SEANCE DU 10 JUILLET 2002
CONVENTION DE LONDRES
RELATIVE À L'AIDE ALIMENTAIRE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 133, 2001-2002),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention
de Londres relative à l'aide alimentaire. [Rapport n° 299 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier
secrétaire d'Etat aux affaires étrangères.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dès l'immédiat
après-guerre, la coopération internationale s'est efforcée de stabiliser les
cours des céréales. Cet effort s'est manifesté tout d'abord par l'accord
international sur le blé, signé en 1949. Dans ce contexte, l'aide alimentaire a
souvent été vue comme un instrument de cette stabilisation. Tel était le cas de
la fameuse loi PL 480 des Etats-Unis d'Amérique.
Cependant, l'idée que l'aide alimentaire répondait aussi à des considérations
liées au développement des pays récipiendiaires a commencé à émerger avec la
création, en 1963, du Programme alimentaire mondial.
L'accord initial, reconduit à plusieurs reprises, est ainsi devenu l'accord
international sur les céréales de 1995, qui se divise en deux instruments
distincts : d'une part, la convention sur le commerce des céréales de 1995, qui
relève de la compétence exclusive de l'Union européenne, et qui a depuis été
renouvelée jusqu'en 2003 ; d'autre part, la convention relative à l'aide
alimentaire du 5 décembre 1994, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1995
pour trois ans et qui a été prorogée d'un an. Celle-ci donne lieu à compétence
partagée entre l'Union européenne et ses Etats membres.
La convention relative à l'aide alimentaire a été renouvelée le 13 avril 1999,
afin de couvrir la période du 1er juillet 1999 au 30 juin 2002, avec des
possibles prorogations ne dépassant pas deux années.
Pour ne pas introduire de rupture dans la politique de l'aide alimentaire, la
plupart des pays signataires, dont la France, ont déposé une déclaration
d'application à titre provisoire.
La convention fixe les participations minimales des membres en équivalent blé
et en valeur. Toutefois, les engagements sont définis uniquement
a
minima,
ce qui permet aux Etats-Unis de dépasser de plus du double leur
engagement et, ainsi, de déstocker leurs excédents.
Cette contribution prend la forme de dons de céréales, de produits transformés
à base de céréales, ainsi que, dans certaines limites, de produits diversifiés
: huile, lait, sucre... Cette diversification des produits permet aux donateurs
de mieux répondre aux besoins des populations ciblées.
La vente à des conditions préférentielles ou dans le cadre de crédits est
limitée à 20 % de l'engagement des Etats signataires, ce qui permet de
restreindre l'usage de cette technique par les Etats-Unis et le Japon, qui
pratiquent ainsi des subventions à l'exportation non soumises aux engagements
de réduction pris au sein de l'OMC. Pour les pays les moins avancés, la
totalité de l'aide doit être consentie sous forme de dons.
Enfin, les donateurs s'engagent à ne pas lier l'octroi de l'aide à des
exportations commerciales de produits ou de services.
De plus, pour promouvoir le développement agricole local, une partie des
contributions peut être versée en espèces dans le cadre d'achats locaux de
produits alimentaires ou d'opérations triangulaires avec un autre pays en
développement.
L'effort consenti par notre pays au titre de la convention porte,
indépendamment de sa quote-part à l'aide fournie par l'Union européenne, sur un
contingent annuel de 200 000 tonnes d'équivalent céréales.
Cet effort est d'autant plus justifié que les perspectives concernant la
sécurité alimentaire mondiale sont préoccupantes et risquent de se dégrader
encore en Afrique subsaharienne. Il n'est donc pas à exclure, si les tendances
actuelles se poursuivent, qu'il faille mobiliser à l'avenir des moyens plus
importants que ceux qui sont prévus actuellement par la convention.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention
de Londres relative à l'aide alimentaire, qui fait l'objet du projet de loi
aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Penne,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'examen de cette convention a conduit notre commission à
formuler quatre constats.
Tout d'abord, ce fait qui, à l'aube du nouveau siècle, ne peut que choquer
toute conscience éprise de justice et de progrès : 800 millions d'individus
souffrent encore de la faim dans un monde qui, par ailleurs, peine à gérer ses
excédents agricoles. Sans doute, au cours des cinquante dernières années, la
situation alimentaire a-t-elle progressé, mais aujourd'hui, de manière
inquiétante, ce mouvement marque le pas.
