M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Cela étant, le Livre blanc reconnaît très clairement le besoin de renforcer notre effort de défense au-delà d’un simple ajustement sur l’inflation, alors même qu’il se place dans la perspective d’une diminution notable des effectifs et d’une réduction du volume d’équipement.
Ce besoin financier avéré n’est pas étranger aux retards pris après le brutal décrochage de la législature 1997-2002, retards que la remontée très significative opérée à partir de 2003 ne pouvait en aucun cas rattraper. Il est aussi lié à la nécessité de renouveler, sur une même période, la quasi-totalité de nos matériels majeurs, renouvellement dont nous mesurons mieux aujourd’hui le coût élevé.
L’arbitrage retenu repousse à 2012 la reprise d’une progression en volume, chiffrée à 1 % par an jusqu’en 2020.
Ma première remarque porte sur les conséquences de cette stabilisation programmée pour les trois prochaines années, alors que les économies de structure ne seront pas immédiates et que les dépenses inéluctables en matière d’équipement progresseront fortement. Le Livre blanc évoque la possibilité de mobiliser des « financements exceptionnels ». Monsieur le ministre, pourrez-vous nous donner tout à l'heure des précisions à ce sujet ?
Ma seconde remarque vise à souligner l’ampleur du défi que représentera la mise en œuvre de cette nouvelle politique.
Sa cohérence d’ensemble repose, en effet, sur une accentuation notable de l’effort d’équipement, qui serait en moyenne supérieur de 2,5 milliards d’euros par an à son niveau actuel, et sur une amélioration non moins notable de la performance de notre organisation, qui devra dégager les économies de nature à financer ce surplus, tout en en limitant autant que faire se peut l’incidence sur nos capacités opérationnelles.
Tous ces éléments sont indissociables. Seule une progression du budget d’équipement permettra de financer les renouvellements les plus urgents, s’agissant notamment de nos avions de transport, de nos hélicoptères, de nos blindés légers.
En ce qui concerne l’organisation du ministère et des armées, il faut reconnaître que les restructurations de grande ampleur n’ont pas manqué au cours des dix dernières années, notamment à la suite de la professionnalisation. Cependant, des marges de progrès subsistent, au travers d’implantations moins dispersées et de structures de soutien moins cloisonnées.
À mon sens, l’une des premières conditions de la réussite de la réforme résidera dans le respect absolu des engagements financiers contenus dans le Livre blanc, tout particulièrement en matière d’équipement. Nous serons très attentifs à leur traduction dans le futur projet de loi de programmation militaire.
Une deuxième condition tient aux modalités qui seront retenues pour mener à bien la nouvelle étape des restructurations. N’oublions pas que, dans une armée professionnelle en permanence engagée dans des opérations, souvent dans des conditions difficiles, la motivation des hommes revêt un caractère essentiel. Elle suppose non seulement des conditions de vie et de travail en rapport avec les exigences qui leur sont imposées, mais aussi, de manière plus générale, une perspective de nature à entraîner l’adhésion. Faute de quoi, des difficultés pourront apparaître en matière de recrutement et de fidélisation des personnels.
MM. Gérard Larcher et Gérard Longuet. Exactement !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Enfin, la recherche, l’innovation technologique et les savoir-faire industriels spécifiques font partie intégrante de la posture de défense d’un pays. Ils constituent aussi l’un des points forts de notre économie. Il faudra constamment conserver cette préoccupation à l’esprit tout au long de cette réforme.
Je voudrais terminer en évoquant la dimension internationale de notre stratégie de défense et de sécurité. Le Livre blanc y consacre toute sa deuxième partie.
Ce volet de notre stratégie n’est pas le plus facile à élaborer, car, par définition, une grande partie de sa mise en œuvre nous échappe et reste tributaire des intérêts, des priorités ou des possibilités de nos partenaires au sein des différentes enceintes agissant dans le domaine de la sécurité.
Nier cette réalité reviendrait à conférer un caractère artificiel, pour ne pas dire purement incantatoire, à toute option qui s’en remettrait à des capacités multilatérales encore hypothétiques, en lieu et place d’un effort national. Pour autant, il reste nécessaire, dans ce domaine, de ne pas renoncer à toute ambition, de fixer un cap et de se mettre en situation d’entraîner nos partenaires autour d’objectifs concrets et réalistes.
