M. le président. La parole est à M. Dominique Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, depuis trois mois, nous vivons avec le Grenelle de l'environnement, depuis trois mois, nous vivons une expérience originale, unique et passionnante de débat collectif.
Jeudi 27 septembre, la phase préparatoire du Grenelle de l'environnement s'est achevée par la présentation des propositions des six groupes de travail réunis depuis le 16 juillet dernier.
La parole est maintenant donnée à nos concitoyens, qui seront, je l'espère, nombreux à s'exprimer sur ces propositions sous forme de consultations publiques organisées sur Internet ou à travers des débats régionaux avant la remise définitive, vers la fin du mois d'octobre, d'un plan d'action de vingt à trente mesures validées après qu'un consensus aura été obtenu.
J'ai personnellement participé aux travaux du Grenelle de l'environnement au sein du groupe n° 3, intitulé « instaurer un environnement respectueux de la santé », et de l'intergroupe « déchets ».
Suivant les recommandations de ce dernier, mon intervention se concentrera sur deux points essentiels : d'une part, la nécessité d'une nouvelle loi de programmation sur la gestion des déchets, dans le souci d'une meilleure gouvernance écologique, d'autre part, l'impérieuse nécessité de mieux prendre en compte l'essor de l'acteur incontournable du développement durable qu'est l'intercommunalité, ce qui a été souligné par la quasi-totalité des participants au Grenelle de l'environnement.
En effet, 80 % des communautés, qu'elles soient de communes, d'agglomération ou urbaines, sont chargées de la gestion des déchets tandis que 42 % d'entre elles ont compétence en matière d'assainissement. Elles ont également très largement investi la compétence plus générale de « protection et de mise en valeur de l'environnement ». Cette montée en puissance se traduit aujourd'hui par une prise en charge, par l'intercommunalité, de la plus grande part des dépenses environnementales.
L'intercommunalité joue, en outre, un rôle prépondérant dans l'exercice de toutes les compétences liées au développement durable. Cela concerne non seulement l'ensemble des documents de programmation, notamment les schémas de cohérence territoriale, les plans de déplacements urbains et les programmes de l'habitat, mais aussi les transports urbains, l'approvisionnement en eau potable ou le traitement des eaux usées, sans parler des plans climat-énergie territoriaux, qui, monsieur le ministre d'État, commencent effectivement à se mettre en place.
Vous le voyez, mes chers collègues, l'intercommunalité est, de fait, devenue un acteur pivot et incontournable de la « gouvernance écologique territoriale », en assurant un lien de coordination entre les communes, une fonction de médiation avec les acteurs de la société civile et un rôle de « porte-parole » légitime d'un territoire auprès des échelons supérieurs que sont les départements, les régions, l'État et l'Europe. Son rôle croissant dans l'organisation des services environnementaux, la planification et la maîtrise d'ouvrage des grands projets l'exposent néanmoins aux forts risques contentieux liés aux questions environnementales.
Il est donc impératif d'améliorer le pilotage des politiques environnementales locales et les mécanismes de concertation, pour rendre plus efficients les dispositifs existants. Il s'agit, notamment, de simplifier les enquêtes publiques, dans lesquelles bien peu parviennent à se retrouver, et de clarifier les responsabilités réglementaires. Dans le domaine des polices de l'environnement, personne ne sait plus qui est responsable, tant l'émiettement de ces polices est important. Il importe aussi de définir le rôle respectif des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l'État. Cela passera par une meilleure définition des prérogatives dévolues aux services déconcentrés de l'État par rapport à celles des collectivités locales, par la désignation de véritables chefs de file dans les différentes politiques environnementales et par la mise en cohérence du pouvoir de police avec la compétence d'organisation du service public environnemental.
Mes chers collègues, dans la mesure où un effort de clarification des compétences est nécessaire, il convient simplement de prendre en compte ce qui a été mis en place avec succès sur le territoire : à cet égard, l'intercommunalité devrait ainsi être investie d'un véritable rôle de chef de file en matière de développement durable.
Monsieur le président du conseil général de la Haute-Marne, je n'oublie pas que je m'exprime devant le Sénat,...
MM. Bruno Sido, président du groupe de suivi, et Paul Raoult, rapporteur. Tout de même !
