M. Jean-Luc Mélenchon. ... que je vais me contenter d'essayer de relever ce qui me paraît radicalement erroné dans les arguments qui nous sont opposés depuis le début de cette discussion. Je demande qu'on veuille bien faire la preuve du contraire si je me trompe.
Premièrement, et surtout contrairement à ce qu'a dit notre excellent président, en aucun cas ce type de contrat ne peut créer d'emplois, en aucun cas ! Son prédécesseur, d'ailleurs, n'en a pas créé et je vais d'ailleurs vous dire pourquoi : ce qui crée l'emploi, c'est la demande. Si vous pensez répondre à la demande autrement que par l'emploi approprié, en disant, par exemple, comme vous l'avez fait tout à l'heure : « Là où on allait embaucher un salarié, ils seront deux ou trois », c'est aberrant ! N'allez surtout pas dire cela dans une entreprise ! Vous pouvez embaucher cent salariés pour faire le même travail, en divisant la paie de chacun : le résultat sera désastreux ! Cela revient à ruiner la productivité du travail. Quelle est l'économie qui tient en s'engageant sur cette voie ?
Or l'économie française se caractérise par la progression de la productivité du travail. Ces travailleurs dont on ne cesse de dire du mal, dont on pense qu'ils passent leur vie à se reposer, nous leur devons la progression de productivité du travail la plus élevée au monde !
L'argument de la création d'emplois ne vaut donc rien du point de vue économique. Du point de vue de la propagande, il est peut-être plus performant et parvient éventuellement à en convaincre certains. Mais ceux qui se sont intéressés un petit peu à la production savent que cela ne veut absolument rien dire.
Deuxièmement, je voudrais vous inviter à réfléchir sur le fait que nous parlons beaucoup du chômage des jeunes. Or je me permets de contester ce concept même. C'est en effet une manière de réduire à un fait sociétal ce qui est un fait social et un fait de production. Un jeune, c'est d'abord un nouvel entrant sur le marché du travail. Encore faut-il qu'il y ait du travail ! L'âge n'est que secondaire dans cette affaire.
Qu'est-ce qui peut créer du travail ? D'abord, la croissance, c'est-à-dire de la place pour de nouveaux travailleurs. Quels sont les leviers pour que cette croissance se traduise par du travail ? Ou bien vous diminuez le temps de travail, mais vous n'en voulez pas, je laisse donc cette question de côté.
M. Alain Gournac, rapporteur. Cela n'a pas été une réussite ! Personne n'a réussi à créer de l'emploi de cette façon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ou bien vous alimentez la croissance. Comment le faites-vous ? D'abord, par la performance technique ! Cela signifie d'abord produire plus de main-d'oeuvre hautement qualifiée. Vous en avez la possibilité, car ce pays dispose d'un réservoir : la moitié des jeunes qui entrent dans la filière professionnelle ne vont pas jusqu'au niveau du baccalauréat professionnel, alors que c'est ce niveau de diplôme qui est attendu de notre économie avancée. Vous pouvez le demander à toutes les fédérations patronales !
Voici donc le premier levier de la croissance : la qualification professionnelle.
Le deuxième levier, c'est la consommation, la base sûre et stable du développement de l'économie, la consommation de masse. Pour consommer, lorsqu'on appartient à la classe la plus puissante et la plus nombreuse de notre patrie, c'est-à-dire la classe ouvrière et les employés, qui sont respectivement 7 millions et 6 millions, on ne dépense que si l'on a la certitude d'avoir devant soi. Sinon, on économise !
Voilà pourquoi, philosophiquement, économiquement, il faut donner de la visibilité autant aux travailleurs qu'à l'employeur. Si vous réduisez la visibilité pour le travailleur, alors vous augmentez le déficit de croissance. C'est précisément ce que vous faites, innocemment et sans le savoir - je veux le croire -, préoccupés par vos visions idéologiques qui n'ont rien à voir avec la bonne tenue d'une économie puissante et moderne.
Il faut sécuriser les travailleurs. Voilà la différence de philosophie entre nous. Nous avons porté à cinq ans la visibilité pour les jeunes entrant sur le marché du travail, en leur proposant le statut d'emploi-jeune. Résultat ? Nous avons diminué de six points le chômage des jeunes nouveaux entrants.