Le Livre blanc a su éviter les écueils en abordant de manière objective et directe la question essentielle de l’articulation entre l’Europe de la défense et l’Alliance atlantique.
Je me réjouis que la volonté de faire de l’Union européenne un acteur majeur de la gestion des crises et de la sécurité internationale soit définie comme « une composante centrale de notre politique de sécurité ».
Il s’agit tout d’abord d’une nécessité politique, car l’Europe doit pouvoir disposer d’une capacité d’action autonome, ne serait-ce que pour ne pas se trouver impuissante, comme elle l’a été au début des années quatre-vingt-dix face aux dramatiques événements des Balkans. Il s’agit aussi de rationaliser nos efforts, aujourd’hui dispersés et redondants dans tous les domaines.
Dans quelques jours, la présidence française de l’Union européenne nous donnera l’occasion de formuler des propositions, dans un contexte rendu certes plus difficile par le résultat du référendum irlandais.
Dans de nombreux domaines, des avancées sont souhaitables. Je pense à la mutualisation de la formation ou du soutien pour des équipements communs à plusieurs pays européens, comme l’A 400M, ou encore à la coordination de l’emploi de certaines capacités critiques, comme les avions de transport ou les hélicoptères. Il faudra aussi mieux coordonner les réflexions capacitaires des différents États, afin de favoriser très en amont la définition en commun d’équipements répondant aux mêmes besoins. Enfin, la question des capacités autonomes de l’Union européenne en matière de commandement des opérations continuera de se poser.
Le Livre blanc se place clairement dans une optique de complémentarité entre l’Europe de la défense et l’OTAN fondée sur la « valeur ajoutée respective de chaque entité ».
S’agissant de la place de la France au sein de l’OTAN, le Livre blanc expose les raisons, aujourd’hui largement reconnues, pour lesquelles cette question ne se pose plus du tout dans les mêmes termes qu’il y a une quarantaine d’années. Il souligne aussi en quoi un positionnement qui paraît vouloir nous différencier des vingt autres pays européens membres de l’Alliance atlantique peut avoir une incidence sur nos projets en matière de défense européenne.
Si les implications techniques d’une participation pleine et entière aux instances de l’OTAN semblent relativement limitées, du fait de la place effective que nous occupons déjà dans cette organisation, il ne faut pas, en revanche, sous-estimer la résonance politique qu’aurait une telle décision.
Ce débat nécessite un réel effort d’explication auprès de l’opinion publique, française comme internationale. À cet égard, le Livre blanc énumère un certain nombre de principes qui ne devraient pas être remis en cause : la liberté d’appréciation des autorités politiques françaises et la liberté de décision sur l’engagement de nos forces.
Il faut aussi faire en sorte qu’une telle option ne soit pas ressentie comme un abandon de toute ambition en matière de défense européenne autonome. Dès lors, on peut s’interroger sur les conséquences de l’absence d’avancées significatives dans ce domaine au cours des prochains mois, alors que le Président de la République avait en quelque sorte lié l’évolution de notre position au sein de l’OTAN à des progrès sur l’Europe de la défense.
Enfin, je tiens à souligner que la modification de notre statut dans l’OTAN ne saurait constituer un objectif en soi, alors que l’évolution du rôle de l’Alliance atlantique suscite des interrogations fortes quant à son champ d’action géographique, ses domaines d’intervention et son mode de fonctionnement. Nous ignorons aujourd’hui comment ces questions pourront être abordées dans le cadre du nouveau concept stratégique que l’Alliance atlantique doit adopter en 2010.
Pour conclure, je dirai que ce Livre blanc marquera une étape significative dans l’évolution de notre politique de défense et de sécurité.
Grâce à la qualité et à la clarté de ses analyses, il nous permet de définir les priorités stratégiques les plus adaptées au monde d’aujourd’hui et à ses évolutions prévisibles à l’horizon de quinze ou vingt ans. Il pose les bases d’une meilleure organisation de l’État en vue d’appréhender, de manière plus globale et plus pertinente, les enjeux de défense et de sécurité.
L’ajustement du format de nos armées tient compte des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques, tout en s’efforçant de préserver les missions prioritaires. Souhaitons qu’il s’opère de manière à garantir la cohérence entre les responsabilités que nous souhaiterons assumer sur le plan international et la mise en place des moyens correspondants. Ce Livre blanc fixe un cadre, et la loi de programmation sera la prochaine étape essentielle. Nous attendons qu’elle en traduise fidèlement les orientations.
