SEANCE DU 11 DECEMBRE 2002
ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
Adoption définitive d'un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi
constitutionnelle (n° 83, 2002-2003), modifié par l'Assemblée nationale,
relatif à l'organisation décentralisée de la République. [Rapport n° 86
(2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi constitutionnelle relatif à
l'organisation décentralisée de la République revient aujourd'hui devant vous
en deuxième lecture.
Les débats de première lecture ont abouti à un accord sur les dispositions
essentielles de ce texte : le principe de l'organisation décentralisée de la
République, l'énumération des collectivités territoriales, les formes de la
démocratie directe que constituent le droit de pétition, le référendum
décisionnel et la consultation locale, ou encore l'expérimentation d'Etat.
Pour le reste, l'Assemblée nationale a apporté au texte voté par la Haute
Assemblée en première lecture certains aménagements qui me paraissent
intéressants et qui recueillent l'accord de votre commission des lois. Je m'en
félicite, et je remercie à cet égard son président, M. René Garrec, pour ses
analyses toujours très fines et son souci de rechercher des solutions
consensuelles.
Les débats qui se sont déroulés en première lecture ont permis d'élaborer une
rédaction plus précise et plus concise de la norme constitutionnelle que ne
l'était celle du texte initial.
Les aménagements qui ont été apportés au texte restent pleinement conformes
aux objectifs visés, c'est-à-dire une décentralisation rénovée et équilibrée
entre l'exigence d'une République plus proche des citoyens et la nécessité d'un
Etat plus fort dans ses attributs de souveraineté.
Ces deux mots : « précision » et « équilibre » me paraissent rendre justice à
la rédaction du texte à ce stade des débats parlementaires.
Je crois d'abord utile de souligner que l'apport de ces derniers à la
précision de la norme constitutionnelle a été important. Les discours, les
interventions et les amendements, que ceux-ci aient été adoptés, retirés ou
rejetés, ont contribué à préciser chacune des dispositions du projet de loi.
En premier lieu, il en est ainsi du principe fondamental de la réforme sur
lequel les deux assemblées se sont accordées : je veux parler, bien sûr, de
l'organisation décentralisée de la République.
Affirmé dès le premier article de la loi fondamentale, ce principe a trouvé
une formulation originale, inspirée du principe de subsidiarité et améliorée
par touches successives par les deux assemblées.
Ainsi, le deuxième alinéa du nouvel article 72 consacre désormais avec netteté
le pouvoir décisionnel des collectivités territoriales pour l'exercice des
compétences que le législateur leur confère. La décentralisation n'est plus
octroyée par l'Etat, elle est désormais un droit ouvert à l'initiative des élus
locaux.
En deuxième lieu, la notion de collectivité territoriale se trouve également
précisée dans une formulation commune aux deux assemblées. Cela tient d'abord -
nous devons cette clarification au Sénat - au fait qu'elle est la seule
appellation constitutionnellement reconnue, celle de collectivité locale ayant
été opportunément corrigée.
Elle recouvre désormais, outre les communes et les départements, les régions
et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74, ainsi que - à
l'issue, là encore, d'un débat qui s'est tenu ici même - les collectivités à
statut particulier.
La notion de collectivité territoriale, telle qu'elle est définie au premier
alinéa de l'article 72, s'inscrit dans la continuité de la conception
traditionnelle qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui. Celle-ci repose sur
l'existence d'une assemblée délibérante procédant du suffrage universel
direct.
Toutefois, la réforme ne ferme aucune porte pour l'avenir. La faculté est en
effet offerte au législateur de créer une nouvelle collectivité territoriale,
le cas échéant en lieu et place de celles qui existaient précédemment.
En troisième lieu, l'importance des débats qu'a suscités le droit à
l'expérimentation montre bien que celui-ci constitue une innovation majeure.
Les avis du Sénat, en ce qui concerne l'expérimentation d'Etat, puis de
l'Assemblée nationale, à l'égard de l'expérimentation dite « dérogation »
ouverte aux collectivités territoriales, ont convergé s'agissant du caractère
limité de la durée et de l'objet de ces expérimentations.
Les deux assemblées ont ainsi signifié que l'expérimentation, loin de
préfigurer une diversification de la règle de droit sur le territoire national,
doit permettre la mise à l'épreuve d'une réforme qui a vocation à profiter à
tous.
Le recours à l'expérimentation est encadré. La rédaction exclut désormais de
celle-ci les cas où seraient mises en cause les conditions essentielles
d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement
garanti.
Le rétablissement, par l'Assemblée nationale, de la notion de « droit
constitutionnellement garanti », contenue dans le texte initial, ne doit pas
apparaître comme une contrainte excessive.
Les limites ainsi posées visent à préserver les « conditions essentielles » de
ces droits ; ce cadre est suffisamment large pour offrir la souplesse requise
qui vous est chère et que vous avez souhaitée lors du débat dans cet
hémicycle.
Les débats ont également permis de préciser, de façon absolue, que le droit à
l'expérimentation n'a ni pour objet ni pour effet d'affranchir les autorités
publiques du respect du principe d'égalité.
Cette consécration constitutionnelle doit simplement permettre un contrôle du
respect de ce principe étroitement proportionné à l'intérêt général.
En quatrième lieu, le principe de l'autonomie fiscale et le recours à la loi
organique pour fixer les conditions de sa mise en oeuvre et assurer son
effectivité ont également été précisés. Le Gouvernement a exposé son souci de
ne pas placer immédiatement le droit positif en rupture avec la norme
constitutionnelle.
En revanche, en vertu de l'habilitation donnée par la Constitution, il vous
appartiendra de définir, par la loi organique, l'échéancier progressif d'un
véritable rééquilibrage des finances locales.
Dans la logique de la prohibition de l'exercice d'une tutelle d'une
collectivité sur une autre, le Sénat a souhaité exclure du ratio des ressources
propres les dotations entre collectivités. Le Gouvernement a souscrit à cette
mesure.
Comme vous le constatez, l'ensemble de ces précisions a permis au texte
initial de gagner en concision et en clarté.
La première lecture parlementaire a été également l'occasion d'en renforcer
l'équilibre.
Ainsi, la place faite aux groupements de collectivités témoigne de cet
équilibre.
Les débats ont fait apparaître que les groupements de collectivités ne
pouvaient être laissés à l'écart de la révision constitutionnelle. L'ampleur de
leurs compétences devait être reconnue, sans pour autant que leur soit conférée
la qualité de collectivité territoriale. Vous les avez fait bénéficier du droit
à l'expérimentation, suivis en cela par l'Assemblée nationale, qui leur a, au
surplus, confié la conduite, en tant que chefs de file, de projets nécessitant
le concours de plusieurs collectivités.
Je crois qu'un bon équilibre a pu être ainsi trouvé entre l'attachement
légitime à la conception traditionnelle des collectivités territoriales,
reposant sur le suffrage universel, et la nécessité pragmatique d'accompagner
le mouvement de l'intercommunalité.
L'affirmation explicite du principe de prohibition de l'exercice d'une tutelle
d'une collectivité à l'égard d'une autre relève du même souci légitime. Les
deux assemblées se sont accordées sur ce point.
Ce principe posé, seul le législateur pourra, dans l'hypothèse d'un « exercice
de compétences croisées », pour reprendre l'expression que vous avez employée,
désigner une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités pour
organiser les modalités de l'action commune.
La reconnaissance de l'autonomie fiscale procède elle aussi d'une volonté
d'équilibre. Le recours à la loi organique participe de ce rééquilibrage.
Le principe de compensation des transferts de compétences a été utilement
complété. D'abord, la discussion au Sénat a été l'occasion d'affirmer la
compensation de la « création d'une nouvelle compétence », puis l'Assemblée
nationale a ajouté la compensation de « l'extension » d'une compétence des
collectivités territoriales. Ainsi, de profonds déséquilibres susceptibles de
naître de situations comparables à celle qui a été consécutive à l'institution
de l'allocation personnalisée d'autonomie seront désormais évités.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
De même, l'énoncé du principe de péréquation a évolué
devant les deux chambres. La rédaction initiale avait pu paraître trop modeste
à vos yeux, et vous aviez souhaité affirmer un principe visant à compenser les
inégalités entre les collectivités territoriales, de quelque nature qu'elles
soient. Le Gouvernement s'est rallié à cette solution par le dépôt d'un
amendement de synthèse sur l'article 6.
L'Assemblée nationale, quant à elle, a souhaité faire une référence positive à
la notion d'égalité. Cette formulation ne signifie pas, pour autant, que le
principe ait changé de sens ni de portée.
L'exposé des motifs de l'amendement présenté à l'Assemblée nationale par M.
Pierre Méhaignerie, au nom de la commission des finances, est sans ambiguïté :
« Il est clair que l'égalité des collectivités territoriales ne peut être un
objectif raisonnable. Il ne s'agit pas d'annihiler tout dynamisme local et on
ne peut, à l'évidence, réduire toute différence entre une petite commune rurale
et une grande ville. »
L'économie du principe de péréquation reste le même. Devant être interprété
dans le cadre de l'organisation décentralisée de la République, il vise à
compenser des inégalités objectives. On ne saurait donc considérer qu'il impose
une uniformité contraire au principe de libre administration.
C'est encore la recherche d'un juste point d'équilibre dans la pratique et
l'esprit du bicamérisme, lequel est inscrit dans notre Constitution, qui a
conduit le Gouvernement à émettre un avis favorable à la nouvelle rédaction de
l'article 3 proposée par l'Assemblée nationale.
Il s'agit, vous le savez, des prérogatives de la Haute Assemblée dans son rôle
de « représentation des collectivités territoriales de la République » que lui
assigne l'article 24 de notre loi fondamentale.
L'extension du champ de la disposition aux « projets de loi relatifs aux
instances représentatives des Français établis hors de France », proposée dans
ces murs, a été consacrée par l'Assemblée nationale.
S'agissant des projets de loi « ayant pour principal objet l'organisation des
collectivités territoriales », je rends hommage, monsieur le président Garrec,
au souci de conciliation qui a été le vôtre. Les prérogatives de l'Assemblée
nationale ne sont pas mises en cause, non plus que l'équilibre instauré par la
Constitution de la Ve République, et le rôle du Sénat est, je le répète,
pleinement reconnu. J'ajoute, sur un point auquel je vous sais très sensible,
qu'il est apparu difficile de ne pas lier ressources et compétences, alors que,
aux termes du nouvel article 72-2, l'on s'interdira, à l'avenir, d'envisager
des transferts de compétences ou la création de nouvelles compétences sans
prévoir l'attribution des ressources correspondantes.
C'est toujours la recherche de l'équilibre qui a conduit à l'adoption d'un
certain nombre d'amendements aux articles relatifs à l'outre-mer.
Il en est ainsi, tout d'abord, de l'article 72-3, selon lequel « la République
reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un
idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ».
Qualifié d'historique par ma collègue la ministre de l'outre-mer, cet
amendement concilie la reconnaissance par la République de l'identité propre
des populations d'outre-mer et l'affirmation de leur légitime place au sein
d'un seul et même peuple français.
Enfin, il est clair qu'un projet de loi ayant pour principal objet
l'organisation de la Nouvelle-Calédonie concernerait, directement ou
indirectement mais nécessairement, ses provinces et ses communes, auxquelles le
Conseil constitutionnel reconnaît la qualité de collectivités territoriales. Un
tel texte entrerait donc bien dans le champ d'application de la disposition
insérée au dernier alinéa de l'article 39 par l'article 3 du projet de loi
constitutionnelle.
Clarté, précision et équilibre : le texte qu'il est proposé au Sénat d'adopter
répond pleinement, à mon avis, à ces trois exigences.
Avec cette révision, le chantier de la décentralisation sera loin d'être
achevé.
Vous vous prononcerez, au terme de ce débat, mesdames, messieurs les
sénateurs, sur la première étape de la mise en place de cette nouvelle
architecture des pouvoirs au sein de la République. Deux autres seront
nécessaires à l'achèvement de cette réforme.
Tout d'abord, dès que la révision constitutionnelle sera entrée en vigueur,
vous aurez à débattre, mesdames, messieurs les sénateurs, des trois grandes
lois organiques destinées à encadrer et à préciser trois de ses mesures phares
: le droit, pour les collectivités et leurs groupements, d'expérimenter des
dérogations à la loi ou au règlement, le référendum décisionnel local, le
rééquilibrage progressif des finances locales, en application du nouvel article
72-2 relatif à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.
Avec ces textes organiques, vous commencerez à dessiner plus concrètement les
contours de la deuxième phase de la décentralisation.
Il sera alors temps d'apporter la dernière pierre à l'édifice, avec l'adoption
des nouveaux textes emportant transferts de compétences.
A cet égard, le droit à l'expérimentation sera un outil privilégié de
préparation des futurs transferts, selon la distinction préconisée par M. le
Premier ministre.
Quand le sujet est simple, qu'il est l'objet d'un consensus et qu'il relève à
l'évidence des décisions qui peuvent le mieux être prises par telle ou telle
catégorie de collectivités territoriales, le transfert de compétence pourra
être immédiatement opéré.
En revanche, quand le sujet est plus complexe et qu'il convient d'évaluer
l'échelon territorial le plus pertinent pour l'exercice de telle ou telle
compétence, l'expérimentation précédera le transfert.
Cet édifice sera construit grâce à un dialogue constant avec les
parlementaires et avec les élus locaux. Les assises des libertés locales, qui
se tiennent depuis plus d'un mois, témoignent de la richesse des propositions
en matière de compétences nouvelles.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques observations que
j'entendais formuler au seuil de cette dernière lecture.