M. Christian Cambon. Et à la sortie ? Qu'est-ce qu'ils ont fait après ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Et qu'avez-vous fait pour le secteur privé ?
M. Jean-Luc Mélenchon. En créant le contrat nouvelles embauches, vous avez réduit la visibilité des travailleurs à un jour. Le résultat, c'est que vous avez d'ores et déjà creusé de plus de sept points le chômage des jeunes.
Il est donc totalement faux de dire qu'on ne sait pas quoi faire, car nous avons fait la démonstration de ce qu'on peut faire ! On peut réduire le chômage par le progrès social, qui est ami du développement économique, et non l'inverse. Allez voir dans tous les pays où l'on a pris à la gorge les travailleurs ce que cela donne du point de vue de l'appareil productif ! Allez voir en Grande-Bretagne, et vous verrez comment les gens doivent occuper non pas un, mais deux ou trois emplois ! Il n'y a plus d'industrie dans ce pays, il n'y a plus que des services ! Allez voir aux États-Unis, où des personnes de soixante ans et plus servent dans les restaurants !
M. Roland Courteau. Très juste !
M. Jean-Luc Mélenchon. Est-ce cela que vous voulez ? Non, bien sûr que vous ne le voulez pas !
M. Roland Muzeau. Mais si, c'est cela qu'ils veulent !
M. Jean-Luc Mélenchon. Alors il vous reste à comprendre que le progrès social est l'ami du développement.
J'achève pour ne pas abuser de votre patience, mes chers collègues. Oui, c'est une question idéologique, si l'on entend par idéologie l'idée d'une civilisation. Nous voulons que les gens vivent plus paisiblement, une vie plus douce, c'est-à-dire plus sûre, avec une bonne visibilité.
Écoutez bien, Jean Jaurès avait raison, qui disait : « La République ne sera pas achevée si le Français, qui est roi dans la cité, demeure sujet dans l'entreprise ». Et avec votre contrat, vous en faites un serf ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Pas de morale !
M. le président. La parole est à M. François Marc, sur l'article.
M. François Marc. Monsieur le président, mes chers collègues, la France s'interroge, et les parlementaires sont sollicités par toutes les interrogations qui préoccupent aujourd'hui notre pays.
Le CPE crée-t-il plus de précarité ? Pour notre part, nous en sommes convaincus. Mais la France s'interroge et écoute les arguments des uns et des autres. Nous avons entendu la semaine passée les arguments du Gouvernement. Ces arguments ont porté, pour certains d'entre eux, sur la mise en place du CNE, en quelque sorte le précurseur. J'ai entendu, comme vous tous, chers collègues, les arguments des ministres nous disant : « Avec le CNE, il n'y a pas plus de conflits du travail, pas plus d'affaires portées devant les prud'hommes et pas plus de précarité ». Cela, nous l'avons tous entendu.
Rentrant chez moi l'autre nuit, je consulte la presse locale et je lis ce titre : « CNE : 23 embauches, 15 licenciements ». L'auteur de l'article s'explique : « En trois mois, le gérant d'une grande surface de Douarnenez a embauché vingt-trois personnes en contrat nouvelles embauches, puis licencié quinze d'entre elles dans des conditions plus que douteuses ». (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
C'est le journal qui le dit, mes chers collègues !
M. Christian Cambon. Si le journal le dit, alors !...
M. François Marc. Il s'agit du Télégramme de Brest et de l'Ouest qui n'est pas un journal révolutionnaire, que je sache !
Je lis un peu plus loin un témoignage édifiant, mes chers collègues : « "Un jour, j'ai commencé à 8 heures ; j'ai pris une pause déjeuner de trente minutes à midi pour finir à 4 heures du matin. Le lendemain, je recommençais pour une journée de dix heures", expliquait hier une salariée de vingt et un ans lors d'une conférence de presse. Elle était entourée de quatre autres personnes toujours salariées par le discounter. "J'avais effectué 232 heures mensuelles, au lieu des 130 mentionnées sur mon contrat."
