M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mme Assassi a parlé tout à l'heure de la lettre de Guy Môquet. Je voudrais, pour ma part, évoquer une autre lettre, celle de Missak Manouchian, assassiné avec ses amis de « l'Affiche rouge ». Il écrivait à sa femme : « Tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération ».
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Missak Manouchian et ses amis de « l'Affiche rouge » - Italiens, Roumains, Espagnols, Hongrois, Polonais et Arméniens - sont venus se battre et mourir pour la libération de notre pays.
Et que dire de ces soldats de l'ombre remis à l'honneur par le film Indigènes ? Faut-il aujourd'hui que leurs descendants soient stigmatisés au nom de quelques sophismes grossiers, parce qu'« à prononcer leur nom est difficile » ?
Nous sommes attachés à des valeurs. Ne disait-on pas jadis : « Heureux comme Dieu en France » ? Je doute, monsieur le ministre, que Dieu soit aujourd'hui très heureux avec votre texte... (Mme Éliane Assassi s'esclaffe.)
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, je n'aime pas beaucoup le libellé de votre ministère et sa référence à l'identité nationale.
Il n'est pas question ici de nier l'existence d'un vrai problème à résoudre concernant l'immigration irrégulière. Comme le disait Etienne Pinte, qui n'est pas précisément un parlementaire de l'opposition, dans son intervention à l'Assemblée nationale, « ce texte ne s'attaque pas au vrai problème ».
Comme beaucoup l'ont rappelé, de très nombreux textes relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers, au droit d'asile, au code de la nationalité, à la validation des mariages, à la circulation et à l'emploi de certaines catégories d'étrangers ont été étudiés ces dernières années. Pour quelle efficacité ? Pour quel bilan ? Aujourd'hui, vous n'en avez présenté aucun à la représentation nationale.
Il faut, à cet égard, faire preuve de pragmatisme et de réalisme. L'immigration irrégulière constitue une réelle question qu'il faut résoudre avec volonté mais dans le respect de l'éthique et du droit. Nous ne réglerons pas les problèmes seuls. D'ailleurs, aucun pays n'a encore trouvé de solution miracle à cette question.
Le Conseil de l'Europe, qui travaille dans l'indifférence générale, a néanmoins beaucoup réfléchi sur ces questions et a qualifié votre politique - je devrais dire « la politique de la France » - de particulièrement agressive.
J'ai assisté hier, à Strasbourg, aux débats sur ce thème de l'immigration : le Conseil, comme l'Organisation internationale pour les migrations, estime à plus de 5,5 millions le nombre de migrants en situation irrégulière vivant sur le territoire de l'Union européenne et à 8 millions le nombre de ceux qui vivent en Russie. Il est donc absolument impératif de prendre en compte ces considérations.
Dans son projet de résolution, l'Assemblée parlementaire se dit vivement préoccupée par cette situation. La question est non plus de savoir si l'on est favorable aux migrations, mais de parvenir à en réduire les effets négatifs, et notamment de régler le sort des migrants en situation irrégulière.
Il ne serait peut-être pas inutile de s'intéresser aux travaux des quarante-six pays, de l'Atlantique à l'Oural, membres du Conseil de l'Europe, lequel agit, je le répète, dans l'indifférence générale.
Notre collègue Jean-Guy Branger est vice-président de la commission des migrations, des réfugiés et de la population. Il serait sûrement souhaitable de s'attacher à son expertise.
De toute évidence, notre politique migratoire s'alignera de plus en plus sur l'exemple américain. Je souhaiterais donc qu'il en soit également ainsi pour l'accueil des étudiants.
Monsieur le ministre, vous avez mentionné à l'Assemblée nationale, et tout à l'heure dans cet hémicycle, une politique volontariste d'accueil d'étudiants étrangers. Et j'ai beaucoup apprécié l'intervention d'Adrien Gouteyron sur ce thème.
Je voudrais simplement citer le cas, que je connais bien, des étudiants venant des pays du Golfe. Je choisis à dessein l'exemple de ces étudiants, car ces derniers ne sont pas boursiers et ne coûtent rien à notre pays.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils sont en général assez fortunés !
Mme Nathalie Goulet. Ce n'est pas une raison pour les traiter mal !