Je souhaite ardemment que la proposition élaborée par la commission des lois
du Sénat et son président puisse déboucher sur un accord. Je rends hommage au
travail considérable que vous avez accompli et je sais gré au président de la
commission des lois d'avoir recherché avec beaucoup de détermination des
solutions consensuelles.
Sur le terrain, les énergies locales ne demandent qu'à se libérer. Il vous
appartient à présent, mesdames, messieurs les sénateurs, de sceller ce
préalable fondamental et fondateur que constitue la loi constitutionnelle
relative à l'organisation décentralisée de la République.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec,
président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes
chers collègues, la commission des lois propose au Sénat d'adopter conforme le
projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la
République, dont il est saisi en deuxième lecture.
Les travaux du Sénat puis de l'Assemblée nationale en première lecture ont en
effet permis, au terme de débats approfondis et souvent passionnés - la durée
et la teneur des séances publiques en témoignent -, de parfaire l'équilibre
d'une réforme dont nous avons déjà souligné la nécessité et l'urgence.
Je rappelle que le Sénat, qui avait été saisi en première lecture d'un texte
comportant onze articles, en a adopté un sans modification, en a amendé dix
autres et a inséré un article additionnel. Au total, trente-quatre amendements
ont été adoptés, dont on ne saurait méconnaître la portée.
Ainsi, tout en permettant à la loi de désigner une collectivité « chef de file
» pour l'exercice de compétences croisées, nous avons inscrit dans la
Constitution le principe fondamental de l'interdiction de la tutelle d'une
collectivité territoriale sur une autre.
Parvenu à ce point de mon intervention, monsieur le garde des sceaux, je
voudrais souligner que celle-ci se réduisait comme peau de chagrin à mesure que
je vous écoutais : plus vous parliez, moins il m'en restait à dire !
(Rires.)
Je me bornerai donc à reformuler les propos que vous avez
tenus, alors que j'étais très fier du discours que j'avais préparé !
Si nous avons jugé prématuré de reconnaître la qualité de collectivité
territoriale de la République aux établissements publics de coopération
intercommunale à fiscalité propre, nous avons ouvert aux groupements de
collectivités la possibilité d'être habilités à déroger, à titre expérimental,
aux dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de leurs
compétences.
Afin de concilier le droit de pétition avec le bon fonctionnement des
assemblées délibérantes des collectivités territoriales, nous avons permis aux
électeurs de demander l'inscription d'une question relevant de sa compétence à
l'ordre du jour d'une assemblée locale, celle-ci demeurant libre d'y donner
suite.
Enfin, nous avons entièrement réécrit l'article 6 du projet de loi, relatif à
l'autonomie financière des collectivités territoriales, afin de clarifier la
notion de ressources propres de ces dernières en excluant de leur calcul les
dotations entre collectivités, car cela nous paraissait être un double compte,
de prévoir la compensation des charges induites par la création de compétences
nouvelles, telles que l'allocation personnalisée d'autonomie, et, enfin, de
préciser que les dispositifs de péréquation sont destinés à compenser
l'ensemble des inégalités entre collectivités territoriales, et non les seules
inégalités de ressources.
S'agissant de l'outre-mer, vous avez, monsieur le garde des sceaux, répondu
par avance à mes questions. Je ne reviendrai donc pas sur ce sujet.
Je rappellerai simplement que, conformément aux souhaits de nombreux élus
réunionnais, relayés avec fougue et conviction par notre collègue Jean-Paul
Virapoullé, le Sénat n'a pas ouvert à la Réunion la faculté de se voir
transférer le pouvoir normatif dans certaines matières relevant du domaine de
la loi.
Il a prévu que les ordonnances prises par le Gouvernement pour l'actualisation
du droit applicable outre-mer en vertu de l'habilitation permanente résultant
du nouvel article 74-1 de la Constitution devront, à peine de caducité, faire
l'objet d'une ratification expresse par le Parlement. Nous avions proposé de
retenir un délai d'un an, madame le ministre de l'outre-mer, alors que, pour
votre part, vous souhaitiez qu'il soit de deux ans. De façon amicale, vous avez
compris que le marchand de vaches bas-normand que je suis était toujours prêt à
couper la poire en deux : le délai sera donc de dix-huit mois !
(Sourires.)
Comme on peut le constater, ces apports, dont la liste n'est pas exhaustive,
sont loin d'être négligeables.
L'Assemblée nationale a approuvé l'économie du texte qui lui était transmis,
en votant sept articles conformes - les articles 1er, 1er
bis
, 2, 5, 9,
10 et 11 - et en adoptant quinze amendements.
A l'exception de la limitation du champ des projets de loi devant
obligatoirement être déposés en premier lieu au Sénat, elle n'a apporté au
projet de loi constitutionnelle que des compléments et des précisions
utiles.
L'article 3 a en effet été modifié afin, d'une part, de limiter l'obligation
d'un dépôt en premier lieu au Sénat aux projets de loi ayant pour principal
objet l'organisation des collectivités territoriales et aux projets de loi
relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France, et,
d'autre part, de garantir le droit d'amendement du Gouvernement lors de
l'examen de ces textes par l'Assemblée nationale.
Le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale et
rapporteur pour avis, M. Pierre Méhaignerie, avait exprimé la crainte que la
jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au respect de la priorité
d'examen des projets de loi de finances par l'Assemblée nationale, interdisant
au Gouvernement de présenter au Sénat toute disposition comportant un caractère
de nouveauté, ne soit étendue aux projets de loi ayant pour principal objet
l'organisation des collectivités territoriales. Dans mon esprit, le risque
n'existait pas, mais l'ajout de nos collègues députés n'est pas gênant.
Se référant à la structure du code général des collectivités territoriales, M.
Pascal Clément, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale et
rapporteur du projet de loi constitutionnelle, a déclaré, en séance publique,
que l'organisation des collectivités territoriales concernait le choix de leur
nom, la détermination des règles relatives à leurs organes et à leurs actes,
ainsi que la fixation de leurs limites territoriales.
Confirmant cette analyse - qui marque un progrès puisque, auparavant, rien
n'était précisé -, vous avez indiqué, monsieur le garde des sceaux, que cette
notion ne recouvrait pas les modes de scrutin.
Bien entendu, le Gouvernement restera libre de soumettre en premier lieu au
Sénat les projets de loi relatifs à la libre administration des collectivités
territoriales, à leurs compétences ou à leurs ressources, conformément à un
usage ancien, accepté et qui n'a pas soulevé de difficultés majeures jusqu'à
présent.
Enfin, ni le droit d'initiative législative et d'amendement de l'Assemblée
nationale, ni ses prérogatives en cas de désaccord avec le Sénat ne sont remis
en cause. Conformément au dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, le
Gouvernement pourra lui demander de statuer définitivement sur les dispositions
d'un texte n'ayant pu faire l'objet d'un accord en commission mixte paritaire.
Aussi, je n'ai pas compris les motifs de l'outrance totalement disproportionnée
des propos tenus en première lecture par certains de nos collègues députés.
M. le président.
Rassurez-vous, monsieur Garrec : comme le disait Talleyrand, tout ce qui est
excessif est insignifiant !
M. René Garrec,
rapporteur.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a modifié l'article 4 du
projet de loi constitutionnelle, afin d'ouvrir aux groupements de collectivités
territoriales la possibilité de se voir confier par la loi le rôle de « chefs
de file » pour l'exercice de compétences croisées.
A l'article 6, elle a précisé que toute création ou extension de compétences
ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales
devra être accompagnée de ressources déterminées par la loi. C'est un plus.
Elle a également indiqué que la loi devra prévoir des dispositifs de
péréquation destinés à favoriser l'égalité, et non à compenser les inégalités,
entre collectivités territoriales. A cet égard, je ne reviens pas sur l'exégèse
de M. Pierre Méhaignerie, puisque vous vous êtes déjà exprimé sur ce point,
monsieur le garde des sceaux.
S'agissant de l'outre-mer, l'Assemblée nationale a apporté quelques précisions
aux articles 7 et 8 du projet de loi constitutionnelle.
D'abord, elle a prévu que la République reconnaît, au sein du peuple français,
les populations d'outre-mer, afin de contrer la décision du Conseil
constitutionnel du 9 mai 1991 relative à la Corse, dans laquelle il distinguait
le peuple français des peuples d'outre-mer, et de marquer ainsi l'ancrage des
populations d'outre-mer dans la République.
Ensuite, l'Assemblée nationale a étendu aux compétences d'une collectivité
territoriale le champ d'application de la procédure de consultation de ses
électeurs par le Président de la République.
Enfin, concernant l'habilitation des assemblées locales à adapter des lois et
règlements, je serai bref car vous avez déjà évoqué ce point. A cet égard, je
me suis interrogé, monsieur le garde des sceaux, sur l'interprétation de la
notion de « conditions essentielles » d'exercice des libertés publiques et des
droits constitutionnellement garantis. Je pense que cela n'interdira pas aux
collectivités territoriales, dans la pratique, d'exercer tout pouvoir normatif.
Mais vous veillerez à ce qu'il en soit ainsi dans les lois qui vont suivre.
Fort de huit articles, au lieu de quatre, le titre XII de la Constitution
sera, au terme de cette révision, à la mesure du rôle primordial des
collectivités territoriales dans la vie démocratique et économique de notre
pays. Ses dispositions prendront appui sur l'affirmation solennelle, à
l'article 1er de la loi fondamentale, du principe selon lequel l'organisation
de la République est décentralisée. Le principe de subsidiarité devra, quant à
lui, guider la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités
territoriales, afin que les décisions soient prises au mieux et au plus près
des citoyens.
Cette révision constitutionnelle constituera ainsi à la fois le socle et le
tremplin d'un mouvement de décentralisation fort et durable.
Le Parlement examinera, au printemps prochain, les projets de lois organiques
et ordinaires destinés à mettre en oeuvre les dispositions de la loi
fondamentale.
Pour réussir, cette étape de la décentralisation devra s'accompagner d'une
forte réforme de l'Etat. Comme il est toujours bon de ne pas recourir à des
citations apocryphes, je conclurai en citant M. Michel Crozier : « Si l'Etat
central ne change pas, la décentralisation perd l'essentiel de sa vertu. »
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe de l'Union pour un mouvement populaire : 52 minutes ;
Groupe socialiste : 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 10 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe :
6 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Josiane
Mathon.
Mme Josiane Mathon.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
nous nous apprêtons, dans cet hémicycle, à bouleverser la Constitution de la
République. Est-il encore temps, monsieur le garde des sceaux, de vous demander
d'écouter et de prendre en compte l'expression du débat démocratique ?
La décision d'autocensure de notre commission des lois n'est pas réjouissante,
car si la majorité, au sein de cette commission, avait cherché à modifier
encore votre projet de loi, son expression, ses travaux auraient constitué le
signe d'une réflexion parlementaire, d'un approfondissement des idées, vivant
et réel.
Or il y a eu autocensure de la part de mes collègues...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
Mme Josiane Mathon.
... et je le déplore, bien que je ne partage absolument pas leurs opinions
politiques. Cela constitue le témoignage le plus probant de votre entêtement à
réformer à marche forcée, selon votre plan d'action, « les fameux 150 jours »,
sans associer réellement les compétences, les intelligences d'où qu'elles
viennent.
Nous sommes loin d'un processus démocratique visant à répondre aux aspirations
de nos concitoyens. Nous en sommes loin car ce n'est pas le but visé.
Il devait y avoir, selon vos propres mots, un grand débat dans le pays,
illustré par la campagne des « Assises des libertés locales » : la plupart de
ces réunions se sont tenues, mais vous ne pouvez pas nier que le public y était
choisi et les citoyens indésirables molestés et expulsés par la police. Je suis
outrée et effarée des événements survenus hier à Lyon, qui ont été évoqués par
mon collègue Guy Fischer.
M. Robert Bret.
Ils sont révélateurs !
Mme Josiane Mathon.
Vous ne pouvez pas non plus faire croire que vous avez consulté les
collectivités locales, comme nous vous l'avions proposé. Chaque citoyen peut se
rendre compte que son conseil municipal n'a pas été saisi pour donner son
avis.
Quant au référendum promis par le chef de l'Etat, certes lorsqu'il était en
campagne électorale, on ne semble guère pressé, au sein du Gouvernement, d'en
préparer l'organisation.
Cela n'empêche pas, monsieur le garde des sceaux, que, peu à peu, les
Françaises et les Français se forgent une opinion sur votre projet de loi.
Dimanche dernier, il y a encore eu beaucoup de monde dans les rues de Paris
pour la manifestation de l'éducation nationale, quinze jours seulement après la
puissante mobilisation des agents du secteur public.
(M. Alain Gournac
s'exclame.)
La conscience grandit que votre projet de décentralisation a un sens
politique, des objectifs néfastes pour celles et ceux qui sont chargés de faire
vivre les missions de service public parce que ces objectifs sont néfastes pour
le service public lui-même.
Les propos de MM. Delevoye et Plagnol sur « la rémunération au mérite » des
fonctionnaires ou l'introduction de « cabinets de conseils et d'expertises »
pour suppléer les prétendues carences des inspections générales n'ont pas
besoin d'être commentés pour prendre un sens. La rentabilité devrait primer sur
l'objectif.
Il faut reconnaître que ces propos sont cohérents avec l'action du
Gouvernement : vous privatisez France Télécom, vous cédez sous le manteau le
Crédit lyonnais, vous attendez le moment opportun, afin de gagner trois euros
six cents, pour vendre Air France, tandis que EDF et GDF devraient être livrées
aux appétits privés
(M. Alain Gournac s'exclame de nouveau.)
Les
retraites se porteraient mieux si elles étaient cotées en bourse. Bref, la
logique de la rentabilité s'impose comme un dogme.