M. Dominique Braye.... dont je connais l'attachement, attachement que je partage, aux communes et aux élus municipaux.
M. Ambroise Dupont. Très bien !
M. Dominique Braye. Cela étant, communes et intercommunalités ne sont pas en opposition, bien au contraire.
M. Bruno Sido, président du groupe de suivi. Ah !
M. Dominique Braye. C'est ce que viennent de réaffirmer, durant deux jours et devant quatre ministres, dont vous-même, monsieur le ministre d'État, les 1 300 élus intercommunaux rassemblés à la Maison de la Chimie à l'occasion de leur 18e convention nationale.
L'intercommunalité n'est que le prolongement de la commune et, j'ose le dire, constitue l'avenir de nombreuses municipalités. Elle n'est donc jamais en opposition avec la commune : d'ailleurs, comment pourrait-elle l'être, puisque ses élus sont aujourd'hui exclusivement des élus municipaux, qui ont jugé indispensable de s'unir, pour mieux exercer, ensemble, certaines compétences ?
M. Bruno Sido, président du groupe de suivi. Bien sûr !
M. Dominique Braye. Mes chers collègues, les réalités du terrain sont souvent en avance par rapport à leur prise en compte institutionnelle. J'espère que le Sénat ne restera pas à la traîne sur ces questions. À cette fin, je vous propose aujourd'hui de reconnaître le fait intercommunal et de lui donner la place qui lui revient pour relever les grands défis du xxie siècle.
M. Paul Raoult, rapporteur. Instituons le suffrage universel direct pour les élus intercommunaux !
M. Dominique Braye. J'en viens au traitement des déchets.
Le service de collecte, de traitement et d'élimination des déchets ménagers figure parmi les services publics qui ont connu, au cours des dix dernières années, les mutations les plus importantes : développement de l'intercommunalité - je n'y reviens pas -, modernisation des équipements, exigence accrue de qualité environnementale manifestée par nos concitoyens, évolution des filières dédiées, modification des modes de financement, ce sont autant de facteurs - et je pourrais en citer bien d'autres ! - qui ont modifié en profondeur l'organisation de ce service public.
Malgré ces bouleversements majeurs, le cadre législatif n'a pratiquement pas évolué. La loi française relative aux déchets date de 1975, et sa dernière refonte de 1992. Si certains objectifs de la loi de 1992 sont d'ailleurs aujourd'hui atteints, à l'image de l'éradication des décharges brutes, d'autres nécessitent une réactualisation au vu des importantes modifications intervenues depuis quinze ans.
Monsieur le ministre d'État, l'élaboration d'un nouveau cadre légal de la gestion des déchets s'avère donc nécessaire et est rendu d'autant plus indispensable par l'adoption de la nouvelle directive européenne sur les déchets, que nous devrons de toute façon transposer dans le droit français.
Une loi de programmation sur les déchets permettrait de définir les nouvelles orientations d'une politique ambitieuse, sur le plan non seulement de leur gestion, mais aussi de leur réduction, avec des objectifs chiffrés en matière de prévention, de recyclage, de valorisation organique, matière ou énergétique.
À ce moment de mon discours, monsieur le ministre d'État, je me dois de vous rappeler une évidence. Nous le savons bien, en l'absence d'un cadre précis, quantifié et, il faut le dire, contraignant, trop de bonnes résolutions restent, par habitude nationale, des voeux pieux.
M. Paul Raoult, rapporteur. Soyons coercitifs !
M. Dominique Braye. C'est d'ailleurs ce que le Président de la République a indiqué récemment à certains d'entre nous.
Nous devons donc mettre en place une politique volontariste de prévention et de réduction de la production de déchets en appliquant, sans état d'âme, non pas le principe « pollueur-payeur », mais le principe « producteur-payeur ». Ce principe de responsabilité élargie du producteur, qui consiste à faire prendre en charge l'élimination des déchets par les producteurs de biens devenus déchets, est reconnu unanimement comme le moyen le plus pertinent de responsabiliser tous les acteurs concernés. Une nouvelle loi cadre renforcerait et clarifierait ce dispositif en répartissant les responsabilités juridiques, notamment entre le producteur du produit et le producteur du déchet.
