SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Borvo, auteur de la question n° 51, adressée à M.
le ministre de la culture et de la communication.
Mme Nicole Borvo.
Cerruti, Yves Saint Laurent, Louis Féraud, Inès de La Fressange : la création
française, la haute couture française sont aujourd'hui gravement menacées,
monsieur le ministre.
Sacrifiés, les salariés à la productivité et à la rentabilité financière de
Cerruti mènent une bataille exemplaire pour défendre leurs droits et leur
dignité ainsi que pour préserver l'avenir de la haute couture et du
prêt-à-porter, à Paris comme ailleurs. Des représentants de ces salariés sont
aujourd'hui dans nos tribunes et vous écouteront avec attention, monsieur le
ministre.
Leur révolte a suscité la mise en place d'un comité de soutien qui compte des
artistes et de nombreux élus. La Mairie de Paris, sous l'impulsion des élus
communistes, a témoigné sa solidarité avec les actions conduites par les
salariés et a suspendu tous les partenariats en cours ou en projet avec la
maison Cerruti.
Monsieur le ministre, les créations de la haute couture sont des oeuvres
culturelles qui font partie de l'exception culturelle et qui contribuent
grandement au prestige de la France et de sa capitale dans le monde. La haute
couture se situe à la fin de la chaîne, très rentable, du prêt-à-porter et peut
être comparée au cinéma.
Ne pas tenir compte de cette spécificité culturelle ne peut avoir que des
conséquences désastreuses tant économiques et sociales que culturelles. L'Etat
doit, au contraire, affirmer la dimension culturelle de la mode en tant que
patrimoine vivant qu'il convient d'enrichir et, dans une conjoncture difficile
comme celle que nous connaissons aujourd'hui, de sauvegarder.
Dans ce cadre, l'Etat devrait contribuer à relancer une véritable politique
d'apprentissage, des transmissions de savoir et des compétences dans ce
secteur, ce qui constituerait l'une des garanties pour assurer l'avenir de
cette branche prestigieuse.
Par ailleurs, ne s'agirait-il pas de créer un fonds d'aide à la création,
comme il en existe pour le cinéma et la chanson ? Car si, aujourd'hui, il y a
encore un cinéma d'auteur en France, on le doit à ce système. Peut-on faire
moins pour la création dans la haute couture et dans la mode ?
Il serait également souhaitable que la tutelle gouvernementale exercée sur la
mode en tant qu'industrie culturelle soit rééquilibrée en faveur du ministère
de la culture. Ce rééquilibrage constituerait un premier pas vers la véritable
reconnaissance de la mode en tant que partie intégrante de l'exception
culturelle.
Je souhaiterais également que vous accueilliez favorablement la proposition de
créer une mission d'enquête parlementaire sur l'activité haute couture et
prêt-à-porter tant parisienne que nationale. Dans l'immédiat, toutes les
mesures pour sauver l'emploi et l'avenir de cette branche doivent être prises.
Quel est votre avis sur cette question, monsieur le ministre ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jacques Aillagon,
ministre de la culture et de la communication.
Madame la sénatrice, jeudi
dernier, la maison Yves Saint Laurent Haute Couture a fermé définitivement ses
portes. L'avenir de la haute couture fait, bien sûr, partie de mes
préoccupations et de celles du Gouvernement. Comment pourrait-il en être
autrement ? Cette préoccupation se porte sur l'ensemble du secteur de la mode
et de la couture, y compris la situation de l'entreprise Cerruti et de ses
salariés.
La dimension culturelle de la mode est incontestable ; elle est d'ailleurs
hautement reconnue dans notre pays, dont les créateurs jouissent d'un statut
prestigieux. Cette dimension est illustrée par l'action de nombreuses
institutions culturelles, notamment les musées de la mode et du costume : à
Paris, le musée Galliera, qui relève de la Ville de Paris, et la section de la
mode et du costume du Musée des arts décoratifs, qui relève de l'Etat.
Elle est également illustrée par les nombreux dispositifs mis en place par le
ministère de la culture et de la communication, notamment par la délégation aux
arts plastiques en faveur de la formation des jeunes créateurs ou de la
transmission des savoirs. S'il existe encore une activité de fabrication de
dentelle d'Alençon dans notre pays, par exemple, c'est grâce à la création de
l'Atelier national de la dentelle par le ministère de la culture.
La dimension industrielle du secteur n'en est pas moins évidente. Cette
activité de création engendre, vous le savez, une économie massive, en général
florissante. Nous pouvons, certes, intensifier une aide déjà soutenue à la
formation et à l'apprentissage, notamment dans le cadre de nos écoles d'art.
L'Etat ne peut cependant pas envisager de prendre en charge ou de protéger
directement, de façon artificielle, l'ensemble de ce vaste secteur.
Il appartient aux professionnels d'assumer, dans ce domaine, leur entière
responsabilité. Si la mode existe en France, si l'économie de la mode contribue
largement à l'équilibre de la balance commerciale et au rayonnement de notre
pays dans le monde, il revient aussi aux professionnels d'assumer l'ensemble de
leurs responsabilités à l'égard du phénomène de la création. D'ailleurs, la
plupart des professionnels le savent.
Que certaines maisons ferment est, certes, toujours regrettable, mais telle
est l'histoire de la mode dans notre pays. Parallèlement, à chaque saison de
défilé, nous constatons avec bonheur que de nouvelles maisons, animées par de
jeunes créateurs, apparaissent sur le devant de la scène.
Dans ces conditions, madame la sénatrice, la création d'une commission
d'enquête parlementaire sur l'activité haute couture et le prêt-à-porter
est-elle nécessaire ? Le sujet est important. Votre souhait traduit une
inquiétude tout à fait légitime que je partage. Je n'ai cependant pas, vous le
savez, à me prononcer sur cette question, la constitution d'une commission
d'enquête parlementaire relevant de la décision souveraine de la Haute
Assemblée. Si, en tout cas, une telle commission était créée, je répondrais à
son invitation très volontiers.
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse qui, cependant,
conforte mes inquiétudes.
Nous avons récemment eu un débat, dans cette enceinte, sur la situation de
l'industrie textile. Je rappelle que le secteur du textile-habillement, auquel
sont rattachés la mode et le prêt-à-porter, va mal. Alors qu'elle employait un
million de salariés à la fin des années soixante, la filière
textile-habillement-cuir connaît, depuis les années soixante-dix, un processus
continu de régression : en trente ans, elle a perdu les deux tiers de ses
effectifs, soit environ 20 000 emplois par an, et l'hémorragie continue, au
rythme de 2 000 suppressions d'emplois par mois.
N'est-il pas temps aujourd'hui, au regard de la situation, d'oser d'autres
choix et de faire preuve de plus de volontarisme ? Telle est la question sur
laquelle nous avions débattu, notamment en ce qui concerne le versant
industriel. Or, nous pensons que l'avenir de la haute couture est lié à celui
du secteur industriel.
Il serait souhaitable, selon moi, dans un premier temps, d'ouvrir l'actuel
comité de développement et de promotion de l'habillement, alimenté par les
taxes parafiscales, pour permettre des actions de promotion du secteur de
l'habillement contrôlé par l'Etat et l'aide à la création, comme le souhaite
d'ailleurs la Mairie de Paris, qui vous saisira sans doute de cette
question.
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