Le Sommet mondial de l'alimentation de 1996 s'était fixé pour ambition de
réduire de moitié le nombre de mal nourris à l'horizon 2015. Pour atteindre cet
objectif, il faudrait que le nombre de personnes sous-alimentées se réduise
chaque année de 22 millions. Or, aujourd'hui, ce chiffre n'est que de 6
millions.
On mesure ici l'écart considérable entre les pétitions de principe de la
communauté internationale et une réalité moins glorieuse. Comment expliquer cet
écart ? Certes, les catastrophes naturelles apparaissent souvent comme la cause
la plus immédiate des crises alimentaires. Mais les guerres ont aussi une
lourde part de responsabilité, du fait, souvent, de la volonté délibérée des
belligérants qui n'hésitent pas à prendre les populations civiles en otages de
leurs intérêts rivaux. L'Afrique apparaît comme la principale victime de ces
tragédies. La République démocratique du Congo est ainsi le pays qui a connu la
dégradation la plus forte de sa situation alimentaire, avec une augmentation de
35 % à 65 % du nombre de personnes sous-alimentées au sein de la population
totale.
D'une manière générale, la sous-alimentation a pour arrière-plan
l'insuffisance du développement au regard de la croissance démographique. La
population mondiale, je le rappelle, devrait passer de 5,7 milliards à 8,7
milliards d'habitants d'ici à 2030, dont 7 miliards dans les pays en
développement. Ces perspectives devraient interdire de s'en remettre à une
confiance sans limite dans la réduction inéluctable de la faim dans le
monde.
Or - et j'en viens ainsi au deuxième constat -, l'aide alimentaire n'a pas
été, jusqu'à présent, à la hauteur de l'enjeu. D'abord, elle a semblé obéir
davantage aux objectifs de régulation des marchés agricoles des pays du Nord
qu'aux besoins des pays du Sud. Plus encore, elle a parfois été motivée par la
recherche de nouveaux marchés, la modification des habitudes alimentaires
favorisant dans un second temps le développement de ventes à caractère purement
commercial. Au-delà de la satisfaction des besoins d'urgence, l'aide peut ainsi
créer une dépendance, à rebours de l'objectif d'autofinancement alimentaire
recherché.
Il faut rendre acte - et c'est le troisième constat - à la convention
aujourd'hui soumise à notre examen de chercher à prévenir ces dérives. Deux
dispositions me paraissent particulièrement positives : d'une part, la priorité
accordée aux achats de produits dans les pays bénéficiaires eux-mêmes ou leurs
voisins, afin de promouvoir le développement de l'agriculture locale ; d'autre
part, l'obligation, pour la première fois, de consacrer 80 % de l'aide
alimentaire sous forme de dons, alors que le principe de ventes à crédit était
jusqu'à présent une pratique couramment utilisée, notamment par les
Etats-Unis.
Enfin, je ne saurais conclure sans rappeler l'effort financier important que
notre pays engage en faveur de l'aide alimentaire, même si une partie de cet
effort - celui qui passe par le canal de l'aide communautaire - pourrait sans
doute être plus efficace. En effet, le taux d'exécution des engagements de
l'Union européenne au regard de la convention de Londres est passé, en quatre
ans, de 90 % à 65 %. Il faut mettre en cause, une fois de plus, comme notre
commission l'a fait à plusieurs reprises, la lourdeur du mécanisme de décision
et des procédures de l'aide extérieure mise en oeuvre par Bruxelles.
En conclusion, il faut le souligner de nouveau, la faim est le stigmate le
plus douloureux du sous-développement. C'est pourquoi son éradication ne
saurait passer par la seule aide alimentaire : elle implique l'ensemble des
outils de la coopération internationale, ainsi qu'une remobilisation des
ressources, dont l'érosion aujourd'hui nous inquiète.
C'est au bénéfice de ces observations que la commission vous invite, mes chers
collègues, à approuver le présent projet de loi.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur,
mes chers collègues, l'autorisation de la ratification de la convention de
Londres relative à l'aide alimentaire qui nous est aujourd'hui soumise ne doit
pas nous faire oublier le constat d'échec et les efforts très insuffisants que
revêt l'aide alimentaire.