Un quotidien national a cru illusionner ses lecteurs en se demandant si, pour
rédiger son projet de loi, Jean-Pierre Raffarin ne se serait pas inspiré d'un
document du parti communiste français publié en juin dernier et intitulé : «
Pour une démocratisation permanente de la République ».
La réalité est bien différente. Oui, nous avons rendu public ce document
prônant une réforme d'ampleur pour démocratiser nos institutions. Mais l'action
du Premier ministre et de sa majorité est calée non pas sur les propositions du
parti communiste français - et c'est un véritable regret - mais plutôt sur les
exigences du MEDEF !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Quel
rapport y a-t-il entre le MEDEF et la décentralisation ?
Mme Josiane Mathon.
Ainsi, vous n'avez pas levé nos inquiétudes quant au
dumping
fiscal qui
se profile à travers l'article 6.
Nous l'affirmons, les collectivités locales n'ont pas à fixer l'assiette des
impositions de toute nature. C'est à la loi de le faire strictement, de manière
à garantir l'égalité entre les territoires.
L'organisation patronale que je viens de citer écrit dans son document
d'orientation sur la décentralisation que le but en est « d'alléger la pression
fiscale sur les entreprises ». Voilà qui est éloquent ! Force est de constater,
monsieur le garde des sceaux, que votre projet de loi s'inscrit dans cette
optique.
A travers cette volonté d'une liberté, d'une autonomie sans limite, le risque
est grand d'un développement des inégalités entre les territoires.
La péréquation évoquée dans votre texte aurait pour objet non plus de «
compenser les inégalités », mais, plus modestement, de « favoriser l'égalité »
entre collectivités territoriales. Ce glissement sémantique révèle un
glissement politique, prépare un renoncement aux outils de justice sociale
entre collectivités, que celles-ci ont acquis depuis quelques années.
Le transfert ou l'extension de compétences aux collectivités locales ne
s'accompagne jamais réellement du transfert de charges. Le phénomène est connu
et reconnu : la gestion au plus près du terrain amène à mieux répondre aux
besoins.
De fait, les dépenses s'envolent quand le transfert budgétaire reste
constant.
Est-ce la raison pour laquelle vous n'évoquez même pas dans votre texte ce
transfert de moyens, préférant la formulation vague de « ressources
équivalentes déterminées par la loi », sans préciser l'origine de ces
ressources ?
Cette question du financement est au coeur de votre projet. Vous-même,
monsieur Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, vous vous exprimiez
devant nous, la semaine dernière, en ces termes : « Les contraintes
communautaires en termes de déficit public ne font pas la différence entre le
déficit de l'Etat ou des collectivités locales. Seul le résultat compte aux
yeux de Bruxelles. La décentralisation est avant tout un moyen d'améliorer
l'efficacité de la dépense publique. »
Que cela est bien dit ! Pour contourner la rigueur maastrichtienne des
déficits publics, vous entendez transférer une partie des déficits de l'Etat
aux collectivités locales, et vous comptez sur elles pour choisir entre le
recul du service public ou la progression des impôts locaux. Nous vous avons
bien écouté !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
J'ai simplement voulu dire que ça
ne servirait à rien !
Mme Josiane Mathon.
Non !
C'est cela qui, justement, suscite une inquiétude croissante chez les élus
locaux.
Ils s'interrogent et cherchent à s'approprier ce débat. Votre texte est lu,
messieurs les ministres, il est commenté ; ce n'est pas, ce n'est plus un texte
d'experts en droit constitutionnel.
L'expérimentation de compétences à la carte est une manière de ne pas dire
que, d'une région à l'autre, les collectivités locales ne devront pas assumer
les mêmes charges.
La République décentralisée ne serait-elle plus la même République pour tous
les citoyens ?
Qu'adviendra-t-il en effet des services publics rétrocédés à une collectivité
qui n'aura pas les moyens de subvenir à leur entretien ? La privatisation ou la
disparition pure et simple d'un certain nombre de services seraient-elles les
seules solutions pour faire face à l'explosion de la fiscalité locale ?
Depuis le début, dans ce débat, aucune garantie n'a été apportée quant au
devenir du statut des agents publics.
La démocratie gagnerait-elle avec votre projet ? Certes, les incantations à la
proximité pourraient accréditer cette idée. Mais la non-prise en compte du fait
intercommunal, le refus d'un véritable statut de l'élu, le rejet viscéral du
droit de vote des étrangers non communautaires, l'absence de réelle
concertation pour élaborer cette réforme et le détournement du référendum au
profit du Congrès indiquent le contraire.
Non, votre projet n'est pas celui dont nous aurions besoin pour démocratiser
la République et pour répondre à l'aspiration majeure exprimée par nos
concitoyens de participer pleinement à l'élaboration des choix qui les
concernent.
Nous nous rapprochons d'une démocratie plus délégataire et moins
participative.
Pis, en cas de fusion entre plusieurs collectivités locales, la population
concernée ne serait pas appelée à en débattre.
Il aura fallu l'intervention courroucée du président de l'Assemblée nationale
pour modérer vos ardeurs à faire du Sénat la chambre prioritaire pour l'examen
d'un grand nombre de textes. Cependant, la rédaction actuelle ne peut encore
nous satisfaire. Vous persévérez ! La vraie réforme démocratique du Sénat
attendra. C'est dommage !
Madame et messieurs les ministres, nous sommes pour une décentralisation des
pouvoirs, une décentralisation démocratique et solidaire, pour le développement
harmonieux des territoires, pour une démocratie ressourcée. Mais ce texte est
dangereux pour l'égalité républicaine. Aussi, nous ne pouvons le soutenir.
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe
socialiste.)
M. le président.
M. Patrice Gélard devait maintenant intervenir, mais il cède son tour à M.
Jean-PaulVirapoullé.
M. Patrice Gélard.
Afin de satisfaire Mme le ministre de l'outre-mer, qui doit nous quitter.
M. le président.
Avec regret, pour ce qui me concerne !
La parole est donc à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé.
Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues,
je tiens à remercier mon collègue Patrice Gélard de son indulgence et de sa
gentillesse.
Ce débat sur la décentralisation a été long et très instructif. Il a été suivi
avec passion outre-mer, madame la ministre, ce sentiment vaut aussi pour vous
et pour nous. La passion, c'est une forme d'attachement à nos convictions, à
nos valeurs, à notre mission au service de la République. Ce débat qui s'achève
sera marqué par le vote d'une très grande réforme qui a suscité et suscitera
dans les mois à venir des critiques, à l'instar des lois de décentralisation de
1982, mais qui, dans quelques années, sera acceptée par tous. En effet, se
mettent en place une nouvelle culture de la décentralisation, de nouveaux
réflexes et de nouveaux dispositifs. J'ai beaucoup apprécié la déclaration du
Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, aux termes de laquelle l'Etat n'a
plus de paire de ciseaux pour découper le territoire, pour regrouper la
Haute-Normandie et la Basse-Normandie, pour regrouper le Haut-Rhin et le
Bas-Rhin, pour découper la Réunion en deux, allais-je dire.
(Sourires.)
M. Marcel Debarge.
Mais il a encore des ciseaux pour découper les cantons !
(Nouveaux
sourires.)
M. Jean-Paul Virapoullé.
L'Etat donne la parole aux citoyennes et aux citoyens, et il leur
appartiendra, au terme du vote de cette réforme, de dire et de faire ce que bon
leur semble, dans le respect de la Constitution et des principes de la
République, pour le développement économique et la cohésion sociale des
territoires où ils habitent. Tel est le premier grand principe.
Second principe : outre-mer, nous étions engagés dans un processus dangereux,
dans un huis clos antidémocratique marqué par l'existence d'un congrès dans les
DFA, les départements français d'Amérique, inexistant à la Réunion grâce à
notre militantisme et au vote de la suppression de ce congrès. S'agissant des
DFA, ce congrès confisquait le débat institutionnel et l'avenir de ces
régions.
Le Président de la République, M. Jacques Chirac, et je tiens à le remercier
solennellement ici, a rendu la parole au peuple et a même confié, par le biais
du consentement, un droit de veto aux populations. Ce droit de veto est
fondamental. En effet, il appartiendra aux Martiniquais, aux Guadeloupéens, au
Guyanais et, bien sûr, aux Réunionnais de dire s'ils veulent ou non une
évolution institutionnelle.
(Marques d'approbation sur plusieurs travées de
l'UMP.)
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé.
S'ils ne la veulent pas, nous, parlementaires, nous ne serons pas saisis.
L'article 53 de la Constitution a déjà mis en exergue le principe du
consentement.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Il s'agit non pas de la détention par une section du peuple de la souveraineté
nationale, mais de l'exercice du droit à un consentement quant à l'avenir
institutionnel de ces régions.
S'agissant de la Réunion, j'ai été outré par certains propos émanant de
parlementaires de gauche à l'Assemblée nationale, et c'est pourquoi je tiens à
faire une mise au point. Je respecte, je l'ai toujours montré, les opinions de
chacun, mais je ne peux laisser dire que les élus réunionnais et, à travers
eux, la population réunionnaise sont des poltrons au motif qu'ils ne veulent
pas de la spécialité législative.
En effet, nous sommes favorables au droit de veto des populations ; nous
acceptons, madame la ministre, la large adaptation prévue à l'article 73 de la
Constitution, en fonction de nos conditions et contraintes particulières afin
d'être en conformité avec l'article 299-2 du traité d'Amsterdam ; nous sommes
favorables à l'adaptation des décrets dans les domaines de compétences de la
région et du département, et cela concerne des centaines de compétences et un
champ immense de responsabilités. Pour autant, nous avons estimé - et c'est
notre droit ! -, conformément à l'engagement du chef de l'Etat, que la Réunion
voulait conserver son statut actuel.
M. Alain Gournac.
Bravo !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Plus de décentralisation, oui ! Plus d'adaptation, oui ! Plus de
responsabilités dans le champ de nos compétences, oui ! Mais nous ne voulons
pas de la spécialité législative. Ceux qui la veulent l'adopteront. Mais en
votant l'amendement - je suis monté à la tribune pour remercier les 188
sénateurs qui nous ont fait confiance et ceux qui se sont abstenus -, grâce à
cette large majorité, vous avez fait confiance aux Réunionnaises et aux
Réunionnais, vous les avez laissé choisir la voie non de la peur mais de la
prudence.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Nous ménageons notre monture pour aller loin.
Nous souffrons de handicaps énormes : l'éloignement - le grand éloignement !
-, l'insularité, l'isolement, une situation géopolitique et géoéconomique
hostile. N'y ajoutons pas l'instabilité institutionnelle et l'insécurité
juridique !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Merci d'avoir respecté notre choix ! Merci, en gravant dans le marbre de la
Constitution l'existence du département et de la région de la Réunion, de nous
donner la possibilité d'apporter dans les années qui viennent la preuve de
notre refus de la spécialité législative ; car nous ne voulons pas d'évolution
vers une COM, collectivité d'outre- mer ! Merci de nous donner la chance de
montrer que, lorsque la loi est votée à la source du pouvoir, c'est-à-dire par
le Parlement, alors la loi est juste, la loi respecte l'égalité, respecte la
fraternité, respecte la liberté de chacun.
Voilà ce que je voulais dire aujourd'hui à cette tribune,...
M. Alain Gournac.
Vous l'avez très bien dit !
M. Jean-Paul Virapoullé.
... en témoignage de notre gratitude, pour vous assurer que nous ferons le
meilleur usage de cette Constitution, afin que l'éducation, le travail et la
dignité deviennent les valeurs de l'action que nous menons outre-mer. Grâce à
la grande loi de programme sur quinze ans qui nous sera présentée bientôt,
grâce à l'intégration à l'Europe, nous serons dans l'océan Indien - comme, je
l'espère, les départements français d'Amérique dans la mer des Caraïbes et en
Guyane - la vitrine de la France et de l'Europe.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, nous sommes appelés à délibérer en seconde lecture sur le
projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la
République afin d'introduire dans la Constitution un droit des collectivités
locales. La commission des lois, par la bouche de son président-rapporteur,
nous invite à émettre un vote conforme à celui de l'Assemblée nationale.
Il faut bien reconnaître que le long débat qui s'est déroulé aussi bien dans
l'une que dans l'autre des deux assemblées du Parlement a largement permis
d'éclairer les parlementaires et, au-delà, l'ensemble des acteurs de la
décentralisation sur le contenu du projet de révision constitutionnelle.
Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale est fortement marqué par
les travaux du Sénat. Ce que nous avons délibéré, ce que notre commission des
lois nous a proposé, ce que nous avons accepté après des débats longs,
fouillés, fructueux, a été pour l'essentiel reconnu et retenu par les
députés.
L'apport essentiel, évident, du texte que nous inscrirons bientôt dans notre
loi fondamentale est d'introduire dans la Constitution une partie substantielle
consacrée aux collectivités locales. Elle comportait certes, jusqu'à présent,
des dispositions les concernant, mais leur teneur juridique laissait la place à
une certaine imprécision, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel avait
conduit à les interpréter de façon plutôt restrictive.
Désormais, la place des collectivités locales dans notre système
institutionnel sera largement et clairement affirmée. En effet en l'inscrivant
à l'article 1er de la Constitution, le Sénat, puis l'Assemblée nationale, ont
décidé d'élever le principe de l'organisation décentralisée de la République au
rang des principes fondamentaux de notre droit public républicain.
L'Assemblée nationale a précisé certains points d'un texte qui, par
définition, doit rester souple : une constitution est faite pour s'appliquer
longtemps, et il faut admettre dès le départ qu'elle puisse faire l'objet de
lectures différentes au fil du temps et s'adapter en fonction de l'évolution
des esprits.
