M. Jacques Blanc. Ce n'est pas possible d'entendre cela !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La volonté du peuple de pouvoir s'exprimer directement est aujourd'hui bafouée. Pourquoi tant de mépris ? La crédibilité du chef de l'État serait-elle en jeu ?
Pourquoi ce refus obstiné du référendum, alors que M. Sarkozy, lorsqu'il était étudiant, avait présenté un mémoire de DEA sur le référendum du 27 avril 1969 ? Notre président a-t-il peur de subir le même destin que le général de Gaulle ?
Pourquoi tant de mépris pour l'expression populaire de la part d'un homme qui, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, défendait le recours au référendum pour le défunt traité constitutionnel européen ?
Je souhaite citer les propos tenus par M. le Président de la République, alors qu'il était ministre, au cours d'un conseil national de l'UMP le 9 mai 2004 : « l'Europe doit être au service des peuples [...] Mais l'Europe ne peut pas se construire sans les peuples [...] la souveraineté c'est le peuple. À chaque grande étape de l'intégration européenne il faut donc solliciter l'avis du peuple. Sinon, nous nous couperons du peuple.
« Si nous croyons au projet européen comme j'y crois, alors nous ne devons pas craindre la confrontation populaire. [...]
« Je le dis comme je le pense, simplement. Je ne vois pas comment il serait possible de dire aux Français que la Constitution européenne est un acte majeur et d'en tirer la conséquence qu'elle doit être adoptée entre parlementaires, sans que l'on prenne la peine de solliciter directement l'avis des Français. »
Il concluait par ces mots : « J'appartiens à la famille gaulliste qui - à tort ou à raison - a toujours considéré le référendum populaire comme l'une des expressions les plus abouties de la démocratie ».
Aujourd'hui, le Président de la République oublie ses propres déclarations. Il bafoue non seulement la volonté du peuple, mais également les idées de sa propre famille politique. Pourquoi ce changement significatif ? Il n'y a aucune raison à cela, si ce n'est que le choix de la ratification parlementaire est en l'espèce un choix strictement personnel du Président de la République, et non un choix pour les Français et pour la France.
D'ailleurs, tout le monde consent à dire que le Président de la République a porté ce traité comme son propre enfant depuis le début. Il lui a même donné plusieurs noms - mini- traité, traité simplifié -, avant que la conférence intergouvernementale ne lui en attribue un d'office. Il l'a porté devant nous, comme si nous étions le conseil de famille de la construction européenne.
Il en a fait une affaire personnelle, alors que ce traité concerne tous les Français. Ce sont eux qui doivent décider directement ; ce sont eux les parents de la démocratie.
La voie de la ratification parlementaire est un déni de souveraineté ; l'absence de référendum nie le droit du peuple français de décider de la construction européenne. Le Président de la République, en faisant ce choix, condamne les Français à être les parents pauvres de la construction européenne. Il condamne le peuple français, relégué au rang de spectateur muselé, à perdre la maîtrise de sa liberté démocratique.
Que pensera ce peuple de France, à qui l'on retire le droit de se prononcer, d'un Gouvernement et d'un Président de la République qui bafouent ainsi leur volonté ?
Pour certains, présents dans cet hémicycle, la question serait tranchée depuis les élections présidentielles. En effet, puisque le candidat Nicolas Sarkozy évoquait déjà, dans son programme électoral, le recours à la voie parlementaire pour la ratification du traité de Lisbonne, en votant pour lui, les Français auraient également voté pour le recours à la ratification parlementaire ! (M. Jacques Blanc s'exclame.) Je regrette, mais cet argument est nul et non avenu.
M. Jacques Blanc. Ah bon ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Une élection ne donne pas au Président de la République un blanc-seing sur le contenu de sa politique,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois Il y a tout de même de grands engagements !
Mme Alima Boumediene-Thiery. ...notamment en matière européenne Les Français auraient-ils eux-mêmes renoncé à leur souveraineté en élisant M. Sarkozy à la magistrature suprême ? La question de la construction européenne est trop importante pour qu'on évacue le recours au référendum par une telle construction mentale et politicienne.
II faut l'avouer : le Président de la République a engagé sa crédibilité auprès des partenaires européens pour une ratification du traité de Lisbonne. Le choix du Congrès n'est pas un choix pour les Français : il est un choix contre eux, pour seulement permettre au chef de l'État de garder bonne figure auprès de nos partenaires européens. Si le traité était refusé par référendum, toute la confiance dont le peuple a investi Nicolas Sarkozy en l'élisant s'évanouirait.
Est-ce pour éviter ce désaveu hypothétique que le Président de la République contourne le référendum au profit d'un Congrès au sein duquel il sait disposer d'une majorité suffisante ?
M. Jacques Blanc. Le peuple a tranché !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Le choix de recourir à une ratification parlementaire d'un traité ne doit jamais être un instrument stratégique ou une ruse politique pour censurer la voix du peuple ; il doit être conforme à la volonté du peuple.
Enfin, ne nous trompons pas de combat : que l'on ait soutenu ou non le traité établissant une constitution pour l'Europe, le TCE, en 2005, que l'on soit pour ou contre les modifications apportés dans le traité de Lisbonne, il ne s'agit pas, aujourd'hui, de se prononcer pour ou contre le traité européen. Là n'est pas la question !
Pour nous les Verts, il s'agit de défendre la légitimité du recours au référendum, afin de redonner la parole au peuple français sur ce qui engage notre pays pour de longues décennies. Nous n'avons pas été élus pour priver le peuple de sa souveraineté ! La volonté du peuple est simple : le choix du référendum pour la révision de la Constitution et pour la ratification du traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Pierre Bernard-Reymond. Madame la ministre, ne m'en veuillez pas si, anticipant quelque peu sur le calendrier, je m'exprime dès aujourd'hui devant vous sur le fond du traité de Lisbonne plus que sur la réforme constitutionnelle qui rendra sa ratification possible.
M. Charles Gautier. Ce n'est pas le sujet !
M. Pierre Bernard-Reymond. Je voudrais le faire, d'abord, en tirant les leçons de l'échec du référendum de 2005, ensuite, en m'interrogeant sur les conditions du succès de la mise en place de la réforme institutionnelle et, enfin, en m'exprimant sur les perspectives à long terme de l'Union européenne, qui, avec ce traité, a certes éclairci son propre horizon, mais se trouve confrontée à un monde où dominent plus que jamais l'incertitude et le risque.
Il faut en effet revenir sur le projet de traité constitutionnel refusé par nos compatriotes en 2005, car des leçons doivent être retenues de cet épisode.
La construction de l'Europe avait été, jusque-là, un processus pragmatique, bien adapté à une visibilité à moyen terme qui s'élaborait par des traités successifs. Chacun d'eux prenait en compte de façon réaliste les évolutions récentes, identifiait les besoins à satisfaire, les inscrivait dans le marbre et éclairait le proche avenir, dans la perspective du traité suivant.
Proposer une constitution pour l'Europe rompait avec cette méthode et présentait l'ambition de figer définitivement le cadre dans lequel évoluerait désormais un processus qui est pourtant loin d'être achevé.
Ce caractère solennel et irrémédiable a d'autant plus inquiété certains de nos concitoyens qu'ils ont aussi voulu y voir un choix définitif en faveur d'un certain type de société qu'ils récusent, alors qu'il ne s'agissait que de prendre en compte l'acquis communautaire, dans un ensemble cohérent, et de fournir un nouveau cadre institutionnel, permettant à l'Europe des Vingt-Sept de fonctionner.
Revenir à la construction européenne par l'élaboration d'un traité tous les six ou sept ans est la bonne méthode. Si l'on considère un jour que cette construction est définitivement achevée, alors peut-être pourra-t-on penser à une constitution, mais le moment n'est pas venu.
Le choix d'une ratification de forme référendaire a encore contribué à solenniser l'acte et a permis d'ouvrir un débat qui n'avait que de lointaines références avec la question européenne.
Le référendum a par ailleurs encouragé des approches strictement politiciennes, notamment de la part des auteurs d'un prétendu plan B, qui n'a jamais existé.
Donc, la bonne méthode, ce sont des traités, pas de constitution, et des ratifications parlementaires chaque fois que la complexité des textes expose le référendum à des réponses qui n'ont rien à voir avec la question posée.
J'espère également, madame la ministre, que, dans une prochaine réforme constitutionnelle, le Gouvernement reviendra sur l'obligation de recourir au référendum pour la ratification de l'entrée de nouveaux membres.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Pierre Bernard-Reymond. De même, s'il est très utile que des sages s'interrogent sur l'avenir à long terme de l'Europe, qu'ils se gardent bien de vouloir en dessiner dès maintenant un contenu trop précis et surtout des contours, autrement dit des frontières, définitifs.
Où en seront dans vingt ans la Turquie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie et même bientôt la Serbie, après l'indépendance du Kosovo ? Nul ne peut le dire ! Au demeurant, l'Europe peut avancer sans répondre aujourd'hui à ces questions.
C'est en respectant ces règles que l'Europe a pu se sortir de ce mauvais pas, grâce au dynamisme de notre Président de la République, au travail de Mme la Chancelière d'Allemagne et à la volonté partagée de la plupart des membres de l'Union.
Espérons que tous les pays, y compris l'Irlande, tenue de procéder à un référendum et qui ferait bien de l'organiser après les vingt-six autres ratifications, permettront la mise en oeuvre de ce traité en 2008 ou, au plus tard, avant les élections au Parlement européen.
Le deuxième point de mon intervention concerne la mise en oeuvre de ce traité, en particulier de sa partie institutionnelle.
Le traité de Lisbonne met en scène cinq grands personnages à la tête de l'Union, à savoir le président de l'Union, qui va enfin donner une voix et un visage à l'Europe, le président de la Commission, le président du pays qui assurera la gestion semestrielle de l'Union, le Haut représentant, le président du Parlement.
Certes, leurs relations de pouvoir seront réglées par les textes des traités, mais nous savons bien aussi que de leur entente personnelle et de celle de leurs plus proches collaborateurs dépendra le bon fonctionnement des institutions.
Des réunions régulières informelles de ce quintette paraissent indispensables pour assurer une bonne gouvernance de l'Union...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce sera simple !
M. Pierre Bernard-Reymond. ...sous la conduite de son président. J'espère que ce dernier, pour être pleinement représentatif, sera issu d'un pays fondateur, membre de la zone euro et de l'espace Schengen.
M. Charles Gautier. Il faut le dire à Nicolas Sarkozy !
M. Pierre Bernard-Reymond. En revanche, pour le poste absolument stratégique et de première importance que doit être celui du Haut représentant, on pourrait se référer à la longue et excellente tradition diplomatique de nos amis anglo-saxons pour souhaiter la désignation d'une personnalité de dimension internationale, capable de s'imposer à l'intérieur dans la formulation d'une politique étrangère que nous espérons de plus en plus commune, et d'agir avec efficacité dans tous les secteurs de la vie internationale.
M. Jacques Blanc. Pourquoi pas !
M. Pierre Bernard-Reymond. Certes, le titre de ministre des affaires étrangères aurait mieux correspondu au niveau et au profil souhaité, mais c'est précisément celui à qui je pense pour ce poste qui n'en a pas voulu...
Au-delà de ces questions institutionnelles et de ces désignations qui devront être marquées par le souci de choisir les meilleurs au lieu de résulter d'un processus de négociations et de marchandages - on peut toujours rêver ! -, nous ne pouvons que nous féliciter des autres avancées que marque le traité, en particulier l'amélioration de la capacité de décision, le rôle accru des parlements nationaux et européens, le contrôle de la subsidiarité, qui font du traité de Lisbonne un texte équilibré et porteur de progrès pour la construction démocratique de l'Union.
De ce point de vue aussi, le traité de Lisbonne aura vraiment libéré l'avenir européen.
Une fois l'horizon éclairci, les ratifications acquises et les responsables désignés, l'Europe pourra repartir du bon pied, douze ans, tout de même, après la conférence de Turin, qui marqua le début du processus de réforme.
Ce sera un moment privilégié pour réaffirmer le sens profond de la construction européenne, sa vocation et son ambition.
L'Europe est d'abord un projet de civilisation. Je ne me sens autorisé à utiliser cette formule que parce que je l'ai écrite dans un article en 1996. En effet, l'objet de la construction européenne ne s'arrête pas à la création d'un marché unique, lui-même simple partie de plus en plus indifférenciée de l'espace économique mondial.
Nous croyons à la force des valeurs dans une société qui place l'homme au centre de toute chose. La recherche de la paix, le respect des droits de l'homme, la défense des libertés, la démocratie pluraliste, le développement de nos entités culturelles, mais aussi la solidarité, les notions de service public, de coopération et de mutualisme contribuent à faire de nos sociétés des communautés singulières, que nous voulons préserver et développer en les modernisant.
Mais pour être une civilisation, l'Europe doit être aussi une puissance.
Nous n'imaginons pas qu'à l'heure de la mondialisation l'Europe puisse se réfugier dans une attitude de neutralité ou se contenter de jouer le rôle d'une puissance régionale, car nous devons défendre nos valeurs et nos intérêts et assurer leur promotion dans le monde.
Nous ne pensons pas qu'il soit bon que la société internationale soit livrée aux seules forces du marché et de la mondialisation. L'Europe ne doit pas être le cheval de Troie de cette mondialisation, mais elle ne peut pas être non plus un simple rempart contre elle.
D'une façon plus réaliste, en matière monétaire, sociale et environnementale - il s'agit là des trois domaines essentiels du dumping mondial - nous devons nous rapprocher des pays émergents pour « civiliser » avec eux les forces qui déterminent la société internationale et dont l'accélération, certainement trop brutale, crée des drames aussi bien chez eux que chez nous.
Pour toutes ces raisons, nous ne nous contenterons pas d'organiser un espace : nous voulons bâtir une puissance.
À cet égard, le renforcement de notre puissance économique par la relance de la stratégie de Lisbonne, l'élaboration d'une diplomatie commune, par exemple, en créant, dans le cadre de la Commission et sous l'autorité du Haut représentant, un centre d'analyse et de propositions pour la politique étrangère, ainsi que, par ailleurs, la construction d'une réelle politique de défense et la promotion, dans le cadre de l'ONU, d'une enceinte de négociations pour toutes les questions de développement durable, apparaissent aujourd'hui essentielles.
Pour organiser cette puissance, l'Europe doit devenir une fédération.
Il s'agit non pas de forger une « fédération-Léviathan » qui ferait de l'Europe un État-nation, mais, au contraire, d'organiser une fédération décentralisée, fondée sur la subsidiarité et le respect de nos identités. Toutefois, cette fédération doit être dotée d'une structure de pouvoir qui lui permette d'agir et de réagir avec l'efficacité nécessaire.
Un État unitaire européen ne correspond pas aux aspirations du rassemblement de vieilles nations que nous représentons. Au contraire, nous sommes persuadés que nos diversités géographiques, historiques et culturelles constituent un formidable atout dans la compétition mondiale qui fait rage ; aussi pensons-nous que cette fédération doit prendre la forme d'une communauté de nations.
Jusqu'ici, les relations entre les peuples se sont développées selon deux modes essentiels, l'impérialisme et le nationalisme, qui ne sont pas satisfaisants au regard de nos propres valeurs. Ce que nous visons, avec la construction de l'Europe, n'est rien moins que l'invention d'un nouveau mode de relations entre les peuples : une Communauté fondée sur la libre adhésion, la démocratie et le respect des identités culturelles de chacun.
Ainsi notre ambition pour l'Europe pourrait-elle être précisée : un projet de civilisation servi par une puissance organisée sur le mode du fédéralisme décentralisé et qui constitue une communauté de nations. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il nous est proposé de modifier notre Constitution, ce pour la dix-septième fois au cours des quinze dernières années.
Les difficultés que nous éprouvons pour nous y retrouver dans ce patchwork seront encore accentuées par les modifications annoncées, modifications qui se révéleront d'ailleurs certainement inutiles, si, comme cela n'est que trop probable, le traité de Lisbonne est ratifié, puisqu'il a pour objet de faire disparaître la souveraineté du peuple français.