M. Jean-Luc Mélenchon. Alors, voilà !
M. François Marc. La jeune fille sera remerciée quelques jours plus tard, après avoir demandé que lui soient réglées les heures supplémentaires effectuées. »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. François Marc. Je termine la lecture de ce témoignage : « Par contre, j'ai été virée brutalement : un jeudi à midi, on m'a annoncé que ce n'était pas la peine de revenir l'après-midi. J'ai reçu ma lettre de licenciement deux jours plus tard », ce qui est parfaitement illégal bien sûr. En l'espace de deux mois, cette société a conclu vingt-trois CNE, qui ont débouché sur quinze licenciements et deux démissions. Voilà, mes chers collègues, un exemple tout à fait concret de ce qu'est aujourd'hui le CNE dans notre pays. On pourrait d'ailleurs tirer d'autres exemples de ce genre de la presse de ces derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je ne m'attarderai pas sur ces exemples, mais ils illustrent parfaitement la situation et expliquent la crainte que l'on peut aujourd'hui ressentir face au CPE, qui va élargir encore le champ d'expérimentation du CNE.
Je termine par la dernière phrase du témoignage, qui est importante. Jean-Pierre Sueur parlait tout à l'heure de la psychologie des jeunes et des travailleurs. Que dit cette jeune fille de vingt et un ans, à l'issue de cette expérience : « Ce n'est même pas un contrat, ça ne sert à rien. »
Voilà mes chers collègues ce que l'on offre aujourd'hui à la jeunesse de ce pays : à vingt et un ans, on offre un bout de papier qui ne vaut rien et des conditions de travail tout à fait inadmissibles !
Mme Raymonde Le Texier. C'est proprement scandaleux !
M. François Marc. Le Gouvernement nous disait ces dernières semaines qu'il s'inspirait de la « flexsécurité » instituée dans les pays d'Europe du Nord.
Je peux vous dire, à la lumière de ce qui se passe ici, que nous nous situons aux antipodes de cette expérimentation nordique : car on peut apporter de la souplesse, si on le croit indispensable, mais le préalable nécessaire - et c'est ce qui a été fait en Europe du Nord - consiste à garantir la sécurité à tous ces jeunes, à les placer dans une situation où ils n'auront pas à craindre l'avenir et pourront s'insérer dans des dispositifs qui leur permettront de suivre un apprentissage, de trouver un métier et de s'en sortir convenablement. C'est précisément tout ce que ce projet ne fait pas.
Il faut donc contester avec la plus grande véhémence la filiation prétendue qui est aujourd'hui invoquée : il n'existe absolument aucun lien entre ce projet de loi et l'expérimentation menée en Europe du Nord. Il faut le dire avec la plus grande fermeté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Gisèle Printz. Bravo !
M. François Marc. Voilà, mes chers collègues, ce qui explique notre opposition au CPE. Nous avons totalement raison de nous opposer à l'élargissement du dispositif du CNE et à la mise en place du CPE, au regard des attentes de la jeunesse et de l'inquiétude majeure qui s'exprime aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, sur l'article.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre délégué, vous justifiez la création du CPE - après le CNE, comme vient de la rappeler mon collègue François Marc - par la nécessité impérative de créer des emplois pour les jeunes.
Mais comment créer des emplois sans croissance ? C'est la question de fond qui vous est posée depuis que vous êtes aux responsabilités. En 2005, le taux de croissance s'est élevé à 1,4 %. En 2006, l'ensemble des indicateurs macroéconomiques ne laissent rien augurer de bon. Nous savons du reste que la loi de finances pour 2006 que vous nous avez soumise est insincère à ce titre. En réalité, vous savez bien que, pour avoir une bonne politique de l'emploi, il faut une bonne politique économique.
Or, depuis quatre ans que vous êtes aux responsabilités, vous n'avez jamais su adopter de cap économique. J'en veux pour preuve le rebond de croissance dont vous avez bénéficié en 2004 : il a été gaspillé dans des baisses d'impôts improductives, inefficaces et injustes.
Comme mon collègue Roland Courteau l'a rappelé tout à l'heure, le gouvernement de Lionel Jospin, et la bonne politique et budgétaire de son ministre de l'économie et des finances de l'époque, avaient permis, avec la croissance, une création nette de deux millions d'emplois, du jamais vu dans l'économie française, même au temps des trente glorieuses.
Bien sûr, la croissance ne se décrète pas mais, au moins, elle s'organise. En 1997, quand nous avions créé les emplois-jeunes, que vous avez supprimés, c'était autant pour mettre aux jeunes le pied à l'étrier, impératif social qu'il nous était demandé de respecter, que pour donner à l'appareil productif de notre pays des signes de confiance.