C'est très largement le sort qu'a connu la Constitution de 1958 : lorsque le
général de Gaulle et Michel Debré ont proposé ces nouvelles institutions,
c'était pour répondre à une situation donnée. Nous vivons aujourd'hui des
situations tout à fait différentes, mais c'est toujours la même loi
fondamentale qui est en vigueur, car nous avons su l'adapter.
L'Assemblée nationale a ajouté au texte que nous avions adopté des précisions
très importantes, mais qui lui gardent la souplesse que le Sénat avait veillé à
lui donner. L'une des principales modifications porte sur l'article 3 du projet
de loi constitutionnelle, qu'il faut replacer dans l'ensemble de notre droit
constitutionnel. Il s'agit des relations entre le Gouvernement et le
Parlement.
Il est bien évident que la liberté du Gouvernement de déposer des textes
relatifs aux collectivités locales n'est pas entamée par cet article 3 : le
Gouvernement pourra toujours, s'il le souhaite, déposer tous les textes
relatifs aux collectivités territoriales qu'il voudra sur le bureau du Sénat
ou, pour certains, de l'Assemblée nationale ! Néanmoins, il appartiendra au
Sénat de délibérer en premier lieu de tout ce qui apparaît comme fondamental,
notamment des textes qui auront pour principal objet l'organisation des
collectivités territoriales, c'est-à-dire non seulement le nom de ces
collectivités, mais aussi le statut de leurs organes. C'est ce qui ressort des
travaux préparatoires de l'amendement qui a été déposé par M. le président de
la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui nous semble fondamental.
Sur ce point, les sénateurs membres du groupe de l'Union centriste peuvent se
déclarer satisfaits.
Les autres modifications apportées par l'Assemblée nationale au projet de loi
constitutionnelle sont relativement importantes, mais elles ne font que
préciser le texte voté par le Sénat et doivent recueillir notre accord.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, les sénateurs de l'Union
centriste voteront conforme le texte adopté par l'Assemblée nationale, ainsi
que nous y invite M. le rapporteur. Ce faisant, ils signifieront que, à leurs
yeux, l'inscription dans le marbre de la Constitution d'une réforme aussi
importante marquera l'histoire de la République française. C'est aussi pour eux
une façon de dire clairement au Gouvernement leur souhait de passer rapidement
à l'étape suivante, celle des lois organiques et des lois ordinaires.
Les assises régionales des libertés locales qui se déroulent actuellement dans
toute la France montrent bien l'appétence de nos concitoyens : qu'ils soient
élus, responsables associatifs ou responsables de chambre consulaire, ils sont
nombreux à y participer, c'est-à-dire à voir plus loin.
Le groupe de l'Union centriste attend maintenant avec impatience et intérêt le
dépôt dès 2003 des textes d'application relatifs à l'organisation et au partage
des compétences, d'une part, et au transfert de fiscalité, d'autre part. Il est
prêt à participer avec audace à ce futur débat.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre,
nous entamons la discussion en deuxième lecture du projet de loi dont
l'adoption conduira à inscrire la décentralisation dans notre Constitution.
C'est un moment important pour le Parlement, tant est grande notre
responsabilité à l'égard des générations futures. Aussi, le vote que chacun
d'entre nous émettra ne peut être lié à une consigne de parti. Il ne peut non
plus être le résultat de la conjoncture politique. C'est pourquoi chacun doit
s'exprimer dans la plus grande clarté.
Une question liminaire se pose : est-il judicieux d'introduire le principe de
décentralisation dans notre Constitution ?
J'ai bataillé autrefois en faveur des lois Defferre, à une époque où la
majorité du Sénat était hostile au transfert de compétences de l'Etat vers les
collectivités locales. Je n'ai pas à changer d'avis aujourd'hui sous prétexte
que la proposition d'une nouvelle étape de la décentralisation émane d'un
gouvernement de droite ! Mais du principe à sa traduction dans le futur texte
constitutionnel, il y a l'épaisseur de la réalité. Regardons la situation de
près !
Comment se conciliera à l'avenir l'affirmation du principe d'une « République
indivisible », qui, depuis toujours, ouvre l'article 1erde la Constitution,
avec l'énoncé que la majorité sénatoriale souhaite y introduire, sur
proposition du Gouvernement : « Son organisation est décentralisée » ? Que
signifie au fond cette affirmation ? Est-ce un pas vers le fédéralisme, mais
sans les contre-pouvoirs ni les garanties que ce système politique connaît dans
tous les pays où il est appliqué ?
Ce concept de « décentralisation » demeure un objet juridique encore mal
identifié : son contenu est incertain dans l'histoire du droit, et la notion de
« collectivités locales » à laquelle il renvoie recouvre des modes
d'organisation totalement hétérogènes. Par exemple, quelle continuité
existe-t-il, en termes de capacité de décision, entre une commune de moins de
cent habitants au coeur du Massif central et Neuilly ou Paris - j'aurais pu
citer Antony ? Quel rapport existe-t-il, sous l'angle des finances locales,
entre le département de la Creuse et celui des Hauts-de-Seine, entre la région
d'Ile-de-France et le Languedoc-Roussillon ? Quel juriste, quel homme politique
osera soutenir qu'il existe aujourd'hui une égalité de chances et d'accès aux
services entre ces collectivités, et donc entre leurs habitants ?
Il faut mettre un terme à l'« étatisme jacobin », dites-vous pour justifier
cette modification de notre loi fondamentale. Mais, outre que nous avons déjà
ouvert ce chantier malgré vous, contre vous, pouvez-vous nous dire à quoi
ressemblera la France d'ici à une génération ? L'Etat sera moins puissant, sans
doute, mais au profit de qui ? Etes-vous sûrs que les citoyens seront plus à
même de maîtriser leur destin ? Ne craignez-vous pas que la France ne devienne
une forme d'oligarchie d'élus dont quelques grands féodaux locaux seront les
maîtres et pèseront de tout leur poids sur la piétaille des conseils municipaux
des villages et des villes moyennes, lesquels seront dépourvus du pouvoir
d'influencer leurs décisions ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Gérard Delfau.
Ce que j'exprime ici, c'est la crainte diffuse qui habite la très grande
majorité des maires et qui s'est exprimée clairement lors du congrès de
l'Association des maires de France. Il est symptomatique que le Premier
ministre, si habile et si désireux de faire plaisir à cette assemblée, n'ait
reçu ici qu'un accueil mitigé lors de son intervention en séance publique.
M. Josselin de Rohan.
C'est vous qui le dites !
M. Gérard Delfau.
Et oui, mon cher collègue, c'est exactement ce qui s'est passé !
M. Raymond Courrière.
On les a mis au pas, après !
M. le président.
Ne vous laissez pas interrompre, mon cher collègue !
M. Gérard Delfau.
Ce que je dis frappe juste, apparemment !
Alors, me demanderez-vous, faut-il refuser d'inscrire la décentralisation dans
la Constitution ?
Mme Nicole Borvo.
Oui !
M. Gérard Delfau.
Je n'ai pas d'hostilité de principe à l'idée d'une telle inscription, comme je
l'ai expliqué lors de la première lecture. Mais il faut encadrer solidement la
portée de cette modification pour éviter les dérives possibles, et même
inévitables.
J'avais avancé deux idées à ce sujet.
La première était qu'il fallait renforcer les droits des minorités politiques
au sein des grandes collectivités - communautés d'agglomération, communautés
urbaines, conseils régionaux, conseils généraux - et donner un vrai pouvoir
d'interpellation et de contrôle aux citoyens : le débat fut éludé et les
timides avancées contenues dans le projet de loi initial rognées par la
majorité du Sénat, toujours frileuse devant les manifestations de la démocratie
participative.
Mais j'avais surtout attiré l'attention sur le fait qu'un transfert des
compétences, même assorti d'un transfert des financements d'Etat, ne pouvait
qu'accroître l'inégalité des ressources entre territoires. C'est ce qu'a
reconnu fort honnêtement notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye, devenu
ministre de la fonction publique après avoir été un excellent président de
l'Association des maires de France : « Quand vous donnez plus de libertés, les
territoires les plus riches deviennent plus riches et les territoires plus
pauves deviennent plus pauvres. »
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur celles du groupe
socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo.
Oui !
M. Gérard Delfau.
Tels ont été ses propos, repris par un grand journal du soir.
Or - et c'est là le point fondamental de mon intervention - la nouvelle
rédaction de la Constitution rendra beaucoup plus difficile, impossible même,
selon d'éminents spécialistes, une péréquation nationale et régionale des
ressources destinée à neutraliser cet effet négatif. Jusqu'ici, les mécanismes
de péréquation, si insuffisants soient-ils, n'ont passé le barrage du Conseil
constitutionnel que parce que celui-ci jugeait minime leur incidence sur la
répartition des ressources, au regard du principe de la « libre administration
» des collectivités.
Aujourd'hui, si le texte est voté en l'état, c'est le principe d'autonomie
fiscale qui sera posé comme pilier de « l'organisation décentralisée de la
République » : toute forme de redistribution des richesses entre collectivités
y sera subordonnée. Autant dire qu'elle sera soumise au regard critique des
juges et à leur éventuelle sanction ! La majorité parlementaire a donné des
signes manifestes en ce sens tout au long du débat, notamment en ne daignant
accepter, en première lecture, qu'une formule alambiquée et en retrait sur la
loi du 4 février 1995, que nous avions pourtant votée dans l'enthousiasme. Il
est vrai qu'elle ne fut jamais appliquée.
Je rappelle le texte en vigueur, que nous devons à l'obstination de nos
collègues Jean François-Poncet et Gérard Larcher lors du grand débat sur la loi
d'orientation présentée par Charles Pasqua.
Le premier paragraphe pose - il est explicite, lui ; il a encore, lui, force
de loi - : « La réduction des écarts de ressources entre les collectivités
territoriales, en fonction de leurs disparités de richesse et de charges,
constitue un objectif fondamental de la politique d'aménagement du territoire.
» Tel est le texte en vigueur.
Lors de l'examen du présent projet de loi en première lecture, le Sénat a
proposé d'y substituer l'énoncé suivant : « La loi prévoit des dispositifs de
péréquation destinés à compenser les inégalités entre collectivités
territoriales », formulation qui était déjà moins claire. Puis les membres de
l'UMP, qui sont majoritaires à l'Assemblée nationale, ont encore édulcoré ce
texte et adopté la formulation suivante : « La loi prévoit des dispositifs de
péréquation destinés à favoriser l'égalité entre collectivités territoriales.
»
Telle est la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Il y a
effectivement un risque que, aux dérives engendrées par la décentralisation, ne
corresponde une lecture encore plus restrictive du Conseil constitutionnel et,
éventuellement, des juridictions civiles devant lesquelles les municipalités ou
d'autres collectivités, plutôt riches, pourraient présenter leurs griefs contre
l'effort de redistribution des ressources.
Au fond, vous saluez une dernière fois l'aspiration à l'égalité entre
territoires par une évocation de la péréquation, mais c'est pour mieux indiquer
au juge constitutionnel que vous, représentants de la nation, vous considérez
que cette politique est inadéquate et contraire, dans son esprit, à
l'organisation décentralisée de la République, qui est votre objectif.
Vous allez sans doute, mes chers collègues, protester de votre bonne foi et de
la pureté de vos intentions. Il vous suffira alors de voter l'amendement que je
proposerai et qui reprend très exactement, à la virgule près, le texte que nous
avons voté ensemble et que je viens de vous lire, c'est-à-dire celui de
1995.
Si vous ne le faites pas, il ne faudra pas vous étonner si, bien que favorable
au principe de décentralisation, alors que je suis acteur moi-même au sein
d'une collectivité locale depuis vingt-cinq ans, je transforme mon vote
d'abstention de première lecture en vote négatif à l'issue de cette
discussion.
Je veux néanmoins préciser tout de suite que, par là, j'exprimerai mon propre
point de vue et non celui d'une très grande majorité de membres du RDSE qui se
prononceront favorablement. Mais à vous tous, à vous toutes, je donne
rendez-vous. Il y aura le débat sur les lois organiques et, sur le terrain,
chaque maire pourra évaluer très vite les conséquences du nouveau cours que
prendra la décentralisation.
Assisterons-nous à une « nouvelle étape », ainsi que vous l'avez dit, ou à un
changement brutal de politique par rapport aux lois Mauroy - Defferre et aux
initiatives par trop timides prises en faveur de la péréquation par les
gouvernements de gauche dans les années 1990 ? L'avenir nous le dira !
Pour ce qui me concerne, mon jugement est fait : c'est la régression qui
l'emportera, ou plus exactement c'est l'égalité qui souffrira sous l'empire
d'une forme mal contrôlée de liberté.
(Applaudissements sur certaines
travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous
voilà donc parvenus au terme du débat parlementaire sur le projet de loi
constitutionnelle portant « organisation décentralisée de la République ». Je
dis bien « au terme du débat » puisque cette seconde lecture au Sénat va, de
façon quasi certaine, se conclure par un vote subreptice dont la conformité
avec celui de l'Assemblée nationale interdira d'en dire plus.
M. Josselin de Rohan.
Il ne sera pas subreptice !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Pourquoi, mesdames et messieurs les sénateurs de la majorité, cette
précipitation ?
Je n'aurai pas l'outrecuidance de penser qu'il s'agit de limiter l'expression
de l'opposition. Nous sommes trop minoritaires, au Sénat comme à l'Assemblée
nationale,...
M. Louis de Broissia.
Eh oui : c'est le choix des électeurs.
M. Jean-Claude Peyronnet.
... pour entraver ce que le parti extrêmement dominant a décidé de proclamer
bon pour la France et les Français.
