SEANCE DU 21 FEVRIER 2002
PROTOCOLE ADDITIONNEL
CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 118, 2001-2002)
autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations
unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir,
réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des
enfants. [Rapport n° 217 (2001-2002)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jacques Floch,
secrétaire d'Etat à la défense, chargé des anciens combattants.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la convention contre la
criminalité transnationale organisée, que vous venez d'approuver, comporte un
premier protocole additionnel, visant à prévenir, réprimer et punir la traite
des personnes, en particulier des femmes et des enfants.
Plus d'un million de femmes et d'enfants sont chaque année victimes de la
traite des êtres humains. On estime à 500 000 le nombre de personnes victimes
d'un trafic en vue de l'exploitation sexuelle au sein de l'Union européenne.
Le développement inquiétant de cette forme de criminalité a déjà attiré
l'attention des pouvoirs publics, comme l'atteste la constitution, au sein de
l'Assemblée nationale, d'une mission d'information commune sur les diverses
formes de l'esclavage moderne, mission qui a rendu son rapport en 2001.
Le protocole additionnel à la convention de Palerme contre la traite des
personnes répond à l'urgence d'une lutte plus efficace contre le fléau de la
traite des êtres humains.
A l'instar de la convention contre la criminalité transnationale organisée, ce
protocole est avant tout un instrument répressif. Le protocole contre la traite
des personnes fait obligation aux Etats d'introduire dans leur législation
pénale des infractions permettant de poursuivre tous ceux, y compris les
groupes criminels organisés, qui se livrent à la traite.
Il contient une définition large de la traite, qui englobe un ensemble de
comportements visant à l'exploitation sexuelle, au travail forcé, à
l'esclavage, à la servitude ou encore au prélèvement d'organes. Cette
définition de la traite est assortie d'une disposition qui permet de poursuivre
les trafiquants, même lorsque ceux-ci invoquent le « consentement » de la
victime à l'exploitation. Cette clause particulièrement importante en matière
d'exploitation sexuelle supprime toute distinction entre la prostitution forcée
et la prostitution volontaire, en respectant l'approche abolitionniste de la
législation française.
Le volet répressif est équilibré par un volet préventif et des mesures de
protection des victimes.
Enfin, le protocole prévoit l'obligation de reprise par les Etats de leurs
nationaux et résidents permanents victimes de la traite.
Un lien fort et explicite unit le protocole à la convention-mère. Il faut être
partie à la convention pour adhérer au protocole. Une clause de rattachement
insérée en tête du protocole rend toutes les dispositions pertinentes de la
convention applicables à cet instrument, notamment en matière de coopération
judiciaire internationale.
La France a joué un rôle très actif dans la négociation de cet accord, qu'elle
a signé dès son ouverture à signature, le 12 décembre 2000, à Palerme. A ce
jour, le protocole compte 101 Etats signataires, dont cinq Etats parties.
Quarante ratifications sont requises pour son entrée en vigueur.
La transposition de cet accord nécessitera une adaptation de notre droit
interne, notamment afin d'y introduiree l'infraction de « traite des personnes
». En effet, actuellement, notre droit pénal ne permet pas d'asurer la
répression de l'ensemble des comportements définis par le protocole comme
constitutifs de la « traite des personnes ». Cette transposition pourrait
néanmoins intervenir prochainement dans le cadre de la discussion de la
proposition de loi renforçant la lutte contre les différentes formes de
l'esclavage aujourd'hui, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture
le 24 janvier 2002. Ce texte intègre dès à présent les obligations découlant,
pour notre pays, de la signature du protocole.
Telles sont les principales observations qu'appelle le protocole additionnel à
la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée
visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier
des femmes et des enfants, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis
à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite
des personnes, en particulier des femmes et des enfants, procède d'une
inspiration analogue à celle de la convention de Palerme contre la criminalité
transnationale organisée, que le Sénat vient d'adopter. Dans un domaine qui
touche à la dignité de la personne humaine, il tente d'apporter une réponse
adaptée à cette internationalisation des trafics qui est le fait de réseaux
criminels organisés et puissants.
Ce texte à vocation essentiellement pénale doit garantir dans le plus grand
nombre d'Etats la répression des comportements criminels liés a la traite des
personnes. Il doit surtout, sur un plan plus technique, favoriser
l'harmonisation des incriminations, condition indispensable d'une coopération
judiciaire internationale plus efficace. A cet effet, il donne de la traite des
personnes une définition désormais internationalement reconnue, définition qui
présente deux caractéristiques importantes.
D'une part, elle n'est pas limitative et comprend au minimum l'exploitation de
la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail
ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage,
la servitude et le prélèvement d'organes. Elle est suffisamment large pour
couvrir à la fois tous les intermédiaires qui, à un titre ou à un autre,
contribuent à ces activités criminelles, mais aussi tous les moyens utilisés
pour recruter les victimes, que ce soit la contrainte ou tout simplement la
tromperie.
D'autre part, elle stipule que le consentement de la victime de la traite à
son exploitation est sans effet sur la qualification de l'acte. Il s'agit là
d'une disposition particulière protectrice, qui facilitera considérablement la
preuve de la traite.
Outre l'obligation de reprendre, dans les législations pénales, cette
définition de la traite des personnes, le protocole comporte également d'autres
dispositions importantes, notamment sur la protection des victimes.
La commission des affaires étrangères a approuvé ce nouvel instrument
international. Certes, de nombreuses conventions internationales ont déjà en
partie abordé tel ou tel aspect du sujet. Cela étant, leurs champs
d'application ne sont pas rigoureusement identiques, au risque de donner le
sentiment d'un « maquis » assez complexe, alors que se pose par ailleurs la
question de leur application concrète.
Pourtant, les services judiciaires ont souligné les limites de ce corpus
juridique déjà important et l'intérêt d'un texte global, adapté aux formes
nouvelles de cette criminalité.
Il y a un peu plus d'un an, le Sénat avait publié un rapport d'information
important sur la prostitution, à la suite du travail mené par sa délégation aux
droits des femmes. L'accent avait été mis sur l'amplification d'un phénomène
qui s'est répandu dans toute l'Europe de l'Ouest, et notamment en France. Près
de la moitié de la prostitution répertoriée dans nos pays occidentaux serait
liée à des femmes et parfois des enfants venus de l'étranger, qui se trouvent
sous la coupe de bandes organisées.
Ces structures criminelles se retrouvent à tous les stades de la traite : lors
du recrutement dans le pays d'origine, lors du transfert à l'étranger, souvent
clandestin ou irrégulier, et lors de l'arrivée dans le pays de destination, où
ces personnes sont exploitées sous la contrainte.
En France, chaque année, nos services de police parviennent à démanteler une
vingtaine de réseaux. Nous constatons de plus en plus souvent, dans nos
communes, leur degré d'organisation, leur puissance financière et leur capacité
d'implantation.
Ce trafic fonctionne comme une véritable activité économique, mais n'hésite
pas à s'appuyer sur les formes les plus violentes d'intimidation. Déjà, par la
corruption, ces réseaux disposent de facilités dans divers pays d'origine et de
transit. Le risque est grand de les voir, demain, prendre racine chez nous,
dans les zones où l'autorité de l'Etat est fragilisée.
Il y a donc urgence à se doter de moyens plus adaptés de lutte contre ces
filières organisées.
Le protocole que nous examinons est l'un de ces moyens car, aujourd'hui,
beaucoup d'obstacles juridiques subsistent pour mettre en place la coopération
internationale indispensable à cette lutte.
Je rappellerai simplement qu'en matière de prostitution et de répression du
proxénétisme les traditions juridiques et culturelles de certains de nos
proches voisins sont très différentes des nôtres. La coordination
internationale, et en premier lieu européenne, est donc nécessaire, en
particulier sur le plan pénal.
Au-delà des moyens juridiques, un renforcement des moyens humains et matériels
des services de police spécialisés est absolument indispensable. Il doit, lui
aussi, intégrer la dimension européenne.
En conclusion, la commission des affaires étrangères a jugé nécessaire que la
France, qui a signé ce protocole dès les premiers jours, puisse rapidement
procéder à la ratification de ce texte. C'est pourquoi elle vous demande
d'adopter le présent projet de loi.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique.
- Est autorisée la ratification du protocole
additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité
transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté à New York le 15
novembre 2000 et signé par la France le 12 décembre 2000, et dont le texte est
annexé à la présente loi. »