Ne nous leurrons pas, mes chers collègues, nos alliés, nos partenaires, comme nos adversaires éventuels, seront parfaitement informés de nos capacités comme de nos carences ou de nos faiblesses. Le défi auquel nous devons faire face au travers des restructurations, des nouveaux contrats opérationnels, des efforts consentis pour le renouvellement des matériels, est tout simplement celui de la crédibilité de notre défense. Or, ce défi, nul ne peut le relever à notre place. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, vous nous présentez aujourd’hui les conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui ont été adoptées en conseil des ministres et dont les grandes lignes ont déjà été exposées mardi dernier, devant des cadres militaires et policiers, par le Président de la République.
Ce travail, qui définit la doctrine militaire de notre pays pour les quinze ans à venir, était indispensable, car la situation internationale a été considérablement bouleversée depuis 1994, année de parution du dernier Livre blanc.
Les problèmes géostratégiques ne se posent donc plus dans les mêmes termes. La chute du mur de Berlin, la disparition du pacte de Varsovie, les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’organisation Al-Qaïda sont passés par là. Il faut incontestablement adapter nos armées à la situation nouvelle. Pour ce faire, il faut analyser, définir les menaces et les conflits auxquels pourraient être confrontées nos armées, et, par conséquent, établir des priorités.
Pour autant, les analyses et les conclusions qui découlent de ce travail sont-elles toutes pertinentes ? La nouvelle doctrine de défense que vous nous exposez est-elle cohérente ? Nous ne le croyons pas.
Elle souffre d’abord d’une grande ambiguïté. En effet, les conclusions du Livre blanc, qui s’appuient pourtant sur un remarquable travail d’analyse et de prospective, donnent a posteriori la désagréable impression de confirmer, pour les justifier, les exigences en matière d’économies qu’impose la révision générale des politiques publiques, la RGPP.
Vous expliquez les restructurations et les réductions drastiques d’effectifs de nos armées par les nouvelles données stratégiques qui fonderaient une nouvelle doctrine de sécurité et de défense. Or tout le monde sait que la logique strictement comptable de la RGPP a tenu une place primordiale dans cette réflexion.
L’un des objectifs visés au travers du Livre blanc a ainsi été de tenter de mettre en cohérence les missions et les moyens de nos forces, de définir un format d’armées et un contrat opérationnel en ayant toujours à l’esprit la contrainte budgétaire. Ce n’était pas là le rôle d’un travail d’élaboration conceptuelle.
Mardi dernier, le Président de la République a donc tenté de convaincre des cadres militaires et policiers que le moins, c’est-à-dire les économies, étaient nécessaires pour disposer d’un instrument militaire plus efficace à moindre coût et déployer de nouvelles ambitions.
Dans le même temps, il faisait le constat que notre pays n’avait plus les moyens, techniques, logistiques et politiques, d’assumer une vocation mondiale.
À ce constat réaliste, mais fataliste, les réponses que vous apportez sont-elles les bonnes ? Elles sont en tout cas paradoxales.
Aux nouvelles menaces identifiées, comme la prolifération nucléaire, la dissémination des armes et des conflits, les cyberattaques, le terrorisme, les pandémies, les crises sanitaires ou les catastrophes climatiques, vous répondez par une réduction drastique des effectifs et des moyens.
En effet, 54 000 emplois civils et militaires seront supprimés en six ans, plus d’une trentaine d’implantations devraient disparaître, nos grands programmes d’armements seront retardés, comme ceux des frégates multimissions, des avions Rafale, des missiles Scalp.
La décision de reporter à 2012, pour des considérations strictement budgétaires, la construction pourtant nécessaire d’un second porte-avions sera également lourde de conséquences sur nos capacités et aura une incidence directe sur le rang de la France en tant que puissance militaire de premier plan.
J’observe, d’ailleurs, que les Britanniques ne s’y sont pas trompés, car, lassés de nos tergiversations sur une construction en coopération, ils ont finalement décidé de lancer seuls deux bâtiments de ce type.
Mme Michelle Demessine. Au total, ce sont ces suppressions de garnisons, d’emplois, et ces étalements dans le temps de nos programmes d’équipement qui vont, bien plus que les analyses du Livre blanc, définir le format et le contrat opérationnel de nos armées.
Ces économies, en particulier celles qui sont liées à la réduction des effectifs, nous sont présentées comme étant la condition nécessaire pour financer la modernisation des équipements et permettre de réaliser les ambitions militaires qui correspondent à notre nouvelle stratégie. Nous contestons que les économies réalisées sur le fonctionnement et le soutien permettent réellement de tenir cet engagement.
En effet, la plupart des suppressions de postes aboutiront à des externalisations qui concerneront essentiellement les missions de soutien. Je pense par exemple non seulement à l’administration et à l’habillement, mais aussi à l’entretien des véhicules blindés, à la fabrication des armements ou aux infrastructures.
Dans ces conditions, prétendre que les externalisations de services coûteraient moins cher à l’État est une contrevérité. L’expérience des Britanniques donne, à cet égard, l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire !
Les économies attendues de la restructuration de nos armées résulteront notamment d’une densification des implantations et des unités. De cette restructuration découle le concept de « base de défense », qui va fondamentalement façonner la future carte militaire et qui consistera à mutualiser les fonctions de soutien dans une logique interarmées.
Tout cela, à nos yeux, se fait sans prise en compte de la synergie entre les unités, sans véritable réflexion sur la spécificité de leurs missions et dans une concertation à géométrie variable, suivant la sensibilité politique des élus.
C’est ainsi que le ministre de la défense a annoncé, lundi, la création de onze « bases de défense », plaçant devant le fait accompli les populations des sites concernés et leurs élus, sans grands égards pour les lourdes conséquences économiques et sociales d’une telle décision.
Pour illustrer le sentiment d’inquiétude qui se fait jour dans de nombreuses régions, je prendrai l’exemple du Nord. Mercredi, à Cambrai – je salue au passage mon collègue Jacques Legendre –, 1 500 personnes ont formé une chaîne humaine pour marquer l’opposition des élus et de la population à la fermeture de la base aérienne 103, ainsi que d’autres implantations dans le Douaisis et à Arras.
Les personnels civils ont également manifesté dans toute la France pour exprimer l’angoisse suscitée par l’annonce officielle de la disparition d’un certain nombre de services administratifs.
Certes, le Premier ministre a annoncé cet après-midi, à l’Assemblée nationale, qu’une enveloppe de 320 millions d’euros serait allouée aux communes touchées par le plan de restructuration. Il a également insisté sur l’accompagnement social qui sera mis en place au bénéfice des personnels. Nous attendons, bien sûr, de voir ces mesures se concrétiser et nous serons vigilants sur leur application.
Faut-il vraiment s’orienter ainsi vers une réduction de certaines de nos capacités et de nos moyens pour nous adapter à la nouvelle situation géostratégique ? À l’heure où tout le monde s’accorde à reconnaître que les menaces nouvelles sont diffuses et multiformes, que la résolution des conflits conventionnels a changé de nature, est-il pertinent de se contenter de prôner comme principale mesure une réduction des effectifs et du format de nos armées ?
Dans les conflits d’aujourd’hui et la gestion des crises, l’expérience le montre, les forces terrestres sont primordiales. Elles ont besoin de capacités de projection aériennes et navales efficaces.
Or nous nous apprêtons à prendre le chemin inverse, en réduisant leur format, en prévoyant de n’assurer que trop lentement le renouvellement de matériels à bout de souffle et en reportant la décision de construire un second porte-avions. Il en résultera fatalement un recul de notre influence internationale, y compris sur le plan diplomatique, et notre crédibilité auprès de nos partenaires ne manquera pas d’être entamée. Notre rôle risque même de se limiter à celui d’auxiliaire d’autres puissances !
Les travaux de la commission sur le Livre blanc, qui ont pour vocation de proposer au Président de la République une doctrine de défense renouvelée, ont constamment souffert, ces derniers mois, d’annonces et de décisions qui sont déjà, en elles-mêmes, des modifications stratégiques fondamentales : je pense à la création d’une base navale à Abu Dhabi, au redéploiement de nos forces prépositionnées en Afrique, au discours de Brest annonçant la diminution d’un tiers de la composante nucléaire aéroportée, à l’envoi d’un bataillon supplémentaire en Afghanistan et, bien entendu, à la décision d’un retour complet dans le commandement militaire intégré de l’OTAN.
S’agissant de la dissuasion nucléaire, par exemple, les récentes déclarations du Président de la République sur l’Iran, pays qui, selon lui, serait « la première menace qui pèse sur le monde », marquent à l’évidence une rupture dans notre doctrine d’emploi de l’arme nucléaire, qui rejetait jusqu’ici le principe de la frappe en premier.
Mme Michelle Demessine. Nous craignons que cette déclaration ne préfigure une éventuelle participation à des frappes américaines ou israéliennes, que la France soutiendrait en contrôlant une partie du golfe Persique à partir de la future base d’Abu Dhabi.
Dans ce domaine, nous estimons que la France ne s’engage pas assez résolument dans la lutte contre la prolifération nucléaire et qu’elle ne satisfait pas à tous les engagements pris dans le cadre du traité de non-prolifération.
Il est un autre exemple de décision à laquelle nous nous opposons fortement : la pleine réintégration dans la structure militaire de l’OTAN.
Cette position est en rupture complète avec le consensus national qui existait jusqu’alors autour du concept d’indépendance et d’autonomie de décision de notre pays. Elle inquiète, y compris d’ailleurs jusque dans les rangs de la majorité, car elle nous est présentée comme étant conditionnée à l’acceptation, par les États-Unis et certains de leurs alliés, d’une relance de la politique européenne de défense et de sécurité. Or, depuis quelque temps, les progrès de l’Europe de la défense ne semblent plus posés en préalable avec autant de force par le Président de la République.
Pourtant, feu le traité de Lisbonne…
M. Robert del Picchia. Il n’est pas mort !
Mme Michelle Demessine. … place de facto la politique européenne de défense sous la supervision de l’OTAN. Les Irlandais l’ont d’ailleurs bien compris, car l’une des raisons de leur rejet du traité a été la crainte de perdre leur souveraineté en matière de défense.
Cette intégration plus poussée au sein de l’Alliance atlantique, sans que le Président de la République ait obtenu de réelles garanties sur le partage du pouvoir et sur l’autonomie de décision et d’évaluation des menaces, nous rend très sceptiques sur la réelle détermination de ce dernier à promouvoir une Europe de la défense qui soit un acteur majeur et autonome sur la scène mondiale.
À la veille de la présidence française de l’Union européenne, l’absence de propositions concrètes dans ce domaine me semble de mauvais augure. Je pense, en particulier, aux objectifs qu’elle devrait se fixer ou à la définition d’une politique de coopération européenne pour les industries de défense.
Décidément, ce renoncement implicite à l’ambition d’une Europe de la défense pour faire de la France une puissance moyenne alignée sur les États-Unis est en totale contradiction avec les ambitions affichées par le Président de la République.
Il y aurait vraiment mieux à faire. Pour notre part, nous ne voulons pas que l’Europe soit associée à la partie de dominos que jouent les États-Unis dans le monde. Nous voulons que l’Europe, qui représente un quart des richesses de la planète, mette tout son poids dans la résolution pacifique des conflits, dans le respect du droit international et des résolutions de l’ONU.
J’en viens à l’analyse des nouvelles menaces et des nouveaux risques, l’un des points forts du Livre blanc.
Malheureusement, elle n’établit pas de hiérarchisation, et procède d’une vision de la sécurité et de la défense trop unilatérale, strictement occidentale. C’est une vision qui s’inscrit dans la conception américaine du « choc des civilisations ».
Les risques et les menaces ne sont pas hiérarchisés, puisque l’on mélange tout à la fois la prolifération nucléaire, les attentats terroristes, les attaques informatiques, les tensions nées de l’accès aux ressources ou bien encore les pandémies et autres catastrophes naturelles.
Les solutions proposées pour les prévenir et y répondre sont essentiellement sécuritaires et militaires, sans que l’on prévoie les moyens de s’attaquer aux causes profondes des tensions et des crises. Du fait précisément de ce « paquet sécuritaire », le Livre blanc ne traite plus uniquement de la défense stricto sensu ; il traite aussi de la sécurité nationale. Mais qu’y a-t-il de commun entre le terrorisme et les catastrophes naturelles ? Cela justifie-t-il que l’on étende le périmètre de la défense ?
Certes, dans un monde globalisé et interdépendant, les menaces ne s’arrêtent plus aux frontières et la distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure a perdu de sa pertinence. Mais ce concept de sécurité globale risque aussi d’entraîner un amalgame entre des menaces à la sécurité de l’État et des crises sociales. Traiter ces phénomènes sous l’angle de la sécurité ne pourrait conduire qu’à les aggraver et fournirait le prétexte pour ne pas s’attaquer aux racines du malaise.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. C’est n’importe quoi !