Comme vous ne manquerez pas de me dire que les élections du printemps ont
tranché, je vous rétorquerai qu'une confirmation sur ce point précis, par la
voie du référendum à la place du Congrès, serait la seule digne de donner du
corps à ce que le Premier ministre a présenté, un temps, comme la grande
affaire de sa gestion.
En fait, si le vote intervient la nuit, si vous n'organisez pas de référendum,
n'est-ce pas pour éviter que ne s'expriment en votre sein des réticences, voire
de franches oppositions ?
En privé, bien des sénateurs et des députés de la majorité ont dit leur
inquiétude.
En public, des voix se sont élevées, les voix officielles des rapporteurs, qui
par écrit ou oralement ont exprimé clairement des réserves de forme, et surtout
de fond, qui n'ont été corrigées que bien imparfaitement par le débat
parlementaire.
Plus encore, le président de l'Assemblée nationale lui-même n'est pas revenu
sur ses déclarations négatives de Strasbourg considérant cette réforme
constitutionnelle inutile et même dangereuse, ce qui d'ailleurs ne l'a pas
empêché, comme les autres, de la voter !
Vraiment, seul un référendum pourrait, en donnant, comme vous dites le
souhaiter, la voix au peuple sur un sujet que vous considérez comme majeur
après un vaste débat public, mettre de la clarté dans la confusion générale qui
a animé nos débats.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Oserez-vous aller jusque-là ou craignez-vous et le délitement de votre
majorité et la sanction du vote populaire ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
En vérité, nous n'avons que peu d'espoir de faire évoluer ce texte, même si
nous avons la faiblesse de penser que nos prises de position de première
lecture ont pu permettre d'effacer ou d'atténuer quelques éléments parmi les
plus nocifs. Pourquoi dès lors ne pas aller nous coucher paisiblement ce soir
en vous laissant la responsabilité de ce texte, qui n'est pas digne d'une
réforme constitutionnelle ni de l'héritage des pères fondateurs de la
décentralisation à la française : Pierre Mauroy et Gaston Defferre ?
En fait, nous poursuivons trois objectifs.
Le premier est de vous mettre devant vos responsabilités, j'allais dire devant
votre conscience, en soulignant de nouveau les dangers et les insuffisances,
selon le cas, de ce texte, en montrant combien vous, vous spécialement,
sénateurs de la majorité ou anciens sénateurs devenus ministres, êtes loin des
objectifs que vous vous étiez fixés. Qu'il s'agisse de sujets plus graves ou
dérisoires, il existe souvent un monde entre vos ambitions de départ et le
texte que, finalement, vous nous appelez à voter.
Je ne prendrai que deux exemples en comparant la proposition de loi dite «
proposition Poncelet », qui, je le rappelle, était cosignée, entre autres, par
le président du comité des finances locales - qui est très assidu à ce débat,
comme souvent - par le président du nouveau groupe prépondérant et déterminant
du Sénat, l'UMP, et, cerise sur le gâteau - et quelle cerise ! - par l'actuel
Premier ministre lui-même, qui démontre ainsi qu'il ne craint pas de se
démentir à quelques mois d'intervalle. A moins, mais je n'ose le croire, qu'il
se soit agi simplement à l'époque d'un texte démagogique et politicien destiné
à gêner le gouvernement d'alors.
M. Raymond Courrière.
Comme toujours !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Avec l'article 3 concernant le rôle du Sénat, votre ambition - que nous ne
partageons pas - était de donner un grand rôle à notre assemblée. Vous n'avez
réussi qu'à recevoir une volée de bois vert venant de tous les partis de
l'Assemblée nationale. Vous proposiez de donner au Sénat un véritable droit de
veto, ce que nous n'approuvons pas, sur les sujets touchant les collectivités
locales.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois.
Il n'a jamais été question de
droit de veto !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je cite les termes de la proposition de loi : « Les projets et propositions de
loi relatifs à l'administration des collectivités territoriales doivent être
votés dans les mêmes termes par les deux assemblées. » Or, finalement, vous
allez vous rallier à une rédaction qui se limite à donner au Sénat un simple
droit d'examen en priorité sans préjudice du vote définitif de l'Assemblée
nationale et portant seulement sur l'organisation des collectivités
territoriales, laquelle est comprise de la façon la plus restrictive qui
soit.
C'est vraiment un recul, voire une capitulation en rase campagne. Si notre
assemblée n'avait pas été à cette occasion, et par toutes les forces
politiques, dramatiquement caricaturée, ce serait purement et simplement
risible !
Mais il y a beaucoup plus grave.
En matière financière, vous aviez en commission des lois - toujours a propos
de la proposition de loi que j'évoque - proposé, en cas de transfert,
l'attribution « des ressources garantissant la compensation intégrale et
permanente de ces charges ». On pouvait aller plus loin, certes, mais c'était
déjà bien. Or, dès la première lecture, vous avez capitulé.
Vous nous appelez à sanctionner cette redoutable défaite qui limite les
transferts de ressources aux sommes affectées jusque là par l'Etat à cet objet.
Autrement dit, vous ne tirez aucune conséquence du bilan de vingt années de
décentralisation dont vous ne cessez - souvent très injustement d'ailleurs - de
dénoncer les errements.
(Applaudissements sur les travées du groupe
socialiste.)
Notre deuxième objectif est d'alerter la population, notamment par l'entremise
de ses représentants les plus proches, les maires, sur les dangers de votre
texte constitutionnel dans trois domaines principaux : l'abaissement de l'Etat,
les risques de suppression de certains niveaux territoriaux - tout spécialement
des communes - et les risques avérés de tutelle d'une collectivité sur
l'autre.
Je n'insisterai pas trop dans ce préambule à nos débats sur le sort que vous
faites à l'Etat, puisque nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
Je dirai simplement que vous permettez que, dans l'avenir, les prérogatives
régaliennes soient progressivement démantelées. D'ailleurs, votre refus obstiné
de définir justement ces prérogatives qui jamais, en aucun cas, ne devraient
être transférées à une autorité locale, confirme nos préventions.
Existe-t-il, oui ou non, un bloc de compétences régaliennes intangibles et, si
oui, de quoi se compose-t-il ? Nous dire que cette définition serait le signe
même de l'Etat fédéral s'apparente à la casuistique la plus complaisante.
L'Etat est-il toujours, selon vous, le garant du maintien de l'égalité entre
les citoyens et les territoires où ils vivent ? Oserez-vous voter contre
l'amendement que nous proposons et qui vise à affirmer que l'Etat est le garant
de la solidarité ?
Concernant les modifications d'appellation et de configuration des
collectivités territoriales, nous maintenons toutes nos critiques après le vote
conforme de l'Assemblée nationale sur le premier alinéa de l'article 4.
Vous avez pu remarquer que les grandes manoeuvres ont commencé pour l'Alsace,
la Savoie, la Normandie, monsieur le rapporteur. A quand le partage du
département des Pyrénées-Atlantiques ?
Laisser la carte administrative du pays se dessiner au gré des arrangements,
des rapports de force ou des appétits locaux n'est pas digne d'un grand pays
comme le nôtre.
Il est urgent que la voie parlementaire fixe cette carte pour autant que ce
soit nécessaire, ce qui ne se saura qu'après le débat public. Cela éviterait
des dérives auxquelles se laisse aller, par exemple, le président de la région
Auvergne, qui, se croyant encore sans doute Président de la République, propose
d'« anschlusser » le Limousin sans lui demander son avis, comme il intervenait
en Afrique selon des méthodes coloniales aujourd'hui révolues.
(Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE. - Applaudissements sur les travées du groupe
socialiste et du groupe CRC.)
M. Josselin de Rohan.
N'exagérez pas ! C'est indécent !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Mais tout cela est plus amusant que dangereux ; cela m'amuse, en tout cas.
M. Josselin de Rohan.
C'est grotesque !
M. Jean-Claude Peyronnet.
C'est de l'histoire, monsieur de Rohan !
M. Josselin de Rohan.
L'histoire à votre manière !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je maintiens que, dans cinq, dix ou quinze ans, une majorité pourra décider de
supprimer dans tel département, par exemple, toutes les communes au profit de
leurs groupements, élevés au rang de collectivités à statut particulier. Dire
aux maires clairement ce qu'il en est, est indispensable et relève de la simple
honnêteté intellectuelle et politique.
De la même façon, nous ne nous lasserons pas de dénoncer la possible tutelle
d'une collectivité sur une autre par l'utilisation d'une certaine conception du
chef de file. Ecrire que cette tutelle est interdite, mais faire suivre
immédiatement cette affirmation de l'expression « cependant » - qui exprime
chacun le sait, une restriction - indique clairement que, dans certains cas, la
tutelle est possible et qu'elle sera effectivement pratiquée !
Qui en bénéficiera ? Les départements ? Peut-être. Les régions ? Sûrement. Pas
les communes, en tout cas !
Notre troisième objectif découle simplement des deux premiers, et je le cite
pour mémoire. Soyez assurés que nous serons particulièrement vigilants quant à
l'examen des lois à venir sur la décentralisation et spécialement des lois
organiques. »
Votre refus obstiné et réitéré de nous dire la trame de leur contenu quelle
qu'ait été l'origine de la demande - qu'elle émane de l'opposition ou de votre
majorité - nous incite plus que jamais à la vigilance.
Nous croyons que nos positions claires ont déjà conduit le Premier ministre à
modérer ses ambitions dévastatrices du début. Nous continuerons dans la voie de
la dénonciation de cette décentralisation que vous nous proposez car elle
organise la compétition sans contrôle des territoires, interdit aux
collectivités de jouir de ressources assurées et engendrera forcément des
surcoûts excessifs. nous poursuivrons dans la voie de la défense d'une
décentralisation approfondie, mais démocratique !
(Applaudissements sur les
travées du groupe socialiste et du groupe CRC).
(M. Serge Vinçon remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
VICE-PRÉSIDENT
M. le président.
La parole est à M. Philippe Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation
décentralisée de la République, qui est examiné aujourd'hui en deuxième
lecture, s'affirme comme un texte fondateur, comme une véritable « carte
constitutionnelle » donnée à la décentralisation territoriale de notre pays et
pour notre pays.
Messieurs les ministres, une fois en main, cette nouvelle « carte
constitutionnelle » doit servir tout à la fois de « plan de route » aux élus
désorientés par une République trop éloignée, parfois, de leurs préoccupations
et de « boussole de proximité » à nos concitoyens. Ces derniers réclament
depuis fort longtemps déjà qu'une nouvelle étape sur la voie de la
décentralisation soit franchie et que leur soient donnés les moyens de
comprendre comment elle s'organise.
Fort raisonnablement, nous pouvons maintenant espérer donner aux collectivités
territoriales la place qu'elles méritent au sein de nos institutions ; je pense
en particulier à la région et aux structures intercommunales, qui trouvent,
aujourd'hui, leur place près de la commune et du département. Nous pouvons,
aussi, après l'inscription du transfert de moyens financiers et du principe de
péréquation, espérer donner aux élus les moyens de mener les politiques qu'ils
entendent conduire dans leurs structures décentralisées.
Cependant, je considère que toute réforme touchant à l'architecture et à
l'organisation même du pouvoir politique en France ne peut conjuguer, à la
fois, efficacité politique, vitalité juridique et pérennité historique que sous
deux conditions majeures.
La première condition est que soit garantie l'autonomie financière des
collectivités territoriales, dans un souci constant de solidarité nationale et
de développement durable au service de nos concitoyens.
Lors de la première lecture, j'ai dénoncé, avec un certain nombre de mes
collègues, les situations impossibles créées par les écarts considérables,
notamment en ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement, la DGF,
pour les collectivités des départements ruraux.
Mes chers collègues, en Vendée, département que je représente au Sénat et
département rural s'il en est, 92 % des communes ont vu leur population
augmenter entre les deux recensements de 1991 et 2001. Cela démontre que le
monde rural peut être à la fois attractif et dynamique.
Notre souci premier doit donc être de garantir ce dynamisme et cette
attractivité en permettant aux collectivités d'être financièrement autonomes.
Inscrire dans la Constitution, comme vous l'avez fait, messieurs les ministres,
que les collectivités territoriales disposent librement de leurs ressources
constitue une première étape importante. Elle devra être absolument confortée
prochainement par une réforme des finances locales.
Alors, les collectivités pourront remplir ce rôle de proximité qui doit être
le leur, maintenir ce lien indispensable entre la République et le citoyen et
permettre l'accès de tous à un service public de qualité.
La deuxième condition est de favoriser la liberté de la République
territoriale, dans le double respect de la diversité de ses structures, d'une
part, et de la légitimité de ses élus, d'autre part.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous le constatons tous les
jours dans nos départements : plus que jamais, les élus croulent sous les
dossiers, se découragent devant la complexité des procédures et multiplient les
réunions.
Que nous demandent t-ils si ce n'est de les laisser agir et qu'on leur fasse,
enfin, confiance ?
Comment a-t-on pu croire qu'une structure de plus, décidée et définie dans un
ministère, pouvait voir le jour dans les mêmes termes à Paris et au coeur du
bocage vendéen par exemple ? Comment a-t-on pu croire que l'on renouerait ainsi
le dialogue et que cela susciterait l'adhésion de la population ?
Les élus veulent aujourd'hui assumer les responsabilités pour lesquelles ils
ont été démocratiquement élus. Ils connaissent leurs territoires. Ils
expérimentent depuis de nombreuses années leurs spécificités. Ils côtoient et
travaillent avec des populations uniques, présentant d'une région à l'autre des
visions et des modes de fonctionnement différents. Ils se servent de cette
connaissance et de cette expérience pour concevoir le développement à long
terme de leur commune, de leur communauté de communes ou d'agglomération, de
leur département ou de leur région.
