SEANCE DU 5 DECEMBRE 2001
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Roland du Luart,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est avec plaisir, après trois années
d'interruption, que je reviens à cette tribune pour présenter le point de vue
de la commission des finances sur les crédits de l'outre-mer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous présentez cette année un budget de
plus de 1 milliard d'euros, qui augmente, à structure constante, de 3,1 % par
rapport à celui qui a été proposé l'année dernière.
Avant de vous faire part de mes observations sur l'utilisation de ces moyens,
je vous poserai une première question : comment se présente la négociation de
votre contrat de gestion pour l'année 2002, si tant est qu'il y ait une
négociation ?
Mes chers collègues, il s'agit là non pas de « cuisine budgétaire », mais d'un
préalable destiné à mettre en perspective la portée de notre vote.
L'année dernière, le Parlement a autorisé le secrétariat d'Etat à l'outre-mer
à dépenser une certaine somme - 1,04 milliard d'euros - mais, au titre du
contrat de gestion, plus de 13 % de cette somme ont été mis en réserve,
c'est-à-dire que le secrétariat d'Etat n'a pas eu le droit de dépenser ces 13
%.
Plus gênant : les mises en réserve portaient essentiellement sur les dépenses
d'investissement, et sur 40 % de leur montant !
En sera-t-il de même en 2002, monsieur le secrétaire d'Etat ? Ne serait-il pas
plus sincère que vous nous présentiez un budget moins imposant, mais qui sera
exécuté, plutôt qu'un budget qui affiche un niveau de dépenses d'investissement
supérieur de 40 % à ce que vous aurez effectivement le droit de dépenser ?
De même, ne serait-il pas plus sincère qu'avant d'accroître vos moyens vous
résorbiez le stock important des reports de crédits dont, ces dernières années,
le montant majore de 20 % les sommes à votre disposition au titre d'un exercice
?
Je voudrais maintenant évoquer des crédits dont la maîtrise ne semble pas
constituer l'une des priorités du Gouvernement : les dépenses en faveur de
l'emploi aidé, financées par le fonds pour l'emploi dans les départements
d'outre-mer, le FEDOM.
Ces crédits constituent désormais près de la moitié de votre budget. Leur
montant augmente plus que le total des crédits du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer.
Il faut préciser que cette augmentation résulte, en partie, de la mise en
oeuvre des dispositions de la loi d'orientation et de la loi relative à
Mayotte. Comme ce n'est pas si fréquent, il faut se féliciter que, sur ce
point, le Gouvernement respecte ses engagements.
Cela ne signifie pas qu'il faille toujours partager ses orientations. Dans les
dispositions de la loi d'orientation, je retiens que le projet
initiative-jeunes, ou PIJ, est une bonne mesure, car il prévoit des aides pour
les bénéficiaires d'emplois-jeunes souhaitant créer une entreprise.
Ce souci d'orienter les emplois-jeunes vers l'emploi marchand est louable.
Mais sera-t-il suffisant compte tenu du nombre important d'emplois-jeunes créés
ces dernières années ?
L'augmentation du coût des emplois-jeunes est, cette année, encore une fois,
la principale explication de l'augmentation des crédits de l'outre-mer, alors
même que les crédits disponibles ne sont pas tous consommés - je l'ai déjà dit
- et que, si je ne m'abuse, plus d'un millier d'emplois-jeunes existants ont
déjà été supprimés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans le cadre de la mise en oeuvre des
dispositions de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, votre
secrétariat d'Etat va devoir établir des indicateurs de performances. Je
voudrais, si vous me le permettez, vous en suggérer un : que la baisse du
chômage outre-mer, qui semble s'esquisser - nous nous en félicitons tous -,
s'accompagne d'une diminution des crédits consacrés aux emplois aidés. Si tel
était le cas, cela voudrait dire qu'un processus de création d'emplois est
véritablement enclenché.
Ce sont les entreprises qu'il faut aider à créer des emplois marchands. Je
rappelle que les exonérations de charges sociales décidées dans la loi
d'orientation coûteront aux finances publiques 533 millions d'euros - près de
3,5 milliards de francs -, soit l'équivalent de plus de la moitié du budget du
secrétariat d'Etat. A ce prix-là, je vous invite, monsieur le secrétaire
d'Etat, à procéder au suivi fin de l'effet des exonérations de charges sur la
création d'emplois, et à ne pas oublier d'en rendre compte au Parlement.
Il est un autre point qui constitue un handicap lourd pour le secteur marchand
outre-mer : les surrémunérations des fonctionnaires. Outre-mer, il est
globalement plus intéressant financièrement de travailler dans le secteur
public que dans le secteur privé.
Ce régime de rémunération est particulièrement coûteux. En 1999, cela
représentait plus de 5 milliards de francs. A ce sujet, monsieur le secrétaire
d'Etat, je regrette vivement que vos services ne m'aient pas communiqué les
chiffres pour 2000, et je vous poserai deux questions.
Pourquoi le décret qui devait supprimer les primes d'éloignement, dont la loi
d'orientation prévoit qu'il devait intervenir dans les trois mois de la
promulgation de la loi, n'est-il, près d'un an après, toujours pas paru ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Il arrive !
M. Roland du Luart,
rapporteur spécial.
Que pensez-vous de la proposition, formulée notamment
par notre collègue Claude Lise, selon laquelle les majorations de traitement
pourraient être progressivement supprimées, les crédits ainsi dégagés étant
consacrés au développement économique ?
Je formulerai maintenant, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques observations
sur les dépenses d'investissement de votre budget.
Les dépenses en faveur du logement constituent, pour nous tous, une priorité
absolue, car nos concitoyens d'outre-mer ont droit, comme tout le monde, à un
logement décent. Or le parc immobilier outre-mer est, convenons-en, encore loin
d'être « au niveau ».
Je voudrais, à cet égard, attirer votre attention sur les conséquences de la
disparition de la créance de proratisation. En autorisations de programme,
cette disparition a été compensée à due concurrence, ce qui est nécessaire. En
crédits de paiement, la compensation a été inférieure, ce qui est normal, car
la situation antérieure aboutissait à des reports de crédits.
Mais, attention ! En 2002, les engagements de crédits de paiement devraient
absorber la quasi-totalité des reports disponibles, si bien que, faute d'une
augmentation des crédits de paiement l'année prochaine, les moyens disponibles
pour les aides au logement diminueront. Nous n'en sommes pas là, mais nous
devons être très vigilants sur ce point.
Toujours en matière d'investissement, j'évoquerai les deux fonds, le FIDOM, le
fonds d'investissement des départements d'outre-mer, et le FIDES, le fonds
d'investissement pour le développement économique et social des territoires
d'outre-mer. Vous le savez, j'ai effectué, à la suite de mon prédécesseur Henri
Torre, un contrôle du fonctionnement du FIDOM, et j'ai été effaré de l'ampleur
de la tâche qui reste à accomplir avant de pouvoir satisfaire aux obligations
fixées par la nouvelle loi organique relative aux lois de finances en matière
d'évaluation de l'efficacité des dépenses.
Dans ce domaine, l'information disponible est - je regrette d'avoir à le dire
- inexistante. Comment allez-vous vous y prendre pour permettre aux
parlementaires de savoir à quoi servent les crédits qu'ils votent chaque année,
et si leur emploi est le plus adapté possible aux besoins constatés outre-mer
?
Quelles solutions envisagez-vous pour que les textes qui régissent le FIDOM et
le FIDES soient en adéquation avec le mode de fonctionnement réel de ces fonds
?
Je poserai une autre question sur les dispositifs d'aide à l'investissement.
Elle concerne les dispositifs fiscaux. L'année dernière, nous avons remplacé la
loi Pons par un dispositif de crédit d'impôt, qui n'est toujours pas en
vigueur, faute de décrets d'application. Pourquoi la France n'a-t-elle toujours
pas obtenu le feu vert des autorités communautaires ? Quels sont les points
d'achoppement ? Quand les investisseurs seront-ils fixés ?
Avant de conclure, j'évoquerai brièvement trois questions.
La première, c'est la mise en oeuvre du nouveau statut de la
Nouvelle-Calédonie. Des transferts de compétences sont prévus, mais aucun n'est
mis en oeuvre. Pendant ce temps, des crédits s'accumulent dans votre budget,
sans être dépensés. Pourquoi ces blocages ? Un exemple m'intrigue : le
vice-rectorat. Il n'y a pas plus de crédits pour le faire fonctionner au budget
de l'éducation nationale, mais ceux qui ont été transférés à votre budget ne
sont pas dépensés. Comment fonctionne-t-il ?
Autre sujet calédonien : les critères que vous avez fixés par décret pour la
répartition de la dotation d'équipement des collèges sont inadaptés, et la
province sud reçoit beaucoup moins d'argent qu'elle n'en dépense, ce que mon
collègue Loueckhote m'a confirmé récemment. Comment comptez-vous résoudre ce
problème ? Il est inquiétant que, dans ce territoire aujourd'hui apaisé grâce à
une action positive du Gouvernement, 40 millions de francs manquent pour
réaliser l'investissement que chacun appelle de ses voeux et qui est judicieux,
afin que des jeunes ne soient pas en surnombre dans certains collèges de la
province sud.
Je ne peux pas ne pas évoquer la question des ordonnances. La procédure des
ordonnances est, dans son principe, un dessaisissement, au profit de
l'exécutif, du pouvoir législatif du Parlement. Elle est donc à manier avec
précaution.
Au minimum, les ordonnances publiées doivent être soumises à ratification au
Parlement. Or, aujourd'hui, un stock très important d'ordonnances n'a pas été
examiné par les assemblées. Quand envisagez-vous, monsieur le secrétaire
d'Etat, d'inscrire à l'ordre du jour les projets de loi déposés sur le bureau
du Sénat ?
Par ailleurs, un grand nombre d'ordonnances doivent être publiées avant le 30
mars 2002. Tiendrez-vous ce délai, monsieur le secrétaire d'Etat ? Peut-être le
Sénat devra-t-il siéger jusqu'à la fin du mois de mars ?
Enfin, j'évoquerai les évolutions statutaires. Le développement économique de
l'outre-mer passe par une adaptation des institutions aux réalités et aux
nécessités locales, dans le sens d'une plus grande efficacité. Cependant,
monsieur le secrétaire d'Etat, un trop grand activisme en ce domaine peut se
révéler contre-productif, et je tiens à vous faire part de l'inquiétude des
entreprises implantées outre-mer qui, pour être compétitives, ont besoin sinon
de stabilité institutionnelle, du moins de savoir où elles vont.
Si j'en crois notre collègue Claude Lise, les congrès issus de la loi
d'orientation sont un succès. Tant mieux ! Tout ce qui fonctionne doit être
encouragé. Mais je vous avoue que je regarderais avec moins de bienveillance le
retour éventuel de projets d'assemblées uniques, qui me semblent plein
d'incertitude et, en tout cas, dangereux pour les entreprises.
Les plus hautes autorités de l'Etat se sont récemment exprimées sur les
perspectives d'évolutions institutionnelles de l'outre-mer Qu'en retirez-vous ?
Lesquelles vous semblent les plus susceptibles de favoriser le développement
économique ?
Telles sont, mes chers collègues, les observations que je pouvais formuler sur
le projet de budget de l'outre-mer qui nous est soumis. Il ne rompt pas avec
les travers constatés depuis plusieurs années : une augmentation rapide de la
dépense publique destinée au financement des emplois aidés et une hiérarchie
des priorités qui n'est pas la nôtre, puisque 40 % des crédits d'investissement
son gelés dans le cadre des contrats de gestion.
Pour ces raisons, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de
rejeter les crédits de l'outre-mer inscrits dans le projet de loi de finances
pour 2002.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Raoul, rapporteur pour avis.
M. Daniel Raoul,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
présentation des crédits destinés à l'outre-mer pour 2002 s'inscrit dans un
cadre économique et réglementaire profondément renouvelé, notamment par
l'adoption de la loi d'orientation pour l'outre-mer.
Ce projet de budget, tout en prenant la mesure des rééquilibrages nécessaires,
table sur les atouts et les capacités d'initiative de l'outre-mer. Mais il
convient de ne pas oublier les handicaps structurels qui y subsistent, malgré
la poursuite de l'embellie économique constatée depuis 1999. Ainsi, le chômage,
toujours élevé, a continué de reculer et, au 30 septembre 2001 le nombre de
demandeurs d'emplois s'élevait à 193 682 personnes, soit un taux de chômage,
pour les quatre départements d'outre-mer de 26,6 %.
Ces handicaps structurels sont bien évidemment liés à l'insularité, ainsi qu'à
un développement économique freiné par une trop faible accumulation du capital
et reposant encore sur des activités de monoproduction, par définition fragiles
et exposées à la concurrence internationale.
Compte tenu de leurs spécificités démographiques, les DOM-TOM doivent, en
outre, consentir des efforts particulièrement importants en matière de
formation initiale et professionnelle pour intégrer dans des conditions
satisfaisantes l'afflux des jeunes sur le marché du travail. Il s'agit là d'un
véritable défi qui conditionne l'avenir de l'outre-mer.
Dans le projet de loi de finances pour 2002, le budget du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer atteint 1 079 millions d'euros en moyens de paiement, soit une
progression de 3,8 %, qu'il convient de saluer. Les autorisations de programme
sont fixées à 443 millions d'euros, en hausse de 49 %.
Comme l'an dernier, les moyens budgétaires assurent le financement des mesures
prévues par la loi d'orientation pour l'outre-mer. Il faut également souligner
l'importance des moyens d'intervention et d'investissement en faveur de
l'emploi, du logement et de l'action économique, qui constituaient les
priorités de cette loi.
En ce qui concerne le financement de la loi d'orientation, 112,96 millions
d'euros pérenniseront les mesures mises en oeuvre en 2001 et financeront des
mesures nouvelles, qu'il s'agisse, par exemple, des 10 000 projets
initiative-jeunes destinés à permettre aux jeunes de moins de trente ans soit
de créer leur entreprise dans leur département d'outre-mer soit de suivre une
formation professionnelle hors de celui-ci, ou encore des 3 000 congés
solidarité à cinquante-cinq ans avec, en contrepartie, l'embauche de 3 000
jeunes.
A ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, où en sont les négociations avec
les collectivités locales et les entreprises, qui doivent financer 40 % de ce
dispositif très attendu ?
Hors FEDOM, des dotations budgétaires sont également prévues pour financer la
mise en place d'un office de l'eau dans chacun des DOM, pour renforcer les
moyens de l'Agence nationale d'insertion des travailleurs d'outre-mer, pour
abonder les fonds de coopération régionale et pour mettre en place des fonds
régionaux d'aménagement foncier et urbain.
Enfin, bien que les crédits y afférents soient inscrits sur le budget de
l'emploi et de la solidarité, il convient de ne pas oublier le dispositif
pérenne et élargi d'exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale,
qui se substitue au mécanisme de la loi Perben.
Au total, au-delà du financement des mesures de la loi d'orientation pour
l'outre-mer, les crédits du FEDOM connaissent une augmentation significative
pour compenser la disparition de la créance consécutive à l'alignement du RMI
au 1er janvier 2002. Cela devrait permettre de mettre en oeuvre près de 100 000
mesures d'insertion, en particulier à travers le renforcement des contrats
emploi-solidarité et des emplois-jeunes, avec 1 000 postes supplémentaires.
Je relève également que le budget de l'outre-mer consacre des crédits
importants pour la politique du logement, répondant ainsi à des besoins
importants et diversifiés ; M. le rapporteur spécial vient d'y faire
allusion.
Il convient de souligner qu'à compter du 1er juillet 2001 la réforme tendant à
l'unification des barèmes de l'allocation logement dans le secteur locatif est
achevée, ce qui devrait faciliter la réhabilitation des logements les plus
anciens, grâce à la fixation d'un seul barème correspondant à la période de
construction la plus récente, ce qui est le barème le plus favorable.
La forte progression des crédits permet, comme l'an dernier, de compenser la
suppression de la créance de proratisation, dont une partie venait abonder la
ligne budgétaire finançant le logement.
Le programme physique pour 2002 a pour objectif de financer 10 700 logements
neufs, de réhabiliter 6 000 logements locatifs sociaux et de favoriser les
opérations de résorption de l'habitat insalubre, dont devraient bénéficier 2
400 familles.
S'agissant des interventions de l'Etat pour soutenir l'investissement,
l'augmentation des crédits traduit la montée en charge des contrats de plan,
mais leur mise en oeuvre effective connaît un démarrage encore lent.
En ce qui concerne le soutien public à l'investissement, le bilan établi
chaque année par le ministère des finances chiffre l'aide apportée aux dossiers
déposés en 2000 et agréés à près de 289 millions d'euros. Cela équivaut à un
montant total d'investissement de près de 600 millions d'euros.
Quelque peu en marge de la discussion budgétaire, je voudrais enfin rappeler
l'importance des fonds communautaires dont bénéficie l'outre-mer et me
féliciter que les liens économiques soient toujours plus renforcés.
Ainsi, la révision, en juin 2001, du programme d'options spécifiques à
l'éloignement et à l'insularité des départements d'outre-mer, le POSEIDOM,
permet des avancées substantielles.
En outre, la proposition de la Commission européenne s'agissant de l'évolution
du régime d'association des pays et territoires d'outre-mer, ou PTOM, en cours
d'adoption, permet une aide renforcée.
Les dotations attribuées dans le cadre du IXe Fonds européen de développement
sont en progression, et les PTOM pourraient être éligibles à un nombre élargi
de programmes communautaires.
Néanmoins, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable à
l'adoption des crédits de l'outre-mer pour 2002. Cependant, à titre personnel,
je voterai ce budget.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Létard, rapporteur pour avis.
Mme Valérie Létard,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour les aspects
sociaux.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, pour la commission des affaires sociales, le projet de budget du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 2002 présente un caractère ambivalent. En
effet, des moyens non négligeables sont certes mobilisés, mais les priorités
retenues par le Gouvernement continuent à faire débat.
L'examen de ce budget - le dernier de la législature - sera donc l'occasion
d'insister sur les voies d'avenir qui auraient mérité d'être empruntées avec
davantage de détermination.
Il sera aussi l'occasion de nous interroger sur l'affectation des crédits du
secrétariat d'Etat qui, avec une augmentation de 3,76 %, dépasse le milliard
d'euros.
Les priorités retenues sont-elles judicieuses ? Les engagements ont-ils été
honorés, notamment en ce qui concerne la compensation de la créance de
proratisation ?
Les réponses à ces questions doivent être nuancées. La hausse des crédits
consacrés à l'emploi a permis de compenser la part « insertion » de la créance
de proratisation. Toutefois, l'essentiel des 100 000 mesures en faveur de
l'emploi concernent principalement le secteur non marchand. Or, outre le fait
que les contrats emploi-solidarité et les emplois-jeunes ne constituent pas des
emplois pérennes, ils sollicitent financièrement des collectivités locales qui
n'ont pas les moyens d'embaucher définitivement leurs bénéficiaires.
La question des moyens concerne aussi l'effort en faveur du logement, qui
constitue le deuxième poste de dépenses du budget. Dans ce cas, on ne peut que
s'étonner du décalage qui apparaît entre les autorisations de programme et les
crédits de paiement : alors que les premières restent à un niveau important,
les seconds baissent drastiquement, avec pour conséquence la non-compensation
de la disparition de la part « logement » de la créance de proratisation.
Le budget présenté par le Gouvernement n'est donc sans doute pas aussi
satisfaisant que celui-ci le suggère ! Par ailleurs, le montant des crédits
disponibles ne saurait constituer le seul, ni même le principal critère pour
apprécier sa qualité, il convient également d'examiner la justesse des
orientations retenues.
Ce qui importe en cette fin de législature, en effet, c'est de savoir si la
voie tracée pour l'outre-mer correspond aux véritables besoins des populations
et territoires concernés, ou bien si les mesures engagées constituent davantage
des solutions temporaires sans véritable effet sur le développement durable.
Or, si le chômage a commencé à baisser en 2000, il demeure deux à trois fois
plus élevé qu'en métropole. Par ailleurs, le nombre de bénéficiaires du RMI ne
cesse de croître avec une augmentation de 3,5 % en 2000, de même que le recours
au traitement social.
La situation reste donc fragile. Les collectivités locales sont concernées,
puisqu'elles interviennent souvent en cofinancement avec l'Etat. La brusque
dégradation de l'activité ne va-t-elle pas peser gravement sur leurs moyens,
qui sont déjà limités ?
En fait, ce que l'on peut regretter aujourd'hui - comme me l'ont fait
remarquer les sénateurs de l'outre-mer que j'ai pu interroger - c'est qu'au
terme de plusieurs années de croissance le Gouvernement n'ait pas fait le choix
clair du développement économique durable des départements d'outre-mer en
favorisant l'emploi dans le secteur marchand.
J'en veux pour preuve, par exemple, le montant des exonérations de charges
sociales dans ces départements qui, inscrit au budget du ministère de l'emploi,
s'élèvera en 2002 à 350,63 millions d'euros, contre 304,90 millions d'euros en
2001. Le caractère très bénéfique de ce dispositif pour les économies locales
aurait sans aucun doute mérité une augmentation de crédits d'une tout autre
ampleur.
Ce parcours rapide du projet de budget pour 2002 pour l'outre-mer débouche sur
des sentiments mitigés. Il ne saurait, bien entendu, être question de
mésestimer les efforts réalisés par le Gouvernement pour améliorer la situation
de nos concitoyens ultramarins. Néanmoins, la nature des actions privilégiées
ne peut emporter notre adhésion, compte tenu en particulier des difficultés qui
s'annoncent du fait du ralentissement économique mondial, dont on peut déjà
percevoir les effets sur l'important secteur du tourisme dans les Caraïbes et
dans l'océan Indien.
Par ailleurs, rien de nouveau n'est prévu qui laisserait penser que l'Etat a
pris conscience du défi démographique auquel devront faire face les
départements d'outre-mer dans les années à venir.
Une véritable politique de développement durable et autonome des départements
d'outre-mer reste donc encore à définir et à conduire. Elle demeure une
priorité urgente, à laquelle le Gouvernement ne répond pas véritablement.
Dans ces conditions, vous comprendrez, mes chers collègues, que la commission
des affaires sociales ait émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 2002, comme elle avait déjà eu le regret
de le faire pour 2000 et 2001.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Balarello, rapporteur pour avis.
M. José Balarello,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale
pour les départements d'outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les départements d'outre-mer sont à la
croisée des chemins. Aussi ce budget me paraît-il d'une importance capitale,
car ces départements sont confrontés aux mêmes problèmes que la France
métropolitaine - mais avec un caractère nettement plus aigu - ainsi qu'à des
difficultés spécifiques.
Plusieurs membres de la commission des lois se sont rendus sur place. Ils ont
pu y appréhender les problèmes, y constater les carences et y inventorier les
efforts nécessaires afin que l'Etat puisse exercer efficacement ses missions
régaliennes.
Nous citerons principalement les problèmes de sécurité et de maîtrise de la
délinquance.
Les chiffres département par département montrent une aggravation de la
délinquance de voie publique, qui progresse de 19,5 % en cinq ans en moyenne
sur l'ensemble des départements d'outre-mer, et l'importance du trafic de
drogue, qui est à l'origine de la majeure partie de la délinquance.
La Guyane est particulièrement concernée par le trafic de cocaïne, alors que
le trafic et la consommation du crack se développent de manière inquiétante en
Martinique.
La Guadeloupe, pour sa part, est dans une situation difficile du fait de
certaines activités incontrôlées qui se développent à partir de la zone
hollandaise de Saint-Martin, où sont installés - vous le savez, monsieur le
secrétaire d'Etat - neuf casinos. Une démarche auprès des Pays-Bas doit être, à
mon avis, effectuée dans le cadre d'Eurojust pour essayer de régler ce
problème, ou du moins le minimiser.
De plus, les juridictions tant judiciaires qu'administratives sont installées
pour la plupart dans des locaux vétustes et inadaptés qu'avec plusieurs membres
de la commission des lois nous avons visités et pour lesquels un effort
substantiel reste à faire.
Que dire des établissements pénitentiaires, dont le taux d'occupation est de
121,46 % ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, comme vous me l'avez encore confirmé voilà
quelques jours, lors de votre audition en commission des lois, fort
heureusement, la Réunion doit voir la fermeture de la prison de Saint-Denis,
que j'ai visitée - aussi ne ferai-je aucun commentaire sur son état, que vous
connaissez comme moi - et l'ouverture d'un nouvel établissement à Sainte-Marie,
en 2006. Nous regrettons simplement que les travaux n'aient pas déjà
commencé.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le problème récurrent, qui va malheureusement
en s'aggravant, est celui de l'immigration clandestine dans nos départements
d'outre-mer et à Mayotte. Cette immigration irrégulière s'explique par
l'attraction suscitée par des niveaux de vie et de protection sociale
considérablement plus élevés que dans les Etats environnants.
Vous trouverez, mes chers collègues, dans le rapport de la commission des
lois, les tableaux comparatifs du produit intérieur brut par habitant dans
chaque zone. Je ne citerai qu'un exemple : il est de 14 352 dollars en
Martinique contre 737 dollars à Cuba et 422 dollars en Haïti.
La plus forte immigration clandestine se développe en Guyane, compte tenu
d'une façade maritime qu'il est difficile de contrôler, avec d'importants
fleuves frontaliers.
Il nous apparaît indispensable que les ministères de l'intérieur et de la
défense mettent en place des structures adaptées beaucoup plus importantes en
hommes et en matériels modernes afin de limiter cette immigration, qui
déstabilisera complètement certains de nos départements d'outre-mer si une
réaction de l'Etat ne se fait pas sentir, et, mes chers collègues, ce ne sont
pas les modifications institutionnelles, quelles qu'elles soient, qui
empêcheront cette dérive !
Que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d'Etat, pour y parvenir ?
Dans notre rapport, vous trouverez également présentés les problèmes liés à la
coopération régionale, qui doit être renforcée, ne serait-ce que pour
réorienter les flux commerciaux, qui ne se font pratiquement qu'avec la
métropole et qui sont de l'ordre de 4,5 % par an.
Quelle peut être votre action en ce domaine ?
Quant à la consommation des crédits européens, elle n'est pas satisfaisante :
sur la période 1994-1999, ils n'ont été engagés qu'à concurrence de 64,9 % et
payés à concurrence de 42,66 %. En tant que rapporteur de la loi d'orientation
sur l'outre-mer, j'ai fait voter la création d'une commission du suivi.
A-t-elle été mise en place ?
Je terminerai en évoquant rapidement l'évolution constitutionnelle.
Comme nous avons eu l'occasion de le rappeler, les deux missions d'information
de la commission des lois ont montré la volonté des départements français
d'Amérique d'accéder à un statut à la carte ou, comme je l'avais écrit, à un
statut cousu main.
Ces départements considèrent, à tort ou à raison, que le statut de département
d'outre-mer constitue un carcan juridique.
Cela étant, après le rapport Lise-Tamaya de juin 1999, la déclaration de
Basse-Terre du 1er décembre 1999 et la loi d'orientation pour l'outre-mer du 13
décembre 2000, la procédure du congrès s'est mise en place dans les différents
départements, six mois après la promulgation de la loi d'orientation.
En Guyane, le congrès a délibéré par deux fois ; il préconise l'instauration
d'une collectivité territoriale unique et d'un pouvoir législatif réglementaire
local autonome.
En Martinique et en Guadeloupe, il s'est réuni également, et des projets sont
en cours de rédaction.
Il est à noter, mes chers collègues, que tant le Président de la République
que le Premier ministre ont posé comme condition à l'évolution des statuts des
départements français d'Amérique, l'unité de la République, les liens avec
l'Europe, l'égalité des droits de tous les citoyens et la consultation
préalable des populations.
Nous craignons cependant que le congrès n'apparaisse comme un cénacle éloigné
de la population et dépourvu de mandat précis. Peut-il vraiment engager les
populations ? Il faudra les consulter le plus vite possible, ce qui est
d'ailleurs prévu par la loi d'orientation pour l'outre-mer, en posant des
questions non équivoques.
Quant à la Réunion et à Mayotte, mes chers collègues, les problèmes
institutionnels y sont absents, la première voulant rester département français
et la seconde voulant le devenir.
Au terme de cet exposé, je vous propose, mes chers collègues, au nom de la
commission des lois, d'émettre un avis défavorable concernant les crédits de
l'outre-mer consacrés aux départements d'outre-mer, à Mayotte et à
Saint-Pierre-et-Miquelon, car ils ne permettent pas de régler les grands
problèmes qui se présentent dans ces départements et qui nous paraissent
relever principalement de quatre domaines : la non-maîtrise de l'immigration
clandestine, qui ne fait que s'aggraver, la non-maîtrise des problèmes liés au
trafic des stupéfiants et au blanchiment, la sécurité des personnes et des
biens, qui est de plus en plus mise en péril, enfin, l'insuffisance de
propositions permettant de régler les problèmes économiques qui se posent à
l'outre-mer.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale
pour les territoires d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'hétérogénéité
de la catégorie juridique des territoires d'outre-mer, dont la
Nouvelle-Calédonie ne fait d'ailleurs plus partie et à laquelle n'appartiendra
plus demain, je l'espère, la Polynésie, conduit à une présentation distincte de
chaque collectivité pour l'examen des crédits pour 2002 et le bilan des
réformes législatives.
Je ne rappellerai pas les chiffres qu'a exposés M. le rapporteur spécial. Je
noterai simplement que, au sein du budget de l'outre-mer, qui augmente de 3,76
% - de 3,1 % à structure constante -, les crédits consacrés aux territoires
d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie ne sont en augmentation que de 1,7 %.
Ces crédits ne représentent donc que le cinquième du budget de l'outre-mer, ce
qui nous semble insuffisant.
Il est vrai, monsieur le secrétaire d'Etat, que la part des crédits consacrés
aux territoires d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie dans le budget de
l'outre-mer ne représente que 11,6 % de l'effort global consenti en leur
faveur, les trois autres principaux ministères contributeurs étant ceux de
l'éducation nationale, de la défense et de l'intérieur.
A défaut de pouvoir passer en revue, dans les cinq minutes qui me sont
imparties, l'ensemble du rapport et les sujets très divers qui concernent ces
collectivités, monsieur le secrétaire d'Etat, j'évoquerai en particulier la
sécurité et le fonctionnement de la justice.
Nous avons un sujet de satisfaction : l'aboutissement du processus de révision
du statut d'association des pays et territoires d'outre-mer à l'Union
européenne. J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat que vous nous ferez part de
sa confirmation, par une décision du Conseil des ministres européens. D'après
les indications qui nous ont été fournies, les propositions faites par la
Commission et par le conseil des affaires générales devaient lui être soumises
le 1er décembre. Pourrez-vous nous confirmer ces bonnes nouvelles ?
Permettez-moi maintenant d'évoquer quelques sujets de préoccupation.
En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, je pense tout d'abord aux divisions
qui s'exacerbent au sein du mouvement indépendantiste, déstabilisant l'exécutif
et provoquant une cr ise de la collégialité. Qu'en est-il de la réunion du
comité de suivi ?
Toujours en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, on constate un retard dans
le versement des dotations de compensation des nouvelles charges liées aux
transferts de compétences. Près de 25 millions de francs, correspondant au
cumul des dotations de compensation pour 2000 et pour 2001, demeurent, à ce
jour, une simple écriture.
S'agissant du fonctionnement des juridictions judiciaires, en
Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, une inquiétude pèse sur la mise en oeuvre de
la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence, compte tenu du
caractère restreint des effectifs des juridictions.
Je voudrais attirer votre attention sur la difficulté que nous avons eue à
obtenir des informations sur le fonctionnement de ces juridictions et
l'évolution des contentieux. Nous n'arrivons pas plus que vous sans doute à
obtenir du Conseil d'Etat ou de la chancellerie les éléments, notamment les
statistiques, qui nous seraient indispensables. Les seules données que nous
avons obtenues nous sont parvenues directement par certaines juridictions, dont
je tiens à remercier chaleureusement les présidents. Vous avouerez, monsieur le
ministre, qu'il n'est pas normal que les rapporteurs ne puissent disposer des
éléments indispensables pour effectuer leur mission.
Une inquiétude pèse sur l'avenir des relations entre la Nouvelle-Calédonie et
Wallis-et-Futuna.
En effet, si la conclusion d'un accord-cadre est intervenue le 1er juin 2001,
au terme de négociations longues et difficiles - je rappelle que le butoir fixé
par la loi organique, sur l'initiative du Sénat, était le 31 mars 2000 encore
faudrait-il que cet accord soit signé. Par ailleurs, il ne s'agit que d'un
accord-cadre : rien n'est dit sur le calendrier d'adoption des conventions
nécessaires pour assurer sa mise en oeuvre concrète.
Enfin, j'en viens à mon dernier point : l'actualisation du droit applicable
outre-mer.
Si, chaque année, le Gouvernement requiert une habilitation du Parlement pour
procéder par voie d'ordonnances, le dernier train de dix-huit ordonnances
prises sur le fondement de la loi du 25 octobre 1999 n'a pas encore fait
l'objet d'une ratification expresse, au risque d'accroître la complexité d'un
ordonnancement juridique déjà confus, ce qui est contraire à l'objectif affiché
de modernisation du droit applicable. Alors, puisqu'il reste encore quelques
semaines, peut-être pourrions nous les consacrer utilement à cela ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Quelques mois !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Lorsqu'il s'agit de moins de trois mois, on parle
de semaines, monsieur le secrétaire d'Etat. !
(Sourires.)
Quoi qu'il en
soit, je crois qu'il serait utile que ces ordonnances soient examinées par le
Parlement. Vous savez que, souvent, nous avons permis d'améliorer un certain
nombre de dispositions en de telles circonstances.
En conclusion, mes chers collègues, en de telles circonstances, la commission
des lois vous propose, avec regret, de rejeter les crédits consacrés aux
territoires d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie dans le projet de budget du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 2002.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 32 minutes ;
Groupe socialiste, 24 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes.
Je rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents,
aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est àM. Vergès.
M. Paul Vergès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer est en forte augmentation ; cela est
incontestable. Cette hausse sans précédent résulte pour une large part de
l'inscription de crédits destinés à financer les mesures nouvelles prévues par
la loi d'orientation pour l'outre-mer : 800 millions de francs y sont consacrés
afin que les mesures nouvelles s'inscrivent rapidement dans le quotidien des
citoyens d'outre-mer.
A l'évidence, la loi d'orientation conjugue les caractéristiques et les
avantages des lois d'orientation comme des lois de programme, tout en dépassant
chacune d'elles.
Elle est loi d'orientation, bien sûr, en ce qu'elle donne un sens et une
cohérence aux politiques publiques conduites dans les régions d'outre-mer. Mais
elle s'assimile aux lois de programmation puisqu'il en découle l'inscription de
crédits importants. Le budget que nous avons à examiner en atteste.
Mais la loi d'orientation pour l'outre-mer va plus loin qu'une loi de
programme dans la mesure où elle ne souffre pas du principal inconvénient des
lois de programme, dont le financement et l'application sont limités dans le
temps.
La loi d'orientation pour l'outre-mer offre la particularité d'être
perfectible. Aussi devons-nous fixer des repères afin d'adapter les dispositifs
à la réalité mouvante de l'outre-mer.
Le rôle du comité de suivi de la loi prend une importance particulière afin
que l'avenir ne démente pas l'efficacité des dispositifs qui entrent
progressivement en vigueur.
Ces repères sont connus. En 2025, date d'achèvement de la transition
démographique de la Réunion, c'est-à-dire dans quatre législatures, la
population de la Réunion atteindra un million d'habitants alors qu'elle en
comptait 245 000 en 1950. Nous ne le répéterons jamais assez : la juste prise
en compte de cette perspective conditionne la réussite des stratégies de
développement envisagées pour la Réunion, notamment celles qui sont dirigées en
faveur du soutien de l'emploi.
Quel que soit le dynamisme de l'économie réunionnaise, il est évident que le
marché ne pourra intégrer la totalité des dizaines de milliers de chômeurs. Ils
sont près de 125 000 aujourd'hui ; ils seront près de 180 000 en 2020.
Dans ces conditions, aucune piste créatrice d'emploi ne doit être négligée, et
non seulement le développement du champ de l'économie sociale doit être
poursuivi et amplifié, mais son caractère permanent doit être reconnu.
Dans les conditions spécifiques qui sont les nôtres, les activités de
l'économie solidaire ne doivent pas être, au départ, synonymes de précarité. Le
dispositif emplois-jeunes, qui concernera, en 2002, 14 000 jeunes dans les
départements d'outre-mer, doit être pérennisé au-delà.
S'agissant du dispositif de congé-solidarité prévu par la loi d'orientation,
il reste un peu moins de vingt-cinq jours pour faire surgir une solution avec
l'ensemble des partenaires concernés. Les incertitudes sur les conditions de
participation de l'UNEDIC dans la gestion du dispositif ajoutent à sa
concrétisation une difficulté supplémentaire, qu'il est impérieux et urgent de
lever.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'essor de la coopération régionale constitue un autre axe stratégique pour le
développement de nos régions ; il est aujourd'hui favorisé par l'article 43 de
la loi d'orientation.
La région Réunion a fait de l'ouverture de ses horizons l'une de ses
priorités. Convaincue des bénéfices que la Réunion peut tirer d'une véritable
politique de codéveloppement avec ses voisins dans le contexte de globalisation
des échanges, elle a pris des initiatives avec l'Afrique, le Vietnam, l'Inde,
la Chine et, bien sûr, avec Madagascar ou encore les Comores.
J'ai eu l'occasion de rappeler, à l'occasion des dernières assises nationales
de la coopération décentralisée, l'importance d'une mise en cohérence des
initiatives des acteurs engagés dans la coopération décentralisée.
Ainsi, la politique restrictive des visas vis-à-vis de nos voisins de l'océan
Indien est l'exemple typique de mesures nationales qui ne favorisent pas le
développement de la coopération régionale, alors même que nous en avons fait
une priorité dans la loi d'orientation.
Je souhaite également attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat,
sur l'initiative « Tout sauf les armes », qui lie l'Union européenne aux pays
les moins avancés de notre environnement régional, qui sont également des pays
ACP.
Le programme de travail de la Commission à propos de la mise en oeuvre de
l'article 299-2 prévoit une étude d'impact des accords de Cotonou et de
l'accord « Tout sauf les armes » qui inquiète nos producteurs. Pouvez-vous,
monsieur le secrétaire d'Etat, nous indiquer où en est cette étude ? Le temps
perdu n'est pas fait pour apaiser les inquiétudes, d'autant que, pour l'heure,
nos régions ne sont pas officiellement associées à cette étude.
S'il est vrai qu'avec l'article 43 de la loi d'orientation le Gouvernement a
ouvert une voie en ce domaine, en autorisant nos conseils régionaux à
participer, au sein de la délégation française, aux négociations avec l'Union
européenne relatives à l'article 299-2, dans quelles conditions, monsieur le
secrétaire d'Etat, le Gouvernement entend-il appliquer cette disposition ? Je
rappelle que nous sommes dans une phase délicate de la mise en oeuvre de cet
article.
Vous connaissez l'espoir placé par les régions ultra-périphériques dans cet
article. Qu'en est-il, un an après le Conseil européen de Nice et à la veille
de celui de Laeken, du point d'étape que la Commission doit faire devant le
Conseil ? Depuis que le débat sur le futur de l'Union a été lancé, nous
craignons que la notion d'ultra-périphérie ne se trouve réduite à celle de «
région à handicap permanent ». Cette inquiétude, nous l'avons exprimée à
Lanzarote, à l'occasion de la conférence des présidents de régions
ultra-périphériques.
L'année prochaine sera déterminante pour apprécier la volonté de la Commission
à l'égard des régions ultra-périphériques, car nous serons face à l'échéance
décisive de l'examen de dossiers aussi sensibles que l'octroi de mer.
L'importance de cette question pour les collectivités et les acteurs
économiques est connue. Le système actuel arrivera à échéance le 31 décembre
2002, ce qui signifie que le temps est à présent compté. Nous souhaitons
vivement que la concertation annoncée par le Gouvernement débute sans tarder,
et nous espérons, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous serez en mesure de
nous apporter des précisions sur ce point.
Enfin, je ferai une dernière remarque sur les dossiers européens, au sujet des
documents de programmation. Il y a un paradoxe à augmenter les aides tout en
multipliant les obstacles et les contraintes réglementaires pour une
consommation efficace des crédits.
Avant de conclure, je formulerai deux dernières remarques.
On ne pourra éluder plus longtemps le débat sur les difficultés - soulignées
tant par le rapport de la commission des finances que par celui de la
commission des lois - du rattrapage en matière de taux d'encadrement dans la
fonction publique territoriale et dans la fonction publique d'Etat, ainsi que
sur les difficultés de titularisation du personnel communal du fait de
l'existence de sur-rémunérations, notamment à la Réunion. La seule
sur-rémunération des fonctionnaires d'Etat pendant la durée du contrat de
programme dépasse, à la Réunion, les quelque 20 milliards de francs
d'investissement prévus. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes.
M. Roland du Luart,
rapporteur spécial.
C'est vrai partout !
M. Paul Vergès.
Par ailleurs, lorsque la commission des finances regrette que, près d'un an
après la promulgation de la loi d'orientation, les décrets d'application des
articles prévoyant la suppression de la prime d'éloignement et la création d'un
observatoire des prix ne soient toujours pas parus, elle fait la même remarque
que bien des élus réunionnais.
S'agissant des transports aériens, j'ai eu l'occasion, lundi, dans le cadre de
la discussion du budget du tourisme, d'attirer l'attention du Gouvernement sur
les graves conséquences qui résulteraient de la disparition d'Air Lib. Hier
soir, lors d'une réunion de l'intergroupe des DOM et, ce matin encore, avant le
début de cette séance, les parlementaires d'outre-mer ont examiné cette
question. Transcendant les clivages politiques, l'unanimité, formalisée dans
une motion commune, s'est faite pour reconnaître l'urgence qu'il y a à tout
mettre en oeuvre pour sauver Air Lib et répondre ainsi à la double exigence de
désenclavement de nos régions insulaires et de mobilité de nos populations.
Je formule à nouveau le souhait que la concertation engagée avec les
collectivités et les élus d'outre-mer se poursuive sur les problèmes de
maintien de la concurrence dans la desserte aérienne des DOM-TOM, des
obligations de service public sur la ligne Paris-la Réunion, comme sur les
conditions de réalisation de la continuité territoriale.
A l'heure de la mondialisation et des gains de temps dans les moyens de
communication, à l'heure aussi de la liberté de circulation au sein de l'Union
européenne, il serait pour le moins paradoxal que les populations insulaires
d'outre-mer deviennent captives des frontières de leurs îles, et il est évident
que, de ce point de vue, la Guyane a également un caractère insulaire.
Il s'agit de garantir dans les meilleures conditions aux 2 millions de
citoyens d'outre-mer, à égalité avec les continentaux, leur droit de
circulation dans l'espace français, dans l'espace de la République, dans
l'espace européen.
C'est la même exigence de désenclavement au service du développement qui a
conduit les élus de la Réunion à se battre pour l'accès des Réunionnais aux
nouvelles technologies de communication en demandant que le câble SAFE reliant
l'Afrique australe à l'Asie du Sud-Est passe par la Réunion. C'est le même
souci qui nous a aussi conduits à demander l'égalité d'accès aux chaînes
publiques de télévision nationales, aujourd'hui reconnue par la loi
d'orientation.
Après l'ère de l'égalité politique, puis celle de l'égalité sociale, il s'agit
d'ouvrir l'ère de l'égalité technologique. Le combat en faveur du
désenclavement aérien s'inscrit dans ce cadre de la bataille générale pour
l'égalité.
Enfin, mon collègue Robert Bret m'a chargé d'exprimer l'approbation du groupe
communiste républicain et citoyen sur le présent projet de budget, ce que je
fais volontiers, même si cette approbation doit être nuancée par le constat
lucide de la gravité de la situation des DOM-TOM et l'absence de perspectives
claires en matière d'évolutions institutionnelles.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
s'il est un projet de budget qui, cette année, aurait dû faire l'unamité, c'est
bien celui du secrétariat d'Etat à l'outre-mer !
D'abord, bien sûr, parce qu'il est en nette progression - de plus de 3 % à
structure constante - par rapport au budget adopté pour 2001. Cette
augmentation est d'autant plus remarquable qu'elle se situe dans le cadre d'un
budget global de l'Etat qui, lui, n'augmentera que d'à peine 0,5 %.
Il faut bien reconnaître que cela tranche avec ce que l'on a parfois connu
sous d'autres gouvernements : par exemple, en 1994, on voyait le budget de
l'outre-mer diminuer, à structure constante, de 5,1 % ; en 1997, il ne
progressait que de 0,1 %.
Cela me gêne de le rappeler, mais il faut quand même raviver la mémoire de
ceux qui, après avoir émis, à l'époque, un vote favorable, et apparemment sans
le moindre état d'âme, estiment devoir sanctionner l'actuel projet au motif
qu'il ne traiterait pas suffisamment l'outre-mer comme une priorité !
M. Jean-Marc Pastor.
Très bien !
M. Claude Lise.
Ce grief est tout à fait injuste. Il l'est d'autant plus que l'effort
budgétaire et financier qui, tous ministères confondus, est prévu pour
l'outre-mer va progresser nettement plus que le budget de l'Etat.
Entre 1997 et 2001, il a d'ailleurs connu une augmentation de 35 %, contre 8,9
% pour le budget de l'Etat, le budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer ayant
progressé, pour sa part, de 27 % à périmètre constant.
Mais ce qui mérite plus encore d'être unanimement salué dans le projet qui est
soumis à notre examen, c'est le parti pris qu'il traduit de privilégier les
mesures visant la création d'emplois : plus de 47 % des crédits y sont
consacrés. Telle est, en effet, la priorité qui a été clairement affichée par
Lionel Jospin dès son arrivée à Matignon.
Cette priorité n'est pas seulement bien mise en évidence dans votre projet de
budget, monsieur le secrétaire d'Etat, elle l'est également dans les
instruments opérationnels que sont les contrats de plan et le document unique
de programmation des fonds européens, dans l'important dispositif de
défiscalisation adopté voilà un an et, bien entendu, dans la loi d'orientation
pour l'outre-mer.
Celle-ci va d'ailleurs trouver, notamment grâce à la forte augmentation des
crédits du FEDOM, le financement nécessaire à la mise en oeuvre de nouvelles
dispositions en faveur de l'emploi telles que le projet initiative-jeunes, qui
est particulièrement apprécié, le congé solidarité ou l'allocation de retour à
l'activité.
Une autre priorité concerne un domaine où les besoins sont toujours très
importants outre-mer : le logement. Là, nous nous réjouissons de constater que
l'effort budgétaire va au-delà de la simple compensation de la créance de
proratisation.
En effet, les autorisations de programme augmentent de près de 40 % et les
crédits de paiement de 11 %, ce qui, conjugué à toute une série de mesures
mises en oeuvre au cours de cette année, devrait permettre d'améliorer les
résultats obtenus jusqu'à présent.
Dans divers autres domaines, tels que l'action sociale, la culture et la
coopération régionale, nous constatons également avec satisfaction une
progression des crédits inscrits au projet de budget qui nous est présenté.
Tous ces éléments positifs ne trouvent pas pour autant grâce auprès de ceux
qui ont décidé, une fois pour toutes, que ce gouvernement ne pouvait pas
conduire une bonne politique pour l'outre-mer.
A défaut de pouvoir démontrer une réduction des moyens proposés dans ce
budget, ils affirment que ceux-ci n'atteindront pas leurs objectifs. De là à
laisser entendre que des crédits sont gaspillés, il n'y a qu'un pas, que
franchissent allègrement ceux qui aiment bien considérer que les mesures
destinées à promouvoir l'égalité des chances, voire à assurer l'égalité des
droits, sont des mesures d'assistanat !
Mais, croyez-moi, ceux qui n'ont que trop subi les méfaits des authentiques
politiques d'assistanat - je pense évidemment aux citoyens des départements
d'outre-mer - ne peuvent se méprendre sur la question. Il ne leur a pas échappé
qu'une véritable rupture s'était opérée depuis quelque temps dans la manière
d'appréhender et de traiter les problèmes des départements d'outre-mer. La
démarche qui a présidé à la conception et à l'élaboration de la loi
d'orientation en est, à coup sûr, un éloquent témoignage.
Les résultats de la nouvelle politique menée sont déjà bénéfiques pour
l'emploi. Pour la première fois, en effet, on assiste à une légère décrue - de
10 % - du chômage dans l'ensemble des départements d'outre-mer depuis 1999.
Les résultats seraient d'ailleurs déjà certainement plus significatifs si
l'ensemble des mesures de la loi d'orientation avaient pu entrer en application
beaucoup plus rapidement et toucher tous les bénéficiaires potentiels. Mais les
décrets d'application se sont échelonnés tout au long de l'année et, surtout,
la promotion des mesures s'est révélée difficile pendant les premiers mois,
faute de moyens adaptés, et aussi du fait de l'action de ce que j'appelle le «
cartel des opposants à la loi d'orientation pour l'outre-mer ».
Par ailleurs, il faut bien reconnaître que certains problèmes conjoncturels
sont venus contrecarrer les effets positifs des différents dispositifs mis en
oeuvre en faveur de l'emploi. Je pense, en particulier pour les Antilles, à la
baisse d'activité du secteur touristique liée, pour une bonne part, à une
véritable crise de la desserte aérienne. Mais je sais que vous vous en
préoccupez, monsieur le secrétaire d'Etat.
Il reste que c'est avant tout sur la question institutionnelle qu'il est
possible de prendre la mesure du changement qui s'est opéré pour les «
différents outre-mer » - pour utiliser une nouvelle expression, ô combien
chargée de sens ! -, et plus particulièrement pour les départements
d'outre-mer.
On peut en effet considérer que, pour ceux-ci, une page est enfin tournée sur
« cinquante ans d'embarras, de non-dits, voire de refus », pour reprendre vos
propres termes, monsieur le secrétaire d'Etat. Permettez-moi d'ajouter : de
refus de voir la réalité en face, d'admettre les différences là où elles
existent et de sortir de catégories conceptuelles réductrices - à commencer par
celle de « DOM » -, de refus d'entendre les légitimes aspirations des peuples à
la dignité, à la responsabilité et à l'affirmation de leur personnalité
propre.
Désormais, grâce à la loi d'orientation, une procédure d'évolution est à la
disposition des populations d'outre-mer. Il s'agit d'une procédure parfaitement
démocratique et radicalement opposée aux tractations obscures, se déroulant
dans le secret de cabinets ministériels, entre groupes de pression politiques
et hauts fonctionnaires, les uns et les autres s'arrogeant abusivement une
légitimité pour décider, dans le dos des citoyens, de questions on ne peut plus
déterminantes pour l'avenir de ces derniers.
M. Dominique Larifla.
Très bien !
M. Claude Lise.
Cette procédure vise, en fait, à garantir la maîtrise locale de l'initiative,
à travers la réunion des élus en congrès, et à garantir la maîtrise locale de
la décision finale, grâce à la consultation désormais possible - il s'agit là
de l'apport fondamental de la loi d'orientation - des seuls citoyens
concernés.
M. Jean-Marc Pastor.
Très bien !
M. Claude Lise.
Cette procédure s'est heurtée, bien entendu, au fameux cartel des opposants à
la loi d'orientation pour l'outre-mer, au sein duquel le souci de cohérence
intellectuelle et politique ne semble pas essentiel. N'a-t-on pas vu des
leaders de ce cartel signer une saisine du Conseil constitutionnel qui visait à
la censure des dispositions prévoyant la consultation locale, alors que les
mêmes se prétendent partisans de celle-ci ?
De façon encore plus paradoxale, on les a vus aussi réclamer la censure de
l'article 1er, qui affirme le droit à des évolutions institutionnelles et
statutaires différenciées, alors qu'ils en font, par ailleurs, leur cheval de
bataille !
