Mme Nicole Bricq. Bien sûr !

M. Pierre Mauroy. Nous demandons, monsieur le ministre, que les EPCI aient dès aujourd'hui accès aux données et informations fiscales.

La possibilité de se doter d'une commission communautaire des impôts directs représenterait une véritable avancée et je souhaite que le Gouvernement accueille favorablement l'amendement en ce sens déposé par le groupe socialiste, ainsi d'ailleurs que l'ensemble des amendements que celui-ci présentera dans le débat.

Les EPCI aspirent à développer avec l'État une relation responsable et constructive, sur le fondement d'engagements fermes et transparents. L'offensive organisée par le projet de loi de finances pour 2008 contre l'intercommunalité me semble donc relever, pour le moins, de l'anachronisme ou, en tout cas, de l'incapacité à concevoir un autre avenir pour nos collectivités.

Monsieur le ministre, j'ai la conviction que la constitution de grandes agglomérations est l'un des enjeux majeurs pour la France des vingt prochaines années. Attractives, fondées, en ce qui concerne en particulier les communautés urbaines, sur une gouvernance issue du suffrage universel direct et respectueuse des communes, ces grandes agglomérations, véritables locomotives régionales, pourraient, en allant beaucoup plus loin qu'aujourd'hui, contribuer à former le fer de lance du développement de notre pays.

J'ai la conviction que notre devenir économique et industriel dépend aussi de notre volonté de poursuivre la décentralisation engagée par mon gouvernement en 1981.

J'observe que les grandes villes allemandes et, plus généralement, européennes offrent de formidables potentialités de création de PME, potentialités qui nous font cruellement défaut. À l'heure où d'aucuns discourent à l'envi sur le manque de compétitivité de la France, l'explication ne tient-elle pas pour l'essentiel au fait que nous manquons sans doute de forces, c'est-à-dire de PME ? Il faut par conséquent favoriser la multiplication de ces dernières.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Pierre Mauroy. Or les grandes agglomérations pourraient justement nous permettre de le faire.

Qu'attendons-nous pour suivre l'exemple des grandes villes européennes, qui sont en pleine évolution alors que nos villes marquent le pas ? La France ne s'en sortira pas si elle ne se donne pas les moyens de disposer de plus grandes métropoles et, plus généralement, d'agglomérations fortes. Et cela vaut tant pour les grandes villes que pour les villes moyennes, voire pour les plus petites villes et leur territoire.

Le pays est en panne, sa croissance est atone, sa balance commerciale enregistre un déficit record, ses comptes publics sont dans le rouge.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Hélas !

M. Pierre Mauroy. Or, dans ce contexte difficile, les collectivités territoriales et les intercommunalités avancent malgré tout ! Veut-on organiser la régression là où la progression nous est nécessaire ?

Certes, à ce jour, ces collectivités peuvent encore faire illusion, mais, si rien ne change, elles seront confrontées aux plus grandes difficultés, comme vous le confirmeront - mais vous le savez déjà - les présidents de communauté urbaine et les maires si vous les interrogez, monsieur le ministre.

J'appelle donc le Gouvernement, dans le cadre de ce projet de loi de finances, à aider dès maintenant les collectivités territoriales à se développer pour aider la France, qui en a bien besoin.

M. le président. Monsieur Mauroy, il vous faut conclure.

M. Pierre Mauroy. Une loi de finances porte, bien sûr, le poids de la tradition, mais elle doit aussi être la force de la modernité et, surtout, de l'avenir ; c'est en tout cas l'esprit des propositions que mon groupe présentera à la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UC-UDF.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.

M. Louis de Broissia. Monsieur le ministre, qu'il me soit permis de prendre quelques instants sur un temps de parole qui m'est compté pour exprimer d'abord devant vous - et, à travers vous, je m'adresse aussi à Mme la ministre de l'intérieur - ma solidarité et ma reconnaissance envers les forces de l'ordre, en particulier celles de la CRS n° 40 de Plombières-lès-Dijon et de la CRS n° 43 de Chalon-sur-Saône, qui ont compté de très nombreux blessés à Villiers-le-Bel.

Au nom des élus de la République, je tiens à dire notre attachement aux valeurs de celle-ci en tout point de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

En ce qui concerne maintenant les recettes des collectivités territoriales, je ne voudrais pas, monsieur le ministre, donner un ton désabusé à mon intervention en disant que les années passent, que les ministres changent et que les problèmes demeurent...