C'est pourquoi je soutiens pleinement le droit à l'expérimentation pour les
collectivités territoriales et notamment la disposition qui élargit le droit à
l'expérimentation aux groupements de communes.
C'est pourquoi je souhaite également que cette nouvelle étape de la
décentralisation s'appuie sur les trois piliers actuels de notre République :
la commune, le département et la région.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, respectons les spécificités des
territoires, respectons la diversité des structures, respectons enfin
pleinement la légitimité de l'élu. Alors, mais alors seulement, nous donnerons
vraiment à cette indispensable réforme de la décentralisation le souffle de
liberté auxquels tous les Français aspirent pour vivre, au coeur de notre pays
avec dynamisme, enthousiasme et passion.
Si, tout au long de l'histoire de France, la puissance de l'Etat a été une
puissance de concentration, la liberté d'aministration et de gestion désormais
accordée aux collectivités territoriales dans le respect de leur propre
diversité s'affirme comme le mouvement nécessaire et la puissance de la
décentralisation.
Certes, entre centralisme et fédéralisme, d'une part, entre déconcentration et
décentralisation, d'autre part, savoir trouver où placer convenablement le
curseur n'est pas chose aisée ! Ne nous leurrons pas, les dizaines de
constitutions françaises élaborées au cours des siècles l'attestent
tristement.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois.
Il y en eut quinze !
M. Philippe Darniche.
C'est pourquoi, au regard des travaux conduits par les deux assemblées en
première lecture, puis de ceux de la Haute Assemblée en deuxième lecture, je me
félicite à l'avance de la réforme équilibrée qui va s'inscrire dans le présent
texte constitutionnel.
Il est désormais grand temps, aux côtés de M. le Premier ministre, ainsi
qu'aux vôtres messieurs les ministres, d'engager rapidement l'indispensable
réforme des finances locales ainsi que le rapide transfert des nouvelles
compétences aux collectivités territoriales concernées.
C'est pourquoi j'apporterai mon total soutien, avec mes collègues non
inscrits, au texte que vous nous proposez tel qu'il ressort de la première
lecture effectuée dans les deux assemblées.
(Applaudissements sur certaines
travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, à ce stade de la discussion, je pourrais utiliser les
quarante-cinq minutes du temps de parole qui m'est échu à répéter ce que
d'autres orateurs ont déjà dit fort brillamment : M. le garde des sceaux, M. le
rapporteur, M. Mercier, M. Virapoullé.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste.
Et M. Peyronnet ?
M. Patrice Gélard.
Bien sûr, je n'en ferai rien, me bornant à formuler un certain nombre de
remarques d'ordre général et quelques observations sur la deuxième lecture de
ce projet de loi constitutionnelle.
Je dirai tout d'abord que, selon moi, nous n'avons plus, en France, une bonne
conception de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur.
Ça, c'est sûr !
M. Patrice Gélard.
Nous en sommes en effet restés à une conception caractéristique du XIXe siècle
et nous n'avons pas su, contrairement à un certain nombre des pays voisins,
adapter notre texte constitutionnel aux exigences de la modernité. C'est la
raison pour laquelle, depuis quelque temps, nous sommes amenés à procéder très
régulièrement et pratiquement chaque année à des révisions
constitutionnelles.
La raison est simple : nous avons une conception trop élevée de la
Constitution et nous n'avons pas su hiérarchiser, à l'intérieur du texte
constitutionnel, des éléments de valeurs différentes.
On peut déjà distinguer ce qui concerne les droits et les libertés : ces
matières sont traitées à part, dans le préambule, lequel renvoie à d'autres
textes.
Mais il y a aussi le fonctionnement de l'Etat, les relations internationales
et tout ce que la modernité nous impose.
Il est bien évident que, en 1958, on n'avait pas pu prévoir la construction de
l'Union européenne, par exemple, ni l'évolution entraînée par la
décentralisation.
Or une constitution ne doit pas être un carcan. Comme disait Napoléon 1er, «
une constitution n'est pas une tente dressée pour le sommeil ». Quant à Victor
Hugo, il considérait qu'elle ne devait pas être « une vierge constamment violée
». Une constitution doit pouvoir évoluer, s'adapter au fur et à mesure à ce que
la modernité impose et aux changements qui affectent les missions de l'Etat.
La révision constitutionnelle qui nous est aujourd'hui proposée s'inscrit
parfaitement dans cette logique de modernité.
La plupart des pays membres de l'Union européenne ont une constitution
récente, qui intègre le statut des collectivités territoriales ; c'est le cas
de l'Espagne, du Portugal. C'est aussi le cas de l'Italie, même si sa
constitution est plus ancienne.
N'oublions pas qu'il existe au sein de l'Union européenne des Etats fédéraux,
tels que la Belgique, l'Allemagne, l'Autriche, qui ont réglé les problèmes de
décentralisation d'une autre façon que nous.
Quant au Royaume-Uni, il a su adopter il y a quelques mois une réforme
particulièrement intéressante sur la place des collectivités territoriales.
Nous devions donc réviser la Constitution pour faire en sorte qu'elle ne soit
plus un facteur de blocage, comme nous l'avons vu encore récemment, lors du
vote de la loi relative à la Corse : nous n'avons pas pu aller au bout de la
démarche que nous voulions engager, notamment en termes d'adaptation des
lois.
Peut-être devrions-nous prévoir, comme certains Etats, plusieurs formes de
révision constitutionnelle : une forme solennelle lorsque sont en cause les
éléments fondamentaux, tels les droits et les libertés, et une forme plus
souple, mieux adaptée aux révisions de la nature de celle que nous nous
apprêtons à décider.
Il me semble, en outre, que nous ne savons plus écrire les textes
constitutionnels et les textes législatifs aussi bien que dans le passé. Nous
n'avons sans doute plus la rigueur grammaticale et lexicale du xixe siècle, où
le sens de chaque mot était peut-être davantage le même pour tous.
(M. Jean-Claude Peyronnet applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur.
Vous pouvez toujours déposer des amendements !
M. Patrice Gélard.
Monsieur le ministre, je crois que, à l'avenir, nous devrons faire en sorte
d'attacher plus d'importance au choix des mots et à la qualité grammaticale des
textes que nous rédigeons. Et cela vaut, non seulement pour les textes
constitutionnels, mais aussi pour les autres.
Il est évident que l'imprécision amène ensuite le juge, qu'il s'agisse du juge
constitutionnel ou du juge de droit commun, à interpréter la volonté du
législateur. Or cette interprétation n'est pas toujours conforme à la volonté
qui nous animait lorsque nous avons adopté le texte en question.
M. François Marc.
Surtout s'il est écrit à la truelle !
M. Patrice Gélard.
Ces observations préalables et générales étant faites, quelles remarques
peuvent être formulées à l'occasion de la deuxième lecture de ce texte au Sénat
?
Je note d'abord que la tonalité du débat d'aujourd'hui n'est pas de même
nature que la tonalité du débat d'il y a quelques semaines. Il y a quelques
semaines, on agitait devant nous des monstres - on était, il est vrai, à
l'époque d'
Halloween ! (Sourires) -,
nous expliquant que le Gouvernement
nous engageait dans une voie extrêmement dangereuse, celle du fédéralisme,
voire celle de la régionalisation à l'espagnole ou à l'italienne !
Eh bien, ce genre de propos n'a plus cours.
Nous avons, en vérité, inventé autre chose : la décentralisation à la
française, dans le respect du caractère un et indivisible de notre Etat.
Je note également que nous n'avons pas modifié fondamentalement les grandes
options voulues par le Président de la République et le Premier ministre.
Le texte met en oeuvre un certain nombre de principes que nous partageons tous
ici. Qui, parmi nous, est contre la décentralisation ?
M. Raymond Courrière.
Vous !
M. Patrice Gélard.
Personne !
Qui, parmi nous, ne considère pas que la compensation entre les transferts de
charges doit s'effectuer normalement ?
M. Robert Bret.
Qu'est-ce que cela veut dire, « normalement » ? C'est un peu vague !
M. Patrice Gélard.
Personne !
Qui d'entre nous refuse de renforcer les pouvoirs de nos concitoyens par le
biais de la pétition ou du référendum ? Personne !
En d'autres termes, nous avons les mêmes objectifs, mais il existe entre nous
une différence fondamentale dans la manière de les atteindre.
Ces objectifs, ce sont d'ailleurs aussi ceux que visaient Gaston Defferre et
Pierre Mauroy.
M. Raymond Courrière.
Et que vous combattiez !
M. Patrice Gélard.
Voilà donc un texte constitutionnel qui pose toute une série de principes dont
l'absence nous empêchait d'adopter un certain nombre de dispositions ou nous
faisait risquer la censure du Conseil constitutionnel.
Quels sont ces principes ?
C'est, d'abord, l'organisation décentralisée de l'Etat : il fallait l'inscrire
dans la Constitution.
C'est, ensuite, l'affirmation du rôle du Sénat, notamment quant à la
représentation des Français à l'étranger.
(M. Robert Del Picchia applaudit.)
C'est également le droit à l'expérimentation, c'est-à-dire le droit
d'inventer, d'imaginer, droit que le carcan constitutionnel dans lequel nous
étions nous empêchait de mettre en oeuvre. Au nom de l'égalité plus ou moins
bien comprise, ou plus exactement d'un certain égalitarisme, nous empêchions
l'imagination créatrice de se manifester à l'échelon des collectivités
territoriales. Elle pourra dorénavant le faire.
Je mentionnerai encore la reconnaissance de la région, qui était déjà un fait,
ainsi que celle du droit de pétition et des référendums locaux, enfin inscrits
dans la Constitution et qui sont d'importantes avancées démocratiques.
M. Michel Mercier a parlé remarquablement tout à l'heure du principe de la
péréquation, qu'il fallait également inscrire dans la Constitution sous peine
de voir petit à petit l'autonomie financière des collectivités territoriales
réduite comme une peau de chagrin.
Enfin, n'oublions pas - mais M. Virapoullé a déjà évoqué ce point avec
beaucoup de talent - la nécessité d'intégrer dans notre Constitution des
éléments de souplesse concernant nos collectivités d'outre-mer, afin qu'elles
puissent s'adapter aux changements du monde contemporain.
A quoi sert-il, alors, de brandir ces épouvantails avec lesquels certains
voudraient à tout prix nous faire peur ? Les épouvantails en question sont
uniquement les fruits de leur imagination !
En réalité, ce texte permettra de faire faire un bond en avant à la
décentralisation, qui était bloquée depuis déjà un certain temps, et qui l'a
été en particulier pendant les cinq dernières années.
C'est la raison pour laquelle les sénateurs de l'UMP voteront cette révision
constitutionnelle dans le texte proposé par notre éminent rapporteur.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. Robert Bret.
Quel scoop !
M. le président.
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, à la douceur automnale a assez brutalement succédé le temps du
givre et des frimas.
Semble-t-il affectée par ce soudain refroidissement hivernal,...
M. Josselin de Rohan.
Sauf en Bretagne !
(Sourires.)
M. François Marc.
... la majorité sénatoriale, comme atteinte d'un engourdissement généralisé,
fait tout d'un coup silence sur les exigences multiples exprimées lors de la
première lecture.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. François Marc.
Présenté à la fin de l'été dernier, dans un concert louangeur hypermédiatisé,
le projet de loi de décentralisation du Gouvernement a, il est vrai, connu
différents avatars. Suite aux désaccords subitement constatés au sein de la
majorité lors de la première lecture au Sénat, certains articles d'un projet
visiblement mal préparé ont été rapiécés à la hâte.
Ce fut, par exemple, le cas de l'article 6, très largement reformulé et, pour
l'essentiel, vidé de sa substance « constitutionnelle ».
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. François Marc.
Par rapport aux ambititions de grande autonomie financière manifestées à
l'origine, la majorité, aujourd'hui frileusement emmitouflée, se rallie en
définitive à un projet de loi constitutionnelle qui, s'il témoigne d'une
inspiration nettement libérale, n'en apparaît pas moins comme un texte de
faible portée, flou dans sa formulation, imprécis quant aux conditions de mise
en oeuvre ou d'expérimentation et, à bien des égards, incapable de répondre aux
attentes des collectivités, notamment en matière financière et fiscale.
D'ailleurs, le débat sur la part « déterminante », opposée à la part «
prépondérante », des ressources des collectivités n'a fait que renforcer
l'inquiétude des élus locaux.
Répondant sur ce point aux interrogations des députés, vous avez, monsieur le
ministre, indiqué que le mot « déterminant » signifiait : « qui donne du sens
». Vous avez même ajouté ceci : « Il faut que la part des ressources propres
soit telle qu'elle assure la liberté des collectivités. » En d'autres termes,
plus on pourra s'appuyer sur un riche pontentiel fiscal local, plus on pourra
bénéficier des dotations de l'Etat et, selon vos propos, jouir de sa
liberté.
Dans ces conditions, malheur aux pauvres ! Car, comme le dit un vieux proverbe
polonais, « au pauvre, même la nuit de noces est courte ! »
Un texte qui intéresse de façon aussi fondamentale toutes les collectivités
locales de France se doit d'être très précis, surtout si leurs ressources sont
en cause.
Quelle définition quantitative précise attribuer à cet égard au mot «
déterminant » ? Selon le
Petit Robert
, un déterminant est un « nombre
défini par un algorithme sur une matrice carrée d'ordre
n,
introduit en
vue de résoudre un système d'équations linéaires ».
(Sourires.)