Par ailleurs, si les filières dédiées se sont multipliées depuis 1992, les collectivités espèrent vraiment qu'elles seront mieux organisées et mieux articulées. Il serait d'ailleurs très profitable de les associer plus étroitement à l'élaboration des modalités de leur mise en oeuvre et de leur financement.
Enfin, monsieur le ministre d'État, il est indispensable de refonder le système de financement de la gestion des déchets, sujet auquel tant les élus que nos concitoyens, contribuables locaux, sont très sensibles.
La mise aux normes des équipements destinés au traitement des déchets, la modernisation de la collecte, le développement de nouvelles filières pèsent fortement sur le coût global du service, qui a, je le rappelle, plus que doublé en quinze ans, passant de 80 euros la tonne en 1990 à 165 euros en 2005. Or l'organisation actuelle du financement de la gestion des déchets pèse trop lourdement sur le contribuable et pas assez sur l'industriel et donc sur le consommateur. Cela n'incite naturellement aucun des deux à améliorer son comportement et n'entraîne pas de diminution de la production des déchets, diminution pourtant annoncée comme l'une des priorités par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis quinze ans.
Les modes de financement doivent être revus avec réalisme et volontarisme. Je rejoins en cela l'une des conclusions formulées de manière quasi unanime par les membres de l'intergroupe Déchets, pour lesquels une telle mesure est prioritaire. La taxe et la redevance présentent des inconvénients si importants que l'on est en droit de se demander pourquoi elles sont toujours en vigueur. Il faut manifestement les réformer en profondeur, voire inventer purement et simplement un autre système.
Nous devons repenser également les soutiens des éco-organismes, car le financement des filières dédiées, qu'il s'agisse des emballages, des pneus, des produits dangereux ou des déchets électroniques, reste incomplet et peu transparent. Le principe de responsabilité élargie du producteur doit s'y appliquer. Il faut procéder à une remise à plat du fonctionnement des éco-organismes et faire en sorte que les collectivités locales soient associées plus étroitement à l'élaboration de leur mise en oeuvre et de leur financement.
L'optimisation de la gestion des déchets, en termes de collecte, de valorisation, de traitement, mais aussi de réduction de la production représente un enjeu majeur de la préservation et de l'amélioration de notre environnement. Face à cet enjeu, les acteurs institutionnels locaux que sont les communes et les intercommunalités sont confrontés, ensemble, à d'importants défis techniques, économiques et d'information.
Monsieur le ministre d'État, il est impératif et urgent de soutenir tous les acteurs concernés grâce à une nouvelle loi de programmation ambitieuse sur la gestion des déchets. Saisissons l'opportunité historique et politique qui nous est offerte par le Grenelle de l'environnement pour en hâter l'élaboration, l'adoption et la mise en oeuvre. Vous avez d'ailleurs pu constater à quel point Mme Voynet était impatiente de voir aboutir un certain nombre de sujets ! (Sourires.)
Mme Dominique Voynet. Je sais maintenant que je ne suis plus seule à défendre l'environnement !
Mme Évelyne Didier. C'est l'union sacrée !
M. Dominique Braye. Nous contribuerons ainsi efficacement à la qualité de notre environnement, à la santé de nos concitoyens, à la préservation de nos ressources naturelles et énergétiques. J'en suis persuadé, ce sera faire oeuvre utile pour le développement durable d'une société écologiquement responsable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Nous voici dans une phase décisive du Grenelle de l'environnement. Il s'agit d'engager la conversion écologique de la France, et il faudra choisir. La vie quotidienne des Français doit changer et, vous avez eu raison de le dire, monsieur le ministre d'État, ce n'est pas forcément plus difficile de vivre « écolo » que de vivre « jetable ». Cependant, avant de parvenir à vos fins, il vous faudra résoudre trois problèmes de taille : premièrement, comment réussir sans investissement massif de l'État ? Deuxièmement, comment réussir à atteindre les objectifs par la seule incitation, c'est-à-dire sans contrainte ? Troisièmement, comment avancer dans le bon sens sans modifier considérablement la donne dans nos territoires ?
S'agissant des investissements, vous savez que les chantiers les plus nécessaires en matière de transports s'annoncent aussi comme les plus coûteux : je pense plus particulièrement au développement du fret et aux transports en commun en site propre en milieu urbain. Le « plan fret » passe au minimum par le rattrapage du retard accumulé dans l'entretien des infrastructures secondaires et par la réalisation des projets ferroviaires et maritimes programmés lors du CIADT, le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, qui s'est tenu en 2003, programme évalué, à l'époque, à 20 milliards d'euros.