Mme Michelle Demessine. C’est en fonction de ces analyses que l’une des nouveautés du Livre blanc réside dans l’accent mis sur le renseignement humain et spatial, qui est érigé en nouvelle priorité sous l’appellation de « connaissance et anticipation » et qui s’ajoute aux quatre autres fonctions stratégiques traditionnelles.
Vous prévoyez ainsi de doubler le budget du renseignement. Nous serons peut-être mieux renseignés, mais les mesures de réduction que j’ai évoquées amoindriront nos capacités d’intervention et de gestion des crises.
Cette évolution du concept de défense, étendu à la sécurité nationale, est surtout l’occasion de renforcer les pouvoirs du Président de la République, puisque, comme il l’a annoncé, pratiquement toutes les décisions en matière de défense et de sécurité seront concentrées entre ses mains. Fort heureusement, le Parlement a récemment refusé l’aggravation de cette tendance en rejetant le dessaisissement du Premier ministre d’une partie de sa responsabilité en matière de défense au profit du Président de la République.
Avec le Conseil consultatif sur la défense et la sécurité nationale, la création d’un poste de coordinateur national du renseignement, directement rattaché au Président de la République, et la création d’un Conseil des affaires étrangères, également placé auprès de lui, nous sommes bien loin de l’esprit et de la lettre de la Constitution, dans laquelle il est précisé, à l’article 15, que « le Président de la République est le chef des armées » !
Ainsi, le domaine réservé du chef de l’État ne sera plus circonscrit aux affaires étrangères et à la défense. Cette concentration des pouvoirs en matière de sécurité et de défense est l’un des effets pervers des conclusions du Livre blanc. Elle n’est pas saine dans un grand pays démocratique comme le nôtre, car elle s’exercera dans le cadre des pouvoirs de contrôle très réduits du Parlement.
Monsieur le ministre, vous nous avez présenté les analyses et les propositions de ce Livre blanc. Le chef de l’État a approuvé ces nouvelles orientations stratégiques, mais il est peu démocratique que, eu égard à une révision aussi fondamentale de notre doctrine de défense, la représentation nationale n’ait pas été mieux associée à ces travaux. Il est encore moins acceptable que nous ne puissions pas, aujourd’hui, nous prononcer par un vote, car notre débat de ce soir ne sera d’aucun effet sur les conclusions du Livre blanc.
Malgré quelques aménagements à doses homéopathiques proposés dans le projet de révision constitutionnelle, la revalorisation du rôle du Parlement en matière de défense nationale apparaît pour ce qu’elle est : un leurre. En soumettant le Livre blanc au Parlement, vous aviez pourtant l’occasion d’apporter la preuve de votre volonté de l’associer à l’examen des questions de défense. Nous regrettons que vous ne l’ayez pas saisie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF.)
M. André Boyer. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, M. de Rohan m’a tendu cet après-midi une perche en citant Shakespeare lors de la réception d’une délégation de la chambre des Lords et de la chambre des Communes. Je la saisis ce soir, en parodiant un autre auteur prestigieux : comment parler d’effort de défense, sans apporter de preuves budgétaires de l’effort de défense ? (Sourires.)
À cet égard, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire part de ma profonde inquiétude.
Le Livre blanc précise en effet que l’effort de défense consistera à maintenir les ressources annuelles en volume, hors charges de pensions. Or, si nous examinons attentivement les déterminants de la dépense en matière de défense, que constatons-nous ?
Tout d’abord, les dépenses liées aux opérations extérieures atteignent près de 1 milliard d’euros en 2008, sans qu’une réduction puisse être envisagée à brève échéance. Nous avons donc atteint, au mieux, un palier.
Ensuite, la réforme des statuts particuliers, prévue pour le 1er janvier 2009, entraînera une augmentation de la masse salariale, et des revalorisations, au demeurant légitimes eu égard aux sujétions du métier des armes, sont annoncées.
Les restructurations, quant à elles, seront coûteuses, qu’il s’agisse des mesures de compensation pour les collectivités locales concernées ou d’accompagnement social des personnels. Rappelons simplement que la restructuration de la DCN aura coûté à notre pays, sur la dernière période de programmation, l’équivalent du programme des frégates multimissions,…