Alors, monsieur le ministre, s'il est vrai que ce sont les projets de loi
organique à venir qui vont préciser les données du problème, vous nous laissez
dans l'ignorance totale au sujet de votre algorithme et de votre système
d'équations !
(Nouveaux sourires.)
Privés d'informations fiables sur le devenir des financements, les élus locaux
sont incontestablement fondés à considérer que le Gouvernement a privilégié la
théorie des ensembles flous.
(Nouveaux sourires.)
Suivant en cela le Conseil d'Etat, très critique sur ce projet de loi, les
sénateurs socialistes ont, lors de la première lecture, souligné les
insuffisances du texte.
Nos interrogations ont visiblement ébranlé les convictions toutes neuves de
nombreux promoteurs zélés de ce projet gouvernemental. Mais vos amis, messieurs
les ministres, se rassuraient en se disant que l'examen du texte par
l'Assemblée nationale allait permettre de tout clarifier, de démontrer la
densité du projet de loi de décentralisation, bref, de révéler l'éclat sans
pareil du projet phare de M. Raffarin.
M. Robert Bret.
C'est surtout l'opacité !
M. François Marc.
Hélas ! là où Grouchy était espéré, ce fut Blucher qui survint au travers de
la prise de position assassine du président de l'Assemblée nationale, aide de
camp fidèle du Président de la République. Qu'on en juge : M. Jean-Louis Debré
a souligné les risques inhérents à « l'intégrisme décentralisateur » où chacun
se sentirait « autorisé à bâtir sa petite république sur son propre territoire
».
Incontestablement, les violons de la majorité ne sont pas du tout accordés sur
ce sujet majeur qui touche, je le rappelle, à notre Constitution
républicaine.
Mes chers collègues, il est encore temps de modifier profondément ce projet de
loi constitutionnelle. Car la logique de décentralisation qu'il dessine
s'inscrit à nos yeux dans un schéma libéral qui n'a plus grand-chose à voir
avec la démarche républicaine et solidaire lancée en 1982. M. le garde des
sceaux a d'ailleurs parlé de « rupture ».
Depuis quelques semaines, de nombreuses interventions reprennent à présent les
arguments que j'avais énoncés ici-même lors de la première lecture, au sujet de
l'impérieuse nécessité de réformer en profondeur notre système de financement
local avant d'envisager de lourds transferts de charges.
Finalement convaincu par ces arguments, le Gouvernement qui, au début de
l'automne, renvoyait cette réforme financière et fiscale aux calendes grecques,
annonce aujourd'hui sa mise en chantier pour le début 2003 ; mais rien de
concret n'est à ce jour défini.
Toujours est-il que, en l'état, le projet de loi du Gouvernement porte en
germe, outre une forte augmentaion des impôts locaux, une accentuation de
l'injustice fiscale et, du fait de sa logique libérale de compétition entre
territoires, un risque manifeste de creusement des inégalités entre
collectivités.
Je note d'ailleurs à ce sujet que le projet de loi de finances pour 2003 a,
une fois de plus, mis le Gouvernement face à ses contradictions : on ne peut
pas raisonnablement vouloir inscrire dans la Constitution le principe de
péréquation et, dans le même temps, réduire de manière drastique les dotations
affectées à des dispositifs de péréquation.
(Très bien ! sur les travées du
groupe socialiste.)
Lors de la discussion du budget au Sénat, le
Gouvernement, là encore, a dû changer de batteries et tenir compte de la
réalité du terrain.
Messieurs les ministres, alors que s'amorce la deuxième lecture au Sénat, bien
des interrogations demeurent concernant ce texte.
Ainsi, force est de constater que les inquiétudes des acteurs politiques
locaux ne sont pas retombées.
Tout d'abord, l'Association des maires de France réclame une prise en compte
du fait intercommunal, absent de votre texte.
M. René Garrec,
rapporteur.
Non !
M. François Marc.
Le Sénat serait donc bien inspiré de voter nos amendements en ce sens.
L'Association des maires de France souhaite également être assurée d'un
accompagnement financier de la décentralisation, ce qui est loin d'être acquis
lorsque l'on voit le peu de moyens que le Gouvernement est prêt à engager dans
le budget 2003 pour aider les collectivités locales.
Ensuite, les maires des petites villes ont fait part de leur crainte de voir
les inégalités entre collectivités riches et pauvres s'aggraver. Or rien dans
vos annonces ne permet aujourd'hui de les rassurer. Rappelons à ce sujet les
propos de M. le ministre du budget : « La décentralisation consiste à échanger
de la liberté contre de l'argent. » Cela n'est pas fait pour apaiser
l'inquiétude des élus locaux, et en particulier les maires des communes les
plus modestes.
Enfin, l'Assemblée des départements de France réclame une clarification dans
les transferts de compétences. Or, si vous annoncez de nouveaux transferts, on
ne sait rien aujourd'hui quant à la déclinaison de ces transferts entre
collectivités.
M. René Garrec,
rapporteur.
C'est prévu, mais ce n'est pas l'objet de ce texte !
M. François Marc.
Vous n'avez pas, non plus, encore apporté de réponses concrètes aux réserves
émises, à l'occasion des auditions et analyses réalisées au Sénat, par de
nombreux experts, qui soulignent l'inadéquation, voire l'obsolescence d'un
système financier local insuffisamment péréquateur.
D'importantes modifications doivent donc être apportées à ce texte, tant dans
sa philosophie que dans ses déclinaisons techniques, pour qu'il soit, à nos
yeux comme à ceux de nombreux acteurs locaux, porteur d'une dynamique de
décentralisation authentiquement solidaire et républicaine.
Nous souhaitons que, lors de cette deuxième lecture, le Sénat sache prendre la
mesure des attentes des élus locaux en modifiant les articles fondamentaux qui
restent en discussion, dans le sens d'une conception ambitieuse de la
décentralisation et respectueuse du pacte social et républicain.
Dans le cas contraire, le groupe socialiste votera contre ce texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il a donc
été décidé que ce texte serait voté conforme.
Déjà, en première lecture, il avait été décidé que les amendements de la
commission des lois seraient retirés, qu'ils tomberaient comme des feuilles,
qu'ils disparaîtraient.
Il a aussi été décidé, nous l'avons appris, que des amendements seraient
déposés à l'Assemblée nationale et qu'ils seraient rédigés de telle façon que
l'on avait d'ores et déjà la certitude qu'ils recueilleraient l'assentiment du
Sénat !
Il a enfin été décidé que, nonobstant le désaccord du président de l'Assemblée
nationale, les réticences de nombreux députés, et d'un nombre non négligeable
de sénateurs, ce texte serait voté aujourd'hui ou demain dans l'état où il nous
revient.
Nous l'avons tous compris - mais ce n'est pas une surprise ! -, dès lors que
quelques éminentes personnalités de l'UMP en avaient décidé ainsi, la messe
était dite. Chacun attend finalement que cela se termine.
Nous avons entendu à l'instant les regrets éternels de notre collègue M.
Gélard, qui nous a dit, avec son grand talent, toute la mélancolie qui était la
sienne.
Vous avez raison, monsieur Gélard, les constitutions ne sont plus ce qu'elles
étaient ! Les textes constitutionnels sont maintenant mal rédigés, les termes
ne sont pas appropriés. Oui, il faut écrire cela autrement.
Alors, mon cher collègue, faisons-le ! Pourquoi avez-vous décidé aujourd'hui
de vous priver du droit souverain des parlementaires à amender un texte ?
Est-il vraiment indispensable pour la Constitution de la République française
que ce texte soit voté aujourd'hui ? Quinze jours, trois semaines de débats
supplémentaires porteraient-ils atteinte au dessein du Gouvernement ? Ce projet
de loi tient-il vraiment la route ? Tout le monde connaît les réponses à ces
questions.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le compte rendu de la réunion du 4 décembre
2002 de la commission des lois, qui est d'ailleurs fort bien fait. Il y est
écrit que M. Garrec « s'est étonné que la commission des finances de
l'Assemblée nationale n'ait pas pris soin de modifier la dernière phrase de
l'article 39 de la Constitution ». Il aurait, en effet, été logique qu'elle le
fasse.
M. René Garrec,
rapporteur.
Dans sa logique !
M. Jean-Pierre Sueur.
Dans sa logique !
Je continue ma lecture : « Dans un souci de conciliation, il - M. le
président-rapporteur - n'a pas proposé de réparer ce qui n'était sans doute
qu'un oubli. »
Nous rédigeons la Constitution de la République française ! M. le président de
la commission des lois constate qu'il y a un oubli, que le texte est mal rédigé
et qu'il ne tient pas la route, mais, dans un souci de conciliation, on va
faire comme si on ne s'en était pas rendu compte !
M. René Garrec,
rapporteur.
Je pensais que cet alinéa était inutile !
M. Jean-Pierre Sueur.
De même, les déclarations de M. Gélard, lors de cette même réunion, sont
vraiment excellentes.
Mme Nicole Borvo.
Ah oui, elles sont vraiment très bonnes !
M. Jean-Pierre Sueur.
M. Gélard a considéré à juste titre que certains amendements adoptés par
l'Assemblée nationale étaient inutiles. Mes chers collègues, cette inutilité,
qui est brillamment démontrée par M. Gélard, va cependant subsister dans le
texte de la Constitution !
Mme Nicole Borvo.
C'est mal écrit !
M. Jean-Pierre Sueur.
Elle subsistera sauf si vous acceptiez de suivre ses conseils et de retirer
ces quelques membres de phrases qui ne s'imposent pas.
M. Gélard ajoute que, si certains membres de phrases sont inutiles, d'autres
sont imprécis, comme la disposition selon laquelle les collectivités
territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être exercées à leur échelon.
Vous avez tout à fait raison, monsieur Gélard. Mais, si vous pensez que cette
rédaction est imprécise, alors même que nous en avons largement débattu,
pourquoi ne pas adopter les nombreux amendements qui permettraient de la
préciser ?
Nous nous retrouverons devant un texte dont chacun sait les nombreux problèmes
qu'il pose : MM. Peyronnet et Marc les ont exposés. Il est vraiment
incompréhensible de persister à inscrire dans l'article 1er de la Constitution
que l'organisation de la République est décentralisée. Je rappelle que la
commission des lois avait majoritairement décidé d'inscrire : « L'organisation
territoriale de la République est décentralisée. »
M. René Garrec,
rapporteur.
Oui, mais les choses ont changé !
M. Jean-Pierre Sueur.
En quoi cette précision, qui est essentielle, gênerait-elle ? En effet, tout
le monde sait bien que ni le Président de la République, ni le Sénat, ni
l'Assemblée nationale, ni le Conseil d'Etat, ni les préfets ne sont
décentralisés.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur.
Tout le monde sait bien qu'il serait opportun d'ajouter cette précision mais
personne, au sein de la majorité, ne dit qu'il faut l'inscrire. C'est absurde.
Que perdrait-on à le faire ? Pourquoi vous obstinez-vous dans cette attitude
qui consiste, aujourd'hui, à ne plus accepter aucun amendement.
Nous trouvons à l'article 4 une autre source d'inquiétudes : « Toute autre
collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place
d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa. » Cette
formulation permet de fabriquer toutes sortes de collectivités aux contours
imprécis, qui se substitueraient, par exemple, à plusieurs communes, à
plusieurs départements ou à un ensemble indéfini de collectivités. Il y a là
une imprécision qui aboutit à une conception aléatoire de la République, qui
n'est pas la nôtre.
Il en est de même quand on dit que « les collectivités territoriales ont
vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le
mieux être mises en oeuvre à leur échelon ». On comprend tout de suite que le
Conseil constitutionnel aura beaucoup de travail et qu'il ne manquera pas
d'interpréter ce « mieux ».
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois.
Il y aura une loi
organique...
M. Jean-Pierre Sueur.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. François Marc.
C'est du charabia !
M. Jean-Pierre Sueur.
Ce « mieux » ne veut pas dire grand-chose, pas plus que cet adjectif «
déterminant », auquel vous vous accrochez toujours et qui ne signifie
strictement rien, comme nous l'avons montré à maintes reprises.
M. René Garrec,
rapporteur.
M. le garde des sceaux a confirmé qu'il avait un sens !
M. Jean-Pierre Sueur.
Mes chers collègues, vous pensez donc qu'il est bon d'ajouter du flou, du
vague, de « l'inconstitué » à la Constitution de la République française. Vous
en prenez l'entière responsabilité, car vous savez bien que vous pourriez tout
à fait agir autrement...
Je conclurai mon intervention en évoquant un article dont il a été aussi
beaucoup question, l'article 3.
Je me souviens que M. le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, et
vous-mêmes, messieurs Perben et Devedjian, aviez fait preuve d'une certaine
éloquence pour présenter devant notre assemblée cet article 3 qui allait donner
au Sénat le pouvoir de délibérer en priorité de tous les projets de loi
traitant de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs
compétences, de leurs ressources, de leurs finances.
Je n'aurai pas la cruauté...
M. Jean Bizet.
C'est surprenant !
M. Jean-Pierre Sueur.
... - vous savez que ce n'est pas mon habitude de citer, comme je l'ai fait
tout à l'heure, les propos de la commission des lois.
M. Robert Bret.
Vous pouvez le faire, c'est tellement délicieux !
M. Josselin de Rohan.
Ne vous gênez pas, nous sommes tout ouïe !
M. Jean-Pierre Sueur.
Je l'ai fait parce qu'il s'agissait de paroles très sages de la commission.
Mais, à cet instant de mon propos, ce ne serait pas...
M. René Garrec,
rapporteur.
... très élégant !
M. Jean-Pierre Sueur.
Effectivement, ce ne serait pas très élégant de relire les déclarations par
lesquelles vous nous présentiez ici ce magnifique cadeau : enfin, le Sénat
allait vraiment s'exprimer en premier sur tout ce qui concerne les
collectivités locales, leurs compétences et leurs finances.
Aujourd'hui, nous avons lu le compte rendu des débats de l'Assemblée
nationale.
M. Raymond Courrière.
Oui !
M. Jean-Pierre Sueur.
Il n'est plus question que de l'organisation. Encore ne présente-t-on de
celle-ci qu'une conception très restreinte. Si bien que vous arrivez avec un
cadeau qui est tout déplumé !
(Sourires sur les travées du groupe
socialiste.)
C'est un cadeau qui est devenu très petit. Il y a certes encore le papier
d'emballage, un morceau de la ficelle, mais, en fin de compte, que reste-t-il ?
(M. le ministre délégué rit.)
Pas grand-chose !
Enfin, mes chers collègues, pensez-vous qu'il soit raisonnable aujourd'hui,
d'abord, d'accepter un cadeau aussi petit, puis, en guise de remerciements pour
un tel cadeau, de vous priver du droit d'amendement qui est inscrit dans la
Constitution !
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du
groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je veux, pour l'essentiel, apporter quelques réponses aux
intervenants.
Madame Mathon, vous ne croyez pas à l'intérêt d'un élargissement des
compétences locales et des capacités d'initiative, si j'en juge par votre
discours qui va à l'encontre de la volonté qui est celle du Gouvernement et,
manifestement, celle de la majorité parlementaire.
Autre observation, madame Mathon : je n'ai pas bien compris votre hostilité,
au moins dans la forme, à la recherche d'une meilleure efficacité de la dépense
publique. Il me semble que, quelle que soit la conception que l'on peut avoir
du service public, de la dimension de l'espace public dans l'économie
nationale, nous devons tous avoir la volonté de l'efficacité en matière de
dépense publique. C'est, en tout cas, un souci que je vous propose bien
volontiers de partager.
Je remercie M. Virapoullé de la fougue, de la passion avec laquelle il nous a
de nouveau fait part de son sentiment républicain. Il a souligné l'intérêt de
ce débat pour améliorer le texte au fil du temps. C'est précisément l'objet du
débat parlementaire...
Plusieurs sénateurs socialistes.
Quelle amélioration ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Et puisque quelques-uns sourient, je voudrais dire à M.
Sueur, dont certains propos m'ont quelque peu surpris, que, à force de tenir un
discours paradoxal, on s'enferme soi-même dans le paradoxe ! Ainsi, vous ne
pouvez pas, monsieur le sénateur, reprocher au Gouvernement un débat que vous
avez qualifié de tronqué et lui fait grief en même temps d'avoir accepté que
l'Assemblée nationale comme le Sénat modifient le texte qui leur était proposé.
Il faut choisir un angle d'attaque !
M. Claude Estier.
C'est parce que votre texte était mauvais !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
De même, monsieur Sueur, je voudrais vous suggérer,
puisque vous avez beaucoup fait référence à nos déclarations respectives, de
vérifier la compatibilité de vos propres déclarations avec celles de vos amis
politiques à l'Assemblée nationale. Je vous le conseille en particulier sur
l'article 3.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union
centriste.)
En effet, une cohérence politique s'impose, me semble-t-il, en
fonction de l'engagement que l'on affiche tout naturellement.
M. Raymond Courrière.
Ici, on est au Sénat, pas à l'Assemblée nationale !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Contre l'article 3, nous sommes unanimes !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je veux maintenant remercier M. Mercier de sa
profession de foi décentralisatrice. Le Gouvernement a entendu - tant Patrick
Devedjian que moi-même et nous en ferons part aux autres ministres concernés -
le souhait qu'il a exprimé de débattre le plus rapidement possible de la
réforme de la fiscalité locale et des ressources des collectivités
territoriales. Cela sera, bien sûr, l'un des sujets importants contenus dans
les textes d'application qui seront proposés par le Gouvernement au printemps
prochain.
Monsieur Delfau, à cet égard, j'ai bien entendu le souhait que vous avez
exprimé à la fin de votre intervention en ces termes - je ne crois pas déformer
vos propos : « Etonnez-moi et donnez-moi tort » !
Nous allons nous y appliquer, monsieur le sénateur, je le dis avec cordialité
et amitié. Je pense que vous aurez l'occasion de constater, dans les mois qui
viennent, que le Gouvernement est tout à fait sincère dans sa volonté de
décentraliser et d'aider les collectivités territoriales à porter les
initiatives des élus locaux et de nos concitoyens. Monsieur Peyronnet, j'ai eu
un peu de mal à percevoir la cohérence pouvant exister entre vos propos et ceux
que nous ont tenus durant des heures qui nous ont semblé assez longues, à M.
Patrick Devedjian et à moi-même, vos amis à l'Assemblée nationale. Décidément,
selon que le parti socialiste siège ici ou là, son propos varie. Les
contraintes géographiques ont de curieux effets.
M. Claude Estier.
De quelle différence parlez-vous ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je parle, en particulier, de l'article 3, monsieur
Estier.
M. Claude Estier.
L'article 3, nous en avons tous demandé la suppression !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui ! Tous !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Ce n'est pas ce que j'ai entendu dire tout à l'heure
par MM. Sueur et Peyronnet.
M. Jean-Pierre Sueur.
On va en reparler !
M. Claude Estier.
C'est trop facile, monsieur le ministre !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
En termes de variabilité de déclarations...
M. Claude Estier.
C'est vous qui variez !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
... Patrick Devedjian me faisait en confidence le récit
des déclarations du président de conseil général que vous êtes aussi, monsieur
Peyronnet, qui manifeste localement son grand intérêt pour le principe de
l'expérimentation... principe que lui-même et ses amis combattent en d'autres
lieux !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je n'ai jamais dit cela !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
L'autre observation très importante que je voulais
faire, monsieur Peyronnet, sera pour expliquer le refus qui est le nôtre d'une
définition
a minima...
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le garde des sceaux, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je voudrais d'abord terminer mon propos. Je voulais
m'expliquer sur le refus de notre part d'une définition
a minima
des
compétences de l'Etat, monsieur Peyronnet.
M. Raymond Courrière.
Vous n'avez pas de courage !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Monsieur le sénateur, ce point est très important pour
le débat constitutionnel.
M. Raymond Courrière.
Mais vous devriez écouter M. Peyronnet !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Accepter une définition
a minima
des compétences
de l'Etat, ce serait opter pour le fédéralisme, ce que nous ne voulons pas.
C'est très clair : nous sommes favorables à une décentralisation au sein d'une
République unitaire. Donc, le débat n'est pas médiocre.
M. Raymond Courrière.
C'est votre texte qui est médiocre !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Nous refusons cette définition
a minima
des
compétences de l'Etat, parce qu'elle ne correspond pas à notre conception de la
décentralisation.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
En ayant maintenant terminé avec l'élément de ma réponse qui s'adressait à M.
Peyronnet, je l'écouterai très volontiers.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, avec l'autorisation de M. le garde
des sceaux.
M. Jean-Claude Peyronnet.
M. le ministre manie le sous-entendu avec un art consommé, mais néanmoins très
discutable.
On pourrait débattre sur la question de l'article 3, mais je n'y reviendrai
pas puisque nous allons en reparler dans très peu de temps.
En revanche, j'ai été mis personnellement en cause s'agissant d'un prétendu
ralliement à l'expérimentation et d'une prétendue contradiction entre ce que
j'exprime devant vous aujourd'hui et ce que j'ai pu exprimer devant M.
Devedjian lors des assises des libertés locales à Limoges.
Je voudrais que M. Devedjian - ou M. Perben - cite avec exactitude les propos
que j'ai pu tenir sur ce point, car je ne crois pas du tout m'être rallié,
d'une quelconque façon, à l'expérimentation. Je n'ai pas dit non plus ici, et
aucun de mes amis ne l'a dit, que nous étions fondamentalement opposés à
l'expérimentation.
M. Josselin de Rohan.
Ah oui, ce n'est pas ce que vous avez dit ? J'ai pourtant cru comprendre le
contraire !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Nous sommes contre l'expérimentation que vous souhaitez pratiquer.
(Ah,
voilà ! sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois.
Ils sont pour l'expérimentation
en Corse !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Nous sommes contre cette espèce de course à l'échalote qui fait que, en effet,
les uns demandent ceci, les autres cela, l'Etat, finalement, se trouve
dépouillé de ses prérogatives régaliennes, ou risque de l'être. C'est ce que
nous avons dit.
J'ai dit et répété - et à plusieurs reprises s'agissant de mon département,
puisque vous faites allusion à ma fonction de président de conseil général -
que, pour ce qui me concernait, je ne demandais strictement rien !
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission des lois.
Sauf un peu d'argent !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Et je mets au défi M. Devedjian, qui était présent, de contredire mon propos !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faudra qu'on le répète encore souvent !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je vous remercie, monsieur Peyronnet, de m'avoir
rassuré sur la cohérence de l'expression de votre pensée.
(M. Michel
Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Je crois vous avoir répondu en toute
sympathie.
Monsieur Darniche, vous souhaitez, comme nous, que la réforme de la fiscalité
locale intervienne le plus rapidement possible. Ce sera l'un des éléments
importants qui figureront dans les textes d'application de la réforme
constitutionnelle.
Enfin, je veux dire à M. Marc que nous n'avons pas exclu le fait intercommunal
de ce projet. C'est un des points d'évolution du texte, je crois qu'il faut
aussi que chacun le reconnaisse.
Un débat a eu lieu au Sénat et à l'Assemblée nationale sur cet aspect des
choses. Le texte a été modifié, le Gouvernement a accepté un certain nombre
d'amendements et il a pris en compte la dimension intercommunale. L'idée est
non pas d'inscrire dans la loi, en tant que collectivités territoriales, des
structures publiques qui n'en ont pas le statut, mais de reconnaître le fait
intercommunal à travers à la fois la possibilité de réaliser des
expérimentations et de jouer le rôle de chef de file. Cette reconnaissance du
fait intercommunal est donc bien réelle.
J'insiste sur le fait que le texte a été modifié par l'adoption d'amendements
d'origine parlementaire ; c'est donc en commun que le Gouvernement et les deux
assemblées ont élaboré ce projet de réforme constitutionnelle.
Tels sont, monsieur le président, les quelques éléments de réponse que je
souhaitais apporter aux orateurs.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Je souhaite très courtoisement
répondre à M. Peyronnet.
Tout d'abord, je considère qu'on ne peut faire état, au cours d'un débat
public, que de propos publics. Monsieur Peyronnet, je me bornerai donc à ne
rapporter que des propos publics ; les autres appartiennent à la vie privée,
ils peuvent être échangés entre adversaires politiques, mais, de mon point de
vue, ils doivent demeurer du domaine privé.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Bien sûr !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Ce n'est donc pas du tout l'objet de mon
intervention.
Monsieur Peyronnet, je relève que vous avez vous-même - avec humour et
amabilité - indiqué que, à Limoges, vos propos étaient différents sur le fond,
tout comme sur la forme, de ceux que vous aviez tenus la veille au Sénat au
cours d'un débat assez vif. Vous avez rappelé, ce que je ne conteste pas - je
veux simplement montrer la différence -, qu'au Sénat vous êtes le représentant
d'une formation politique, ce qui est vrai, alors que lors des assises des
libertés locales vous étiez le représentant d'un département, ce qui est
également vrai. Je crois que c'est ce que vous avez dit.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Tout à fait !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Ce sont des propos publics, alors je m'empresse de les
reprendre.
S'agissant de l'expérimentation, sans faire non plus de procès d'intention, il
est vrai que, au cours du débat, le Gouvernement a été appelé à donner un grand
nombre d'explications sur la manière dont il la concevait.
Il est vrai aussi, monsieur Peyronnet, que, plus le débat a avancé, plus il a
donné lieu à des explications et à des encadrements. J'ai moi-même indiqué que
les expérimentations devaient être réversibles, généralisables, qu'elles
devaient donner lieu à une forme de volontariat que le Parlement autoriserait
et finaliserait.
Mais il est également vrai que, à un certain moment, les socialistes en
particulier avaient eux-mêmes engagé le débat sur l'expérimentation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On n'est pas contre !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Le droit à l'expérimentation est inscrit dans la loi
Vaillant, sans aucun encadrement, sans aucune condition, je le souligne !
(M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
M. Josselin de Rohan.
C'est exact !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
L'expérimentation est prévue dans cette loi pour les
ports, les aéroports et l'inventaire supplémentaire des monuments historiques,
mais il n'est fait référence à aucune condition.
(M. Michel Dreyfus-Schmidt
proteste.)
Dans ce projet de loi, au contraire, deux conditions ont été
inscrites, à savoir l'objet et la durée limite, par voie d'amendements
sénatoriaux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non, c'est à l'Assemblée nationale !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Il me semble que c'est dans cette enceinte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
On m'indique que c'est ici, vérifiez-le !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous aussi !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Au fur et à mesure de la discussion, nous avons précisé
que la loi organique mettrait en place un encadrement. Et il est tout à fait
exact que, dès lors, l'opposition, notamment vous, monsieur Peyronnet, a
considéré que l'expérimentation était beaucoup plus acceptable.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Ce n'est pas ce que j'ai dit à Limoges !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Votre propos a été de dire que vous faisiez la
différence entre Limoges un jour et le Sénat la veille, où le ton était
peut-être un peu vif.
M. Jean-Claude Peyronnet.
C'est logique !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Vous l'avez dit avec humour et une bonne compréhension
du phénomène.
M. Michel Moreigne.
En somme, il est courtois à domicile !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable