SEANCE DU 12 DECEMBRE 2002


COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA MALTRAITANCE
ENVERS LES PERSONNES HANDICAPÉES

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 88, 2002-2003) de M. Jean-Marc Juilhard, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de résolution (n° 315, 2001-2002) de M. Henri de Raincourt, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la prévenir. [Avis n° 81 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mes chers collègues, la mise au jour récente d'actes de maltraitance envers des personnes handicapées accueillies en établissement à provoqué, à juste titre, une vive émotion chez nos concitoyens.
Ces événements doivent être l'occasion de mettre fin au silence qui entoure trop souvent ces situations et qui jette la suspicion sur le travail du personnel des établissements accueillant enfants et adultes handicapés, qui, dans leur immense majorité, font preuve d'un grand dévouement à l'égard des personnes accueillies.
La loi du 2 janvier 2002 a réaffirmé le droit à la dignité et à la sécurité des personnes accueillies dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Cette mise au point était assurément nécessaire. En pratique, la question de la maltraitance des personnes handicapées en institution ne pourra être réglée que si les causes de ce phénomène sont étudiées et combattues, et si le dispositif de prévention, de signalement et de lutte contre ce phénomène, qui existe en droit, ne reste pas lettre morte.
Dans cette perspective, la proposition de résolution, présentée par notre éminent collègue M. Henri de Raincourt, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la prévenir, distingue quatre pistes : dresser le bilan de l'ampleur de la maltraitance dans les établissements d'accueil pour personnes handicapées ; évaluer l'efficacité du contrôle effectué par les autorités de tutelle sur le fonctionnement des établissements en matière de sécurité et de respect des personnes accueillies ; évaluer l'efficacité des procédures d'écoute des inquiétudes ou d'enregistrement des plaintes exprimées par les personnes accueillies, par leur famille ou par le personnel des établissements ; enfin, élaborer des propositions de réponse efficaces et adaptées au phénomène de la maltraitance en institution.
A l'occasion de l'examen de cette proposition de résolution, votre commission des affaires sociales a d'abord été frappée par la faiblesse de l'information disponible sur l'ampleur des phénomènes de maltraitance envers des personnes handicapées, qu'elles soient accueillies en institution ou en famille d'accueil.
Les derniers chiffres connus datent du 25 juin 1999. Ils font état, toutes catégories d'établissements sociaux et médico-sociaux confondues, de quatre-vingt-une affaires de maltraitance signalées à la direction générale de l'action sociale, dont 42 % concernent des enfants handicapés accueillis en institut médico-éducatif. Ces chiffres sont d'autant plus inquiétants qu'ils ne reflètent sans aucun doute que partiellement la réalité des situations vécues par les personnes handicapées et leur famille, compte tenu de la difficulté pour les intéressés à signaler les mauvais traitements dont ils sont victimes.
Il est vrai que la loi du 2 janvier 2002 a renforcé la protection des salariés et des médecins lorsqu'ils dénoncent des actes de maltraitance, mais il est encore difficile de mesurer l'effet de cette mesure, entrée en vigueur voilà moins d'un an, sur le nombre de cas signalés.
L'exploitation de ces signalements reste simplement statistique. Ainsi, alors que la même enquête constate que le fonctionnement des établissements est mis en cause dans 70 % des cas de maltraitance, aucune typologie de ces dysfonctionnements n'est actuellement disponible pour permettre d'améliorer la prévention.
La faiblesse de l'information sur l'ampleur de la maltraitance des personnes handicapées accueillies en établissement et l'absence d'évaluation de la sensibilisation des personnels à ces questions justifient donc parfaitement la création d'une commission d'enquête sur le phénomène de maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissement et services sociaux et médico-sociaux.
Votre commission des affaires sociales a également constaté que l'analyse de l'efficacité des systèmes de prévention et de contrôle n'en était encore qu'au stade embryonnaire dans notre pays.
Concernant d'abord le dispositif de prévention, un premier pas semblait avoir été franchi avec le lancement, en 2001, d'un programme pluriannuel d'inspection préventive, mais ce dernier n'a, à ce jour, fait l'objet d'aucun retour ou bilan intermédiaire permettant d'éclairer les causes de la maltraitance et les moyens de la prévenir.
S'agissant ensuite du contrôle exercé par les autorités de tutelle, et malgré les améliorations sensibles apportées par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, la complexité de la répartition des compétences entre préfet et conseil général semble nuire à la rapidité et à l'efficacité des procédures de contrôle du fonctionnement des établissements, ce qui est particulièrement dommageable dans les cas de maltraitance, où l'urgence est la règle.
C'est pourquoi, un an après la parution de cette loi, la commission des affaires sociales estime qu'il est souhaitable que le Parlement puisse examiner l'application de ce régime de contrôle et proposer toutes les améliorations nécessaires à la réalisation de l'objectif d'accompagnement et de protection des personnes handicapées, qui est la raison d'être des établissements qui les accueillent.
Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a toutefois tenu à préciser le champ d'investigation de la commission d'enquête, en visant expressément les « établissements et services sociaux et médico-sociaux », conformément à la terminologie désormais employée par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, elle vous propose donc d'adopter la proposition de résolution dans la rédaction qu'elle a retenue. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois a examiné la proposition de notre excellent collègue M. de Raincourt tendant à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution, mais elle l'a fait uniquement pour émettre un avis sur la recevabilité de ce texte.
Conformément à l'article 11 du règlement du Sénat, il existe deux types de commissions d'enquête : celles qui portent sur des faits déterminés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et celles qui portent sur le contrôle des services publics. En l'occurrence, il semble bien que ce soit le cas puisqu'il s'agit d'examiner les moyens et les procédures dont disposent l'Etat, les collectivités locales et la sécurité sociale pour s'assurer que, dans les institutions, l'intégrité et le respect des personnes handicapés sont assurés. Par conséquent, je n'ai pas besoin de m'expliquer davantage pour vous dire que cette demande de création de commission d'enquête est recevable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise a pour ambition de constituer une commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissement et services sociaux et médico-sociaux, ainsi que sur les moyens de la prévenir. Elle tend à en mesurer l'ampleur et à évaluer l'efficacité des moyens publics de son contrôle et de sa sanction.
De toute évidence, cette proposition répond à une attente de nos concitoyens. La récente affaire des disparues de l'Yonne a révélé combien l'absence d'attention des autorités compétentes pouvait engendrer d'effroyables drames.
Cette affaire n'est d'ailleurs pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Relatées dans les quotidiens, les pratiques de maltraitance envers les franges de la population les plus vulnérables émergent aujourd'hui de l'anonymat. Elles sont de plus en plus nombreuses et les témoignages proviennent de tout l'Hexagone.
Nous devons à nos concitoyens de faire la lumière sur ces agissements et de contribuer à ce qu'ils ne se reproduisent plus jamais. De la même façon, nous devons aussi aux personnels des établissements qui accueillent ces personnes handicapées de lever le voile de suspicion qui s'abat sur leur travail et leur personne, alors même qu'ils exécutent dans leurs très grande majorité leur mission avec force conscience.
Il n'est donc pas incohérent pour le groupe CRC d'abonder dans le sens de la proposition de résolution de notre collègue, dans la mesure où, dans son principe, celle-ci vise à éclairer une situation par la mesure, la prévention et le contrôle des agissements inqualifiables envers cette catégorie de la population.
L'un des moyens réside effectivement dans la constitution d'une information préalable à toute analyse de la situation. Toutefois, la relative faiblesse de l'information disponible sur le sujet empêche aujourd'hui toute mesure ciblée et d'envergure des pouvoirs publics à l'encontre des fautifs.
Si, en 2001, seulement cent cinquante et une affaires de maltraitance de personnes handicapées sont parvenues au ministère des affaires sociales par l'intermédiaire des directions départementales de l'action sanitaire et sociale, les associations estiment leur nombre à plusieurs centaines par an - affaires, au demeurant, qui restent, pour la majorité d'entre elles, non résolues, ou qui sont classées, au détriment des victimes.
A cet égard, nous ne pouvons donc qu'encourager la commission d'enquête à constituer un observatoire des maltraitances de personnes handicapées.
Toutefois - et notre collègue le rappelle à juste titre - la loi du 2 janvier 2002 visant à rénover l'action sociale et médico-sociale a donné les moyens aux pouvoirs publics d'intervenir avec fermeté contre les responsables d'actes de maltraitance afin de restaurer la dignité des personnes victimes de ces maltraitances.
En effet les articles 6 et 7 de la loi affirment le droit des personnes au travers de la charte déontologique nationale. Les articles 38 et suivants définissent les conditions de contrôle de ces établissements, pouvant aller jusqu'à leur fermeture, ordonnée par le représentant de l'Etat, accompagnée de sanctions pénales à l'encontre des responsables. L'article 48 prévoit de protéger les salariés dénonçant des faits de maltraitance, notamment par réintégration des salariés licenciés.
L'arsenal juridique à disposition permet donc largement aux pouvoirs publics d'intervenir efficacement en cas de maltraitance des personnes handicapées. Pourquoi les autorités compétentes n'appliquent-elles pas la loi ?
Il semble que la réponse à cette question soit, sur le fond, d'une autre nature que la simple confusion des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales ou que l'inaction présumée des services nationaux et départementaux de contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux. En fait, elle réside plutôt dans la configuration générale de la politique nationale de traitement du handicap.
Dès lors, il n'est pas incohérent, compte tenu de la gravité du sujet, de s'attarder plus longuement sur les enjeux qui doivent sous-tendre la démarche de la commission d'enquête.
Il est indéniable qu'il faut évaluer l'efficacité du dispositif de veille, de prévention et de contrôle de la maltraitance pour défnir avec pertinence les dispositions à mettre en oeuvre pour éradiquer ce fléau.
Mais, si l'on recherche les conditions d'une action efficace en faveur des personnes handicapées, il est surtout nécessaire de porter préalablement l'effort de réflexion sur ce que l'on doit apprécier au travers de la notion de maltraitance des personnes handicapées et de son périmètre d'effectivité.
Pour le sens commun, la première approche de la maltraitance est celle de la violence qui s'étale le plus visiblement dans les quotidiens. Particulièrement odieuses parce qu'elles s'attaquent à des personnes le plus souvent dans l'incapacité de s'opposer à cette violence, les violences physiques et les violences psychiques sont les deux formes de la maltraitance des personnes handicapées qui apparaissent le plus souvent aux yeux de nos concitoyens. Il est évidemment fondamental de pouvoir intervenir efficacement dans les plus brefs délais face à ce genre de maltraitances.
Mais, bien que plus médiatisées que les autres formes de maltraitance, ces violences ne sont ni les plus importantes ni les plus nombreuses. La raison essentielle tient tout entière dans la définition de la maltraitance.
En effet, si la maltraitance est synonyme de violences, elle est aussi synonyme de « non-traitance », c'est-à-dire de la non-application des traitements, des soins et des attentions nécessaires à la prise en charge et à l'épanouissement de la personne atteinte de handicaps.
Or interroger la maltraitance sous cet angle renvoie à une autre lecture du sujet : une lecture complémentaire, bien entendu, mais une lecture différente, qui interroge la cause de la maltraitance au travers du désengagement progressif de l'Etat par rapport à la question du handicap dans la société, et ce malgré les quelques initiatives nationales ou locales réussies par ailleurs. Rappelons, encore une fois, que la part de l'effort de la nation en matière de handicap a chuté de 2,1 points à 1,7 point du PIB entre 1985 et 2001.
Or ce désengagement progressif de l'Etat conduit à la contraction des financements destinés au fonctionnement de ces établissements sociaux et médico-sociaux.
Dans les faits, cette attitude purement comptable conduit à la révision à la baisse quasi systématique des propositions de budget faites par les établissements sociaux et médico-sociaux. Très concrètement cela peut se traduire par l'impossibilité d'assurer les missions les plus élémentaires en direction des personnes handicapées.
C'est ainsi que les établissements n'ont pas les moyens d'acquérir les lits adaptés aux personnes lourdement handicapées. Ils n'ont pas les moyens de rénover les locaux sanitaires, afin de les adapter au nombre et aux pathologies des pensionnaires. Ils n'ont pas davantage les moyens d'embaucher du personnel qualifié capable de réagir en adéquation avec les besoins des personnes handicapées, de s'engager dans une politique de formation du personnel appropriée aux tâches réelles exécutées en établissement ou de développer une véritable gestion des ressources humaines.
Je prendrai le cas du célèbre foyer Saint-Nicolas de Villeneuve-sur-Yonne : l'application de cette stratégie comptable s'est traduite, en 1999, par un budget global amputé de 0,107 million d'euros et par l'impossibilité de rémunérer un médecin au-delà de neuf heures par semaine, alors que sa présence est requise en permanence pour tous les patients ; elle s'est traduite, en 2000, face à l'affluence des demandes d'inscription, par l'augmentation du nombre de lits ouverts, mais à budget constant. Dans ces conditions, comment la charge de travail peut-elle être assumée dans de bonnes conditions pour les personnels et les personnes handicapées ?
La presse en a suffisamment fait état. De nombreux exemples montrent les conséquences désastreuses d'une politique de restriction budgétaire sur l'ensemble du fonctionnement des établissements et des services sociaux et médico-sociaux.
Pour autant, loin de moi l'idée d'excuser des faits avérés et injustifiables. Mais ce constat permet simplement de comprendre les raisons du climat délétère qui peut régner dans ces établissements et ses effets sur les personnels et les patients. Il confirme les réclamations des associations : « L'absence de moyens suffisants alloués aux établissements explique l'essentiel des dérapages de la profession. »
Mais il n'est pas non plus dans mon intention d'impliquer, de façon démesurée, la responsabilité des directions départementales des affaires sanitaires et sociales - les DDASS - dans ce constat. Empêtrées dans les contradictions comptables, les DDASS allouent aux établissements les financements en fonction des moyens dont elles disposent, moyens qui, de toute façon, ne couvrent pas l'ampleur des besoins des personnes handicapées.
Sur le fond, vous l'avez compris, l'analyse de la maltraitance sous l'angle de la non-traitance révèle l'absence d'une véritable volonté politique nationale de s'occuper du handicap.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela va enfin changer !
M. Guy Fischer. Par conséquent, 2003 sera l'année du handicap ; le Président de la République en a fait l'une des priorités. Nous verrons si cela va changer, monsieur About !
Au-délà des déclarations présidentielles, au demeurant fort instructives, un réel engagement en direction des personnes handicapées, un réel engagement contre toutes les maltraitances qu'elles subissent, impliquent de s'atteler véritablement à cette tâche. Or, là encore, la commission d'enquête, en restreignant son champ d'investigation, restreint par la même occasion la possibilité d'apporter sa contribution ; j'attire votre attention sur ce point, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur. En effet, s'engager dans la voie d'une grande politique nationale du handicap suppose aussi de réfléchir sur la notion de maltraitance au-delà du seul périmètre de l'institution sociale et médico-sociale.
Malheureusement, cette dimension qui touche à la maltraitance des personnes handicapées, la commission d'enquête n'envisage pas de la traiter. Pourtant, si cette dernière veut apporter des éléments de réponse à cette maltraitance, elle devrait aussi se donner les moyens de son ambition.
Tels sont les motifs qui conduisent le groupe communiste républicain et citoyen à soutenir la création de la commission d'enquête proposée par la proposition de résolution. Mais quelques-unes de ses insuffisances - si je ne les avais pas relevées, vous me l'auriez reproché, monsieur le rapporteur, monsieur le président - mériteraient d'être retravaillées dans l'intérêt des personnes handicapées et dans l'objectif du grand chantier gouvernemental prévu pour l'année 2003.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.