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SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE HAUTE

PERSONNALITÉ D'ARGENTINE

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de Mme Christina Fernandes de Kirchner, sénatrice de la République argentine, épouse du Président de la République argentine.

Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie que Mme la présidente porte à notre institution.

Elle est accompagnée par notre collègue et ami M. Roland du Luart, président du groupe d'amitié France-Amérique du Sud du Sénat.

Au nom du Sénat, je souhaite à Mme la présidente la bienvenue et je forme des voeux pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d'amitié entre nos pays. (M. le ministre délégué, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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LOI DE FINANCES POUR 2004

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale.

Débat sur les recettes

des collectivités locales (suite)

 
 
 

M. le président. Dans la suite du débat sur les recettes des collectivités locales, la parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Gérard Delfau interviendra tout à l'heure sur la péréquation. Pour ma part, j'évoquerai, à la suite de M. Adnot, les problèmes que rencontrent les départements.

Certains des orateurs qui m'ont précédé ont stigmatisé la politique mise en oeuvre voilà encore quelques mois, notamment les dérives liées à l'APA. Il est vrai que des difficultés sont apparues. Le coût de ce dispositif, qui compte quelque 2 500 bénéficiaires par tranche de 100 000 habitants, représente environ 26 millions d'euros pour mon département, les Hautes-Pyrénées. Or le fonds de compensation intervient à hauteur de 43 % de ce montant ; le compte n'y est donc pas.

Cependant, nos collègues de la majorité devraient faire preuve de quelque prudence sur ce sujet, car je ne suis pas certain que le dispositif du RMI et du RMA ne sera pas, d'ici à quelques années, voire d'ici à quelques mois, frappé des mêmes maux. Il est d'ailleurs assez curieux que, dans les départements, nous ayons reçu les circulaires d'application avant même que la loi soit votée,...

M. Gérard Delfau. Eh oui !

M. François Fortassin. ... ce qui est une première dans notre République.

M. Alain Lambert, ministre délégué. C'est assez courant, notamment en matière fiscale !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est de l'information ! (Sourires.)

M. François Fortassin. Une circulaire d'application, ce n'est pas de l'information !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Les circulaires arrivent trop tôt ou trop tard, rarement au bon moment ! (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. Quant à la départementalisation des SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours, il s'agit d'une bonne chose, mais, curieusement, le ministre de l'intérieur donne les directives et les autres paient !

M. François Marc. Eh oui !

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est un bon ministre !

M. Gérard Delfau. Je croyais que c'était fini, cette pratique !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Fortassin.

M. François Fortassin. S'agissant des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS, nous ne pouvons obtenir, auprès des rectorats ou des inspecteurs d'académie, leur nombre exact par établissement. Aussi, je suis enclin à penser que l'on nous cache des choses. Si c'était transparent, nous pourrions connaître les chiffres.

M. Gérard Delfau. Effectivement !

M. François Fortassin. Enfin, concernant le transfert des routes nationales, j'ai déjà eu l'occasion de dire que j'y suis plutôt favorable. En effet, au nom de la cohérence, il n'est pas utile que deux services s'occupent de quelques routes.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est plus rationnel !

M. François Fortassin. Si, dans le contrat de plan, les régions, qui a priori ne sont pas chargées des routes, ont accepté, en collaboration avec l'Etat, de participer à leur financement, c'est parce que ces infrastructures paraissaient nécessaires. Or, la plupart du temps, on a commencé par les travaux les plus faciles. Les ouvrages les plus importants, tunnels ou ouvrages d'art, n'ont donc pas été réalisés. Comment les départements pourront-ils les réaliser s'ils ne disposent pas des moyens que l'Etat consacrait aux routes jusqu'à présent ?

Par ailleurs, tout le monde reconnaît que les lois de décentralisation sont une bonne chose, mais que les marges de manoeuvre des départements se sont réduites.

Vous parlez de péréquation. C'est bien. Cependant, les précisions manquent. Quand la péréquation sera-t-elle véritablement effective et donnera-t-elle son plein effet ? En outre, vous n'avez pas affirmé un principe à mes yeux essentiel : la péréquation consiste à donner un peu plus à ceux qui ont moins, c'est-à-dire à donner moins à ceux qui ont davantage.

Enfin, dernier point, baisser l'impôt sur le revenu, c'est, vous le savez, se priver de certaines ressources que l'on aurait pu octroyer aux départements pour financer des équipements. De plus, compte tenu de l'élargissement, l'Europe ne pourra plus nous octroyer certains financements. Aussi, des équipements jugés indispensables devront être réalisés par les collectivités locales, notamment les départements, et seront financés par les impôts locaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, nous sommes embarrassés. Nous avons débattu pendant trois semaines d'un texte sur la décentralisation qui va se traduire par des charges nouvelles pour les collectivités locales.

On nous a parlé de fiscalité nouvelle en faveur des collectivités locales, mais nous avons beaucoup d'inquiétudes à cet égard car le flou et les imprécisions demeurent. On nous a parlé des modalités de calcul des transferts de charges, mais nous sommes également dans l'imprécision. On nous a parlé de la péréquation, principe désormais inscrit dans la Constitution, mais nous n'y voyons pas très clair non plus.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela va venir !

M. Jean-Pierre Sueur. Cela va venir, dites-vous, monsieur le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais oui !

M. Jean-Pierre Sueur. Cela revient à nous dire : certes, se posent de graves problèmes de financement, mais attendez, ne soyez pas impatients...

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il ne faut pas être impatient !

M. Jean-Pierre Sueur. ... car, l'an prochain, dans le projet de loi de finances vous saurez comment tout cela pourra être financé. Par ailleurs, la Constitution, à laquelle vous êtes priés de vous référer, énonce de bons principes.

Or, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup d'élus locaux, quelle que soit leur tendance politique, comprennent que cela ne suffit pas. Aussi, mon collègue François Marc et moi-même, nous allons revenir de façon plus précise sur la péréquation pour illustrer nos difficultés à comprendre. Cela vous permettra peut-être, monsieur le ministre, de nous donner les précisions que nous avons demandées en vain à votre collègue qui représentait le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales.

Je commencerai par un constat : les concours de l'Etat aux collectivités locales diminuent. Certes, ils augmentent de 1,2 %,...

M. Alain Lambert, ministre délégué. Ils diminuent en augmentant, c'est déjà ça ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur ... mais comme l'inflation prévue s'établit à 1,5 %, ils diminuent de 0,3 %. Nous ne saurions nous en réjouir.

Quant à la DSU, la dotation de solidarité urbaine, et à la DSR, la dotation de solidarité rurale, il ne nous a pas échappé que les abondements de l'Etat passaient de 68,5 millions d'euros en 2003 à 36 millions d'euros en 2004, soit une baisse de 60,6 %. On ne peut donc pas dire que ce soit positif. Si vous considérez que c'est positif, monsieur le ministre, j'aimerais que vous nous expliquiez en quoi !

Certes, et cette réponse nous a déjà été donnée, la régularisation de la DGF est affectée à la DSU, à la DSR et même à la nouvelle dotation nationale de péréquation, la DNP, qui manquait dans le paysage. Mais, en faisant cela, monsieur le ministre, vous êtes en contradictionformelle avec les articles L. 1613-2 et L. 2234-1 du code général des collectivités territoriales, puisque la régularisation doit aller à l'ensemble. D'une certaine façon, c'est un tour de passe-passe : vous abondez moins et vous faites appel à la régularisation pour que celle-ci, qui devrait revenir à l'ensemble des collectivités territoriales, sesubstitue à l'apport de l'Etat en matière de péréquation.

Ce premier dispositif est donc non pas un plus mais un moins pour la péréquation. Alors que l'on nous a dit tous les jours pendant trois semaines qu'il y aurait une péréquation, il est étrange que, dans le projet de loi de finances pour l'année prochaine, il y ait moins de péréquation.

Pourtant, vous disposiez d'une circonstance favorable, monsieur le ministre. En effet, comme l'augmentation de la part de la DGF affectée aux EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale, se réduit, elle ne comprime plus mécaniquement aussi fort que par le passé les montants de la DSU et de la DSR. Vous aviez donc une conjoncture favorable pour faire davantage en matière de péréquation pour la DSU et la DSR, et vous ne le faites pas.

Vous créez une péréquation entre les régions, ou plutôt une DGF pour les régions, et vous intégrez le fonds de correction des déséquilibres régionaux, le FCDR.

Ce nouvel élément montre bien que nous travaillons pour la péréquation, dites-vous. Or j'ai examiné les chiffres qui figurent dans le projet de loi de finances. Selon l'indexation choisie par le comité des finances locales - sera-t-elle de 75 % ou de 95 %, monsieur le président du comité des finances locales ? - les choses varieront. Si le comité des finances locales choisit 95 %, le FCDR représentera 1,38 % du montant de la DGF des régions. S'il choisit 75 %, la part de péréquation, c'est-à-dire le FCDR intégré dans la DGF des régions, s'établira à 1,76 %. Monsieur le ministre, est-il sérieux de parler de péréquation en instaurant à l'intérieur de la DGF des régions un régime dit « péréquateur » qui correspond, au mieux, à 1,76 % ? En effet, c'est une péréquation minuscule.

Je dirai maintenant quelques mots de la DCTP, la dotation de compensation de la taxe professionnelle, car c'est un bon exemple. Ce qui se passe en matière de DCTP, d'ailleurs depuis de nombreuses années - et on pourrait balayer devant beaucoup de portes -, est très désagréable. En effet, il y a belle lurette qu'elle ne compense plus rien.

L'article 38 du projet de loi de finances reconduit le contrat de solidarité et de croissance selon les modalités retenues en 2003. Dans ce système, la DCTP continue d'être une variable d'ajustement. Selon que l'on prend en compte ou non la compensation dite « Commune de Pantin », elle diminuera de 5,15 % ou de 3,46 %. On verra ce qu'il adviendra, mais, de toute façon, dans les deux cas, il y aura une diminution importante.

Il reste encore une part de péréquation, puisque, pour les communes éligibles à la DSU ou à la DSR, pour les départements éligibles à la dotation de fonctionnement minimale et pour les régions éligibles au FCDR, la diminution de la DCTP est moindre que pour les autres collectivités. Franchement, peut-on parler de péréquation ? C'est une misère ! C'est simplement le fait de baisser moins que les autres dans un système que l'on nomme compensation mais qui n'est absolument plus compensateur.

Comme la compensation de la part « salaires » de la taxe professionnelle est désormais intégrée dans l'ensemble de la DGF, la part de la DCTP à l'intérieur de l'enveloppe normée diminue à due concurrence et la péréquation devient quasi symbolique.

Enfin, j'évoquerai la nouvelle DNP. Monsieur le ministre, vous avez créé cette dotation, qui manquait en effet dans la nomenclature, mais, il faut vous rendre justice, vous supprimez le FNP, le Fonds national de péréquation. Or l'article 38 du projet de loi de finances ne prévoit pas la reconduction de l'abondement de 22,87 millions d'euros que l'Etat avait effectué en 2003 pour le FNP. Par le passage du FNP à la DNP, laquelle s'ajoute à la DSU et à la DSR, on perd 22,87 millions d'euros. Je serais très intéressé, monsieur le ministre, si vous pouviez m'expliquer en quoi ce dispositif est péréquateur. A l'évidence, il ne l'est pas.

Vous parlez de péréquation. Mais, comme l'a dit M. Fortass in voilà quelques instants, sans péréquation, de nombreuses collectivités ne pourront pas assumer les charges qui vont peser sur elles. Or, dans le projet de loi de finances, que l'on prenne le problème par un article ou par un autre, que l'on parle de la DSU, de la DSR, de la DCTP, de la DNP ou de la DGF des régions, il y a moins de péréquation qu'avant ; en tout cas, il n'y en a pas plus.

Monsieur le ministre, comment le projet de loi de finances peut-il aller à l'encontre de vos intentions déclarées ? C'est la question que nous posons et à laquelle nous espérons obtenir une réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remercier, vous-même et le Gouvernement, d'avoir, dans une conjoncture financière plus que difficile, respecté les engagements du contrat de croissance et de solidarité qui régit l'évolution des concours financiers de l'Etat aux collectivités territoriales.

Tout à l'heure, s'agissant de la fiscalité, notre collègue Jean-Pierre Fourcade a présenté, comme il l'avait d'ailleurs fait dans mon département, des propositions auxquelles je ne peux que souscrire.

La progression des concours financiers, et notamment du plus important d'entre eux, à savoir la dotation globale de fonctionnement, pâtira des mauvaises performances de l'économie française en 2003. En effet, lorsque le PIB ne progresse que de 0,2 %, il n'y a évidemment pas grand-chose à répartir entre les collectivités territoriales, et la situation ne se prête pas à l'élaboration de nouvelles règles de péréquation.

Si la DGF progresse globalement de 1,75 % pour atteindre près de 37 milliards d'euros, pour la deuxième année consécutive, la part forfaitaire qui est versée à toutes les communes ne progressera que de 0,87 %, soit deux fois moins vite que l'inflation.

En revanche, la rénovation de l'architecture des dotations de l'Etat, qui seront désormais globalisées au sein de la seule DGF intégrant également la compensation de la part « salaires » de la taxe professionnelle, recueille, tout au moins dans son principe, mon plein assentiment, malgré l'amalgame qui peut être fait dans le dispositif sur un certain nombre de répartitions. Ces mécanismes de péréquation pourront jouer sur l'évolution des masses financières de manière bien plus importante et alimenter plus généreusement les communes les plus défavorisées, par l'intermédiaire de la DSU ou de la DSR.

Monsieur le ministre, les départements, les communautés de communes et les communes défavorisés ont un très grand besoin de péréquation.

Vous avez pu prendre connaissance du remarquable rapport d'information de nos collègues MM. Jean François-Poncet et Claude Belot, lequel établit un diagnostic sans concession de la situation actuelle et suggère un certain nombre de pistes de travail très intéressantes pour mettre en oeuvre une plus grande péréquation entre les départements favorisés et les départements moins favorisés.

Les inégalités de ressources entre départements sont devenues trop flagrantes. Ainsi, les bases de taxe professionnelle les plus élevées représentent sept fois les bases les plus faibles, et le potentiel fiscal le plus important représente quatre fois le plus faible !

Mais ce sont les inégalités de charges qui sont les plus insupportables. Ainsi, s'agissant des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, le rapport entre les dépenses les plus élevées et les dépenses les plus faibles s'établit à 15 ; il est de 6,79 pour les charges liées à la gestion du RMI et de 5,3 pour les charges liées au handicap. Ce coefficient s'établit à 211 en matière d'entretien de la voirie routière, ce qui est incroyable.

Comment, dès lors, s'étonner que la fiscalité départementale soit plus élevée dans les départements les plus pauvres et parfaitement supportable dans les départements les plus aisés ? Or ce phénomène a été considérablement aggravé au cours des deux dernières années du fait du coût très élevé de l'APA, des 35 heures et de la départementalisation des SDIS.

Je crains par ailleurs que le transfert d'un certain nombre de nouvelles compétences aux départements à compter de 2004 - je pense à la voirie nationale, au RMI-RMA, à la dépendance, au logement social - n'oblige les départements à procéder à une nouvelle hausse de leur fiscalité, laquelle risque d'être tout aussi inégalitaire.

Il faut donc impérativement suivre les recommandations du rapport auquel je faisais allusion tout à l'heure et permettre à tous les départements de faire face à leurs charges obligatoires dans des conditions de pression fiscale et de niveau de prestations acceptables, ce qui n'est évidemment pas le cas à ce jour.

Pour cela, il faudra réserver une part encore plus importante de la DGF à la péréquation du fait de la globalisation, une globalisation que j'ai saluée tout à l'heure. Cela n'enlèvera rien aux départements les plus favorisés, mais cela apportera beaucoup à ceux qui sont défavorisés, dont la Meuse fait malheureusement partie.

Le même problème se pose pour l'intercommunalité. Pourquoi maintenir des différences aussi importantes dans l'attribution de la DGF aux communautés urbaines, aux communautés d'agglomération et aux communautés de communes ?