Tout a été essayé pour contrer cette procédure, décidément très gênante pour
certains. Les arguments les plus spécieux et les plus extravagants ont été
utilisés ! On lui a reproché, dans le même temps, d'être sans intérêt et de
constituer un très grand danger, de cadenasser toute issue permettant de sortir
du
statu quo
et d'ouvrir largement la porte sur la voie de
l'indépendance, de faire perdre du temps et de précipiter les choses !
On a surtout - et c'est plus grave - tenté d'en détourner les citoyens par des
manoeuvres de diversion qui ont jeté l'opinion dans la plus grande
confusion.
Il n'empêche, cette procédure est bel et bien enclenchée en Guyane, en
Guadeloupe et en Martinique. Nombre de ses détracteurs finissent même par en
reconnaître les mérites, ne serait-ce que parce qu'elle a permis de rétablir un
indispensable dialogue entre les élus appartenant aux familles politiques les
plus opposées.
Les citoyens, quant à eux, paraissent de plus en plus attentifs aux travaux
qui se déroulent dans ces congrès, de plus en plus demandeurs d'informations en
vue de la phase essentielle que constitue, pour eux, la consultation locale sur
tout projet élaboré par leurs élus et pris en compte par le Gouvernement.
Ils souhaitent vivement, bien entendu, que tous les candidats à la prochaine
élection présidentielle exposent très clairement leurs positions sur la
question institutionnelle ouvertement posée en Guyane, en Guadeloupe et en
Martinique.
Pour ma part, je ne vous cacherai pas que j'ai particulièrement apprécié la
déclaration faite récemment à ce sujet devant les maires d'outre-mer par le
Premier ministre, M. Lionel Jospin, dont il ne semble pas interdit de penser
qu'il pourrait être candidat.
(Sourires.)
Il s'est engagé à respecter scrupuleusement la procédure actuellement
enclenchée et il a rappelé les quatre principes qui conditionnent pour lui la
prise en compte d'un projet : le maintien dans la République et le respect des
grands principes de son droit ; le maintien dans l'Union européenne ; la
non-remise en cause de l'égalité des droits, notamment des droits sociaux ;
enfin, l'approbation du projet par les populations avant toute éventuelle
révision constitutionnelle.
J'ai l'intime conviction qu'il s'agit de principes auxquels mes compatriotes
sont profondément attachés en Martinique.
C'est dire qu'ils ne sont prêts à accepter ni statut d'indépendance ni statut
de territoire d'outre-mer, et, en toute hypothèse, aucun statut imposé.
Mais ce serait une grave erreur de croire, pour autant, qu'ils ne souhaitent
pas un profond changement.
Ils sont, en effet, de plus en plus conscients des conséquences néfastes,
notamment pour l'efficacité des politiques locales de développement, du système
actuel de deux assemblées et de deux exécutifs aux compétences enchevêtrées.
Ils sont également de plus en plus conscients de la nécessité que soient
prises sur place toutes les décisions qui, pour être efficaces, doivent être
prises au plus près des réalités locales et dégagées des procédures
paralysantes mises en oeuvre par des administrations parfois plus soucieuses de
bloquer que de faciliter.
Ils désirent de plus en plus ardemment que soient créées les conditions d'une
meilleure affirmation de l'identité martiniquaise et d'une meilleure insertion
de la Martinique dans son environnement géographique naturel.
C'est dire que ceux qui s'imaginent que l'on pourra demain se contenter de
plaquer dans les départements d'outre-mer de nouvelles réformes conçues ici
pour donner un second souffle à la décentralisation dans l'Hexagone se trompent
lourdement.
Ce serait recommencer la même erreur qu'en 1982 et se condamner à en revivre
les conséquences.
En fait, les seuls choix réalistes qui s'offrent pour sortir d'une situation
que bien peu trouvent acceptable se situent dans le cadre, depuis longtemps
proposé par Aimé Césaire, de l'autonomie régionale.
Et peu importe que le mot autonomie ait été longtemps diabolisé - parfois même
par certains de ceux qui, aujourd'hui, s'en réclament - s'il peut recouvrir un
contenu conciliant au mieux les aspirations des Martiniquais et les contraintes
du monde d'aujourd'hui.
Il faut parvenir - et telle doit être la tâche des élus du congrès - à en
définir de façon précise le contenu, à faire en sorte qu'il rencontre une large
adhésion populaire tout en répondant aux impératifs de développement de la
Martinique et d'épanouissement de ses citoyens.
Alors, viendra pour les Martiniquais le temps de s'engager sur cette voie de
la responsabilité à laquelle vous avez su, monsieur le secrétaire d'Etat,
apporter votre contribution.
(Applaudissements sur les travées socialistes
et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - André Boyer
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Désiré.
M. Rodolphe Désiré.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
budget pour 2002 du secrétariat d'Etat pour l'outre-mer s'inscrit, c'est vrai,
dans un contexte qui fait suite à la mise en place, fin 2000, de la loi
d'orientation pour l'outre-mer et de la loi d'incitation fiscale à
l'investissement, dite « loi Paul ».
Avec 7,08 milliards de francs, ce budget progresse de 3,8 % parrapport à
l'année précédente. Tous ministères confondus, les dépenses de l'Etat en faveur
de l'outre-mer s'élèvent cette année à plus de 67 milliards de francs.
Sans m'adonner au traditionnel exercice d'analyse des lignes budgétaires, je
soulignerai toutefois que l'effort financier consenti depuis plusieurs années
par le Gouvernement en faveur de l'outre-mer est appréciable, voire
considérable.
Néanmoins, quand on se penche sur les résultats de cet effort, on ne peut pas
dire qu'on soit à la veille d'un
New Deal
, d'un nouveau départ visant à
apporter des réponses fortes aux problèmes, nombreux et complexes, que
rencontrent les départements d'outre-mer, sur le plan tant économique, social
que politique. Faut-il rappeler qu'il est toujours préférable de faire mieux
que de faire plus ?
En ce qui concerne le sujet préoccupant de l'emploi, je suis frappé par
l'optimisme des statistiques officielles. Ces dernières font apparaître que,
depuis 1999, le nombre des demandeurs d'emploi en Martinique aurait baissé de
10,5 points et celui des jeunes chômeurs de 21 points. A considérer ces seuls
chiffres, on pourrait penser que la situation économique et sociale s'améliore.
Pourtant, j'ai beau chercher dans quel secteur, je ne trouve pas ! C'est un
mystère et j'aimerais être éclairé sur ce point.
Si l'on examine les différents secteurs de l'économie, que constate-t-on ?
Pour ce qui est de l'agriculture, la filière de la banane, confrontée, comme
vous le savez, à une rude concurrence internationale, est encore affaiblie par
le niveau des cours, qui reste bas. Dans ces conditions il est étonnant, voire
scandaleux, d'apprendre par la presse que la France aurait permis, par la
délivrance excessive de licences d'importation, de surapprovisionner son marché
en « bananes dollars ». Non seulement cela a été préjudiciable aux producteurs
antillais, mais, en outre, cela a conduit notre pays devant la Cour européenne
de justice.
La filière de l'ananas, en pleine convalescence après deux décennies de
difficultés, a aujourd'hui besoin d'une subvention nationale de 30 millions de
francs pour compenser les pertes engendrées par les nouvelles règles de calcul
des aides européennes et par la non-rétroactivité du POSEIDOM au 1er janvier
2001. La survie de la seule unité de transformation d'ananas de la Communauté
européenne en dépend.
Le tourisme subit un véritable désastre couplé à la crise du transport aérien.
La disparition d'AOM et d'Air Liberté, compagnies désormais regroupées en une
seule structure. Air Lib, en témoigne. Le moteur du transport aérien, tout le
monde le sait, a toujours été le tourisme. La compagnie nationale, Air France,
est désormais seule sur le réseau, et les prix grimpent sans cesse, sans
contrôle.
En Martinique, le déclin du secteur touristique a commencé bien avant les
événements du 11 septembre dernier, plus précisément en 1998, avec la mise à
mal du dispositif de défiscalisation. Initié en 1986 par la loi Pons, celui-ci
avait permis de drainer vers le tourisme d'importants capitaux qui, autrement,
n'auraient jamais été investis outre-mer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre loi d'incitation fiscale à
l'investissement, dite « loi Paul », censée relayer la loi Pons, n'est toujours
pas appliquée, faute du feu vert de la Commission européenne. Elle semble
d'ores et déjà nettement insuffisante, notamment pour relancer le secteur
touristique.
L'absence de fonds privés pour la construction d'hôtels et la suppression de
la possibilité d'imputer des déficits sur les bénéfices industriels et
commerciaux, les BIC, conduisent aujourd'hui tous les grands groupes hôteliers
français, à l'image d'Accord, du Méridien et du Club Méditerranée, à se retirer
des Antilles, plus particulièrement de la Martinique.
Que l'on ne vienne pas me dire que la crise actuelle est due au mauvais
accueil et à la mauvaise qualité du nos produits. La vérité, c'est que le
tourisme n'est plus rentable aux Antilles devant la concurrence de Cuba, de
Saint-Domingue ou de Sainte-Lucie, et que l'on ne peut pas demander aux grands
groupes hôteliers, fussent-ils philanthropes, d'aller perdre de l'argent chez
nous. Ce secteur du tourisme français dans les Caraïbes, gros pourvoyeur
d'emplois, nécessite aujourd'hui d'être totalement restructuré. Une
intervention volontariste de l'Etat est nécessaire si l'on veut préserver ses
chances de survie.
Notre inquiétude est également grande pour le secteur des nouvelles
technologies de l'information et de la communication, les NTIC, qui pourrait,
si l'on n'y prend garde, subir le même sort que le tourisme.
On encourage les entreprises, par toutes sortes d'incitations, à s'installer
chez nous, et, une fois qu'elles y sont, on les abandonne en route. C'est ainsi
que le Gouvernement et vous-même avez encouragé les investisseurs nationaux et
locaux de la téléphonie mobile, à l'image d'Outremer Télécom, à investir
lourdement dans ce secteur qui a connu un développement intense outre-mer, ces
dernières années, nous laissant espérer un large accès aux nouvelles
technologies.
Hélas ! force est de constater que, pour la téléphonie mobile, les 300
millions d'agréments demandés cette année par les opérateurs ont été refusés
par le ministère de l'économie et des finances. Je signale que, compte tenu de
la conjoncture, même France Télécom n'est pas en mesure de poursuivre ses
investissements chez nous.