En matière d'offre de transports en commun, si les grandes villes ont accompli de véritables miracles ces dernières années, compte tenu de l'évaporation des aides de l'État, les banlieues et les villes moyennes ont été les grandes oubliées des programmes d'équipement. Les experts du Grenelle de l'environnement évaluent ainsi à près de 40 milliards d'euros les investissements nécessaires d'ici à 2020 pour que les bons résultats obtenus en matière de report modal à Lille, à Nantes, à Lyon puissent être étendus à toute la France.
Au total, ce sont donc au minimum 60 milliards d'euros qu'il faudra trouver pour financer tous ces investissements. Les collectivités n'y arriveront pas toutes seules, d'autant que nombre d'entre elles ont déjà utilisé toutes leurs marges de manoeuvres en matière de versement « transports ». Il est donc temps de dénicher de nouvelles ressources dynamiques locales, pour qu'avec l'aide de l'État, avec, au besoin, l'intervention de l'AFITF, l'Agence de financement des infrastructures de transports de France, mais une AFITF aux missions rénovées et aux objectifs en matière de développement durable clairement affichés, les régions et les communautés d'agglomération soient en mesure d'engager, enfin, les grands travaux nécessaires.
Pour ces ressources nouvelles, monsieur le ministre d'État, je vous invite à utiliser à plein le droit à l'expérimentation permis par la Constitution. Ce sera aussi l'occasion pour notre économie de créer entre 60 000 et 100 000 emplois, et ce sans compter les emplois induits sur le long terme.
Dans le domaine du logement, mon inquiétude est d'une autre nature : fixer des objectifs, c'est bien ; inciter fortement tout le monde à les atteindre, ce serait mieux. On le sait, en France, 63 % du parc de logements existant a été construit avant 1975. Ce sont ainsi 19 millions de logements qui ne sont soumis à aucune norme d'isolation ni à aucune limitation en termes de consommation d'eau.
M. Thierry Repentin. Pour ces logements, deux propositions ont plus particulièrement attiré mon attention : la création d'outils bancaires adaptés et l'obligation de rénovation à la mutation. Si elles ne font pas la une des médias, elles ont toutefois ma préférence, à une ou deux conditions près. Il ne suffira pas, en effet, de créer de nouveaux outils bancaires, comme l'a prouvé la malheureuse expérience du livret de développement durable. Non, ce sont les prêts immobiliers qu'il faut faire évoluer, pour permettre la prise en compte des nouveaux critères en matière d'économies d'énergie et d'eau.
Dans cet esprit, c'est l'éco-conditionnalité des aides à l'accession à la propriété qui doit devenir la règle. Parallèlement, la production autonome d'énergie à usage domestique doit être encouragée, non seulement pour les propriétaires habitants, mais aussi pour les bailleurs, au bénéfice des locataires. L'obligation de rénovation à la mutation peut sembler radicale, mais c'est le seul moyen de rendre cette rénovation incontournable.
Je ne sous-estime pas l'importance des politiques d'accompagnement à mettre en place pour certains propriétaires ni les efforts nécessaires pour que la filière, aujourd'hui à la peine, s'adapte à la demande. Mais un tel programme générera lui aussi plus de 100 000 emplois directs non délocalisables, ce qui est une bonne chose. Je suis certain que vous serez sensible à cet argument, comme tous les décideurs publics.
J'ajouterai quelques mots à propos des bâtiments neufs.
Vous nous proposez une « rupture technologique » avec, en point de mire, la généralisation de la construction à énergie positive en 2020. Il faut reconnaître que c'est ambitieux !
Mais comment atteindre de tels objectifs sans rendre obligatoire l'éco-conditionnalité des permis de construire ?
Comment pensez-vous résoudre l'équation du surcoût écologique et de la production de logement abordable sans le soutien financier des collectivités et de l'État ?
Enfin, comment l'État s'assurera-t-il que, chaque année, les obligations seront remplies ?
L'effort financier consenti par les propriétaires de nouvelles habitations pourrait être compensé par un allégement de la fiscalité locale, notamment de la taxe d'habitation et de la taxe sur le foncier bâti. Une telle mesure, qui aurait l'avantage de ne pas entraîner de diminution des recettes actuelles des collectivités locales, peut faire l'objet d'une écoute attentive de la part des élus locaux.
Ces questions m'amènent à évoquer le troisième de vos soucis, monsieur le ministre.
À l'instar de l'association France Nature Environnement, FNE, je me réjouis que l'on envisage de rendre obligatoires les plans climats territoriaux dans les agglomérations et de conditionner l'urbanisation à la desserte en transports collectifs.
Mais permettez-moi d'être un peu moins optimiste que FNE sur l'avenir de ces propositions.
Vous le savez, monsieur le ministre d'État, pour aboutir sur ces points, il vous faudra accomplir une révolution que personne n'ose attaquer de front : modifier en profondeur la distribution des compétences locales et changer, parallèlement, le droit et la maîtrise de la destination des sols. Vous devrez faire en sorte que l'intercommunalité, reconnue par tous les acteurs du Grenelle de l'environnement comme la bonne échelle de décision en matière d'aménagement, devienne enfin l'autorité organisatrice de l'aménagement durable.
Les politiques publiques de l'aménagement ne seront durables que si elles sont coordonnées. Et elles seront coordonnées si elles sont conduites à la bonne échelle par des collectivités qui disposent de tous les leviers pour agir. La maîtrise foncière fait tout : elle permet, notamment, de programmer la réalisation d'infrastructures de transport en commun, la densification urbaine ou l'implantation des entreprises.
Vos propositions ne seront crédibles que si elles s'accompagnent des modifications législatives et règlementaires nécessaires à leur application.
Serez-vous « le » ministre qui fera enfin en sorte que les plus-values réalisées par les propriétaires fonciers et immobiliers de notre pays, dont le capital est valorisé par les décisions publiques locales, contribuent au financement de la ville, notre espace public partagé ?
Vous avez une occasion extraordinaire de faire bouger les choses dans les territoires : donner plus de responsabilités aux intercommunalités, mais aussi faire évoluer le droit et la fiscalité de l'urbanisme pour que les comportements vertueux se généralisent et soient encouragés.
Monsieur le ministre d'État, le consensus est réel. Il y a quelques années, certains de vos prédécesseurs et d'autres responsables politiques incitaient nos concitoyens, comme vous aujourd'hui, à changer leur vision de l'avenir et de la planète, préconisant une modification de nos modes économiques de production ; ils se heurtaient souvent à la raillerie, à l'obscurantisme. L'évolution actuelle des mentalités, notamment le fait que 93 % de nos concitoyens se disent prêts à faire un effort pour l'environnement, c'est aussi leur victoire. Je souhaite que nous ne les oubliions pas.
Espérons également que les conversions tardives et quelque peu rapides de ceux qui estimaient, à l'époque, que les questions environnementales, c'était du vent, ne soient pas fugaces mais durables. Monsieur le ministre d'État, ne faites pas le chemin à moitié ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, partager des idées, c'est, on peut l'espérer, les renforcer. L'exercice auquel nous nous plions aujourd'hui va dans ce sens. L'ouverture de ce grand débat national a le mérite, entre autres, de rappeler que ces questions ne sont pas l'affaire des seuls spécialistes puisque 93 % des Français se disent prêts à faire des efforts pour préserver l'environnement.
Les travaux conduits au cours de cette première phase, au sein des six groupes de travail, ont permis de porter au débat de nombreuses propositions. Je salue, en particulier, la participation de nos collègues Jean-François Le Grand et Marie-Christine Blandin, qui ont présidé le groupe n° 2, « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles ». Rapporteur pour avis des crédits de l'écologie, au nom de la commission des affaires culturelles, je suis particulièrement attentif à la politique de préservation de notre patrimoine naturel.
Nous avons mis en place des outils remarquables, qui suscitent une très large adhésion ; je pense, bien sûr, aux parcs et réserves naturels, mais aussi à la grande « loi littoral » et à l'action du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, le CELRL. Les travaux du Grenelle de l'environnement devraient être l'occasion, si nécessaire, de clarifier les objectifs que nous avons fixés et d'identifier les cibles prioritaires.
Le succès repose sur un équilibre subtil : concilier les exigences de protection de la nature et de valorisation des territoires, mais aussi de leur aménagement. L'une des propositions du groupe n° 2 est de créer une « trame verte nationale », c'est-à-dire un réseau des espaces naturels de l'ensemble du territoire. Si cette proposition représente une opportunité de lutter contre la fragmentation de ces espaces, je ne peux qu'y souscrire. J'y reviendrai en évoquant la question de l'étalement urbain.
Je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, sur un aspect quelque peu oublié jusqu'à présent dans les débats : la question du paysage. Il s'agit pourtant d'une dimension essentielle et transversale de toute politique de développement durable, sur le plan tant de la beauté de l'environnement que de la sauvegarde de la diversité.
Les associations de protection du paysage ont regretté de ne pas avoir été plus impliquées dans la première phase du Grenelle de l'environnement. Je souhaite que leur voix puisse être entendue à l'occasion de la phase de consultations qui se poursuit en régions.
À de nombreuses reprises, j'ai interpellé vos prédécesseurs, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, sur la problématique de la dégradation du paysage, pas seulement naturel mais aussi urbain, notamment à l'occasion de mon rapport sur les « entrées de ville ».
Les paysages sont en effet un trait d'union entre la nature et la culture. Prendre en compte cette dimension garantit la cohérence de nos démarches. C'est pourquoi, tout en soutenant les objectifs fixés en termes de production d'énergies renouvelables, j'ai souligné l'an passé, à l'occasion du débat budgétaire, la nécessité de promouvoir un développement choisi des éoliennes sur notre territoire.
La question des paysages m'amène naturellement au thème de l'étalement urbain, sur lequel je souhaite attirer votre attention.
Le groupe n° 1, « lutter contre les changements climatiques et maîtriser la demande énergétique » propose, dans son rapport, des mesures concrètes contre l'étalement urbain, c'est-à-dire contre le développement rapide et anarchique des surfaces urbanisées, en particulier en périphérie des villes. Le rapport du groupe n° 2 sur la biodiversité recommande même d'inciter à une « densification urbaine de qualité ». Ces propos sont lourds de conséquences, mais il convient d'y réfléchir.
En effet, même si la France reste l'un des pays les moins densément peuplés en Europe, notre ressource foncière n'est pas illimitée. Le développement de l'urbanisation récente l'a déjà bien entamée, et souvent de manière inconsidérée. Le rythme auquel nous consommons l'espace rural est très préoccupant : 60 000 hectares de zones agricoles ou naturelles sont remplacés, chaque année, par des zones artificialisées. Ce phénomène ne touche plus seulement les périphéries des capitales régionales et le littoral, comme dans le Calvados, avec les conséquences que nous connaissons sur la fréquence des inondations ; il touche aussi les régions les plus rurales.
Vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre d'État, il nous faut trouver des « solutions innovantes, concrètes et raisonnables ».
Le groupe de travail n° 1 propose donc d'élaborer une « loi pour une gouvernance adaptée à la mobilité durable », donnant notamment aux pouvoirs publics de nouveaux outils : une obligation d'étude d'impact et de programmation préalable de transports en commun adaptés ainsi qu'une meilleure articulation des différentes politiques dans les documents d'urbanisme. Il est même question de « zones de densification environnementales », dotées de coefficients d'occupation des sols majorés à proximité immédiate des transports en commun.
Le groupe n° 4, « adopter des modes de production et de consommation durables », propose également des pistes pour densifier les zones bâties. Voilà de beaux sujets pour les plans locaux d'urbanisme, les PLU, et peut-être même pour les schémas de cohérence territoriale, les SCOT ! Mais n'oublions pas le goût de nos concitoyens et mesurons bien le coût des études.
Il est vrai que le coût énergétique de l'étalement urbain est très élevé du fait de l'accroissement des déplacements, en majorité automobiles. Il est également plus difficile d'isoler et de chauffer les constructions de faible densité.
Mais l'étalement a bien d'autres conséquences néfastes que le réchauffement climatique et l'épuisement de nos ressources énergétiques : l'émiettement des zones construites et, par conséquent, le morcellement de l'habitat naturel menacent la biodiversité. Cet émiettement constitue une entrave à la reproduction entre les différentes populations d'une même espèce et risque de réduire la diversité biologique. La qualité des biotopes passe ainsi par leur continuité.