Nous accueillons, en tout et pour tout, 1 000 étudiants de la péninsule arabique, alors que les États-Unis en reçoivent 10 000. L'accueil dans nos consulats, monsieur le ministre, est totalement inadapté, l'offre universitaire illisible, la paperasserie administrative, notamment pour l'obtention des visas, extrêmement compliquée, et l'accompagnement sur le terrain à l'arrivée en France totalement inexistant.
Les tentatives de formation médicale ont pratiquement toutes échoué, tandis que les liens avec nos entreprises, à l'exception des plus importantes comme Total, n'ont pas fonctionné. Nous sommes totalement absents du circuit universitaire de ces pays, exclusivement ou essentiellement anglophones. Et ce n'est pas l'arrivée récente de quelques entités françaises qui nous feront rattraper notre retard.
Nous devons absolument accueillir des étudiants dans nos entreprises, et nous devons le faire correctement, de façon à former les futurs décideurs. Nous avons manqué la formation des élites d'aujourd'hui. Il ne faudrait pas, monsieur le ministre, rater celle des élites de demain. C'est le souhait que je forme.
Je reviendrai ultérieurement, au cours de la discussion des articles, sur les tests ADN, dont on a beaucoup parlé. Pour ma part, je souhaiterais que cette disposition soit purement et simplement exclue des débats. Je trouve un peu dommageable que la commission d'éthique soit saisie d'un problème aussi important après son examen par le Parlement. Si elle s'était prononcée plus tôt, nous aurions pu avoir un débat plus éclairé. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Giraud.
M. Adrien Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-être mon intervention vous paraîtra-t-elle hors sujet, et je vous demande par avance de bien vouloir m'en excuser. Toujours est-il que l'immigration constitue un problème crucial pour Mayotte.
Ce projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, présente à mes yeux un double mérite.
D'abord, les problèmes de l'outre-mer ne sont pas oubliés. Ils sont traités dans plusieurs articles et selon l'esprit qui convient, c'est-à-dire dans le souci de favoriser les progrès et le développement des pays d'origine de ces immigrants, notamment par l'institution d'un livret d'épargne qui contribuera, par des ressources additionnelles, à l'investissement dans ces pays.
Le second mérite, selon moi essentiel, du projet de loi soumis à l'examen de notre assemblée réside dans le souci d'étendre et surtout d'adapter aux conditions particulières des diverses collectivités de l'outre-mer français les dispositions de la future loi.
L'article 17 du projet de loi prévoit en effet qu'une ordonnance viendra en préciser les conditions et modalités d'application à l'outre-mer. Nous retrouvons ainsi une procédure législative que nous connaissons bien et qui a permis l'extension et l'adaptation à Mayotte des dispositions de la loi précédente du 24 juillet 2006. Tel est l'objet de l'ordonnance du 25 janvier 2007, qui se trouvera ratifiée par l'article 18 du présent projet de loi.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de souhaiter la même célérité, et même un peu plus, pour l'entrée en vigueur à Mayotte des dispositions nouvelles que vous nous présentez aujourd'hui.
En effet, la situation de l'immigration pose à notre île, « collectivité départementale », de difficiles problèmes qui appellent le renforcement urgent des mesures de protection et de survie, réclamées par la population mahoraise.
Je n'ai nul besoin d'insister sur les données et les conséquences de l'immigration étrangère, et singulièrement de l'immigration clandestine à Mayotte. Elles sont en effet bien connues du Gouvernement, qui a été régulièrement informé par nos élus...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Hors sujet !
M. Adrien Giraud. ...et par diverses missions interministérielles dans notre île autant que par les rapports des services officiels qui évaluent sur place toutes les conséquences des flux migratoires clandestins, encore trop mal contrôlés, il faut bien le dire.
Les données de cette situation sont évidentes : elles procèdent de l'étroitesse de notre territoire, avec ses 375 kilomètres carrés et de son insularité. Cette île est peuplée officiellement de 160 265 habitants dans une zone à fort potentiel démographique.
Il ne fait aucun doute qu'il s'agit le plus souvent d'une émigration de la misère, exploitée de surcroît par divers réseaux d'intermédiaires qui, ne se contentant plus d'organiser leur sinistre trafic, encouragent les départs des îles comoriennes vers Mayotte, dans un odieux souci de rendement.
Pour nous, les conséquences de cette immigration massive sont mesurables dans les domaines les plus divers : les statistiques sanitaires et hospitalières, la fréquentation des maternités, les effectifs des écoles et, malheureusement aussi, les taux d'occupation des établissements pénitentiaires, en termes de « surcharges » lourdement subies par ces services publics.
Mais c'est également en raison des tensions sociales liées à de multiples déséquilibres sur le marché de l'emploi que Mayotte prend conscience des atteintes portées à l'ordre public, à la paix civile comme à la tranquillité des Mahorais.
Il serait totalement injuste, monsieur le ministre, de méconnaître les efforts consentis, sur notre demande, par les gouvernements successifs afin de mieux contrôler les conditions d'entrée et de séjour à Mayotte, et surtout de combattre plus efficacement l'immigration clandestine.
Je ne manque jamais de saluer le travail souvent difficile et le dévouement de la gendarmerie nationale, des unités ou brigades de police - leur vigilance sur le terrain parvient à limiter la présence et les effets de l'immigration clandestine à Mayotte -, des brigades des douanes, ainsi que l'efficacité remarquable de la justice. Le nombre de reconduites à la frontière atteint à présent 14 000 immigrés clandestins, mais certains parviennent à revenir, en dépit des contrôles.
En fait, les moyens en hommes et en matériel demeurent encore insuffisants, notamment en ce qui concerne les effectifs de la gendarmerie maritime, ou encore le nombre de vedettes et de radars de surveillance, dont il faut renforcer la logistique. Mais, monsieur le ministre, nous ne savons que trop que les moyens de contrainte et de répression ne suffiront pas à résoudre toutes nos difficultés.
Il est désormais urgent de définir et de mettre en oeuvre une politique plus globale s'inscrivant dans un cadre contractuel ou conventionnel d'État à État, avec les pays concernés. L'on parle, à cet égard, de codéveloppement, pour caractériser cette politique de coopération qui doit être rénovée dans son esprit et ses méthodes.
En contrepartie, le gouvernement signataire doit s'engager à mieux surveiller ses propres frontières. Le laxisme actuel apparaît souvent comme un encouragement au départ des émigrants clandestins. Plusieurs signes indiquant un changement d'attitude de certaines autorités comoriennes nous sont récemment parvenus et nous conduisent à souhaiter que cet esprit de coopération volontaire se confirme et se généralise.
Ouverts à cette volonté lucide et active de coopération régionale, les Mahorais continueront à lutter, sans relâche et avec des moyens accrus, contre l'immigration clandestine. Mayotte entend ainsi passer, suivant l'expression du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, de l'immigration subie à « une politique d'immigration choisie ». Nous participerons, le moment venu, à l'élaboration de l'ordonnance prévue à l'article 17, qui adaptera ces mesures générales au contexte si particulier de Mayotte.
Encore faut-il que nos options politiques et notre détermination historique en faveur de la France soient respectées par tous. À cet égard, je voudrais faire une mise au point.
Mes chers collègues, comme vous le savez, Mayotte fait partie de l'outre-mer français par son libre choix, lequel a été entériné par l'article 72-3 de la Constitution.
Je demande que cesse enfin ce double langage au sujet du choix volontaire et réitéré de la France par les Mahorais, qui, si l'on n'y prend garde, aboutit à fournir de faciles alibis aux responsables comoriens. À leurs propos hasardeux, il est facile d'opposer les démentis les plus catégoriques, ceux qui viennent simplement de l'histoire.
Mayotte est française depuis 1841, bien avant les autres îles de l'archipel, Nice ou la Savoie ! (Sourires.) Les Mahorais n'ont jamais, depuis lors, changé d'opinion ni de discours. Mayotte a choisi de demeurer française quand d'autres choisissaient l'indépendance, qui, pour beaucoup, hélas ! n'a eu pour seuls résultats que la corruption, dix-huit tentatives de coup d'État et des faillites en tous genres.
Que chacun assume sa responsabilité devant sa propre histoire. J'aurai l'occasion de le dire encore à cette tribune afin d'éviter que certains esprits, même de bonne foi, ne se laissent abuser par des plaidoyers dénués de tout rapport avec la vérité historique.
Telle est la mise au point, considérée comme essentielle par les Mahorais, que je tenais à faire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Chacun connaît l'attachement de Mayotte à la France !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et vice-versa !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, il ne faut pas que le débat sur les tests ADN, qui ont été légitimement rejetés par la commission des lois, soit l'arbre qui cache la forêt. Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui constitue, dans son ensemble, non seulement une menace permanente pour les étrangers vivant sur notre territoire et une restriction de liberté pour nos compatriotes voulant vivre avec eux, mais il porte aussi gravement atteinte au crédit de la France dans le monde. Les réelles difficultés de certains territoires d'outre-mer méritent un traitement particulier, mais elles ne sauraient justifier ce texte général.
Nous sommes à l'heure de la mondialisation. Personne ne conteste la nécessité de s'y adapter, à commencer par le Président de la République, qui a récemment confié à Hubert Védrine la mission de rédiger un rapport sur ce sujet.
Alors, monsieur le ministre, je vous pose la question : que signifie pour vous la mondialisation ? À nos yeux, c'est une réalité que nous devons regarder en face !
En ce début de XXIe siècle, les distances se sont réduites, les communications sont instantanées. Dans ces conditions, comment imaginer un monde dans lequel les capitaux et les informations circuleraient librement tandis que les êtres humains seraient pour le plus grand nombre voués à rester sur leur territoire d'origine ? Se mettre à l'heure de la mondialisation nous oblige à admettre que les mouvements de population dans le monde vont s'amplifier et non se restreindre.
L'obsession de « maîtriser les flux migratoires », qui semble être la vôtre à travers ce énième projet de loi, est donc assez largement irréaliste. Elle est également contraire aux principes républicains qui ont fait de la France un pays respecté et influent dans le monde.
Jeter la suspicion en permanence sur l'étranger, c'est se fermer au monde. La France court un grand danger en se prêtant à cette escalade. S'en prendre à l'étranger ne réglera aucun de nos problèmes. Au contraire, cela nous isolera du reste du monde, nous laissant seuls face à nos difficultés.
La France est un pays d'immigration depuis le XIXe siècle. Elle a massivement fait appel à la main-d'oeuvre étrangère pour reconstruire le pays après 1945. En 1974, elle a commencé à fermer ses frontières quand elle a pris peur face à la crise économique mondiale. Depuis cette date, le chômage a-t-il été enrayé ? Non, il a augmenté !
L'argument tronqué et inlassablement rabâché selon lequel « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » est à côté de la plaque. Les difficultés économiques et sociales que vivent les Français ne tiennent pas à la présence d'étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou non, sur notre sol ; elles sont dues aux problèmes structurels de notre société : manque de compétitivité de nos entreprises, investissement public insuffisant en matière de recherche et d'innovation, déficit de logements, difficultés d'adaptation de notre appareil éducatif.
Comme l'a rappelé M. Collombat, la proportion d'étrangers sur notre territoire est stable depuis vingt-cinq ans, représentant de 5 % à 6 % de la population, soit un peu plus de trois millions de personnes pour un pays de soixante millions d'habitants. Quant aux étrangers en situation irrégulière, leur nombre est estimé à 400 000, soit 0,6 % de la population. Il n'y a donc aucune vraie raison de vouloir durcir les conditions de l'immigration légale, si ce n'est une volonté d'affichage politique en réponse au trouble de l'opinion.
Monsieur le ministre, vous affirmez vouloir lutter contre l'immigration clandestine. Pourtant, aucune disposition majeure du projet de loi n'y est consacrée. Pis, en durcissant les conditions de l'immigration légale, vous prenez le risque de faire flamber les prix des passeurs et des réseaux clandestins, qui prospèrent précisément sur les refus de visas et de titres de séjour.
En réalité, l'essentiel de votre texte vise à dresser des obstacles à l'immigration légale.
Si votre projet de loi était voté en l'état, l'administration française serait conduite à exiger des candidats au regroupement familial une formation à la langue française et des documents alors que ces candidats peuvent être issus de pays où, vous le savez bien, le droit à l'éducation n'est pas encore assuré et où l'administration ne dispose pas des moyens de la France, particulièrement en matière d'état civil. C'est pourquoi nous demanderons la suppression des articles 1er et 2.
Le problème des visas est devenu chez nos partenaires étrangers le symbole d'une France suspicieuse, frileuse et un tantinet xénophobe. Ce n'est pas la France que nous aimons !
Pour justifier les expulsions du territoire, vous répétez que « la loi doit être respectée ». Mais le Gouvernement, lui, respecte-t-il les engagements internationaux de la France, c'est-à-dire la loi internationale, notamment l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui assure à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale ?
Vous avez défini un objectif, « l'immigration choisie », qui fait craindre à de nombreux pays, notamment en Afrique, une « fuite des cerveaux » qui compliquerait encore leurs conditions de développement. À l'inverse, les difficultés cumulées pour venir faire des études en France font qu'un grand nombre d'étudiants étrangers renoncent à s'inscrire chez nous et préfèrent d'autres destinations.
Mme Nathalie Goulet. C'est vrai !
Mme Catherine Tasca. Ces étudiants constituent pourtant une ressource humaine précieuse dont on risque de priver nos entreprises. Ils pourraient surtout représenter un réseau d'influence très utile pour l'avenir.
Tout cela est absurde ! Lisez plutôt le rapport d'information n° 347 rédigé par M. Christian Gaudin, au nom de la mission commune d'information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s'attachent en ce domaine à l'attractivité du territoire national, mission présidée par M. Philippe Marini. Il y est proposé d'assouplir la délivrance des visas pour renforcer l'attractivité de notre territoire.
Et que dire de la francophonie ? C'est pourtant grâce à cette dernière que nous avons pu parfois avoir gain de cause dans certaines négociations internationales serrées, comme celle qui concernait, par exemple, la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle.
En tenant des propos comme ceux qu'a prononcés en juillet dernier à Dakar le Président de la République et en affichant de manière ostentatoire une politique intensive d'expulsion d'étrangers, vous êtes en train de réussir le tour de force de brouiller la France avec la communauté francophone. En ce sens, le blocage du projet de Maison de la francophonie à Paris est un très mauvais signal que nous lui envoyons. D'ailleurs, nous commençons à le payer. Cela se traduit pour de nombreux pays africains par un partenariat privilégié avec la Chine au détriment de la France, par exemple dans un secteur crucial comme celui de l'uranium.
Cette image de fermeture ne contribue en rien à régler nos problèmes intérieurs. Votre politique conduit la France dans une impasse sur le plan international.
Monsieur le ministre, nous sommes convaincus qu'il faut changer notre politique de l'immigration et modifier radicalement le rapport à l'étranger, rapport de défiance et d'exclusion que vous instillez jour après jour, loi après loi, dans la société française.
Il n'est pas forcément nécessaire de consentir aux étrangers vivant sur notre territoire tous les droits dont jouissent les nationaux. D'ailleurs, beaucoup de migrants souhaitent conserver le lien avec leur pays d'origine. Ils ne sont pas tous demandeurs de la nationalité française, mais c'est souvent le seul moyen pour eux de vivre en paix chez nous. Ils n'en auraient pas besoin si, tout étranger qu'ils sont, leur étaient reconnus les droits fondamentaux, notamment celui de travailler et de vivre normalement.
Il est indigne de la France que les unions entre Français et étrangers soient désormais systématiquement suspectes aux yeux de l'administration. C'est la raison pour laquelle l'article 4 du projet de loi doit être complètement réécrit. La commission des lois du Sénat a déjà travaillé en ce sens.
Il faudra aussi modifier les articles 6 à 10 relatifs au droit d'asile, qui vous ont été en partie imposés par la condamnation de la France, le 26 avril 2007, par la Cour européenne des droits de l'homme. Malheureusement, vous avez assorti les nouvelles dispositions, assurant enfin le caractère suspensif du recours, de conditions encore restrictives de délai et d'appel, alors même que se multiplient dans le monde les situations de conflit et les régimes antidémocratiques.
Monsieur le ministre, c'est aussi notre rôle de parlementaire de dire que l'état de peur dans lequel vivent désormais de nombreux étrangers sur notre territoire n'est pas acceptable. Cela me conduit à parler des aspects de votre politique qui sont extérieurs au projet de loi, mais qui participent de la même philosophie, sans doute de la même stratégie.
Les objectifs chiffrés d'expulsion qui sont les vôtres ne sont ni réalistes ni justes et ont pour seul résultat de conduire à des situations inhumaines, dramatiques. Cette politique place les pays de départ dans une situation impossible. Ils n'osent pas le dire tout haut tant ils dépendent des aides au développement. Certains font donc de la résistance passive en refusant d'accueillir leurs nationaux reconduits.
Il est grand temps de reprendre une politique de régularisation réfléchie avec des critères justes et sans objectifs chiffrés absurdes. L'expulsion devrait être l'exception. Notre premier souci devrait être de faire entrer le plus grand nombre possible de ces étrangers dans la légalité, situation bénéfique pour eux et pour toute la collectivité, puisque nous en ferions d'utiles contributeurs à la croissance de notre pays. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Enfin, l'aide au développement doit devenir un axe majeur de la politique étrangère de la France, en coordination avec toute l'Union européenne. C'est la seule voie durable pour réduire les inégalités à l'échelle internationale, et c'est donc la seule voie pour conduire une politique globale des migrations responsable, juste, digne et efficace. C'est dans ce sens que les sénateurs socialistes porteront la discussion de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Soibahaddine Ibrahim.
M. Soibahaddine Ibrahim. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine a fait état en outre-mer de l'existence d'un phénomène massif, qui dépasse largement le strict cadre du regroupement familial, principal objet du présent projet de loi, notamment en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte. Dans ces collectivités, hormis en Guadeloupe, la population étrangère en situation régulière ne constitue qu'une infime partie des immigrés présents sur le territoire.
Comme vous le savez, mes chers collègues, ces trois collectivités sont les plus exposées aux flux migratoires illégaux en raison de leur proximité géographique avec les pays sources, qu'il s'agisse d'Haïti, du Surinam, du Brésil, des Comores ou de Madagascar.
Parmi ces collectivités, Mayotte, territoire de très faible dimension, doit faire face à une pression constante. De ce fait, l'île connaît une situation tendue en matière de structures d'accueil, que ce soit à l'école maternelle et élémentaire, au centre hospitalier de Mamoudzou, dans les dispensaires et les maternités ruraux ainsi que dans les domaines du logement et de l'emploi.
Dans ce contexte, la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration prévoit pour Mayotte un ensemble de mesures qui commencent à donner des résultats : visite sommaire de véhicules circulant sur la voie publique en vue de rechercher et de constater les infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, destruction sur décision du procureur de la République des embarcations ayant servi à commettre des infractions d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers dans l'île, accompagnée de condamnations des passeurs, contrôle de l'identité des personnes le long du littoral, contrôle plus efficace des reconnaissances de paternité afin de lutter contre les reconnaissances frauduleuses, mise à la charge personnelle du père d'un enfant naturel des frais de maternité de la mère étrangère en situation irrégulière, suppression des dispositions qui s'opposaient jusqu'ici au contrôle de la régularité des employés de maison au regard du code du travail et des lois sociales.
À ces mesures, inspirées en partie par les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine, devraient s'ajouter l'implantation d'un troisième radar, la construction d'un nouveau centre de rétention administrative et l'envoi de deux vedettes rapides.
Toutefois, il convient d'observer que, si le nombre d'éloignements et d'embarcations interceptées est en constante augmentation, les drames en mer se multiplient et la liste des victimes, femmes et enfants, s'allonge aussi. Jamais ce bras de mer de 70 kilomètres qui sépare Mayotte d'Anjouan n'a aussi bien mérité son nom de « plus grand cimetière de l'océan Indien ».
Monsieur le ministre, l'expérience montre qu'il est très difficile d'empêcher les candidats à l'immigration de tenter d'entrer illégalement à Mayotte ou d'y revenir après un éloignement, malgré le renforcement considérable des moyens de contrôle et de surveillance aux frontières.
C'est pourquoi je propose que, dans le cadre de l'ordonnance prévue à l'article 17 de ce projet de loi, un équilibre soit établi entre, d'une part, la répression à Mayotte et, d'autre part, le codéveloppement et l'aide au développement aux Comores.
Je suggère que les actions prioritaires arrêtées en commun dans le cadre de la première réunion de la commission mixte franco-comorienne de 2005 fassent l'objet d'un document contractuel qui pourrait prendre la forme d'un pacte pluriannuel de développement, pacte visant à réduire la pauvreté aux Comores de 50 % en une décennie.
Ce programme de base évalué à 316 millions d'euros pourrait être financé conjointement par les fonds de la coopération française, les crédits de l'Union européenne et le concours des bailleurs de fonds internationaux.
Au préalable, il faudra résoudre la crise anjouanaise par le dialogue, sous l'égide de l'union africaine.
Monsieur le ministre, sous le bénéfice de ces observations, je soutiendrai votre projet de loi tout en restant extrêmement attentif aux termes de l'ordonnance prévue à l'article 17 visant son extension à Mayotte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Adrien Giraud et Georges Othily applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit de vivre en famille est aujourd'hui un élément fondamental de la politique française en matière d'immigration. Ce droit, reconnu par le droit international, s'impose à notre droit national.
Permettez-moi un bref mais nécessaire rappel : depuis le début du siècle dernier, la France a voulu attirer non seulement des travailleurs, mais également des familles pour diverses raisons.
Les étrangers ont pendant longtemps été considérés comme une source précieuse d'enrichissement, notamment du point de vue économique et démographique.
Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux hommes sont venus d'ailleurs pour libérer notre pays du nazisme. Certains d'entre eux sont restés sur notre sol pour aider à la reconstruction de la France, et ils ont alors été rejoints par leur famille.
En fait, dès le début du siècle, la France a cherché à attirer vers elle non seulement des travailleurs immigrés, mais également des familles.
Cependant, dès 1975, avec la crise, une nouvelle vision de l'immigration a fait place à une conception plus restrictive : seuls les hommes, les travailleurs, ont été les bienvenus. Tout a été mis en oeuvre à cette époque pour dissuader les travailleurs de faire venir leur famille.
Pour mémoire, il existait même un fonds, le Fonds d'action sociale, le FAS, qui versait des allocations aux familles restées au pays et qui finançait les foyers SONACOTRA, pour travailleurs étrangers.
Ce fonds a d'ailleurs permis, après 1978, de financer certaines associations afin qu'elles mènent des actions d'insertion et d'intégration auprès des familles de migrants.
Pourquoi 1978 ? Parce que c'est à cette date que le Conseil d'État a admis que le droit à une vie familiale était un principe reconnu par les lois de la République.
Dès ce moment, on pensait que la bataille pour le regroupement familial était définitivement gagnée. Aujourd'hui, votre projet de loi l'a remise au goût du jour.
Si, en juillet 1984, les conditions du regroupement familial ont été durcies par Mme Dufoix, votre projet de loi va encore plus loin. C'est une véritable déclaration de guerre aux familles que vous nous soumettez. C'est un bond en arrière de trente ans que vous nous proposez de faire, un bond dans une période où le droit de vivre en famille n'était reconnu ni dans le droit national ni dans le droit international, un bond dans une période ou le respect des droits humains ne signifiait pas la même chose qu'aujourd'hui.
Savez-vous que, durant des années, la France était un exemple en matière d'immigration et de protection de ce droit ? L'Europe entière s'est inspirée de notre modèle.
Aujourd'hui, vous nous proposez de revenir sur ce qui a fait la fierté de la France aux yeux de nombreux États : notre capacité à accueillir les familles, familles que la France elle-même, à une certaine période, a démembrées.
Votre projet de loi s'inscrit parfaitement dans cette idée de démembrement des familles. « Enrobé » de certaines propositions sur l'aide à l'intégration des familles, il est en réalité une abdication de la nécessité devant l'utilité.
Vous voulez nous faire croire, au travers de ce projet de loi, que l'immigration familiale est inutile et coûteuse. L'objectif qui vous a été assigné par le Président de la République est d'atteindre 50% d'immigration économique.
Là se trouve le noeud de discorde. Cette immigration économique, c'est au détriment de l'immigration familiale que vous souhaitez la développer. Peu importe le bonheur de vivre avec ses enfants, peu importe le droit de vivre en famille : ce qu'il faut, c'est du chiffre !
Ce projet de loi a donc un double objet : d'une part, limiter le regroupement familial, cette immigration que vous considérez inutile, d'autre part, malgré votre discours sur l'aide au développement et la coopération, piller les cerveaux des États étrangers et vider ces derniers de leurs matières grises pour mieux inscrire la France dans la concurrence internationale. Vous pratiquez un vandalisme intellectuel indigne de notre pays !
Développer l'immigration économique aurait pu être une démarche louable si cela ne s'était pas fait au détriment de l'immigration familiale.
Comment est-il possible, en effet, de transformer une question aussi importante que l'immigration en un jeu arithmétique ?
Comment peut-on transformer la famille en une variable d'ajustement de votre politique d'immigration ?
Comment pouvez-vous ne pas avoir un instant à l'esprit ce que le droit de vivre ensemble signifie pour toutes ces familles et leurs enfants ?
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous dire qu'une vie familiale normale n'est ni un gadget juridique ni une vue de l'esprit. Il s'agit d'un droit, d'un droit à respecter, car on m'a appris qu'un droit se respecte !
Or, c'est un droit que vous malmenez, que vous déformez dans le seul but de l'anéantir. C'est un droit que vous osez manipuler à des fins statistiques, sans en mesurer toutes les conséquences humaines.
Votre projet de loi masque une conception de l'étranger vexatoire, déstabilisante et qui stigmatise toute une partie de la population.
Vous érigez l'étranger en manipulateur, en fraudeur, en profiteur, en délinquant, en menteur. Il est présumé, avant même avoir mis un pied dans notre pays, être un agent contaminant pour la société française.
L'an dernier, vous nous avez fait légiférer sur la validité des mariages. Cela ne visait en réalité qu'à empêcher les mariages binationaux, que vous considérez comme suspects.
Aujourd'hui, votre projet de loi va même jusqu'à condamner des citoyens français d'avoir fait, malgré tout, ce choix d'épouser un étranger, en compliquant leur droit à vivre en famille !
Ce projet de loi fait plus qu'alimenter la « lepénisation » des esprits : il en est l'expression la plus aboutie !
Ces mesures restrictives apparaissent, pour citer la déclaration d'hier de la Conférence des évêques de France, « comme des concessions à une opinion dominée par la peur ». Les évêques ajoutent d'ailleurs que l'utilisation des tests génétiques pour vérifier les liens de parenté fait courir le risque d'une grave dérive sur le sens de l'homme et la dignité de la famille. Cela constitue une intrusion dans la vie privée et l'intimité des familles prohibée à l'égard des familles françaises.
Ainsi, vous légalisez l'inégalité entre les Français et les étrangers quant à la preuve possible de la filiation, et vous entrez en contradiction avec notre tradition juridique et notre droit de la famille.
Ce n'est pas en rejetant l'autre que vous construirez une France meilleure. Notre France est d'ailleurs le fruit d'un métissage, d'une acceptation de l'autre que votre majorité n'a cessé de tenter de détruire depuis 1997.
En effet, ce projet de loi, comme les précédents textes défendus par votre majorité, jette une suspicion sur l'étranger que nous récusons sous toutes ses formes. Il fait de l'étranger la source de tous les maux de la société française.
Vous avez pris l'exemple du chômage des jeunes étrangers. Il serait plus important que celui des jeunes Français, notamment parmi les diplômés.
Je tiens à vous rappeler, monsieur le ministre, que, si les étrangers connaissent des difficultés pour accéder à une activité professionnelle rémunérée à sa juste valeur, cela n'a rien à voir avec leur degré d'intégration ou leur connaissance du français. En effet, les discriminations qu'ils subissent sont souvent liées à leurs origines et à la couleur de leur peau. C'est la raison pour laquelle la France a été obligée par l'Union européenne de créer la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE.
Mais qu'apporte de plus votre projet de loi pour lutter contre ces discriminations ? Le terme « discriminations » a même disparu, par enchantement, de l'article L. 111-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Cette suppression est révélatrice de votre démarche. Vous fichez, comptabilisez, sanctionnez les étrangers, mais rien n'est prévu pour lutter effectivement contre les discriminations subies par eux, y compris lorsqu'ils sont en situation régulière.
Une vision aussi simpliste est - dois-je vous le rappeler ? - le point de départ des plus grandes tragédies humaines de notre histoire.
C'est en cela que votre projet est scandaleux ! Il crée la peur et institutionnalise la xénophobie ; il engendre une défiance à l'égard de l'étranger, traite ce dernier en paria, l'humilie avant même de lui donner sa chance.
Après le mythe du bon sauvage, nous avons eu le sauvageon. Voilà maintenant le mythe du sauvage tout court !
Monsieur le ministre, si cette loi avait existé voilà cinquante ans, elle aurait privé la France de nombre de citoyens, de sportifs, de ministres au sein de l'actuel gouvernement, sans parler de tous ceux qui, dans l'ombre, contribuent à la richesse de la France.
Plusieurs sénateurs, dont moi-même, ne seraient pas là aujourd'hui. Plusieurs collègues parlementaires, qui ont choisi de se marier à des étrangers, n'auraient pas pu avoir une vie familiale normale.
Imaginez donc maintenant toutes les pertes et le gâchis que provoquera ce projet de loi dans cinquante ans. Imaginez les désillusions et la détestation que nourrira cette loi, tant à l'étranger qu'en France.
Je souhaite revenir sur quelques exemples édifiants.
Concernant d'abord la formation mise en place par ce projet de loi, pensez-vous réellement qu'un stage de 108 heures pourra permettre à un individu de mieux s'intégrer et de mieux connaître le français ?
Le meilleur moyen de connaître une langue n'est-il pas l'immersion dans celle-ci ? Je me souviens de nos professeurs d'anglais au collège, qui nous recommandaient de partir en stage en Grande-Bretagne pour bien apprendre l'anglais.