En effet, 24 000 personnes meurent chaque jour de faim, soit une personne
toutes les quatre secondes, alors que la planète produit suffisamment de
céréales pour nourrir l'ensemble de la population mondiale. Ce sont 815
millions de personnes qui souffrent de malnutrition dans le monde et 200
millions d'Africains souffrent de faim chronique.
L'objectif, énoncé en 1996 lors d'un sommet de l'Organisation des Nations
unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, de réduire de moitié le
nombre de personnes souffrant de la faim dans les pays du Sud d'ici à 2015 ne
sera pas atteint. Comme l'a reconnu M. Diouf, directeur général de la FAO, il
devrait l'être avec quarante-cinq ans de retard.
En juin dernier, nous avons encore pu constater des carences en la matière
lors du sommet mondial de l'alimentation qui s'est tenu à Rome. Délaissé par
les dirigeants des pays du Nord, ce sommet, qui visait principalement à
relancer les efforts de lutte contre la faim, s'est achevé sans aucun réel
engagement de la part des pays industrialisés.
L'insuffisance de prise de décisions claires s'était déjà fait ressentir lors
de la conférence de Monterrey, au cours de laquelle l'engagement des chefs
d'Etat et de gouvernement en matière de développement a été bien inférieur à
celui qui est nécessaire pour atteindre l'objectif fixé de 2015.
Le simple fait de reconnaître la nécessité de l'aide alimentaire n'est pas
suffisant. Il ne faut en aucun cas céder aux chantres des belles promesses,
mais bel et bien agir.
La théorie libérale fondée sur l'affirmation que le libre-échange serait une
clef du développement montre toutes ses limites.
J'en veux pour preuve les mesures qui ont été prises par l'OMC, notamment lors
de la conférence de Doha en 2001, selon lesquelles l'abaissement des barrières
douanières permettrait de jouer un rôle moteur pour les agriculteurs des pays
du Sud. Le résultat est tout autre. En effet, les petits paysans du Sud, peu
productifs, se voient contraints de subir les prix internationalement fixés par
les pays industrialisés, très productifs et très subventionnés, ce qui les
empêche de dégager de réels profits et de progresser.
De plus, il est intolérable de voir l'existence de barrières douanières
imposées par l'OMC et les pays riches en ce qui concerne l'importation de
denrées agricoles en provenance des pays en voie de développement.
L'insécurité alimentaire s'accompagne, pour une large part, de la grande
pauvreté des populations touchées, cette pauvreté étant entretenue par les
inégalités entre les politiques agricoles et halieutiques du Nord et du Sud.
Il faut cesser de se cacher derrière un protectionnisme persistant et prendre
enfin la mesure des réalités mondiales engendrées par la famine.
Il faut également éviter de basculer vers un droit d'ingérence alimentaire et
laisser aux populations tout le pouvoir de gestion et de décision de leurs
politiques agricoles par la voie de la souveraineté alimentaire.
Il faut, enfin, engager un réel dialogue entre les pays pour adapter l'aide
alimentaire aux besoins et aux habitudes des populations concernées. Il faut
une aide juste et intelligente. Il s'agit, lorsque l'on parle de la vie d'êtres
humains, non pas de bonne conscience, mais de prise de conscience
généralisée.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera pour la ratification de la
convention de Londres, conscient de la nécessité de telles mesures, mais il
reste vigilant quant à la politique que décidera de mener la France en ce
domaine, en espérant que les futures décisions relatives à l'aide alimentaire
tiendront compte des réalités humaines de la faim dans le monde et non pas
seulement des impératifs économiques de certains pays riches.
M. le président.
La parole est à M. Jean Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je souhaite répondre à notre excellent collègue M. Le Cam.
S'il est vrai que le libéralisme absolu a sa part de responsabilité en ce
domaine, il n'est pas seul en cause. Il ne s'agit pas seulement d'opposer pays
riches, d'un côté, et pays pauvres, de l'autre ; d'autres facteurs peuvent
jouer. Il aurait peut-être été utile que notre collègue rappelle les
difficultés que connaît, par exemple, la Corée du Nord, où, à l'évidence,
d'autres raisons expliquent une misère qui est peut-être l'une des plus grandes
du monde !
M. Gérard Le Cam.
La Corée du Nord n'est pas un modèle pour moi !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique.
- Est autorisée la ratification de la convention
relative à l'aide alimentaire, faite à Londres le 13 avril 1999, et dont le
texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président.
Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.
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