Ce signe de confiance, vous n'avez jamais su le donner à la société. Or, vous savez bien que, sans confiance, il n'y a pas de croissance ni de création nette d'emplois.
Votre gouvernement multiplie les coups de force, les zigzags. Le dernier en date, qui offre Gaz de France sur un plateau d'argent à Suez, répond à une logique purement financière et n'obéit à aucune logique industrielle !
C'est tout simplement du patriotisme antiéconomique !
M. Jackie Pierre. Oh !
Mme Nicole Bricq. Il est bien tard, mes chers collègues de la majorité, pour que vous restauriez la confiance. Au contraire, vous multipliez les signes de défiance et les sources d'insécurité. Le CPE en est une, parmi les plus graves. C'est impitoyable pour les jeunes, c'est dur pour les Français, et c'est triste pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Gouvernement veut nous « vendre » le CPE - surtout le Premier ministre, qui s'est particulièrement illustré jusqu'ici pour le défendre, même si nous n'avons pas eu l'honneur de le voir au Sénat - en s'appuyant sur les succès du CNE, voté par votre majorité il n'y a pas si longtemps, monsieur le ministre délégué. Vous nous avez dit immédiatement qu'il était à la source d'une augmentation du nombre d'emplois de 280 000.
Nous avons eu l'occasion de vous dire combien ce chiffre paraissait suspect. D'abord, parce que, dans le même temps, 87 000 emplois industriels avaient disparu ; dans le même temps, les ressources de l'UNEDIC baissaient ; dans le même temps, enfin, le nombre de RMIstes croissait de façon assez inquiétante.
J'ajoute que les services de l'État, l'INSEE et la DARES, que vous avez d'ailleurs réprimandés, nous disent qu'il n'y aura finalement que 70 000 créations d'emplois grâce au CNE.
Pour autant, vous ne voulez pas démordre de vos positions, et, même si les résultats ne sont pas probants, vous affirmez que, en tout état de cause, ce qui permet aux entreprises d'embaucher, c'est plus de facilité pour licencier. Vous ajoutez, bien entendu, tant cette affirmation semble suspecte, que les patrons ne licencient pas par plaisir et qu'ils garderont, sauf exception, ceux qu'ils auront embauchés grâce à la facilité que leur donne le Gouvernement.
Donc, avant même d'avoir bien analysé ce qu'il en était de votre CNE, vous vous êtes précipité pour déposer un amendement « CPE » à ce projet de loi sur l'égalité des chances. Vous comprendrez que nous n'apprécions guère la méthode utilisée !
Nous n'avions pas beaucoup de recul, c'est un fait. Or, depuis quelques jours, les premiers résultats tangibles - si je puis dire - des embauches CNE nous parviennent. Ils ne doivent rien à la médisance de la presse qui, contrairement à ce que vous semblez dire, se contente de les relater. Ils nous remontent tout simplement des organisations syndicales saisies par les salariés licenciés, qui pensent, à juste titre, avoir des droits à faire valoir, puisque, jusqu'ici en tout cas, tout licencié pouvait saisir la justice, pour abus de pouvoir.
Ainsi, selon des informations transmises par la CGT, sur vingt-trois personnes embauchées à la fin de l'année à Douarnenez, quatorze ont déjà été licenciées. La CFDT nous a également appris qu'elle recevait en moyenne cinq CNE chaque semaine à sa permanence juridique - je ne compte donc pas les salariés qui consultent d'autres permanences -, ces personnes ayant déjà été licenciées après avoir été embauchées sous CNE au mois de décembre !
Les organisations ont donc, à juste raison, conclu que le CNE avait été un effet d'aubaine pour des recrutements de fin d'année - avec les fêtes, le commerce a besoin de recruter - et que c'en était déjà fini du succès du CNE.
Les salariés licenciés s'adressent aux prud'hommes, ce qui est légitime, vous ne le contestez pas. Mais ne nous y trompons pas : l'affaire qui a donné lieu au jugement des prud'hommes de Longjumeau est vraiment caractéristique d'un abus de pouvoir puisque le CDI sous lequel la personne avait été embauchée s'est transformé, après un tour de passe-passe, en CNE. En revanche, il y a fort à parier que, sur les motifs du licenciement, la justice n'aura pas grand-chose à dire puisque les licenciements n'ont pas à être motivés.
Bien sûr, les recours indisposent le patronat, qui, de toute façon, est indisposé dès qu'il est mis un tant soit peu en cause, et a déjà fait savoir - quelle noblesse ! - qu'au fond il ne voulait pas du CNE et qu'il jugeait inutile de stigmatiser les jeunes. Ce n'est pas joli de stigmatiser les jeunes ! Ce que veut le patronat, et il vous le dit sur tous les tons, c'est un contrat unique qui permette de licencier tout le monde. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) D'ailleurs, il a proposé un nouveau contrat de travail, qui serait un contrat de mission de dix-huit mois, au-delà duquel on pourrait se débarrasser du salarié.
Il y a donc fort à parier que, très rapidement, le Parlement sera saisi d'autres dispositions afin de répondre à la demande du patronat. D'ailleurs, le contrat senior est déjà en préparation, et je ne doute pas que le Parlement sera bientôt saisi d'un contrat de mission quelconque qui permettra de généraliser la précarité face au licenciement.
Nous avons donc bien raison de soutenir que votre préoccupation n'est pas de créer des emplois ou de sécuriser l'emploi pour plus de mobilité professionnelle, laquelle est sans doute nécessaire. Mais sécuriser l'emploi exige de prendre bien d'autres dispositions. Non, il ne s'agit pas de cela ici ; il s'agit de répondre aux souhaits du patronat.
En tout état de cause, monsieur le ministre délégué, compte tenu de ce que nous constatons aujourd'hui, de l'insuccès du CNE - si certains avaient été tentés de vous croire, ils savent aujourd'hui à quoi s'en tenir -, de grâce, retirez le CPE, retirez l'amendement que vous avez déposé à l'article 3 bis et dont personne ne veut ! Vous pouvez encore le faire aujourd'hui, et ce serait très bien. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, ministre délégué.
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plus de vingt ans maintenant, notre pays s'est en fait habitué à vivre avec un chômage de masse.
Mme Hélène Luc. Non, nous ne nous habituons pas du tout !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous avons une première particularité : si notre taux d'activité entre vingt-six et cinquante ans est parmi les meilleurs des pays de l'OCDE, passé cinquante ans, la situation se dégrade au point que nous nous plaçons parmi les derniers pays de l'OCDE en termes de taux d'activité des plus de cinquante-cinq ans
Mme Nicole Bricq. À qui la faute ?
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Ce taux d'inactivité, madame Bricq, était encore plus bas entre 1997 et 2001 !
M. David Assouline. Incroyable !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Une autre particularité française concerne le taux d'activité des jeunes, qui, depuis vingt-cinq ans, éprouvent de grandes difficultés à entrer dans la vie professionnelle. C'est une réalité que chacun doit admettre.
Le taux de chômage des jeunes est, en France, depuis plus de vingt ans, 2,2 fois plus élevé que le taux de chômage moyen national. Même avec une croissance forte, lorsque le taux de chômage était de 8,6 % au début de 2001, le taux de chômage des jeunes avoisinait 18 %. L'écart est beaucoup plus marqué que dans d'autres pays européens. Ainsi, en Allemagne, qui connaît pourtant un chômage élevé, le taux de chômage des seize à vingt-six ans est à peu près identique au taux de chômage global, même quand ce dernier est de 10,80 ou 11 %.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'Allemagne compte beaucoup moins de jeunes que la France !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. La même observation peut être faite pour les Pays-Bas ou l'Irlande.
Troisième particularité, le parcours d'insertion professionnelle des jeunes est chaotique. Aujourd'hui, 70 % des jeunes entrent dans l'emploi par le contrat à durée déterminée ou par l'intérim. La moitié des CDD dure moins d'un mois ; les périodes d'intérim durent en moyenne quinze jours.
Au cours des trois années qui suivent leur sortie du système éducatif, la moitié des jeunes vont connaître une période de chômage ; 30 % d'entre eux seront au chômage pendant plus de six mois. La situation des moins qualifiés est plus grave encore, ce sont des chiffres terribles, dont chacun doit assumer la réalité : 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans aucun diplôme, dont 60 000 sans aucune qualification.
La France est le pays d'Europe où la vulnérabilité des jeunes sur le marché de l'emploi est la plus élevée et le risque de chômage est le plus grand.
S'agissant de la protection sociale, quand plus de 55 % des jeunes inscrits à l'ANPE ne reçoivent pas d'allocations chômage parce qu'ils n'ont pas totalisé les six mois de travail nécessaires pour commencer à accumuler des droits, on ne peut pas dire que leur régime soit comparable à celui des chômeurs qui ont entre vingt-six et cinquante ans.
M. Sueur a tout à l'heure évoqué le cas, dont on parle assez peu, des jeunes des 750 quartiers visés par le rapport Fauroux. Pardonnez-moi, mais voilà des jeunes qui, eux, ne sont pas inscrits en fac parallèlement ! Les enquêtes révèlent que ces jeunes-là connaissent un taux de chômage de plus de 36 % pour les garçons et de près de 41 % pour les filles.
M. Roger Madec. C'est n'importe quoi !
M. David Assouline. Cela ne justifie pas le CPE !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Et encore le rapport Fauroux ne rend-il sans doute compte que de manière insuffisante de la réalité d'un certain nombre de jeunes de ces quartiers, qui passent au travers des mailles de tous les filets, qu'il s'agisse des missions locales, des associations ou du service public de l'emploi.
C'est un vrai sujet, sur lequel nous avons engagé, depuis le mois de novembre dernier, une action résolue. Cela me conduira à faire quelques observations sur le bilan que j'ai établi la semaine dernière.
Pour les jeunes, la réalité, aujourd'hui, c'est la précarité. Dire que nos propositions vont amener la précarité, c'est nier que la précarité est aujourd'hui la réalité.
M. Jean-Pierre Bel. Vous la généralisez !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Cette précarité par rapport à l'emploi entraîne - Mme Tasca a évoqué ce point tout à l'heure - des difficultés pour s'assumer dans sa vie personnelle, pour accéder au logement, pour « décohabiter ».
Cette préoccupation nous a conduits à proposer la création de 20 000 places dans les foyers de jeunes travailleurs en dehors du dispositif LOCA-PASS, car, là aussi, le constat est terrible.
D'autres pays européens ont ouvert la voie. En dix ans, le taux de chômage des jeunes a baissé de vingt points en Espagne, qui était la lanterne rouge de l'Europe, de plus de quinze points en Irlande, de sept points en Italie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je ne dis pas qu'il faille nous calquer sur leur modèle, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. David Assouline. Surtout en ce qui concerne l'Irlande !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Ces exemples prouvent simplement qu'il est possible de rompre avec la fatalité d'un taux de chômage plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale.
Nous avons décidé de changer la donne, ...
Mme Nicole Bricq. Eh bien, il y a maldonne !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... de mettre en place des mesures spécifiques pour répondre aux problèmes des jeunes, pour mettre un terme à leur « galère ».
Au nombre de ces mesures concrètes figure tout d'abord le renforcement de l'accompagnement des jeunes demandeurs d'emploi. Nous avons par ailleurs prévu la mise en place d'un service public de l'orientation.
Cette orientation des jeunes ne doit pas intervenir seulement à l'âge de quatorze ans, ou lors de l'entrée à l'université. Elle implique un accompagnement tout au long de la carrière professionnelle.
Au rang de ces mesures concrètes figure également la relance de l'apprentissage et de l'alternance, notamment à partir de la négociation des partenaires sociaux autour du contrat de professionnalisation.
Monsieur Bel, je reviendrai sur ce sujet, car votre proposition ressemble singulièrement au contrat de professionnalisation. Toutefois, elle ménage considérablement les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés, c'est-à-dire, en définitive, les entreprises, ce qui me paraît assez paradoxal compte tenu de la part que doivent prendre les entreprises dans la professionnalisation des jeunes.
Nous avons également prévu l'extension du contrat jeunes en entreprise aux jeunes les plus en difficulté.
En effet, depuis la fin de novembre 2005, ainsi que le Premier ministre l'avait annoncé à l'occasion d'une réunion exceptionnelle à Saint-Denis entre les agences locales de l'emploi des 750 quartiers recensés et les missions locales, nous avons incité les jeunes des zones urbaines sensibles, par l'intermédiaire des missions locales, des associations du service public de l'emploi et de tous les relais existants, à s'inscrire à l'Agence nationale pour l'emploi.
