons très simples.
Ceux qui, parmi vous, ont travaillé dans l’industrie ou dans le commerce il y a vingt-cinq ans environ ont connu le système du contrôle des prix. Dans le secteur où je travaillais, les PME étaient peu nombreuses et la concurrence très réduite. Nos prix étaient fixés et on ne négociait plus rien.
À cette époque, on pensait que la panacée, pour éviter la hausse des prix, était de les contrôler. Pas un instant on n’avait eu l’idée d’essayer de libérer les prix pour voir quel en serait le résultat.
Le jour où ce fut enfin chose faite, on a observé que les prix baissaient : la concurrence s’était installée et les entreprises, petites ou grandes, trouvaient les moyens de la faire jouer. La liberté nous a donc permis d’avancer. C’est qu’il n’y a rien de pire, dans les secteurs commerciaux et industriels, que les prix fixés ; les contraintes dans ce domaine sont totalement insupportables.
Bref, j’ai une confiance totale dans la relation commerciale. Bien sûr, il faut poser un certain nombre de garde-fous, mais, si l’on se reporte au texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale, sans oublier les amendements déposés par le Sénat, on constate que les dispositifs envisagés semblent de nature à prévenir les écarts et à permettre de rappeler à l’ordre les grands industriels ou les grands commerçants tentés d’abuser de leur position. Pas besoin pour cela de prendre pour référence les Américains, comme n’a cessé de le faire M. Raoul. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Les mécanismes qui étaient en vigueur jusqu’à présent ont montré qu’ils ne permettaient pas de bien avancer en la matière. Il convient de recouvrer la liberté. C’est pourquoi je soutiens totalement la négociabilité.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Les questions évoquées par MM. Jean-Pierre Raffarin et Éric Doligé ont toujours été au cœur des débats du groupe de travail rassemblant les différents acteurs concernés que nous avons animé pendant plusieurs mois.
Le problème est en effet le suivant : comment garantir plus de liberté et de transparence sans que les cinq centrales d’achat dont nous avons parlé à plusieurs reprises renforcent leur puissance d’achat par rapport aux groupes de PME régionales, notamment dans l’agroalimentaire ?
Le texte que nous vous soumettons apporte déjà des réponses fortes. Ainsi, nous proposons de renforcer considérablement le système de sanctions. Le juge pourra dorénavant rechercher des déséquilibres significatifs entre droits et obligations dans les contrats signés. Le montant de l’amende civile sera considérablement réévalué. En cas d’abus de puissance d’achat entre un grand distributeur et une PME, la décision de la juridiction pourra être exécutée sous astreinte et sa publication pourra être ordonnée, afin de dénoncer, devant l’opinion, les pratiques de grands distributeurs envers les PME régionales fournissant la grande distribution.
Les avancées sont donc importantes. Je rappelle également que les fédérations professionnelles regroupant les représentants des PME, mais aussi d’autres acteurs, en particulier l’ANIA, l’Association nationale des industries alimentaires, souscrivent au projet.
Certes, les industries alimentaires ont, selon les moments, plus ou moins approuvé et accompagné le processus, mais aujourd’hui, au vu du texte résultant des débats de l’Assemblée nationale, et après les discussions au sein de votre commission spéciale, elles sont dans la logique de soutenir le texte. Elles pensent en effet qu’il présente un certain nombre d’équilibres favorables à la discussion.
Je retiens votre proposition, monsieur Raffarin. Vous savez que nous allons renforcer les pouvoirs de la CEPC, la Commission d’examen des pratiques commerciales, qui doit être particulièrement vigilante sur ces questions.
La commission spéciale a également beaucoup travaillé sur ces sujets. Madame Lamure, monsieur le président Larcher, vous avez notamment approuvé un amendement de M. Henri de Raincourt portant sur la question de la provenance des produits des marques des distributeurs. Je sais, madame le rapporteur, que la question vous tient particulièrement à cœur. Il s’agit de donner la possibilité à des PME fournissant la grande distribution, si elles le souhaitent, – et cela nous ramène aussi aux propos tenus par M. Longuet – de mettre en avant leur origine et d’accroître ainsi leur notoriété. Cette avancée sera importante. J’y reviendrai quand nous examinerons cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 413 et 526.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 509, présenté par Mmes Terrade, Beaufils et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Un rapport du Gouvernement est présenté au Parlement avant le 31 octobre 2008 sur l'évolution des coûts et la formation des prix des produits de première nécessité depuis 2002.
La parole est à M. Jean-Claude Danglot.
M. Jean-Claude Danglot. Lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la ve République, la majorité parlementaire a fait de l’évaluation des politiques publiques une priorité.
Par notre amendement, nous demandons, je le rappelle, que le Gouvernement présente au Parlement avant le 31 octobre 2008 un rapport sur l’évolution des coûts et la formation des prix des produits de première nécessité depuis 2002. Ainsi, nous pourrions connaître avec précision l’influence des politiques de la droite depuis un certain nombre d’années maintenant sur le coût des matières premières. La loi Chatel, qui revenait dangereusement sur la définition du seuil de revente à perte et qui est complétée ici avec la généralisation de la discrimination tarifaire, doit être évaluée.
En effet, en intégrant l’ensemble des marges arrière dans le calcul du seuil de revente à perte, cette loi a relancé la pratique des prix d’appel prédateurs. Il convient donc de prendre acte de cette réalité avant de poursuivre toute réforme, au risque d’accentuer un phénomène déjà néfaste pour le petit commerce.
La guerre des prix permet d’abaisser ceux-ci de manière provisoire jusqu’à ce que les concurrents soient éliminés et que les grandes surfaces se trouvent en position de monopole pour avoir alors toute liberté d’augmenter leurs prix.
De plus, face au secret qui entoure les pratiques des centrales d’achat et considérant la difficulté d’obtenir des renseignements, nous proposons que ce rapport étudie également la formation des prix des produits de nécessité. Cette étude serait un outil très utile, qui permettrait peut-être à l’avenir de cerner les vrais problèmes et les causes de la hausse des prix de certains produits.
Tel est le sens de notre amendement.