Mme Odette Terrade. C'est complètement hors sujet !
Mme Raymonde Le Texier. Il y a une loi sur l'IVG !
M. Bernard Seillier. Ses propos méritent, je pense, un peu de respect.
Il m'a fallu du temps pour comprendre ce qu'elle voulait ainsi signifier. Je crois avoir compris que, selon elle, toute l'anthropologie sociale et la philosophie de l'insertion au sens général du terme étaient contenues dans la gestation de l'être humain.
M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales. Voilà une définition de la « politique de civilisation » !
M. Bernard Seillier. Dans une situation initiale de grande dépendance, incapable de faire valoir ses droits par lui-même, il est soumis à la protection du corps maternel avec lequel il ne fait presque qu'un. Il y a ainsi, pendant neuf mois, un accompagnement biologique et affectif qui débouche sur la naissance au monde.
À partir de là, être homme est une succession ininterrompue d'actions, d'initiatives et de consentements qui ne se posent pas de manière isolée dans le milieu vital ni indépendamment de lui.
Ce qu'est de manière archétype l'accompagnement maternel avant la naissance, puis, après la naissance, pendant la première éducation, doit se poursuivre ensuite durant toute notre vie dans une inter-relation continue entre les personnes composant la communauté de société.
Nous ne cessons de nous engendrer mutuellement pour composer le corps social que nous voulons le plus harmonieux, pacifique et juste possible.
Si nous ne sommes pas mus fondamentalement par cette conception de notre humanité, par cette caractéristique de notre civilisation, en un mot par cet humanisme de l'interdépendance de nos actes, nous serons dans l'impossibilité d'avoir une conception de l'insertion autre que purement fonctionnelle et technique, et qui repose donc in fine sur la responsabilité peu partagée de celui qui est en situation d'exclusion. Nous ne saurons jamais l'écouter puisqu'il lui appartient de nous dire ce dont il a besoin même quand il sait difficilement l'exprimer, alors que c'est la condition même de la réalisation de notre humanité.
Ainsi, nos sociétés modernes n'auraient pas beaucoup changé par rapport aux sociétés antiques qui rejetaient sur le pauvre la responsabilité de son indigence et appelaient « esclaves » ce que nous appellerions « inadaptés ».
Or nous savons maintenant que le bouc émissaire est innocent, ainsi que René Girard nous le rappelle avec insistance.
Pardonnez-moi, mes chers collègues de vous avoir entraînés sur ce terrain inattendu mais que, sincèrement, je ne crois pas hors sujet...
M. Bernard Seillier. ... si nous voulons remonter à la source du problème de l'insertion et reconnaître qu'il s'agit du sens fondamental de nos vies, de cette obligation nationale, de cette mobilisation de tous inscrite dans la loi de 1998. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Je rappelle que les interventions des autres orateurs ne peuvent dépasser dix minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, chers collègues, dans notre pays, une personne sur dix vit grâce aux minima sociaux, mais, dans une telle situation, il est difficile de faire la part de ce qui relève de la persistance d'un chômage de masse, de ce qui est dû à la complexité du champ de l'insertion ou à l'existence de trappes à inactivité.
On a d'ailleurs pu constater que le nombre de RMIstes restait très élevé, même lorsque le chômage reculait. Cela n'est pas étonnant puisqu'une part des reculs constatés en la matière correspond moins à des créations d'emplois qu'à des baisses statistiques, liées au glissement de statut de demandeur d'emploi à RMIste.
La question de l'insertion n'est que la pointe émergée de l'iceberg du marché du travail, où précarisation, bas salaires, chômage et démantèlement des protections sociales sont les véritables fléaux qui minent notre société, engendrant de plus en plus d'exclus ainsi qu'un fort sentiment d'insécurité.
Selon une étude réalisée auprès de l'ensemble des pays de la communauté européenne, à la question « avez-vous personnellement peur d'être exclu ? », 55 % des Français répondent par l'affirmative.
Plus étonnant encore, ce pourcentage est le plus élevé parmi tous les pays consultés. Cela prouve que l'exclusion est perçue comme liée à des phénomènes que non seulement l'individu ne maîtrise plus mais sur lesquels l'État semble ne plus avoir de prise.
C'est sur le changement des fondamentaux économiques qui provoquent ces situations qu'il faut aujourd'hui réfléchir, car on ne peut se satisfaire ni de cette inquiétude croissante ni de la situation de l'insertion dans notre pays.
Le bilan que vous en dressez, monsieur le haut-commissaire, est juste, précis et nous interpelle.
Se retrouver dans le maquis des contrats aidés relève de l'exploit : contrat de qualification, contrat de professionnalisation, contrat d'insertion dans la vie sociale, contrat d'insertion lié au revenu minimum d'activité, contrat d'accès à l'emploi, contrat d'avenir... Et cet inventaire n'est pas exhaustif.
Quant au contenu réel de ces contrats, beaucoup d'entre nous ont du mal à le décrire. Pis encore, les professionnels eux-mêmes sont perdus dans cette jungle de propositions où les individus sont découpés en tranches, répartis en cases et n'ont accès aux différentes propositions qu'en fonction de conditions qui ne cessent d'être redéfinies et réaménagées au gré des annonces ministérielles, des besoins statistiques et des financements disponibles.
Il faut ajouter à cet empilement des dispositifs l'énergie incroyable que les acteurs doivent déployer pour suivre ces changements dont ils ne comprennent plus le sens, ce qui, à terme, aboutit à une démobilisation générale.
Si nul ne peut encore prédire ce qui sortira du Grenelle de l'insertion, les questions que vous soulevez, monsieur le haut-commissaire, sont pertinentes et la démarche qui sous-tend la procédure que vous avez mise en place nous change agréablement des habituelles méthodes de travail de ce gouvernement : le temps de la réflexion et de l'écoute est pris, le diagnostic doit être établi à partir des réalités du terrain, la question de la gouvernance et du financement est posée, la volonté d'achever le processus avec des solutions concrètes et partagées est affichée.
La mise en place de politiques d'insertion efficaces nécessite une évaluation sérieuse des dispositifs existants, qu'il s'agisse de l'accompagnement social des titulaires de minima sociaux, du professionnalisme des entreprises intervenant dans le champ de l'insertion, des parcours de retour à l'emploi, sans oublier la question du partenariat, qui reste posée : en parler à l'envi ne signifie pas pour autant qu'il fonctionne ; de mon point de vue, ce serait plutôt l'inverse !
Il est indispensable que les élus, les entreprises et les employeurs publics s'impliquent réellement dans la démarche ; ils en étaient découragés jusqu'alors par la complexité des processus, le peu de résultats constatés sur le terrain comme l'attitude de l'État, qui semblait s'en laver les mains...
L'Assemblée des départements de France, l'ADF, se plaint depuis longtemps du désengagement de l'État des politiques d'insertion. En effet, le transfert aux conseils généraux de la gestion du RMI s'apparente plus à la gestion de la « patate chaude » qu'à une saine répartition des tâches entre ce qui relève de la solidarité nationale et ce qui doit être pris en charge au niveau local. La situation s'est trouvée aggravée par le manque de parole des gouvernements successifs qui n'ont jamais tenu les promesses de remboursement aux départements.
Face à un accroissement de plus de 18 % du nombre de bénéficiaires du RMI observé entre 2004 et 2006, les départements n'ont eu de cesse de dénoncer le décrochage entre la part du financement incombant à l'État et le coût réel assumé par leurs budgets. Dès 2004, les dépenses ont progressé de 8,5 % du fait de la dégradation du marché du travail et de la réforme de l'UNEDIC, laquelle a entraîné une augmentation du chômage non indemnisé ainsi que le basculement plus fréquent et plus précoce des demandeurs d'emploi vers le RMI.
Les départements ont assumé financièrement les choix de la politique d'emploi de l'État, alors même que celui-ci se défaussait des obligations contractées à leur égard. Mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre : aujourd'hui encore, la dette de l'État s'élève à 2 milliards d'euros, sans compter les différentes formes de contrats aidés que financent également les départements !
Face à la désinvolture de l'État et à la détresse croissante de leurs administrés, les conseils généraux auraient pu choisir de consacrer la majeure partie de leur budget au versement des allocations, en réduisant de manière drastique les efforts nécessaires aux actions d'insertion. Ce n'est pas ce qu'ils ont décidé. Cependant, quand l'explosion des dépenses liées à l'APA s'ajoute à l'augmentation du coût de l'insertion, les marges budgétaires tendent à se réduire comme peau de chagrin. À terme, le risque de devoir choisir entre le nécessaire et l'indispensable devient de plus en plus réel.
Voilà pourquoi l'annonce de la généralisation avant 2009 du revenu de solidarité active, le RSA, rend les départements plus que circonspects. Claudy Lebreton déclarait devant le congrès de l'ADF en octobre 2007 : « Le Gouvernement a prévu d'inscrire 25 millions d'euros pour financer le surcoût du RSA et nous savons que cette somme sera largement insuffisante. » Au vu de ce qui s'est passé pour le RMI, le président de l'ADF parle d'expérience. Si l'expérimentation du RSA est intéressante, conduisons-la à son terme, car, en l'état, son coût obère ses chances de succès, et ce n'est pas l'annonce de crédits manifestement sous-évalués qui restaurera la confiance.
Enfin, si l'insertion par le travail est un objectif dont on peut difficilement contester la légitimité, il reste que nombre de bénéficiaires des minima sociaux nécessitent encore une prise en charge lourde. La question de la revalorisation du travail ne doit pas servir de prétexte à l'occultation des problèmes de logement, de formation, d'éducation et de santé qui pèsent sur l'avenir des plus fragiles d'entre nous.
La perte de crédit de la parole de l'État n'est pas liée uniquement aux mauvais rapports entre le Gouvernement et les collectivités territoriales. Pour les citoyens aussi, les promesses de l'élection présidentielle ont fait place au pain noir de la réalité. Depuis quelque temps, les discours gouvernementaux sur la revalorisation du travail servent de paravent à la réalité d'une politique où stagnation des salaires rime avec baisse du pouvoir d'achat, où la modernisation du marché de l'emploi se résume à la destruction du droit du travail, où la réforme de la sécurité sociale remet en cause les principes de notre pacte social.
Si l'on met les malheureux 25 millions d'euros consentis aux plus fragiles en regard des 4 milliards d'euros de cadeaux fiscaux offerts aux plus aisés, on comprend vite quelles sont les vraies priorités du Président de la République ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
La politique du Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le haut-commissaire, ne se soucie ni de l'accroissement des inégalités ni de la baisse du pouvoir d'achat. Tandis que vous cherchez des pistes pour que l'accès à l'emploi ne soit plus un horizon lointain et instable, le Gouvernement, lui, alimente avec constance le flux de la précarité. C'est dommage, car votre démarche mérite mieux. Mais, dans la vie comme en politique, « il vaut mieux allumer une bougie que maudire l'obscurité ».
Monsieur le haut-commissaire, nous partageons le diagnostic que vous posez : aujourd'hui, l'insertion fonctionne mal et, pour sortir de cette impasse, il faut renoncer au discours compassionnel, procéder à une analyse sans concessions de la transformation de notre société, définir des objectifs clairs pour ceux qui sont proches des normes de l'emploi, pour ceux dont la situation exige un dispositif transitoire et pour ceux qui auront toujours besoin d'être soutenus.
Quels sont les droits et obligations de ceux qui relèveront de cette prise en charge ? Comment impliquer réellement l'entreprise dans ces actions au-delà d'une énième charte qui, finalement, ne l'engage à rien ? Et, surtout, quelle est la place de l'État dans ce processus ?
L'État doit se sentir concerné par l'insertion et non instrumentaliser la décentralisation pour s'exonérer de son devoir de solidarité. D'autant que l'insertion est plutôt un bon investissement pour notre société : non seulement celui qui retrouve un emploi stable et correctement payé reconquiert aussi sa dignité, mais surtout il casse la spirale de la reproduction de l'inadaptation sociale. Car, à abandonner les personnes à leur sort, on reproduit, génération après génération, les mêmes fractures, les mêmes souffrances et les mêmes destinées. Casser la chaîne de l'échec social est une mission fondamentale pour qui se pique de mener une « politique de civilisation ».
Mieux que de longs discours, les moyens, tant humains que financiers, mis sur la table par l'État à l'issue du Grenelle de l'insertion témoigneront de la réalité de cette prise de conscience.
Monsieur le haut-commissaire, c'est avec intérêt et attention que nous allons suivre la démarche que vous mettez en place pour rendre l'insertion par le travail à la fois efficace et cohérente, et nous y participerons avec la volonté partagée de la voir aboutir. Mais, dans le même temps que se conduit cette indispensable réflexion, nous ne devons jamais perdre de vue l'urgence de travailler sur une question désormais incontournable : comment cesser de produire de la pauvreté ?
Monsieur le haut-commissaire, j'ai lu sur les murs de vos bureaux une devise qui semble vous être chère : « Au possible nous sommes tenus ». À l'instant, j'aurais envie de conclure : « À l'impossible nous sommes tenus ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Gérard Longuet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la détermination de M. le haut-commissaire et son engagement constant en faveur des plus défavorisés. Cet engagement s'est forgé sur le terrain, au contact des plus démunis, au contact de ceux dont le mode de vie et la souffrance ne leur permettent pas d'exercer tous leurs droits, de ceux qui sont dans la survie, de ceux qui ont perdu confiance en eux et dans la société.
Avec volontarisme, monsieur le haut-commissaire, vous avez lancé le Grenelle de l'insertion pour lutter contre la misère en France. Aujourd'hui, dans notre pays, sept millions de personnes se trouvent sous le seuil de pauvreté, dont deux millions d'enfants.
Certains groupes sont particulièrement affectés par la pauvreté et l'exclusion sociale. Les familles monoparentales avec un enfant à charge sont les plus touchées. Les personnes seules et les couples ayant au moins trois enfants sont également fortement concernés. Je suis frappée par le fait que, selon les sondages, sur dix Français de moins de cinquante ans, six craignent de connaître un jour l'exclusion.
La pauvreté n'est pas une fatalité. Si l'amélioration de la croissance permet de réduire la pauvreté, le lien entre conjoncture économique et pauvreté reste partiel. Outre un bon fonctionnement du marché du travail, il nous faut également un système éducatif efficace, capable d'aider les jeunes à trouver un travail et une politique du logement qui limite les « ghettos ». Enfin, il faut mettre en place des politiques efficaces pour aider les personnes menacées par l'exclusion sociale à sortir durablement de cette situation.
Les prestations sociales - aides au logement, revenu minimum d'insertion et autres minima sociaux - jouent un rôle majeur dans la réduction de ce fléau. Mais la lutte contre l'exclusion ne doit pas se réduire à la mise en place d'une assistance pour tous, dont le seul but serait de faire face aux besoins élémentaires de l'existence. Si notre société fait son devoir en assurant aux plus fragiles un minimum de sécurité matérielle, elle doit également tout mettre en oeuvre pour ouvrir aux personnes aidées la voie de la réinsertion, du retour à un emploi ; parmi les personnes pauvres, 67 % sont sans emploi.
Lorsque viennent s'ajouter au chômage la solitude, la maladie ou la perte du logement, la spirale de la désocialisation risque de s'enclencher : il est alors urgent d'intervenir. La réinsertion doit briser le cercle vicieux de la destruction du lien social et de la perte de l'estime de soi.
La présentation des objectifs du Grenelle de l'insertion suscite beaucoup d'espoirs. Sur votre demande, la SOFRES a interrogé un échantillon représentatif d'allocataires du RMI depuis plus d'un an : 74 % d'entre eux pensent que les décisions du Grenelle pourront améliorer leur situation ; de la même manière, 86 % des RMIstes pensent que le revenu de solidarité active les encouragerait à retrouver une activité professionnelle.
Le Grenelle de l'insertion donne la parole aux acteurs de l'insertion - professionnels, associations et bénéficiaires - et vise à impliquer davantage les entreprises et les employeurs publics. Les contributions de tous doivent permettre de dégager des pistes de réforme.
L'extrême complexité du système d'aide au retour à l'emploi nécessite en effet une réforme en profondeur.
Je dois vous dire que je suis extrêmement intéressée de participer aux travaux du Grenelle de l'insertion. Dans mes responsabilités d'élue, j'ai pu dialoguer avec les associations, les services de l'État, les entreprises. À leur contact, j'ai pu évaluer les difficultés des acteurs de terrain, prendre connaissance des actions innovantes dans la lutte contre l'exclusion.
