SEANCE DU 6 DECEMBRE 2001
M. le président.
La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane.
Monsieur le ministre délégué à la santé, la Cour de cassation, réunie en
assemblée plénière, a tout récemment confirmé sa jurisprudence de l'arrêt «
Perruche », reconnaissant le principe d'indemnistation du fait d'être né
handicapé, à la suite d'une faute de diagnostic prénatal.
Cette jurisprudence a des conséquences redoutables : d'abord pour les enfants
handicapés et leur famille, ensuite pour les spécialistes de la médecine
foetale, dont la pratique se trouve ainsi mise en cause.
Peut-on admettre le principe même de la réparation intégrale du préjudice subi
par l'enfant handicapé du fait de sa naissance ?
J'attire donc votre attention, monsieur le ministre, sur les blessures
ressenties par les parents d'enfant handicapé qui mènent un combat quotidien
pour les intégrer dans notre société et qui craignent que leur enfant ne fasse
l'objet d'une exclusion encore plus grande à la suite de ces décisions.
Quant aux enfants handicapés eux-mêmes, ils risquent d'être victimes
d'inégalités impossibles à justifier. En effet, « l'action de vie dommageable »
multiplie les discriminations entre les personnes qui se trouvent dans la même
situation de besoin. C'est bien ce qui se produira puisque, en l'état actuel de
la jurisprudence, le montant de l'indemnisation dépendra des juges du fond et
pourra donc varier selon les juridictions.
Et je ne fais qu'évoquer les divergences qui existent déjà entre la Cour de
cassation et le Conseil d'Etat, divergences qui peuvent conduire à exclure de
l'indemnisation les enfants handicapés nés dans les hôpitaux publics.
De plus, seules pourraient ainsi prétendre à une indemnisation les victimes
d'une erreur de diagnostic ou d'un défaut d'information avant la naissance. Il
y a une rupture d'égalité flagrante.
Enfin, monsieur le ministre, comme l'a indiqué, dans son avis du 29 mai 2001,
le Comité consultatif national d'éthique, saisi à votre demande, les recours
judiciaires en vue de la reconnaissance d'un droit à ne pas naître handicapé «
conduiraient sans doute à ce que s'exerce une forte pression sociale en faveur
de l'élimination des foetus anormaux selon des critères médicaux de gravité...
tendance qui peut être étymologiquement et historiquement qualifiée d'eugénique
».
Il convient également de bien mesurer les conséquences qui résultent, pour le
corps médical, du fait d'admettre l'existence d'un lien de causalité direct
entre l'erreur de diagnostic et le handicap.
On peut craindre, comme le manifeste déjà l'appel à la grève lancé à compter
du 1er janvier prochain par de nombreux professionnels, que le diagnostic
prénatal par échographie ne régresse rapidement en France, que les assureurs
n'acceptent de plus en plus difficilement, à l'avenir, de nouveaux contrats en
responsabilité civile professionnelle pour l'activité d'échographie
obstétricale et que, en tout état de cause, les tarifs ne soient revus à la
hausse dans des proportions considérables.
Les médecins auront désormais beaucoup de mérite à accepter des risques
judiciaires évidents en ne recommandant pas des interruptions de grossesse pour
des motifs de précaution.
Dans ces conditions, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que le
Gouvernement doit d'urgence prendre une initiative législative afin d'éviter
des inégalités de toutes sortes ? Plusieurs parlementaires ont d'ores et déjà
déposé une proposition de loi en ce sens ; nous attendons que vous y apportiez
au moins votre soutien.
Seules des dispositions relevant de la solidarité nationale seront à même
d'établir une égalité de traitement à l'égard de tous les enfants handicapés et
de permettre aux médecins de continuer à exercer leur activité dans la
sérénité.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Monsieur le sénateur, je comprends votre
émotion, tout comme celle d'un certain nombre de Français qui se trouvent
devant une situation effectivement difficile à démêler.
Permettez-moi tout d'abord de souligner que, à l'origine de l'arrêt Perruche
rendu par la Cour de cassation, il y a la plainte des parents. Cette plainte
correspond sans doute à la nécessité de compléter, dans des cas particuliers,
l'indemnisation « normale », à la charge de la société - c'est la première
leçon qu'il faut en tirer -, mais elle est aussi l'expression d'un acte d'amour
: ces parents auraient voulu que leur enfant soit mieux protégé.
Se sont greffées sur ce problème, dans une précipitation d'esprit qui a sans
doute fait naître un peu de confusion, de nombreuses interrogations, dont le
Gouvernement tient compte.
Il y a d'abord les interrogations, bien compréhensibles, des médecins, qui se
voient contestés dans des pratiques qui ne sont pas faciles et qui ne peuvent
pas être sûres à 100 %. Comment ne pas voir que leur émoi est légitime ?
Mais il y a surtout les interrogations des familles de handicapés. Face à
cette émotion-là, le Gouvernement n'est pas non plus resté inactif. Hier, Mme
Ségolène Royal a reçu une délégation de leur comité national, ce qui a donné
lieu à une discussion très longue et très riche.
La première conclusion que l'on peut tirer de tout cela, c'est que, bien sûr,
il faut agir, mais en se gardant de toute précipitation, en prenant de la
distance par rapport à l'émotion qui nous a tous saisis à la suite de cet arrêt
de la Cour de cassation. Nous devons donc, dans la sérénité, réfléchir à un
certain nombre de problèmes.
Vous avez vous-même, monsieur le sénateur, évoqué la question de la causalité.
Après tout, de quoi est-on responsable quand on pratique un tel examen ?
Evidemment, si la faute médicale est avérée, le médecin doit être poursuivi.
C'est d'ailleurs le sens du projet de loi relatif aux droits des malades, que
le Sénat va être amené à examiner dès le mois de janvier 2002.
Il est, par ailleurs, nécessaire de revoir les premières lois sur la
bioéthique, et je remercie le Premier ministre d'avoir fait en sorte, malgré
les difficultés du calendrier, que le Parlement puisse être saisi, également
dès le mois de janvier, de nos propositions à cet égard.
Je tiens enfin à vous signaler, mesdames, messieurs les sénateurs, que le
Gouvernement a immédiatement entrepris une action de concertation avec les
médecins spécialistes concernés. C'est ainsi que les représentants des
radiologues et des échographistes sont reçus en ce moment même au ministère de
la santé, et ce qu'ils nous disent va beaucoup plus qu'on ne pourrait
l'imaginer dans le sens de la modération.
En tout cas, dans cette affaire, le Gouvernement se donne pour ligne de
conduite de ne pas répondre à l'émotion par l'improvisation et d'agir sans
inutile précipitation.
(Applaudissements.)
M. le président.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants ;
nous les reprendrons à seize heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze,
sous la présidence de M. Serge Vinçon.)