J'ai écouté avec attention et respect tous les intervenants qui m'ont précédé, en particulier Pierre Mauroy, ancien Premier ministre, qui fut en charge de la « vague I »  - je préfère cette formulation à celle d'« acte I » - de la décentralisation.

Cette « vague I » comme la « vague II » souffrent d'un mal originel.

Mme Nicole Bricq. Elles sont toujours à terre !

M. Louis de Broissia. En effet, depuis l'origine, monsieur Mauroy, on ignore le fait que les départements ne sont pas que des collectivités territoriales. Permettez-moi de m'expliquer.

Les départements sont des collectivités territoriales lorsqu'ils entretiennent, plus ou moins bien, les routes ; lorsqu'ils construisent, plus ou moins bien, des collèges ; lorsqu'ils aident, plus ou moins bien, par partenariat les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale ; lorsqu'ils passent, plus ou moins bien, des liens de coopération avec les régions.

En revanche, mes chers collègues, les départements sont aujourd'hui en charge, à hauteur de la moitié de leur budget, de la mise en oeuvre de la solidarité nationale, et le péché originel de la décentralisation, qui perdure d'une loi de finances à l'autre, est précisément de n'avoir pas reconnu aux 102 départements métropolitains et d'outre-mer le rôle irremplaçable qu'ils accomplissent avec un budget dont ils disposent pour moitié en tant que collectivités locales autonomes, mais qui, pour l'autre moitié, sert à mettre en application des règles fixées par la loi, c'est-à-dire par le Parlement, y compris donc par nous sénateurs.

M. Louis de Broissia. Je veux bien que l'on parle d'inflation des dépenses consacrées à la prise en charge de la vieillesse, du handicap, de l'enfance en danger, du RMI et, demain, de la protection des majeurs ! Mais que doit faire le président du conseil général lorsque, par exemple, le contingent d'heures est dépassé au foyer de l'enfance, ce qui est le cas environ six mois par an ? Ne doit-on plus accueillir les enfants en danger, les handicapés et les personnes âgées ? Voilà le péché originel, voilà le drame que nous vivons !

Or, chaque année, du côté des recettes censées nous permettre de faire face à ces charges - domaine qui relève de notre compétence -, on constate des signes de faiblesse supplémentaires, alors que le péché originel n'est toujours pas effacé.

Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas un péché, c'est une tare !

M. Louis de Broissia. En matière de fiscalité directe d'abord, les collectivités départementales ont dû assumer - et elles ont eu le courage de le faire - des augmentations d'impôt pour la troisième année consécutive.

Je rappelle que le principe de l'autonomie fiscale a pour traduction la possibilité de délibérer librement.

On dit souvent, et le précédent ministre délégué aux collectivités territoriales - votre collègue Brice Hortefeux, monsieur le ministre, mais je reconnais que vous avez largement échappé à la règle - ne cessait de le répéter, que tout s'arrange pour les départements grâce aux droits de mutation à titre onéreux.

Certes, il s'agit d'une ressource importante puisqu'elle représente 13 % des recettes de fonctionnement des départements, qui auraient en effet eu, sans le dynamisme de cette ressource, bien du mal à ne pas alourdir l'impôt local. Cependant, la mine s'épuise. Est-il utile de rappeler l'actuelle faiblesse du marché immobilier ?

De surcroît, les droits de mutation à titre onéreux sont inégalement répartis sur le territoire. À cet égard, mes chers collègues, quelques chiffres doivent choquer ceux d'entre nous qui sont attachés à la péréquation et à la solidarité entre départements : les 10 % de départements les mieux dotés se partagent 30 % du produit total, alors que les 10 % de départements les plus faiblement dotés se partagent 2 % du produit total.

M. Michel Moreigne. Très bien !

M. Bernard Vera. C'est vrai !

M. Louis de Broissia. La fameuse TIPP constitue un autre motif d'inquiétude. Une part de son produit a été « gracieusement » affectée aux conseils généraux pour compenser la décentralisation du RMI, mais ce produit a diminué de 1,5 % entre 2005 et 2006. Sans l'accord qui a été passé et qui porte encore pour l'année 2008 sur 500 millions d'euros, les départements n'auraient pas pu « boucler leurs fins de mois » ! Vous savez d'ailleurs, monsieur le ministre, que c'est un sujet qu'il nous faudra encore aborder dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009... comme dans les projets de loi de finances des années suivantes.