Je fais partie du groupe de travail étudiant la mobilisation des employeurs, privés, associatifs ou publics, pour favoriser l'emploi de personnes en difficulté. Il s'agit notamment de réfléchir aux moyens de desserrer les freins qui empêchent les entreprises classiques de s'impliquer davantage dans l'insertion. Notre groupe de travail s'attachera à émettre un avis sur la réforme des contrats aidés et à étudier le secteur de l'insertion par l'activité économique.
Je voudrais donc évoquer plus précisément ces deux points.
En ce qui concerne les contrats aidés, la Cour des comptes a publié en 2006 une enquête soulignant les défauts du système : éclatement, complexité, forte instabilité. Un rapport élaboré par notre collègue Serge Dassault, au nom de la commission des finances, est parvenu aux mêmes conclusions. En effet, malgré un début de simplification apporté par le plan de cohésion sociale, les dispositifs restent peu lisibles pour leurs bénéficiaires et leur application est difficile pour les opérateurs. Les différents types de contrats - une dizaine environ - ont connu d'incessantes modifications, coûteuses en termes d'efficacité et de délais de mise en oeuvre.
Comme vous l'avez souvent dit, monsieur le haut-commissaire, les contrats aidés doivent être non pas des impasses, mais des passerelles vers l'emploi durable. J'espère que nos travaux conduiront, comme le souhaite le Président de la République, à la création d'un contrat unique d'insertion, qui aurait une certaine souplesse pour s'adapter à la diversité des situations. La création d'un tel contrat est attendue depuis très longtemps par les acteurs du secteur, qui souhaitent que soient prévues dans ce cadre des prestations de formation et d'accompagnement adaptées aux besoins des personnes concernées.
L'entreprenariat social peut par ailleurs constituer une autre solution. Il s'agit d'entreprises opérant dans le secteur concurrentiel, avec des employés en difficulté, tels que des anciens chômeurs de longue durée ou des bénéficiaires de minima sociaux. Elles sont soumises au code du travail, notamment en matière de salaires, mais reçoivent des aides de l'État pour compenser la faible productivité des salariés et le taux d'encadrement élevé. En général, ces aides sont dégressives dans le temps, pour inciter les entreprises à devenir rentables.
Les associations et les entreprises d'insertion jouent un rôle important au coeur des politiques de l'emploi et de lutte contre les exclusions. Elles permettent aux individus de se refamiliariser avec le monde du travail, de bénéficier d'une formation adaptée et d'un accompagnement. Au terme de ce parcours d'insertion, la personne doit pouvoir retrouver un emploi satisfaisant sur le marché « ordinaire » du travail.
Les entreprises d'insertion emploient plus de 30 000 personnes par an. Selon des chiffres de 2006, 36 % des personnes trouvent un emploi à leur sortie, 9 % débutent une formation qualifiante, 6 % poursuivent leur parcours d'insertion dans une autre structure.
Mais surtout, la première performance des entreprises d'insertion est de salarier dans des conditions de marché des personnes réputées « non employables ». Elles font progresser l'idée essentielle selon laquelle personne n'est a priori inemployable. Ce présupposé est essentiel pour lutter contre les inégalités, l'exclusion et ses représentations négatives.
Je ne parlerai pas ici des personnes handicapées, M. About ayant parfaitement exposé leur situation.
Les structures du secteur perçoivent des financements publics en contrepartie du service qu'elles rendent à la collectivité. Le montant et la nature de ces financements varient en fonction du type de structure. Il leur a été reproché d'être dans l'ensemble « insuffisants, complexes et instables ». Cette question du financement devra donc être débattue pour éviter que des structures de l'insertion par l'activité économique puissent rencontrer des difficultés financières.
D'autres sujets devront également être traités : je pense, par exemple, à la professionnalisation de ceux qui travaillent dans les associations d'insertion, thème que nous avons abordé récemment, monsieur le haut-commissaire.
Par ailleurs, il faut étudier le rôle des entreprises « classiques ». Aujourd'hui, trop d'entreprises refusent de jouer le jeu de l'insertion et d'embaucher des personnes passées par exemple par des structures de l'IAE, faisant ainsi échouer un certain nombre de parcours d'insertion pourtant bien entamés.
Vous avez évoqué, monsieur le haut-commissaire, la possibilité de bâtir des critères de performance, négociés et non pas imposés, ou de recourir à une clause d'insertion. Je voudrais souligner l'intérêt, pour l'employeur, de lutter contre l'exclusion et la précarité : l'entreprise peut y trouver son compte à plusieurs niveaux, en bénéficiant bien sûr d'un financement par l'État, mais aussi d'une motivation supplémentaire des personnes concernées.
Je voudrais dire encore quelques mots au sujet du revenu de solidarité active.
Il faut transformer nos prestations sociales, avoir le courage d'accomplir une remise à plat complète des minima sociaux. Trop souvent, le retour à l'emploi s'accompagne d'une réduction des ressources de la famille, au mieux de leur stagnation. Il est essentiel que le travail permette de ne pas être pauvre et de vivre dignement. (M. Paul Blanc approuve.)
Le RMI a été conçu comme un moyen de ne pas laisser sans ressources ceux qui passaient au travers des mailles du filet de la protection sociale. Il était destiné à être une réponse à des phénomènes de grande exclusion. Près de vingt ans après sa mise en place, on voit que tel n'est plus le cas. Le RMI est devenu la seule ressource d'un nombre considérable de ménages, souvent de manière durable. Ainsi, en 2003, 45 % des bénéficiaires du RMI le percevaient depuis plus de trois ans.
Les minima sociaux dans leur ensemble ne conduisent pas les personnes vers l'emploi. Un peu plus de 25 % des personnes qui percevaient le RMI ou l'allocation de solidarité spécifique à la fin de 2004 avaient un emploi au premier trimestre de 2006. En outre, ces emplois sont, pour une large part, des emplois temporaires, à temps partiel ou aidés par l'État.
En fait, quand l'allocataire perçoit un salaire, son RMI diminue d'autant. Lorsqu'il s'agit d'un emploi à temps plein et correctement payé, le gain de revenu existe, mais la plupart des postes accessibles aux RMIstes sont aujourd'hui des postes à temps partiel et payés au SMIC. L'intérêt financier d'un retour à l'emploi devient alors faible, voire nul.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
Mme Isabelle Debré. Bien entendu, des mécanismes d'intéressement ont été mis en place pour lutter contre ces « trappes à inactivité ». Le RMIste qui retrouve un travail peut ainsi cumuler, pendant les trois premiers mois, salaire et RMI. Si ses horaires de travail excèdent ceux d'un mi-temps, il touche également une prime de 1000 euros le quatrième mois. Cependant, ces dispositions manquent de cohérence et demeurent peu lisibles pour les bénéficiaires. Surtout, leur application reste limitée dans le temps : l'intéressement décroît sensiblement après le quatrième mois, et disparaît au bout d'un an.
En fin de compte, en écartant les personnes de l'emploi, le RMI les pénalise au lieu de les protéger.
Le dispositif du RSA a donc été conçu pour remédier à ces carences. Le RSA vient compléter le salaire tiré de l'activité, s'agissant notamment des emplois à temps partiel. Le RSA procure une incitation financière dès la première heure d'activité. Ainsi, pour un RMIste, reprendre un travail n'est plus synonyme de perte de revenu, et ce mécanisme s'applique pendant trois ans.
La fusion des minima sociaux serait la suite logique de la mise en oeuvre du RSA, actuellement en expérimentation dans quarante départements.
Je pense que sortir les allocataires de l'angoisse du court terme augmente les chances de retour durable à l'emploi. En sécurisant leur situation, on leur permet de se projeter dans l'avenir. Je me réjouis de la méthode employée, qui privilégie l'expérimentation, en permettant d'éprouver la pertinence du dispositif avant de l'étendre à tout le pays. La clef de la réussite du dispositif est son évaluation constante.
En 2005, le rapport de la commission que vous présidiez, monsieur le haut-commissaire, et qui suggérait de très intéressantes innovations sociales, dont la création du RSA, avait été unanimement salué. Cependant, je pense que peu d'observateurs croyaient en la mise en oeuvre de ces propositions. Aujourd'hui, vous faites heureusement mentir ce pronostic.
Pour conclure, je citerai le titre de ce rapport : « Au possible, nous sommes tenus ». En effet, nous devons faire tout notre possible pour que les plus fragilisés de nos concitoyens retrouvent respect et dignité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, avant que je n'entre dans le vif du sujet, permettez-moi de dire un mot sur l'intitulé « Grenelle de l'insertion sociale », choisi par le Gouvernement. Le projet qui nous occupe aujourd'hui aurait aussi pu être appelé « plan pour l'insertion sociale », mais les échanges intervenus, par le biais de la presse, entre deux des membres du Gouvernement sur la notion de « plan » expliquent que vous vous soyez refusé, monsieur le haut-commissaire, à retenir une telle formulation.
Ce sera donc un second Grenelle, celui de l'insertion sociale succédant à celui de l'environnement. Ce choix de vocabulaire ne laisse pas d'étonner pour un Président de la République qui disait vouloir faire fi des références à mai 68 ! (Sourires.) J'espère toutefois que le Grenelle qui s'annonce sera plus fructueux que celui de l'environnement, décrié aujourd'hui par une large majorité des participants au motif que les promesses alors faites ne sont pas tenues.
On a fait naître des espoirs, on fait aujourd'hui beaucoup de déçus avec le Grenelle de l'environnement. Mais si, en mai 68, il y a eu un Grenelle, je tiens à rappeler que celui-ci s'est conclu, le 27 mai 1968, sur un accord créateur de droits et qui améliorait considérablement la vie des travailleurs de notre pays, avec par exemple une augmentation de 25 % du SMIG, le salaire minimum interprofessionnel garanti, une hausse des salaires de 10 %, ou encore la création de sections syndicales d'entreprise.
Je ne crois pas trop m'avancer en disant qu'il n'en sera pas de même avec le Grenelle de l'insertion sociale, et je le regrette pour les quelque 8 millions de nos concitoyens qui vivent, ou plutôt survivent, avec à peine plus de 800 euros par mois. Pour autant, notre groupe ne néglige pas les nombreuses propositions que vous venez de détailler au cours de votre intervention liminaire, monsieur le haut-commissaire.
Dans le courrier que vous avez adressé aux sénateurs, vous présentez les trois thématiques qui seront abordées au fil des travaux du Grenelle de l'insertion sociale : comment redéfinir les objectifs de la politique d'insertion et sa gouvernance ; comment développer la mobilisation des employeurs pour l'insertion ; comment construire des parcours d'insertion adaptés.
Pour être franche, à une certaine époque, j'aurais pu, avec mes collègues du groupe CRC, être simplement sceptique. C'était avant les huit premiers mois de présidence de M. Sarkozy, avant l'adoption de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat et la dilapidation de 15 milliards d'euros pour financer des mesures inefficaces ou des cadeaux fiscaux, mais aussi avant l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ou bien, plus récemment encore, avant la fusion forcée de l'ANPE et de l'UNEDIC. Mais depuis, je dois vous dire que mon scepticisme a viré au doute sérieux...
On connaît d'ailleurs déjà la conclusion que vous allez tirer de ce Grenelle : la généralisation du revenu de solidarité active. Pas plus tard qu'hier soir, sur une chaîne de télévision d'information en continu, vous n'avez pas dissimulé votre volonté d'étendre le RSA sans pouvoir aujourd'hui, vous le reconnaissiez vous-même, faire le moindre bilan de son expérimentation.
Je vous poserai donc deux questions : pouvez-vous nous indiquer le nombre précis de bénéficiaires du RSA dans les quelque quarante départements qui expérimentent ce dispositif ? Pouvez-vous nous indiquer quel est le montant moyen de leurs revenus ?
Je crois savoir que vous ne le pouvez pas, naturellement, et c'est là que le bât blesse. En effet, vous le savez, cette mesure est profondément inégalitaire.
Le dispositif est d'abord inégalitaire parce que vous renvoyez aux départements le soin de le mettre en oeuvre. Cela veut dire que le montant de l'allocation perçue sera différent selon que le bénéficiaire résidera dans un département riche ou dans un département plus pauvre.
Le dispositif est ensuite inégalitaire parce qu'il renvoie, comme toutes les autres mesures prises par le Gouvernement auquel vous appartenez, à l'individu, puisque le montant de l'allocation pourrait également varier entre deux bénéficiaires d'un même département.
Cela étant, quel est le contenu de ce fameux RSA ? En quoi consiste-t-il ?
Vous souhaitez, dites-vous, inciter les demandeurs d'emploi, les personnes en difficulté, à retourner sur le marché du travail. Est-ce à dire que vous considérez les demandeurs d'emploi comme des personnes qu'il faudrait supplier pour qu'elles acceptent de travailler ? Telle n'est pas notre conception des choses.
Pour nous, les chômeurs sont des salariés privés d'emploi par des politiques libérales de spéculation et de recherche du bénéfice, politiques où l'être humain est toujours la variable d'ajustement.
Pour vous, « l'incitation » passe par un complément de revenu attribué aux bénéficiaires de minima sociaux en cas de reprise partielle de l'activité. Pour ce faire, vous souhaitez fusionner tous les minima sociaux. Vous partez du postulat que le demandeur d'emploi ne doit pas perdre d'argent en raison de la reprise de son activité professionnelle, raison d'être de ce complément de revenu.
S'il est présenté ainsi, comment s'opposer à la mise en oeuvre du dispositif ? Mais voyez-vous, monsieur le haut-commissaire, nous ne voulons pas « donner une activité » aux demandeurs d'emploi ; nous voulons leur donner un travail, qui leur permette de vivre dignement du revenu de leur labeur. C'est là toute la différence entre nous !
Même dans vos rangs, on doute de la pertinence de votre revenu de solidarité active. Déjà, en mai 2005, un rapport d'étude du Sénat réalisé par Valérie Létard, actuelle secrétaire d'État chargée de la solidarité, avertissait en ces termes : « Le soutien très important apporté par le RSA dès les premières heures d'activité fait craindre des pressions à la baisse sur les salaires, et un renforcement du recours par les entreprises à des emplois à temps partiel. »
J'en reviens à vos trois thématiques. II y manque la question des moyens et du financement. Et cela n'est pas anodin, monsieur le haut-commissaire ! Le Président de la République avoue lui-même ne rien pouvoir faire pour le pouvoir d'achat en raison de la situation des comptes publics : les caisses seraient vides ! On peut le croire ; il ne le sait que trop puisque c'est lui qui les a vidées.
On devine où le Président de la République veut en venir : demain, ou plus tard, viendra une nouvelle vague de décentralisation. Il ne restera alors plus qu'à l'État la charge très partielle des missions régaliennes, réduites à une portion congrue, et aux départements et aux régions le financement des politiques de solidarité. Tout cela pour réduire les dépenses publiques, ce qui est l'obsession de M. Sarkozy.
Alors, monsieur le haut-commissaire, permettez-moi de formuler une suggestion. Le 23 janvier prochain, le Sénat examinera le projet de loi pour le pouvoir d'achat. Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, nous interviendrons dans le débat de manière constructive en proposant des actions concrètes pour relancer le pouvoir d'achat des Français et pour favoriser l'emploi.
Cela passe notamment par la suppression des exonérations de cotisations sociales, allégrement offertes aux patrons pour poursuivre leur politique de sous-emploi et d'emplois précaires. Le Conseil économique et social et même certains élus de l'UMP ont d'ailleurs émis des réserves sur les effets de telles largesses. Il faut en finir avec ce non-sens qui veut que, systématiquement, les gouvernements de droite subventionnent les employeurs pour favoriser les emplois précaires, alors qu'ils sont source de trappes à bas salaires.
Je m'étonne également que vous ne vous soyez pas opposé aux franchises médicales lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce mécanisme est profondément non solidaire ; il fait payer aux malades le prix de leur maladie. Le Gouvernement a même refusé d'exonérer les malades les plus atteints. Il s'agit pourtant d'un cercle vicieux : la maladie précarise et diminue les ressources ; puisqu'ils manquent de ressources, les franchises médicales aidant, les malades sacrifient l'accès aux soins ; sans soins, la situation s'aggrave, et les malades se précarisent de plus en plus.
Monsieur le haut-commissaire, vous avez dit qu'il fallait changer le système. Nous craignons que votre Grenelle ne soit en réalité qu'un cache-misère. Si vous y croyez fortement - et nous voudrions bien, nous aussi, y croire fortement -, nous savons que M. Fillon, quant à lui, y voit le moyen de dissimuler les réels projets du Gouvernement.
À n'en pas douter, le Gouvernement auquel vous participez est profondément cohérent : il recodifie le code du travail en diminuant les droits des salariés ;...