En effet, dans ces quartiers, de nombreux jeunes, qui ne sont pas inscrits à l'Agence nationale pour l'emploi, passent, je le disais, au travers des mailles de tous les filets. Ces jeunes, que l'on retrouve parfois à vingt-six ans dans des dispositifs tels que le RMI, n'ont jamais envoyé de signaux, entre la journée d'appel de préparation à la défense et leur vingt-sixième anniversaire, et n'ont donc jamais été repérés. (M. Michel Mercier acquiesce.).
L'une de nos préoccupations est de savoir comment nous pouvons faire fonctionner ce filet de sécurité de la connaissance, du repérage. C'est pour nous un sujet essentiel.
Enfin, la dernière de ces mesures pragmatiques est l'encadrement des stages, sur laquelle nous reviendrons au cours du débat.
Nous avons ainsi prévu l'obligation de rémunération des stages de plus de trois mois, la prise en compte du stage comme élément de formation et l'instauration d'une charte des bonnes pratiques. Au-delà de cette charte, sans doute est-il nécessaire de prévoir une convention engageant à la fois le jeune en stage, le salarié, mais aussi la grande école ou l'université, où nous voyons parfois très peu d'accompagnement du jeune placé en stage.
Nous devons donc permettre aux jeunes d'entrer dans l'emploi à durée indéterminée après une phase de consolidation, sujet sur lequel je reviendrai également. La période de consolidation est en effet visée par l'article 2 de la convention 158 de l'OIT. C'est d'ailleurs l'une des propositions du rapport de M. Proglio.
Aujourd'hui, seule une minorité de jeunes ont cette possibilité, et le CPE-CDI ne changera rien pour eux, puisqu'ils n'ont pas de difficulté.
L'égalité des chances dont nous parlons concerne non pas les ingénieurs sortant des grandes écoles qui, eux, ont déjà eu leur part de chance (exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), mais tous ces autres jeunes qui parfois ne figurent même pas dans nos statistiques - souvenez-vous du débat sur le plan de cohésion sociale - et dont le taux de chômage, mesuré par sondage, est supérieur à 55 % dans certains quartiers.
Le CPE est un contrat de travail qui a vocation à se pérenniser.
M. Guy Fischer. Ah bon ?
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Lorsqu'un chef d'entreprise recrute un jeune et mise sur lui, c'est bien pour le garder et non pas pour le licencier ou abuser de ses droits.
Mme Nicole Bricq. Les chefs d'entreprise n'avaient pas besoin de cela pour le faire...
M. Gérard Larcher, ministre délégué. C'est vrai, dieu merci, pour l'immense majorité des chefs d'entreprise, ainsi que Mme Gauthier l'a d'ailleurs parfaitement expliqué lors de la discussion générale.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le CPE garantit à ses bénéficiaires des droits identiques à ceux des autres salariés de l'entreprise : c'est notamment le cas pour la durée du travail, pour les conditions de travail et pour le salaire. Vous aviez, monsieur Cambon, lors de la discussion générale, insisté sur ce point.
Les règles relatives à la rémunération sont strictement identiques à celles qui s'appliquent pour les salariés de l'entreprise, et c'est sans doute en quoi notre système diffère des systèmes adoptés par l'Irlande, l'Italie ou la Grande-Bretagne. Nous n'instaurons pas trois SMIC en fonction de l'âge,...
M. Josselin de Rohan. C'est Aubry qui fait des SMIC !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...mais nous garantissons aux salariés des conditions de rémunération conventionnelles, la phase de consolidation, seule, dérogeant pour partie au droit commun du licenciement.
Pour autant, il ne s'agit pas d'une période d'essai : elle s'en distingue juridiquement.
M. Roland Muzeau. C'est un autre truc !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. La période de consolidation n'est pas une période d'essai, d'abord, parce qu'elle est assortie d'un préavis et d'une indemnité de rupture.
Les possibilités de rupture pendant cette phase de consolidation, même simplifiées, sont encadrées.
Mme Hélène Luc. Heureusement !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Un jeune ne peut pas être licencié à tout moment, dans n'importe quelles conditions : le préavis croît avec l'ancienneté ; les indemnités de rupture sont supérieures au droit commun du CDI ; aucune rupture ne pourra être discrétionnaire ;...