Les conseils généraux perçoivent également - ils le doivent à notre collègue Alain Lambert, ancien ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - une part du produit de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance, la TSCA. Or les chiffres masquent une légère baisse de l'assiette de cette taxe alors même que le transfert effectif des agents TOS, dans nos départements comme dans les régions, coûte beaucoup plus cher du fait des primes.

C'est dans ce contexte que le Gouvernement a décidé - décision que je comprends politiquement - la suppression du contrat de croissance et de solidarité.

M. Louis de Broissia. Je souscris, comme chacun de nous dans cet hémicycle, à la volonté de limiter les dépenses publiques, ce qui se traduit par le respect du rôle de l'État comme grand ordonnateur.

Le contrat de croissance et de solidarité était cependant en grande partie constitué de dotations visant à compenser la suppression de recettes fiscales dynamiques. Je pense, bien sûr, à la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle ou encore à la glorieuse suppression par un précédent gouvernement de la vignette automobile.

Par parenthèse, j'ai vu avec intérêt que le groupe socialiste avait déposé cette nuit un amendement tendant à instituer une sorte de nouvelle vignette automobile écologique...

Mme Nicole Bricq et M. Pierre Mauroy. Nous avons déjà répondu !

M. Louis de Broissia. Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, on nous propose, pour remédier à tout cela, des Alca-Seltzer ou des aspirines budgétaires ! Mais, si l'aspirine éloigne la souffrance, elle ne guérit pas le mal !

Je salue l'affectation d'une partie des ressources générées par les radars automatiques, et j'en remercie Mme la ministre de l'intérieur. Mais cela représente 30 millions d'euros sur un total de 300 millions d'euros, alors que les départements ont désormais la charge de la quasi-totalité des routes, à l'exception de quelques routes nationales et des autoroutes dont les recettes des radars peuvent être affectées à d'autres tâches, en particulier au financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France.

Il faudra aller plus loin et nous proposerons non pas une clause de revoyure en 2010, comme cela a été prévu par l'Assemblée nationale, mais une indexation de l'enveloppe de 30 millions d'euros.

C'est vrai, les relations financières entre l'État et les collectivités locales, vues par les départements, sont, et je suis dans l'understatement, perfectibles.

La Conférence nationale des exécutifs locaux se tiendra bientôt, j'y participerai ; la mission Lambert, à laquelle je participe également, travaille aux relations entre les présidents des régions et des départements. Nous attendrons les conclusions de leurs travaux. Par ailleurs, le Président de la République a annoncé, voilà tout juste huit jours, la tenue d'un Grenelle de la fiscalité locale.

Je partage l'idée du Président de la République sur l'actualisation progressive des bases, sur la spécialisation des impôts locaux (Exclamations sur les travées du groupe socialiste), que défendent l'Association des maires de France, l'Assemblée des départements de France et l'Association des régions de France.

D'autres axes font consensus entre les associations d'élus, qui regroupent tous les élus de la République décentralisée : la suppression progressive des dégrèvements et exonérations pris en charge par l'État, l'affectation d'impôt en lien avec ses compétences, une péréquation que nous souhaitons plus active, plus dynamique, plus efficace entre les territoires.

L'ensemble de la réforme pourrait s'inscrire - je perçois l'impatience des membres du groupe socialiste - dans une loi organique relative aux finances locales. Sur tous ces enjeux, je vous en donne acte, monsieur le ministre, les choses bougent. (M. François Marc s'exclame.) Mais, dans le mouvement perpétuel de la décentralisation, ne faites pas des départements le maillon faible de la République : elle y perdrait énormément. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 2008 marque une nouvelle ère dans les rapports financiers entre l'État et les collectivités locales. La fin du contrat de croissance et de solidarité, qui garantissait une progression de la majorité des dotations de l'État plus rapide que l'inflation, risque malheureusement de porter atteinte au financement des collectivités.

Le mouvement de transferts de compétences amorcé en 2003 a mis les collectivités locales et les élus locaux que nous sommes sous une double pression : garantir des services publics locaux de qualité et maintenir l'équilibre des budgets, obligation légale surveillée avec rigueur par les préfets.