De même, l'équilibre écologique de nos ressources en eau est en jeu. Le développement de la maison individuelle pose aussi le problème de l'assainissement et de son coût. Doit-il être collectif ou contrôlé par les services publics d'assainissement non collectif, les SPANC ? Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, ne s'en sortent plus et on repousse les échéances posées dans la loi sur l'eau.
Enfin, les conséquences sur l'agriculture ne doivent pas être oubliées.
On oppose souvent, à tort, performance économique et protection de l'environnement, notamment en matière d'agriculture. En l'occurrence, l'étalement urbain menace les deux : d'une part, il conduit parfois à entraver la circulation des engins agricoles, d'autre part, l'ensemble du monde agricole exprime la crainte de voir disparaître peu à peu les espaces agricoles.
La demande de produits alimentaires augmente. L'autonomie de l'Europe redevient une question d'actualité et notre pays y joue un rôle de premier ordre. Il ne faut pas l'oublier !
Toutes ces questions vont exiger des réponses à long terme, qui passent, d'abord, par une analyse lucide des causes de l'emballement de l'étalement urbain.
À mon sens, il ne faut pas se limiter à mettre en cause la seule demande. Certes, nos concitoyens préfèrent la maison individuelle. Mais c'est souvent parce que l'offre en matière de logement collectif ne répond pas à leurs aspirations. Le collectif est devenu trop cher et le prix du foncier n'est pas seul en cause : il faut compter avec les coûts de construction et de gestion. Il est aujourd'hui plus avantageux de construire des petits lotissements, qui deviennent, de ce fait, le modèle de développement dominant.
Certains pourraient s'étonner d'entendre aujourd'hui un plaidoyer en faveur de la densification, tant celle-ci est associée dans les esprits à un cadre de vie dégradé, coupé du vivant. Pourtant, c'est seulement en redonnant envie de vivre ensemble, dans des logements collectifs à haute qualité environnementale, que l'on répondra, à la fois, aux aspirations de nos concitoyens et aux impératifs environnementaux. Il faut rendre économiquement rationnel le choix d'investir dans des logements collectifs ou contigus et recréer la rue, avec un grand R. Car la rue, c'est la vie !
Vous l'avez dit, monsieur le ministre d'État, la croissance durable est possible. C'est même son caractère durable qui sera la condition de la croissance.
Il en va de même pour un urbanisme durable. Dilapider l'espace rural est irréversible. Réparer les erreurs d'une urbanisation non maîtrisée est toujours difficile et coûteux. On voit aussi combien il est difficile de traiter les maux nés du modèle des grands ensembles construits dans les années soixante et soixante-dix. Si l'on n'y prend garde, il pourrait s'avérer tout aussi difficile de revenir sur les conséquences néfastes de l'étalement urbain actuel.
Je compte sur vous, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, pour mettre en oeuvre les stratégies nécessaires afin que la ville cesse de ramper et se relève.
Il faudra passer de la première phase du Grenelle de l'environnement aux réalisations concrètes. Dans le domaine du développement durable, l'urbanisme reste, à mon avis, l'outil privilégié dont disposent les maires. Il faudra donc veiller à associer plus étroitement les élus à l'occasion de la phase de consultations qui se poursuit en régions. C'est la décentralisation qui leur en a confié la compétence. L'urbanisme ne doit cependant pas perdre sa dimension régalienne.
Votre grand ministère d'État est au croisement de ces choix. C'est une grande et difficile mission qui vous est confiée. Le débat que vous avez organisé est l'occasion pour chacun de confronter ses options avec la réalité et d'avancer sur le chemin complexe du développement durable. Mais n'oublions jamais que le développement durable doit reposer équitablement sur ses trois piliers : écologique, économique et social. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le temps qui m'est imparti dans ce débat m'oblige à me concentrer sur deux thèmes qui font l'actualité de la Guadeloupe : la pollution des sols et le traitement des déchets.
Si le rapport du professeur Dominique Belpomme a eu un retentissement médiatique particulier, il n'est pourtant pas le premier à donner l'alerte sur les conséquences néfastes de l'utilisation du chlordécone dans les sols de la Guadeloupe et de la Martinique.