Mme Hélène Luc. On verra !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... la marge d'appréciation donnée à l'employeur reste encadrée par l'ordre public social ; les règles de procédure concernant les licenciements disciplinaires et les licenciements des salariés protégés s'appliquent ; il n'existe aucune dérogation aux garanties essentielles en matière de protection, notamment des femmes enceintes, de libertés individuelles des salariés, ou de discrimination.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n'y croit !
M. David Assouline. Sur qui pèse la charge de la preuve ?
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Donc, pour répondre à Mme Voynet, ce n'est ni un pari, ni une aubaine, ni une loterie.
Le premier jugement rendu par un conseil de prud'hommes sur le sujet montre d'ailleurs bien que le CNE n'est pas la zone de non-droit social que d'aucuns voudraient y voir, notamment sur les travées de la gauche sénatoriale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas qu'on veuille le voir : on vous l'a démontré tout à l'heure.
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Les comportements abusifs seront, comme nous l'avons toujours dit, sanctionnés et les droits des salariés, assurés.
M. David Assouline. Il y aura des arrangements ...
M. Gérard Larcher, ministre délégué. En matière de garanties, je vous renvoie, monsieur Mercier, à notre débat sur la flexibilité, la sécurisation et la sécurité.
Le CPE prévoit, outre un droit individuel à la formation, mobilisable dès le premier mois, et non pas, comme les autres contrats, à la fin de la première année, une indemnité de cessation de contrat de 8 %, totalement exonérée de charges salariales, qui équivaut exactement au droit garanti par le CDD qui, lui, est « chargé » ; ce serait une erreur que d'affirmer le contraire.
Il prévoit non seulement des actions d'accompagnement renforcées en vue du retour à l'emploi, financées par une contribution de l'employeur de 2 % , une allocation spécifique de chômage de deux mois à partir du quatrième mois, mais aussi une réduction possible de la période de consolidation de deux ans, par la déduction de la durée des formations en alternance : les contrats d'apprentissage, d'une durée moyenne d'un an, les contrats de professionnalisation d'une durée moyenne de onze mois, de même que les stages et l'intérim en entreprise. Toutes ces formules de formation, au même titre que les CDD, seront prises en considération.
J'en arrive au dispositif LOCA-PASS, dont Jean-Louis Borloo négocie actuellement les conclusions, car nous sommes particulièrement conscients de l'importance de la difficulté que rencontrent les jeunes pour accéder au logement.
Le « 1 % logement » prévoyant une garantie de loyer et un étalement de caution, nous offre l'occasion d'une part d'étendre la garantie à toute la durée du bail, soit durant trois, six ou neuf ans, au lieu de la restreindre aux trois premières années, et, d'autre part, de faire passer la prise en charge des mensualités de dix-huit mois à vingt-quatre mois pour la « caler » sur la durée de l'éventuel contrat.
J'en profite pour dire que, l'an dernier, nous avons signé 180 000 LOCA-PASS et que le taux de sinistralité correspondant à ce type de contrat est inférieur au taux de sinistralité du secteur libre. Ce constat, qui prouve que la confiance existe et que le taux de risque est relativement faible, nous permet aujourd'hui d'améliorer les conditions assurantielles du LOCA-PASS.
Par ailleurs, je voudrais préciser que tout jeune accédant à l'emploi par le CPE-CDI sera accompagné, dès lors que le service de l'emploi le jugera nécessaire, pendant une période de deux mois, de trois mois, de quatre mois s'il le faut, car le problème est effectivement le taux de rupture. Avec des jeunes qui sortent du système scolaire après avoir connu des difficultés et qui trouvent un contrat d'apprentissage, les taux de rupture - nous avions évoqué ce point avec M. Godefroy - peuvent atteindre 40 %, voire 50 %.
Il est donc essentiel de faire baisser par l'accompagnement ce taux de rupture entre les jeunes et l'entreprise, quelle que soit la taille de cette dernière, ce taux de rejet en quelque sorte...
M. David Assouline. Par l'employeur !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Pardonnez-moi, monsieur Assouline, mais les choses ne sont pas aussi simples : il n'y a pas, d'un côté, les méchants employeurs et, de l'autre, les salariés victimes!
M. David Assouline. Je parlais du contrat : ne mélangez pas tout !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. La rupture est la manifestation d'une inadéquation dont chacun porte sa part de responsabilité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand même...