En mettant en oeuvre un nouveau contrat de stabilité entre l'État et les collectivités, le Gouvernement va encore restreindre les capacités financières desdites collectivités.

Je suis, vous le savez monsieur le ministre, un laudateur actif d'une limitation des dépenses de l'État et un contempteur de sa gabegie. Toutefois, l'instauration d'une norme de progression des dépenses de l'État à « zéro volume élargi » me laisse assez sceptique quant à son bien-fondé. Certes, une observation superficielle des chiffres pourrait laisser croire que les collectivités locales sont trop dépensières. En effet, les administrations publiques locales contribuent pour près de 21 % à la croissance de la dépense publique, soit quelque 11,1 % du PIB en 2006, contre 7,9 % en 1980. Mais cette croissance, certes supérieure en rythme à celle du PIB, est pour moitié imputable à l'accélération d'investissements dont la finalité répond à un intérêt général local s'inscrivant dans la durée. Je vous rappelle également que 72 % de l'investissement public provient des collectivités.

Par ailleurs, et surtout, la montée en charge des transferts de compétences a entraîné mécaniquement une hausse des dépenses sur lesquelles l'autonomie de décision est nulle. Ainsi, le financement du RMI, dont le nombre de bénéficiaires a augmenté de 5 % en 2005 et 2006, est alimenté par une fraction des recettes de la TIPP. Cependant, cette dernière est structurellement en retrait du fait de la hausse du cours du Brent. Le sous-financement cumulé du RMI pourrait atteindre 2,35 milliards d'euros en 2007.

Au final, l'État met excessivement à contribution les collectivités locales dans la réduction du déficit public. Pour ces dernières, le manque à gagner qui résultera de l'article 12 sera de l'ordre de 335 millions d'euros, soit 0,018 point de PIB. (M. le président de la commission des finances opine.) Les règles de gestion des budgets locaux sont déjà draconiennes et prohibent tout déficit courant. Mais que se passera-t-il ensuite ? Nous prépare-t-on à une indexation de la dotation globale de fonctionnement sur la seule inflation, comme le suggère M. le rapporteur ?

Or, concomitamment, que peut-on observer ? Les finances locales ont subi de multiples allégements fiscaux. En 2005 et en 2006, pour ne citer que les plus récents, ont été votés l'exonération de 20 % des bases de la taxe foncière sur les propriétés non bâties et le plafonnement à 3,5 % du calcul de la cotisation de taxe professionnelle des entreprises. Or les dispositifs de compensation ont été indexés sur 2004 ou 2005, selon des modalités particulièrement complexes, de telle façon qu'ils tendront mécaniquement à diminuer au fur et à mesure des années, en attendant que la législation change à nouveau ! Encore est-il heureux que nos collègues députés aient exclu la taxe sur le foncier non bâti des variables d'ajustement de l'enveloppe normée, afin de préserver quelque peu la ressource fiscale principale de 21 000 communes rurales.

Cet ensemble de mesures destinées à alléger la fiscalité locale a conduit à renforcer le poids de l'État. La part des compensations et des dégrèvements est passée de 22 % au milieu des années 90 à près de 34,6 % en 2003. L'intégration de ces compensations dans la DGF a fait artificiellement chuter ce ratio à 26,9 % en 2006. Si l'autonomie financière des collectivités locales est le corollaire du principe constitutionnel de libre administration des collectivités, l'Observatoire des finances locales a montré que le ratio d'autonomie financière pour 2005 avait encore reculé pour les communes.

Les collectivités rurales sont une nouvelle fois parmi les moins bien loties. L'élu du premier département agricole de France que je suis ne peut passer sous silence l'inquiétude des élus locaux face à la dégradation constante de leurs ressources. Je prendrai pour illustration les règles de calcul de la fraction bourg-centres de la dotation de solidarité rurale, qui aboutissent à une inégalité de traitement entre communes, aggravant encore les handicaps d'un monde rural déjà fragilisé par les difficultés de l'agriculture.

La complexité croissante de ces réglementations n'est guère accessible à nos administrations locales. Qui plus est, l'enchevêtrement des compétences et des niveaux de décision - communes, établissements publics de coopération intercommunale, départements, régions, État - tend à faire de la libre administration des collectivités locales un principe incantatoire !

Monsieur le ministre, les collectivités locales, a fortiori les plus petites d'entre elles, ne veulent pas dépendre indéfiniment du bon vouloir de l'État. Elles ont la volonté de financer leurs décisions à partir de ressources propres qu'elles auront librement déterminées. Cela implique naturellement de revoir en profondeur les règles de la fiscalité locale pour asseoir les ressources sur des bases dynamiques qui n'entraveraient ni le rendement de l'impôt, ni le pouvoir d'achat des administrés, ni la compétitivité des entreprises. À ce stade, je ne peux qu'espérer que la Haute Assemblée se saisisse de cette question et évalue l'application de la loi organique du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales. (Applaudissements au banc des commissions. - M. Louis de Broissia applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, et quels que soient les gouvernements, les projets de loi de finances comprennent des mesures qui vont toujours dans le même sens pour les collectivités locales.

Premièrement, la dépendance est de plus en plus grande à l'égard des dotations de l'État, à la suite de nombreuses mesures de dégrèvement ou d'exonérations décidées et compensées par l'État.

Deuxièmement, les mesures visent à entraver la liberté fiscale des collectivités et donc leur autonomie.

Troisièmement, ces dispositifs ont des conséquences néfastes pour la cohérence et la lisibilité du citoyen, qui est incapable de les comprendre.

Enfin, quatrièmement, les relations entre l'État et les collectivités locales deviennent difficiles, voire tendues, engendrant une assez grande incompréhension.

Je citerai deux exemples extraits du projet de loi de finances pour 2006 et qui avaient fait l'objet d'un large débat au sein de notre assemblée : le dégrèvement de 20 % pour la taxe sur le foncier non bâti et le plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée pour la taxe professionnelle.

Je m'étais personnellement opposée à ces mesures, n'y voyant qu'une aggravation de ce que je viens de décrire, au-delà des bonnes intentions affichées par le gouvernement d'alors sur la nécessité d'encourager le développement économique et sur le geste à faire à l'égard du monde agricole.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Les marges de manoeuvre pour les communes, et en particulier pour les intercommunalités à taxe professionnelle unique, sont extrêmement réduites. Certaines ont des marges de manoeuvre qui représentent seulement 5 % à 10 % de leurs recettes, leurs ressources étant plafonnées jusqu'à 85 % ou 90 %.

Aujourd'hui se pose le problème de l'intégration dans l'enveloppe normée comme variable d'ajustement de l'exonération du foncier non bâti. Le sujet a été réglé à l'Assemblée nationale par un amendement de Gilles Carrez concernant les communes et les intercommunalités, mais pas les autres collectivités.

Le contrat de croissance et de solidarité devient un contrat de stabilité. Nous y avions échappé l'année dernière, mais cette fois-ci nous y sommes. Sans entrer dans le détail, je rappelle que l'enveloppe normée ne progressera que de l'inflation, et non, comme auparavant, de l'inflation et d'une partie de la croissance. Par ailleurs, compte tenu des mécanismes d'indexation et de garantie de la dotation globale de fonctionnement, les recettes d'un grand nombre de collectivités ne progresseront que très faiblement par rapport à l'augmentation naturelle de leurs dépenses.

J'ajoute que celles dont les ressources proviennent de façon significative de la compensation de la taxe professionnelle pourraient voir les ressources qui leur sont allouées par l'État fortement diminuées.

Je ne reviens pas sur la DGF - tout le monde en a parlé - ni sur ses règles d'indexation, qui, certes, n'ont pas été modifiées.

Mais je voudrais insister sur la part de la DGF consacrée à la péréquation, qui reste toujours insuffisante. Cette remarque prend toute son importance quand on sait que l'année prochaine aura lieu le recensement général de la population. Comme vous le savez, une partie de la dotation forfaitaire est basée sur le nombre d'habitants et, depuis 2004, la garantie de non-perte n'existe plus. Il est donc nécessaire de veiller à l'amélioration de la péréquation dite « verticale », notamment pour les plus petites collectivités afin de reconnaître le fait rural et d'accompagner la politique d'aménagement du territoire.

En clair, les ressources des collectivités vont, au mieux, stagner. Cette situation, qui est injuste, me semble également contre-productive, tant l'apport des collectivités dans les dépenses publiques d'investissement est important.