Dans le même temps, près de 2 milliards de francs d'agréments étaient
consentis pour la construction d'une usine de nickel et l'acquisition de deux
Airbus en Nouvelle-Calédonie.
Le Gouvernement aurait-il décidé que la défiscalisation est désormais réservée
au Pacifique et à la Nouvelle-Calédonie ? Ce serait une vision à court terme,
porteuse de grosses déceptions dans le futur. C'est pourquoi cette question
devrait faire le plus rapidement possible l'objet d'un arbitrage du Premier
ministre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne
ferai plus qu'esquisser les questions que je voulais soulever devant vous.
Avec une rémunération supérieure de 40 % à celle du secteur privé, comment
croire qu'un pays puisse se développer sur le long terme ? Où en est
l'application de la décision prise par le Parlement l'année dernière de
supprimer la prime d'éloignement ?
Dans quel système une économie handicapée à la fois par la géographie et par
l'histoire a-t-elle des chances de se développer, alors que ses taux d'intérêt
sont supérieurs de trois points au moins à ceux dont bénéficient ses
concurrents directs ? Je parle de la différence des taux d'intérêt entre la
métropole et les DOM.
Pensez-vous que l'on puisse investir sans inquiétude dans un pays en proie à
une insécurité grandissante et incontrôlée ? C'est le cas de la Martinique où
cette insécurité, dont le moteur essentiel est la drogue, n'a cessé de croître
ces dix dernières années. Il faut rappeler que la Martinique est en première
ligne, à quelques encablures des côtes du Venezuela et de la Colombie. Ne pas
en tenir compte serait une erreur lourde de conséquences pour l'avenir.
Dès lors, s'il convient de renforcer encore les moyens de la police, des
douanes et de la gendarmerie, il faut certainement revoir aussi notre politique
de coopération régionale avec nos voisins immédiats - Sainte-Lucie, Dominique,
Saint-Vincent - en privilégiant les accords pour la sécurité, la police et le
développement économique. Cela nous sera plus profitable que le strapontin que
nous occupons à l'Association des Etats de la Caraïbe, l'AEC, qui ne nous sert
à rien sinon à serrer la main de Fidel Castro, Vincente Fox ou Hugo Chavez.
(Sourires.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, quel est votre pouvoir sur les fonctionnaires
de l'Etat en Martinique ? Alors que les services de la direction des services
vétérinaires, la DSV, brûlent des mollusques - les lambis - rapportés des côtes
d'Haïti par nos pêcheurs martiniquais, ils laissent rentrer sur nos marchés ces
mêmes mollusques en provenance du Pérou et de la Jamaïque. M. Darsières et
moi-même, nous vous parlons de ce problème depuis des mois, mais la situation
perdure. Faut-il croire qu'un petit fonctionnaire a plus d'importance qu'un
ministre de la République ? Il est vrai que ce n'est pas invraisemblable chez
nous...
Il me semble que le processus d'évolution institutionnelle menace d'aboutir à
une impasse. En effet, les avant-projets élaborés par les différents congrès
des Antilles-Guyane tendent aujourd'hui à réclamer des nouvelles collectivités
territoriales dotées de pouvoirs réglementaires et législatifs. Or, cela sort
d'ores et déjà du cadre de la Constitution.
Je me souviens avoir parlé il y a quelques années du poisson de Tagore, celui
qui fait des cercles dans un bocal sans pouvoir en sortir.
(Sourires.)
Cela avait beaucoup déplu... Je vois que la situation actuelle rejoint cette
métaphore. Le poisson, c'est nous, et le bocal, c'est l'article 73 de la
Constitution ! Ne serait-il pas plus judicieux de poser dès maintenant, sur le
plan national, le principe de la révision de cet article, voire du titre XII de
la Constitution ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Bien sûr !
M. Rodolphe Désiré.
Comme disait Oscar Wilde « pour un homme ou une nation, le mécontentement est
le premier pas vers le progrès ».
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous l'avez bien compris, ces quelques
considérations étaient destinées, en ces temps de pré-campagnes présidentielles
et législatives, à envoyer quelques signaux aux candidats potentiels afin
qu'ils puissent en tenir compte dans leurs programmes.
Je voterai votre budget, considérant, par ailleurs, que vous vous êtes
vous-même particulièrement investi pour faire avancer l'outre-mer.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
ne m'attarderai pas sur les considérations générales qui ont fait l'objet de
remarques particulièrement pertinentes de mes collègues rapporteurs.
Je dois cependant dire à ce sujet que j'aurais été heureux de vous féliciter
de la croissance de votre budget, qui aurait pu marquer la sollicitude du
Gouvernement pour l'outre-mer s'il n'apparaissait que cette croissance était
incertaine. En effet, les reports de crédits représentent des parts de plus en
plus importantes du budget : 20 % en 2001.
Quant aux « contrats de gestion », qui sont une nouvelle forme de régulation
budgétaire, ils peuvent atteindre 40 % des dépenses en capital. Le vote de la
loi de finances initiale n'a donc plus de sens.
J'ai noté par ailleurs que la progression des effectifs rémunérés par vous
était liée à la disparition du service national, qui a entraîné l'ouverture de
postes pour 500 volontaires sur votre budget. Cela m'amène à m'interroger sur
les inscriptions budgétaires concernant le SMA, le service militaire adapté.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez qu'en Polynésie française
la prise en charge des dépenses du SMA est assurée par un prélèvement sur notre
fonds de reconversion. Pourriez-vous nous indiquer comment s'effectue le
transfert entre le ministère de la défense, où figure notre fonds, et votre
département ?
C'était là l'un des points de contentieux entre le territoire et l'Etat,
compte tenu du coût très élevé de chaque stagiaire du SMA par rapport aux
cycles civils de formation professionnelle. Mais ce n'est pas là le problème
essentiel du fonds de reconversion, qui, comme vous le savez, a servi de
réserve au ministère de la défense pour un certain nombre de dépenses, dont
celles du 5e régiment étranger basé à Hao jusqu'à sa dissolution.
Cette dissolution a eu comme conséquence l'abandon de la base militaire et des
installations correspondantes, dont la piste long courrier. Ces équipements
doivent être transférés à la Polynésie française, comme convenu, et j'ai à cet
effet déposé un amendement qui viendra prochainement en discussion.
Indépendamment des problèmes que je viens d'évoquer, la mise en oeuvre du
fonds de reconversion continue à s'effectuer de manière pour le moins
cahotique.
Alors qu'était annoncée, lors de la signature de la convention accordant à la
Polynésie française une compensation de reconversion, une manne de 990 millions
de francs par an pendant dix ans, la réalité n'a rien à voir avec ces sommes :
au 31 octobre 2001, soit plus de cinq ans après la signature, les liquidations
s'élevaient seulement à 680 millions de francs !
Les prélèvements dont j'ai parlé précédemment ont en effet été très élevés.
Par ailleurs, la procédure de décision et de mise en oeuvre des moyens
financiers atteint des sommets de lourdeur. Enfin, les crédits prévus par la
convention, selon des mécanismes très précis, ne sont pas mis en place en
totalité !
Lors de la dernière réunion du comité de gestion du fonds de reconversion, le
29 novembre, il manquait environ 250 millions de francs d'autorisations de
programme, sur les 465 millions de francs dus. Quant aux crédits de paiement,
ils étaient quasiment épuisés !
Je passe sur les étranges épisodes où l'on nous indique qu'un projet est
éligible et bénéficie du soutien de l'Etat, mais où, en définitive, de
condition supplémentaire en condition supplémentaire, la Polynésie française
doit se contenter du mirage d'une subvention.
Ce fut le cas pour l'hôpital central de la Polynésie, que M. le ministre
délégué à la santé vient de rappeler à notre bon souvenir à la tribune de
l'Assemblée nationale, alors même que le territoire a été contraint de le
financer intégralement.
La mission d'expertise en cours entre l'Etat et la Polynésie française
permettra, je l'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, de mettre au point un
dispositif plus efficace et plus respectueux de la philosophie qui inspirait la
convention de reconversion et la loi d'orientation.
Je dois également vous signaler, à l'occasion de la discussion budgétaire,
deux des soucis de la Polynésie française liés à la sécurité des citoyens.
L'insécurité, même dans nos îles paradisiaques, grandit avec l'urbanisation
croissante. Les forces de police sont manifestement insuffisantes, et le
concours de recrutement qui vient d'être organisé ne permettra que de rattraper
partiellement le retard.
De plus en plus, les entreprises et les individus font assurer le gardiennage
de leurs installations ou de leurs logements par des sociétés privées. Le
territoire, de son côté, doit assurer par lui-même celui de ses propres
bâtiments et équipements, ce qui ne cesse de poser le problème des limites de
son action en matière d'ordre public.
Il faut que l'Etat se dote des moyens nécessaires ou qu'il laisse le
territoire et les municipalités assumer ce qu'il ne peut assumer.
A cela s'ajoute la situation qui découle des conditions de détentions dans les
établissements pénitentiaires de Polynésie, qui ont été qualifiées d'«
inhumaines » et « d'un autre temps » par le secrétaire général du syndicat
national pénitentiaire FO lors d'une visite sur place au mois de septembre
dernier.
Ce syndicaliste a d'ailleurs adressé un rapport circonstancié à Mme la
ministre de la justice à ce sujet. Le problème de la titularisation des
quatorze agents territoriaux en service à la maison d'arrêt de Nuutania n'est
toujours pas réglé. Quand pensez-vous les titulariser ? Quand ouvrirez-vous les
postes supplémentaires indispensables ?
Enfin, je rappelle, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom des communes de
Polynésie, que la contribution de l'Etat au fonds intercommunal de péréquation,
telle que fixée dans la loi d'orientation, est chaque année en retard. C'est
ainsi que le versement au titre de l'année 2000 vient seulement d'être effectué
et qu'aucune disposition ne semble prise dans le projet de loi de finances pour
2002.
Bien que les subventions de l'Etat ne constituent qu'une petite partie du
budget des communes, essentiellement alimentées par le territoire pour un
montant de 700 millions de francs, ces retards entraînent des tensions
insupportables pour les budgets communaux. Il conviendrait d'y porter
remède.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je regrette d'avoir à apporter de si nombreuses
critiques à votre budget et aux interventions de l'Etat en Polynésie française.
Je le regrette d'autant plus que vous venez d'accepter d'assouplir les
conditions inacceptables qui avaient été mises à l'octroi d'une subvention pour
l'achat d'un Airbus par notre compagnie aérienne internationale, Air Tahiti
Nui, ce dont je vous remercie.
A ce sujet, je me fais l'écho de tous mes collègues parlementaires de
l'outre-mer pour vous dire à quel point la situation de notre desserte aérienne
nous préoccupe.
Nous souhaitons - je le redis ici pour qu'aucune ambiguïté ne subsiste -,
qu'Air Lib vive et assure de manière pérenne nos liaisons.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
C'est bien !
M. Gaston Flosse.
C'est pourquoi, en ce qui concerne la Polynésie, nous mettons au point un
accord de coopération entre Air Lib et Air Tahiti Nui. J'ose espérer que cette
participation financière de la Polynésie confortera Air Lib et vous permettra
de faire accorder à Air Tahiti Nui les droits de trafic jusqu'à Paris qui
n'auraient pas dû lui être contestés et qui lui sont refusés.
Mais vous savez que vous avez avec moi un interlocuteur vigilant et exigeant,
pour la Polynésie française et pour la République.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Et réciproquement !
M. le président.
La parole est à M. Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
tiens à dire, au nom du groupe de l'Union centriste que je représente à cette
tribune avec ma collègue Anne-Marie Payet, que nous n'allons pas jouer à ce jeu
puéril qui consiste, selon que l'on appartient à l'opposition ou à la majorité,
à être l'avocat excessif ou le procureur du Gouvernement.
Cette année, comme les deux années précédentes, l'Etat fait un effort
substantiel, un effort de solidarité à travers ce budget, même si ce dernier ne
représente que 11 % de l'effort global de l'Etat à l'égard de l'outre-mer.
En écoutant les rapporteurs et les orateurs, on s'aperçoit que, apparemment -
je dis bien « apparemment » - ce n'est pas seulement un manque de moyens
financiers qui s'oppose à notre volonté commune d'atteindre une nouvelle phase
de développement de l'outre-mer. A la limite j'aurais même envie de dire que ce
n'est pas d'abord un manque de moyens financiers qui s'y oppose puisque, si
l'on ajoute les contrats de plan, les DOCUP, les documents uniques de
programmation, et les efforts des divers ministères du Gouvernement, les sommes
dégagées sont globalement importantes. C'est là que le bât blesse.
Certains diront qu'il faut nous donner plus de responsabilités, qu'il faut
rénover les institutions et réviser la Constitution, qu'il faut « changer la
baraque » et renforcer notre identité. D'autres diront au contraire que le mal
est peut-être dans une mauvaise utilisation du pouvoir qui nous est déjà
confié.
Je fais mon
mea culpa
à cette tribune : nous sommes de mauvais
ouvriers. Nous avons pourtant de bons outils : les sondages qui sont faits
outre-mer montrent que plus de 60 % de nos concitoyens estiment que nous, élus
locaux, n'utilisons pas suffisamment bien les moyens et les responsabilités qui
nous sont donnés. Pourtant, on en veut encore plus.
Nous assistons à une fuite en avant institutionnelle qui masque les réalités
et empêche de voir les vrais problèmes. L'Union centriste considère donc que
l'outre-mer a beaucoup plus d'avantages à s'intégrer harmonieusement à un socle
constitutionnel unique en procédant à certaines adaptations législatives ou à
certaines adaptations de directives communautaires dans le cadre du traité
d'Amsterdam, qu'à jouer des partitions différentes et à se disperser, à perdre
son unité face à l'ensemble européen et à l'ensemble national.
Que pèserait chaque département d'outre-mer séparément, avec un statut
différencié ? Le traité d'Amsterdam fait d'ailleurs bien référence aux Açores,
aux Canaries, à Madère et aux départements d'outre-mer. Si, demain, chaque
département d'outre-mer devient une collectivité particulière à l'exception de
la Réunion qui a fait, en mars, le choix d'une intégration plus poussée et plus
harmonieuse à l'ensemble national et à l'ensemble communautaire, nous courrons
le risque que, sinon le Gouvernement français, du moins les instances
européennes nous disent : « messieurs, vous ne pouvez pas avoir le beurre et
l'argent du beurre ! ».
Il faut respecter le principe d'harmonisation. Aucun élu des départements
d'outre-mer ne pourra déroger à ce principe sous prétexte de respect de son
identité.
Le problème de l'adaptation constitutionnelle n'est pas seulement - même si
c'est déjà un grand problème - une question de responsabilité nationale. C'est
aussi et avant tout, aujourd'hui, un problème de cohérence communautaire.
C'est d'ailleurs une circonstance aggravante quand on sait que les pays de
l'Est vont frapper à la porte de l'Europe, y entrer et devenir, en matière de
consommation des crédits de la cohésion, de l'extension du marché européen et
de la complémentarité économique dans le développement européen, des pôles
beaucoup plus importants que les quatre départements d'outre-mer.
C'est la raison pour laquelle notre groupe estime qu'il faut agir avec
discernement, prudence, et hiérarchiser nos priorités.
Pour débloquer la situation outre-mer, notre première priorité est de relever
le défi de la qualification professionnelle des jeunes, afin de les ouvrir sur
leur environnement et sur l'Europe. Que ce soit par des crédits provenant de
l'Etat ou de l'Europe, il faut mettre le paquet, si vous me permettez
l'expression, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que tout jeune domien
s'intègre dans la société grâce à l'éducation, à la qualification
professionnelle, au travail, en un mot, avec dignité.
S'agissant de la loi d'orientation, je souhaite qu'à l'occasion du débat
d'aujourd'hui vous nous apportiez deux précisions, monsieur le secrétaire
d'Etat.
La première porte sur les projets initiative-jeunes, dont nous sommes grands
consommateurs, à la Réunion. Nous souhaiterions l'être davantage mais, comme je
vous en ai informé dernièrement, lors de notre rencontre, nous nous heurtons à
des blocages.
Le premier est d'ordre procédurier et financier. Pourquoi faut-il six mois,
voire plus, pour débloquer la moitié des 4 000 francs alloués actuellement aux
PIJ ?
Le Comité national d'accueil des Réunionnais en métropole, le CNARM, passe
actuellement une convention avec les chambres de métiers et les chambres de
commerce de métropole pour signer un maximum de contrats de qualification.
Monsieur le secrétaire d'Etat, seriez-vous d'accord pour rendre éligibles les
PIJ au CNARM, de telle sorte que nous puissions, en 2002, démultiplier le
nombre de vrais contrats de qualification ? Pourquoi en métropole ? Tout
simplement parce que dans les départements d'outre-mer, en tout cas à la
Réunion, les entreprises ne sont pas assez nombreuses pour absorber la masse
des jeunes qui sont en droit de demander un contrat de qualification.
La Réunion est un précurseur des congés de solidarité, qui constituent, avec
les PIJ, deux mesures phares de la loi d'orientation pour l'outre-mer. Les deux
grandes collectivités, région et département, ont déjà budgété et voté les
crédits complémentaires nécessaires à la mise en oeuvre de 3 000 congés. Mais
le dossier est bloqué à la fois par les PME et les syndicats.
Les PME, elles, veulent obtenir un délai plus long pour verser la part des
crédits qui leur est demandée. Quant aux syndicats, ils veulent un relèvement
de la dotation pour la prime de départ. A quinze jours de la date de la
signature du contrat, le Gouvernement peut-il nous aider à trouver une solution
?
J'en viens au problème du transport aérien. Plusieurs collègues sont déjà
intervenus, et d'autres le feront encore, pour vous dire notre inquiétude face
à la situation d'Air Lib. Nous ne voulons pas tirer une sonnette d'alarme
inutilement, mais il n'en est pas moins vrai que cette compagnie connaît des
difficultés dues à la faillite de Swissair. Une délégation d'élus souhaiterait
vous rencontrer pour examiner ensemble la façon dont la compagnie Air Lib
pourrait être sauvée. On vole mieux avec deux ailes qu'avec une, si vous me
permettez cette image pour dire que deux compagnies valent mieux qu'un monopole
dans ce domaine.
La desserte aérienne des départements d'outre-mer constitue notre deuxième
grande priorité, aussi bien pour le fret que pour la mobilité de nos jeunes, ou
encore pour notre tourisme en pleine extension, avec, c'est vrai, des phases de
crises comme en Martinique. Sans liaisons aériennes, il nous est impossible de
développer notre économie, monsieur le secrétaire d'Etat.
Où en sont les négociations que vous menez actuellement, au nom de l'Etat
français, avec la Commission pour que soient appliquées concrètement les
dérogations prévues dans le traité d'Amsterdam en matière économique, en
matière de lutte contre les handicaps liés à la distance, ou encore les
adaptations des règlements en ce qui concerne tant les droits d'accises que
l'octroi de mer, etc. ?
Dans les départements d'outre-mer, les crédits européens sont versés avec
retard, ce qui constitue un autre facteur de blocage. Aujourd'hui, le
différentiel entre le conseil général de la Réunion et l'Etat s'élève à 420
millions de francs de crédits non versés. Lorsque nous travaillons avec le
représentant de l'Etat sur place ou avec votre trésorier-payeur général, nous
mesurons, monsieur le secrétaire d'Etat, la lourdeur de la procédure de mise en
oeuvre de ces crédits.
Accepteriez-vous que, soit à Paris, soit sur place - nous préférerions sur
place, mais c'est à vous de décider - nous recherchions une solution ? Si cette
procédure lourde et complexe, en raison des pièces trop nombreuses, n'était pas
allégée, les quatre départements d'outre-mer risqueraient d'être accusés, au
fil des années, de ne pas avoir été capables de consommer les crédits
concernés. Je vous prie de nous aider dans ce domaine, cette procédure faisant
obstacle à la bonne mise en oeuvre des contrats de développement.
Tels sont les quelques points que je voulais évoquer.
S'agissant des institutions, M. le Président de la République a déclaré ceci à
Fort-de-France : « Les institutions, les statuts, ne sauraient, à eux seuls,
résoudre les problèmes d'une société. Un projet économique et social est un
support indispensable à un statut rénové, qui ne saurait produire d'effet
positif dans une société où l'Etat de droit ne serait ni garanti ni respecté.
»
Cette déclaration me convient. Elle me rappelle la définition que le doyen
Hauriou donnait de l'institution : c'est l'homme qui crée les mauvaises
institutions et gâte les bonnes. Par ricochet, sans doute, les institutions
mauvaises gâtent les hommes. Le principe fondamental est donc que le mal n'est
pas dans la société, il est dans l'homme ! Dès lors, avant de nous lancer dans
des aventures institutionnelles qui risquent de mettre en péril la solidarité
tant nationale qu'européenne, conjuguons mieux nos efforts et les moyens dont
nous disposons. Nous réussirons ainsi une nouvelle phase de développement !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. GuyFischer.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER