SEANCE DU 28 JUIN 2001
RATIFICATION DU TRAITÉ DE NICE
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 373, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de Nice
modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les
Communautés européennes et certains actes connexes. [(Rapport n° 406
(2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis
aujourd'hui, en cette veille de la fin de la session parlementaire, pour
examiner le projet de loi autorisant la ratification du traité de Nice, signé
le 26 février dernier.
Comme vous le savez, les autorités françaises ont souhaité montrer l'exemple
et adresser un message politique fort, notamment aux pays candidats à
l'adhésion, en procédant sans tarder à la ratification de ce traité qui
conditionne l'avenir de l'Union européenne. Aussi, après l'examen par le
Conseil d'Etat et l'adoption en conseil des ministres, le 9 mai dernier - date
de la Journée de l'Europe - le projet de loi a été débattu, très longuement,
par vos collègues de l'Assemblée nationale. Il a été finalement adopté, le 12
juin dernier, à une très large majorité : 407 voix pour et 27 voix contre,
auxquelles il convient d'ajouter 113 abstentions. J'espère qu'il pourra en être
de même aujourd'hui dans cette enceinte, avec un résultat aussi clair.
Le Parlement européen, quant à lui, même s'il a critiqué certains aspects du
traité, s'est largement prononcé pour une ratification rapide, afin d'engranger
ses acquis et d'ouvrir la voie au débat sur l'avenir de l'Union.
Je souhaite, d'abord, bien sûr faire avec vous le point sur l'état de la
procédure dans les autres Etats membres.
Plusieurs de nos partenaires de l'Union ont également engagé rapidement les
procédures de ratification. C'est le cas du Danemark, qui s'est prononcé
positivement le 1er juin dernier. Je note d'ailleurs que son Parlement,
extrêmement pointilleux, on le sait, sur les questions de souveraineté, a pour
la première fois décidé de choisir la voie parlementaire et non le référendum,
considérant, tout comme nous, que le traité de Nice ne comporte pas de nouveaux
transferts de compétences à l'Union.
L'Irlande, en revanche, a organisé un référendum, le 7 juin dernier, pour des
raisons qui tiennent à sa Constitution. Ce vote du peuple irlandais a donné
lieu à de nombreuses réactions et commentaires de la part de toutes les
formations politiques, en Europe comme en France. Il est donc légitime que nous
en parlions aujourd'hui - il serait surprenant de ne pas le faire - même si ce
« non » irlandais ne doit en rien nous amener - c'est en tout cas la position
du Président de la République et du Gouvernement ; c'est également la position
des autorités irlandaises elles-mêmes - à considérer ce traité comme caduc ni,
donc, à remettre en cause la procédure engagée.
Les Irlandais ont toujours, on le sait, apporté un fort soutien à la
construction européenne. Ils viennent, pour la première fois depuis leur
adhésion, d'exprimer un avis négatif, accompagné en outre d'une forte
abstention. Nous avons eu l'occasion d'en discuter avec nos amis irlandais au
sein du Conseil, puis au niveau des chefs d'Etat et de Gouvernement, à
Goteborg, voilà deux semaines.
S'il ne peut pas être envisagé de renégocier le traité lui-même ni de
repousser le calendrier de ratification prévu, en revanche, il va de soi que
nous examinerons avec nos amis Irlandais les solutions qui pourraient leur
permettre de surmonter la difficulté à laquelle ils se trouvent aujourd'hui
confrontés. C'est ce que les autorités irlandaises demandent, rien de plus,
rien de moins bien sûr.
Sur le fond, je crois sincèrement que nous devrions nous garder de
commentaires établissant des parallèles entre l'Irlande et notre pays. Je peux
comprendre que ce vote réjouisse ceux qui, en France, appellent à rejeter ce
traité, parce qu'ils sont hostiles fondamentalement - on sait qu'ils sont
constants - à la construction européenne telle qu'elle s'est faite depuis
cinquante ans. Je respecte bien sûr ces avis, même si je ne les partage pas.
En revanche, j'avoue moins bien comprendre ceux que le vote irlandais semble
réjouir, au nom d'une Europe qu'ils prétendent vouloir parfaire ou parfaite.
J'inviterai d'ailleurs volontiers ces fervents Européens à s'interroger sur le
sens de leur soudaine communion avec les souverainistes ou extrémistes qui - en
Irlande - ont appelé à rejeter le traité, et qui représentent - je tiens tout
de même à le rappeler - 17 % de la population de ce grand pays.
Pour ma part, je souhaite tirer un enseignement politique de ce référendum :
en l'absence d'un large débat démocratique et d'une vaste explication nationale
de ce traité, le peuple irlandais ne s'est pas mobilisé, notamment ceux qui
sont favorables à l'Union européenne. J'en déduis que, comme tous les autres
peuples de l'Union sans doute, les Irlandais souhaitent être plus consultés,
mieux informés, mieux associés aux décisions qui engagent leur avenir et celui
du continent. Quoi de plus légitime en vérité ! Le gouvernement et le parlement
irlandais en ont tiré un premier enseignement, que je crois intéressant, en
annonçant la création d'un forum national pour débattre de l'avenir de
l'Europe.
En effet, par une sorte de paradoxe de l'histoire, c'est précisément le traité
de Nice, qu'ils viennent de repousser, qui ouvre la voie à ce grand débat
démocratique - indispensable - sur l'avenir de l'Union. J'y reviendrai dans un
instant pour ce qui concerne la France.
Aussi, je fais confiance, avec nombre d'entre vous sans doute, à nos amis
Irlandais pour ratifier, le moment venu - et ce sont eux qui le choisiront dans
les formes qui conviendront - le traité de Nice.
J'en viens précisément au traité lui-même. Un mot, tout d'abord, sur le
contexte dans lequel se situe notre discussion d'aujourd'hui. L'Union
européenne connaît actuellement, nous le savons bien, un fonctionnement peu
satisfaisant de ses principales institutions. D'abord, parce que certaines
réformes - jugées indispensables depuis longtemps - n'ont pu être faites plus
tôt, notamment lors du précédent élargissement à l'Autriche, à la Suède et à la
Finlande. Ensuite, parce que l'Union doit se préparer à un nouvel
élargissement, d'une ampleur sans précédent et de nature différente.
Le « grand soir institutionnel » - je voudrais le souligner - n'a jamais été à
l'ordre du jour du Conseil européen de Nice. Non par manque d'ambition,
contrairement à ce qu'assurent certains. L'enthousiasme ne nous fait pas
défaut, mais nous avons pensé qu'il ne saurait remplacer la recherche de
solutions réalistes, praticables dans le contexte d'une Europe de plus en plus
large, où la synthèse entre élargissement et approfondissement ne sera réussie
que si elle permet de préserver ce qui fait l'essence même du projet
européen.
Les questions qui figuraient à l'ordre du jour à Nice, à savoir le format de
la Commission, le champ d'application du vote à la majorité qualifiée, la
repondération des voix au sein du Conseil - avaient déjà été débattues à
Amsterdam. Mais les chefs d'Etat et de Gouvernement n'avaient pas été alors en
mesure d'aboutir à un accord. Cela montre bien non seulement que ces questions
étaient déjà bien identifiées, mais aussi que chacun en connaissait
parfaitement la grande sensibilité.
L'existence de tels « reliquats », comme on dit, constituait, pour nous, un
problème majeur dans la perspective de l'élargissement. D'où l'initiative de la
déclaration franco-belgo-italienne, qui a permis d'inscrire de façon
solennelle, dans un texte annexé au traité d'Amsterdam, à l'été 1997, la
nécessité de résoudre ces trois questions avant le prochain élargissement, un
élargissement considéré - à juste titre - comme le devoir historique et la
priorité politique de l'Union.
Lors du débat de ratification, le Parlement français - vous-mêmes, mesdames,
messieurs les sénateurs, conjointement avec l'Assemblée nationale - a plaidé -
et avec quelle force ! - pour que cette préoccupation soit clairement inscrite
dans le projet de loi de ratification. Le Gouvernement - je m'en souviens
parfaitement - en a pleinement tenu compte et a choisi de recourir à la
solution, à vrai dire tout à fait exceptionnelle, de l'ajout d'un article 2 au
projet de loi de ratification du traité d'Amsterdam, solennisant ainsi ce que
nous avons appelé à l'époque « le préalable institutionnel à l'élargissement
».
C'est ainsi qu'aux Conseils européens d'Helsinki, en décembre 1999, puis de
Feira, en juin 2000, nous avons pu militer, avec d'autres, pour que soit fixé -
mais aussi limité - l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale de
2000, en concentrant les négociations sur les trois questions restées sans
réponse à Amsterdam.
Se lancer dans un exercice de refondation d'ensemble de l'Union, ce serait
bien sûr séduisant, mais cela nous aurait fait courir le risque de diluer la
négociation et de perdre de vue ces questions. Je pense sincèrement que c'eût
été courir à un échec assuré. Si bien que, hormis les coopérations renforcées,
pour lesquelles nous nous sommes battus, nous n'avons donc pas souhaité ajouter
à l'ordre du jour de la CIG, la Conférence intergouvernementale, d'autres
sujets lourds.
Par ailleurs, lors du Conseil européen de Cologne, nous avons eu la volonté de
retenir une procédure spécifique et totalement nouvelle pour élaborer la
Chartre des droits fondamentaux de l'Union européenne : celle-ci a pu ainsi
être proclamée à Nice, en décembre dernier, et son importance pourrait
d'ailleurs, dans une prochaine étape - j'ajoute que je le souhaite - être
consacrée à travers son intégration dans une Constitution européenne. J'y
reviendrai également dans un instant.
Quels ont été les résultats de cette difficile négociation de Nice ?
Votre rapporteur, M. Xavier de Villepin, les a remarquablement présentés et
analysés dans son rapport. Je sais qu'il y reviendra, avec la clarté que chacun
lui connaît, lors de son intervention dans quelques instants. Permettez-moi de
reprendre ces principaux enseignements en opérant une hiérarchisation selon nos
objectifs initiaux.
Sur la repondération des voix, nous avons quasiment atteint l'objectif fixé.
Sans changement, le système de repondération existant aurait conduit l'Union à
l'enlisement. Le rééquilibrage auquel nous avons procédé est important,
puisqu'il permet aux « grands Etats membres », comme l'on dit, de retrouver une
place conforme à leur poids démographique et politique au sein de l'Union, sans
pour autant rompre la parité entre eux. Ainsi, la grille actuelle, qui
attribuait deux voix au Luxembourg et seulement dix voix aux quatre Etats les
plus peuplés, sera étendue, au 1er janvier 2005, de trois à vingt-neuf voix. On
voit tout de suite que cela est plus conforme à la réalité.
Quant aux coopérations renforcées, elles seront plus faciles à mettre en
oeuvre dans une Union élargie, notamment parce que le quorum d'Etats
participants, grâce au traité de Nice, sera moins contraignant qu'aujourd'hui
et parce que le droit de veto sera, en revanche, considérablement limité. Ces
coopérations renforcées permettront ainsi aux pays qui le souhaitent d'avancer
ensemble, à quelques-uns. Il est évident, pour nous, qu'elles vont constituer
l'outil indispensable à la gestion de la transition, qui ne sera pas simple,
vers une Europe élargie, nécessairement plus hétérogène, au moins durant les
premières années.
J'ajouterai, dès maintenant, parmi les objectifs pleinement atteints, la
modification apportée à l'article 7 du traité, relatif au respect des valeurs
et des droits fondamentaux. Le contexte autrichien, notamment, nous avait
éclairés sur ces lacunes de nos textes. Nous y avons remédié en instaurant, en
particulier sur une proposition autrichienne - c'est l'ironie de l'histoire -,
avant d'éventuelle mesures, un dispositif d'alerte et de prévention.
S'agissant de la Commission, il est évident, et je le reconnais volontiers,
que nous aurions voulu faire mieux. La position française, vous le savez - j'ai
eu l'occasion de l'exprimer ici un très grand nombre de fois -, était très
claire : nous considérions que la Commission, clé de voûte de la méthode
communautaire, garante de l'intérêt général européen, devait être renforcée, et
donc resserrée. Malheureusement, la plupart de nos partenaires - y compris
certains qui sont d'ordinaire les plus fervents défenseurs de la tradition
communautaire - ne nous ont pas beaucoup aidés. La Commission elle-même - je
dois le dire avec regret - n'a pas pris un parti aussi net que nous l'aurions
souhaité et ne s'est pas suffisamment montrée soucieuse, en la circonstance, de
l'intérêt supérieur européen, qui eût été aussi le sien.
Enfin, sur l'extension de la majorité qualifiée, les résultats sont
insuffisants, je l'avoue sans détour. Encore faut-il, pour être honnête, dire
pourquoi. Quantitativement, un assez grand nombre d'articles - une trentaine -
est passé à la majorité qualifiée. Cependant, une approche plus qualitative, et
sans doute plus forte, met en lumière une certaine médiocrité des résultats.
Ainsi, nous n'avons pas été en mesure, hélas ! d'avancer sur quelques domaines
pourtant essentiels, comme la fiscalité ou le social. Beaucoup d'Etats membres
qui, comme la France avec l'article 133, relatif à la politique commerciale
extérieure, avaient des difficultés n'ont pas fait autant d'efforts que nous,
loin de là, pour dégager une solution de compromis. Je me souviens de ce que
l'on disait dans les couloirs de Nice : les Français vont bloquer sur la
politique commerciale extérieure, mais on avancera par ailleurs. Nous avons
fait des concessions, mais elles n'ont pas été rendues, et aucun de nos grands
partenaires - je dis bien « aucun » - n'a particulièrement montré l'exemple.
Mais, au total, j'en ai la conviction, le résultat de la négociation est
appréciable, surtout si l'on considère le rapport de forces existant. Nous
avons rempli notre mission en apportant une réponse aux reliquats laissés par
le traité d'Amsterdam, ce qui rend possible la poursuite de l'élargissement
dans de meilleures conditions. En effet, contrairement à ce qui a pu être dit
il y a quelques jours encore, la réforme institutionnelle était indispensable
avant même que l'Union compte vingt membres. Pour ma part, je n'ai jamais pensé
que nous pourrions procéder à l'élargissement sans le traité de Nice. Nous
devions faire cette réforme au plus vite. Le traité de Nice y est globalement
parvenu.
Je suis certain que nous allons avoir, tout à l'heure, un débat très riche sur
ce texte. Il nous permettra, je l'espère, de lever les éventuelles incertitudes
qui pourraient subsister sur telle ou telle disposition. En tout cas, je m'y
emploierai, car je pense que notre intérêt est de ratifier au plus vite ce
texte - aujourd'hui, à dire vrai - pour nous consacrer tous ensemble à l'étape
suivante, celle du débat sur l'avenir de l'Europe, dont je veux maintenant dire
quelques mots brièvement.
La déclaration sur l'avenir de l'Union annexée au traité de Nice prévoit, en
effet, l'organisation d'un vaste débat démocratique, sur le plan national, puis
sur le plan européen, dans la perspective de la prochaine Conférence
intergouvernementale, en 2004.
Notre pays a, là aussi, souhaité montrer l'exemple. Le Président de la
République et le Premier ministre ont ainsi lancé formellement le débat en
France, le 11 avril dernier. Les parlementaires - vous-mêmes, mesdames et
messieurs les sénateurs - ont, dans ce débat, un rôle essentiel à jouer, et je
suis convaincu que vous y contribuerez très activement, que ce soit au niveau
national par les réflexions que vous prendrez l'initiative d'organiser, avec
vos collègues de l'Assemblée nationale, ou dans le cadre des forums qui se
tiendront systématiquement, dans chacune de nos régions, d'ici à novembre
prochain, le premier ayant d'ailleurs lieu lundi à Nantes.
D'ores et déjà, je tiens à saluer les travaux de la délégation pour l'Union
européenne et, plus particulièrement, le rapport du président Hubert Haenel sur
la Constitution européenne et celui de M. Daniel Hoeffel sur l'idée d'un Sénat
européen. Je salue également l'initiative d'un forum Internet interactif, mis
en place par le Sénat voilà quelques jours.
Nous accordons à la phase nationale de ce grand débat européen une attention
particulière, car elle doit être l'occasion, chez nous, de faire aussi parler
de l'Europe ceux qui, d'ordinaire, ne s'expriment pas volontiers ou pas
facilement sur ce sujet. Comme nous l'avons dit avant et durant la présidence
française de l'Union, les attentes concrètes de nos concitoyens doivent nous
importer en premier lieu. Par une meilleure connaissance de celles-ci, nous
pourrons orienter, améliorer, compléter les politiques communes existantes.
Il ne s'agit pas de dessiner une nouvelle architecture institutionnelle de
manière abstraite, satisfaisante sans doute pour l'esprit, mais déconnectée des
réalités politiques et humaines de l'Union européenne. Ne sacrifions pas aux
délices un peu ésotériques de ce que j'appellerai un « concours de beauté »
institutionnel qui serait coupé du réel.
Il ne servirait à rien d'avoir de bonnes institutions, si nous n'avions pas en
même temps des politiques fortes. Comme l'a souligné le Premier ministre le 28
mai dernier, nous faisons l'Europe non pas pour les institutions, mais parce
que nous avons un projet, au sens le plus large et le plus noble, un véritable
projet de société, l'affirmation d'un modèle de civilisation, original, fondé
sur un socle solide et vivant de valeurs communes.
A l'origine de notre Europe, il y a la volonté de bâtir, pour toujours, la
paix sur notre continent. Il y a aussi celle d'oeuvrer au bien-être de nos
concitoyens au sein d'un espace prospère, soucieux de garantir la sécurité au
quotidien, dynamique et toujours plus respectueux des droits civiques et
sociaux, plus attentif au respect des droits fondamentaux de la personne
humaine, qui sont désormais inscrits dans la charte, et qui devront, je l'ai
dit, un jour être scellés dans les fondements mêmes de l'Europe élargie, en
devenant la partie la plus solennelle dans une future constitution.
Dans le domaine économique, dans le domaine social, mais aussi dans les
domaines de la recherche, de l'industrie, de la santé, de l'environnement, de
la justice ou de la sécurité, nous devons poursuivre nos efforts pour définir
les politiques qui conduiront l'Europe vers une solidarité plus forte et plus
étroite.
C'est de tout cela que la réflexion institutionnelle doit s'inspirer pour
élaborer les axes d'une nouvelle réforme, car, je le redis, les institutions
doivent être là pour porter ce projet, et non l'inverse.
De même, on aurait tort, je crois, de considérer
a priori
que seule la
mise en place d'un schéma purement fédéral constituerait une réforme digne de
ce nom. Je note que des Européens aussi convaincus que Jacques Delors ou
Joschka Fischer, qui sont des références y compris pour les fédéralistes,
partagent cette analyse.
Certes, il existe dans l'Union européenne, et nous le savons bien, des
éléments caractéristiques d'un système fédéral : la Commission, bien sûr, qui
est l'expression de l'intérêt général communautaire ; le Parlement européen,
qui amorce la représentation d'un peuple européen ; la Cour de justice, ou
encore l'euro, qui sera la réalité dans six mois. Mais il existe aussi d'autres
réalités, celle des Etats, dont nous devons, dont nous voulons tenir compte,
parce qu'elles sont effectives, parce qu'elles sont des sources de légitimité
essentielles.
C'est pourquoi, à mon sens, ce sont chacune des trois composantes du triangle
institutionnel européen qui doivent se voir conférer un poids politique plus
fort, tout en maintenant l'équilibre entre elles. C'est l'ensemble de cet
édifice qu'il faut rehausser politiquement.
La Commission, je l'ai dit, est la garante de l'intérêt général européen, la
pièce maîtresse, et elle le restera, de la méthode communautaire. Elle doit
voir sa légitimité politique renforcée. Avec le traité de Nice, la désignation
de son président se fera à la majorité qualifiée et l'autorité de celui-ci sur
le collège sera accrue. Pourquoi ne pas aller plus loin, comme certains l'ont
proposé, et faire qu'il soit directement issu de la formation politique
européenne victorieuse aux élections au Parlement européen.
Cette même approche, celle du renforcement de la légitimité démocratique, doit
prévaloir pour le Parlement européen, qui a vu, à Nice, ses prérogatives encore
étendues avec l'extension du champ de la majorité qualifiée. Pour cela, nous
savons tous ici, sur l'ensemble des travées, qu'une profonde réforme du mode de
scrutin pour les élections européennes, combinant le maintien de la
proportionnelle, nécessaire, et aussi une régionalisation des listes de
candidats, est indispensable. Le gouvernement précédent comme le gouvernement
actuel l'ont proposé. J'espère très sincèrement qu'après les élections
présidentielles nous trouverons collectivement le courage politique de procéder
à cette réforme, que je crois indispensable si nous souhaitons que les
prochaines élections européennes soient la grande consultation démocratique à
laquelle nous aspirons tous.
Quant au Conseil, troisième sommet du triangle, il doit incontestablement
conserver sa double nature, exécutive et législative, dès lors que le traité
confère explicitement des pouvoirs aux Etats membres et que certaines
politiques relèvent clairement et continueront de relever de leur
responsabilité. Loin d'être un retour en arrière vers l'intergouvernemental,
comme je l'ai lu ici ou là, la réforme du Conseil doit au contraire lui
permettre de mieux jouer son double rôle dans un contexte où la méthode
communautaire serait pleinement restaurée.
Comme le Président de la République fédérale d'Allemagne, M. Johannes Rau, je
considère que les peuples européens ne sont pas prêts pour réduire le Conseil
au rôle d'une seconde assemblée parlementaire à côté ou derrière le Parlement
européen. Je note d'ailleurs que le chancelier Gerhard Schroder a lui-même
reconnu récemment que cette solution, que son parti préconisait, n'était
envisageable que dans un avenir très éloigné. Encore une fois, nous faisons
l'Europe pour les citoyens, non pour le plaisir intellectuel de réaliser une
construction institutionnelle qui serait, en tout cas pour certains, idéale.
Il faut partir de l'existant. Cela veut dire, en l'occurrence, réorganiser les
méthodes de travail du Conseil, pour mieux assurer les fonctions d'impulsion,
de préparation et de coordination du travail européen, en amont du Conseil
européen des chefs d'Etat et de Gouvernement. Jacques Delors et Lionel Jospin
après lui ont proposé pour ce faire de créer un Conseil permanent de ministres,
composé de sortes de vice-premiers ministres, en tout cas de ministres qui
seraient chargés de la coordination des questions européennes dans leur propre
gouvernement national.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je crois sincèrement, après l'expérience qui est la
mienne depuis quatre ans, que cela faciliterait la prise de décision...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Bien sûr !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
... et rendrait plus efficace la préparation du Conseil
européen. Si l'on va dans ce sens, il faut également généraliser ou quasi
généraliser le système de vote à la majorité qualifiée, c'est-à-dire en
incluant, enfin ! des secteurs majeurs tels que le social ou la fiscalité.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, un terrain sur lequel les
dispositions du traité de Nice doivent être complétées et j'ajoute puissamment
complétées.
Que l'on ne s'y trompe pas ! Il ne s'agit pas là de réformes
a minima.
Si tel avait été le cas, nous n'aurions pas rencontré tant de résistances à
Nice, y compris - je le redis avec une insistance que tout le monde comprendra
- de la part de partenaires qui prétendent aujourd'hui proposer, avec le modèle
fédéral, une réforme plus ambitieuse. Essayons donc d'être au clair sur
l'objectif à atteindre, c'est-à-dire sur le contenu du projet, car c'est bien
là que pourront se mesurer la nature et le degré de notre ambition pour
l'Europe.
De toute ces questions, nous devons débattre aussi avec les pays candidats qui
feront, avec nous, l'Europe de demain. Si nous voulons que l'élargissement soit
réussi et que ces futurs nouveaux membres aient une attitude constructive au
sein de l'Europe, nous devons les associer étroitement à notre débat, et ce dès
aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs. J'ai d'ailleurs noté, lors de
très récents déplacements en Pologne et en République tchèque, une demande très
forte de leur part en ce sens. Nous avons d'autant plus intérêt à y répondre
que ces pays peuvent, pour des raisons évidentes, facilement souscrire à un
concept qui marierait la méthode communautaire, rénovée et renforcée, et
l'existence des idendités nationales, qu'ils ont récemment retrouvées et qu'ils
n'accepteraient pas de voir se dissoudre d'un coup dans un nouvel ensemble,
celui-ci fût-il librement consenti, ce qui n'était pas le cas du précédent.
Notre ambition, mesdames, messieurs les sénateurs, celle que nous partageons,
j'en suis sûr, c'est une très haute ambition : c'est celle, comme l'a dit le
Premier ministre, de construire une Europe forte, consciente de son identité
politique et porteuse de ses valeurs de paix, de solidarité et j'ajouterai
personnellement de pluralisme.
Mais, pour cela, nous devons d'abord ratifier le traité de Nice. C'est donc
volontiers et avec confiance que je laisse maintenant place au débat.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées, rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le ministre,
mes ches collègues, depuis son adoption, le traité de Nice a suscité de
nombreuses critiques, mais il y a dans ces dernières, me semble-t-il, beaucoup
d'injustices et de réels malentendus.
En effet, l'accord, s'il a cristallisé les déceptions de certains des
partisans les plus fervents de la construction européenne, reflète l'état
présent des positions des Etats membres et de leurs populations à l'égard de
l'Union. Il me semble donc essentiel de distinguer la lettre du traité du
contexte dont il est le produit.
Si l'on considère la lettre du traité avec la sérénité nécessaire, on doit
constater que, malgré de réelles faiblesses, l'accord prépare les institutions
à l'élargissement.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Tout à fait !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Il apporte une réponse en particulier aux trois « reliquats »
laissés en suspens par Amsterdam. Grâce aux efforts de la présidence française,
à laquelle je tiens à rendre hommage, une grave crise a pu être ainsi
désamorcée et la voie aux futures adhésions a été dégagée.
Cependant, le contexte dans lequel le traité a été négocié a été marqué par
une certaine crispation autour des intérêts nationaux et par l'indifférence des
citoyens. C'est le climat de tension et de morosité communautaire qu'il nous
faut conjurer pour l'avenir.
Après avoir rappelé ce qui, à mon sens, constitue les acquis indéniables du
traité de Nice, je reviendrai sur les grandes interrogations que soulèvent les
prochaines échéances de la construction européenne.
Le traité ouvre la voie à l'élargissement. Il ne lève pas seulement une
condition formelle fixée à la conclusion des accords d'adhésion. Il apporte,
malgré ses insuffisances, des modifications nécessaires et utiles qui
permettent de mieux préparer l'Union à l'intégration de nouveaux Etats
membres.
Sans entrer dans le détail de dispositions que vous venez de nous présenter
avec clarté, monsieur le ministre, je souhaite porter une appréciation sur les
principaux sujets abordés par le traité.
S'agissant, d'abord, de la Commission, de nombreux commentateurs ont regretté
que le plafonnement du nombre de commissaires soit différé au moment où l'Union
comprendrait vingt-sept membres. Il faut, à mon avis, tempérer ces jugements.
D'abord, le principe d'une limitation a été admis, et cela n'allait pas de soi.
Ensuite, même porté à vingt-six membres, l'effectif de la commission se compare
favorablement aux gouvernements, y compris le nôtre, les plus resserrés. Enfin
et surtout, le véritable enjeu n'est-il pas davantage dans une meilleure
organisation de la Commission qui lui permette d'assurer la cohésion de son
action et de retrouver la plénitude de sa capacité d'initiative ?
Or, de ce point de vue, le traité apporte des modifications opportunes.
En premier lieu, il permettra de désigner le président de la Commission à la
majorité qualifiée. Le consensus indispensable aujourd'hui rend parfois
difficile, comme on l'a vu lors de la succession de Jacques Delors, la
désignation d'une personnalité porteuse d'une véritable ambition pour
l'Europe.
Par ailleurs, l'autorité du président de la Commission sur les autres
commissaires a été renforcée. Cette structure plus hiérarchique nous éloigne,
certes, du principe de collégialité originel ; mais n'était-elle pas inévitable
dans la perspective d'une Europe élargie ?
La repondération des voix au Conseil permet un rééquilibrage légitime en
faveur des Etat les plus peuplés. Elle ne s'est pas traduite, je le souligne,
par un « décrochage » de l'Allemagne par rapport aux autres grands Etats, dont
la France. Il faut, je crois, s'en féliciter. La parité des voix au sein du
Conseil apparaît sans doute comme l'une des données fondamentales de la
relation franco-allemande. Les nouvelles règles requises pour obtenir la
majorité qualifiée ne modifient pas en substance les principes actuels :
l'exigence d'une majorité d'Etats explicite une condition qui existe
de
facto
aujourd'hui. Quant au « filet » démographique, souhaité par
l'Allemagne, il revêt un caractère seulement facultatif.
Il n'en reste pas moins que les Quinze ont paru, à Nice, sur la défensive,
plus soucieux de se protéger contre le processus de décision communautaire que
de le faire avancer.
L'extension du vote à la majorité qualifiée a connu une portée limitée, même
si elle s'appliquera désormais, entre autres sujets, à la négociation des
accords commerciaux dans le domaine des services, ce qui est loin d'être
négligeable.
Doit-on s'étonner que les Etats cherchent à conserver un droit de veto sur les
aspects des politiques communes jugés cruciaux pour leurs intérêts nationaux ?
Je ne le crois pas. C'est là, en effet, une préoccupation légitime qui reflète
aussi les limites de l'acceptation, par les populations des Etats membres, de
l'accroissement du rôle de l'Union.
La mise en oeuvre du vote à la majorité qualifiée représente, ne l'oublions
pas, bien davantage qu'une simple question de procédure. Elle engage la
souveraineté des Etats. Il me semble qu'aucun progrès ne saurait être réalisé
dans ce domaine sans l'organisation d'un large débat sur les compétence de
l'Union et sur la subsidiarité.
En outre, les limites de l'extension du vote à la majorité qualifiée sont en
partie compensées par les progrès significatifs enregistrés par le traité de
Nice dans le domaine des coopérations renforcées. Le traité, vous le rappeliez,
monsieur le ministre, a permis trois avancées : le nombre minimal de pays
nécessaire pour former une coopération, fixé aujourd'hui à la majorité des
Etats, a été déterminé à huit, soit moins du tiers des membres de l'Union
élargie ; les coopérations renforcées pourront s'appliquer à la politique
étrangère commune, à l'exclusion, cependant, des questions de défense, et, on
peut le regretter,...
M. Pierre Fauchon.
Certes !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
...enfin, le droit de veto a été supprimé pour les premier et
deuxième piliers.
J'insiste sur ces dispositions, qui me paraissent représenter l'un des acquis
les plus positifs du traité. En effet, dans le cadre de l'Union élargie, les
coopérations renforcées pourraient s'avérer comme un moyen pragmatique et
efficace de préserver la dynamique d'approfondissement de la construction
européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Tout à fait !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Par ailleurs, le traité pose les jalons du grand débat sur
l'avenir de l'Union européenne. A cet égard, l'accord apparaît non pas
seulement comme l'achèvement d'un processus engagé à Amsterdam, mais aussi
comme le point de départ d'une adaptation encore plus profonde de l'édifice
européen.
Enfin, comment ne pas mentionner, au terme de ce rapide bilan du traité,
l'institutionnalisation des instances en charge de la politique européenne de
sécurité et de défense, ce qui, à mon sens et aux yeux de la commission,
représente une avancée réelle à porter à l'actif de la présidence française
!
Le traité ne me paraît pas justifier l'ampleur des critiques qu'il a
suscitées. Comment expliquer, dès lors, la déception provoquée par Nice ?
Je crois qu'elle trouve son origine moins peut-être dans la lettre de l'accord
que dans le contexte général qui a présidé à sa négociation. Ce climat a été
caractérisé par des tensions souvent vives entre les Etats membres.
Pouvait-il en être autrement ? Préparer l'Union à l'élargissement, ce n'est
pas seulement chercher à garantir l'efficacité des institutions, c'est aussi,
nécessairement, remettre en cause le poids respectif des Etats membres. Cette
question, l'une des plus délicates du système européen, n'avait jamais vraiment
été évoquée depuis le traité de Rome. Or le débat a été rouvert à Nice au
moment où, depuis quelques années, les Gouvernements des Etats membres ont une
approche plus « réaliste » de l'Europe et n'hésitent pas à faire prévaloir les
intérêts nationaux sur l'intérêt communautaire.
Dans ces conditions, il était sans doute prévisible et inévitable que la
question de la repondération fragilise la solidarité habituelle entre les Etats
membres les plus engagés dans la construction européenne.
Néanmoins, le traité de Nice a permis de trancher ce noeud gordien,
désamorçant ainsi une source de tension qui n'aurait pas manqué de peser sur la
construction européenne.
Dans la perspective des échéances majeures qui s'annoncent pour l'Europe -
l'élargissement, le débat sur l'avenir de l'Union - quatre grandes
interrogations demeurent, sur lesquelles vous pourrez peut-être, monsieur le
ministre, nous éclairer.
Première interrogation : quel est aujourd'hui l'équilibre souhaité entre
élargissement et approfondissement ? Le Conseil européen de Göteborg a souligné
que le processus d'élargissement présentait un caractère irréversible.
Il a même annoncé que les négociations avec certains pays candidats pourraient
être achevées - point d'interrogation ! - avant la fin de l'année 2002 et que
ceux-ci pourraient alors participer aux élections au Parlement européen dès
2004.
Soyez assuré, monsieur le ministre, que le Sénat, dans sa grande majorité,
souscrit à cette ambition majeure de l'Union.
Parallèlement, toutefois, le résultat négatif du référendum irlandais du 7
juin dernier fait peser une hypothèque sérieuse sur la ratification du traité
de Nice, et donc sur la réforme des institutions, considérée comme préalable à
la conclusion des négociations d'adhésion.
Lors du sommet de Göteborg, une certaine discrétion a été observée sur cette
question. Les déclarations récentes du président de la Commission ont, par
ailleurs, jeté un certain trouble sur la priorité accordée à la ratification du
traité de Nice.
Nous souhaitons que les procédures d'adhésion ne soient aucunement ralenties
par le « non » irlandais, mais nous sommes également soucieux que le traité
puisse être appliqué avant la fin de l'année 2002, selon l'objectif que l'Union
s'est elle-même assigné.
Comment concilier ces deux objectifs ? Quelles pourraient être la nature et la
teneur de la réponse, apportée par l'Union, aux préoccupations manifestées par
l'électorat irlandais ? Les Quinze ont-ils déjà discuté de manière détaillée de
cette question ?
La deuxième interrogation porte sur la relation franco-allemande.
La négociation du traité de Nice a porté à un certain paroxysme les tensions
entre nos deux pays, leur interdisant de jouer le rôle moteur qui leur revient
traditionnellement dans la construction européenne. Ces divisions, si elles
devaient perdurer, seraient très préoccupantes au moment où l'Union s'est
accordée, à Nice, sur la nécessité de redéfinir certains des éléments
essentiels de l'architecture européenne.
Le débat sur l'avenir de l'Union, qui avait été ouvert dès le début de l'année
2000 par le discours du ministre des affaires étrangères allemand et du
Président de la République, s'est prolongé, depuis lors, avec les contributions
du Chancelier Schröder et du Premier ministre français.
A ce stade, il est naturel que s'expriment des positions différentes. Je crois
toutefois qu'aucune avancée significative n'interviendra dans la perspective de
la future Conférence intergouvernementale, à l'horizon 2004, sans une
initiative franco-allemande.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
C'est pourquoi il serait certainement utile qu'un groupe de
travail permanent puisse se mettre en place entre nos deux pays afin, d'abord,
d'évaluer nos divergences et de former, ensuite, une plate-forme commune que
Paris et Berlin pourraient promouvoir auprès de leurs partenaires.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Ce rapprochement franco-allemand doit être recherché très en
amont ; il faut sans doute en poser les bases dès aujourd'hui. De ce travail
préparatoire dépendent en effet, dans une large mesure, les résultats de la
future CIG. Au-delà du dialogue constant entre les autorités de nos deux pays,
vous pourrez peut-être nous dire, monsieur le ministre, si nous sommes en
mesure de nourrir un projet commun pour l'Europe.
Troisième interrogation : quelle pourrait être l'architecture d'une Union
élargie ?
Sans doute le discours du Premier ministre a-t-il permis de dégager plusieurs
options possibles dans le domaine institutionnel. Il demeure cependant des
zones d'ombre sur lesquelles le moment paraît venu pour la France de manifester
plus clairement ses préférences.
Un constat s'impose. Au terme de la prochaine vague d'élargissement, le visage
de l'Union aura été profondément transformé : douze nouveaux Etats membres,
quelque cent millions d'habitants supplémentaires, une grande diversité de
cultures, mais aussi de fortes disparités dans les niveaux de développement.
Le traité de Nice permettra d'accompagner très utilement la période de
transition au cours de laquelle se déroulent les adhésions, mais, au-delà,
c'est tout le système actuel d'intégration qui devra être revu. Les
négociateurs l'ont bien compris à Nice en prévoyant l'ouverture du grand débat
sur l'avenir de l'Union. Toutefois, l'ordre du jour retenu, qui ne présente,
certes, pas de caractère exclusif, ne mentionne pas le thème, pourtant
essentiel, de la différenciation dans l'intégration.
Il est clair, néanmoins, qu'au sein de l'Union les vingt-sept Etats membres ne
pourront avancer d'un même pas. Vouloir préserver des règles identiques pour
chacun, n'est-ce pas prendre le risque redoutable d'une dilution de l'Europe
sous la forme d'un grand marché ? Ce serait manquer à la conviction profonde
qui anime tous ceux qui, comme beaucoup ici, aspirent à donner à l'Europe toute
sa place sur la scène internationale.
Sans doute les coopérations renforcées permettent-elles de nouer des liens
plus étroits entre certains pays. Cette formule, qui à l'immense vertu du
pragmatisme, se révélera un instrument utile dans les années qui viennent. Mais
peut-elle fournir, à long terme, un principe solide d'organisation pour la
construction européenne ? Une Union à géométrie variable pourrait aussi
conduire à une fragmentation et à un brouillage des responsabilités qui
interdiraient à l'Europe de vraiment s'affirmer. Le principe d'une avant-garde
ouverte ne serait-il pas préférable ? Il apparaît en tout cas fondamental que,
sur ce sujet, le couple franco-allemand puisse s'accorder sur une position
commune.
Ma quatrième et dernière interrogation concerne le décalage croissant entre
les citoyens et la construction européenne.
Il serait vain de concevoir un projet ambitieux pour l'Europe dans
l'indifférence de ses peuples. Or, aujourd'hui, la situation de l'opinion
publique constitue un réel sujet de préoccupation. A cet égard, le résultat du
référendum irlandais, caractérisé par une très forte abstention, traduit la
démobilisation d'un électorat pourtant réputé largement acquis à l'Union
européenne.
Ce phénomène s'observe aussi en France ainsi que dans les autres Etats
membres. Le débat sur l'Europe, engagé dans notre pays sur des bases qui
portent la marque de notre jacobinisme traditionnel, saura-t-il réveiller
l'élan indispensable ? Il faut l'espérer. Quoi qu'il en soit, il est de notre
responsabilité à nous, gouvernement et élus, avec le soutien plus large des
médias et des acteurs de la société civile, de nous impliquer davantage pour
surmonter la morosité et l'euroscepticisme ambiants.
L'Europe, parce qu'elle nous a apporté ce bien inaliénable - la paix entre nos
peuples - et par les perspectives qu'elle ouvre, demeure, à l'aube du nouveau
siècle, un projet digne de mobiliser encore les espoirs et les énergies des
femmes et des hommes du vieux continent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, veillons à
ne pas nous tromper de cible : ce n'est pas un traité, certes imparfait, qu'il
faut viser, traité dans lequel nous sommes, au sein de notre commission,
enclins à voir, si vous me permettez l'expression, le « verre à moitié plein »
plutôt que le « verre à moitié vide ». Non, c'est le climat de scepticisme
européen, de peur face à l'ouverture à l'« autre Europe » qu'il faut
aujourd'hui surmonter. La ratification du traité de Nice nous en donne
l'occasion, d'abord, parce qu'elle ouvre la voie à l'élargissement et
constitue, à ce sujet, un signal essentiel à l'égard des pays candidats engagés
dans le délicat processus d'adhésion, ensuite, parce qu'elle fixe les grandes
étapes du débat sur l'avenir de l'Union.
Donnons donc toutes ses chances à cette période décisive qui s'ouvre pour
l'Europe. Pour ce faire, je vous invite, mes chers collègues, à autoriser la
ratification du traité de Nice.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord
dire au président de Villepin que je souscris tout à fait au rapport écrit et
oral qu'il a fait au nom de sa commission. Comme lui, je pense que nous sommes
un peu injustes avec le traité de Nice et qu'il nous faut dissiper un certain
nombre de malentendus.
De même, comme M. Xavier de Villepin, j'estime qu'il est nécessaire de
remettre à plat l'ensemble des relations franco-allemandes pour les renforcer.
En effet, je suis de ceux qui croient que l'Europe n'avancera pas si cette
question n'est pas réglée, et le plus rapidement possible. Je saisis l'occasion
pour dire à M. de Villepin combien j'ai apprécié l'esprit de collaboration et
de coopération qui a présidé au travail en commun de la commission et de la
délégation.
Le traité de Nice n'a pas bonne presse, au sens propre comme au sens figuré de
l'expression. Les critiques sont nombreuses. Pour les uns, c'est un traité
illisible ; pour les autres, c'est un traité insignifiant qui ne règle pas les
problèmes et démontre que la méthode des conférences intergouvernementales est
dépassée. Et, quand on approuve ce malheureux traité, c'est presque en
s'excusant !
Faut-il s'inquiéter d'un manque d'enthousiasme aussi flagrant ? Ne perdons pas
de vue que notre vie politique est aujourd'hui largement influencée par les
exigences des médias. Tout doit se réduire à des jugements simples, hâtifs,
donc réducteurs, et, d'ailleurs, vite oubliés. Mais une assemblée comme la
nôtre, qui est une chambre de réflexion, doit savoir se situer hors des modes,
comme vient de le faire excellemment le président de la commission, M. de
Villepin. Nous devons toujours garder à l'esprit ce principe de Sénèque : « Le
temps détruit ce que l'on fait sans lui », notamment dans le domaine qui nous
réunit aujourd'hui.
Mais revenons un peu en arrière. Souvenez-vous, mes chers collègues : tous les
traités européens, depuis l'Acte unique, en 1985, ont été aussi mal reçus que
le traité de Nice, et ils ont été jugés insuffisants, décevants, voire
consternants. Et, pourtant, ce sont ces mêmes traités qui ont permis les
considérables progrès enregistrés dans la construction européenne depuis quinze
ans.
Ne nous laissons donc pas impressionner par le peu d'enthousiasme que suscite
le traité de Nice : tous les traités européens en sont passés plus ou moins par
là.
J'ajoute que la Conférence intergouvernementale avait l'ordre du jour le plus
difficile qui soit, puisqu'elle avait uniquement à traiter de questions
institutionnelles, ce que l'on appelle parfois le « méccano-institutionnel
européen ».
Pour l'Acte unique, pour Maastricht, pour Amsterdam, il y avait, certes,
également des questions institutionnelles à traiter, mais pas seulement. Il y
avait, aussi et surtout, de grands projets communs - le marché intérieur, la
monnaie unique, l'espace judiciaire européen - qui fédéraient les Etats
membres, ce qui rendait plus facile la conclusion d'un accord.
Rien de tel à Nice : il s'agissait uniquement de revoir les règles du jeu,
c'est-à-dire, finalement, la place de chaque pays dans le processus de
décision. Il s'agissait aussi, et avec les mêmes participants, de réussir là où
le traité d'Amsterdam avait échoué. En réalité, les gouvernements avaient bien
peu de marge de manoeuvre. On peut prendre le problème par n'importe quel bout,
on voit mal comment l'équilibre final aurait pu être différent.
Mais il ne faut pas perdre de vue non plus que le traité de Nice est un
révélateur de l'état actuel de l'Union européenne. Une Union qui progresse
avec, désormais, une monnaire unique et, de plus en plus, une politique
extérieure et une défense communes, mais une Union composée de vieilles nations
qui ont chacune leur culture politique et qui ne peuvent pas, par décret, se
fondre du jour au lendemain en un seul peuple. Contrairement à ce que croient
certains, l'Europe ne peut pas avancer à marche forcée. Il y a un temps de
l'Europe qui n'est pas celui de la vie politique nationale, en tout cas, pas
nécessairement.
Pour parvenir à un résultat en matière européenne, il faut un mûrissement, une
décantation, un processus de compréhension réciproque. On ne peut pas passer en
force ! Ce qui vient de se passer en Irlande nous montre une fois de plus - je
n'insisterai pas - que le soutien des peuples n'est jamais acquis, qu'il faut
expliquer, convaincre et aussi savoir écouter.
Beaucoup croient aimer l'Europe et n'aiment, en réalité, que l'image qu'ils
s'en font, image qui n'est souvent que celle de leur propre pays, en plus
grand. Mais l'Europe réelle est faite de quinze Etats membres qui ont chacun
leur histoire, leur vision des choses et leurs intérêts.
Le traité de Nice est un compromis entre ces quinze Etats. Personne ne peut y
retrouver sa conception de l'Europe. Mais peut-il en être autrement ?
On peut dire que le traité de Nice ne va pas assez loin, qu'il aurait fallu
revoir les institutions de fond en comble, voire adopter dès maintenant une
constitution de l'Union. Tel n'était pas le mandat de la Conférence
intergouvernementale, qui avait une liste précise de questions à traiter. Comme
on l'a vu, cela suffisait !
Il n'y aurait pas eu d'accord entre les Etats membres si l'on avait voulu
changer complètement de mandat en cours de route. En outre, des élections se
profilaient à l'horizon, ne serait-ce que chez nos amis du Royaume-Uni ou, un
peu plus tard, en Allemagne, puis chez nous. Aujourd'hui, il n'y aurait pas
davantage d'accord pour renégocier le traité.
Le traité de Nice est une étape, nécessaire, de la construction européenne,
qui en comptera d'autres, soyons réalistes.
Aujourd'hui, nous tournons une page, mais c'est la suite qui est importante.
Nous devons réussir le débat sur l'avenir de l'Union, et d'abord à l'échelon
national, chez nous, en faisant en sorte que l'opinion publique s'en empare, se
l'approprie, et ce définitivement.
M. Paul Loridant.
Un référendum !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Ne laissons pas seuls
dans le débat ceux qui parlent mal de l'Europe.
A l'issue des débats nationaux, se tiendra sans doute une nouvelle convention
sur le modèle de celle qui a élaboré la Charte des droits fondamentaux. Nous
devons tout mettre en oeuvre pour qu'elle soit à son tour un succès, ce qui
suppose que le Conseil européen de Laeken lui attribue un mandat clair et qu'il
précise sa méthode de travail et de décision.
Le traité de Nice est tourné vers l'avenir ; il ouvre la voie à
l'élargissement. Ce résultat obtenu sous présidence française a corrigé l'image
de la France dans les pays candidats. Nous passions - on nous faisait passer -
pour un pays frileux, protectionniste, qui voyait avec réticence l'Europe
s'élargir, et qui mettait en avant le préalable institutionnel pour mieux
freiner le processus, Or, sous notre présidence, la réforme institutionnelle a
été menée à bien, les règles de fonctionnement de l'Union élargie ont été
fixées, et cela sans retarder le calendrier de l'élargissement. En ratifiant
parmi les premiers le traité de Nice, nous allons conforter notre capital de
sympathie.
Il nous faut parvenir à une meilleure connaissance des pays candidats et à une
compréhension réciproque. Leur contribution à l'identité européenne est
irremplaçable. Nous devons leur faire partager notre volonté de faire de
l'Europe un foyer d'influence autonome.
A cet égard, monsieur le ministre, la Charte des droits fondamentaux proclamée
à Nice - avec beaucoup trop de discrétion, je le regrette une fois de plus - me
paraît appelée à jouer un rôle essentiel dans l'Europe élargie. Il est
indispensable qu'elle soit intégrée dès que possible dans le traité, car elle
définit les valeurs fondamentales communes qui sont la raison d'être de l'Union
et qui doivent guider son action. La Charte doit donc être à la base du
processus d'élargissement, comme la référence s'imposant à tous.
C'est une sorte de miroir que l'on dirige vers chacun des Etats qui veulent
nous rejoindre en leur demandant : « Vous reconnaissez-vous dans cet ensemble
de valeurs communes ? »
Mais c'est sur ce terrain de l'élargissement que le traité de Nice est le plus
critiqué. Beaucoup jugent qu'il ne prépare pas suffisamment les institutions
européennes à l'élargissement de l'Union. C'est cependant un jugement peut-être
un peu rapide.
Pour ce qui est de la Commission européenne, le traité de Nice est, en
réalité, profondément réformateur. Certes, le plafonnement du nombre de
commissaires est fixé à un horizon lointain et un peu théorique ; mais, au
fond, là n'est pas l'essentiel. Bien des gouvernements fonctionnent de manière
efficace avec trente membres ; l'important est qu'il y ait un chef de
gouvernement qui assure l'unité d'action de son équipe. Or, ce sera le cas de
la Commission après la ratification du traité de Nice : son président aura les
moyens d'une véritable autorité, puisqu'il répartira les responsabilités,
pourra demander sa démission à un commissaire et disposera d'un pouvoir
hiérarchique. De plus, le président sera choisi à la majorité qualifiée : rien
n'obligera désormais les chefs d'Etat ou de gouvernement à s'aligner sur le
plus petit dénominateur commun. Tout cela constitue une évolution très
significative.
Pour ce qui est du Conseil, la nouvelle pondération des voix est un progrès,
même s'il est relativement modeste, dans le sens d'une meilleure
représentativité. La clause de « vérification démographique » va dans le même
sens : sans réforme, on aurait pu prendre des décisions, dans l'Union élargie,
avec une majorité de voix représentant à peine 50 % de la population.
Désormais, on pourra exiger qu'une mesure recueille l'assentiment des
représentants de 62 % de la population.
C'est une sécurité pour les « grands » Etats, en premier lieu l'Allemagne,
mais aussi, en réalité, pour tous les Etats les plus peuplés. Les Etats les
moins peuplés ont obtenu, en contrepartie, une clause stipulant que toute
décision devra être approuvée par une majorité d'Etats membres. Donc, le
nouveau système n'écrase pas, loin de là, les Etats les moins peuplés. Ainsi,
la légitimité du Conseil sort renforcée du nouveau traité. Sa représentativité
se trouve améliorée, sans que les « petits » Etats puissent se juger
marginalisés.
Un autre élément va dans le sens d'un progrès : c'est l'augmentation du nombre
des domaines où le Conseil statuera à la majorité qualifiée. Certes, l'avancée
n'est pas aussi grande qu'on aurait pu l'espérer, mais beaucoup de progrès
avaient déjà été réalisés par les traités précédents, et l'on atteignait un «
noyau dur » de matières sensibles pour certains Etats, y compris le nôtre. Il
faut ajouter que, dans un certain nombre de cas, il sera possible de passer à
la majorité qualifiée sans réviser le traité. C'est le cas, depuis le traité
d'Amsterdam, de la plupart des dispositions concernant la libre circulation des
personnes, les visas, l'asile et l'immigration. Le traité de Nice a d'ores et
déjà décidé d'un passage à la majorité qualifiée pour certaines de ces
dispositions, et cette possibilité subsistera naturellement pour les autres. De
plus, cette faculté est étendue à certains aspects de la politique sociale. Au
total, le gain est loin d'être négligeable.
On peut, bien sûr, estimer que tout cela ne va pas assez loin ou pas assez
vite. Mais nous devons être attentifs, en portant de tels jugements, à ne pas
confondre les niveaux d'intégration de l'Europe future.
Le traité de Nice s'appliquera à la grande Europe de vingt-sept Etats membres.
Soyons clairs : pour cette Europe élargie, nous ne pouvons pas viser le niveau
d'intégration que nous pouvions envisager pour l'Europe des Six. Est-ce à dire
que nous devons adopter une conception moins ambitieuse de l'intégration
européenne ? Certainement pas. Mais les avancées futures se feront souvent, au
moins dans un premier temps, avec seulement une partie des Etats membres. Quel
que soit le nom retenu - « groupe pionnier », « avant-garde », « coopérations
renforcées » -, c'est par ce biais que la construction européenne continuera à
s'approfondir.
Ne demandons pas au traité de Nice de réaliser le niveau d'intégration qui
n'est possible, aujourd'hui, qu'avec une partie des Etats membres, car ce n'est
pas son objet. Demandons-lui d'être adapté au niveau d'intégration que l'on
peut raisonnablement escompter pour la grande Europe, qui ira de la Scandinavie
aux Balkans, du Portugal aux Etats baltes. Parallèlement, tâchons de regrouper
autour de la France et de l'Allemagne les pays membres décidés à aller plus
vite et plus loin dans l'intégration. Nous aurons ainsi un cadre général
valable pour tous et, à l'intérieur de ce cadre, une force motrice qui
empêchera la construction européenne de stagner, voire l'Europe de se
diluer.
Le moteur, le levier, le couple franco-allemand est donc plus nécessaire que
jamais au progrès de l'Europe. C'est là qu'est notre vraie responsabilité. Nous
devons engager la réflexion et le dialogue, en n'hésitant pas à sortir des
sentiers battus, à oser, pour voir comment le couple franco-allemand pourrait
se structurer davantage sur le plan politique, afin que les deux pays
parviennent à une vision commune de l'avenir, qui serait une référence capitale
pour l'ensemble des Européens.
(M. Del Picchia applaudit.)
M. Paul Loridant.
Ça, c'est vrai !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Le débat sur l'avenir
de l'Union, que le traité de Nice a eu le mérite d'ouvrir peut être l'occasion
de cette réflexion commune - et je souscris tout à fait à ce qu'a dit le
président de Villepin dans sa conclusion - et de ce rapprochement. Je suis
persuadé que nous devons saisir cette occasion.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand nous
parlons d'Europe, quand nous approfondissons, quand nous élargissons, ne
perdons jamais de vue, revenons sans cesse, à temps et à contre-temps, sur les
raisons pour lesquelles nous sommes ensemble.
L'Europe que nous voulons ne peut se résumer à l'Europe des marchands et des
banquiers ; elle ne peut se réduire en quelque sorte à des fonctions
matérialistes. L'Europe que nous voulons, c'est l'Europe des hommes et des
femmes, c'est l'Europe communautaire, ce n'est pas une Europe de la
résignation.
L'Europe que nous voulons, c'est une Europe qui ait une âme et qui ait
conscience d'un destin commun d'un avenir commun, et pas seulement d'un passé
commun.
Bâtir l'Europe, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est maîtriser
l'avenir, c'est assurer la place du vieux continent, donc de la civilisation
européenne, et des valeurs qui nous rassemblent dans le vaste monde.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupement du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis
m'empêcher de penser, en cet instant, à 1992, au débat sur la ratification du
traité de Maastricht.
M. Paul Loridant.
Eh oui !
M. Daniel Hoeffel.
L'hémicycle était garni, l'atmosphère était passionnée. Aujourd'hui, pour le
traité de Nice, les rangs sont un peu plus clairsemés,...
M. Pierre Fauchon.
Les meilleurs sont là !
(Sourires.)
M. Daniel Hoeffel.
... les passions sont apaisées. J'espère que ce n'est pas le reflet d'une
certaine morosité, d'un désintéressement, d'une indifférence de l'opinion
publique à l'égard de l'Europe !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Nous ne devons pas, en tout cas nous, au Sénat, y contribuer, nous devons même
les combattre !
MM. Yann Gaillard et Jacques Machet.
Bravo !
M. Daniel Hoeffel.
J'examinerai d'abord brièvement, le traité de Nice et son contexte, je
présenterai ensuite quelques propositions pour l'avenir et je conclurai en
étudiant si c'est par notre « oui » ou par notre « non » que nous apporterons
notre contribution à l'Europe.
Je n'examinerai pas en détail le contenu du traité de Nice : M. de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, l'a analysé avec beaucoup
d'objectivité et de précision, et je dirai d'emblée que je souscris totalement
à ses propos et à ses conclusions, ainsi qu'à celles qu'à présentées, au nom de
la délégation pour l'Union européenne, notre collègue M. Hubert Haenel.
Oui, le traité de Nice est fortement critiqué. Mais tous ceux qui, d'une
manière ou d'une autre, ont été amenés à participer à des discussions au niveau
européen savent que ces jugements doivent être présentés avec beaucoup de
modestie. Bien sûr, pour les uns, ce traité va nécessairement trop loin ; pour
d'autres, il ne va pas assez loin. Mais il faut savoir que l'art des
négociateurs à l'échelon de l'Europe consiste surtout à éviter une rupture et,
au-delà, à éviter d'être considéré comme le responsable de la rupture.
Voilà pourquoi j'accorde volontiers des circonstances atténuantes à ceux qui
ont eu la lourde tâche de conduire la délégation française et de faire en sorte
qu'à Nice on aboutisse à un traité.
Quant au constat sur le contenu du traité de Nice et l'ambiance qui a prévalu
à sa signature, je vois trois éléments plutôt positifs, trois éléments plutôt
négatifs et un point d'interrogation.
Je commencerai par les trois éléments plutôt critiques.
En premier lieu, après Nice, la prise de décision à l'échelle de l'Union
Européenne s'avère plus difficile parce que le nombre de voix nécessaire pour
atteindre la majorité qualifiée a été relevé. Comment ne pas adhérer à
l'analyse de M. de Villepin lorsqu'il dit que les Etats semblent avoir
privilégié les moyens de bloquer une décision plutôt que la capacité d'aller de
l'avant ? Cela reflète la réalité. Le souffle, l'élan, ont été éclipsés par les
calculs.
Deuxième élément plutôt critique que nous avons pu constater : c'est l'état de
tension qui est apparu à Nice, généralement entre les grands Etats et les
petits Etats de l'Union européenne.
M. Ladislas Poniatowski.
Très juste !
M. Daniel Hoeffel.
Comme le débat sur l'Autriche et, maintenant, le référendum irlandais, les
heurts entre grands et petits à Nice ont démontré que tous les partenaires de
l'Union européenne voulaient être respectés et considérés, quelle que soit leur
taille ou l'importance de leur population, comme capables d'apporter, sur le
plan politique, sur le plan historique, sur le plan culturel, quelque chose à
l'Union européenne.
Nous devons, par notre langage et par notre comportement à l'égard des uns et
des autres, veiller à ce que tous puissent se sentir partenaires, qu'il n'y ait
pas de discrimination, et, à cet égard, j'adhère plutôt à ce qu'a dit Mme
Nicole Fontaine devant le Conseil de l'Europe à Strasbourg avant-hier à propos
de l'Irlande - « c'est un message d'alerte qui doit être entendu » - ...
M. Jacques Machet.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
... qu'aux propos du président de la Commission disant que cela n'avait pas
d'importance.
M. Jacques Machet.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
Veillons, sur le plan psychologique, à ce que chacun se sente chez lui dans la
maison commune de l'Europe.
M. Jacques Machet.
Bravo !
M. Daniel Hoeffel.
Troisième élément critique - les présidents de Villepin et Haenel l'ont relevé
-, il y a incontestablement eu des dysfonctionnements dans le tandem
franco-allemand. Ils expliquent les divergences qui sont apparues sur les
questions de la représentation au Parlement européen ou de la pondération des
voix. On peut se demander où sont les partenaires porteurs d'un message fort
qui, au cours des dernières décennies, grâce à cette entente, ont permis à
l'Union européenne de franchir des pas décisifs.
Face à ces éléments critiques, je voudrais relever trois éléments positifs du
traité et de son contexte.
Le premier est la coopération renforcée. Certes, elle ne concerne pas tous les
domaines que l'on aurait pu espérer y voir inclus, mais elle est améliorée.
Elle facilitera un certain nombre d'avancées et permettra à l'Europe de
progresser sans attendre que le dernier de ses membres soit d'accord sur tout.
C'est tout de même important !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Le deuxième élément positif est la voie ouverte à l'élargissement. C'est un
problème délicat qu'il convient de poser aujourd'hui en termes clairs. En
effet, nous ne pouvons pas, les uns et les autres, quand nous nous rendons en
Europe centrale et en Europe de l'Est, promettre que l'on va accueillir des
Etats à bras ouverts et profiter de chaque occasion pour placer des verrous
visant à retarder ou à empêcher l'entrée de ces Etats dans l'Union !
(MM. de Rohan et Vinçon applaudissent.)
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Nous savons bien que cet élargissement va poser de gros problèmes à l'Union
européenne et qu'il nous imposera davantage de rigueur, de discipline et
d'efforts. Mais si la France ferme la voie à cet élargissement, je vous assure
que certains de nos partenaires sauront, eux, en profiter et occuper le terrain
que nous laisserions vacant.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Cela aussi doit être dit en toute clarté !
Enfin, troisième élément positif, le traité de Nice ouvre la voie au nouveau
chantier institutionnel d'ici à 2004. Qu'est-ce qui facilitera le plus l'accès
à un tel chantier ? Notre « oui » ou notre « non » à la ratification de ce
traité ? Si nous le voulons et si la France s'y engage avec conviction, je suis
persuadé que ce chantier permettra à l'Union européenne de retrouver un nouveau
souffle.
J'en viens à un problème dont nous avons souvent discuté avec Hubert Haenel,
celui de la Charte des droits fondamentaux.
Je voudrais être certain que le fait, pour les quinze pays de l'Union
européenne, d'avoir, par leur appartenance au Conseil de l'Europe, adhéré à la
Convention européenne des droits de l'homme, d'une part, et d'avoir souscrit à
la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, d'autre part,
n'aboutira pas, un jour ou l'autre, à une double jurisprudence sur les droits
de l'homme : celle de la Cour de Bruxelles et celle de la Cour de Strasbourg.
Je ne suis pas persuadé, si tel devait être le cas, que les droits de l'homme
en sortiraient gagnants...
La deuxième partie de mon propos porte sur trois réflexions pour 2004.
D'abord, comment réduire les tensions entre les grands et les petits Etats de
l'Union européenne ? La question mérite d'autant plus d'être posée que
l'élargissement va permettre l'entrée d'Etats de plus en plus petits dans
l'Union européenne. Chacun doit se sentir un membre à part entière, bien
amarré, associé à l'Union.
Voilà pourquoi, sous l'égide de la délégation pour l'Union européenne, nous
avons préconisé la création d'une deuxième chambre européenne, qui serait issue
des parlements nationaux et au sein de laquelle tous les pays, quelle que soit
leur taille, seraient représentés à égalité.
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Très bien !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
Au Parlement européen, les Etats continueraient à être représentés
proportionnellement à leur population.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Cette deuxième chambre aurait un double avantage. Elle permettait de
revaloriser la situation des petits Etats,...
M. Jacques Machet.
Voilà !
M. Daniel Hoeffel.
... et de donner un ancrage démocratique plus authentique à l'Union
européenne, ancrage qui n'est pas évident en raison du mode d'élection des
parlementaires européens, ainsi qu'un enracinement plus profond dans nos
opinions publiques. A cet égard, cette proposition...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Réaliste !
M. Daniel Hoeffel.
... mériterait en toute objectivité d'être analysée dans la perspective de
2004.
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Ma deuxième réflexion porte sur la nécessité de rétablir le dialogue entre la
France et l'Allemagne sur des bases plus ouvertes. A cet égard, tout vient déjà
d'être dit, car, à chaque fois que le tandem franco-allemand ne fonctionne pas
bien, l'Europe rencontre des difficultés et sa progression marque un arrêt.
M. Jacques Machet.
Et pourtant !
M. Daniel Hoeffel.
Au contraire, quand il fonctionne en toute loyauté, l'Europe avance.
J'adhère à la proposition de M. de Villepin de constituer un groupe de travail
permanent. Les sommets formels entre les dirigeants de nos pays ne suffisent
pas. Ils sont certes nécessaires, mais ne privilégions pas la façade par
rapport au contenu. Il faut des rencontres plus simples, plus sobres et plus
spontanées pour progresser dans la résolution des problèmes.
Ce qui vaut pour les relations entre la France et l'Allemagne vaut aussi pour
les sommets européens. Privilégions donc le contenu, l'action, et ne
considérons pas que les grandes rencontres affichées sont suffisantes pour
faire croire à l'opinion publique que les choses avancent.
M. Jacques Machet.
Merci de cette proposition !
M. Daniel Hoeffel.
Ma troisième réflexion est que l'Europe en revienne à des valeurs fondatrices.
Qu'on les qualifie de valeurs démocratiques, de valeurs judéo-chrétiennes ou de
droits de l'homme fondamentaux, si nous oublions ces valeurs fondatrices,
l'Europe ne se construira pas sur des bases solides.
Or, il faut bien le reconnaître, on a surtout parlé à Nice - mais probablement
était-ce inévitable ? - pondération des voix, nombre de sièges, zonage des
fonds structurels, nombre de commissaires, intérêt national et encore intérêt
national, alors que les sujets évoqués lors de la création de l'Union
européenne étaient plutôt la paix, la liberté, la démocratie et les droits de
l'homme,...
M. Jacques Machet.
Oui !
M. Daniel Hoeffel.
... autant de valeurs communes qui ont donné le souffle nécessaire à la
création et au développement de l'Union.
Au contraire, à Nice, l'intérêt européen n'était que le plus petit
dénominateur commun parmi les intérêts nationaux. Comment s'étonner alors que
ces marchandages, certes nécessaires, aient pour conséquence l'apathie, le
désintéressement, l'absentéisme, voire le rejet de la part de nos opinions
publiques ?
Il faut éviter un décalage entre l'Union européenne et les opinions publiques,
pour qui, rappelons-le, le débat institutionnel n'est pas la première priorité.
Ce qui compte surtout pour elles, c'est que l'Europe soit en mesure de répondre
à leurs préoccupations.
M. Jacques Machet.
Oui !
M. Daniel Hoeffel.
Par exemple, l'euro contribuera-t-il, oui ou non, à la stabilité économique ?
L'Europe permettra-t-elle de mieux résoudre les problèmes relatifs à l'emploi,
à l'environnement, à la justice, à la sécurité, à l'immigration, à la
protection des consommateurs ? Les citoyens veulent que l'Union européenne
apporte des réponses concrètes à leurs préoccupations de la vie quotidienne, à
leurs interrogations sur l'avenir.
(Bravo ! et applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Dès lors, il faut que, d'ici à 2004, il se produise un déclic, sinon l'Union
européenne se diluera. Un « oui » de la France à la ratification du traité de
Nice peut, j'en suis convaincu, y contribuer, alors qu'un « non » fermerait la
porte et affaiblirait le poids de notre pays.
M. Jacques Machet.
C'est clair !
M. Daniel Hoeffel.
Au sujet de l'Europe, il n'est possible de répondre que par « oui » ou par «
non ». Même si je comprends que ceux qui sont à la recherche d'une Europe
idéale - laquelle n'est pas à notre portée - regrettent de ne pouvoir voter «
oui », je suis convaincu que nous nous devons, au Sénat, après avoir pesé les
arguments pour et les arguments contre, nous exprimer en toute clarté et
résolument pour le oui. Voilà pourquoi, tout en étant conscient, comme chacun
d'entre nous, des insuffisances du traité de Nice, je voterai très clairement «
oui », et il en sera de même pour la très grande majorité des membres du groupe
de l'Union centriste,...
M. Jacques Machet.
Bravo !
M. Daniel Hoeffel.
... fidèle à ses convictions européennes de toujours !
M. Jacques Machet.
Merci !
M. Daniel Hoeffel.
Le traité de Nice est certes un petit pas sur la voie de la construction
européenne, mais c'est un pas dans la bonne direction. Si notre vote en faveur
de la ratification peut conduire en 2004 à un grand pas, n'hésitons pas à voter
résolument « oui » !
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées socialistes et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
« Les pavés des casseurs à Göteborg complètent le message du référendum des
Irlandais : contestée dans les urnes, l'Europe a été déstabilisée par les
violences dans la rue », sous-titrait
Le Figaro
en début de semaine
dernière.
Dans ce contexte peu encourageant, nous sommes appelés à ratifier le traité de
Nice, obtenu à l'arraché par la présidence française le 11 décembre 2000, dans
un climat revendicatif des Quinze qui pouvait laisser présager des difficultés
à venir... Et, de fait, les difficultés sont venues de l'Irlande !
A l'instar de Dublin, chacun des partenaires pourrait prétendre rejeter ce
traité au prétexte qu'il a été conclu sur un maximum de frustrations et un
minimum d'union. Mais il ne faut pas oublier l'objectif essentiel de Nice, qui
était de préparer l'élargissement après l'échec d'Amsterdam en 1998. Or, sur ce
point, l'objectif est atteint, même si les réformes institutionnelles
alambiquées devront être clarifiées à l'avenir, autant pour réussir
l'élargissement que pour approfondir et renforcer cette nouvelle grande Europe
en construction.
Parmi les reproches que je ferai au traité de Nice, le plus dommageable est le
décrochage démographique au profit de l'Allemagne - élargi au Parlement et
introduit au Conseil dans le système de vote à la majorité qualifiée - venant
déstabiliser l'esprit initial de la construction européenne, d'abord fondé sur
l'équilibre franco-allemand et, ensuite, sur celui des trois grandes
puissances, la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Ce décrochage est-il
la conséquence ou la cause du grippage actuel dans le couple franco-allemand ?
En tous cas le moteur marche mal. En outre, si le critère démographique devait
dominer tous les autres, il serait légitime de craindre une adhésion future de
la Turquie, pays qui sera d'ici à dix ou à vingt ans le plus peuplé
d'Europe.
Dans les négociations de Nice, on doit regretter que l'esprit national ait
toujours supplanté la volonté d'union, d'où l'impossibilité de plafonner le
nombre des commissaires européens. Les « petits pays » en sortent renforcés,
puisque chacun aura son commissaire, et qu'ensuite il y aura une rotation égale
entre tous les Etats membres. A cet égard, on peut se demander, monsieur le
ministre, si la Commission est toujours une instance supranationale.
Par ailleurs, le vote à la majorité qualifiée en Conseil, étendu à de nouveaux
domaines, est rendu plus complexe, au point d'en annuler les effets attendus
d'accélération des décisions.
Parmi les motifs de satisfaction, je note l'accord sur les droits
fondamentaux, qui traduit une harmonisation appréciable des valeurs
européennes, et l'engagement pour une force d'action rapide, qui tend à
affirmer l'Europe dans l'OTAN. Mais aussi, au récent sommet de Göteborg s'est
dégagée une unité de vue sur la question importante de l'environnement afin de
limiter les émissions de gaz carbonique dans l'atmosphère et a été réaffirmée
la volonté des Quinze de mettre en oeuvre les accords de Kyoto en dépit du
revirement américain.
Cependant, la plupart des domaines de l'Europe Puissance relève toujours de
l'unanimité, comme la fiscalité ou la protection sociale, dont l'harmonisation
serait pourtant susceptible de renforcer l'efficacité économique du vieux
continent face à ses concurrents.
L'Union européenne manquerait-elle d'ambition ? Les difficultés à réformer,
que l'on a connues à Nice, ne cachent-elles pas des dissensions plus graves à
venir quand il s'agira d'adapter le budget européen aux besoins de
l'élargissement, de revoir les politiques communautaires, notamment agricoles
et régionales, en fonction des données nouvelles, d'avancer dans la politique
étrangère et de défense avec vingt-trois Etats membres... Autant de disputes en
perspective, si l'esprit véritablement européen ne resurgit pas dans la tête de
nos dirigeants ! Et comment demander aux peuples d'adhérer et d'accepter
certains sacrifices si la vision politique qu'on leur propose est fade et si
les grandes ambitions sont toujours repoussées au lendemain ?
Les parlements nationaux sont prêts à s'impliquer, encore faut-il leur en
donner l'occasion en les associant davantage aux rouages européens. En effet,
rien ne serait pire que les replis nationaux : sources de conflits, ils ne
contribueraient ni à la prospérité ni à la croissance que nos concitoyens
attendent.
Accompagnant l'arrivée prochaine de l'euro, la ratification du traité de Nice
est pour moi un impératif de soutien à nos représentants, le Président de la
République comme le Gouvernement, qui sont « allés au charbon » dans des
conditions adverses.
Aussi voterai-je cette ratification de raison plus que de passion, en
souhaitant que le traité, qui semble déjà « plombé », voie le jour à la fin de
2002 afin que soient poursuivies d'autres ambitions plus conformes à la vision
que je partage avec beaucoup d'entre nous de l'Europe. Mais sera-t-il possible
de maintenir véritablement ces échéances, monsieur le ministre ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Europe
suscite certaines craintes, mais aussi beaucoup d'espoir. Nous, Français,
l'avons souvent rêvée, idéalisée. Nous avons plaidé pour une Europe politique,
culturelle et sociale qui ne soit pas seulement un grand marché économique.
Cette vision ambitieuse a longtemps été un moteur de la construction
européenne et doit le rester. Mais elle nous conduit parfois à brûler les
étapes.
Quelle est la place du traité de Nice dans cette construction ?
Le traité de Nice n'est pas une révolution institutionnelle mais il n'est pas
non plus un échec, comme l'ont excellemment démontré MM. Hubert Haenel et
Xavier de Villepin, surtout si l'on considère la difficulté des problèmes
posés.
Les négociateurs du traité d'Amsterdam n'avaient pas réussi à s'entendre sur
la question de la réforme des institutions européennes. La conférence
intergouvernementale de l'année dernière a donc eu à traiter les sujets les
plus épineux.
La France a réussi à concilier des points de vue parfois diamétralement
opposés. Elle a d'autant plus de mérite qu'elle a pris la présidence de l'Union
au milieu de l'année 2000, soit à un moment où les négociations
s'enlisaient.
Il faut bien comprendre que la construction est entrée dans une nouvelle
phase, celle de la maturité. La fuite en avant a longtemps été la règle. A
chaque fois qu'un problème se posait, on créait un nouveau règlement ou une
nouvelle structure.
Chaque pays réussissait plus ou moins à obtenir les dérogations et les aides
communautaires correspondant à ses intérêts nationaux. Quand un nouvel Etat
intégrait l'Union, on lui attribuait des sièges au Parlement de Strasbourg,
sans limiter le nombre total des députés européens.
La perspective de l'élargissement a au moins le mérite de nous montrer que la
fuite en avant n'est plus possible. L'Europe ne pourra pas fonctionner de la
même manière à vingt-sept. Le maintien du vote à l'unanimité risque de
provoquer la paralysie dans de nombreux domaines. Par ailleurs, si les
commissaires et les députés européens sont trop nombreux, le système deviendra
ingérable. Enfin, le budget européen n'est pas extensible à l'infini.
Le traité de Nice apparaît ainsi moins important par son contenu que par sa
nature.
Les Quinze ont en effet accepté d'aborder les « sujets qui fâchent » en
remettant en question leur poids respectif au sein du Conseil, de la Commission
et du Parlement européens. M. Xavier de Villepin nous le rappelait tout à
l'heure : dans ce cadre-là, la négociation ne pouvait qu'être très rude. La
France, là encore, a eu le mérite de créer les conditions d'un accord. Chaque
pays en a payé le prix, mais un prix, je pense, raisonnable.
Le traité, malgré ses limites, ouvre peut-être ainsi une nouvelle phase, celle
de la maturité, du réalisme et de la consolidation européenne. Nous pouvons y
voir un signe d'espoir pour les années à venir.
Il n'en reste pas moins que, sur le fond, ce traité présente un bilan
contrasté. En effet, il comporte des avancées qui sont rarement négligeables,
mais qui ne sont pas toujours très significatives.
Il en est ainsi du nombre de sièges au Parlement européen, qui a été plafonné
à 732 dans le cadre d'une Europe à vingt-sept. C'est bien, car cela permet de
mettre fin à une fuite en avant qui aurait conduit à un Parlement de 800
membres, voire plus. Mais 732, ce n'est plus l'objectif de 700 qu'avait fixé -
vous vous en souvenez - le traité d'Amsterdam.
De même, le traité de Nice prévoit une meilleure organisation de la Commission
de Bruxelles. L'autorité de son président, en particulier, est renforcée. De
plus, le nombre des commissaires devrait être plafonné. Toutefois, l'échéance
de 2005 peut paraître un peu lointaine, et rien ne semble définitivement décidé
pour les années suivantes.
En ce qui concerne le Conseil, il faut noter l'extension du vote à la majorité
qualifiée à une trentaine de nouveaux domaines. Toutefois, il faut également
souligner que l'unanimité reste la règle pour les sujets les plus sensibles
comme la fiscalité, les aides régionales ou la politique sociale.
La question la plus aiguë était celle de la repondération des voix lors du
vote à la majorité qualifiée. Les grands pays ont obtenu une meilleure prise en
compte de leur poids démographique. La France a même réussi à préserver la
parité avec l'Allemagne, alors que celle-ci compte 20 millions d'habitants de
plus.
Ces points positifs sont malheureusement entachés par l'ajout de nouvelles
conditions plus ou moins dérogatoires, comme le « filet démographique » obtenu
par l'Allemagne, qui ont pour résultat de rendre le nouveau système encore
moins lisible que le précédent.
Ce n'est pas ainsi que nous permettrons aux citoyens européens de voir
clairement qui décide quoi et comment !
Enfin, il faut noter un certain assouplissement du dispositif des coopérations
renforcées. Les pays qui souhaitent aller de l'avant dans certains domaines
devraient pouvoir le faire plus facilement. Je considère, moi aussi, que c'est
un élément positif.
Finalement, même s'il l'a fait imparfaitement, le traité de Nice a répondu aux
questions qui lui étaient posées, comme M. Hoeffel l'a très bien rappelé, en
des termes passionnés qui faisaient plaisir à entendre.
Mais ce traité a-t-il pour autant réglé tous les problèmes auxquels est
confrontée l'Europe ? Comme M. Haenel, je dirais : bien sûr que non !
Le traité laisse beaucoup de questions en suspens. Pour permettre à l'Europe
élargie de fonctionner, il se contente d'ajuster le système institutionnel
existant mais sans le remettre à plat.
Pourtant, tout le monde s'accorde à reconnaître la nécessité d'un grand débat
de fond sur l'avenir des institutions européennes.
Le Président de République a ouvert la voie lors de son discours au Bundestag,
le 27 juin 2000. Il a tracé le cadre d'une Europe qui ne se substitue pas aux
Etats et encore moins aux collectivités les plus proches de nos concitoyens. Le
groupe des Républicains et Indépendants soutient tout à fait cette démarche,
qui répond à notre souci d'efficacité, de transparence et de
décentralisation.
Sous l'impulsion de la présidence française, le Conseil européen de Nice a
ainsi adopté une déclaration qui lance une nouvelle réflexion.
Celle-ci doit aboutir, au plus tard en 2004, à une nouvelle réforme
institutionnelle qui abordera des sujets laissés de côté à Nice, tels que la
clarification des compétences entre l'Union et les Etats membres, la
réorganisation des traités et le rôle des parlements nationaux. Cela dit, les
propositions formulées par Xavier de Villepin apportent déjà une excellente
suggestion en la matière.
De nombreuses personnalités françaises et européennes ont déjà exprimé leur
vision de l'Europe de demain. Je note que M. le Premier ministre s'est décidé -
« enfin », je serais tenté de dire - à nous faire part de son point de vue,
notamment dans le domaine institutionnel.
Le groupe des Républicains et Indépendants souhaite, pour sa part, réaffirmer
les principes auquel il est attaché.
Nous considérons notamment que c'est d'une vision commune que découlent des
institutions communes. Réformer les institutions : oui, mais pour quelle Europe
? Les réponses à cette question restent aujourd'hui bien confuses, même après
Nice.
Nous ne pouvons plus faire l'économie d'une réflexion sur l'identité
européenne, un demi-siècle après la déclaration de Robert Schuman. Il s'agit
non pas de réinventer l'Europe, mais de la redéfinir. Que voulons-nous ? Quels
sont les valeurs et les objectifs qui nous unissent aujourd'hui ? Cette
question identitaire est fondamentale pour l'avenir de la construction
européenne, surtout dans la perspective de l'élargissement.
Nous devons également favoriser la construction d'une véritable Europe
politique, qui associe mieux les parlements nationaux - et la création d'un
Sénat européen pourrait constituer une voie intéressante -, mais aussi les
peuples, c'est-à-dire chaque citoyen.
A cet égard, le rejet du traité de Nice par l'Irlande constitue un message
d'alerte que nous devons entendre, surtout venant d'un pays réputé «
pro-européen ».
Bien sûr, il existe sûrement des raisons spécifiques pour expliquer ce vote,
mais nous aurions tort de ne voir dans le « non » irlandais qu'un simple
épiphénomène. Il traduit une insatisfaction qui existe dans touts les Etats
membres, y compris en France. Il met surtout en évidence l'ambiguïté
persistante d'une construction européenne qui se veut au service des peuples
mais se fait largement sans eux.
Les gouvernements européens ne peuvent se contenter de « pirouettes »
juridiques pour permettre l'entrée en vigueur du traité de Nice. Ils doivent
regarder les choses en face et répondre aux préoccupations exprimées par les
électeurs.
La route est donc longue, mes chers collègues, avant d'atteindre les objectifs
ambitieux de la construction européenne. Sur cette route, le traité de Nice
apparaît comme une étape modeste, qui doit nous permettre d'atteindre celle,
plus fondamentale, de l'élargissement.
C'est pourquoi notre groupe votera le projet de loi autorisant la ratification
de ce traité, dans un souci à la fois d'objectivité et de responsabilité.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du
Rassemblement démocratique et social européen votera de façon unanime la
ratification du traité de Nice. Il le fera certes plus par raison que par
passion. De ce point de vue, je partage l'avis des éminentes personnalités qui
se sont exprimées ; je pense tout particulièrement au remarquable exposé du
président de la commission des affaires étrangères, Xavier de Villepin.
Coopération renforcée, majorité qualifiée pour vingt-neuf dispositions,
renforcement du pouvoir du président de la Commission, amélioration du
fonctionnement de la Cour de justice : d'indiscutables progrès sont
accomplis.
Les conditions de négociation de ce traité étaient difficiles puisqu'il
s'agissait uniquement d'évoquer des sujets qui fâchent. Dès lors, ce qui en est
résulté ne pouvait susciter un enthousiasme débordant, et les médias se sont
empressés de faire le plus large écho aux critiques qui ont accueilli la
signature du traité.
Pourtant, ce traité vaut bien mieux que ce que l'on en a dit.
Je n'évoquerai pas ici les aspects juridiques conflictuels - confédération ou
fédération, etc. - car, à mes yeux, l'essentiel réside dans les pouvoirs
concrets qui vont être conférés à l'Union et, dans le cadre de la subsidiarité,
aux Etats ainsi qu'aux régions.
J'aborderai donc successivement un certain nombre de problèmes, de manière
ouverte, quitte à enfreindre des tabous et à passer pour « politiquement
incorrect ».
Premièrement, quels pouvoirs pour l'Europe unie, dans la réalité d'une
mondialisation croissante, car il est des compétences qu'il faudra bien, d'une
façon ou d'une autre, déléguer à l'Union européenne ?
Deuxièmement, quel pouvoir régional et quelle conception de la subsidiarité
?
Troisièmement, pourquoi l'élargissement et selon quelles modalités convient-il
d'y procéder ? En effet, il ne suffit pas de dire : « Elargissons ! ». Il faut
peut-être aussi examiner les motivations profondes de cet élargissement et les
valeurs sur lesquelles il se fonde.
Enfin, quatrièmement, je soulèverai une question à mon sens fondamentale :
pourquoi l'opinion publique européenne est-elle finalement moins « emballée »
qu'elle ne devrait l'être devant la construction de l'Europe ? Pourquoi, en
particulier, ne considère-t-elle pas les instances représentatives européennes
de la même manière que les organes de la démocratie dans un pays comme la
France ? Selon moi, la raison est en fait très simple : on ne connaît pas les
députés européens ; mais j'y reviendrai.
Dans le contexte actuel de mondialisation, l'Europe a-t-elle suffisamment de
pouvoirs ?
Certes, nous avons progressé considérablement, notamment avec l'euro qui
constitue une avancée phénoménale, à laquelle personne ne pouvait croire voilà
une dizaine d'années. Le jour où l'euro entrera effectivement en circulation,
n'en doutons pas, les populations européennes prendront vraiment conscience que
quelque chose de nouveau se passe. On perçoit d'ailleurs déjà les premiers
frémissements de ce changement.
Il existe une sorte de dogme, celui d'une Europe ultra-libérale, fondée sur
une conception pure et dure du libre échange. Comme s'il n'y avait pas d'autres
ensembles de pays où l'on se fait volontiers le héraut du libre-échangisme,
tout en mettant d'ailleurs des entraves à la libre circulation des marchandises
et des capitaux !
Maurice Allais, prix Nobel d'économie, qui passe à tort pour un anti-européen
convaincu considère que l'Europe devrait avoir une politique industrielle. Or,
à Bruxelles, parler de politique industrielle est très mal vu.
M. Paul Loridant.
Hélas !
M. Pierre Laffitte.
Mais une région du globe qui a affirmé à l'unanimité, à Lisbonne, sa volonté
de devenir l'ensemble le plus important sur le plan économique et, par voie de
conséquence, sur le plan politique, peut-elle ne pas faire ce que font les
Etats-Unis, le Japon, la Chine, bref toutes les grandes puissances,
c'est-à-dire définir une politique industrielle et financière, une politique de
défense et une politique étrangère ?
Pour ma part, j'estime que ces trois domaines sont ceux qui doivent échapper à
la subsidiarité.
Je sais qu'il s'agit là d'un tabou, je sais que je choque, mais il me paraît
nécessaire de soulever le problème. Et, en disant cela, je ne fais le procès ni
du traité de Nice ni des traités antérieurs.
Au demeurant, on peut constater que, petit à petit, les choses avancent. Je
pense, en ce qui concerne l'industrie, à la constitution de groupes comme EADS.
Je songe aussi à la création du corps d'intervention rapide au sein de
l'OTAN.
Je rappelle d'ailleurs que la politique militaire européenne était, au temps
des pères fondateurs, regardée comme un domaine prioritaire. Au demeurant, il
ne peut en être autrement dès lors que l'on veut tenir un rôle dans le
monde.
M. Jacques Machet.
Bien sûr !
M. Pierre Laffitte.
Deuxième tabou : les pouvoirs régionaux.
Bien sûr, selon les pays, les régions n'ont pas du tout les mêmes pouvoirs.
Quand on voyage régulièrement en Allemagne, comme c'est mon cas depuis un
certain temps, on finit par s'apercevoir que les vrais responsables des
questions scientifiques ou économiques, par exemple, se situent plus souvent à
l'échelon des
Länder
qu'à l'échelon fédéral. Pour la Bavière, la
Rhénanie-du-Nord - Westphalie ou le Bade-Wurtemberg, le pouvoir économique se
situe à Munich, à Düsseldorf ou à Stuttgart, et non pas à Bonn ou à Berlin. Et
cela vaut dans bien des domaines.
En France même, actuellement, les présidents de région, présidents de droite
et de gauche pour une fois réunis, souhaitent plus de moyens financiers, plus
d'autonomie, de manière à gérer le plus possible à proximité. La subsidiarité,
ce n'est rien d'autre que cela.
Nous avons, à propos du fonctionnement de l'Europe, remis ce mot à l'honneur,
mais sans qu'il ait jamais véritablement donné lieu à un débat public. Si vous
parlez de subsidiarité dans nos villes et dans nos villages, comme il m'arrive
de le faire, on vous regarde avec des yeux ronds ! « La subsidiarité...
Qu'est-ce que c'est ? »
(Sourires.)
Certains de ceux qui ont fréquenté
le catéchisme connaissent vaguement l'acception religieuse du mot...
Mais quand on explique que la subsidiarité consiste à déléguer les décisions à
un pouvoir situé au plus près de ceux que ces décisions concernent, de ceux à
qui elles s'appliquent, tout le monde comprend... et approuve !
Sans doute est-ce un moyen, parmi d'autres, de convaincre les citoyens que
l'Europe c'est mieux qu'un Etat trop jacobin. Je pense qu'il y a là une
majorité d'idée prête à se constituer et dont il faut encourager
l'émergence.
La subsidiarité n'est-elle pas déjà inscrite dans le sentiment que chacun a de
son identité ? Un Catalan, par exemple, se sent-il d'abord Catalan, puis
Espagnol et enfin Européen ? Je n'en suis pas si sûr ! Je suis même convaincu
que beaucoup de Catalans se sentent d'abord Catalans, puis Européens et enfin
Espagnols. Et l'on pourrait se poser la même question pour les Corses, les
Ecossais...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Les Alsaciens !
(Sourires.)
M. Pierre Laffitte.
Allons encore plus loin dans les tabous. Est-ce que, au Luxembourg, en
Finlande, en Estonie, en Irlande, il y a plus d'habitants qu'en Rhône-Alpes, en
Provence ou en Bavière ? Non !
Ce sont là des questions que les populations sont en droit de se poser, et
qu'elles se posent. C'est une des raisons pour lesquelles il faudra en venir à
parler de l'Europe des régions.
La question de l'élargissement est, elle aussi, un tabou. Bien sûr, il faut
élargir l'Europe ! Mais peut-être convient-il d'expliquer d'abord pourquoi.
La raison principale tient à l'histoire et à la culture. Voilà bien longtemps,
en particulier grâce aux moines irlandais, s'est constituée l'Europe
monastique, qui a tissé un réseau dense de relations. Ce fut ensuite aux
bâtisseurs de cathédrales de parcourir l'Europe. Plus près de nous, la
Révolution française a essaimé les idées nouvelles jusque dans les plaines
russes, où même les armées de Napoléon étaient parfois considérées comme des
messagères de la liberté. Encore plus près de nous, il y eut le mot fameux : «
L'Europe de l'Atlantique à l'Oural ».
Cette légitimité en quelque sorte historique de l'élargissement, peut-être
serait-il nécessaire de la populariser.
L'élargissement peut néanmoins susciter aussi quelques inquiétudes quand on
songe aux problèmes que la réunification de l'Allemagne a posés, notamment en
termes de coût. De fait, aujourd'hui encore, le mur invisible des mentalités
entre les
Ossis
et les
Wessis
subsiste. Les dernières élections
qui se sont déroulées à Berlin l'ont bien montré. C'est pourquoi il me paraît
nécessaire de réfléchir à la façon dont nous pouvons aider les pays qui veulent
entrer dans l'Europe. Et il ne s'agit pas de les entendre les uns après les
autres, comme dans un confessionnal !
Certes, ces pays sont très différents, mais certains regroupements partiels,
du type de l'ancien Benelux - il y a eu aussi le COMECON, mais celui-ci était
clairement placé sous domination - pourraient leur permettre de mieux se
préparer au choc considérable que vont connaître leurs économies.
Je crains en effet que, faute de précautions, ce choc ne provoque, dans les
populations considérées, une certaine résistance à l'idée européenne et, en
même temps, une poussée vers les extrémismes, de droite ou de gauche, comme il
s'en est produit dans certain
Lander
de la partie orientale de
l'Allemagne.
Dernier point : faire comprendre l'Europe par l'opinion publique. Faut-il
laisser la totalité du pouvoir d'information aux médias et à la presse ? Dans
un pays comme la France, par exemple, les parlementaires nationaux, les députés
ou les sénateurs, sont bien connus par leurs électeurs, ne serait-ce que parce
qu'ils leur rendent régulièrement des comptes et qu'ils assurent, chaque
semaine, des permanences dans leur circonscription. On a beau dire que la
population n'aime plus ses représentants. En général, certes, elle rejette en
bloc les hommes politiques, mais elle aime bien ceux qu'elle connaît, et je
crois que très peu de parlementaires se heurtent à une hostilité dans leur
circonscription.
Or, qui connaît un parlementaire européen dans une circonscription ? La
circonscription, c'est la France ! A mon sens, le modèle électoral est
inadapté. Je crois qu'il faudrait organiser des élections à l'échelon des
régions et que, même à ce degré, on pourrait s'inspirer du Bundestag en
instituant un scrutin, pour partie majoritaire et pour partie proportionnel.
Je ne prétends pas que ce sera facile à faire, mais, quand le nombre de
parlementaires français sera réduit de quatre-vingt-sept à soixante-douze dans
une Europe élargie, le moment sera sans doute venu de choisir dans chaque
grande région quatre ou cinq personnalités averties des réalités qui pourront
vraiment relater ce qui s'y passe et dire quels sont les problèmes qui se
posent, au lieu de laisser courir les rumeurs.
On parle du loup européen ; c'est un grand méchant loup ! Si je parle du loup,
c'est parce que certains attribuent la présence des loups dans mon
département... à l'Europe et aux écologistes ! Les propriétaires de brebis
égorgées sont donc, logiquement, anti-européens.
(Sourires.)
Cela mérite véritablement de donner une explication à laquelle, pour le
moment, les parlementaires ne sont pas tenus. C'est un problème de fond, un
problème tout à fait majeur.
De même, la proposition du Sénat de créer une deuxième chambre européenne me
semble judicieuse. Je suis, pour ma part, convaincu des vertus du bicamérisme.
Ce Sénat européen serait une tribune pour promouvoir l'Europe. L'expérience
nous a appris, en effet, que les médias n'ont pas la volonté de faire une
explication continue, systématique, pour montrer et accompagner la naissance
d'une démocratie.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Vous avez raison ! Il
faut faire de la pédagogie !
M. Pierre Laffitte.
Et une démocratrie a besoin d'une âme qui soit perçue par l'ensemble de la
population.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 5
juin, date de la discussion de ce projet de loi de ratification à l'Assemblée
nationale, deux événements importants se sont déroulés, qui renforcent encore
le sentiment de malaise à l'égard de la présente construction européenne,
notamment à l'égard du traité de Nice dont nous discutons aujourd'hui.
En premier lieu, l'Irlande a dit non. Seul peuple à avoir été consulté
directement, les Irlandais ont rejeté pour des raisons fort diverses un traité
jugé, d'une part, trop timide face aux nécessités fédéralistes pour les uns,
d'autre part, sans rupture avec la logique financière pour les autres.
En second lieu, le sommet de Göteborg a, une nouvelle fois, symbolisé la
coupure entre les dirigeants européens et les préoccupations populaires. Si
nous refusons tous - j'en suis convaincue - les violences qui se sont déroulées
en Suède - et cela, quelle qu'en soit l'origine - ces événements ne doivent pas
masquer la forte mobilisation populaire qui a, une nouvelle fois, marqué un
sommet européen.
Le fait est là : sur fond d'inquiétude, la mobilisation monte contre une
Europe qui ne répond pas aux attentes de justice sociale et de solidarité.
Lors du traité de Nice, deux questions essentielles ne furent abordées que de
manière marginale.
Comment, tout d'abord, démocratiser l'Europe ? Comment permettre aux peuples
européens de peser sur les choix ?
N'existe-t-il ensuite qu'un seul modèle de construction européenne ? La pensée
unique serait-elle incontournable en la matière, empêchant tout refus des
dogmes libéraux qui prévalent toujours et encore aujourd'hui ?
Ces interrogations me paraissent d'autant plus pertinentes quand je lis le
projet européen présenté par M. le Premier ministre le 28 mai dernier.
Je partage nombre d'objectifs affirmés à cette occasion. Oui, il faut un
projet de société pour l'Europe. Oui, il faut un gouvernement pour contrer la
toute-puissance de la Banque centrale européenne. Oui, il faut axer l'Europe
sur la solidarité sociale. Oui, il faut des services publics forts et
efficaces. Oui, il est clair que la culture n'est pas une marchandise.
Nous partageons également l'idée d'une participation plus grande des
Parlements nationaux ; comme l'a indiqué le Premier ministre, nous voulons «
faire l'Europe sans défaire la France ».
Toutes ces intentions sont louables.
Mais qu'est-il proposé, qu'est-il fait pour « réorienter la construction
européenne », conformément à l'accord conclu le 29 avril 1997 entre les partis
de la majorité gouvernementale ?
Le décalage entre les intentions et la réalité de la marche de l'Europe vers
le libéralisme le plus absolu est frappant.
Qu'est-il proposé concrètement pour modifier les statuts de la Banque centrale
européenne, indépendante du contrôle populaire, mais sous la coupe des marchés
financiers ? Quand sera remis en cause le pacte de stabilité budgétaire, qui
bride la croissance au profit d'une politique monétariste, laquelle ne place
pas l'emploi au coeur des préoccupations ?
On le voit bien : aujourd'hui comme hier, face aux aspirations légitimes à une
redistribution plus juste des richesses, la Banque centrale européenne, qui,
seule, décide des politiques salariales européennes - notamment -, brandit les
critères européens.
C'est en leur nom que l'on justifie la faiblesse de l'augmentation du SMIC.
Revaloriser fortement les salaires serait pour la Banque centrale européenne
une hérésie. L'inflation censée en résulter est diabolisée.
La résorption du chômage, l'objectif du plein-emploi affiché au sommet de
Lisbonne, en mars 2000, apparaissent déjà loin. Comment ne pas voir, en effet,
la contradiction majeure entre cette volonté, qui est celle du Premier
ministre, et l'affirmation de la libre concurrence, principe fondateur et
élément clé du traité de Maastricht ?
Comment soutenir des services publics forts et fermer les yeux, ou presque,
devant l'offensive de M. Bolkestein, le commissaire européen qui mène
l'offensive contre la spécificité française symbolisée par les services
postaux, EDF, Gaz de France ou la SNCF ?
Enfin, pour conclure sur cette question du projet européen et du décalage
entre les intentions et les actes, je souhaite évoquer la question de la
coopération et de l'aide au développement.
Alors que l'Afrique s'enfonce dans une crise terrible, illustrée par la
propagation du sida, alors que l'immense majorité de l'humanité souffre, cette
Europe reste repliée sur elle-même, centrée sur le développement des richesses
pour une infime minorité, au détriment d'une véritable politique de
développement, notamment en faveur des pays du Sud.
La réalité, c'est la baisse de l'aide publique dans onze Etats sur quinze, y
compris la France. La réalité, c'est le refus constant d'une taxe dite « taxe
Tobin » sur la circulation des mouvements de capitaux, au profit des pays
pauvres.
L'ONU, il est vrai, vient de s'engager plus fortement dans ce domaine pour
accroître son aide, et je pense que c'est une décision juste et réaliste.
La responsabilité de l'Europe est historique sur ce point essentiel pour
l'avenir de tous les êtres humains, et même si ce dossier n'était pas à l'ordre
du jour du sommet de Nice, préoccupé essentiellement par la définition des
rapports de force internes, de l'Union, il reste absolument fondamental.
Le sommet de Nice fut pourtant l'occasion d'une grande manifestation, venue
rappeler aux participants l'ensemble de ces exigences de progrès social, de
solidarité, d'humanité et du désir d'être respecté.
Le sommet de Nice, les négociations interminables n'ont pas amélioré l'image
de l'Europe. La discussion sur la nouvelle pondération des voix dans la
perspective de l'élargissement, pourtant si importante, a pris des allures de
négociation de marchands de tapis. Quel écart entre la mobilisation exprimant
les préoccupations quotidiennes et le débat institutionnel, incompréhensible
pour la quasi-totalité de la population !
Ainsi, la technicité de la construction européenne constitue l'un des éléments
importants expliquant l'inquiétude des peuples.
Cette technicité débouche d'ailleurs parfois sur des choix contradictoires au
sein d'un même article. La renégociation d'un article important du traité,
l'article 133, qui concerne la politique commerciale commune, constitue un bon
exemple à cet égard.
Le traité de Nice a, par exemple, étendu dans ce domaine la majorité qualifiée
pour les accords relatifs aux services ainsi qu'aux aspects commerciaux de la
propriété intellectuelle, ce qui présente, à notre avis, des risques réels.
En revanche, et c'est un point positif, relèvent toujours de l'unanimité,
selon ce même article, les accords concernant la culture, l'éducation et la
santé, cette disposition ayant été maintenue à la demande de la France.
Le débat sur l'extension de la majorité qualifiée fut l'un des temps forts de
la négociation du traité de Nice, et nous nous félicitons du rejet, à cette
occasion, de la généralisation de cette règle.
Dans le même temps, - et cela démontre la complexité de cette question - la
règle de l'unanimité peut être utilisée au détriment d'avancées sociales,
s'agissant notamment des accords relatifs à la fiscalité.
La Grande-Bretagne, qui soutient l'idée libérale de la moindre taxation, voire
de l'absence de taxation des entreprises, a d'ailleurs souhaité le maintien de
l'unanimité.
Nous estimons que l'intervention des peuples peut permettre de réorienter
l'Europe. Encore faudrait-il que l'espace d'expression, d'intervention soit
élargi. En effet, le traité de Nice n'a pas - bien au contraire ! - apporté le
moindre début de solution au « déficit démocratique ».
Par exemple, alors que l'élargissement est programmé, les Quinze ont décidé
d'étendre le dispositif de coopération renforcée à de nouveaux secteurs.
Cette pratique permet à un petit nombre d'approfondir l'intégration européenne
pour « favoriser la réalisation des objectifs de l'Union ». Le nombre
nécessaire à la mise en oeuvre de ces coopérations renforcées a été réduit à
huit alors que, selon le mode de calcul actuel, il aurait dû passer à quatorze
dans le cadre de l'Europe des vingt-sept.
Ces coopérations peuvent, suivant leurs objectifs et leur contenu, servir des
intérêts diamétralement opposés. Elles peuvent, en effet, permettre de
satisfaire différents besoins des populations ou être utilisées, au contraire,
comme levier de blocage pour freiner toute évolution allant dans ce sens.
L'extension de la procédure de coopération renforcée ne risque-t-elle pas de
favoriser la constitution d'une Europe à deux, voire à trois ou à quatre
vitesses ?
C'est un aspect fort de Nice : la volonté des plus puissants, en particulier
de l'Allemagne, d'affirmer leur
leadership
dans la future grande Europe.
Le débat entre la France et l'Allemagne forte de 80 millions d'habitants n'est
d'ailleurs pas passé inaperçu.
Même si la France, appuyée par un certain nombre de petits pays, a pu
résister, il n'en demeure pas moins que l'Allemagne sort renforcée de ce
sommet. Avec le changement du nombre de députés dans le futur Parlement
européen, l'Allemagne conserve ses quatre-vingt-dix-neuf sièges, alors que la
France, le Royaume-Uni et l'Italie descendent à soixante-douze sièges.
Aussi bien dans le calcul du nombre de voix au Conseil européen que dans le
nombre d'élus au Parlement, notre puissant voisin obtient un réel succès.
Ce facteur démographique interviendra, si le traité de Nice entre en vigueur,
pour favoriser le blocage ou l'adoption d'une décision du Conseil. Cette
dernière, pour ne pas être contestée, doit s'appuyer sur l'accord de pays
représentant au moins 62 % de la population de l'Union.
La volonté existait également de faire prévaloir ce facteur démographique pour
la constitution de la Commission européenne. Finalement, chaque pays, petit ou
grand, ancien ou nouveau, aura son représentant, ce qui nous paraît beaucoup
plus juste.
Sur le plan du fonctionnement démocratique de l'Union, nous nous félicitons du
progrès, même modeste, que constitue l'extension de la procédure de codécision
qui associe étroitement le Parlement européen aux décisions de la
Commission.
Nous le voyons, le bilan des discussions de Nice est pour le moins contrasté.
Ce traité devait constituer un pas de plus vers l'intégration européenne, mais
celle-ci est freinée par l'expression de contradictions internes, nées, pour
une bonne part, du mécontentement et de l'inquiétude de l'opinion publique
européenne. Le traité de Nice ne soulève pas l'intérêt général et j'insisterai
sur l'absence du moindre progrès sur le plan du droit à l'intervention des
peuples.
Alors que nous examinions, la semaine dernière, ici même au Sénat, les moyens
de débattre dans de meilleures conditions des normes européennes, en
réfléchissant à la possibilité d'améliorer le pouvoir de participation des
parlements nationaux à la construction européenne, les traités se succèdent
sans aborder cette question cruciale de la participation des peuples. Dès 1992,
mon groupe, à l'occasion du débat sur Maastricht, soulignait « la nécessité de
construire l'Europe pour les peuples et non pas contre les peuples ». Cette
formule me semble toujours d'actualité.
N'est-il pas étonnant d'entendre le président de la Commission, M. Romano
Prodi, minimiser le vote des Irlandais ? N'est-ce pas le meilleur moyen de
conduire ce peuple à se sentir méprisé, à maintenir son opposition, et à faire
échouer ainsi le sommet de Nice et les perspectives d'élargissement ?
Notre groupe a longuement discuté sur ce sujet et sur la position à adopter,
et aucune position unanime ne s'est dégagée. Nous avons toutefois choisi, à la
majorité, de nous abstenir malgré nos critiques assez fortes, car nous sommes
favorables à l'élargissement et nous refusons de fermer la porte aux Etats qui
souhaitent rejoindre l'Europe. Certains d'entre nous ont cependant choisi de
voter contre, et nos amis du Mouvement des citoyens, le MDC, présenteront tout
à l'heure une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Chers collègues, l'Europe, telle qu'elle se construit, reste lourde de dangers
quant aux choix qui sont les siens, notamment en matière économique et sociale.
Cependant, des peuples européens voient leur salut dans leur adhésion. Il
serait donc injuste de les priver de cette espérance.
Nous comptons sur tous les peuples pour faire avancer l'Europe et la
bousculer. Nous avons besoin d'Europe, mais d'une autre Europe.
Notre vote est une marque d'espoir, de solidarité et de paix pour des milliers
d'hommes et de femmes. Nous espérons que la France et les Européens ne les
décevront pas.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après
plusieurs des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ce matin, je
rappellerai d'abord qu'au lendemain de l'accord sur le traité de Nice les
réactions se sont multipliées pour fustiger les décisions qui avaient été
prises et le rôle de la présidence française. Mais quelques mois ont passé, et
ces premières impressions, qui étaient en grande partie infondées, s'estompent
au profit du débat déjà largement lancé sur l'avenir de l'Union européenne,
débat qui est nourri de propositions et de réflexions faites au plus niveau
dans différents pays, et nous ne pouvons, pour ce qui nous concerne, que nous
féliciter de cette volonté de redonner du souffle à la construction
européenne.
Face aux critiques, nous avions estimé alors que le traité de Nice était le
meilleur texte, ou le moins mauvais, que l'on pouvait obtenir, compte tenu du
peu de concessions que chaque Etat membre était prêt à faire. La présidence
française a fait tout son possible afin qu'un accord honorable soit atteint et
pour que tout risque de crise majeure soit évité.
Les résultats obtenus à Nice reflètent, en effet, un équilibre difficile entre
des intérêts nationaux, souvent contradictoires ; étant donné l'âpreté des
négociations, et avec le recul, les critiques adressées à la présidence
française paraissent, aujourd'hui plus encore, injustifiées.
Nous considérons que le Gouvernement français a rempli la mission que lui
avait confiée le Parlement dans un article 2 ajouté à la loi de ratification du
traité d'Amsterdam.
N'oublions pas que le traité de Nice était d'abord destiné à garantir
l'efficacité des institutions et de la prise de décision européennes pour une
Europe élargie à vingt-sept membres.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors du premier débat sur le traité de
Nice qui a eu lieu au Sénat le 14 décembre dernier, le fait que, sur les
questions institutionnelles restées en suspens après le traité d'Amsterdam, des
solutions aient pu être trouvées, même incomplètes, même imparfaites, doit
suffire pour que, comme vous l'avez dit, monsieur de Villepin, nous
considérions le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide.
On a déjà rappelé les points positifs de ce nouveau traité.
Je reviendrai, d'abord, sur le plan institutionnel.
Une modification de la pondération des voix devrait assurer un meilleur
équilibre entre les Etats membres et donc plus de démocratie, avec la prise en
compte du poids démographique des Etats membres.
Une extension du vote à la majorité qualifiée introduit de réels progrès
puisque trente-cinq nouveaux domaines sont concernés ; mais elle reste
insuffisante, l'unanimité ayant été maintenue pour les domaines sensibles de la
fiscalité ou de la sécurité sociale. D'ailleurs - notons-le au passage car ce
n'est pas négligeable -, la France a pu préserver ainsi son « exception
culturelle », ce qui était pour nous tout à fait primordial.
Le débat sur une meilleure répartition des compétences respectives de l'Union
et des Etats membres devrait contribuer à lever les réticences à l'évolution du
champ d'action de l'Union, que les négociations à Nice ont révélées ; si ce
travail n'est pas fait, les Etats membres continueront d'invoquer la
préservation de leurs intérêts nationaux dans de futures négociations, ce qui
sera extrêmement difficile dans une Union élargie à vingt, à vingt-cinq ou à
vingt-sept membres.
Nous regrettons cependant que les Etats membres n'aient pas choisi de
renforcer la collégialité de la Commission européenne par une dissociation
entre le nombre de commissaires et le nombre d'Etats membres. Cela aurait eu le
mérite de favoriser la défense de l'intérêt communautaire dans le jeu
institutionnel. Nous devrons veiller, à l'avenir, à ce que cette situation ne
conduise pas à ce que l'on pourrait appeler une nationalisation pure et simple
de la Commission. Il est nécessaire de progresser sur ce dossier.
Le traité de Nice est aussi allé au-delà des questions institutionnelles
restées en suspens dans le traité d'Amsterdam, avec l'assouplissement de la
procédure de coopération renforcée. C'est l'un des apports essentiels de ce
traité, même si la défense n'est finalement pas concernée. Dans ce domaine, les
Etats membres ont d'ailleurs réalisé une avancée majeure, ce qui a permis à la
présidence française de proposer, dès Nice, l'inscription dans les traités du
dispositif institutionnel d'une capacité européenne de défense.
Sur le plan de l'affirmation de nos valeurs communes, quelques avancées sont à
souligner.
Nous nous félicitons de l'inscription dans l'article 7 du traité d'un
dispositif qui vise à prévenir les violations des droits de l'homme, confirmant
l'attachement de l'Union européenne aux valeurs de la démocratie, de la liberté
et de l'Etat de droit.
M. Guy Penne.
Bravo !
M. Claude Estier.
Avec la proclamation de la Charte européenne des droits fondamentaux, ce sont
les droits économiques et sociaux des citoyens européens et des ressortissants
de pays tiers en situation régulière qui sont enfin reconnus au titre de
l'Union européenne. Nous regrettons pourtant - nous ne sommes pas les seuls, je
crois - que cette charte n'ait pas pu être incluse dès le Conseil européen de
Nice dans le préambule du traité. Nous réitérons aujourd'hui ce souhait, et
nous devons envisager sérieusement, dès à présent, que ce texte puisse faire
partie, à terme, d'une Constitution européenne dont la Charte serait
concrètement le premier jalon. Cette charte est bien une pièce majeure de
l'édification de l'Europe politique, parce qu'elle constitue un texte
identitaire de référence rassemblant les valeurs communes qui doivent souder
les citoyens européens autour de ce qu'est aujourd'hui la civilisation
européenne.
Enfin, je voudrais rappeler l'adoption d'une déclaration sur les services
publics dont l'intérêt est de défendre l'adaptabilité des services d'intérêt
général dans un monde où l'environnement économique, scientifique et
technologique connaît des évolutions rapides, ainsi que la viabilité économique
de ces services.
Toutes ces dispositions vont bien dans le sens de l'Europe que nous défendons
et que nous avons toujours défendue.
Ce qui est aussi essentiel à nos yeux, c'est que ce nouveau traité ait permis
de lever l'obstacle institutionnel à la poursuite du processus d'élargissement
dont le caractère irréversible a été confirmé par les quinze Etats membres lors
du récent Conseil européen de Göteborg. Il permet également d'améliorer la
manière dont les quinze Etats membres décident ensemble. Il permet, enfin, que
s'engage l'étape suivante, c'est-à-dire le débat sur l'avenir de l'Union et sur
les réformes qui seront nécessaires pour que se poursuive le projet
européen.
Nous devons désormais nous attacher à nourrir le débat qui s'est ouvert sur
l'avenir de l'Union. La déclaration relative à l'avenir de l'Union annexée au
traité inaugure entre les Quinze une nouvelle période de réflexion, à laquelle
sont déjà associés les pays candidats. Dès cette année, un large débat doit
s'ouvrir dans les Etats membres pour aboutir à une nouvelle Conférence
intergouvernementale en 2004.
Le débat sur l'avenir de l'Union doit être abordé, pour nous, selon trois axes
forts de réflexion.
Nous devons, avant toute chose, réfléchir au sens et aux objectifs que nous
voulons donner à la construction européenne et nous interroger sur l'Europe que
nous voulons pour les générations futures. C'est un préalable à toute réflexion
sur la forme et l'architecture future de l'Union européenne. Nous devons nous
attacher à donner chair à son contenu en nous interrogeant sur le modèle de
société que nous voulons défendre et développer et sur les politiques que nous
voulons mener ensemble. L'Europe véhicule d'ores et déjà un modèle de société
fondé sur le progrès économique et la cohésion sociale, sur des valeurs
communes et sur le respect et la promotion de la diversité des cultures.
Renforcer ce modèle, c'est clairement, pour nous, prôner une intégration plus
poussée, qui nous paraît être conforme à la logique de la construction
européenne.
Cependant, comme l'a souligné le Premier ministre dans son discours sur
l'avenir de l'Union, nous ne pouvons concevoir d'intégration européenne sans
solidarité, dont elle est le fondement. Cette volonté, cette nécessité même est
incompatible avec toute tentation, qui pourrait saisir certains Etats membres,
de se désengager des politiques menées en commun.
Nous considérons, enfin, que la volonté de mieux concilier et de réconcilier
niveau européen et niveau national passe par la promotion d'une fédération
d'Etats-nations, dont une constitution définirait et clarifierait les valeurs,
les compétences et le fonctionnement, et qui serait fondée sur un triangle
institutionnel renforcé afin de favoriser à la fois responsabilité et
efficacité.
Avant de conclure, mes chers collègues, je souhaite faire part de deux
préoccupations, qui ont d'ailleurs déjà été exprimées par les orateurs
précédents.
La première concerne les relations franco-allemandes. Parce que nous
considérons que leur entente reste indispensable à la réussite du projet
politique européen, l'Allemagne et la France ne peuvent se permettre de
s'affronter sur la légitimité des politiques communes ; elles doivent donner
l'exemple de la solidarité communautaire.
Je crois savoir qu'un rapprochement significatif des deux pays est en cours,
qui doit leur permettre de constituer une fois encore, dans les prochains mois,
une force commune de proposition pour l'avenir de l'Union.
La seconde préoccupation est alimentée, bien entendu, par le vote négatif des
Irlandais au référendum sur le traité de Nice. Nous ne pouvons ignorer le
problème posé par ce vote. Il est une illustration du décalage qui existe entre
la perception qu'ont les opinions publiques de l'Union, les orientations que
les Etats membres lui tracent et les résultats réels de son action.
Au-delà d'un débat institutionnel, naturellement indispensable mais souvent
trop complexe pour les opinions publiques, celles-ci attendent de l'Europe des
réponses concrètes à des problèmes concrets.
Ces réponses existent, mais elles ne sont pas toujours bien mises en lumière.
Cela devrait nous conduire, nous parlementaires, mais aussi les médias, qui ne
font pas toujours le travail d'information nécessaire, à accomplir un véritable
effort pour rapprocher les citoyens de l'Union.
A cette fin, on ne peut que souligner l'intérêt d'une Convention pour préparer
la Conférence intergouvernementale de 2004. Elle permettrait d'assurer en
particulier une représentation substantielle des parlements nationaux et de la
société civile, comme cela a été fait pour la Charte des droits
fondamentaux.
Plus généralement, les parlements nationaux doivent sur ce point être
davantage associés aux travaux communautaires ; je crois que nous sommes tous
d'accord. C'est bien à nous, parlementaires, que revient pour l'essentiel ce
rôle de rapprochement des citoyens de l'élaboration des politiques européennes
et de l'évolution de la construction communautaire, en particulier dans la
phase initiale du débat sur l'avenir de l'Union.
C'est selon cette idée que le Premier ministre a proposé de réunir le
Parlement européen et les parlements nationaux en un congrès qui débattrait
chaque année de l'état de l'Union et s'assurerait du respect du principe de
subsidiarité. Cette proposition me paraît équilibrée ; elle est fondée sur le
principe du renforcement des institutions et sans doute plus rapidement
réalisable que la création de nouvelles instances.
Aujourd'hui, la réussite du projet politique européen dépend pour beaucoup
d'une implication substantielle des citoyens européens aux décisions
communautaires. Les propositions de modification du mode de scrutin européen et
de politisation du président de la Commission européenne vont bien dans le sens
d'un renforcement du lien entre politique européenne et politique nationale, et
tout simplement de la démocratie européenne.
Le traité de Nice a permis de réaliser un pas dans la bonne direction. Malgrés
ses insuffisances, il a pour mérite d'améliorer l'efficacité et le caractère
démocratique du dispositif institutionnel, ouvrant ainsi véritablement la voie
à l'élargissement.
J'ai la nette impression, comme je l'ai dit en introduction, que le
scepticisme, pour ne pas dire plus, qui a suivi le Conseil européen de Nice,
laisse désormais la place aux prémices d'un débat constructif sur l'avenir de
l'Union, auquel nous devons aujourd'hui consacrer nos efforts.
Le vote du Parlement français, le Sénat devant se prononcer aujourd'hui, après
l'Assemblée nationale qui a voté ce texte à une forte majorité, nous permettra
de nous engager véritablement dans ce débat sur l'avenir de l'Union, de
progresser, de mieux définir ce que nous voulons entreprendre. Loin d'être un
aboutissement, il s'agit de l'engagement d'une nouvelle aventure européenne.
A cette fin, il nous paraît important que la France soit l'un des premiers
pays signataires à envoyer un signe positif non seulement aux citoyens
européens, mais aussi aux pays candidats, en ratifiant le traité. C'est
pourquoi, vous l'avez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste
émettra un vote favorable à cette ratification.
(Bravo ! et applaudissements
sur les travées socialistes. - M. Hoeffel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de
Nice suscite des commentaires aussi divers qu'opposés. Les intégristes
européens le dénoncent comme une grave régression dans la voie de la
construction européenne. Les souverainistes le tiennent pour une nouvelle
abdication devant « l'apatridisme babélien » de Bruxelles. Europhobes et
eurolâtres se trouvent unis dans la même condamnation d'un texte qui ne soulève
pas forcément l'enthousiasme. Les euroréalistes, quant à eux, considèrent que
la vérité se tient au milieu. Nice leur apparaît comme une étape et non comme
un aboutissement. Et comme tous les compromis, il déçoit les enthousiastes ou
va trop loin aux yeux des récalcitrants.
Pourtant, si les pères de l'Europe l'ont conçue dans la ferveur, la mystique
n'a jamais cédé le pas à la politique. Les plus ardents défenseurs de l'Union
européenne ou ceux qui ont oeuvré avec le plus d'efficacité pour la consolider
ou pour la faire avancer n'ont jamais fait abstraction de l'intérêt national,
même s'ils admettaient qu'il dût être dépassé.
C'est ce pragmatisme qui, n'en déplaise aux théoriciens, a permis les progrès,
même s'il a semblé ralentir l'élan, car la politique n'est rien d'autre que
l'art du possible.
Je me permettrai d'évoquer un souvenir de fonctionnaire : il est clair que les
débats auxquels nous nous livrons sur le plan technique peuvent paraître
terriblement abscons et dégourageants. Pourtant, ils n'ont jamais empêché le
progrès ; je crois même qu'ils l'ont facilité. Mais il faut aussi savoir
décrypter la langue bruxelloise, qui est très particulière.
Peut-être serions-nous moins désabusés si nous acceptions d'emblée d'être plus
modestes. A l'évidence, si la présidence française avait comme ambition un
nouveau traité de Rome, le résultat actuel ne peut être que décevant. Si ses
objectifs étaient, au travers de l'accord intervenu, de réaliser des avancées
significatives dans des domaines particuliers, elle n'a pas lieu d'être
affligée par le traité de Nice.
Le « non » irlandais à Nice comme d'ailleurs le « non » danois à Maastricht
nous montrent combien il faut être circonspect lorsqu'on touche aux
institutions et aux pratiques. On peut déplorer ces péripéties, on ne peut nier
ou escamoter les oppositions et les blocages, mais si on veut les surmonter, il
faut nécessairement rechercher de nouveaux compromis. La construction
européenne doit toujours faire part à la patience et à la persuasion. C'est
bien dans ce domaine que se vérifie l'adage selon lequel il ne faut jamais
confondre vitesse et précipitation.
Après un demi-siècle de construction européenne, l'expérience révèle qu'en
dépit des freinages ou des obstacles, de la divergence des conceptions quant à
l'avenir de l'Europe, aucune des nations qui composent l'Union européenne n'a
décidé de faire sécession ou de la quitter après y avoir adhéré, preuve que
chacun y a trouvé son avantage et en a retiré des bénéfices.
Si l'Europe, telle que nous la vivons, ne recelait pas beaucoup de richesses
ou de perspectives, si elle paraissait comme une entité menacée par la
dislocation ou le déclin, croit-on que nombre de pays frapperaient à sa porte
avec autant d'insistance que d'impatience ?
Un échec à Nice aurait constitué pour les pays d'Europe centrale et orientale
ou pour les pays méditerranéens qui aspirent à faire partie de l'Union
européenne un signal redoutable. Nous avons encouragé ces pays à nous
rejoindre. A cette fin, nous leur avons demandé efforts et sacrifices, alors
que la plupart d'entre eux sortaient d'une terrible épreuve de plus d'un
demi-siècle qui a vu ruiner leurs économies, détruire leurs libertés et abolir
les valeurs sur lesquelles reposait leur société. Retarder indéfiniment leur
admission risquait de les rejeter dans l'arriération, l'amertume et, qui sait,
peut-être dans l'aventure, alors que leur arrimage à l'Europe est le gage de la
consolidation de la démocratie dans ce pays.
Un échec à Nice n'aurait pas manqué de retentir de manière durable sur les
relations franco-allemandes, qui se sont quelque peu distendues ces derniers
temps.
D'abord, parce que nos partenaires allemands sont très attachés à
l'élargissement de l'Union aux pays de l'Europe centrale et orientale.
Ensuite, parce que les demandes allemandes d'un nouveau rééquilibrage de la
pondération en faveur des pays les plus peuplés eussent été affirmées avec une
force toujours plus insistante. Le maintien de la parité entre nos deux pays,
en dépit du poids démographique et économique de l'Allemagne, représente pour
la France un résultat satisfaitant. Faut-il rappeler que le maintien de cette
parité a été un objectif constant de notre diplomatie, de Robert Schuman à de
Gaulle, de de Gaulle à Mitterrand ?
Enfin, parce que les nouvelles modalités de mise en oeuvre des coopérations
renforcées, en abaissant le seuil pour l'obtention d'un accord des Etats et en
les rendant applicables à la politique étrangère, peuvent servir de cadre à une
dynamisation de la construction européenne par le couple franco-allemand, pour
peu que ces deux pays soient disposés à prendre des initiatives en ce sens.
Les institutions de l'Union ont-elle été confortées par le traité ?
L'extension comme les modalités du vote à la majorité qualifiée ont paru
excessivement timides à certains. Les possibilités de blocage d'une décision
demeurent encore possibles avec les relèvements du seuil de la majorité
qualifiée ou le recours à la clause de vérification démographique.
Mais, dans ce domaine comme dans d'autres, la réalité conduit à constater
qu'on ne fera pas progresser l'Europe sans consensus sur les points
essentiels.
Peut-on imaginer l'acceptation par le Royaume-Uni d'une réforme fiscale ou
d'une harmonisation sociale qui n'aurait pas son agrément ? Peut-on imaginer
une réforme drastique des fonds structurels sans accord de l'Espagne ou une
réforme de nos politiques commerciales qui ne tiendrait pas compte des soucis
de la France dans le domaine culturel ? Le temps et la pratique seront les
meillleurs auxiliaires d'une évolution.
Un compromis raisonnable a été réalisé pour la composition et le
fonctionnement de la Commission dans l'Europe élargie.
Nous pensons, comme M. le président de la commission des affaires étrangères,
que le fait de donner au président de la Commission la possibilité d'être
désigné à la majorité et de décider de l'organisation interne de la Commission
rendra son action plus efficace et son équipe plus cohérente. Il s'agit d'une
réelle innovation. Le véritable débat auquel nous serons tôt ou tard confrontés
est de savoir si la Commission doit évoluer vers une forme de gouvernement
européen, ce qui impliquerait qu'elle procédât de l'élection au suffrage
universel, ou si elle doit demeurer un collège comprenant à la fois des hauts
fonctionnaires ou des hommes politiques choisis par leurs exécutifs
nationaux.
Que, dans la perspective de l'élargissement, la Commission soit plus resserrée
va plutôt dans le bon sens. Certes, la France perdra un commissaire et n'en
conservera qu'un seul sur vingt-six. Sans réforme, elle aurait eu deux
commissaires sur trente-trois. La différence - vous l'avez souligné, monsieur
de Villepin - n'est guère sensible. L'attachement viscéral des Etats membres à
disposer d'un commissaire par nationalité montre combien il aurait été malaisé
et dangereux de procéder à une réforme trop radicale, car cela aurait mis en
cause la cohésion même de l'Europe.
Le traité de Nice ouvre la voie à une nouvelle Conférence intergouvernementale
en 2004, qui doit permettre un débat essentiel sur l'avenir de l'Union.
Nous disposons du temps nécessaire pour étudier toutes les orientations
possibles et tous les schémas institutionnels envisageables afin que le xxie
siècle permette à l'Europe de devenir une véritable entité politique. Nous ne
manquons pas de projets. Le chef de l'Etat et le Premier ministre ont fait
connaître leurs analyses et leur suggestions dans ce domaine. MM. Schroder et
Fischer ont effectué les leurs. Une fois encore, remarquons que les seules
véritables propositions concrètes et d'envergure émanent des Français et des
Allemands.
Il faut souhaiter que les dirigeants de nos deux pays harmonisent leurs
projets pour être capables d'entraîner l'Union européenne vers l'élaboration
d'une réforme décisive des institutions en 2004.
Quel que soit le contenu d'un tel projet, il nous faut convenir de quelques
évidences. Une Europe qui se bornerait à être une vaste zone de libre-échange
des biens, des personnes et des services n'a, au fond, aucun besoin d'une
organisation politique commune. Les politiques intégrées comme la politique
agricole commune ou celle des pêches n'y trouveraient plus leur place.
L'harmonisation législative, fiscale et sociale pas davantage. Cette conception
de l'Europe n'est certes pas celle de Jean Monnet ou de Robert Schuman, mais
elle n'est pas davantage celle du général de Gaulle.
Nous ne pouvons pas faire nôtre la conception développée par le président Bush
d'une grande zone transcontinentale allant d'une côte pacifique à l'autre, qui
engloberait l'Amérique, l'Asie et l'Europe. Nous y perdrions notre identité,
notre cohérence et notre force.
Une Europe qui voudrait exister comme entité politique devrait, certes, avoir
une monnaie, une politique commerciale, une politique extérieure et de sécurité
communes, mais aussi fonder son existence sur le respect de la démocratie et
des droits fondamentaux de la personne. Ce n'est pas la géographie seule qui
doit donner accès à l'Union, mais l'adhésion à ces valeurs. Il y a, en effet,
des Etats qui appartiennent géographiquement à l'Europe, ou dont on pourrait
considérer qu'ils y appartiennent, mais qui ne respectent pas ces valeurs
auxquelles nous sommes fondamentalement attachés.
La reconnaissance de l'Etat-nation comme un fait incontournable par un
Européen aussi convaincu que Jacques Delors signifie que l'on ne peut faire
abstraction de l'histoire, de la langue, de la culture et de la diversité
institutionnelle des Etats européens. On ne saurait réclamer avec insistance la
décentralisation en France et s'accomoder de la tentation croissante des
instances communautaires à intervenir dans tous les domaines et à multiplier
les réglementations contraignantes.
Une Commission sans véritable légitimité démocratique et un Conseil des
ministres qui est à la fois exécutif et législateur apparaissent comme des
organismes souvent éloignés des citoyens et agissant hors de leur contrôle. Si
l'on veut une Europe plus proche des citoyens, la subsidiarité devra être plus
clairement définie.
Comme le disait le Président de la République, voilà un an, devant le
Bundestag, il faudra, à l'avenir, rendre l'Union européenne plus démocratique,
clarifier les compétences entre les différents niveaux du système européen et
donner à la subsidiarité la plus grande place.
Il faudra également associer les parlements nationaux au fonctionnement de
l'Union européenne, en créant, à côté du Parlement européen, une Assemblée ou
un Sénat comprenant des représentants de ces parlements. Je souscris pleinement
à l'analyse qui a été faite sur ce point par notre collègue Daniel Hoeffel.
Est-il concevable que nos assemblées soient, dans la majorité des cas,
réduites à transcrire en droit interne la réglementation européenne sans avoir
été véritablement associées à son élaboration ? Quel compte les gouvernemens
tiennent-ils des résolutions que nous adoptons lorsque nous sont présentés les
projets de directive ?
Si l'on veut rendre lisible et plus proche la législation européenne, il ne
faut pas écarter les parlements nationaux du processus législatif. Il faut, au
contraire, les consulter
a priori
et non pas
a posteriori.
Nous ressentons tous la nécessité d'une nouvelle structuration de l'Union
européenne et d'une charte fondamentale qui en définirait les modalités.
Nous éprouvons assez naturellement la tentation d'ériger en modèle pour
l'Europe nos conceptions ou nos visions constitionnelles. Cette tentation est
dangereuse, dans la mesure où les Etats membres, produits de cultures et
d'histoires très diverses, risquent de récuser des systèmes opposés à leurs
moeurs ou à leurs traditions. En l'occurrence, je vise très précisément le
projet du Chancelier Schroder, qui me paraît un peu trop marqué du sceau des
institutions allemandes pour pouvoir être accepté par des pays tels que le
Royaume-Uni, pour ne pas parler de la France.
Nous ne pouvons que nous orienter vers une construction originale qui traduise
les aspirations des Européens à une démocratie tolérante, ouverte et
participative, qui donne à l'Europe, dans le concert international, la place
éminente à laquelle lui donnent droit son économie, sa population, son
rayonnement culturel et l'histoire de ses peuples.
C'est à une Europe prospère, où s'épanouit l'économie d'entreprise, à une
Europe où prévalent la liberté et l'harmonie sociale, que nous aspirons à
l'aube de ce nouveau siècle.
Nous voterons l'autorisation de ratifier le traité de Nice parce qu'il permet
d'avancer dans cette direction.
(Applaudissements sur les travées du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le jour de
la signature du traité de Maastricht, en 1992, j'étais à Budapest et
j'entendais des Hongrois me dire que, plus tard, nous et eux, ensemble, nous
célébrerions l'anniversaire de ce jour appelé à marquer l'histoire de
l'Europe.
Ce texte allait pourtant être difficile à ratifier. C'était normal. Il
traitait en effet de vraies questions et proposait des avancées très fortes.
J'avais alors milité très activement pour sa ratification. J'étais déjà,
monsieur de Rohan, « euro-enthousiaste », et j'ai toujours mis, depuis, au
service de cet enthousiame une « euro-rigueur » de tous les instants plutôt
qu'une « eurolâtrie » béate.
Je ne suis pas du tout certain, aujourd'hui, que l'Union européenne soit, un
jour, appelée à fêter l'anniversaire de la signature du traité de Nice, même si
la Hongrie et les autres pays candidats y voient pour la première fois un signe
d'encouragement.
Ce traité est présenté comme apportant une solution au problème institutionnel
que nous rencontrons déjà pour fonctionner à quinze et qui ne fera que croître
et embellir lorsque nous serons vingt-cinq.
C'est vrai qu'il apporte quelque chose, à cet égard. Mais s'agit-il de la
bonne solution ou d'une manière de gagner du temps ? Et la question posée
est-elle vraiment la bonne ? S'il s'agit, au contraire, d'une réponse
a
minima
à une mauvaise question, le progrès est bien mince.
A l'évidence, les citoyens européens se réjouissent beaucoup moins de ce
traité que les politiques qui l'ont signé.
Les Européens mettent toujours leur espérance dans une Europe large, fort et
rayonnante, et ne voient rien dans le traité qui réponde à leurs attentes, rien
qui vienne confirmer qu'ils sont entendus et que l'inspiration de Robert
Schuman et de Jean Monnet, la volonté politique du général de Gaulle et de
Konrad Adenauer nous animent toujours.
Les signataires du traité sont, de leur côté, tout absorbés par la gestion de
l'ordre du jour qu'ils se sont donné et semblent avoir renoncé à se poser les
vraies questions et à revenir à l'essentiel. Leur ambition politique
serait-elle émoussée ?
Dans le grand silence ainsi créé, devant cette extinction du dialogue, on ne
peut se contenter d'obtenir à tout prix une ratification qui ne résoudra pas
grand-chose sur le fond.
L'Europe mérite mieux.
Nous attendons d'elle qu'elle nous projette dans l'avenir, dans un avenir où
la paix, la liberté et la démocratie seront contagieuses.
Nous demandons à l'Europe qu'elle nous aide à regarder en face les problèmes
de notre vieux continent. Je pense à l'évolution démographique inquiétante de
nos Etats, à la nécessité de remettre la famille au coeur d'une société qui se
délite, à l'obligation de traiter les problèmes d'immigration et de développer
un dialogue constructif avec nos voisins du Sud.
Nous demandons à l'Union européenne qu'elle soit aux côtés de ses membres,
désormais appelés à affronter une concurrence toujours plus rude dans un monde
ouvert à la circulation des personnes, des capitaux et surtout de
l'information. Nous lui demandons de les aider à le faire sans renoncer au
progrès social, sans succomber au dumping de ceux qui cherchent à gagner en
trichant avec les lois de la nature.
Nous souhaitons que l'euro, qui joue déjà son rôle en interne, s'affirme dans
le monde.
Nous pensons qu'aucun des Etats de l'Union, pas même le nôtre, n'est
aujourd'hui en mesure d'assurer vraiment seul sa sécurité et que l'Europe de la
défense doit être construite sans retard.
Nous voulons que l'Europe entende l'appel de ses peuples. L'Europe politique,
l'Europe des citoyens, ce ne sont pas simplement des thèmes de discours !
A Nice, nos dirigeants se sont contentés de gérer l'instant, sans grande
inspiration, sans proposer le dessein qu'attendent nos jeunes.
Alors, très normalement, lorsque les convictions s'affaiblissent, on bute sur
tous les obstacles. C'est malheureusement ce qui est arrivé à la présidence
française. Et rien ni personne n'est venu à son secours : ni les grands, ni les
petits.
Le coupe franco-allemand, en effet, vit des jours difficiles. Ne nous étonnons
donc pas d'avoir trouvé l'Allemagne sur une ligne différente de la nôtre.
Par ailleurs, nous ne traitons pas toujours bien nos « petits » partenaires.
Avons-nous vraiment le droit de leur donner des leçons ?
Ceux d'entre nous qui sont engagés dans des constructions intercommunales
savent bien avec quel soin il faut veiller à ce que chaque participant y trouve
à tout instant son intérêt et y exprime sans cesse son identité.
La France doit, de même, adopter un comportement exemplaire dans sa relation
avec ses partenaires de l'Union.
Il y a dix-huit mois, nous n'avons pas pu nous empêcher de condamner durement
et en bloc la nation autrichienne et tous les Autrichiens.
Maintenant, nous traitons par le mépris le vote du peuple irlandais en
affirmant qu'il résulte d'une mauvaise appréciation et que les auteurs de ce
vote, comprenant enfin leur erreur, vont certainement le reprendre.
Voilà bien la meilleure manière de les pousser à se rebiffer et, au contraire,
à confirmer ce vote ! Voilà qui ne peut que gêner le Gouvernement irlandais
dans ses efforts en faveur de la ratification ! Voilà qui, très normalement,
pourrait solidariser à nouveau autour de l'Irlande et contre nous tous les
petits Etats de l'Union ! N'oublions jamais que la force de l'Europe vient,
précisément, de la diversité de ses membres et qu'il nous faut d'abord
apprendre à écouter nos différences pour les valoriser. Sans doute y faut-il un
peu plus d'humilité.
On ne construira pas l'Europe sans l'Allemagne ; on ne construira pas l'Europe
sans les petits Etats.
Au lieu de dire trop vite et bien maladroitement que le vote des Irlandais
était motivé par leur inquiétude face à l'arrivée de nouveaux concurrents
devant le guichet des fonds structurels, nous aurions été mieux inspirés de
nous demander pourquoi 70 % d'entre eux n'étaient pas allés voter.
En réalité, les Irlandais, comme tous les autres peuples de l'Union, petits ou
grands, attendent aujourd'hui qu'on leur propose autre chose qu'un marchandage
peu glorieux entre postes de commissaires et droits de vote.
Mes chers collègues, le traité de Nice a déçu les Irlandais. Il déçoit un
certain nombre d'entre nous.
Il ne peut être reçu par une opinion qui demande à rêver et à se projeter dans
l'avenir, même si elle comprend qu'il faut également, plus prosaïquement,
adapter les institutions pour que l'Union puisse fonctionner à vingt-cinq.
Je suis, vous le savez, profondément européen. J'ai donc toujours dit qu'à
partir du moment où un traité apporte un progrès, même petit, il faut le
ratifier.
Je tiens un raisonnement semblable chaque année lorsqu'il s'agit d'adopter
notre contribution à un budget européen dont nous connaissons pourtant tous les
défauts.
Ajourd'hui, je ne me sens pas capable de dire si Nice apporte ou non un
progrès. Je crois simplement que nous faisons fausse route et qu'il est
impossible de construire de bonnes institutions tant que nous ne saurons pas
pourquoi nous cherchons à les construire.
Les institutions ne sont pas une fin en soi. Ne traitons pas du « comment »
avant d'avoir dit le « quoi ». Nous ne pouvons plus éluder ni reporter le débat
sur la subsidiarité. Il doit être désormais préalable à la poursuite de la
construction européenne.
Et bien plus que les détails de l'organisation à mettre en place pour servir
les compétences qui seront celles de l'Union, c'est ce débat qui intéressera
les Européens.
Remettons la locomotive devant les wagons. C'est plus clair et plus efficace.
Si nous continuons à penser que l'Europe est à Bruxelles et non « près de chez
de nous », si nous acceptons qu'elle s'occupe de tout sans en avoir toujours
reçu clairement compétence, alors la bureautie, les contraintes et les
rigidités prospéreront... et avec elles les critiques et le rejet de l'Europe
!
En fait, ce n'est pas l'Europe qui est rejetée. Chacun sent, au moins
confusément, ce qu'elle peut représenter et apporter. Ceux qui critiquent
parlent plutôt de Bruxelles que de l'Europe. Et ils visent d'abord une
bureaucratie certes de grande qualité, mais trop livrée à elle-même.
Les politiques doivent d'urgence retrouver le chemin de leurs responsabilités.
Ils doivent renouer avec l'inspiration européenne et proposer un véritable
projet mobilisateur et entraînant.
Aujourd'hui, avec quelques amis de l'Union centriste, je vais m'abstenir,
adoptant une attitude peu satisfaisante, je l'admets, pour un Européen. Je le
fais après hésitation et mûre réflexion.
J'ai évidemment écarté l'idée du vote « contre ». Ce faisant, je pense d'abord
à nos collègues des pays candidats, même si j'estime que Nice ne sert pas plus
leurs ambitions que les nôtres, les unes et les autres étant d'ailleurs
devenues les mêmes, tant nous sommes désormais engagés dans une aventure
commune.
Par ailleurs, je ne peux - je viens d'essayer de le démontrer - approuver une
démarche dont je crains fort qu'elle n'enlise une construction européenne qui
se cherche.
Je souhaite très modestement que ce vote contribue à provoquer l'indispensable
sursaut qui nous permettra de dégager enfin la bonne démarche et, alors, de
savoir aller au devant des Européens pour construire l'Europe des citoyens.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion a
été raisonnable - le mot est revenu souvent -, ce qui n'est pas totalement
étonnant dans cette maison qui est aussi celle de la raison et de la sagesse.
Cela n'a pas exclu pour autant la passion, cette passion européenne qui anime
beaucoup d'entre vous et sur laquelle je reviendrai à la fin de cette
intervention.
Il me semble que, si vous vous apprêtez à ratifier le traité de façon très
large, peut-être encore plus large qu'à l'Assemblée nationale, c'est que cette
attitude raisonnable tient aussi à l'objet même du traité. Je l'ai dit et je le
redis, dans les circonstances qui étaient celles de Nice et de la période
post-Amsterdam, il ne pouvait s'agir d'un traité refondateur : le temps de la
refondation viendra et nous aurons besoin alors - mais c'est demain - de toute
notre passion.
Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du rapport du président de Villepin,
sa vision objective, précise et je crois aussi, élevée de ce que représente ce
traité. Vous avez insisté, monsieur le président, sur la crispation autour des
intérêts nationaux et sur l'indifférence des citoyens. C'est un sujet de
préoccupation qui, croyez-le, nous est commun. Cette crispation ne se résume
effectivement pas à la situation particulière de l'Irlande ; elle a pu affecter
d'autres pays pendant la négociation du traité de Nice - je ne cherche
d'ailleurs pas ici à désigner tel ou tel - et peut aussi menacer certains des
pays aujourd'hui candidats.
C'est d'autant plus une source de préoccupation qu'il ne s'agit pas seulement
de réaliser des adhésions et de terminer les négociations ; il faut ensuite
être capable de développer une vision commune et de faire en sorte que l'Europe
reste une grande ambition.
Je partage l'essentiel de votre analyse, monsieur le président. Je crois,
comme vous, que Nice est un traité nécessaire et même indispensable au regard
de l'élargissement. De ce point de vue, j'avoue ne pas avoir très bien compris,
pas plus que vous, ou en tout cas je n'ai pas approuvé les propos, d'ailleurs
corrigés ensuite, du président de la Commission, M. Prodi. Comment
pourrions-nous réaliser l'élargissement sans avoir indiqué au préalable la
répartition des sièges au Parlement européen ? Comment pourrions-nous réaliser
l'élargissement sans indiquer aux pays adhérents le nombre de voix auxquels ils
auront droit au sein du Conseil ? Comment pourrait-on réaliser l'élargissement
sans savoir quel sera le format de la Commission ? Et, même, comment
pourrions-nous vivre l'élargissement en conservant la règle de l'unanimité pour
la quasi-totalité des décisions et en nous privant de recourir à la majorité
qualifiée comme il est prévu pour une trentaine de questions ?
C'est donc un traité que je crois nécessaire, même si, pour l'avoir négocié,
j'en connais bien les lacunes.
Monsieur le président de la commission, vous avez soulevé quatre questions que
nombre de vos collègues ont ensuite reprises.
D'abord, sur la dialectique traditionnelle qui revient à chaque élargissement,
entre élargissement et approfondissement, je précise que c'est parce que
l'élargissement est irréversible qu'il faut ratifier le traité de Nice. Le
moment venu, nous devrons donner des assurances - ou des réassurances - aux
Irlandais, sans pour autant modifier le traité. L'élargissement et la
ratification du traité de Nice doivent être l'occasion d'embrayer sur
l'approfondissement.
Le débat que nous mènerons sur l'Europe d'ici à 2004 ne doit pas être un «
concours de beauté » institutionnel, comme l'on souligné plusieurs orateurs, de
sensibilités différentes, d'ailleurs. Nous ne faisons pas l'Europe pour des
institutions, pas plus que nous ne réformons les institutions pour le plaisir.
Nous devons mettre aussi dans ce débat l'approfondissement des politiques
communes, c'est-à-dire ce que nous voulons faire ensemble. C'est ce débat-là
qui lie les deux dimensions, c'est ce débat-là qui est indispensable.
Beaucoup d'orateurs ont insisté après vous, monsieur le président de la
commission, sur le couple franco-allemand, pour souhaiter - c'était le cas de
MM. Hubert Haenel et Daniel Hoeffel - qu'il se ressoude. En la matière, nous
devons faire preuve de rigueur dans l'analyse des faits.
Dans les médias français comme dans les débats politiques sur l'Europe
auxquels je participe, une chose me choque, mesdames, messieurs les sénateurs :
le masochisme ambiant. La preuve ? En Allemagne, quand on déclare que le couple
franco-allemand ne marche pas, c'est pour en rejeter la faute sur les Français
; mais, en France, quand on déclare que le couple franco-allemand ne marche
pas, c'est aussi pour en imputer la responsabilité aux Français !
(Sourires.)
On pourrait en déduire qu'il y a, d'un côté, une nation parfaite et, de
l'autre, une bande de nationalistes incompétents. Mais ce serait un raccourci
un peu trop rapide : si les choses n'ont pas fonctionné comme elles auraient
dû, disons-le, c'est que le dialogue dans les deux sens n'a pas fonctionné
comme il aurait dû.
M. Ladislas Poniatowski.
Bien sûr !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je prends l'exemple de l'Agenda 2000, à Berlin. J'étais
déjà le négociateur français. Il est vrai que les Allemands souhaitaient le
cofinancement, et pas nous. Le débat a été vif et,
in fine,
nous avons
divergé.
A Nice, j'avoue que nous avons eu du mal, nous, négociateurs, à connaître la
position allemande. Je me souviens d'une réunion qui s'était tenue à
Rambouillet, nous étions huit autour de la table ; les Allemands nous avaient
assuré que la pondération des voix ne posait pas de problème, sous-entendu : «
Nous ne voulons pas poser de problème à la France. » Mais, un mois avant la fin
des discussions, nous avons vu revenir des arguments sur la double majorité, ce
qui a conduit les négociations sinon à un tête-à-queue, du moins à quelques
approximations finales.
Soyons donc conscients du fait que l'effort doit être bilatéral. C'est
d'ailleurs dans cet état d'esprit que nous abordons le processus de
rapprochement en cours depuis Blaesheim.
Vous le savez, les rencontres entre chefs d'Etat et de gouvernement sont
maintenant très fréquentes, et les rencontres entre les deux ministres des
affaires étrangères le sont encore plus. On s'y efforce de tout mettre à plat.
Pour ma part, je crois qu'il n'est ni anormal ni illégitime que l'Allemagne et
la France aient des intérêts différents et défendent des positions différentes.
Ce qui compte, c'est que nous sachions toujours avant où nous en sommes, que
nous nous prévenions, que nous ne nous prenions pas par surprise.
Faut-il aller plus loin ? Certains proposent des structures particulières.
J'ai lu, par exemple, il y a quelques jours, dans
Le Monde,
un article
intéressant, signé par quelques amis, sur une union à deux. Oui, sans doute, il
convient d'aller plus loin, mais je crois que cela découlera du processus de
Blaesheim lui-même.
Nous devons cependant être vigilants pour ne pas risquer d'être perçus par nos
autres partenaires comme désireux de fonder un directoire strictement
intergouvernemental, ce qui, certes, pourrait avoir des vertus d'entraînement
mais aussi les effets d'un repoussoir.
En la matière, et sans me prononcer sur les formes que tout cela doit prendre,
je pense qu'il faut être subtil et retrouver cet élan bilatéral, avec une
volonté européenne qui doit être marquée, d'un côté comme de l'autre. De ce
point de vue, je rejoins M. Josselin de Rohan, notamment.
Nous devons faire également attention à ce que disent les Allemands à
l'occasion. Nous ne voulons pas, par exemple, d'un projet « à l'allemande »,
qui soit très fortement intégré sur les institutions, mais très peu intégré sur
les politiques. Nous avons, là aussi, quelques intérêts et quelques visions que
nous pouvons défendre par nous-mêmes.
Quant au centre de gravité, monsieur de Villepin, c'est un débat fondamental
pour l'avenir. Cela étant, nous devons nous garder de fixer une avant-garde
prédéterminée, tout d'abord parce que nous ne savons pas bien qui serait
candidat à cette avant-garde, ensuite parce que nous ne saurions pas dire qui
l'on doit exclure des pays candidats.
Je ne pense pas, contrairement à certaines personnalités importantes, presques
toutes anciens ministres des finances, d'ailleurs, que l'euro soit ce centre de
gravité en lui-même, car, dans l'euro, il y a déjà un certain nombre de pays,
l'Irlande et l'Autriche, par exemple, qui ne me paraissent pas être de fervents
défenseurs d'une Europe politique ou d'une Europe de la sécurité et de la
défense.
Non, l'avant-garde ne peut pas se décréter, et elle se formera, d'après moi,
autour de cet instrument indispensable que constituent les coopérations
renforcées.
Monsieur de Villepin, vous avez laissé entendre que le grand débat organisé
sur l'initiative des autorités françaises pourrait être marqué par notre
jacobinisme traditionnel ; je l'ai d'ailleurs lu. Ainsi donc, on s'étonne que
la France confie l'organisation d'un débat à des préfets. En réalité, il faut
savoir que les préfets de région, dans cette affaire, seront en quelque sorte
des prestataires de services : ils n'apparaîtront pas dans les débats, ils
n'exprimeront pas une pensée officielle.
Parce que ces débats doivent être pluralistes et ouverts, nous avons choisi
d'en confier l'organisation aux préfets, d'abord pour éviter les déséquilibres
partisans à six mois d'élections générales importantes ; ensuite, pour éviter
des crispations entre les différentes catégories d'élus, les élus régionaux,
qui doivent être au premier plan, mais aussi les élus communaux et
départementaux ; enfin, parce que les préfets sont peut être les mieux à même
de réunir un panel représentatif.
J'aurais aimé répondre en détail, mais je n'en aurai pas le temps, à M.
Hoeffel, qui a posé des questions importantes et émis certaines critiques.
Je voudrais lui dire que la prise de décision n'a pas été rendu plus
difficile, que tout progrès depuis l'unanimité vers la majorité qualifiée
permet de faciliter la prise de décision. Bien sûr, ce système du double filet
est un peu compliqué, mais c'est le prix à payer pour obtenir l'accord de
l'Allemagne et de l'Espagne. L'essentiel, c'est l'extension du vote à la
majorité qualifiée.
Pour ce qui concerne la tension entre grands et petits pays, elle est
traditionnelle, mais je crois qu'il faut cesser d'alimenter ce débat,
d'ailleurs suscité en partie par les médias. Le rééquilibrage entre les Etats
était indispensable. Chacun est respecté, au sein de l'Union européenne, et il
me semble peu pertinent, à dire vrai, de mettre sur le même plan l'affaire
autrichienne et le référendum irlandais ou de voir dans ces deux événements la
preuve que les petits pays seraient maltraités au sein de l'Union
européenne.
Je continue de penser qu'il y a eu un problème autrichien ; peut-être la
réponse n'était-elle pas adaptée, mais nous disposons maintenant, à la suite du
traité de Nice, d'un outil juridique adapté, c'est-à-dire l'article 7. Alors,
cessons de faire de ceux qui s'élèvent contre l'Union européenne, pour des
raisons sans doute légitimes sur le plan national, les hérauts d'un malaise que
nous devons ressentir dans notre pays, que nous devons écouter, mais d'une
façon tout à fait différente.
M. Haenel, pour sa part, a soulevé lui aussi des questions tout à fait
importantes, s'agissant notamment de la Charte des droits fondamentaux. Je dois
d'ailleurs dire que j'ai retrouvé dans son intervention, recoupant largement
les analyses de M. de Villepin, des considérations qui nous sont communes, même
si la tonalité était un peu différente. Rien d'étonnant à cela, d'ailleurs, car
nous avons tous des différences ici.
Mais je dois noter, après vous, monsieur Haenel, l'importance de la Charte des
droits fondamentaux à l'élaboration de laquelle vous avez participé
personnellement. Sans doute est-il dommage qu'elle ait été adoptée de manière
discrète. Mais tel était le choix du Président de la République, qui avait
souhaité une cérémonie discrète et sobre. Cette cérémonie aurait pu revêtir
plus de relief, la Charte étant appelée, en effet, à devenir le préambule d'une
future constitution que beaucoup appellent désormais de leurs voeux.
Cela dit, replaçons-nous dans l'ambiance de Nice : une grande cérémonie avec
de grands discours en début de sommet aurait été l'occasion de propos
contradictoires du président de la Commission, du président du Parlement
européen ou du Président de la République française, qui n'auraient fait, à mon
sens, qu'aviver les divergences.
Donc, dans la mesure où cela n'ôte rien à l'importance de la Charte, la
décision m'a finalement paru relativement sage, et j'en suis solidaire.
Beaucoup d'orateurs, dont M. Haenel ainsi que M. Laffitte, ont insisté sur la
perspective de la création d'une deuxième chambre ou d'un Sénat européen. Je ne
vais pas me lancer maintenant sur ce terrain périlleux, mais il convient d'y
réfléchir peut-être à deux fois. Je ne prendrai ici que deux arguments.
Il faut d'abord relever que la création d'un Sénat européen risquerait
paradoxalement d'engendrer une situation inédite avec trois législatifs. En
effet, nous avons aujourd'hui un premier législateur - le Conseil -, qui a
souvent l'initiative, et un deuxième avec le Parlement européen. Avec un Sénat,
cela ferait trois. Je ne suis pas certain que ce soit d'une clarté absolue.
C'est pourquoi, à l'instar de M. le Premier ministre, je pense plutôt à un
congrès, tel qu'il en existe dans d'autres pays, où sont étroitement associés
les parlementaires nationaux et les parlementaires européens.
Par ailleurs, j'avoue être un peu réticent quant à une représentation
identique à celle du Sénat américain ainsi qu'à certaines méthodes de travail
proposées par M. Hoeffel. Il y a une contradiction à souhaiter, par exemple,
que l'on siège six fois par an pendant un jour et demi et, dans le même temps,
revendiquer un vrai travail législatif, compte tenu surtout de la masse de
textes que cela représente aujourd'hui.
Cette proposition mérite cependant d'être étudiée sérieusement, car il faut
être ouvert sur ces dossiers. Assurément, la question de la représentation des
parlements nationaux est posée. Elle figurait, d'ailleurs, dans les questions
ouvertes à Nice. C'est une réponse qui n'est pas nécessairement la mienne,
mais, encore une fois, je m'exprime ici à titre tout à fait personnel.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Débattons-en !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Débattons-en, en effet.
De la même façon, je voudrais dissiper une crainte de M. Hoeffel. Là encore,
et je parle sous le contrôle de M. Hubert Haenel, je crois sincèrement que,
dans l'élaboration de la Charte, les risques de contradiction entre les
jurisprudences ont été écartés par les bons juristes qui participaient aux
travaux.
M. Laffitte a insisté sur un point qui, je le sais, lui est cher à la fois du
fait de sa carrière professionnelle et de son engagement politique : il
souhaite que l'Europe s'investisse dans une politique industrielle, de
recherche et d'éducation, bref dans la préparation de l'avenir.
C'est effectivement une préoccupation que nous devons partager, tout
simplement parce que la politique agricole intéresse des segments larges de
l'opinion, comme les fonds structurels intéressent aussi profondément les
citoyens, même si la jeunesse est moins concernée et que l'avenir n'est pas
forcément à l'enthousiasme qu'appelait M. Badré de ses voeux.
Nous devons donc réfléchir aux types de politiques concrètes que développera
l'Union européenne demain.
Vous avez insisté ensuite sur l'importance de la subsidiarité. Nous y
reviendrons d'ici à 2004. Pour autant, cette question ne doit pas être un
prétexte pour parler des problèmes internes propres à l'organisation de chaque
Etat membre.
On peut certes comparer, en termes de taille et de population, certaines
régions et certains petits Etats membres - vous avez notamment mentionné les
pays baltes. En revanche - et c'est un problème de politique fondamental -, on
ne peut pas mettre sur le même plan des régions et des Etats.
Le critère de la taille et de la population n'est pas le seul, loin s'en faut.
Il faut aussi se préoccuper d'une meilleure prise en compte des spécificités
des régions, des diversités des territoires et des cultures.
C'est évidemment l'avenir ; mais, en même temps, il faut préserver les notions
de civilisation européenne et maintenir le rôle des Etats-nations pour les
peuples.
A cet égard, se pose la question du Sénat européen. Mais je souhaite qu'elle
soit posée dans ce qu'elle a d'essentiel et pas uniquement sur le plan purement
institutionnel.
Mme Bidard-Reydet a manifesté un large accord sur les grandes lignes du
discours de Lionel Jospin en soulignant qu'il y avait peut-être un hiatus entre
les actes et les pensées.
Je tiens à vous rassurer, madame : depuis 1997, la politique européenne du
Gouvernement, donc de la France, est parfaitement cohérente avec cette mise en
perspective, puisqu'elle donne la priorité à la croissance et à l'emploi et
refuse la libéralisation des services publics. Nous l'avons encore fait à
Stockholm.
Je crois par ailleurs qu'il faut veiller à ne pas faire des casseurs de
Göteborg les défenseurs de la démocratie face à l'Europe.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je sais que ce n'est pas ce que vous avez dit, mais
vous avez souligné les malaises qui se sont exprimés à cette occasion.
Selon moi, il faut distinguer très clairement les manifestants qui s'expriment
pacifiquement, qui veulent lutter pour une autre Europe, contre la
mondialisation, avec lesquels il est indispensable de nouer un dialogue, et
même un dialogue structuré, des gens qui n'ont pour objectif que de refuser à
peu près tout ce qui fait la société organisée.
De la même façon, les opposants irlandais au traité de Nice ne sont pas tous
des partisans d'une Europe plus progressiste.
Je connais un peu ce pays et je connais ceux qui ont voté non. Je ne veux pas
les désigner ici, mais ce ne sont pas forcément les plus progressistes des
Européens.
Pour autant, je crois, madame, que nous pouvons partager nombre des
aspirations en faveur d'une Europe qui soit plus volontariste, qui respecte les
services publics, qui mette au coeur de ses objectifs la croissance et le
retour au plein emploi.
Je veux donc saluer l'abstention du groupe communiste républicain et citoyen
qui me paraît être aussi un message d'espoir adressé aux pays candidats.
On ne sera pas étonné que je me sente très largement en accord avec M. Claude
Estier. Je souhaite toutefois mettre en exergue trois points de son
intervention.
D'abord, monsieur le sénateur, vous avez évoqué le risque, au sein de l'union
élargie, d'une nationalisation de la Commission. Le risque existe en effet, et
c'est pour y parer que je pense nécessaire d'envisager d'autres réformes,
notamment celle que je n'ai pas évoquée mais qui viserait à modifier le mode de
désignation de son président pour conférer à ce dernier un poids politique
accru.
Tel est le sens, là encore, de la proposition du Premier ministre que vous
avez reprise, monsieur le sénateur, de faire en sorte qu'il soit l'émanation
légitime des élections parlementaires.
Certains proposent même d'aller plus loin en suggérant que le président de la
Commission soit élu par tous les citoyens européens. Quoi qu'il en soit, il
faudra qu'il ait plus de liberté ou de latitude dans la composition du collège
des commissaires.
Monsieur le sénateur, vous avez ensuite fait l'éloge de la Charte des droits
fondamentaux. Je ne peux que m'associer à cette prise de position. J'ai en
effet la conviction qu'elle est appelée à devenir le préambule, le coeur même
d'une future constitution.
Vous avez par ailleurs souligné la nécessité de préserver des politiques
communes au nom du principe de solidarité. C'est en effet un axe fort du projet
européen pour demain.
Il s'agit non pas de refuser toute perspective de réforme des politiques
communes, y compris de la politique agricole commune, mais de préserver le
principe de ces politiques, qui est au coeur de la méthode communautaire. C'est
là que l'on peut avoir, par exemple avec l'Allemagne, un débat fondé en
raison.
Je crois enfin, comme vous, monsieur le sénateur, aux mérites d'une convention
pour préparer la Conférence intergouvernementale de 2004.
Vous savez que la présidence belge va y réfléchir et qu'elle a déjà mis en
place un groupe de réflexion composé d'éminentes personnalités telles que
Jacques Delors, Bronislaw Geremek, Juliano Amato et Jean-Luc Dehaene.
Cela peut être une formule un peu différente. Peut-être faut-il mieux associer
la société civile ? Sans doute faut-il cette fois associer d'emblée les pays
candidats, car on ne peut pas réfléchir à leur avenir sans eux. Mais cette
formule a fait la preuve de sa richesse, de sa capacité à contribuer à l'Union
européenne, et j'y suis donc favorable. Je ne doute pas que c'est autour de
cette notion que vont tourner les réflexions de la future présidence.
Je ne reprendrai maintenant qu'un point de l'intervention de M. de Rohan, qui
a souligné l'attachement des Allemands à l'élargissement vers l'Europe centrale
et orientale. Le Chancelier aime à dire : « Je suis l'avocat des pays candidats
», même si, permettez-moi de l'observer, dans la réalité - et je reviens de
Prague et de Varsovie où je me trouvais voilà deux jours - les choses sont un
peu plus compliquées.
Par exemple, le chapitre sur la libre circulation des travailleurs pose des
problèmes à nos amis candidats, et ce n'est pas la France qui a souhaité un
certain nombre de dispositions pouvant paraître restrictives. Mais cela ne
change pas l'engagement profond des Allemands pour l'élargissement. Mais nous
aussi, nous nous sommes engagés, et, nous aussi, nous devons défendre notre
vision d'une Europe élargie. Il ne faut pas laisser à l'Allemagne le monopole
du souhait de l'élargissement.
Nous voulons cet élargissement nous aussi parce qu'il est pour nous, pour
toute l'Union, une chance et un devoir historique. Nous entretenons des liens
historiques étroits avec plusieurs pays candidats. Ces derniers souhaitent
renforcer ces liens ainsi qu'une présence française plus forte. J'ai entendu
ces revendications pendant cinq jours à Varsovie et à Prague. Nous avons des
intérêts économiques marqués. Il existe une demande d'une présence française.
Nous devons nous engager résolument dans ce chemin.
Une approbation politique très forte de ce processus d'élargissement même si,
en même temps, on doit combattre le risque de dilution et demander
l'approfondissement : tout cela constitue une équation complexe, j'en suis très
conscient.
Je voudrais marquer enfin un point de désaccord et un point d'accord avec M.
Badré.
Monsieur le sénateur, vous affirmez que le traité de Nice ne répond pas aux
nécessités d'une Europe ambitieuse et que nous avons perdu l'inspiration de
Jean Monnet et de Robert Schuman, en soulignant que la présidence française de
l'Union et la France ne sont pas assez exemplaires avec les petits pays. Vous
avez relevé le mépris à l'égard de l'Irlande aujourd'hui et de l'Autriche voilà
un an. Pour ma part, je le répète, je ne mets pas ces deux situations sur le
même plan.
Ce n'est pas parce que l'Autriche est un petit pays que l'Union européenne a
pris les mesures qu'elle a adoptées l'année dernière. C'est simplement parce
que la situation politique était inacceptable, y compris pour les pères
fondateurs qui défendaient une Europe de valeur.
Quant à l'Irlande, nous ne la méprisons pas ; mais je répète ce que je disais
tout à l'heure : ne soyons pas plus Irlandais que les Irlandais ! Quand le
Gouvernement de ce pays nous demande de poursuivre la ratification, de ne pas
renégocier le traité, de trouver avec lui les voies appropriées pour que ce
référendum soit une approbation à la ratification du traité de Nice, nous
devons être à son écoute, là aussi.
Il n'y a pas de mépris, il n'y a pas non plus de surévaluation de la
situation. Je ne considérerai donc pas tous ces événements comme la
caractéristique d'un manque général qui aurait été cruellement illustré à
Nice.
Mais j'ai également un point d'accord très important avec vous, monsieur le
sénateur, même si nous n'y mettons pas exactement la même chose : nous devons,
s'agissant du fond de notre vision européenne, réfléchir à ce que nous voulons
faire ensemble, réfléchir à ce que nous faisons ensemble, avant de réfléchir
aux institutions.
Quand nous parlons de fédération, de confédération, de fédération d'Etats
nations, débats importants mais relativement abscons pour nos concitoyens, nous
ne devons pas le faire
in abstracto
en oubliant ce pourquoi ces
institutions sont faites. Les institutions, elles, doivent porter un projet, un
modèle, des valeurs. Nous ne partageons pas les mêmes sur tous les bancs, mais
nous devons les illustrer avec force, avec la certitude qu'il y a, en France,
un engagement européen profond.
J'ai commencé ma réponse sur la raison, et je terminerai sur la passion.
Avec raison, me semble-t-il, le Sénat va ratifier le traité de Nice. Je lui
donne, d'ailleurs, à cet égard, entière raison moi aussi. Mais, en même temps,
mesdames, messieurs les sénateurs, si vous ratifiez ce traité avec raison, cela
n'empêche en rien ce que j'ai senti, c'est-à-dire votre profonde passion
européenne.
Cette passion, elle va trouver à s'exprimer. Je souhaite en effet que chacun
s'investisse dans le grand débat sur l'avenir de l'Union européenne parce que,
en 2004, nous serons confrontés - cela a été souligné par tous les orateurs - à
un double défi vraiment historique.
Pour ce qui est du défi de l'élargissement, nous nous sommes donné rendez-vous
en 2004 pour la participation des pays aujourd'hui candidats à des élections
européennes enfin démocratiques.
Je souligne à cet égard ce qui a été dit par plusieurs orateurs : la volonté
de réformer le mode de scrutin est incontournable. On ne peut plus voter selon
les mêmes règles si l'on ne veut pas avoir 30 % de participation et un
désintérêt encore plus grand pour ces élections.
Par conséquent, il y a le rendez-vous de l'élargissement, il y a aussi le
rendez-vous de la réforme institutionnelle. Je propose cette fois-ci que nous
ne fassions pas une démarche à nouveau de petits pas, mais que nous essayions
de trouver des structures plus constantes, plus légitimes, plus transparentes,
plus démocratiques. C'est le sens de la construction européenne.
Si, sur tous les bancs, nous n'avons pas la même conception de la construction
européenne, c'est certain - nous avons en revanche le même objectif : qu'enfin
soit donné à l'Europe un toit politique qui lui permette de poursuivre
l'aventure avec ambition. Par conséquent, votre vote de raison ouvrira la voie
à la passion !
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. le président de la
délégation pour l'Union européenne applaudit également.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)