Il a été rappelé tout à l'heure que les collectivités locales représentaient 72,4 % de l'investissement public total. Actrices indispensables du développement local, elles participent donc activement à la croissance économique de notre pays.

Par ailleurs, la remise en cause de l'assiette du FCTVA, le fonds de compensation de la TVA, qui est « envisagée » suscite de très vives inquiétudes. En effet, comment rétablir la confiance entre les collectivités locales et l'État si ce dernier prélève, à travers cette mesure qui reste éventuelle, ce que mon collègue élu local Philippe Laurent a qualifié de « dîme » sur les investissements publics locaux ?

Toutes ces remarques ne font que confirmer la nécessité d'une refonte globale de la fiscalité locale.

Mes chers collègues, vous le savez, et M. Louis de Broissia l'a rappelé voilà quelques instants, les trois grandes associations d'élus, c'est-à-dire l'AMF, l'ADF et l'ARF, s'accordent pour donner une suite au rapport du Conseil économique et social réclamant une telle réforme, qu'elles jugent indispensable et urgente.

Bien entendu, lors du dernier congrès des maires, et sur proposition de M. Jacques Pellissard, président de l'AMF, le Président de la République a accepté le principe d'un Grenelle de la fiscalité locale.

Soit dit en passant, je suis tout à fait d'accord avec M. le président de la commission des finances pour estimer qu'il est fait un usage un peu abusif du mot « Grenelle »,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault. ...que l'on met, en quelque sorte, à toutes les sauces.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est vrai, mais c'est une mode, qu'il faut subir comme telle !

Mme Jacqueline Gourault. Au-delà de ce Grenelle, il existe, vous le savez, mes chers collègues, bien d'autres organismes : la Conférence nationale des finances publiques, qui a été créée début 2006, et dont émane le Conseil d'orientation des finances publiques, ou COFIPU ; la Conférence nationale des exécutifs, annoncée par le Premier ministre l'été dernier ; la mission portant sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales, qui abordera évidemment aussi les questions financières, et qui se trouve placée sous la responsabilité de notre collègue Alain Lambert ; le très respectable Comité des finances locales, dans lequel nombre d'entre vous siègent.

Quand j'observe ce foisonnement, je me dis qu'un parlementaire avisé - et ils le sont en général (Sourires) - pourrait s'inquiéter de tant de complexité et s'interroger sur la volonté du Gouvernement d'aboutir à une véritable réforme.

Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas bon signe, en effet !

Mme Jacqueline Gourault. Pourtant, les conditions n'ont jamais été aussi favorables, me semble-t-il, et les acteurs sont globalement d'accord.

Dès lors, qu'attend-t-on pour concrétiser cette réforme et ouvrir le chantier, pour moi totalement lié au précédent, de la répartition des compétences, d'une part, entre les collectivités locales et, d'autre part, entre les collectivités locales et l'État ? (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis vingt-cinq ans, les lois de décentralisation successives ont constitué de formidables avancées. Elles ont accordé une plus grande autonomie et de nouvelles responsabilités, que nous ne pouvons que saluer, aux collectivités territoriales, mais elles ont aussi profondément modifié les budgets de ces dernières, tant en volume qu'en structure.

Or, force est de le constater, aucune réforme de la fiscalité locale n'a accompagné les transferts de compétences intervenus durant toutes ces années, et ce malgré la surchauffe actuelle du système financier local.

Toutes les associations d'élus s'accordent à dénoncer cette situation, qui fait peser des incertitudes sur les recettes futures des collectivités.

Le rôle assigné par l'État était pourtant clairement défini : tout transfert de compétences devait s'accompagner de compensations financières « à l'euro près ».

En matière de péréquation, on ne peut pas non plus affirmer que l'État ait tenu ses engagements dans le contrat de stabilité, qui ne prévoit aucune réforme destinée à améliorer la solidarité financière entre les collectivités.

Aujourd'hui, quelle est la situation des départements ? Elle se résume en une phrase : les recettes chutent alors que les dépenses augmentent. Et cette tendance est encore accentuée par le présent projet de loi de finances pour 2008.

La chute des recettes prend une nouvelle ampleur, en raison à la fois de la baisse des concours de l'État et d'une érosion continue des recettes fiscales.

La réduction des concours de l'État trouve sa traduction dans la substitution du « contrat de stabilité » au « contrat de croissance et de solidarité », qui constitue une atteinte au principe même de la compensation financière des pertes de ressources fiscales résultant de mesures législatives.

En effet, bien que le nouveau contrat ait réformé l'indexation de l'enveloppe normée, chacune des dotations qui constituent cette dernière évolue selon des critères qui lui sont propres. La DGF, la dotation générale de fonctionnement, progresse selon un taux calculé à partir de l'inflation majorée de 50 % du PIB ; la DSI, la dotation spéciale instituteurs, et d'autres concours de l'État, dont la dotation élu local, suivent une évolution similaire à celle de la DGF ; les autres dotations d'équipements évoluent en fonction, notamment, du taux de formation brute de capital fixe.

Ainsi, par rapport à l'inflation, l'enveloppe normée n'augmentera que de 1,6 % pour l'année 2008. En son sein, la DGF progressera de 2,08 %, selon l'indexation fondée sur l'inflation majorée de 50% du PIB.

Par ailleurs, ce nouveau contrat, instauré sans que la fiscalité locale soit réformée, s'inscrit dans un contexte d'érosion continue des recettes fiscales.

Les bases s'amenuisent : le plafonnement de la TP, la taxe professionnelle, en particulier, a eu des conséquences sur l'assiette de cette imposition, qui est moins dynamique pour l'année 2007 que pour l'année 2006.

Pour les départements, en 2007, le taux de la fiscalité directe enregistre une faible progression de 1,4 % et le produit des quatre taxes directes locales représente 18,6 milliards d'euros. Les réformes de la TP et de la TFPNB, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, ont réduit un peu plus encore leurs marges de manoeuvre.

Monsieur le ministre, vous avez inventé la péréquation inversée ! En effet, contrairement aux engagements pris lors des réformes de la TP et de la TFPNB, vous avez diminué les compensations versées au FCTP, le fonds de compensation de la taxe professionnelle, et au FCTFNB, le fonds de compensation de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, pénalisant un peu plus encore les départements ruraux.

II faudrait sortir des variables d'ajustement la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Nous présenterons un amendement en ce sens qui, je l'espère, trouvera auprès de vous un écho favorable, monsieur le ministre, afin de diminuer la pression exercée sur les recettes fiscales des départements.

Dans le département du Lot, dont je préside le conseil général, la masse d'ensemble de la DGF augmentera de 1,63 %, tandis que la dotation du FCTP diminuera de 15,37 % et celle du FCTFNB de 23,27 % - du moins si nous n'apportons pas de correction au présent projet de loi de finances, mais je ne doute pas que, dans notre sagesse, nous améliorerons celui-ci !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet !

M. Gérard Miquel. Pourtant, le Lot possède un vaste territoire, une faible densité de population, plus de 4 000 kilomètres de routes à entretenir,...

M. Bernard Murat. De bien mauvaises routes !

M. Gérard Miquel. ...car il ne compte plus que 16 kilomètres de routes nationales, et il accueille un grand nombre de personnes âgées.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais on y trouve des truffes !

M. Gérard Miquel. Enfin, les recettes chutent aussi du fait du recul des mécanismes de compensation, qui se vérifie particulièrement pour les transferts de personnels, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2008.

En effet, s'agissant des prévisions de compensation de la tranche 2008 des transferts des deux catégories de personnels dévolues aux collectivités territoriales, leur montant atteindrait 750 millions d'euros, soit presque le double de celui qui est prévu dans ce budget, monsieur le ministre, et qui est de 427 millions d'euros seulement.

Cet écart excessif entre les deux prévisions d'ajustement, faute de données précises, apporte, une fois encore, la preuve que le principe de la compensation financière n'est pas respecté par l'État, ce qui contribue à fragiliser les budgets des départements et à remettre en cause leur autonomie financière.

Par ailleurs, si les recettes poursuivent leur chute, comme je viens de le montrer, les dépenses, elles, sont inexorablement orientées à la hausse.

Force est de constater, en effet, que les départements doivent supporter de nouvelles charges. Ils constituent des collectivités territoriales de proximité, auxquelles l'État a transféré des compétences essentielles dans le domaine social. Aussi ont-ils développé et étendu leurs missions en matière d'aide aux personnes, avec de nouvelles charges à gérer.

Tout d'abord, les départements s'occupent de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, dont ils paient les deux tiers. Or, entre 2002 et 2006, le montant des dépenses brutes d'APA a été multiplié par plus de deux - il a progressé de 139 % exactement -, passant de 1,8 milliard à 4,3 milliards d'euros.

Ensuite, les départements versent le RMI, dont on peut signaler que le nombre de ses bénéficiaires augmente constamment et que son allocation s'est accrue de 7 % entre 2003 et 2007, sans qu'il y ait eu des réajustements compensatoires suffisants et pérennes de la part de l'État. Si elle persiste, la sous-compensation de l'État aura pour conséquence un déficit cumulé de 2,95 milliards d'euros en 2008, à la charge des conseils généraux.

Enfin, les départements sont chargés de la prestation de compensation pour les personnes handicapées ; nous n'en mesurons pas encore tous les effets, mais ceux-ci seront sans doute très importants.

En 2005, les 22,5 milliards d'euros des dépenses d'aide sociale versés par les départements constituaient 40 % des dépenses sociales totales des pouvoirs publics, c'est-à-dire de l'État et des collectivités locales. Elles représentent aujourd'hui 50 % de l'ensemble des recettes de fonctionnement des départements.

Au-delà des transferts de charges survenus dans le domaine social, les transferts des personnels de l'équipement et de l'éducation nationale ont également suscité, pour les départements, des dépenses supplémentaires, qui ont été sous-évaluées par l'État. Les primes, en particulier, qu'elles soient versées aux agents de catégorie B et C ou aux cadres de catégorie A, sont plus élevées dans les collectivités territoriales que dans la fonction publique d'État, ce qui rend nécessaires des réajustements.

Pour d'évidentes raisons démographiques, toutes ces dépenses ne sont pas appelées à diminuer. En effet, les collectivités ne maîtrisant pas ces charges, bien des départements cumulent les handicaps.

C'est le cas, tout d'abord, de ceux qui comptent un grand nombre de personnes âgées ; selon le rapport remis en mars dernier par Hélène Gisserot au ministre délégué à la sécurité sociale, avec 20 % de personnes dépendantes en plus d'ici à 2020 et un accroissement de 75 % des plus de 85 ans, la dépense aura doublé d'ici à vingt ans. Ensuite, le nombre de RMIstes, je le répète, ne baisse pas. Enfin, la densité de la population de certains départements est faible par rapport à l'étendue de leur territoire.

Il n'existe donc aucune perspective de baisse de ces dépenses, dont nous voyons bien, au contraire, qu'elles sont en constante augmentation. Pourtant, les conseils généraux sont de bons gestionnaires : ils présentent des budgets en équilibre et leurs emprunts servent uniquement à financer des dépenses d'investissement, contrairement à l'État, qui couvre par ce biais ses dépenses de fonctionnement !

Dès lors, monsieur le ministre, face à cet effet de ciseaux causé par des dépenses nouvelles vouées à augmenter et par des recettes en baisse, quelles solutions peuvent être envisagées pour écarter les dangers qui pèsent sur les budgets départementaux ?

Une première piste consisterait à augmenter le niveau de la fiscalité. Toutefois, l'affaiblissement des assiettes dû aux diverses réformes néfastes pour les finances des collectivités, l'injustice liée à l'absence de révision des bases et les faibles ressources d'un très grand nombre de nos concitoyens ne nous permettent pas, malheureusement, d'utiliser aujourd'hui ce levier.

Une deuxième piste serait de diminuer nos dépenses d'investissement, et c'est dans cette voie que nous nous engageons, puisque nous y sommes contraints. Toutefois, vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, que les départements sont des donneurs d'ordre importants, grâce auxquels de nombreux projets locaux prennent corps, et que toute diminution de leurs investissements aurait des conséquences sur l'économie à court terme, et surtout à long terme. En effet, les collectivités locales participent à l'effort d'investissement public pour plus de 72 %.

Une ultime solution serait de mener une réflexion commune sur le concept de péréquation. En effet, il est urgent de redessiner les contours de notre fiscalité locale, dans ce domaine comme dans d'autres, d'ailleurs.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré, lors de la discussion générale, qu'il fallait « se projeter dans l'avenir en faisant face aux problèmes du présent ». Or, avec vos propositions budgétaires, vous accentuerez la fracture territoriale !