Compte tenu de la gravité de la situation, c'est une question qui doit faire l'objet d'une attention particulière au sein du Grenelle de l'environnement. Je ne m'étendrai donc pas sur l'historique de la pollution des sols antillais.
Je considère en outre qu'il n'est plus seulement temps de dénoncer les responsabilités, ni même de les rechercher : il est temps de réparer.
On sait que la molécule a été interdite aux États-Unis dès 1976, mais qu'il a fallu attendre 1990 pour que sa commercialisation soit interdite en France, et qu'une dérogation de trois ans a prolongé son utilisation dans les départements d'outre-mer jusqu'en 1993.
Mais l'on sait surtout, et toutes les études s'accordent sur ce point, que la présence du chlordécone dans l'environnement persiste plusieurs dizaines d'années. Ainsi, un rapport sur le chlordécone du Programme des Nations unies pour l'environnement de novembre 2006 concluait que le chlordécone « peut, du fait de sa propagation atmosphérique à longue distance, avoir des effets nocifs appréciables sur la santé humaine et l'environnement qui justifient la prise de mesures au niveau mondial ».
Aussi, dans un contexte de prise de conscience du risque écologique, notamment sur la santé, la pollution des sols de la Guadeloupe et de la Martinique ne saurait être minimisée, pas plus qu'elle ne devrait être dramatisée.
La situation exige un devoir de transparence vis-à-vis des populations : l'étendue de la pollution doit être identifiée, car, incontestablement, la médiatisation de la pollution des sols antillais a réveillé de nombreuses questions et de nombreuses inquiétudes.
La plupart de ces interrogations sont encore sans réponses, laissant place à toutes sortes d'interprétations, toutes plus effroyables les unes que les autres.
Au-delà, la contamination des sols antillais a aussi des répercussions sur l'économie de ces îles, en particulier sur le tourisme et sur l'agriculture.
Pour gérer les conséquences, il faut un plan d'action qui tienne compte de l'historique de la pollution par le chlordécone. Les sols contaminés doivent être répertoriés avec exactitude. Une réflexion doit être menée sur la reconversion des sols cultivés contaminés, par exemple par la culture hors sol, et une indemnisation des agriculteurs envisagée.
S'agissant de la consommation, la traçabilité des produits doit permettre de sécuriser les consommateurs.
Par ailleurs, pour connaître l'impact sur la santé, une étude épidémiologique doit permettre d'établir l'existence ou non d'une relation de causalité entre certaines pathologies prévalant en Guadeloupe et en Martinique et l'ingestion des produits contaminés par le chlordécone.
Vous l'aurez compris, la catastrophe écologique qui touche la Guadeloupe et la Martinique engendre un certain nombre de dommages collatéraux qui justifient une approche écologique transversale.
J'en terminerai par la question du traitement des déchets.
En Guadeloupe, le traitement des déchets est une problématique épineuse qui se place, elle aussi, dans une perspective de développement durable.
Il aura fallu deux ans de procédure pour arriver à doter l'archipel guadeloupéen d'une organisation de traitement des déchets respectueuse de l'environnement et adaptée aux contraintes locales. L'organisation à laquelle nous avons abouti favorise la réduction des tonnages à traiter et le développement des filières de recyclage associant valorisation biologique et énergétique.
Le traitement des déchets, qui est un enjeu encore plus crucial en milieu insulaire, nécessite un engagement financier exceptionnel de tous les pouvoirs publics à l'image des collectivités départementales, régionales et communales.
Je veux donc attirer l'attention du Gouvernement sur l'urgence d'un engagement de l'État pour permettre la concrétisation de ce projet environnemental ainsi que sur la nécessité d'assouplir les procédures.
Monsieur le ministre d'État, les deux sujets que je viens d'aborder devant vous sont de taille, mais j'aurais pu aussi parler de biodiversité et d'énergies renouvelables. Je reste pour ma part persuadé que ce sont là des thématiques qui devraient pouvoir trouver leur place dans le cadre de la réflexion écologique prospective dont vous avez pris l'initiative avec le Grenelle de l'environnement.
C'est dans cette optique que, par courrier, je vous ai demandé la tenue en Guadeloupe d'un atelier décentralisé du Grenelle de l'environnement afin de trouver sur place des solutions aux conséquences catastrophiques de la pollution des sols par le chlordécone. J'espère que votre réponse sera positive. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)