Les partisans de l'abandon s'offusquent en qualifiant l'attitude de ceux qui pensent comme moi de souverainisme, croyant, en vertu d'un penchant bien français, la déconsidérer. Si cette position est minoritaire dans certaines sphères bien pensantes, est-on sûr qu'elle le soit dans nos quartiers et dans nos campagnes ?
Pour ce qui me concerne, je n'ai pas vu, dans le texte du traité, non plus que dans les commentaires lénifiants qui l'accompagnent, de motifs à reconsidérer ma position : comme en 2005, c'est toujours non !
Il est trop facile d'opposer l'argument de paresse intellectuelle consistant à dire que les adversaires de la ratification sont contre l'Europe. Il n'y a rien de plus faux. Ce sont du reste des affirmations de ce genre qui ont contribué, en 2005, à affaiblir les positions du oui, au point qu'il fut minoritaire, car elles laissaient entendre que les partisans de la ratification n'avaient pas d'autres arguments.
Ce qui nous différencie, ce n'est pas de croire ou non en la nécessité d'une construction européenne ; ce sont nos conceptions respectives de ladite construction européenne et la façon dont, les uns et les autres, nous entendons la réaliser.
Je regrette évidemment que l'on ne recoure pas à la procédure référendaire. Bien sûr, la procédure suivie est conforme à la Constitution, mais est-elle légitime ? Je ne le crois pas !
Une fois de plus, on adresse aux citoyens, à propos de l'Europe, des messages négatifs - « Circulez, il n'y a rien à voir ! », « Cause toujours, tu m'intéresses ! » - comme si ces questions étaient hors de leur portée. Je les crois, au contraire, parfaitement aptes à comprendre : si les tenants et les aboutissants du traité, avec leurs points forts et leurs points faibles, avec les avantages que la France peut en espérer, leur étaient expliqués clairement, ils pourraient éventuellement voter oui.
Le meilleur moyen de « remettre la France en Europe », selon la très discutable formule employée, est de donner la parole au peuple plutôt que de le faire de façon contestable, en catimini, dans le secret des cabinets et le clair-obscur des cours de justice. On est fondé à parler d'une conspiration du silence pour imposer le culte du fédéralisme.
On préfère continuer à construire l'Europe sans les peuples, voire contre les peuples et les États qui les représentent.
Évidemment, les potentats qui règnent dans l'ombre à Bruxelles se méfient, car, quand on donne la parole aux peuples, ceux-ci posent des questions et peuvent exiger que la copie soit revue. Pourtant, comme le déclarait en 1962 le général de Gaulle, la voie du référendum s'impose parce que c'est la plus démocratique. Cela éviterait la quasi-clandestinité de la ratification. En réalité, les promoteurs du texte ont tout simplement peur du peuple.
L'utilisation du référendum serait plus conforme à l'article 3 de la Constitution et plus en harmonie aussi avec les conclusions de la commission Balladur sur le rôle accru qu'elle souhaite donner aux citoyens dans le fonctionnement de nos institutions.
Quand on voit ce qui se passe à propos des traités précédents, on peut craindre que, dans quelque temps, les thuriféraires du traité n'en disent pis que pendre et tentent même de s'affranchir de certaines de ses contraintes, mais ce sera trop tard.
À cet égard, l'exemple le plus caricatural est notre attitude vis-à-vis du traité de Maastricht, de la monnaie unique et du rôle de la Banque centrale : « Avons-nous déjà oublié le franc fort à tout prix qui nous a coûté cher en emplois, en pouvoir d'achat, en déficits et en endettement public pour que nous nous sentions obligés de recommencer, alors même que nous n'avons plus à gérer la réunification allemande et la marche vers l'euro ? Être un Européen conséquent, c'est admettre les grands principes de la concurrence comme fondement du marché unique, mais c'est refuser que le droit européen de la concurrence laisse les entreprises européennes à la merci des prédateurs du monde entier. » ; ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Président de la République.
J'avoue ne pas comprendre : on ne peut pas, d'un côté, remettre en cause les politiques européennes et, de l'autre, nous demander de réduire encore plus les marges de manoeuvre de la France vis-à-vis des instances européennes qui, conformément aux traités, mettent en oeuvre ces politiques.
De deux choses l'une : ou bien on s'aligne, et on le dit aux Français, ce qui est le sens du traité de Lisbonne ; ou bien on le refuse, et on a le courage de proposer une construction de l'Europe plus conforme à l'avenir de la France et de l'Europe.
Il est d'ailleurs à noter que nous n'avons guère respecté les critères fixés par le traité de Maastricht depuis que le peuple français l'a approuvé.
Que dire également de notre attitude vis-à-vis de certaines règlementations, comme les quotas, qui, si on l'a bien compris, ne sont que l'application des politiques que les gouvernements français successifs ont approuvées à Bruxelles ? C'est regretter des effets dont on a chéri les causes.
Il est vrai aussi que l'on attend toujours la réalisation des promesses mirifiques de 1992 sur l'Europe sociale. M. Védrine a d'ailleurs déclaré : « Le terme d'Europe fédérale et sociale est un oxymore. » Je crois qu'il parle d'or en la circonstance.
Les questions que l'on peut se poser à propos du traité de Lisbonne sont les suivantes : y a-t-il eu simplification, et le traité est-il allégé ? S'il y a un changement par rapport à 2005, a-t-on tenu compte de l'avis des peuples ? La réponse à ces deux questions est non.
Je note d'ailleurs la discrétion, voire la pudeur dont ont fait preuve les rédacteurs de l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle sur les raisons qui ont nécessité l'élaboration de ce projet de loi. Une telle réserve est quasiment un aveu : « Cachez ce texte qu'on ne saurait montrer aux citoyens ! »
En effet, il ne s'agit pas d'un traité simplifié. Un document qui s'étend sur 287 pages, comprend plus de 400 articles, est complété de 65 annexes, de 13 protocoles additionnels, ne saurait mériter ce qualificatif,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr !
M. André Lardeux. ... sauf par abus de langage.
Est-ce un mini-traité par rapport à la maxi-Constitution de 2005 ? Non plus, puisqu'il reprend quasi intégralement feu la Constitution : elle est écrite sous une autre forme, après que d'obscures et absconses modifications des 3 000 pages des traités existants ont été opérées. La Constitution est morte, mais vive la Constitution ! On se croirait au jeu de bonneteau.
Ce texte est un avatar de la Constitution, une Constitution bis, comme beaucoup de ses auteurs l'ont honnêtement reconnu.
Ainsi, Mme Angela Merkel a déclaré : « La substance de la Constitution est maintenue. »
M. Anders Fogh Rasmussen, Premier ministre danois, a affirmé : « Ce qui est positif c'est (...) que les éléments symboliques aient été retirés et que ce qui a réellement de l'importance - le coeur - soit resté. »
M. José Luis Zapatero a dit : « Nous n'avons pas abandonné un seul point essentiel de la Constitution. »
M. Bertie Ahern, Premier ministre de la République d'Irlande, a déclaré : « 90 % [de la Constitution] sont toujours là... ces changements n'ont apporté aucune modification spectaculaire à l'accord de 2004. »
Comme l'a fait remarquer un professeur de droit analysant le texte : « Les modifications de forme et de fond sont de nature psychologique ! C'est pour faire avaler la pilule ! »
C'est en effet le sosie de la Constitution, comme le laissent à penser les propos tenus par M. Giscard d'Estaing, qui est un expert confirmé du sujet, le 26 octobre dernier : « les propositions institutionnelles - les seules qui comptaient pour les conventionnels - se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs. »
On ne peut pas être plus clair : le flacon n'est pas le même, mais le contenu n'a pas changé (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.) ; c'est moins ronflant, mais c'est plus habile. Le texte est simplement devenu incompréhensible aux non-juristes, offrant ainsi un exemple parfait du fossé entre les citoyens et les eurocrates.
Les mêmes quatre éléments fondamentaux sont toujours là : la personnalité juridique, c'est-à-dire la pleine capacité pour l'Union de signer des traités, notamment, la supériorité des textes européens sur les textes nationaux, une politique extérieure autonome, enfin, un système de décision indépendant avec de considérables transferts de souveraineté.
Ce texte est donc bien une Constitution, comme le souligne le député européen M. Bourlanges : « Toute la Constitution est là ! Il n'y manque rien ! »
La personnalité juridique est accordée à l'Union : c'est le point cardinal du fédéralisme. Bien sûr, on a fait en sorte que l'affirmation soit plus discrète, mais il y a malgré tout de plus en plus d'abandons de souveraineté.
La Commission pourra se mêler de tout ; rien ne lui échappera : droit de la famille, code civil, maintien de l'ordre public, etc.
Il faudra d'ailleurs en tirer les conclusions en supprimant bon nombre de ministères français : l'agriculture, l'environnement, les transports, et la liste n'est pas terminée.
Les parlements nationaux, eux aussi, seront devenus parfaitement inutiles.
M. Jacques Blanc. Ils sont renforcés !
M. André Lardeux. Le droit de pétition est reconnu aux citoyens s'ils estiment qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire, mais pas aux parlements, qui ont obtenu des miettes par ailleurs.
La souveraineté nationale n'est pas limitée, elle est bel et bien abolie.
La supériorité des textes européens sur les textes nationaux est plus que jamais affirmée dans un protocole additionnel rappelant la jurisprudence de la Cour de justice, dont les pouvoirs demeurent exorbitants. Cette affirmation n'était même pas nécessaire, comme le démontre l'arrêt de la Cour rendu le 18 décembre dernier aux dépens des syndicats suédois.
Ainsi, le fameux principe de concurrence libre et non faussée qu'on nous dit avoir fait sortir par la porte rentre « illico » par la fenêtre.
Les textes antérieurs conféraient aux États le droit de se retrancher derrière la protection des exigences de leurs constitutions respectives. Cette protection a disparu.
La primauté du droit de l'Union - ce n'est même plus le droit communautaire ! -, sorte de nouvel Être suprême devant lequel il faut se prosterner, amène à une situation curieuse : en principe, au moins en France, la justice est rendue au nom du peuple ; désormais, au nom de qui sera-t-elle rendue ?
La politique extérieure est confiée à un Haut représentant, qui sera aussi vice-président de la Commission européenne. Selon l'expression que le Président de la République a employée le 20 juin dernier, ce sera « un ministre des relations extérieures sans le nom ». Cela a le mérite de la clarté et nous permettra de supprimer le poste de M. Kouchner et de quelques autres qui ne seront plus que des excellences superflues... (Mme Rachida Dati, garde des sceaux, et M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État, s'exclament.)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. C'est n'importe quoi !
M. André Lardeux. On nous dit que la référence à l'OTAN disparaît, mais, dans la mesure où l'on renvoie au traité de Maastricht, la disposition est plus que jamais valable : ce n'est qu'un tour de passe-passe de plus.
Le système de décision est encore plus indépendant, avec une quantité considérable de transferts de souveraineté, avec une présidence stable de l'Union pendant deux ans et demi, voire cinq ans. Le comble serait que celle-ci soit attribuée à un représentant du pays le moins européen.
Les décisions seront désormais très majoritairement prises à la majorité qualifiée. Quelques pays, cependant, réussissent à s'exonérer de ces contraintes pour certaines dispositions, mais pas le nôtre.
La trouvaille la plus remarquable est celle qui développe les clauses dites « passerelles », lesquelles court-circuitent le pouvoir constituant des États. On en ajoute une grande quantité. Ainsi, il n'y aura à l'avenir même plus besoin de traité pour passer de l'unanimité à la majorité qualifiée. Par conséquent, les peuples n'y verront plus rien du tout : passez muscade !
La clause passerelle de flexibilité sur le contenu des compétences permettra absolument tout et constitue quasiment un coup de force.
La charte des droits fondamentaux annexée, dont certains pays se sont aussi exonérés - mais pas la France ! - est plus vaste que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle sera juridiquement contraignante et permettra éventuellement de nous imposer ce que nous ne voulons pas.
Notre déclaration des droits, nos lois de bioéthique, notre code de la famille seront remis en cause. Nous pourrons gagner du temps puisqu'il sera inutile que nous en débattions dans cet hémicycle.
Nous pouvons craindre que certaines dispositions ne soient utilisées contre les États pour arriver à un fédéralisme des régions d'Europe. Ainsi l'Europe sera-t-elle transformée en une « poussière d'entités », ce qui est à la fois porteur de très gros risques et tout à fait contraire à nos traditions républicaines.
Nous aurions également aimé trouver dans le texte une définition de l'Europe que l'on veut nous imposer : la liste des membres, qui figurait dans le traité de Nice, a, bien sûr, disparu.
C'est l'un des drames de l'Europe, souligné ainsi par l'historien Elie Barnavi : « Et l'un des drames de l'Europe est précisément qu'elle ne sait pas se donner des frontières physiques, car elle est incapable de se donner des frontières mentales. Elle ne sait pas définir un "eux" et un "nous". Cette frontière entre "eux" et "nous" n'est pas forcément hostile, ni imperméable, (...) mais pour être amicale et poreuse, il faut d'abord qu'elle existe. »
L'exemple le plus emblématique est la question de la Turquie. Lors de la dernière campagne électorale, on nous avait laissé entendre que la France s'opposerait à l'extension de la négociation. On attend toujours, puisque, pour l'instant, chaque étape franchie par la Commission a été avalisée.
L'entrée de la Turquie serait secondaire si l'Europe n'était destinée qu'à être un vaste marché selon le souhait des utilitaristes et mercantilistes Anglo-Saxons. Mais si elle doit être une entité politique supranationale, cela mérite débat et non pas le silence qui nous est imposé. D'autant que beaucoup de pays, notamment à l'Est, sont favorables à cette entrée, dans la mesure où, à leurs yeux, elle permettrait bien sûr, en toute logique, une extension à des pays comme l'Ukraine, la Biélorussie et quelques autres, lesquels ont certes de nombreux titres à faire valoir.
Pour l'instant, l'obligation du référendum pour une éventuelle adhésion est maintenue dans notre Constitution - je sais que c'est très provisoire ! -, ce qui souligne le paradoxe suivant : pour instituer l'Europe, il n'y a pas besoin de référendum, mais, pour y entrer, il en faut un. Cela permet de penser que, si l'on n'a pas osé le faire, cela viendra très certainement lors des prochaines révisions.
Vous l'avez compris, si je suis pour l'Europe, c'est non pas pour un système fédéral supranational, mais pour une Europe confédération, association d'États-nations.
Les Français sont majoritairement pour l'Europe, mais ils veulent une Europe réelle, où ils demeurent maîtres de leur destin, et non une Europe abstraite, dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.
Or le traité dont on nous demande d'autoriser la ratification n'est pas un traité ordinaire, comme ceux d'Amsterdam ou de Nice. Il représente un saut qualitatif, puisque l'Union est dotée de l'essentiel des attributions ordinairement dévolues aux États, dans le cadre d'un système de plus en plus opaque duquel il est, en pratique, impossible de se retirer.
Sans doute un État souverain peut-il utiliser sa souveraineté pour l'aliéner irréversiblement, ce qui masque cette pratique de la formalité d'incessantes révisions constitutionnelles : face à cela, nous tombons dans le syndrome de Stockholm, où la victime d'un enlèvement trouve son ravisseur de plus en plus sympathique, au point d'épouser sa cause.
Dans l'indifférence générale, mais voulue, on met en place une nouvelle légitimité, « a-nationale », indépendante du pouvoir souverain de la nation, ce qui signe l'acte de décès de notre souveraineté puisque la Constitution française ne sera plus qu'une variable d'ajustement et un règlement de procédure.
C'est amplement suffisant pour que je vote contre la révision constitutionnelle qui nous est présentée et contre la ratification du traité que l'on nous proposera la semaine prochaine. (M. Bruno Retailleau, Mme Josiane Mathon-Poinat et M. Robert Bret applaudissent.)