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Claude Biwer. Ainsi, une communauté de communes à taxe professionnelle unique, qui exerce pratiquement les mêmes compétences qu'une communauté urbaine, perçoit pourtant trois fois moins de DGF !

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Claude Biwer. Monsieur le ministre, dans ce domaine, il faut que s'applique la règle : à charges égales, ressources égales.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Claude Biwer. Sur ce point également, je crois que M. Fourcade a été assez précis.

Mais que dire des communes ? Nous ne disposons malheureusement pas d'une étude comparative des ressources et des charges des 36 000 communes de France. Je suis persuadé que, si celle-ci était réalisée, elle aboutirait aux mêmes conclusions que nos collègues Jean François-Poncet et Claude Belot dans leur rapport concernant les départements.

Certaines grandes villes - je pense notamment à Paris - disposent de moyens tellement importants qu'elles peuvent en distraire une partie pour des dépenses quelquefois superflues et mettre en oeuvre une fiscalité locale particulièrement supportable alors que, dans le même temps, nombreuses sont les communes rurales qui n'ont pas de quoi offrir l'essentiel à leurs administrés. Elles ne disposent même pas d'un secrétariat de mairie digne de ce nom, et les maires renoncent souvent à une partie de leurs indemnités.

La réforme de la DGF communale devra respecter la nouvelle règle constitutionnelle de la péréquation. On ne peut décemment pas laisser subsister plus longtemps des inégalités de ressources aussi flagrantes entre communes.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Claude Biwer. J'en viens à la DGE des départements.

Il convient de majorer les crédits des départements ruraux, qui ont un immense territoire à entretenir. La DGE affectée au département de la Meuse ne suffit manifestement pas à répondre aux besoins des communes. Elle suffit encore moins à financer des dépenses exceptionnelles comme les dégâts résultant des catastrophes naturelles non reconnues, voire la reconstruction de ponts détruits pour faits de guerre et non encore remplacés.

Les départements défavorisés et les communes pauvres attendent du Gouvernement qu'il fasse régner enfin la justice et la solidarité. De grâce ! ne les décevez pas. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin.

M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'une des compétences majeures des départements concerne la voirie. Pour assumer cette compétence, il faut bien entendu des ressources.

Il y a trente ans, 53 000 kilomètres de routes nationales ont été transférés. Le résultat a été une amélioration notable de nos réseaux départementaux. Sans ce transfert, la situation, comme pour les collèges ou les lycées, ne serait pas celle qu'elle est aujourd'hui.

Demain, 20 000 kilomètres seront à nouveau transférés. Nos départements sauront y faire face tant le besoin d'infrastructures est pressant et nécessaire pour assurer la desserte de nos territoires.

Mon propos portera essentiellement sur les participations financières qui sont demandées aux collectivités territoriales pour les autoroutes et sur la capacité des collectivités à aménager elles-mêmes des voies express qui peuvent désormais être à péage.

Il faut impérativement apporter des solutions efficaces au financement des grandes infrastructures de voirie, d'autant que - c'est mon premier constat - le désengagement de l'Etat a été important au cours de la dernière décennie.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : moins 30 % en dix ans, la part des infrastructures dans le PIB passant de 1,2 % à 0,9 % et le nombre de kilomètres d'autoroute mis en service étant divisé par trois. La demande n'a pas baissé pour autant !

En revanche, les collectivités territoriales ont été largement mises à contribution pour financer tant des liaisons autoroutières que ce que l'on appelle les « petits bouts », c'est-à-dire les nouveaux aménagements périphériques.

Je sais que M. Alain Lambert, avant qu'il ne soit ministre, a eu à participer à un accord de financement sur l'A 28 qui a été particulièrement lourd pour les collectivités territoriales. Ce système ne doit pas perdurer. Il doit être modifié.

Au total - c'est mon deuxième constat - il faut savoir que, pendant cette période, les investissements ont augmenté de 24 % pour les collectivités territoriales et baissé de 30 % pour l'Etat. Peut-on remédier à cette situation ?

Troisième constat : dans tous nos départements, dans toutes nos régions et dans toutes nos agglomérations, la demande de mobilité continue à se développer.

Face à ces trois constats, quelles sont les orientations à privilégier ? J'en formule quatre, que j'ai déjà présentées devant cette assemblée.

La première orientation, soulignée par M. Jean Arthuis quand il a parlé de la capacité d'expertise du Sénat, de sa commission des finances ou de sa commission des affaires économiques, réside dans la nécessité d'avoir une juste connaissance du partage des charges entre l'Etat et les collectivités dans tous les domaines, notamment dans celui des transports. Je ne fais donc que confirmer la demande de la commission des finances du Sénat, par la voie de son président et de son rapporteur général.

La deuxième orientation vise à donner la possibilité aux collectivités locales, essentiellement aux départements, d'aménager de nouvelles liaisons express à péage, alors qu'elles avaient déjà, depuis la loi du 13 juillet 1979, la capacité de financer des ouvrages tels que des ponts et des tunnels. C'est possible depuis le vote de l'article 14 du projet de loi sur les responsabilités locales. Nous nous en félicitons.

Il y a certes eu un malentendu à propos de la Bretagne. Certains ont en effet craint qu'il ne puisse y avoir des péages, donc des recettes pour les collectivités locales, sur des voies existantes. Ce n'est pas le cas pour l'instant. En fait, le texte ne porte que sur les voies nouvelles. Cela dit, les recettes peuvent être considérables.

A titre d'exemple, j'évoquerai le cas de l'île de Noirmoutier - j'y suis conseiller général depuis vingt-huit ans - et la construction du pont à péage en 1971. Mon collègue Claude Belot pourrait d'ailleurs dire la même chose pour l'île de Ré.

Nous avons construit ce pont et quinze kilomètres de voirie d'accès ; nous avons remboursé le pont et les voies d'accès et, conformément aux dispositions de la loi, nous avons cessé de percevoir le péage en 1994. Le bilan positif dans les caisses du département était de 70 millions de francs.

Ne vous étonnez pas, dans ces conditions, de l'appétit de tous les grands groupes de travaux publics pour la privatisation des sociétés d'autoroute, face à ce véritable pactole. Pour ma part, je préfère qu'une partie de ce pactole revienne aux collectivités locales ou, tout au moins, qu'on ne les surcharge pas en accordant le bénéfice du péage à d'autres.

Je crois donc - c'est la troisième orientation que je présente - qu'il faut clarifier ces modalités de participation financière.

A cet égard, il est évident que l'article 12 de la loi relative aux responsabilités locales, qui est peut-être un peu complexe mais que je vous invite à relire, apporte une clarification essentielle.

La finalité est de dire que le péage est un monopole sur une liaison donnée. Il doit financer la construction comme le fonctionnement. Or, si l'on demande une participation aux collectivités, encore faut-il que toutes les possibilités d'ajustement du péage et d'allongement de la concession aient été réglées.

Si l'on ne peut équilibrer un plan de financement, l'Etat peut intervenir au titre de la solidarité nationale. Il est évident que ce sont toujours les sections les plus rentables qui sont réalisées en premier. Il est donc normal que l'Etat puisse financer les liaisons les moins rentables, c'est-à-dire celles qui participent réellement à l'aménagement du territoire.

La participation de la collectivité locale ne doit donc intervenir qu'en dernier ressort et elle doit être révisée en cas de retour à bonne fortune. Si les bénéfices ou les excédents de l'exploitation sont supérieurs aux prévisions, la collectivité locale, comme les autres partenaires, doit en récupérer une partie.

Par conséquent, l'un des problèmes essentiels dans cette affaire est de savoir comment sera versée la participation de l'Etat. Nous le verrons au cours de ce débat lorsque viendra en discussion l'amendement n° I-176 que je défendrai et qui vise à créer un établissement public appelé fonds national de financement et de péréquation des infrastructures de transports.

Je vous inviterai bien entendu à voter cet amendement qui permettrait de regrouper, au sein d'un établissement public, un certain nombre de ressources, à commencer par la taxe d'aménagement du territoire que nous avons votée en 1995 et qui devait permettre d'affecter à ce type de dépenses les recettes, les dividendes des sociétés d'autoroute. A l'évidence, l'Etat ne doit pas continuer la privatisation s'il veut conserver le bénéfice de la rente autoroutière.

Tels sont les quelques points sur lesquels je voulais insister.

Il ne sert à rien de chercher des recettes de poche, alors que nous avons à notre portée, par l'intermédiaire de l'Etat, au bénéfice des collectivités locales, des recettes considérables qu'il faut utiliser avec équité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Fréville.

M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 71 milliards d'euros, c'est l'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités locales. C'est un effort certain puisque l'Etat se fixe à lui-même une norme de croissance des dépenses de 1 % et qu'il accepte d'indexer les dotations versées aux collectivités locales sur une fraction du PIB.

Cet effort est modeste cette année car, malheureusement, le taux de croissance est relativement faible. Il était toutefois très important de relever que, dans la loi de finances pour 2004, l'Etat continuera d'accorder un traitement privilégié aux collectivités locales.

En fait, je n'aime pas beaucoup que l'on parle d'effort financier en faveur des collectivités locales. Actuellement, il ne s'agit plus, pour l'Etat, de dépenser de l'argent en faveur des collectivités locales, il s'agit plutôt d'organiser un partage cohérent des ressources fiscales entre lui-même, la sécurité sociale - hélas ! - et les collectivités locales.

Dès lors, il convient de savoir si les prélèvements en faveur des collectivités locales sont en cohérence avec l'ensemble des ressources nationales.

Ces prélèvements, pour être cohérents, doivent s'appuyer, d'un côté, sur des dotations de l'Etat et, d'un autre côté, sur des impôts locaux. Il ne faut pas donner la préférence à un système plutôt qu'à un autre. L'essentiel - vous l'avez toujours dit, monsieur le président du Sénat - c'est d'assurer un équilibre entre les deux types de ressources.

Je traiterai tout d'abord des dotations.

En consolidant la kyrielle de dotations existantes, où tout le monde se perdait, sauf certains spécialistes, vous faites oeuvre de simplification. Mais ce n'est qu'une étape.

L'année prochaine, en effet, vous procéderez à la réforme de la répartition de ces dotations, réforme qui consistera à rendre vie à ces dotations.

Si je dis « rendre vie », c'est parce que les dotations de base telles que nous les définissons sont totalement fossilisées. Effet de l'histoire, diront certains. Mais il ne faut pas oublier l'histoire, comme nous le verrons tout à l'heure en refusant, je l'espère, une pleine intégration des contingents communaux d'aide sociale dans la dotation de base des départements.

L'histoire donne du sens. Les dotations de base incluent des dotations qui, à l'origine, tenaient compte de la population. Aujourd'hui, la situation est invraisemblable puisque, pour les départements, la population prise en compte est encore celle de 1975 et que, pour les communes, nous n'avons pris en compte dans la dotation forfaitaire que la moitié de l'accroissement de la population au cours de l'intervalle entre les deux derniers recencement.

Ces dotations de base ne doivent donc pas être fossilisées. Il faut leur rendre vie, de manière à tenir compte de la charge inéluctable des collectivités locales, qui doivent répondre aux besoins d'une population donnée.

Par ailleurs, ces dotations de base incluent de vieilles dotations de péréquation dont nous avons tous oublié l'origine. Pensez que la fameuse DGF découle du montant de la participation de l'Etat tout à fait « péréquatrice » aux dépenses d'aide sociale des départements suivant des critères datant de 1955, et que nous continuons à vivre sous ce régime !

Si les dotations de base incluent des péréquations, il nous faudra prendre garde, lorsque nous ferons cette réforme, de ne pas perdre de vue ce caractère péréquateur et de le moderniser.

Quant aux dotations de péréquation actuelles, il ne faudrait pas les prendre pour des pierres philosophales. Elles s'appuient en effet sur des systèmes très largement critiquables.

La dotation de solidarité urbaine, par exemple, tient compte de deux facteurs : le revenu moyen des habitants - très bien ! - et le pourcentage d'allocations personnalisées au logement - très bien également. Mais, en fait, ces deux facteurs n'en font qu'un.

Par conséquent, on introduit de la complication au lieu d'arriver droit au but.

De la même manière, la notion de « potentiel fiscal » est en train de s'effilocher complètement. Elle ne représente pratiquement plus rien, d'abord parce qu'elle s'appuie sur des bases, les valeurs locatives, dont M. Fourcade a dit à très juste titre qu'elles ne représentaient plus grand-chose, ensuite parce qu'elle n'inclut pas les principales ressources nouvelles attribuées aux collectivités locales.

Comment juger de la richesse d'un département sans tenir compte des droits de mutation à titre onéreux ? Cette ressource explose dans certains départements, alors que d'autres n'en bénéficient guère. Si l'on ne corrige pas à ce stade les dotations en élargissant la notion de potentiel fiscal, on ne fera pas oeuvre utile.

Il faut marcher sur ses deux jambes ! Or, monsieur le ministre, vous le savez mieux que quiconque, il est très difficile de trouver de nouvelles bases pour les impôts locaux. Les impôts localisables sont rares parce que nous sommes dans une société où les flux financiers ne se laissent pas enserrer dans les limites communales. De plus, il est fort possible que les impôts que l'on peut encore localiser soient répartis de façon très inégalitaire.

Je ne connais pas encore les simulations qui ont pu être réalisées sur la répartition de la taxe sur les conventions d'assurance. Alors que la TIPP a le mérite d'être à peu près répartie uniformément sur le territoire, je ne suis pas sûr que la taxe sur les conventions d'assurance, ne fasse pas apparaître de très fortes disparités sociales qu'il faudra corriger.

Si l'on a du mal à trouver de nouvelles taxes localisables, il faut sauver la fiscalité locale actuelle, les « quatre vieilles ».

Pour cela, il faut d'abord conforter la taxe professionnelle unique. Je suis absolument certain que, si l'on n'avait pas institué cette taxe professionnelle unique, les disparités de taux entre les collectivités locales auraient été telles qu'elles seraient devenues insupportables pour les entreprises, et les collectivités auraient perdu tout impôt basé sur l'activité économique.

Il faut ensuite sauver la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties par une révision des valeurs locatives, comme cela a été excellemment dit par le président du comité des finances locales. Or on ne peut le faire qu'à l'échelon national, sinon l'on ne pourra jamais définir une notion de potentiel fiscal homogène sur l'ensemble du territoire.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Yves Fréville. Pour terminer, je voudrais vous rendre sensibles, mes chers collègues, à la situation actuelle des impôts locaux, qui sont minés de l'intérieur par la pratique des dégrèvements.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Yves Fréville. Monsieur le président, vous évoquiez un rapport que j'ai rédigé récemment pour la commission des finances sur les dégrèvements de taxe d'habitation.

Quand on constate que, dans une commune du Nord dont mon arrière-grand-père fut maire, 98 % des contribuables paient leur taxe d'habitation non en fonction de la valeur locative mais en fonction d'autres critères qui sont fixes, qui dépendent du revenu et non du taux voté par les collectivités locales, nous voyons bien que notre système ne peut pas fonctionner.

J'ai pris là un cas extrême mais sachez, mes chers collègues, que 50 % de nos contribuables ne paient pas la taxe d'habitation en fonction de la valeur locative mais en fonction d'un critère fixe, qui est le revenu. Il en va de même pour la taxe professionnelle lorsqu'elle est plafonnée en fonction de la valeur ajoutée.

Monsieur le ministre, lorsque nous définirons, lors de la discussion de la loi organique sur le financement des collectivités locales, la notion de ressources propres et de ressources fiscales desdites collectivités, il faudra prendre en compte le fait que cette fiscalité est ainsi minée par les dégrèvements, lesquels, à mon avis, devraient être déduits des ressources propres. Il faudra aussi parvenir - ce sera difficile, parce qu'il faudra prendre en compte les situations individuelles des contribuables dégrevés - à transformer ces dégrèvements en dotations ou bien trouver des impôts plus modernes. C'est une nécessité et un lourd défi qui nous attend les uns et les autres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)