SEANCE DU 3 AVRIL 2001
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Décès d'un ancien sénateur
(p.
1
).
3.
Questions orales
(p.
2
).
droit du travail et activités des maîtrises
de chant et de musique (p.
3
)
Question de M. Bernard Fournier. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à
l'économie solidaire ; Bernard Fournier.
4.
Souhaits de bienvenue à une délégation du Parlement hongrois
(p.
4
).
5.
Questions orales
(suite)
(p.
5
).
usage abusif du droit de réquisition
des médecins généralistes de dordogne (p.
6
)
Question de M. Xavier Darcos. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; Xavier Darcos.
devenir de l'association solidarité enfants sida (p. 7 )
Question de M. Robert Bret. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; Guy Fischer, en remplacement de M. Robert Bret.
effets de seuil
de la couverture maladie universelle (p.
8
)
Question de M. Fernand Demilly. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; Fernand Demilly.
couverture du département de l'orne
par les réseaux de téléphonie mobile (p.
9
)
Question de M. Daniel Goulet. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Daniel Goulet.
diminution des effectifs des perceptions
des pyrénées-orientales (p.
10
)
Question de M. Paul Blanc. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Paul Blanc.
accès forfaitaire à internet (p. 11 )
Question de M. Jean-Paul Hugot. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Jean-Paul Hugot.
développement des nouvelles technologies
en zone rurale (p.
12
)
Question de M. René-Pierre Signé. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. René-Pierre Signé.
conséquences de la professionnalisation
de l'armée (p.
13
)
Question de M. Alain Gournac. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Alain Gournac.
situation des titulaires d'un doctorat
bénéficiant d'un emploi-jeune (p.
14
)
Question de M. Louis Souvet. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Louis Souvet.
remise en circulation du tunnel
de sainte-marie-aux-mines (p.
15
)
Question de M. Jean-Louis Lorrain. - Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement ; M. Jean-Louis Lorrain.
concession de terrain faite par la sncf
à une entreprise privée de concassage industriel
sur la commune de montigny-le-bretonneux (yvelines) (p.
16
)
Question de M. Nicolas About. - Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement ; M. Nicolas About.
financement du réseau d'eau potable (p. 17 )
Question de M. Bernard Piras. - MM. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Bernard Piras.
situation des locataires taxis (p. 18 )
Question de Mme Nicole Borvo. - M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Mme Nicole Borvo.
délinquance et dépénalisation du cannabis (p. 19 )
Question de M. Jacques Donnay. - MM. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Jacques Donnay.
recours excessif à la procédure
de mise à disposition des agents publics (p.
20
)
Question de M. Jacques Oudin. - MM. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Jacques Oudin.
conséquences de la crise de la vache folle
en charente (p.
21
)
Question de M. Henri de Richemont. - MM. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Henri de Richemont.
Suspension et reprise de la séance (p. 22 )
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
6.
Eloge funèbre de Pierre Jeambrun, sénateur du Jura
(p.
23
).
MM. le président, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie.
Suspension et reprise de la séance (p. 24 )
7.
Rappel au règlement
(p.
25
).
Mme Nicole Borvo, M. le président.
8.
Candidature à une commission.
(p.
26
).
9.
Prime pour l'emploi. -
Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
27
).
Discussion générale : MM. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie ; Philippe Marini, rapporteur de la commission des
finances.
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
MM. Charles Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires
sociales ; Michel Sergent, Gérard Braun, Philippe Nogrix, François Trucy,
Roland Muzeau.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.
Clôture de la discussion générale.
Article unique (p. 28 )
Mmes Marie-Claude Beaudeau, le secrétaire d'Etat.
Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le secrétaire
d'Etat, M. Michel Charasse. - Adoption par scrutin public.
Amendement n° 5 de M. Philippe Nogrix. - MM. Philippe Nogrix, Gérard Braun,
en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances
; Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 4 de M. Claude Huriet. - MM. Philippe Nogrix, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 6 de M. Philippe Nogrix. - MM. Philippe Nogrix, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 2 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le secrétaire
d'Etat, MM. Charles Descours, Michel Charasse. - Adoption.
M. Bernard Angels.
Adoption de l'article unique modifié.
Intitulé du projet de loi (p. 29 )
Amendement n° 3 de la commission. - Adoption de l'amendement modifiant l'intitulé.
Vote sur l'ensemble (p. 30 )
M. Philippe Adnot.
Adoption du projet de loi.
10.
Nomination d'un membre d'une commission
(p.
31
).
Suspension et reprise de la séance (p. 32 )
11.
Loi d'orientation sur la forêt.
- Discussion d'un projet de loi (p.
33
).
Discussion générale : MM. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la
pêche ; Philippe François, rapporteur de la commission des affaires économiques
; Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Yann
Gaillard, Philippe Richert, Ladislas Poniatowski, Bernard Joly, Gérard Le Cam,
Jean-Marc Pastor, Gérard Braun, Jean-Paul Amoudry, Xavier Pintat, Bernard
Dussaut, Guy Vissac, Bernard Barraux, Marcel Vidal.
Renvoi de la suite de la discussion.
12.
Transmission d'un projet de loi
(p.
34
).
13.
Dépôt de propositions de loi
(p.
35
).
14.
Transmission d'une proposition de loi
(p.
36
).
15.
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
37
).
16.
Dépôt d'un rapport
(p.
38
).
17.
Dépôt d'un rapport d'information
(p.
39
).
18.
Ordre du jour
(p.
40
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR
M. le président.
Mes chers collègues, c'est avec une très grande émotion que nous avons appris
le décès, le 27 mars dernier, de notre ancien collègue André Fosset.
Sénateur de la Seine, puis des Hauts-de-Seine, André Fosset fut un grand
parlementaire.
Elu plus jeune conseiller municipal de Paris en 1945, André Fosset entra à la
toute fin de la IVe République au Sénat, où il fut un parlementaire dynamique,
actif et très apprécié de ses collègues.
S'il fut ministre de la qualité de la vie en 1976, dans le gouvernement de
Jacques Chirac, c'est parmi nous qu'il exerça les fonctions les plus éminentes
: questeur, président du groupe centriste, président de la délégation du groupe
français de l'union interparlementaire.
En 1995, il prit la décision de se retirer, au terme d'un demi-siècle d'une
carrière publique bien remplie, commencée dans la Résistance.
Au nom du président du Sénat et du Sénat tout entier, j'exprime à son épouse,
à ses enfants, à toute sa famille, ainsi qu'aux membres du groupe de l'Union
centriste, notre sympathie attristée et nos sincères condoléances.
3
QUESTIONS ORALES
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
DROIT DU TRAVAIL ET ACTIVITÉS
DES MAÎTRISES DE CHANT ET DE MUSIQUE
M. le président.
La parole est à M. Fournier, auteur de la question n° 982, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question s'adresse à Mme le ministre de
l'emploi et de la solidarité.
Les maîtrises de musique et de chant, en assurant un enseignement artistique
sur notre territoire, remplissent une mission fondamentale au regard de l'éveil
musical de nos enfants.
Cependant, ces maîtrises rencontrent de manière récurrente de graves
difficultés, qui ont pour origine l'interprétation des textes relatifs au
travail des enfants.
On a vu récemment le président d'une maîtrise importante mis en examen pour
emploi de main-d'oeuvre irrégulière, comme un vulgaire employeur de
travailleurs clandestins. En effet, les maîtrises semblent tomber sous le coup
de la législation lorsqu'elles assurent des spectacles dans lesquels les
enfants font valoir leurs talents musicaux.
La loi, dans toute sa rigueur, semble prohiber ces pratiques lorsque les
concerts font l'objet d'un droit d'entrée pour les auditeurs, car la
présomption légale découlant de l'application de l'article L. 762-1 du code du
travail confère alors aux maîtrises le statut d'employeur.
Il faut rappeler ici que l'enseignement dispensé par les maîtrises est
gratuit. Il n'est donc pas erroné de parler de service public de l'enseignement
musical. Quant au concert il est, on peut le dire, une sorte de cas pratique
grandeur nature.
Des indications ont été demandées aux inspections académiques et aux
directions du travail sans qu'il puisse en ressortir d'éléments suffisamment
éclairants pour permettre tant aux élèves qu'aux enseignants de connaître
incontestablement le régime juridique applicable.
Cette insécurité juridique qui naît de l'application stricte du droit du
travail est de nature à entraver les efforts déployés durant de longues années
par les écoles de musique.
Il n'est naturellement aucunement question de revenir sur la prohibition du
travail des enfants. Il conviendrait néanmoins que le cadre légal dans lequel
les maîtrises pourront continuer à donner des concerts avec des enfants soit
précisé. Les concerts publics constituent non pas un travail des élèves, mais
bien un élément fondamental de la formation de ces jeunes chanteurs et
musiciens, parmi lesquels se trouve bien souvent l'élite musicale future.
C'est pourquoi je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien
vouloir m'indiquer, d'une part, le cadre légal applicable, selon le droit du
travail, à ces prestations et, d'autre part, les perspectives d'assouplissement
si la présomption de travail aux termes de l'article L. 762-1 s'appliquait
intégralement.
M. le président
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
Monsieur le sénateur, vous
posez la question des conditions d'application des textes relatifs au travail
des enfants aux maîtrises de musique et de chant qui organisent des concerts
dans lesquels des enfants se produisent et celle de l'insécurité qui, selon
vous, résulterait d'une application trop stricte de ces textes.
Je vous rappelle, tout d'abord, que l'emploi par une entreprise de spectacle
d'enfants qui ne sont pas dégagés de l'obligation scolaire est subordonné à une
autorisation individuelle préalable accordée par le préfet, après avis conforme
d'une commission spécialisée.
Les organismes qui dispensent à des mineurs un enseignement musical et qui
assurent des spectacles d'enfants payants dans lesquels ces enfants se
produisent ne doivent tirer aucun bénéfice de la prestation des enfants autre
que celui leur permettant de couvrir les frais d'organisation du spectacle. La
participation bénévole des enfants peut, à ce titre, être admise.
S'agissant de la situation particulière de certaines maîtrises participant à
des activités à caractère lucratif et des suites données aux constats qui ont
pu être dressés par les services de l'inspection du travail, il appartient à
l'autorité judiciaire de se prononcer.
Cela étant, les services de Mme Guigou ont entrepris, avec ceux du ministre de
la culture, une réflexion sur une évolution éventuelle de ce cadre législatif
applicable aux maîtrises de musique et de chant pour essayer d'éviter les
situations comparables à celles que vous avez signalées.
M. Bernard Fournier.
Je demande la parole.
M. le président.
la parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous avez
bien voulu m'apporter. Je note plus particulièrement qu'une réflexion est
actuellement en cours concernant le problème que je viens de soulever. Je serai
très attentif aux travaux de la commission qui est mise en place.
4
SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE
DÉLÉGATION DU PARLEMENT HONGROIS
M. le président.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune
officielle d'une délégation du Parlement hongrois.
Elle est conduite par le président de la commission de la santé, le docteur
Mihaly Kökeny.
Cette délégation est venue analyser notre système de santé et préparer
l'entrée dans l'Union européenne de la République hongroise. Nous saluons ses
membres et souhaitons que leurs travaux soient particulièrement fructueux. Au
cours de cette journée, ils rencontreront nos collègues de la commission des
affaires sociales.
(M. le secrétaire d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et
applaudissent.)
5
QUESTIONS ORALES (suite)
M. le président. Nous reprenons les réponses à des questions orales.
USAGE ABUSIF DU DROIT DE RÉQUISITION
DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES DE DORDOGNE
M. le président.
La parole est à M. Darcos, auteur de la question n° 1017, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Xavier Darcos.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans la semaine du 23 décembre au 2 janvier
derniers, le droit de réquisition a été utilisé à l'encontre de cent vingt des
quatre cents médecins généralistes que compte le département de la Dordogne.
Pour justifier sa décision, le préfet en exercice de ce département s'est
fondé sur une loi du 11 juillet 1938 portant sur l'organisation générale de la
nation en temps de guerre, sans la moindre concertation préalable avec la
profession, qui l'avait pourtant réclamée.
Les médecins périgourdins réquisitionnés ont été soumis à des conditions de
travail inacceptables, avec deux cent vingt-huit heures consécutives
d'injonction de travail, ce qui a pu mettre en danger non seulement leur santé,
mais aussi la vie de leurs patients.
De telles pratiques sont en contradiction avec la politique du Gouvernement,
qui oeuvre pour l'allégement des rythmes de travail et défend le principe de
précaution.
Pourriez-vous donc, monsieur le secrétaire d'Etat, me donner des explications
sur les raisons qui ont pu conduire à ces conditions exceptionnelles de
réquisition, lesquelles ne correspondent aucunement aux pratiques en usage dans
les secteurs d'activité mettant en jeu la responsabilité ou la sécurité
collective ?
Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour réparer le préjudice subi par
ces médecins réquisitionnés ?
Par ailleurs, je souhaiterais aborder un thème plus général, celui du maintien
d'un service public minimum en cas de grève dans les secteurs ou les
entreprises remplissant une mission de service public.
En 1997, une proposition de loi portant le numéro 451 avait été déposée sur le
bureau du Sénat. Elle visait à inviter les partenaires sociaux et les
employeurs, au sein des services publics, à négocier des accords sur la
prévention des conflits. Le 3 février 1999, la commission des affaires sociales
du Sénat a examiné cette proposition de loi, par un rapport remarquable de M.
Huriet portant le numéro 194 et annexé au procès-verbal de la séance du jour,
en insistant sur les insuffisances du dialogue social en France. Ces
observations confirmaient un avis précédent, en date du 11 février 1998, adopté
par le Conseil économique et social et qui mettait opportunément l'accent sur
la nécessité de développer des procédures de conciliation, de médiation ou
d'arbitrage dans les conflits du travail, car trop souvent ceux-ci sont traités
à un échelon inadéquat, et les conséquences en sont lourdes lorsque l'intérêt
général est en cause.
Le Sénat, souvent précurseur dans les domaines de la vie économique et sociale
ou de l'éthique, avait suggéré que le service minimum soit envisagé comme une
solution ultime dans l'hypothèse d'un échec du dialogue social.
Si les propositions de la Haute Assemblée relatives à l'obligation de
négociation avaient été prises en considération, le conflit intéressant les
médecins généralistes de Dordogne ne se serat jamais déroulé dans les
conditions inacceptables et périlleuses que je viens de rappeler. Monsieur le
secrétaire d'Etat, la France est, avec le Royaume-Uni, le seul pays de l'Union
européenne à ne pas avoir adopté des règles pour qu'il ne soit recouru à la
grève qu'en cas d'échec du dialogue social. Quelles mesures concrètes le
Gouvernement envisage-t-il de prendre pour relancer ce dialogue ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
Monsieur le sénateur, je
répondrai tout d'abord à la première partie de votre question, et j'en viendrai
ensuite à la seconde, qui était moins prévisible.
Vous avez souligné les difficultés ayant été engendrées par l'usage, que vous
estimez abusif, du droit de réquisition à l'encontre des médecins généralistes
du département de la Dordogne durant la période du 23 décembre 2000 au 2
janvier 2001.
D'une part, la loi du 11 juillet 1938, que vous avez évoquée, pose en son
article 31 le principe de l'obligation de déférer aux réquisitions de
l'autorité publique, y compris en temps de paix, des sanctions étant prévues en
cas de refus. La loi susvisée demeure à ce jour le texte de référence en
matière de réquisition.
D'autre part, il ressort de l'examen détaillé des faits intervenus au cours de
la période concernée que le conseil départemental de l'ordre des médecins a,
conformément à sa mission de service public consistant à réglementer l'exercice
de la profession, tenté, mais sans succès, d'effectuer un recensement des
médecins grévistes. Il a alors été procédé à réquisition par les services de la
DDASS, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, sur le
fondement des dispositions précitées. C'est de propos délibéré que les
réquisitions ont concerné de nombreux praticiens sur l'ensemble de la période,
afin que ceux-ci s'organisent entre eux et que la charge effective pour chacun
soit allégée. Dans un souci de concertation, la DDASS a alors organisé, avec
l'ensemble des syndicats médicaux, une réunion dont l'objet était de proposer
la levée partielle des réquisitions, sous réserve que le service minimum soit
assuré. Les syndicats ont refusé cette proposition, laquelle a néanmoins été
mise en oeuvre.
Dans ces conditions, les services de l'Etat ont déployé le maximum d'efforts
afin de concilier la nécessité d'assurer la continuité de la prise en charge
sanitaire de la population, laquelle impliquait des réquisitions, et le
principe de la liberté d'exercice.
Je crois qu'il s'agit de cas tout à fait exceptionnels et, pour élargir mon
propos, puisque vous-même l'avez fait, monsieur le sénateur, j'indiquerai qu'il
faut hiérarchiser les situations. Certes, il est évident que nous vivons dans
un pays où nous devons, les uns et les autres, travailler à enrichir le
dialogue social et à dégager des consensus pour éviter de déboucher sur des
conflits. Cela étant, ne pas pouvoir prendre un train le matin est une chose,
être gravement malade et ne pouvoir trouver aucun médecin qui soit disponible
dans un périmètre raisonnable en est une autre.
Il faut donc, c'est une évidence, oeuvrer en faveur du dialogue social et
respecter les libertés fondamentales, notamment l'exercice du droit de grève,
mais aussi, quand c'est nécessaire, prendre les mesures qui s'imposent dans des
situations d'exception.
Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que le nombre d'heures de travail
fournies par les médecins requis a mis en danger la santé des praticiens et
celle des patients ; mais croyez-vous que la situation aurait été meilleure si
aucun médecin n'avait été disponible ? Pour ma part, je crois que non.
M. Xavier Darcos.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse. Cela étant,
s'il est vrai que la situation était exceptionnelle, je persiste à penser qu'il
est contradictoire et inacceptable que l'on puisse réquisitionner les médecins
alors que, lorsque le service public est en grève, on ne peut réquisitionner
personne.
Je pense qu'il y a deux poids deux mesures. Dans le cas d'espèce que j'ai
cité, on a requis des médecins tandis que, lorsque le service public se trouve
désorganisé pour des motifs dérisoires, égoïstes et reflétant des intérêts
purement privés, le Gouvernement paraît subitement muet.
(M. About
applaudit.)
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, il est toujours aisé de dire que
les raisons qui conduisent telle ou telle catégorie de personnes à décider de
se mettre en grève sont dérisoires et égoïstes. Ceux qui liront les comptes
rendus de nos débats apprécieront vos propos. Pour ma part, j'estime que de
tels commentaires peuvent amener à vouloir s'attaquer progressivement au droit
de grève lui-même. Nous avons sans doute, sur ce dossier, des points de vue
très différents.
M. Nicolas About.
Les moyens d'aller travailler sont plus importants que la télévision ! Or, à
la télévision, un service minimum est organisé !
DEVENIR DE L'ASSOCIATION
« SOLIDARITÉ ENFANTS SIDA »
M. le président.
La parole est à M. Fischer, en remplacement de M. Bret, auteur de la question
n° 1028, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Guy Fischer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, courant octobre 2000, Robert Bret avait attiré
l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur le devenir
de l'association Sol en Si, qui connaissait, et connaît toujours, de sérieux
problèmes financiers pouvant être lourds de conséquences.
En effet, l'association se trouvait dans une situation financière telle
qu'elle risquait d'être amenée à envisager des restructurations, dans chacun
des sept centres d'accueil qu'elle gère, allant de la fermeture d'accueils de
nuit à des licenciements économiques, restructurations qui auraient remis en
cause, bien évidemment, le fonctionnement des divers services de soutien mis en
place pour répondre aux besoins des enfants et de leurs parents touchés par le
sida.
Mais, à l'heure où je parle, la situation semble avoir évolué, puisque je
crois savoir que le Gouvernement a décidé de débloquer des fonds, ces derniers
devant permettre, dans un premier temps, de parer au plus urgent.
Force est de constater que nos diverses interventions n'auront pas été vaines,
et nous nous en félicitons. Nous estimons, en effet, qu'il incombe à l'Etat, au
titre de la lutte contre les exclusions et les inégalités en matière de santé,
de contribuer au financement des actions visant à lutter contre le sida à
l'échelon des collectivités, des institutions et surtout des associations. Il
n'était que temps de reconnaître enfin le bien-fondé de l'activité de Sol en Si
et de lui permettre, dès lors, d'exister pleinement.
Créée en 1990 et reconnue d'utilité publique par décret du 5 juillet 1996,
l'association Sol en Si a pris son essor et affirmé sa raison d'être à une
époque où les familles touchées par le sida se trouvaient face à un grand vide.
Il serait inconcevable et inacceptable de voir ce réseau d'aide péricliter, à
l'heure où l'efficacité des nouveaux traitements permet à de nombreuses
familles de pouvoir enfin envisager l'avenir non plus à court terme, mais selon
des échéances un peu plus lointaines.
L'association, qui a toujours fonctionné, pour l'essentiel, grâce à des fonds
privés, et, pour un tiers, grâce à des fonds publics, a vu ses moyens
financiers baisser de façon très inquiétante.
Pourtant, le sida frappe toujours et l'efficacité des nouveaux traitements a
modifié le rôle et le fonctionnement de Sol en Si, qui apporte un soutien
psychologique, moral et matériel, dans la durabilité dorénavant.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous préciser quelles
sont les intentions de l'Etat et à quelle hauteur celui-ci compte s'engager
pour subvenir aux besoins de cette structure et mettre fin à cette crise
financière.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
Monsieur le sénateur,
l'association « Solidarité Enfants Sida », plus connue sous le nom de Sol en
Si, mène une action tout à fait exemplaire en matière d'aide et de solidarité
au profit des familles et des enfants touchés par le sida. A cette fin, elle a
créé et développé des lieux d'accueil, de rencontre, d'échange ouverts aux
enfants et aux adultes concernés. Elle y organise des actions permettant de
leur apporter un soutien à la fois matériel, social et psychologique.
Depuis l'origine, c'est-à-dire depuis 1990, elle est financée en majeure
partie par l'appel aux dons, par la vente de disques et par d'autres ressources
permises notamment par un fort investissement d'artistes soutenant son action.
Les pouvoirs publics, les collectivités territoriales intéressées et les
organismes sociaux financent également l'activité de Sol en Si dans l'optique
de leurs compétences respectives : sur un budget prévisionnel global de l'ordre
de 26 millions de francs au titre de l'année 2000, les subventions ont ainsi
représenté plus de 7,5 millions de francs, près de la moitié de cette somme
provenant du ministère de l'emploi et de la solidarité.
Toutefois, comme vous l'avez souligné, monsieur Fischer, l'association a fait
état de difficultés de trésorerie au cours de cet exercice. Ses responsables
ont été reçus au cabinet de Mme la ministre déléguée à la famille, à l'enfance
et aux personnes handicapées. Dans l'immédiat et pour faire face à l'urgence,
une subvention de 50 000 francs lui a été allouée, sur sa demande, pour l'aider
à affronter des problèmes conjoncturels. Le dossier est suivi de près, afin
d'étudier plus précisément comment la situation pourrait être complètement
assainie, de manière que cette association, qui accomplit un travail tout à
fait remarquable, ne disparaisse pas du « paysage » français, ce qui serait
dommageable à tout point de vue.
M. Guy Fischer.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je me réjouis qu'une somme de 50 000 francs ait
été allouée à Sol en Si. Cela dit, je doute encore que ce montant soit à la
hauteur des attentes et surtout des difficultés, d'autant que cette association
a fait ses preuves, et ce depuis des années, remplissant une mission de service
public grâce au mécénat, au bénévolat et à d'autres formes de volontariat.
Du devenir de l'association Sol en Si dépend bien évidemment le bon
fonctionnement des divers services de soutien mis en place pour répondre aux
besoins des enfants et de leurs parents touchés par le sida, d'où l'impérieuse
nécessité de débloquer des fonds, qui à mon avis devraient être plus importants
que les 50 000 francs annoncés aujourd'hui, afin que cette association puisse
mener à bien la tâche qu'elle s'est fixée et que la seule bonne volonté ne
suffirait pas à remplir.
Le Gouvernement doit accentuer le travail effectué par les volontaires et
bouleverser le principe ancré peu à peu qui veut que les associations et les
bénévoles se suffisent à eux-mêmes.
Bien des choses restent à faire si l'on veut que l'accès aux soins ne demeure
pas hors de portée de la majorité des personnes vivant avec le sida, et l'on
sait que ce sont les plus exclus qui sont confrontés à cette situation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'Etat se doit d'être un partenaire à la
hauteur, aujourd'hui et dans les années à venir.
EFFETS DE SEUIL DE LA COUVERTURE
MALADIE UNIVERSELLE
M. le président.
La parole est à M. Demilly, auteur de la question n° 1025, adressée à M. le
ministre délégué à la santé.
M. Fernand Demilly.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre délégué à
la santé et concerne les effets de seuil de la couverture maladie universelle,
la CMU.
Le plafond des ressources arrêté par les pouvoirs publics à 3 600 francs pour
bénéficier de la CMU complémentaire entraîne des cas d'exclusion, notamment
celle des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés et de ceux du
minimum vieillesse.
Les caisses primaires d'assurance maladie demandent aux départements de
s'associer à une action d'incitation et de soutien envers ces personnes, dont
le revenu est compris entre 3 600 francs et 3 800 francs, ce qui correspond au
seuil de pauvreté, et qui n'adhèrent pas à un organisme complémentaire.
Les crédits consacrés par le département à la prise en charge de l'aide
médicale au profit des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés et
du minimum vieillesse ont été prélevés sur la dotation globale de
fonctionnement et restitués à l'Etat. Or, aujourd'hui, les départements sont
sollicités pour consacrer de nouveaux crédits à l'aide facultative destinée à
pallier les effets de seuil induits par la loi.
Une telle mesure viendrait contredire le caractère universel de la CMU et
aurait pour conséquence d'introduire une nouvelle aide individuelle attribuée
après appréciation de la situation particulière des intéressés et variant selon
les départements.
Je demande donc au Gouvernement quelles mesures il compte prendre pour ne pas
solliciter une fois encore les deniers des collectivités pour un programme
centralisé.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
Monsieur le sénateur, à la fin
de janvier 2001, près de 5,1 millions de personnes bénéficiaient de la CMU.
Cela représente une augmentation de 50 % par rapport aux 3,4 millions de
personnes qui percevaient, avant le 1er janvier 2000, l'aide médicale gratuite
des départements. Sous ce seul aspect quantitatif, en ayant permis d'accorder
un droit à la couverture complémentaire maladie à plus de 1,7 million de
personnes supplémentaires, la loi du 27 juillet 1999, qui a institué la CMU,
est un grand succès.
Sur le plan qualitatif, il faut noter que, bien souvent, l'aide médicale
gratuite des départements permettait l'accès à un panier de soins moins complet
que celui qui est offert par la CMU ; en outre, une partie des bénéficiaires de
l'aide médicale gratuite y étaient admis partiellement, moyennant une
participation financière.
Ces améliorations quantitatives et qualitatives sont la conséquence de la
décision prise par le Gouvernement, au début de l'année 2000, de faire de la
CMU un dispositif national, dont les prestations doivent être les mêmes sur
l'ensemble du territoire. C'est donc très logiquement que l'Etat a repris la
compétence d'aide médicale obligatoire qui incombait auparavant aux
départements, ainsi que les crédits correspondants, au moyen d'une diminution,
à proportion de ces crédits, des dotations globales de fonctionnement.
Mais la CMU est un dispositif jeune. Nous devons veiller à ce qu'il grandisse
sans heurts. Une évaluation en est d'ailleurs prévue pour la fin de cette
année.
L'une des interrogations les plus fréquentes porte sur le seuil de ressources
qui a été retenu pour l'ouverture du droit à la CMU, soit 3 600 francs par mois
pour une personne seule. Il est difficile pour une personne d'admettre que,
pour un dépassement de quelques francs de ce seuil, elle soit privée de tout
droit à la couverture complémentaire maladie.
Certes, la loi a prévu que tous les bénéficiaires de l'aide médicale gratuite
avant le 1er janvier 2000 obtiendraient automatiquement à cette date le droit à
la CMU. Ce droit a ensuite été prolongé à deux reprises et, dernièrement,
jusqu'au 30 juin 2001. Mais à prolonger encore ce droit, on prendrait le risque
de laisser se créer une inégalité entre personnes de revenu identique selon
qu'elles ont été ou non bénéficiaires de l'aide médicale gratuite avant le 1er
janvier 2000. Il faut donc trouver une solution générale à ce problème de
l'effet de seuil de la CMU.
D'ores et déjà, le Gouvernement a décidé d'affecter 400 millions de francs aux
fonds d'action sanitaire et sociale des caisses primaires d'assurance maladie
pour la prise en charge des personnes dont les revenus dépassent le plafond de
ressources fixé pour l'ouverture du droit à la CMU complémentaire. Il entre
dans les compétences des caisses primaires de rechercher les moyens de réaliser
une coordination de leur intervention avec celles d'autres partenaires, comme
les organismes dispensateurs de couvertures maladie complémentaires ou les
départements.
S'agissant des départements, il y a lieu de souligner qu'ils conservent une
compétence générale en matière d'aide sociale facultative, laquelle trouve
parfaitement à s'exercer dans le domaine de l'aide au maintien de la couverture
maladie des personnes qui sortent de la CMU. Certains département, comme
l'Essonne ou le Val-de-Marne, mais aussi l'Ille-et-Vilaine, ont d'ores et déjà
noué des partenariats locaux avec les caisses primaires d'assurance maladie, et
je ne vois que des avantages à ce qu'une partie des difficultés inhérentes à
l'effet de seuil de la CMU puisse être résolue au niveau local.
Toutefois, l'ampleur du problème qui se posera le 30 juin prochain avec
l'arrivée à son terme du droit automatique à la CMU des anciens bénéficiaires
de l'aide médicale gratuite - plusieurs centaines de milliers de personnes -,
engage directement la responsabilité de l'Etat.
Le Gouvernement annoncera prochainement des mesures importantes qui
garantiront que toute personne dont les ressources sont à peine supérieures au
plafond de la CMU se verra proposer le maintien d'une couverture maladie de
qualité à un prix supportable par elle.
M. Fernand Demilly.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de m'avoir apporté la réponse
de M. le ministre délégué à la santé. Mais cette réponse n'est guère
satisfaisante.
En effet, malgré les effets bénéfiques de la loi, que vous avez rappelés,
demeure le problème de l'inégal accès aux soins des plus démunis.
Parmi les prestations sociales, cinq minima sociaux ont été revalorisés de 2,2
% au 1er janvier 2001.
Le revenu minimum d'insertion atteint maintenant 2 608,50 francs, l'allocation
de solidarité spécifique, 2 613 francs et l'allocation d'insertion, 1 840
francs.
Il n'y a donc pas de problème pour ces trois minima.
En revanche, le montant de l'allocation aux adultes handicapés et celui du
minimum vieillesse s'élèvent désormais à 3 654,50 francs.
Il y a donc un problème pour 54,50 francs, problème qui n'existait pas avant
la revalorisation du 1er janvier dernier.
Il conviendrait donc, pour maintenir le caractère universel de la CMU accordée
« aux plus modestes » et ne pas introduire une nouvelle aide individuelle
différenciée selon les situations particulières et les départements, que les
conditions d'accès soient simplement relevées au niveau du seuil de pauvreté,
soit 3 800 francs par mois, ce qui règlerait le problème des personnes dont le
revenu est compris entre 3 600 francs et 3 800 francs, et qui n'adhèrent pas à
un organisme complémentaire.
Au demeurant, on ne peut pas solliciter à nouveau les départements, car les
crédits qu'ils consacraient à la prise en charge de l'aide médicale des
bénéficiaires de l'AAH et du FNS ont été prélevés sur la dotation globale de
fonctionnement et restitués à l'Etat.
Obliger les départements à affecter de nouveaux crédits à une aide facultative
destinée à pallier les effets de seuil introduits par la loi reviendrait, en
fait, à faire payer les départements deux fois, ce qui n'est pas convenable.
J'ai bien noté, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement entendait
prendre des mesures prochainement. J'en attends l'annonce avec beaucoup
d'intérêt.
COUVERTURE DU DÉPARTEMENT DE L'ORNE
PAR LES RÉSEAUX DE TÉLÉPHONIE MOBILE
M. le président.
La parole est à M. Goulet, auteur de la question n° 989, adressée à M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Daniel Goulet.
Madame le secrétaire d'Etat, comment expliquer les dysfonctionnements
persistants des réseaux de téléphones portables, voire leur absence totale,
dans le département de l'Orne ? Des zones entières sont ainsi dépourvues de
couverture. J'en cite quelques-unes : le sud du Perche, des communes comme
Tourouvre, Vimoutiers, Sées et Carrouges, le bocage normand.
S'agit-il, madame le secrétaire d'Etat, de difficultés techniques, de
difficultés financières ou des deux à la fois ?
Au moment où les attributions d'autorisations pour les téléphones dits « de la
troisième génération » sont en cours de négociation, nous pouvons légitimement,
vous en conviendrez, madame, nous interroger. Quelles solutions doivent être
mises en oeuvre pour mettre fin à des situations devenues intolérables pour les
usagers ?
Si l'Etat et les opérateurs sont démunis, je vous demande, madame le
secrétaire d'Etat, en ma qualité de premier vice-président du conseil régional
de Basse-Normandie, si les collectivités territoriales doivent s'impliquer et,
dans l'affirmative, dans quelles conditions.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Vous soulevez, monsieur le sénateur, une
question effectivement importante, dont nous avons déjà débattu à l'automne
dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances. Néanmoins,
permettez-moi de rappeler les points suivants.
Dans le cadre de leur stratégie commerciale, les opérateurs mobiles
poursuivent leurs programmes d'investissement destinés à étendre leur réseau et
à améliorer la qualité de service dans les zones déjà couvertes. C'est ainsi
que, dans le département de l'Orne, l'un des opérateurs GSM a installé six
nouveaux relais en 2000.
Parmi les quatre communes que vous avez citées, Vimoutiers et Sées bénéficient
d'un relais couvrant leur territoire. En 2001, quelques améliorations
ponctuelles seront apportées dans ces zones, mais la couverture ne sera pas
pour autant totale.
Les cahiers des charges des exploitants de réseaux de téléphonie mobile
prévoyaient, à l'origine, que ceux-ci devaient assurer une couverture de 90 %
de la population. Sous la pression de la concurrence, les trois opérateurs ont
très largement dépassé cette obligation et la couverture totale des réseaux de
téléphonie mobile dépasse aujourd'hui 99 % de la population et 90 % du
territoire.
Toutefois, les zones restant à couvrir se révélant peu ou pas rentables pour
les opérateurs, on peut penser que la couverture n'augmentera plus guère sans
intervention des pouvoirs publics.
Dans ce contexte et compte tenu de l'importance prise par la téléphonie mobile
dans la vie de nos concitoyens, le Gouvernement s'est fixé pour objectif
d'assurer une couverture par la téléphonie mobile de l'ensemble des lieux de
vie permanents et occasionnels.
Dans cette perspective, il prépare actuellement un rapport au Parlement sur la
question. Ce document présentera un état de la couverture actuelle des réseaux
de téléphonie mobile et formulera des propositions en vue d'achever la
couverture du territoire par la téléphonie mobile. Parmi celles-ci, le
Gouvernement étudie notamment des solutions de partage d'infrastructures et de
cofinancement entre les opérateurs et les pouvoirs publics pour diminuer les
coûts d'extension de couverture du territoire.
Monsieur le sénateur, j'espère avoir contribué à éclairer le problème que vous
avez soulevé.
M. Daniel Goulet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet.
Madame le secrétaire d'Etat, j'ai bien pris note des éclaircissements que vous
nous avez donnés et je vous en remercie. Je précise qu'effectivement les propos
que j'ai tenus au sujet du département de l'Orne valent également pour d'autres
départements.
Quoi qu'il en soit, lorsque vous utilisez le terme de « rentabilité », madame,
cela signifie-t-il que ce sont les départements démunis qui, encore une fois,
devront fournir tous les efforts ?
Ce n'est pas la peine de vous rappeler que le département de l'Orne, enclavé
sur le plan des infrastructures routières et autoroutières, l'est également
s'agissant du téléphone, dont l'extension en milieu rural a posé quelques
problèmes. Ce n'est pas pour autant que la solidarité doit jouer une fois de
plus dans un département dont vous savez - je l'ai expliqué la semaine dernière
- qu'il a été, lui aussi, frappé par des « séismes » à répétition qui sont
venus aggraver sa situation.
Ne serait-il pas possible, d'étudier dans quelles conditions - puisque vous
évoquez la rentabilité et la situation relative des différents intervenants -
les départements évoqués pourraient, à la lumière du rapport qui sera présenté,
bénéficier d'un supplément de soutien au nom de la solidarité ?
Quoi qu'il en soit, je vous remercie des indications que vous m'avez
données.
Ensemble - je le souhaite - nous allons assurer un suivi de ce dossier, dont
le traitement est primordial pour le département de l'Orne.
DIMINUTION DES EFFECTIFS DES PERCEPTIONS
DES PYRÉNÉES-ORIENTALES
M. le président.
La parole est à M. Blanc, auteur de la question n° 1029, adressée à M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Paul Blanc.
Je suis très heureux d'adresser ma question à Mme la secrétaire d'Etat au
budget, puisqu'il s'agit d'un dossier qui la concerne tout particulièrement.
Dans le département des Pyrénées-Orientales, nous constatons une diminution
des effectifs, notamment du cadre B et du cadre C, qui touche plus spécialement
les perceptions du milieu rural.
Si mes informations sont exactes - et je crois qu'elles le sont - la situation
prévisionnelle des effectifs au 1er août 2001 montrerait que les perceptions
les plus affectées par le manque d'agents du cadre B sont celles du milieu
rural. Je citerai plusieurs d'entre elles : à Elne, le déficit serait de 0,5
poste, comme à Saint-Laurent-de-la-Salanque ; il serait de 0,7 poste à Prades,
de 0,5 poste à Saillagouse, ou encore à Arles-sur-Tech et à Bourg-Madame ; il
serait de 1 poste à Prats-de-Mollo et à Estagel.
A l'évidence, une telle situation entrave fortement le fonctionnement des
services, car il s'agit d'établissements où les effectifs sont déjà peu
nombreux et où un déficit d'un demi-poste est beaucoup plus préjudiciable qu'un
déficit de deux ou trois postes dans une perception plus importante.
Je me pose la question de savoir si, au fond, on n'est pas en train d'utiliser
ce qui était jadis la méthode de supplice des Andorrans : le garrot. Cette
méthode consistait à appliquer un garrot autour du cou des suppliciés et à
tourner petit à petit, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Je crains fort que la
diminution des effectifs n'annonce la suppression, un jour, des perceptions en
milieu rural.
Madame la secrétaire d'Etat, ma question est très simple : allez-vous remédier
rapidement à cet état de fait ? Pouvons-nous avoir quelque assurance sur la
survie de nos perceptions en milieu rural ? Je sais que les percepteurs ne sont
pas toujours très bien vus, mais pour nous, les maires, ils sont un élément
indispensable de la vie en milieu rural.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, je tiens tout d'abord
à vous rassurer : je ne suis pas venue avec un garrot, et je vais essayer de
vous le démontrer !
(Sourires.)
Il est vrai que les effectifs des treize trésoreries des Pyrénées-Orientales
qui sont en milieu rural sont, au 1er mars 2001, de quarante-huit agents, soit
un déficit - je ne vais pas compter en dixièmes d'agent - d'un peu moins de
trois agents équivalent temps plein.
Cette situation s'explique, pour une large part, par le nombre élevé de
fonctionnaires bénéficiant - à leur demande, bien entendu - du régime de
travail à temps partiel, régime qui est, par nature, plus délicat à compenser
immédiatement dans les trésoreries de petite taille, notamment en milieu rural.
Cet état de fait concerne principalement les catégories B et C, vous avez
raison de le souligner, monsieur le sénateur.
A l'occasion du prochain mouvement de mutations, le 1er avril 2001, chaque
départ d'agent du Trésor public hors du département sera compensé par
l'affectation concomitante d'un fonctionnaire. En outre, une des vacances
d'emploi actuelles sera comblée par la nomination d'un agent au 1er juin 2001 ;
c'est un premier point.
Par ailleurs, la direction générale de la comptabilité publique et le
trésorier-payeur général des Pyrénées-Orientales sont très attentifs au
maintien des effectifs dans chacune de ces trésoreries. Ils peuvent également
recourir à l'équipe départementale de remplacement ou, plus ponctuellement, à
des crédits d'auxiliaires.
Je puis donc vous assurer que les services du Trésor public dans les
Pyrénées-Orientales disposent des moyens nécessaires pour accomplir
l'intégralité de leurs missions et pour maintenir - c'est important - le niveau
de qualité du service public auprès tant des collectivités locales que des
usagers.
Au-delà de cette situation conjoncturelle, j'attirerai votre attention sur le
fait que non seulement nous ne pratiquons pas la « politique du garrot », mais
que nous avons fait progresser de 10 % en dix ans le nombre des agents affectés
dans les services déconcentrés du Trésor des Pyrénées-Orientales. Je pense que
nous sommes - heureusement - loin des méthodes que vous décriviez à l'instant
!...
M. Paul Blanc.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc.
Madame la secrétaire d'Etat, je me réjouis de votre réponse, à laquelle, en
toute franchise, je m'attendais un peu...
Je crois toutefois que l'intérêt des questions posées au Gouvernement, c'est
de faire parfois avancer les choses.
Je m'explique : immédiatement après le dépôt de cette question, voilà plus de
deux mois, vos services ont, du moins je le suppose, alerté la Trésorerie
générale des Pyrénées-Orientales puisque, depuis, un gros effort a
effectivement été fait pour pourvoir très rapidement un certain nombre de
postes.
L'intérêt d'interroger le Gouvernement, c'est donc de donner une impulsion aux
dossiers, et je m'en réjouis. Je ne doute pas que, grâce à votre réponse
d'aujourd'hui, toutes les perceptions rurales des Pyrénées-Orientales seront
rapidement dotées du nombre d'agents nécessaires à leur bon fonctionnement.
M. le président.
Cela démontre combien M. Blanc est un parlementaire attentif !
(Sourires.)
ACCÈS FORFAITAIRE À INTERNET
M. le président.
La parole est à M. Hugot, auteur de la question n° 1018, adressée à M. le
secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. Jean-Paul Hugot.
Notre collègue vient de rappeler que l'intérêt des questions posées au
Gouvernement était de faire bouger les choses. C'est à ce titre que, au sein de
cette assemblée, je reprends la question de l'accès forfaitaire à Internet.
M. le secrétaire d'Etat à l'industrie avait estimé, le 8 décembre 2000, que
l'accès forfaitaire à Internet devait être effectif au début de 2001 et que son
coût serait financé par France Télécom. Or, dans la réponse à une question
écrite parue le 8 mars dernier, il est indiqué, d'une part, que les offres
forfaitaires d'accès illimité ne seraient proposées au public que l'été
prochain - nous perdons une saison ! - d'autre part, que les tarifs seraient
inférieurs à 200 francs par mois - la référence à cette somme fait donc son
chemin - ce montant étant comparable au tarif existant au Royaume-Uni.
Il est donc demandé à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie : s'il estime que
le nouveau délai annoncé pourra être respecté ; si une offre fixée à 200 francs
répond au souhait d'un tarif se rapprochant du coût réel, souhait exprimé par
le ministre de l'économie et des finances lors de la dernière fête de
l'Internet ; si le Gouvernement estime ce montant assez incitatif pour
favoriser la démocratisation d'Internet ; enfin, comment s'explique le fait que
France Télécom ait pu mettre en place au Royaume-Uni, en tant que fournisseur
d'accès, un tarif de l'ordre de 130 francs, sensiblement plus modeste.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, vous avez attiré
l'attention sur l'accès, pour les internautes, à une offre commerciale aussi
intéressante que possible sur les plans tant de la durée que des tarifs.
Actuellement, les offres commerciales d'accès à Internet via le réseau
téléphonique se présentent sous la forme soit de forfaits d'heures de
connexion, soit de communications à la durée, à des tarifs par minute voisins
de ceux qui sont appliqués aux communications locales. Pour réduire les coûts,
les internautes souhaitent disposer d'un accès illimité à Internet,
c'est-à-dire quelle que soit la durée de connexion, à un tarif forfaitaire.
Mon collègue Christian Pierret avait indiqué au Parlement, en novembre
dernier, qu'il était indispensable que de tels forfaits d'accès illimité à
Internet voient le jour en France, et cela dès 2001. Pour y parvenir, il était
nécessaire que France Télécom propose aux opérateurs entrants une offre de
raccordement à la capacité, en complément de son offre d'interconnexion
actuelle à la durée, ce que Christian Pierret a demandé au président de France
Télécom de faire.
France Télécom a été en mesure de mettre en place l'offre de raccordement à la
capacité en février dernier. Celle-ci a été présentée à l'Autorité de
régulation des télécommunications, laquelle a aussitôt créé un groupe de
travail regroupant France Télécom, l'ensemble des opérateurs de
télécommunications et les fournisseurs d'accès à Internet.
Bien entendu, la mise en place de cette offre nécessitera des investissements
sur le réseau de France Télécom, afin d'assurer la qualité technique du service
téléphonique.
L'offre de raccordement à la capacité sera disponible en cours d'année.
Comme le Premier ministre l'avait indiqué lors de la fête de l'Internet, les
internautes pourront ainsi bénéficier d'offres forfaitaires d'accès illimité à
Internet, et cela dès l'été prochain.
Une telle évolution est conforme à la volonté du Gouvernement d'assurer
l'égalité de toutes les parties du territoire, des entreprises et des
particuliers pour l'accès à Internet, et participe au mouvement de baisse des
tarifs d'Internet qui est en cours depuis trois ans.
M. Jean-Paul Hugot.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hugot.
M. Jean-Paul Hugot.
Madame la secrétaire d'Etat, je note que vous confirmez les informations dont
nous disposions, sans que soit clairement exprimé dans votre réponse le
souhait, d'intérêt national, que l'accès à Internet ne soit à l'origine
d'aucune rupture sociale, sans non plus que soit prise en compte la
problématique du coût de l'abonnement, qui me semble très importante si l'on
veut parvenir à une véritable démocratisation d'Internet.
J'attire votre attention sur cette exigence, madame la secrétaire d'Etat, et
je vous remercie de votre réponse.
DÉVELOPPEMENT DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
EN ZONE RURALE
M. le président.
La parole est à M. Signé, auteur de la question n° 1026, adressée à M. le
secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. René-Pierre Signé.
Madame la secrétaire d'Etat, nous allons beaucoup parler d'Internet et des
nouvelles technologies de l'information et de la communication, les NTIC !
Je voulais attirer votre attention sur les nouvelles technologies, domaine
dans lequel il semble que le discours soit sensiblement en avance sur la mise
en oeuvre des technologies elles-mêmes. Est-il besoin de préciser que cet état
de fait est plus vrai encore en zone rurale ? Loin de moi, cependant, l'idée de
nier les changements radicaux entraînés par l'introduction des nouvelles
technologies de l'information dans nos sociétés.
Internet, notamment et surtout, mais aussi les autoroutes de l'information
permettent en effet de modifier en profondeur les méthodes de productivité,
puisqu'ils abaissent fortement le coût de l'échange de l'information entre les
acteurs économiques.
Les changements ne se limitent cependant pas à la sphère marchande, puisque
les citoyens voient, eux aussi, leurs rapports avec les administrations évoluer
vers plus de transparence et d'accessibilité. Internet est donc le vecteur
d'une transformation essentielle de l'organisation de notre économie et de
notre société. C'est précisément ce qui doit nous inciter à fournir cette
technologie à l'ensemble de la population, donc sur tout notre territoire.
Or, les opérateurs n'investissent pas là où il n'y a pas de réseau dense
d'entreprises, pas assez de population : il s'agit avant tout, évidemment, des
zones rurales. Les nouvelles technologies sont donc loin de constituer la
panacée pour le désenclavement de nos campagnes. La responsabilité des pouvoirs
publics est ici clairement engagée.
En somme, quelles actions peuvent être menées afin d'éviter l'affaiblissement
annoncé des zones rurales, puisqu'elles semblent exclues de la dernière
révolution technologique ? Moins radicalement, n'y a-t-il pas des mesures qui
pourraient inciter les opérateurs à investir dans nos campagnes ?
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement
partage, bien entendu, votre analyse sur les bouleversements considérables liés
au développement des services de télécommunications en général, et d'Internet
en particulier.
Le Gouvernement a toujours considéré que l'accès dans de bonnes conditions aux
réseaux et aux services de télécommunications était un enjeu majeur en termes
de développement économique et d'intégration de tous à la société de
l'information.
A cet égard, je tiens d'abord à rappeler que l'accès à Internet est disponible
sur l'ensemble du territoire français par le réseau téléphonique commuté à un
tarif faisant l'objet d'une péréquation.
En matière de services de télécommunications à haut débit, le Gouvernement a
toujours mené une politique favorisant l'aménagement du territoire, tout en
maintenant un souci de neutralité technologique, seule garante d'une
concurrence équitable et d'une couverture maximale du territoire.
Aujourd'hui, cinq technologies permettent d'accéder à Internet à haut débit :
la fibre optique, l'ADSL, la boucle locale radio, les réseaux câblés et le
satellite. L'ADSL couvrira plus de 60 % de la population à la fin de l'année
2001 et 80 % dans quelques années. Les technologies de la boucle locale radio,
qui sont plus particulièrement destinées aux petites et moyennes entreprises,
sont aujourd'hui en cours de déploiement par les opérateurs qui se sont engagés
à couvrir une part significative de la population française. Potentiellement,
tout le territoire peut être atteint par le satellite, mais, compte tenu de la
présence d'autres systèmes sur certains segments de marché, le satellite
devrait plutôt s'adresser à des besoins spécifiques et en particulier ceux des
zones non couvertes par l'ADSL, la boucle locale radio ou le câble.
Le Gouvernement compte sur la complémentarité qui existe entre ces cinq
technologies pour assurer une couverture complète du territoire et pour offrir
des services à l'ensemble des utilisateurs. Cependant, il est à craindre que le
seul jeu de la concurrence ne soit pas suffisant pour donner à tous les bassins
de vie l'accès à ces réseaux à haut débit. C'est pourquoi le Gouvernement
continuera d'étudier avec la plus grande attention toutes les solutions
permettant de favoriser « l'irrigation numérique » des zones rurales.
A cet égard, la modification du code des collectivités territoriales qui est
intervenue en 1999 permet aux collectivités locales d'investir dans des
infrastructures de communication en cas de déficience de la part du marché. Les
conditions de cette intervention seront assouplies dans le cadre du projet de
loi sur la société de l'information.
Par ailleurs, le développement de la couverture du territoire par les réseaux
de mobiles GSM est, bien sûr, un des facteurs favorisant le développement
économique et participant au désenclavement des zones défavorisées ; nous en
avons parlé. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement prépare un rapport
au Parlement sur l'état de la couverture de la téléphonie mobile et sur les
différentes solutions pouvant être mises en oeuvre pour remédier aux problèmes
résiduels de couverture.
M. René-Pierre Signé.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé.
Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. Vous avez
développé de justes raisons, que j'apprécie.
Toutefois je me permets d'insister sur ce que je signalais tout à l'heure, à
savoir le fait que nous devons faire face à une véritable aporie : les
opérateurs disent qu'Internet se développera quand l'usage se sera répandu ;
les opérateurs viendront d'eux-mêmes, en quelque sorte.
Mais que répondre quand on nous demande si les nouvelles technologies
permettront d'enrayer le déclin des zones rurales ? Les investissements
technologiques portent avant tout, je le répète, sur les zones déjà
développées, donc équipées et bien dotées en capital humain. On achoppe ici sur
la limite principale de l'allocation des ressources dans un système qui fait de
la compétitivité des territoires le principal critère de répartition : seuls
les territoires les mieux dotés - pour l'instant tout au moins ; mais, à cet
égard, votre réponse est encourageante - peuvent espérer attirer les richesses.
D'où une véritable inquiétude, que j'ai essayé de vous exprimer, et je vous
remercie de l'avoir écoutée.
CONSÉQUENCES
DE LA PROFESSIONNALISATION DE L'ARMÉE
M. le président.
La parole est à M. Gournac, auteur de la question n° 1011, adressée à M. le
ministre des affaires étrangères.
M. Alain Gournac.
Madame le secrétaire d'Etat, je suis persuadé que vous allez pouvoir répondre
à ma question.
Je suis inquiet s'agissant du personnel qui est mis à la disposition de nos
ambassades et de nos consulats. En effet, ce dispositif comprenait un nombre
d'appelés important. C'était d'ailleurs une bonne chose pour eux, car ils
apprenaient à travailler au service de la France à l'étranger et acquéraient
ainsi une première expérience pour se lancer dans la vie.
Or, avec la réorganisation de nos armées et à la suite de la loi du 28 octobre
1997, tout cela n'est plus organisé.
Certes, une phase de transition est prévue jusqu'en 2002. Cependant, je
souhaiterais avoir des précisions sur les conditions dans lesquelles ces
appelés pourront venir travailler dans les ambassades. Je sais bien que la
nouvelle loi offre aux jeunes Français de dix-huit à vingt-six ans la
possibilité d'effectuer un volontariat militaire et que ce dispositif a été mis
en cohérence avec les emplois-jeunes sur le plan de la rémunération. Je
voudrais savoir comment les choses vont s'organiser pour que nos ambassades et
nos consulats puissent bien fonctionner.
Si je pose cette question, madame le secrétaire d'Etat, c'est parce que je
reviens de Géorgie, dans le Caucase, beau pays, que vous connaissez. Mme
l'ambassadeur de France en Géorgie et ses services ne semblent pas savoir
comment les choses vont se dérouler. Cet exemple me fournit l'occasion de vous
demander des informations afin de pouvoir les diffuser. Peut-être M. le
ministre des affaires étrangères pourrait-il veiller à ce qu'elles soient bien
diffusées à nos ambassades et consulats dans le monde entier ? Tel est l'objet
de ma question.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, depuis la création, en
1965, des formes civiles de service national, plus de 150 000 jeunes appelés
ont servi au titre de la coopération : 7 000 d'entre eux environ sont
actuellement encore en poste dans le monde, dont 4 300 en entreprises et 2 700
en administration, dans des établissements d'enseignement, de recherche ou en
coopération. Près de 2 000 d'entre eux relèvent du ministère des affaires
étrangères : 530 sont affectés dans les services ou établissements de
coopération et d'action culturelle, 90 dans les chancelleries diplomatiques,
600 dans le cadre de notre administration ou d'organismes étrangers, 500 en
qualité de chercheurs dans des laboratoires étrangers et 270 au service
d'organisations non gouvernementales, au titre de missions humanitaires.
L'importance de la place de ces jeunes appelés dans notre dispositif de
coopération a conduit le Gouvernement à anticiper les conséquences de la loi du
19 décembre 1996 en mettant sur pied un nouveau système qui est celui du
volontariat civil international destiné à s'y substituer et dont les principes
figurent dans la loi du 14 mars 2000.
Ce volontariat international vise en effet à reconduire toutes les formes
actuelles du service national en coopération, en l'ouvrant à un plus large
public et en l'adaptant aux besoins de la vie civile. Il s'adresse aux jeunes
gens et aux jeunes filles âgés de dix-huit à vingt-huit ans, Français ou
Européens en règle avec les obligations du service national, qu'ils soient
étudiants, à la recherche d'un emploi ou exerçant déjà une activité, de tous
niveaux de formation.
Les missions à l'étranger pourront s'effectuer au sein d'un service de l'Etat,
d'une entreprise, d'une organisation non gouvernementale ou d'un organisme
étranger et durer de six à vingt-quatre mois.
Un centre d'information sur le volontariat international a été créé
conjointement, en octobre dernier, par le ministère des affaires étrangères et
le secrétariat d'Etat au commerce extérieur pour assurer la promotion du
volontariat civil et centraliser les dossiers de candidature. La création assez
récente de cet organisme explique peut-être le défaut d'information que vous
avez pu constater sur le terrain. La promulgation des décrets et des arrêtés
d'application à l'automne dernier a permis de recruter, dès le début de 2001,
les premiers jeunes volontaires. Une vingtaine d'entre eux auront rejoint leur
poste avant la fin de ce mois.
J'espère, monsieur le sénateur, avoir répondu à votre question.
M. Alain Gournac.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Madame le secrétaire d'Etat, je vous remercie de toutes ces informations. Le
centre d'information sur le volontariat international ayant été créé au mois
d'octobre, le message n'était sans doute pas encore passé en décembre.
Toutefois, ce centre étant situé en France, je vous demande de conseiller à
votre collègue chargé des affaires étrangères de rassurer nos ambassadeurs et
nos consuls et de leur indiquer que les choses vont se faire petit à petit.
Vous avez précisé que vingt jeunes volontaires auront rejoint leur poste avant
la fin du mois. Ce n'est pas beaucoup.
Un dispositif est prévu pour nos jeunes âgés de seize ans à vingt-huit ans,
j'en suis heureux. Il est très important que ceux qui le souhaitent puissent
être confrontés aux réalités quotidiennes de la représentation de notre pays à
travers le monde.
Madame le secrétaire d'Etat, les informations que vous m'avez données
répondent à l'inquiétude que j'avais exprimée et je vais m'efforcer de les
diffuser.
SITUATION DES TITULAIRES D'UN DOCTORAT
BÉNÉFICIANT D'UN EMPLOI-JEUNE
M. le président.
La parole est à M. Souvet, auteur de la question n° 1004, adressée à M. le
ministre de l'éducation nationale.
M. Louis Souvet.
Avant de développer ma question, madame la secrétaire d'Etat, je voudrais vous
faire un compliment : j'admire votre éclectisme. Je vous ai en effet entendu
répondre à M. Paul Blanc sur la diminution des effectifs dans les perceptions
rurales, ce qui, comme chacun le sait, relève bien de votre compétence, mais
aussi à M. Jean-Paul Hugot sur l'accès forfaitaire à Internet, à M. René-Pierre
Signé sur les nouvelles technologies, à l'instant, à M. Alain Gournac sur la
professionnalisation des armées, et vous vous apprêtez à répondre sur la
situation des titulaires d'un doctorat occupant un emploi-jeune. Vous l'avez
compris, madame la secrétaire d'Etat, je traduis là notre inquiétude. Les
parlementaires se déplacent pour avoir en face d'eux un interlocuteur au fait
des problèmes. Si la situation de ce matin devait se généraliser, nous
n'aurions plus qu'à envoyer nos assistants, ce qui ne serait pas très
convenable. Je souhaite vraiment que les ministres fassent un effort pour
répondre aux questions pointues que nous leur posons. Il s'agit effectivement
de questions particulières. S'il s'agissait de questions générales, nous les
poserions sous la forme de questions écrites et le tour serait joué.
Cela étant dit, j'en viens à ma question. Madame la secrétaire d'Etat, le
nombre des intéressés - une soixantaine sur le plan national - pourrait inciter
à traiter cette question sur le mode anecdotique. En fait, ce problème résume à
lui seul les limites d'un tel dispositif, ainsi que le double langage du
Gouvernement. Ce qui rajoute à l'absurdité de cette problématique, c'est le
fait que, contrairement à d'autres emplois-jeunes, le Gouvernement a besoin de
l'expérience et du travail de ces titulaires d'un doctorat, notamment pour
aider au fonctionnement des IUFM, les instituts universitaires de formation des
maîtres.
Dès le départ, le Gouvernement savait quelle serait l'issue des emplois
proposés, à savoir un retour sur le marché du travail avec, certes, une
expérience supplémentaire, mais une expérience très spécifique dans le domaine
de l'enseignement, expérience peu en phase avec les attentes des entreprises
privées. Ce marché de dupes, il convient de le dénoncer, a donné de faux
espoirs. Vous êtes bien consciente, madame la secrétaire d'Etat, que la
réorganisation préconisée par vos conseillers - j'aurais dû dire « par vos
conseillers, monsieur le ministre », car c'est bien sûr au ministre de
l'éducation nationale que je m'adresse - vers le secteur privé n'est viable que
sur le papier. Dans la réalité, il s'agit d'une pure chimère. En effet, en
trois ans seuls 2 % des jeunes titulaires d'un doctorat ont réussi par
eux-mêmes cette conversion. Vous savez aussi que le ministère échoue depuis
bientôt quatre mois dans sa promotion forcée des jeunes titulaires d'un
doctorat.
Passé l'effet d'annonce, ne nous occupons pas des conséquences à long terme
pour ces jeunes, tel pourrait être le mot d'ordre ayant présidé à cette mise en
place. « Coïncidence » heureuse, les contrats finiront pour la plupart après
les échéances législatives. Ces jeunes titulaires d'un doctorat vous demandent
des comptes et veulent du concret. Même si la ministre initiatrice du projet
n'est plus au Gouvernement, celui-ci doit assumer les conséquences de ces
actes.
Ces jeunes ont le désavantage d'avoir pour bagage universitaire huit années
d'études au minimum après le baccalauréat et, de surcroît, de ne pas travailler
par exemple pour le ministère de l'intérieur, où les titularisations poseront
moins de problèmes, au grand dam des fonctionnaires suivant un cursus classique
; mais il s'agit là d'un autre problème !
Madame le secrétaire d'Etat, demande au moins à votre collègue de recevoir ces
jeunes docteurs, de ne pas les mépriser compte tenu du travail qu'ils ont
consacré au profit de l'éducation nationale, et d'étudier les propositions
qu'ils formulent.
Ces jeunes titulaires d'un doctorat se proposent de participer au
développement de l'enseignement universitaire à distance,
via
notamment
Internet. Leur mission actuelle au sein des IUFM les a préparés à ce programme.
Cette démarche est innovante et permettrait de réinvestir immédiatement les
compétences des jeunes docteurs tout en offrant à ces derniers une intégration
légitimée par ces compétences requises pour un «
learning
universitaire
».
Il est vrai, madame le secrétaire d'Etat, que leur nombre relativement réduit
ne plaide pas électoralement en leur faveur. Mais si rien n'est fait, ils
représenteront, tout autant qu'ils sont, les conséquences humaines d'un
dysfonctionnement grave d'un système dont la pérennité a été assurée pour
partie par le ministère de l'éducation nationale.
En refusant d'écouter les arguments de ces jeunes docteurs, vous les placez en
porte-à-faux à l'égard de la communauté tout aussi précaire des emplois-jeunes
; vous savez pertinemment, en effet, que la bonne conscience de ces diplômés
les empêche de se désolidariser de leurs camarades dont le niveau d'études est
évidemment très inférieur.
A travers vous, madame le secrétaire d'Etat, je demande donc à M. le ministre
de l'éducation nationale de recevoir personnellement ces jeunes titulaires d'un
doctorat, car, sans son aval, les services ne leur proposeront aucune solution
pérenne.
Vous me permettrez d'ajouter que ce n'est pas le seul problème de ce type.
L'actualité met en effet en relief l'association des médecins nouveau régime
avec diplôme interuniversitaire de spécialisation, le DIS, comme nombre de
médecins ayant suivi leur cursus de formation dans des universités à
l'étranger. Mes collègues et moi-même sommes très fréquemment saisis de
demandes émanant de ces médecins qui, pour des raisons diverses, ne peuvent
exercer. Il serait temps, me semble-t-il, de clarifier les positions.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, M. le ministre de
l'éducation nationale m'a demandé d'apporter à la question que vous venez de
poser la réponse suivante.
Parmi les 70 000 contrats d'emplois-jeunes mis à la disposition du ministère
de l'éducation nationale, ce dernier a décidé de recruter 400 jeunes docteurs
destinés à aider au développement des nouvelles technologies dans les instituts
universitaires de formation des maîtres.
Une centaine de recrutements a été réalisée et soixante-dix jeunes docteurs
toujours en fonction s'inquiètent pour leur avenir au terme de leur contrat de
cinq ans.
Ces recrutements ont été réalisés dans une période de difficulté d'insertion
de certains jeunes docteurs et à un moment où le ministère de l'éducation
nationale voulait développer les NTIC, ou nouvelles technologies de
l'information et de la communication, dans les IUFM.
Cette convergence d'intérêt n'a malheureusement pas rencontré le succès
escompté, puisqu'il n'y a eu qu'une centaine de recrutement parmi les quatre
cents recrutements programmés.
Si la situation des jeunes docteurs présentait des spécificités quant à
l'exercice de leur fonction, ces jeunes sont néanmoins dans la même situation
que tous les emplois-jeunes au regard de leur insertion professionnelle.
La spécificité des jeunes docteurs résidait à la fois dans le montant de leur
rémunération, très supérieur au SMIC, dans la nécessité de posséder un doctorat
dans le domaine des technologies de l'information et de la communication et
dans une définition précise d'activités d'agents de développement des NTIC.
S'agissant de la question de l'insertion professionnelle, les jeunes docteurs
sont, au terme du contrat de cinq ans, dans une situation semblable à celle de
tous les titulaires d'un emploi-jeune puisqu'ils doivent chercher à être
recrutés dans la fonction publique ou dans le secteur privé.
Il est vrai que la quasi-totalité d'entre eux désirerait accéder à
l'enseignement supérieur soit en qualité de maître de conférence, soit en
qualité d'ITARF, ou ingénieur et personnel technique et administratif de
recherche et de formation.
Dans ces deux situations, la procédure est identique : dans un premier temps,
il faut que l'IUFM réserve l'un de ses emplois vacants pour le recrutement d'un
maître de conférence ou d'un ITARF correspondant à la spécialité du jeune
docteur ; dans un second temps, le jeune docteur doit se présenter aux épreuves
de sélection correspondantes.
Au cours de ces dernières années, les IUFM n'ont pas pu dégager les emplois
qui auraient permis de réaliser le recrutement de ces jeunes docteurs.
Il n'existe pas dans la fonction publique, en particulier dans l'enseignement
supérieur, de mesure de titularisation automatique comme pourraient le
souhaiter les jeunes docteurs.
Il est donc indispensable que les jeunes docteurs diversifient les recherches
d'emplois qu'ils sont amenés à conduire. Pour les aider, le ministère de
l'éducation nationale noue actuellement des contacts avec le syndicat
professionnel Syntec qui regroupe les sociétés d'informatique et les sociétés
de conseil. Il s'agit d'entreprises qui recrutent des personnels de haut
niveau.
Par ailleurs, la pénurie de main-d'oeuvre dans le domaine informatique devrait
constituer un élément très favorable à l'insertion de ces jeunes. Ceux-ci
possèdent en effet, en plus d'un doctorat, une expérience de plus de trois ans
dans le domaine informatique qu'ils devraient pouvoir valoriser auprès des
entreprises de ce secteur professionnel. Le ministère de l'éducation nationale
mettra tout en oeuvre pour accompagner ces démarches.
M. Louis Souvet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet.
Je tiens à vous remercier de votre réponse, madame le secrétaire d'Etat.
Néanmoins, je soulignerai que vous avez tenu exactement les propos que j'ai
développés dans ma question, à savoir que ces jeunes ont une formation
tellement spécifique qu'ils ne peuvent pas trouver un emploi dans le secteur
privé et que, par ailleurs, les IUFM n'ont pas pu dégager les emplois
nécessaires pour les employer.
J'ai bien entendu que, pour les aider, le ministère de l'éducation nationale
avait noué des contacts avec le syndicat professionnel Syntec et était prêt à
consentir des efforts. Je le souhaite vivement, car ce serait un comble que des
diplômés ayant fait des études d'un tel niveau - ce sont des docteurs ! -
soient sans emploi et restent affectés à des emplois-jeunes longtemps encore.
Ce serait vraiment, me semble-t-il, la faillite d'un système. Je compte donc
beaucoup sur le ministère de l'éducation nationale pour apporter une solution à
leur problème.
REMISE EN CIRCULATION
DU TUNNEL DE SAINTE-MARIE-AUX-MINES
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, auteur de la question n° 1021, adressée
à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Jean-Louis Lorrain.
La loi des séries ayant récemment frappé avec les incendies de tunnels - celui
du Mont-Blanc, le 24 mars 1999, et celui de Tauen en Autriche, le 29 mai
suivant -, une enquête a conclu que certains tunnels, dont celui de
Saint-Marie-aux-Mines, présentaient trop de risques et devaient être fermés à
la circulation des poids lourds.
Cette décision a entraîné un certain nombre d'inconvénients, dont les
principaux sont la gêne occasionnée aux riverains par le flux des camions sur
des routes voisines et la croissance exponentielle de la circulation sur la RN
415 - le col du Bonhomme -, la RN 59 - Sainte-Marie-aux-Mines - et la RN 420 -
vers Schirmeck. Il est d'ailleurs fréquent de restreindre ou d'interdire de
jour et/ou de nuit le passage dans certains cols, obligeant voitures
particulières et poids lourds à des détours astreignants.
Deux solutions se présentent aux décideurs : soit la construction d'un second
tunnel chiffrée à 2 milliards de francs, soit la construction d'une galerie de
sécurité servant de passage technique et d'évacuation des usagers, évaluée
entre 400 millions de francs et 700 millions de francs, suivant les options
choisies.
Le concessionnaire du tunnel, la SAPRR, ou société des autoroutes
Paris-Rhin-Rhône, les collectivités territoriales concernées, c'est-à-dire les
régions Alsace et Lorraine, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, les Vosges et la
Meurthe-et-Moselle, ainsi que l'Etat y participeraient. Mais la clé de
répartition est toujours en attente et le poids des contraintes pour les
usagers riverains comme pour les transporteurs routiers se fait de plus en plus
lourd à supporter.
Le quotidien
L'Alsace
du 6 février dernier rapportait que la direction
des routes du ministère a souligné que « près de 600 millions de francs de
travaux vont être engagés » pour la réalisation de la galerie parallèle
d'évacuation du tunnel.
Les Dernières Nouvelles d'Alsace
du 25 février
stipulait
via
le secrétaire d'Etat à l'industrie, M. Pierret, qui
connait bien la région, qu'un « calendrier des modalités de réalisation et des
propositions de financement » serait proposé au printemps.
Cette négociation de répartition était déjà annoncée pour décembre 2000. Elle
n'a toujours pas eu lieu et nous redoutons les 250 millions de francs par an
d'impact économique, ajoutés aux nuisances sur les routes - les bandes d'arrêt
d'urgence dans la descente des cols du Bonhomme et de Sainte-Marie-aux-Mines
sont toujours en attente -, nuisances que la population dénonce, on le
comprend, avec de plus en plus de véhémence.
Comme l'avait déjà remarqué le député Marc Dumoulin dans son intervention
d'octobre 2000, le rôle stratégique de cette traversée centrale des Vosges
implique des responsabilités : est-il concevable d'indemniser les entreprises
pénalisées par la fermeture du tunnel ?
Quand donc verrons-nous, monsieur le ministre, le « bout du tunnel »
(sourires)
pour cette opération ? A quelles dates prendrez-vous, avec
votre ministère, une décision quant à la clé de répartition des financements -
je suis responsable des finances du département du Haut-Rhin, et je m'interroge
fortement à cet égard - et quand débuteront ces travaux que nous attendons ?
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, je voudrais tout
d'abord vous demander de bien vouloir excuser l'absence de M. Jean-Claude
Gayssot, qui est aujourd'hui à Berlin pour des entretiens avec son homologue
allemand, M. Bodewig, sur un certain nombre de dossiers relatifs à la
construction de l'Europe des transports. M. le ministre de l'équipement, des
transports et du logement m'a donc demandé de vous communiquer la réponse qu'il
a préparée à votre intention.
Le Gouvernement a décidé de faire effectuer la mise en sécurité du tunnel
Maurice-Lemaire, à Sainte-Marie-aux-Mines. Il a prévu d'assurer sa réouverture
aux poids lourds dans les délais les plus courts permis par les études et les
procédures.
M. Gayssot a examiné les différentes solutions techniques que vous avez
d'ailleurs évoquées. Dès l'automne 2000, il a retenu le choix de la réalisation
d'une galerie parallèle au tunnel pour faciliter une éventuelle évacuation et
permettre d'améliorer la ventilation et l'extraction des fumées.
Conformément aux engagements pris de favoriser un début rapide des travaux de
réparation du tunnel, la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône,
concessionnaire de l'ouvrage, a présenté un planning calé au plus serré pour
répondre à cet objectif.
Les études détaillées sont en cours et le ministre de l'équipement, des
transports et du logement donne rendez-vous aux élus des régions concernées
dans les prochaines semaines pour leur présenter les travaux envisagés,
assortis du calendrier et des modalités de leur réalisation. Les élus seront
également consultés sur le plan de financement des importants travaux à
réaliser dont le coût, de l'ordre de 700 millions de francs, est proche de
celui que vous indiquiez, mais tout de même supérieur de 100 millions de
francs.
D'ici là, des dispositions seront prises comme l'hiver dernier, lorsque le col
de Sainte-Marie-aux-Mines était bloqué par la neige : des convois sécurisés de
poids lourds locaux pouvaient alors emprunter le tunnel, sous escorte.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement est conscient de
l'importance du tunnel Maurice-Lemaire pour les populations et l'activité des
vallées qu'il relie, et qu'il fera tout son possible pour une réouverture
rapide et en toute sécurité.
M. Jean-Louis Lorrain.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, je dois avouer que je suis profondément déçu.
J'aurais pu exposer ce problème lors d'une séance de questions d'actualité au
Gouvernement. Mais je m'y suis refusé compte tenu de l'aspect « spectacle » de
ces séances. J'ai donc privilégié la formule des questions orales, mon objectif
étant d'être sérieux et d'obtenir des réponses sérieuses et directes.
Madame le secrétaire d'Etat, j'apprécie le fait que vous vous soyez déplacée
et que vous ayez pris sur votre temps pour me répondre.
Je note néanmoins que, lorsque j'ai interrogé pour la première fois M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement - la question portait
alors sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse -, il n'était pas présent dans
l'hémicycle pour me répondre.
Aujourd'hui, s'agissant d'une question sur le tunnel de
Sainte-Marie-aux-Mines, M. le ministre, très occupé, est encore absent.
Je lui ai adressé une troisième question, sur le TGV Rhin-Rhône. Quand cette
dernière sera inscrite à l'ordre du jour, les choses seront vraisemblablement
les mêmes : M. le ministre sera absent !
Une telle situation finit par être pénible !
Tout ce que vous m'avez dit, madame la secrétaire d'Etat, je le savais ! Nous
dire simplement que l'on s'occupe de nous et qu'un calendrier nous sera
présenté dans les prochaines semaines n'est pas la réponse que j'attendais.
Je voulais aussi savoir quelle part vous prévoyiez de demander aux
collectivités locales. Vous me dites que le coût des travaux sera supérieur de
100 millions de francs au chiffre que j'avais indiqué. Cela veut donc dire que
les collectivités locales devront participer encore un peu plus !
M. Nicolas About.
Très bien !
M. Jean-Louis Lorrain.
S'agissant du calendrier, nous aurions eu le temps, depuis le mois d'octobre,
de fixer des échéances. Mais il y avait bien sûr les élections !
Dire que l'on s'occupe de nous, c'est très bien, et je veux bien le croire !
Mais, j'y insiste : nous ne pouvons plus nous suffire, dans l'Est, de réponses
courtoises et bienveillantes !
CONCESSION DE TERRAIN FAITE PAR LA SNCF À UNE ENTREPRISE PRIVÉE DE CONCASSAGE
INDUSTRIEL SUR LA COMMUNE DE MONTIGNY-LE-BRETONNEUX (YVELINES)
M. le président.
La parole est à M. About, auteur de la question n° 1027, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Nicolas About.
Permettez d'abord à un ancien médecin des cheminots de regretter de ne pas
pouvoir s'adresser au ministre cheminot pour lui parler de la SNCF !
Le 9 janvier dernier, la SNCF a annoncé que, pour la première fois depuis plus
de quinze ans, tous ses comptes seraient positifs à l'issue de l'exercice 2000.
M. Louis Gallois, son président, s'est même félicité d'avoir vécu une « année
de croissance historique ».
Or, parallèlement, la SNCF continue, pour se faire un peu d'argent, de
concéder les terrains qu'elle possède le long des voies - qu'elle n'utilise
plus - à des entreprises privées qui mènent des activités bien peu compatibles
avec ce que l'on est en droit d'attendre d'un tel service public et sans aucun
rapport avec les activités de la SNCF.
Ainsi, la société Ypréma, implantée sur la commune de Montigny-le-Bretonneux,
dans les Yvelines, exploite un centre de recyclage de matériaux de démolition
sur un terrain qui se trouve le long des voies ferrées, au coeur de la
ville.
A aucun moment le concessionnaire public ne s'est interrogé sur les risques
sanitaires que cette société faisait courir à la population en acceptant une
telle activité industrielle sur ses propres terrains. Sait-on si, parmi les
milliers de mètres cubes de poussières et de particules générées dans
l'atmosphère - je tiens à la disposition de M. le ministre un certain nombre de
clichés photographiques - aucun résidu d'amiante ou de produits toxiques n'a
jamais été dispersé, au gré des vents, jusqu'aux habitations voisines, depuis
de si longues années ? Je vous rappelle qu'il s'agit de matériel de
démolition.
En tant que maire de cette commune, en attendant l'arrêt dans les plus brefs
délais de cette activité, je réclame la visite immédiate des services de santé
et d'hygiène sur les lieux de cette exploitation. Il est impératif que des
prélèvements soient effectués dans l'air ou dans les matériaux stockés, afin
d'évaluer en toute impartialité les nuisances et les risques sanitaires que
cette activité industrielle fait courir aux populations riveraines. Et je ne
parle pas des poussières.
Ma question est simple : est-il normal, madame la secrétaire d'Etat, qu'en
dépit d'un tel excédent financier une entreprise publique continue de gagner de
l'argent en louant ses terrains à une entreprise privée de concassage
industriel, en plein coeur de ville, au mépris des pollutions atmosphériques
que ces activités sont susceptibles d'engendrer pour la population, sans même
s'inquiéter des retombées qu'elles peuvent avoir sur la santé publique de nos
concitoyens ?
Que comptez-vous faire, madame le secrétaire d'Etat, pour obtenir de la SNCF
la fermeture de ce site de concassage dans les délais les plus brefs ?
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, comme je viens de le
faire pour votre collègue, je vous communique la réponse de M. Gayssot, dont je
rappelle qu'il est en voyage officiel auprès de son homologue allemand pour
parler de l'Europe des transports. La question des tunnels et des trafics de
part et d'autre de la frontière, notamment, ne devrait pas laisser insensibles
nos collègues alsaciens et vosgiens.
Votre question, monsieur le sénateur, reprend les termes d'une question écrite
que vous aviez déposée au mois d'octobre 1999, me semble-t-il.
M. Nicolas About.
Et que je reposerai l'année prochaine !
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
secrétaire d'Etat.
Le ministre de l'équipement, des transports et du
logement rappelle que la société Ypréma est concessionnaire depuis 1992 de ce
terrain qui relève du domaine public ferroviaire. Elle y dépose des matériaux
de construction recyclés, après un tri sélectif.
Il convient de signaler que la concession de terrains ferroviaires est
couramment pratiquée par la SNCF dans le cadre de la gestion du patrimoine qui
lui a été confié. Comme toute entreprise, la SNCF s'efforce de valoriser son
patrimoine, afin de dégager les ressources nécessaires à son développement et
notamment de financer l'acquisition de locomotives qui lui font cruellement
défaut actuellement du fait de la croissance importante de trafic qu'elle
connaît.
Bien évidemment, il va de soi que la société Ypréma relèverait de la
législation sur les installations classées dans l'hypothèse où son activité
serait à l'origine de nuisances graves pour l'environnement. Il revient en
effet au système des installations classées de veiller, quels que soient le
propriétaire ou le lieu d'implantation d'une activité, à ce qu'elle soit
conforme aux règles de l'environnement, de la santé et de l'hygiène de nos
concitoyens.
A cet égard, la SNCF, que M. Gayssot a interrogée, lui a confirmé que la
société Ypréma se conforme aux conditions générales d'occupation d'emplacement
de fret, lesquelles rappellent, notamment, le caractère préalable de la
procédure d'autorisation au titre des installations classées que je viens
d'évoquer.
En toute hypothèse, la SNCF a indiqué à M. Gayssot qu'elle demeurait attentive
à l'utilisation qui est faite de ce terrain.
M. Nicolas About.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Madame le secrétaire d'Etat, je tiens à dire sans passion la honte que
m'inspire votre réponse.
En effet, en 1992, la société Ypréma s'est implantée à Montigny-le-Bretonneux
pour faire du stockage, et ce n'est qu'en 1998 que, subrepticement, le
concassage a commencé sur ce site, si bien qu'un nuage de poussière s'étend sur
notre commune.
Le profit ne peut tout justifier !
Et ce n'est pas pour construire des locomotives que la SNCF se met à
concasser, par exemple, des éléments de récupération de routes au coeur de nos
villes. Il ne faut pas se moquer du monde ! On ne peut accepter de telles
réponses de la part d'un gouvernement ! Quel mépris pour les citoyens d'une
ville nouvelle considérée comme une réalisation d'intérêt national que
l'implantation d'une société de concassage qui dégage des poussières polluantes
!
La SNCF est le premier propriétaire foncier de France. Elle a acheté ces
terrains grâce aux impôts, c'est-à-dire grâce à l'argent des Français, des
habitants de ces communes.
La SNCF a uniquement pour mission de transporter des personnes et non
d'organiser la pollution de nos cités.
Le ministre est comptable des réponses qu'il apporte. Je réitérerai ma
question, afin d'obtenir une autre réponse digne d'un ministre.
FINANCEMENT DU RÉSEAU D'EAU POTABLE
M. le président.
La parole est à M. Piras, auteur de la question n° 1015, adressée à M. le
ministre de l'intérieur.
M. Bernard Piras.
Je souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le
financement du réseau d'eau potable.
La plupart des collectivités distributrices d'eau potable, syndicats
intercommunaux ou communes, ont recours à la perception d'un droit fixe de
branchement en accueillant les nouveaux abonnés.
La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies fait part,
dans sa lettre n° 161, d'une décision du Conseil d'Etat mettant en cause le
versement d'un droit de branchement à l'occasion d'un nouveau raccordement au
réseau de distribution d'eau potable.
Les collectivités publiques, dès les années cinquante, ont entrepris une
oeuvre considérable en dotant les milieux ruraux de réseaux d'eau potable.
Certes, des subventions des pouvoirs publics ont été obtenues, mais la majeure
partie de ces importants investissements a été assurée par des emprunts à long
terme. Le principe des droits de branchement est alors apparu comme une
obligation pour honorer la charge de la dette.
A ce jour, ces collectivités se trouvent encore lourdement endettées. Par
ailleurs, elles doivent faire face à ce coûteux investissements pour se
conformer dans les meilleurs délais aux normes européennes.
La perte éventuelle de la ressource des droits de branchement entraînerait une
augmentation substantielle du prix de l'eau et ferait ainsi supporter aux
abonnés, ayant déjà financé cette partie de l'investissement, une deuxième
contribution, ce qui paraît injuste et violerait le principe de l'équité des
usagers devant le service public.
Il est à noter que l'article L. 35-4 du code de la santé publique autorise la
perception d'un droit de branchement pour le raccordement aux réseaux d'eaux
usées.
L'application de cette même mesure aux réseaux d'eau potable semble découler
de la même politique. S'il en est autrement, on peut redouter de graves
conséquences sur les équilibres financiers et les projets d'investissement des
collectivités distributrices d'eau potable.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de me faire part de votre
sentiment sur ce problème.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le sénateur, votre question me
permet en effet de rappeler, au nom du Gouvernement, un certain nombre de
points de droit concernant le financement de l'adduction d'eau potable. Ces
indications sont utiles à la fois à nos concitoyens et à nos collectivités.
L'arrêt du Conseil d'Etat que vous citez dans l'énoncé de votre question
rappelle, effectivement, que l'extension des réseaux d'eau potable ne peut
donner lieu au versement d'un droit de branchement forfaitaire.
S'agissant de constructions existantes, le financement de ces travaux relève
du budget annexe du service de distribution d'eau, puisque l'extension du
réseau est réalisée sur l'initiative de la collectivité locale ou du maître
d'ouvrage délégué.
Compte tenu de son caractère d'équipement public, l'extension du réseau ne
constitue pas une prestation pouvant légalement donner lieu à l'institution
d'une redevance pour services rendus. Toutefois, les propriétaires intéressés à
la réalisation des travaux peuvent, s'ils le souhaitent, s'engager à verser une
contribution financière grâce à la technique de l'offre de concours.
La liste des contributions exigibles pour le financement d'un réseau d'eau
potable revêt un caractère limitatif. Il ne peut en être exigé d'autres. Aucun
texte, en effet, n'autorise une collectivité à percevoir un droit de
branchement forfaitaire pour le raccordement des immeubles au réseau, à
l'instar de ce qui existe pour l'assainissement.
Aussi, la décision par laquelle une commune aurait instauré des contributions
ne répondant pas aux prescriptions du code de l'urbanisme me semble-t-elle
dénuée de base légale.
En revanche, s'agissant de l'extension des réseaux de distribution d'eau
induite par des projets de constructions nouvelles, le code de l'urbanisme
prévoit plusieurs dispositifs de participation au financement.
En effet, il relève des dispositions de la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbains du 13 décembre 2000 que le conseil municipal peut
instituer une participation pour le financement de tout ou partie des voies
nouvelles et des réseaux réalisés pour permettre l'implantation de nouvelles
constructions. Ainsi, ce dernier arrête par délibération, pour chaque voie
nouvelle et pour chaque réseau réalisé, la part du coût des travaux mise à la
charge des propriétaires riverains.
S'agissant des voies et réseaux compris dans les programmes d'équipements
d'une zone d'aménagement concerté ou dans les programmes d'aménagement
d'ensemble tels qu'ils sont visés au code de l'urbanisme, la participation que
je viens d'évoquer ne sera pas due. Dans ces situations, ce sont les
constructeurs qui ont à assurer le financement de la totalité des équipements
publics rendus nécessaires par un ensemble de nouvelles constructions, quelle
que soit la localisation de ces équipements.
J'espère, monsieur le sénateur, avoir pu contribuer à éclaircir ces questions
complexes et délicates pour l'ensemble des élus locaux.
M. Bernard Piras.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne suis pas pleinement satisfait. Pour tout
vous dire, c'est la deuxième fois que je pose la question et que la même
réponse m'est faite.
Si l'on ne clarifie pas la situation, les collectivités locales
concessionnaires des réseaux d'eau vont connaître des difficultés. Je souhaite
donc que le ministère de l'intérieur intervienne, de façon que les
collectivités locales puissent assumer le remboursement de leurs
investissements. Sinon, elles risquent d'être mises en cessation de paiement et
de se voir contraintes d'augmenter les tarifs du mètre cube d'eau de façon
excessive, ce qui serait préjudiciable à l'usager.
SITUATION DES LOCATAIRES TAXIS
M. le président.
La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 1016, adressée à M. le
ministre de l'intérieur.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est la troisième fois
que, moi aussi - décidément, ce matin, tout le monde se répète - j'interpelle
le Gouvernement au sujet de l'exploitation extrême subie par les locataires
taxis.
Au début de 1998, les parlementaires de mon groupe ont déposé une proposition
de loi relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession
d'exploitant de taxi. Cette proposition prévoit deux modes d'exploitation des
taxis seulement : ou par le propriétaire ou par le salarié. Elle élimine donc
le système de la location que tous qualifient d'hybride et qui est pourtant
fréquent à Paris et à Lyon, puisqu'il concerne 6 000 chauffeurs parisiens sur
un total d'environ 16 000.
Or, la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 décembre 2000 - c'est donc assez
récent - qui se fonde sur le principe de réalité, c'est-à-dire sur la
reconnaissance du lien de subordination qui existe dans tous les contrats de
location entre le loueur et le locataire quoi qu'en disent les patrons de
taxis, requalifie en contrat de travail un contrat de location de véhicule
équipé taxi.
Cet arrêt de la Cour de cassation conforte donc notre analyse, à savoir qu'il
faut abolir un système quasi féodal qui, étant donné le niveau de la redevance
- plus de 16 000 francs par mois - conduit les locataires à travailler sept
jours sur sept et douze à treize heures par jour, au mépris de la sécurité et
de la réglementation pour espérer gagner leur vie, et ce en général de façon
très médiocre.
De plus, le contrat de location aboutit à exonérer le loueur de toutes les
responsabilités qu'un employeur normal devrait assumer et à priver le
locataire, qui n'est ni salarié ni artisan ni travailleur indépendant, de tout
droit social. Lors de la rupture du contrat, il ne peut prétendre ni à
indemnités ni à allocations chômage et, lorsqu'il travaille, il ne peut exiger
ni repos hebdomadaire ni congés payés.
Je dois dire que ce système d'exploitation était déjà en oeuvre au début du
siècle et au cours de la grande grève de taxis de 1911-1912 - je vous renvoie à
la lecture des
Cloches de Bâle
d'un certain Louis Aragon. Il a été aboli
par le Front populaire, puis rétabli en 1973 par la droite et consacré, en
1995, par Charles Pasqua, alors ministre de l'intérieur.
J'émets le voeu que le changement d'ère à Paris et à Lyon s'accompagne de
certaines mesures significatives, dont l'abolition de la location fait à mon
avis partie.
C'est pourquoi, sans être particulièrement attachée à notre proposition de
loi, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement et savoir s'il va
suivre l'arrêt de la Cour de cassation pour s'acheminer vers l'abolition -
peut-être définitive cette fois-ci - d'un système d'exploitation d'un autre
siècle.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Madame la sénatrice, j'espère que la
réponse du Gouvernement permettra cette fois-ci de satisfaire quelques-unes des
attentes que vous avez très justement exprimées ce matin.
A la suite de l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 décembre 2000 qui
requalifie, en contrat de travail, un contrat de location d'un véhicule équipé
taxi, vous souhaitez - vous avez rappelé qu'il s'agit d'un débat ancien - que
la situation des locataires de taxis soit réexaminée.
Il convient tout d'abord de rappeler au Sénat que la location, forme reconnue
d'exercice de la profession, est un système hybride qui présente néanmoins
certains avantages tels que l'autonomie complète, la libre disposition du
véhicule. C'est pourquoi nombre de chauffeurs locataires non titulaires d'une
autorisation de stationnement le préfèrent au salariat.
Toutefois, il est prévu d'encadrer de façon très stricte ce type de location.
Le ministère de l'intérieur s'est donc attaché, au cours des dernières années,
à ce qu'un contrat-type soit élaboré dans le cadre de nombreuses réunions de
travail entre l'administration et les organisations représentatives de loueurs
et de locataires.
Ce contrat-type a été envoyé par circulaire à tous les préfets pour diffusion
auprès des maires sans constituer un document juridiquement contraignant. Le
ministre de l'intérieur a souhaité que l'autorité qui délivre une autorisation
de stationnement gérée sur un mode locatif s'inspire de ce modèle pour délivrer
cette autorisation.
Les principales sources d'insécurité que pouvaient ressentir certains
chauffeurs et dont vous vous êtes fait justement l'écho ce matin ont été
réglées par ce contrat-type.
En effet, l'aspect précaire des contrats mensuels a été supprimé, la durée
minimale étant d'un an. Certains loueurs concluent même avec leurs locataires
des contrats de trois, voire de quatre ans alignés sur la durée de vie présumée
du véhicule. Les craintes des locataires de voir les tarifs de location
s'accroître alors que l'activité ne progresse que modestement sont écartées,
l'ajustement de la redevance étant calculé proportionnellement aux indices
INSEE relatifs à l'achat de véhicules automobiles et au taux horaire de
main-d'oeuvre.
De nombreuses autres mesures favorables aux locataires ont été introduites,
telles que le mois de gratuité annuel à titre de prime de fidélité et la mise à
disposition obligatoire d'un véhicule de remplacement en cas d'immobilisation
du véhicule principal avec paiement d'indemnités journalières par le loueur qui
ne s'acquitterait pas de cette obligation dans les cinq jours.
Enfin, et c'est essentiel, la résiliation de ces contrats ne peut intervenir
que pour des motifs graves : retrait du permis de conduire ou de la carte
professionnelle, conduite en état d'ivresse, non-paiements importants et
récurrents des sommes dues, excès de sinistres, tous motifs qui conduiraient
d'ailleurs un artisan à cesser son activité.
Les éléments ayant fondé la démarche de requalification par la Cour de
cassation ne figurent pas dans le contrat-type ainsi élaboré et dans les
nouveaux contrats de location signés en 1997 par la plus importante société de
taxis et par la chambre syndicale des loueurs d'automobiles avec plusieurs
organisations syndicales représentatives des taxis. Ces derniers ne paraissent
pas normalement visés par l'arrêt de la Cour de cassation.
J'espère, madame la sénatrice, avoir contribué, sinon à apaiser toutes vos
craintes - et plusieurs sont légitimes - du moins à vous indiquer que le
Gouvernement souhaite oeuvrer utilement pour cette profession.
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le secrétaire d'Etat, cette réponse ne me satisfait pas entièrement,
d'autant plus que je sais que les loueurs sont souvent soumis à de fortes
pressions et qu'en général ils sont surexploités - mais je n'en dirai pas
plus.
Je relève que le contrat dont vous avez parlé n'est pas contraignant et qu'il
ne met pas fin à un système complètement hybride.
Or, la revue
Le droit et les juges
a souligné qu'au-delà du cas
d'espèce c'est l'ensemble des faux travailleurs indépendants - parce que c'est
cela la réalité - qui sont visés par l'arrêt de la Cour de cassation. Il
faudrait donc essayer de ne pas décevoir l'espoir qu'a fait naître la
jurisprudence s'agissant de situations qui sont absolument anormales.
J'ajoute que si l'on clarifiait le statut juridique de ces chauffeurs de taxi,
s'ils devenaient des salariés, par exemple, cela créerait des emplois. Il
faudrait des chauffeurs relais puisque les chauffeurs de taxi travaillent
beaucoup trop dans la journée et sur l'année. Clarifier leur statut juridique
permettrait également de leur assurer une couverture sociale et de faire entrer
des cotisations dans les caisses de la sécurité sociale et de l'UNEDIC. Ces
modifications sont d'autant plus envisageables que, à l'heure actuelle, les
loueurs réalisent des profits assez considérables.
DÉLINQUANCE ET DÉPÉNALISATION DU CANABIS
M. le président.
La parole est à M. Donnay, auteur de la question n° 1022, adressée à M. le
ministre de l'intérieur.
M. Jacques Donnay.
Je souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la
situation de la délinquance dans le département du Nord et sa possible
évolution, après la dépénalisation du cannabis en Belgique.
En effet, la récente publication des chiffres de la délinquance en France,
pour l'année 2000, soulèvent de nombreuses inquiétudes.
Le Nord - Pas-de-Calais n'échappe pas à la tendance nationale et affiche des
pourcentages parfois étonnamment élevés. Lille accuse une recrudescence de la
délinquance de 3,31 %, Roubaix de 6,62 %, Tourcoing de 7 %, Douai de 4 %,
Dunkerque de 2,32 %, Valenciennes de plus de 2 % et Cambrai de 5 %.
Dans ce contexte, il est à craindre, au lendemain de l'annonce de la
dépénalisation de l'usage du cannabis en Belgique, que l'exemple belge ne tarde
pas à avoir une influence certaine sur les deux maux nordistes très présents :
la délinquance croissante des mineurs et le trafic des stupéfiants.
Le Nord était déjà l'une des régions les plus touchées par ce dernier
phénomène en raison de sa proximité avec le marché libre des Pays-Bas, qui
n'est situé qu'à 100 kilomètres du département. Que va-t-il désormais en être
puisque l'offre va incontestablement croître avec le cannabis qui circulera
librement de l'autre côté d'une frontière avec la Belgique de 200 kilomètres,
qui, pratiquement, n'existe pas ?
Inéluctablement, cette nouvelle situation va entraîner une augmentation des
trafics générateurs d'économie souterraine, une augmentation des trafics de
stupéfiants, une augmentation des phénomènes de violence et, plus généralement,
une montée de la délinquance dans les villes, les milieux périurbains et les
zones rurales.
En conséquence, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, face au risque
d'une telle spirale et d'une montée en puissance de la délinquance dans le
département du Nord, quel plan d'action vous entendez mettre en oeuvre.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le sénateur, tout d'abord je
tiens à souligner que l'évolution de la délinquance dont vous faites état pour
le département du Nord au cours de l'année 2000 doit être appréciée
objectivement. Nous verrons ensuite bien sûr comment le Gouvernement entend y
répondre.
Si les faits constatés dans les grandes villes du département ont légèrement
augmenté, les infractions de voie publique ont nettement régressé au sein de
ces agglomérations durant la même période. On enregistre une diminution de 5 %
à Roubaix, de 13 % à Douai, de 6 % à Valenciennes et de 6 % à Cambrai.
Il en va de même en matière de stupéfiants : certes, le département du Nord a
enregistré en 2000 une hausse de l'ordre de 5 % des faits constatés, mais les
services de police ont mis en oeuvre de nouveaux modes d'action pour lutter
plus efficacement contre ces fléaux.
Ainsi, les opérations d'envergure contre le trafic organisé sont allées de
pair avec le développement de l'occupation de la voie publique par les
policiers en tenue, afin de ne laisser aucun répit aux dealers et aux
trafiquants.
L'activité déployée par les services de sécurité publique du Nord a permis, au
cours de l'année 2000, de procéder à de nombreuses saisies de produits
stupéfiants et de récupérer plus d'un million de francs provenant de ces
commerces illicites.
De même, pour lutter contre les trafics itinérants dans le cadre de la
coopération Schengen, des opérations ponctuelles sont mises en place aux
frontières, sur des axes déterminés, par les services de la police française -
police judiciaire et sécurité publique -, les services de la gendarmerie
nationale et leurs homologues belges et hollandais, auxquels sont associés les
services des douanes. Régulièrement, les contrôles opérés aboutissent à des
saisies.
Parallèlement, l'action de prévention des services de police du Nord s'est
développée et la campagne de prévention au sein des établissement scolaires a
été particulièrement intensifiée.
Quant à la politique menée en Belgique en matière de stupéfiants, il convient
de préciser que la légalisation de la vente ou de la production n'a pas eu,
pour l'heure, de traduction législative. De plus, cette proposition ne fait pas
l'unanimité chez nos voisins : le projet pourrait, en effet, se révéler en
contradiction avec les conventions internationales ratifiées par la Belgique en
matière de stupéfiants.
S'agissant de la lutte contre la délinquance des mineurs, les Conseils de
sécurité intérieure des 8 juin 1998 et 30 janvier 2001 ont défini les grandes
lignes des mesures destinées à assurer une présence effective dans les
quartiers et les lieux sensibles, de nature à lutter contre l'impunité, à
améliorer la prise en charge des mineurs délinquants et à instituer le
partenariat avec les différents acteurs de la sécurité au travers des contrats
locaux de sécurité qui réunissent en effet les services de l'Etat, mais aussi -
c'est indispensable - les collectivités locales.
Sur le plan opérationnel, les circonscriptions de sécurité publique du
département du Nord disposent de sept brigades des mineurs opérant au sein des
services d'investigation.
Dans chacune des circonscriptions, un correspondant local « police-jeunes » a
été désigné. Son action est coordonnée, au niveau départemental, par un «
référent-jeunes ». Ces policiers ont pour mission d'être les interlocuteurs
privilégiés des jeunes au sein de chaque service et d'assurer, par le recueil
d'informations, mais aussi par le dialogue avec les différents partenaires, la
mise en oeuvre d'actions ciblées ou personnalisées dans la lutte contre la
délinquance des mineurs. Ce dispositif permet une meilleure individualisation
et une plus grande rigueur du suivi judiciaire, éducatif et social des mineurs
délinquants, notamment des récidivistes, grâce à la transmission d'une
information plus complète aux magistrats.
Enfin, j'ajoute que, pour assurer une action éducative continue auprès des
jeunes du département, quatre centres de loisirs ont été mis en place par la
sécurité publique dans les communes de Dunkerque, Grande-Synthe, Petite-Synthe
et Valenciennes ; ils ont accueilli, en 2000, cinq cent quatre-vingt treize
jeunes issus des quartiers sensibles.
Au travers de ces informations, monsieur le sénateur, je souhaitais, si besoin
était, vous rassurer sur l'ampleur du dispositif mobilisé par le ministre de
l'intérieur et par les représentants de l'Etat dans le département du Nord pour
lutter, avec beaucoup de ténacité, contre toutes les formes de délinquance que
vous avez rappelées.
M. Jacques Donnay.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Donnay.
M. Jacques Donnay.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous sommes néanmoins très inquiets. Une étude de l'observatoire régional de
la santé publiée récemment, en octobre 2000, précisait qu'un jeune de moins de
vingt-cinq ans sur deux s'était déjà vu proposer du cannabis et qu'un sur cinq
en avait consommé.
De plus, on peut, malheureusement, craindre une augmentation de ces
proportions, car - vous le savez - la Belgique est en train de copier quelque
peu les Pays-Bas, ce qui est naturellement très dommageable.
J'admets volontiers que l'action menée par le préfet du Nord, qui prend
conscience de cette dérive, est bénéfique. Il m'apparaît cependant qu'il
faudrait augmenter les actions de prévention et, surtout, développer
l'information de façon substantielle.
RECOURS EXCESSIF À LA PROCÉDURE
DE MISE À DISPOSITION DES AGENTS PUBLICS
M. le président.
La parole est à M. Oudin, auteur de la question n° 1020, adressée à M. le
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le ministre, je me permets d'attirer votre attention sur le recours
excessif à la procédure de mise à disposition d'agents publics par nos
administrations - je précise : toutes nos administrations.
Cette pratique a été facilitée par les lois des 11 et 26 janvier 1984, du 9
janvier 1986 et du 26 juillet 1991, qui, au demeurant - je l'indique sans
esprit polémique - sont toutes l'oeuvre de gouvernements socialistes.
Cette pratique est un obstacle majeur à la transparence des comptes publics et
à la connaisance des effectifs de la fonction publique.
Les personnes concernées sont réputées occuper un emploi dans une
administration ou un établissement public, alors qu'en fait elles exercent
leurs fonctions dans un autre organisme, qu'il soit de statut public ou
privé.
Les administrations ou établissements publics d'origine continuent à les
rémunérer, le plus souvent sans bénéficier de contreparties financières. Leurs
moyens d'action sont donc diminués d'autant, alors même qu'ils ont, à leur
demande, bénéficié de dotations budgétaires ou obtenu des ressources
financières pour assurer des missions qu'ils ne remplissent pas.
Quant aux organismes ou administrations bénéficiaires, ils disposent ainsi de
moyens supplémentaires qui échappent à tout le moins au contrôle du
législateur.
La pratique des mises à disposition fausse donc de façon particulièrement
grave la sincérité et la transparence des comptes publics, comme l'a souvent
dénoncé la Cour des comptes sans que ses remarques aient été suivies de la
moindre action correctrice.
De surcroît, ces pratiques rendent encore plus difficile, voire impossible, la
connaissance des effectifs réels occupés par la fonction publique, comme l'ont
montré la lenteur, l'imprécision des réponses, voire l'absence de réponse, aux
questions écrites que j'ai posées à ce sujet aux différents ministres dont les
administations sont concernées par ces errements.
En conséquence, dans le cadre des préoccupations manifestées par le Parlement
pour la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois
de finances, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement, les vôtres
et celles de M. le ministre de la fonction publique pour réduire ces pratiques,
modifier les textes qui les autorisent et engager une plus grande moralisation
de la gestion des effectifs de la fonction publique.
Je souhaite, enfin, savoir si le Parlement pourra disposer très rapidement des
tableaux exhaustifs et précis faisant apparaître la totalité des effectifs
concernés par ces pratiques et indiquant à la fois les administrations ou
organismes d'origine et ceux qui bénéficient de ses mises à disposition.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le sénateur, je vous
prie de bien vouloir excuser M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique
et de la réforme de l'Etat, qui est retenu en ce moment même au Conseil
supérieur de la fonction publique.
Vous avez appelé son attention sur les mises à disposition de fonctionnaires.
Vous avez d'ailleurs déposé, au mois de décembre 1999, une proposition de loi
visant à restreindre cette pratique qui est autorisée par plusieurs lois,
notamment par celle du 11 janvier 1984, à laquelle vous faisiez allusion il y a
un instant.
Les mises à disposition constituent effectivement, s'agissant de la fonction
publique de l'Etat, une exception au principe de spécialité budgétaire, qui
implique que le Parlement se prononce chaque année sur la variation des emplois
affectés à tel ou tel département ministériel, conformément au cadre défini par
l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de
finances.
Cette pratique est, en fait, très loin de constituer, comme vous le laissez
entendre, une dérive menaçant de façon grave les conditions dans lesquelles le
Gouvernement exécute l'autorisation budgétaire qui lui est donnée par le
Parlement. Le phénomène est en effet marginal. Il concernait 0,3 % des
effectifs des ministères, soit 5 403 agents, au 31 décembre 1998.
Je peux vous donner des chiffres sur la constitution de ce phénomène. Deux
ministères sont principalement à l'origine des mises à disposition : le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, avec 1 629 agents -
c'est celui qui accorde le plus de mises à disposition - et le ministère de
l'éducation nationale, avec 1 347 agents. Ce sont les organismes associatifs à
mission d'intérêt général qui accueillent la part la plus importante de
fonctionnaires mis à disposition - environ 40 %.
Compte tenu de ces indications, qui font d'ailleurs l'objet d'une étude
statistique publiée tous les deux ans par les services du ministère de la
fonction publique et de la réforme de l'Etat, M. Michel Sapin ne pense pas que
la pratique des mises à disposition dénature l'autorisation budgétaire en
emplois approuvée chaque année par le Parlement. Elle est même conforme au
statut général des fonctionnaires.
Etre transparent en matière d'emplois publics, c'est disposer d'un outil
statistique permettant, d'une part, de rendre compte au Parlement de
l'utilisation des crédits et des emplois mis à disposition des services et,
d'autre part, à chaque gestionnaire de crédits de connaître précisément les
effectifs réellement employés dans les services dont il a la responsabilité.
En ce sens, le passage d'un vote portant sur les créations ou les suppressions
d'emplois à un vote portant sur un stock d'emplois par ministère, toutes
catégories confondues, comme le prévoit la proposition de réforme de
l'ordonnance de 1959, constitue une évolution que le ministre de la fonction
publique et de la réforme de l'Etat juge particulièrement positive.
Le contrôle de l'exécution budgétaire, s'agissant de ce stock d'emplois, est
un élément tout aussi essentiel pour éclairer la discussion sur le projet de
loi de finances à partir de comptes rendus produits notamment à l'appui des
projets de loi de règlement.
L'observatoire de l'emploi public, que le ministre de la fonction publique et
de la réforme de l'Etat a installé en septembre dernier, a, entre autres, pour
mission de présenter chaque année au Parlement un état statistique annuel des
effectifs de la fonction publique de l'Etat. Il a souhaité que ce travail soit
coordonné dans le temps avec la confection du projet de loi de règlement et
qu'il comporte toutes les précisions nécessaires quant à la position statutaire
des intéressés.
Evidemment, ce travail sera progressivement adapté à la nomenclature
budgétaire qui sera issue de la réforme de l'ordonnance organique de 1959.
Voilà, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que je peux vous faire au
nom de M. Michel Sapin.
M. Jacques Oudin.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le ministre, je ne m'attendais pas à une réponse très différente de
celle que vous m'avez faite. Cette réponse est à la fois surprenante et quelque
peu décevante.
Surprenante, car, au moment où la nation, où le Parlement réclament, en
matière de comptes publics, la plus grande clarté, la plus grande transparence,
au moment, d'ailleurs, où le Parlement est en train de voter une réforme
profonde de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 - elle a déjà été examinée
en première lecture à l'Assemblée nationale et nos collaborateurs l'étudient en
ce moment même à la commission des finances - il est étonnant d'entendre dire
que ce phénomène est marginal et que cette pratique ne dénaturerait pas la
sincérité des comptes.
Monsieur le ministre, je me suis simplement reporté à votre ministère. Je vous
avais posé une question écrite en 1999 ; vous y avez répondu le 25 mai 2000. Au
31 décembre 1999, 613 agents étaient mis à disposition sans contrepartie
financière, ce qui représentait, à l'époque, 222 millions de francs. Les
chiffres sont variables puisque le ministère de la fonction publique en
comptabilisait 582 au 31 décembre 1998. Au total, les agents mis à disposition
étaient au nombre de 5 032 en 1998. Globalement, on atteint tout de même une
somme qui avoisine 2,5 ou 3 milliards de francs.
Je veux bien qu'on dise à la nation que ces 3 milliards de francs, c'est
marginal !
En fait, il se pose un problème de moralité publique dont les pouvoirs publics
sont d'ailleurs parfaitement conscients. Ainsi, dans votre propre ministère,
une convention de 1997 avec le CEMAGREF, le centre national du machinisme
agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, tend à résorber petit à petit
ces mises à disposition. La même convention est en cours de préparation entre
le ministère des affaires sociales et le ministère des finances, puisque j'ai
dénoncé le fait qu'il y avait au ministère de la santé 630 emplois mis à la
disposition de la direction des hôpitaux ou de la direction de la santé. Et par
qui sont occupés ces emplois ? Par des directeurs d'hôpitaux ou des cadres de
la sécurité sociale, payés par la sécurité sociale, donc par les cotisants et
non par les contribuables, qui font office de contrôleur des mêmes hôpitaux
dont ils sont issus.
Ce système, monsieur le ministre, est impraticable, il est amoral et je pense
donc qu'il faut y mettre un terme.
A ce propos, je viens de recevoir une télécopie - ma question était posée sur
Internet - qui provient d'un organisme que je ne connais pas et qui s'appelle «
Formation-Pargo ». Je lis le texte de cette télécopie ; « France Télécom
contraint des milliers de fonctionnaires à se mettre à disposition de ses
filiales - Wanadoo, Orange, Global One, etc. - et ce en toute illégalité. Nous
vous sommes reconnaissants de votre intervention sur le sujet ». Je joins cette
pièce au dossier, bien entendu.
Quant à l'observatoire de la fonction publique, qui vient d'être créé parce
que certains se sont émus de ces pratiques, je lui souhaite bonne chance. Tous
les rapports qui ont été rédigés, dans cette maison comme à la Cour des
comptes, ont montré qu'il était impossible de connaître avec exactitude les
effectifs de la fonction publique. Je pense que le « Mammouth » a bon dos
!
CONSÉQUENCES DE LA CRISE DE LA VACHE FOLLE
EN CHARENTE
M. le président.
La parole est à M. de Richemont, auteur de la question n° 1030, adressée à M.
le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Henri de Richemont.
Monsieur le ministre, c'est il y a quelques semaines que je me suis inscrit
pour vous poser cette question sur les conséquences de la crise de la vache
folle et de la fièvre aphteuse pour les éleveurs de bovins et d'ovins de la
région Poitou-Charentes, et plus particulièrement du département de la
Charente, qui représente 20 % du cheptel régional - vous aviez d'ailleurs déjà
entendu les éleveurs de mon département lors de votre visite à Confolens, il y
a quelques mois.
Je ne pensais pas, alors, que le jour où je poserais cette question les
éleveurs de mon département connaîtraient un cas très douloureux. Samedi
dernier, en effet, lorsque, avec M. Raffarin, nous avons fait le tour des
éleveurs de la région et du département de la Charente, nous avons appris qu'en
raison d'un cas de vache folle en Charente un troupeau de 250 montbéliardes
devait être très prochainement détruit.
A ce propos, monsieur le ministre, l'arrêté du 30 mars 2001 semble durcir les
conditions d'indemnisation des éleveurs dont le troupeau a fait l'objet d'un
abattage total sur ordre de l'administration, en fixant un montant de base et
un montant majoré par catégorie. Or, d'après cet arrêté, si l'estimation est
supérieure au montant majoré, elle ne pourra être retenue qu'à titre
exceptionnel, ce qui allongera encore les délais d'indemnisation. Je serais
donc heureux de savoir dans quel délai interviendra l'indemnisation accordée à
l'éleveur dont le troupeau a été abattu.
D'une manière générale, c'est toute la filière qui est touchée, monsieur le
ministre, aussi bien les abattoirs, qui, pour certains d'entre eux, perdent 5
millions de francs par semaine, que les transporteurs et, plus encore, les
éleveurs, privés de rentrées de trésorerie puisque les jeunes bovins, les
taurillons et les broutards ne se vendent pas.
Certes, monsieur le ministre, vous avez obtenu l'accord de Bruxelles pour une
mesure dérogatoire consistant en une indemnisation à hauteur de 1,4 milliard de
francs à l'échelon national, qui se traduira par une enveloppe de 46 millions
de francs pour notre région et de 7,334 millions de francs pour le département
de la Charente. La région a majoré le montant de votre aide d'une somme de 5
millions de francs, dont 750 000 francs au bénéfice du département de la
Charente, étant précisé que le conseil général accompagnera la démarche par le
biais d'un versement d'un montant identique. On aboutit ainsi à un total de
8,884 millions de francs pour mon département.
Cela étant, Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons rencontré samedi dernier un
éleveur qui subit une perte de 2 000 francs par jeune bovin : si l'on applique
le plafond que vous avez retenu, il touchera 1 500 francs. Atteindre ce plafond
supposerait que l'on puisse engager, pour l'ensemble du département, une somme
de 13,7 millions de francs, or, comme je viens de l'indiquer, nous ne disposons
que de 8,884 millions de francs. Serait-il possible, monsieur le ministre, que
l'Etat consente un effort supplémentaire, afin que les éleveurs puissent
recevoir une indemnisation égale à leur préjudice ?
Une autre préoccupation porte sur le seuil de chargement. Comme vous le savez,
au-dessus de 1,4 unité de gros bétail - UGB - à l'hectare, l'éleveur ne touche
plus la prime à l'herbe de 300 francs par hectare. Or, aujourd'hui, le taux
d'occupation, à la suite de la rétention d'animaux due à la mévente des jeunes
bovins et des broutards, est de 1,8 UGB par hectare. Cette situation entraîne
également une diminution des montants versés au titre du complément extensif et
de l'indemnité compensatrice des handicaps naturels. Certes, la direction
départementale de l'agriculture nous a indiqué qu'elle peut appliquer un
abattement de 20 %, afin de ramener le taux de chargement de 1,8 à 1,6, voire
1,4, mais êtes-vous sûr, monsieur le ministre, que l'Union européenne nous
laissera pratiquer cet abattement, qui permettrait d'éviter que les éleveurs ne
soient pénalisés ?
Un autre problème tient à la mise aux normes des bâtiments d'élevage dans
l'optique du PMPOA, le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole.
En Charente, soixante-quinze éleveurs sont concernés du fait de leur
spécialisation, mais ils n'ont pas aujourd'hui les moyens d'effectuer les
travaux nécessaires. Or, s'ils ne les réalisent pas avant la fin de l'année,
ils devront acquitter la taxe anti-pollution et, de surcroît, ils perdront le
bénéfice des subventions. Sur ce point, avez-vous fait le nécessaire, monsieur
le ministre, pour que l'Union européenne accorde un moratoire ?
Enfin, au-delà du préjudice économique, il existe à mon sens une crise plus
grave, à savoir la crise morale qui atteint les éleveurs. Ceux-ci se sentent
abandonnés et incompris, et je pense que la nation devrait leur manifester
davantage de solidarité. Quelles mesures entendez-vous prendre à cet égard ? Je
crois, je suis même persuadé que régions et départements seraient prêts à vous
accompagner dans une démarche visant à redonner confiance aux éleveurs. Si l'on
ne s'engage pas dans cette voie, monsieur le ministre, nos campagnes
françaises, en tout cas les campagnes de la région Poitou-Charentes, se
transformeront soit en un désert, soit en un horrible champ de maïs !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le sénateur, je
voudrais d'abord vous dire que je rejoins totalement votre constat : l'addition
des crises de l'ESB et de la fièvre aphteuse représente un véritable sinistre
pour la filière de l'élevage dans notre pays, en particulier pour l'élevage
bovin. Face à cette situation, j'estime, tout comme vous, que les éleveurs ont
droit à la solidarité nationale, celle-ci pouvant et devant s'exprimer sous une
forme financière - j'y reviendrai dans un instant - mais aussi sur le plan
moral, psychologique, je dirais presque affectif.
En effet, bon nombre d'agriculteurs, et plus particulièrement d'éleveurs, se
trouvent aujourd'hui dans une situation de désespérance, de détresse. Ils
s'interrogent même, tout simplement, sur leur métier, se demandant à quoi bon
continuer si tout doit se terminer par ces crises alimentaires, cette défiance
des consommateurs, ces bûchers ou ces charniers que l'on montre à longueur de
journaux télévisés, d'une manière qui me paraît inutile et excessive.
Par conséquent, je partage les préoccupations profondes des éleveurs français
et européens, et nous devons trouver tous les moyens de leur affirmer notre
solidarité, qui ne peut pas n'être que financière, mais qui doit être affective
au plein sens du terme.
Vous avez posé de nombreuses questions, monsieur le sénateur, sur la façon
dont nous traitons ces dossiers et sur les modalités de la traduction de notre
solidarité financière à l'égard des éleveurs.
Au mois de décembre dernier, nous avons annoncé un premier train de mesures
comprenant des prêts à taux bonifiés, des reports de charges et la mobilisation
du fonds d'allégement des charges. En outre, voilà un peu plus d'un mois, à la
suite de l'échec de la négociation européenne, c'est-à-dire après que l'Union
européenne, ayant constaté que ses caisses étaient vides, eut refusé d'accorder
des aides européennes aux éleveurs concernés, mais nous eut autorisés, sous
conditions, à mettre en place des dispositifs nationaux, j'ai présenté un plan
d'aides directes mobilisant 1,4 milliard de francs. Parallèlement, nous avons
essayé de mettre en oeuvre à l'échelon national, aussi efficacement que
possible, des mesures de gestion des marchés, lesquelles présentent une
importance extrême.
En effet, si la crise sanitaire due à l'ESB va encore durer, le dispositif est
maintenant presque arrêté au plan européen, et il n'est guère possible de faire
davantage que tout ce que nous avons déjà mis en place : interdiction des
farines animales, allongement de la liste des matériaux à risques spécifiés,
pratique des tests systématiques. L'Europe s'est alignée sur toutes les
demandes de la France, au plus haut niveau de sécurité sanitaire, et nous avons
fait le maximum de ce point de vue. Quant à la crise sanitaire due à la fièvre
aphteuse, je n'ose affirmer ici qu'elle est derrière nous, mais c'est en tout
cas mon espoir et ma conviction à certains égards. En revanche, nous ne
sortirons de la crise économique que subissent les éleveurs et la filière
française de l'élevage que le jour où nous aurons retrouvé les équilibres de
marché. Or nous sommes loin, bien loin du compte, à cause notamment de la
sous-consommation liée à la défiance des acheteurs. Il existe des stocks, en
particulier sur pied, dans les exploitations, qu'il nous faut purger.
Par conséquent, les dispositions d'intervention publique, de retrait et de
destruction pour les bovins de plus de trente mois sont des mesures
essentielles pour assainir le marché et lui permettre de recouvrer ses
équilibres. La France se bat, à l'échelon communautaire, pour que ces
dispositions soient adaptées et complétées à hauteur des enjeux. J'ai
d'ailleurs obtenu, vendredi dernier, une levée des contraintes de poids pour
l'intervention publique au titre des jeunes bovins. L'essentiel des offres
françaises a donc été accepté lors de la dernière adjudication, et je pense que
cela permettra de soulager le marché.
Je m'efforce aussi d'obtenir, toujours au plan communautaire, que des mesures
soient prises afin de purger le marché par le retrait de très jeunes animaux.
Nous devons continuer dans cette voie, et je voudrais, à cet égard, répondre
plus précisément à votre question sur les broutards, les mesures adoptées
prenant en compte, à mon sens, le problème spécifique posé par ces animaux.
Ainsi, l'effectif du troupeau allaitant a pesé pour moitié dans la répartition
entre les départements de l'enveloppe des aides directes, et les broutards
peuvent faire l'objet de l'intervention publique. Des dispositifs particuliers
de dégagement ont été mis en place, et j'ai demandé à mes services de dresser
un bilan de la situation des broutards, afin de proposer au Gouvernement, le
cas échéant, de nouvelles mesures. Je n'hésiterai pas à le faire parce que je
suis convaincu, monsieur le sénateur, que le problème des broutards demeure la
clé de la gestion du marché.
En ce qui concerne le dépassement des seuils de chargement, j'ai obtenu, à
l'échelon communautaire, qu'un coefficient réducteur soit appliqué sur le taux
de chargement pris en compte pour l'attribution du complément extensif de la
PMTVA, la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes. Compte tenu de
la durée de la crise due à l'ESB et à la fièvre aphteuse, je demanderai à la
Commission européenne que l'application de cette mesure, qui portait
initialement sur la période allant du 15 octobre 2000 au 15 mars 2001, soit
prolongée.
En revanche, s'agissant de la mise en oeuvre des programmes de mise aux normes
des bâtiments d'élevage, décider un moratoire général me semblerait, à ce
stade, constituer un signal négatif à l'adresse de nos concitoyens, alors que
ceux-ci manifestent précisément leur souci à la fois d'une meilleure qualité
des produits et d'un plus grand respect de l'environnement. Je tiens cependant,
en réponse à votre remarque pertinente, à prendre ici l'engagement que la
situation des éleveurs qui se trouveraient confrontés à des difficultés en
raison d'une obligation de mise aux normes de leurs bâtiments sera examinée au
cas par cas.
En ce qui concerne le problème de l'indemnisation du cheptel abattu à la suite
de la découverte d'un cas d'ESB ou de fièvre aphteuse, je puis vous assurer que
le montant proposé prend en compte la valeur réelle du troupeau. Ainsi, les
chiffres qui ont été annoncés, soit 5 000 francs par bovin, représentaient non
pas des plafonds, mais des planchers au-delà desquels nous prenons en
considération la valeur réelle du troupeau, y compris au regard de son
potentiel génétique. Nous ne connaissons d'ailleurs pas de problème
d'indemnisation dans les cas d'ESB, parce que les montants sont calculés de
façon très large, afin d'inciter les éleveurs à ne pas dissimuler la maladie.
De ce point de vue, nous faisons donc le maximum.
S'agissant enfin d'abonder l'enveloppe nationale de 1,4 milliard de francs
d'aides directes au motif que les enveloppes départementales ne sont pas
suffisantes, je vous répondrai, monsieur le sénateur, que les efforts consentis
ne sont jamais suffisants. Mon obsession aujourd'hui est surtout de faire en
sorte que ces aides soient versées rapidement et qu'elles parviennent sur les
comptes des éleveurs le plus vite possible. J'ai pris l'engagement que les
premiers chèques seraient remis à la fin du mois d'avril ou au début du mois de
mai : c'est pour moi une priorité absolue. Au-delà, je n'ose faire des
promesses presque démagogiques selon lesquelles nous pourrions abonder cette
enveloppe de 1,4 milliard de francs, car nos possibilités sur ce plan ont leurs
limites, liées à ce que les autres catégories socio-professionnelles de France
sont prêtes à concéder pour un nouvel effort en faveur des éleveurs, et aussi à
l'importance des crédits que les autres ministères accepteront ou toléreront de
redéployer au bénéfice du ministère de l'agriculture. Dans l'optique des
arbitrages interministériels, cette question n'est pas simple du tout, et je ne
sais donc pas si nous abonderons l'enveloppe des aides directes. J'ai conservé
une petite réserve pour répondre, çà et là, aux besoins les plus criants et les
plus choquants, mais ce qui me paraît le plus important - et c'est ce vers quoi
tendent tous mes efforts - c'est de verser très rapidement les aides, car les
éleveurs en ont grand besoin.
M. Henri de Richemont.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont.
Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier des précisions que vous m'avez
apportées. Elles étaient attendues non seulement par les éleveurs de ma région,
mais aussi par l'ensemble des éleveurs bovins français.
J'ai pris acte avec satisfaction de votre volonté de verser rapidement les
aides : c'est incontestablement une réponse aux préoccupations et aux
inquiétudes des éleveurs. Ceux-ci continuent toutefois à subir des pertes
importantes de trésorerie et je crains malheureusement que certains d'entre eux
ne soient confrontés à des difficultés risquant de mettre en cause la pérennité
de leur exploitation.
Je me réjouis également que vous ayez obtenu l'accord de Bruxelles à propos de
l'abattement de 20 % pour le taux de chargement et que vous ayez pris
l'engagement d'examiner au cas par cas la possibilité d'un moratoire lorsque
les éleveurs auront été dans l'impossibilité, compte tenu de leurs problèmes de
trésorerie, de réaliser les travaux rendus nécessaires par la mise en oeuvre du
PMPOA.
Enfin, je me félicite, au nom des éleveurs, de ce que la nation marque son
affection et sa solidarité à une profession qui, aujourd'hui, se sent
particulièrement mal comprise. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'Etat et les
collectivités doivent se rassembler pour les soutenir, dans l'intérêt du
pays.
M. le président.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à seize heures, sous la présidence
de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
6
ÉLOGE FUNÈBRE DE PIERRE JEAMBRUN,
SÉNATEUR DU JURA
M. le président.
Mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Pierre Jeambrun.
(M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Figure familière de notre assemblée, notre collègue et ami Pierre Jeambrun
nous a quittés le 7 février dernier.
Pierre Jeambrun était un homme curieux des autres.
Grand observateur de la vie politique, il la considérait avec lucidité et
affection.
Son parcours politique porte la marque de la fidélité : fidélité à un homme,
Edgar Faure, et fidélité à une terre, le Jura.
Pierre Jeambrun est né le 4 juin 1921 à Lons-le-Saunier, dans une famille
jurassienne de longue date. C'est à Lons-le-Saunier que Pierre Jeambrun grandit
et qu'il fit des études brillantes marquées par un prix au concours général en
histoire.
De sa jeunesse lédonienne, Pierre Jeambrun se plaisait à évoquer les visites à
la préfecture, où travaillaient sa mère et sa grand-mère. D'un températement
curieux, Pierre Jeambrun acquiert, à l'occasion de ces visites, une familiarité
précoce avec la vie politique locale et avec le radicalisme, qui sera
l'engagement de toute sa vie.
« A cette époque, écrit-il dans l'un de ses ouvrages, le radicalisme était
notre lait maternel, l'élu était la courroie de transmission directe avec le
pouvoir. Il plongeait dans le peuple dont il était issu. »
La nécessité d'être à l'écoute de ses concitoyens et de répondre à leurs
aspirations seront la ligne de conduite indéfectible de Pierre Jeambrun.
Après des études de droit à Lyon, notre collègue entame, en 1941, une carrière
de fonctionnaire des finances, dans les services de l'enregistrement, qui le
conduira dans les Vosges.
Docteur en droit, après une thèse sur le droit de préemption du fisc,
l'affectation vosgienne de Pierre Jeambrun ne lui fait cependant pas oublier
son cher Jura, dont il rédigera une magistrale géographie politique qui
retiendra l'attention d'Edgar Faure.
C'est ainsi que Pierre Jeambrun entre, en 1950, au cabinet d'Edgar Faure,
alors ministre du budget, pour s'occuper des questions jurassiennes. Chargé de
mission recruté pour six mois, il restera aux côtés d'Edgar Faure durant
quelque vingt-quatre années.
De 1950 à 1957, notre collègue suit Edgar Faure à la justice, à la présidence
du Conseil, aux finances, aux affaires étrangères, accumulant ainsi une
connaissance précieuse et diversifiée du fonctionnement de l'Etat.
En 1958, Pierre Jeambrun reprend sa carrière de fonctionnaire comme receveur
des finances, chef d'un important service de la loterie nationale. Rappelé en
1968 auprès d'Edgar Faure à l'éducation nationale, il devient, en 1973, lors de
l'élection d'Edgar Faure à la présidence de l'Assemblée nationale, son
directeur adjoint de cabinet au Palais-Bourbon.
Cet attachement à un homme traduit une fidélité rare, très rare.
Sa grande admiration pour les capacités intellectuelles d'Edgar Faure allait
de pair avec un regard lucide, parfois décapant, mais toujours bienveillant,
dont témoignent les confidences publiées en 1998 sous le titre
Les Sept
Visages d'Edgar Faure
.
L'année 1974 introduit une rupture dans ce parcours d'homme politique de
l'ombre. Pierre Jeambrun est brillamment élu, dès le premier tour, sénateur du
Jura. Il sera réélu en 1983 et en 1992.
Un lien très fort unissait, dès l'origine, Pierre Jeambrun à sa terre natale.
Son goût pour la chose publique, son expérience de l'Etat, sa connaissance des
caractères, des habitudes et des terroirs rendaient naturelle cette orientation
nouvelle.
Nommé à la commission des affaires économiques, Pierre Jeambrun s'attache plus
particulièrement à la défense du monde rural. Plusieurs années rapporteur du
budget des industries agricoles et alimentaires, il intervient dans la
discussion des grandes orientations de la politique agricole française.
Dans le même temps, de 1974 à 1983, Pierre Jeambrun est un pilier de la
commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes du Sénat, où
son expérience de l'Etat, son bon sens et sa formation de fonctionnaire des
finances constituent des apports précieux et appréciés.
Financier averti, Jeambrun est aussi un bon vivant. Conviés par lui à une
session de commission en Franche-Comté, en octobre 1979, des parlementaires de
l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale garderont un souvenir ému des
vendanges en Arbois.
Européen convaincu, Pierre Jeambrun fut vice-président du groupe sénatorial du
Mouvement européen. La construction européenne sera une dimension importante de
son action et de sa réflexion.
Désigné aux assemblées de l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, et du
Conseil de l'Europe en qualité de suppléant dès 1974, puis de titulaire de 1977
à 1998, Pierre Jeambrun est, en 1978, élu président de la commission des
relations avec les parlements nationaux de l'UEO et, de 1986 à 1998,
vice-président de la délégation française aux assemblées du Conseil de l'Europe
et de l'UEO. Il dépose à ce titre plusieurs rapports d'information sur les
activités de sa délégation.
Hostile à toute idée de conflit, Pierre Jeambrun croyait dans les relations
interpersonnelles pour garantir la paix.
Ses talents de conciliateur déploient toute leur mesure au sein de son groupe
politique, la gauche démocratique devenue Rassemblement démocratique et social
européen, mais aussi sur tous les bancs de cette assemblée, où il est une
personnalité reconnue comme très consensuelle. C'est ainsi qu'il est élu juge
titulaire à la Haute Cour en 1997.
Collectionneur passionné et éclectique, aimant plus la quête de l'objet que sa
possession, il n'hésitait pas à céder, lorsqu'il les jugeait achevées, ses
collections d'objets familiers pour en entreprendre d'autres.
C'est dans le même esprit de curiosité qu'il se livre à la recherche de
témoignages et de pièces historiques qui fournissent la matière de ses livres.
Biographe de Jules Grévy, de Charles Dumont, puis d'Edgar Faure, il s'attache à
montrer leur apport en politique, mais aussi - d'une façon très humaine -
comment les nécessités de la politique ont façonné ces hommes, portraits
croisés de la France et des hommes politiques jurassiens au travers des
républiques, qu'il dresse avec talent.
Pierre Jeambrun aimait passionnément la politique.
Il aimait à en comprendre les ressorts. Il considérait la politique comme
exemplaire de l'action humaine. Il la connaissait à merveille. Et le charmeur
qu'il était savait nous enchanter par la malice de ses récits consacrés à la
politique.
La grande humanité et l'humour de Pierre Jeambrun nous manqueront.
Au nom du Sénat tout entier, j'assure son épouse, ses deux filles et son fils,
de notre sympathie sincèrement attristée. A ses collègues de la commission des
affaires culturelles et à ses amis du groupe du RDSE, j'adresse nos sincères
condoléances.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je veux
m'associer à l'hommage que vous rendez à Pierre Jeambrun.
Membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, le sénateur
Jeambrun était, parmi vous, le représentant des hommes et des femmes du Jura,
dont il avait une connaissance personnelle, presque familiale.
Elu, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, à trois reprises au
Sénat, il était, je le sais, un parlementaire apprécié de tous.
C'est par une étude remarquée sur la géographie électorale du Jura qu'il entra
en politique. Il était alors inspecteur de l'enregistrement, poste envié, en ce
temps, au sein de l'administration des finances. Il se mit au service du
président Edgar Faure et y resta pendant toute la vie de celui-ci, d'abord dans
différents cabinets ministériels, puis à la présidence du Conseil, et dans
d'autres ministères encore, dont celui des finances. Il fut ensuite directeur
adjoint de son cabinet à la présidence de l'Assemblée nationale.
Pierre Jeambrun a été avant tout un ami fidèle, fidèle à celui qu'il surnomma
affectueusement « l'homme aux sept visages », fidèle à une certaine conception
de l'Europe et de la République que, précisément, Edgar Faure incarnait.
Les longues heures de travail, les allers et retours dans les trains, les
permanences, les épreuves, mais aussi les satisfactions : telle est la vie des
élus du peuple, la vie de leurs collaborateurs, la vie des femmes et des hommes
qui donnent leur temps, leur énergie et leur volonté au service des autres, de
leur région et de leurs convictions.
Au nom du Gouvernement de la République, je veux adresser à l'épouse de Pierre
Jeambrun, à ses trois enfants ainsi qu'à ses proches mes condoléances les plus
sincères.
M. le président.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à observer, à la
mémoire de Pierre Jeambrun, une minute de silence.
(M. le ministre, Mmes et
MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
Mes chers collègues, selon la tradition, nous allons interrompre nos travaux
pendant quelques instants pour me permettre de saluer la famille de Pierre
Jeambrun.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures
trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
RAPPEL AU RÈGLEMENT
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du
règlement.
Hier Michelin, aujourd'hui Danone-Lu, Marks & Spencer, demain, peut-être, AOM
- Air Liberté... la liste des restructurations accompagnées de licenciements
secs dans les grandes entreprises ne cesse malheureusement de s'allonger.
Le taux de chômage en baisse, la croissance retrouvée, ne doivent pas faire
oublier que, paradoxalement, la précarité persiste sur le marché du travail et
que les plans sociaux se multiplient.
Les sénatrices et sénateurs de mon groupe s'associent pleinement à la colère
et à l'indignation de ces femmes et de ces hommes, salariés de Marks & Spencer,
qui ont appris la fermeture de tous les magasins du groupe en France, et ce au
mépris du code du travail et des procédures d'information et de
consultation.
Au-delà de cette indignation légitime, nous, parlementaires communistes,
entendons mettre en avant l'indécence de ce choix, dicté par le seul critère de
la rentabilité financière. Une fois encore, des emplois sont sacrifiés pour
assurer le bien-être maximum des actionnaires.
Le groupe Marks & Spencer a annoncé un résultat d'exploitation bénéficiaire
pour l'année 2000, et le nouveau président de l'entreprise a décidé de verser
cash
deux milliards d'euros supplémentaires de dividendes - c'est-à-dire
plus de treize milliards de francs - à ses actionnaires d'ici à 2003.
Nous avons pris acte de l'engagement du Premier ministre de porter plainte
pour délit d'entrave. Nous émettons le voeu que tout soit mis en oeuvre afin
que l'entreprise suspende sa décision et engage avec ses salariés une
concertation sur des solutions alternatives à la fermeture des sites concernés.
Nous souhaitons que des tables rondes soient organisées sur le plan local,
parisien, comme à l'échelle nationale et européenne, avec le concours des
pouvoirs publics, afin de contribuer à préserver l'emploi.
Plus globalement, nous entendons agir concrètement pour prévenir les
licenciements pour motif économique, pour faire de ces derniers un ultime
recours, pour responsabiliser les employeurs.
Nous appelons donc le Gouvernement non seulement à étudier le contenu de notre
proposition de loi anti-licenciements, la discussion pouvant s'engager lors de
l'examen par le Sénat du projet de loi de modernisation sociale, mais aussi à
prendre sans tarder les décrets d'application de la loi dite « Hue » relative
au contrôle des fonds publics.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Hamel applaudit également.)
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
Acte vous est donné, madame, de votre rappel au règlement et du voeu que vous
avez exprimé.
8
CANDIDATURE À UNE COMMISSION
M. le président.
J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence
le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Bertrand
Delanoë, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
9
PRIME POUR L'EMPLOI
Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 217, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant création
d'une prime pour l'emploi [Rapport n° 237 (2000-2001) et avis de la commission
des affaires sociales.]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Florence Parly et moi-même
retrouvons avec plaisir votre assemblée, après l'interruption des travaux
parlementaires pour cause d'élections.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est un élément important
et novateur de la politique économique de l'emploi mise en oeuvre par le
gouvernement de Lionel Jospin.
Vous connaissez notre stratégie, qui cherche à concilier l'efficacité
économique et la solidarité durable. Elle a déjà permis, il faut le
reconnaître, de réduire de un peu plus de un million le nombre des chômeurs,
grâce à la création de 1,5 million d'emplois depuis 1997. Elle a permis
également d'augmenter le revenu des ménages - même si cela est moins vrai pour
2000, mais le redeviendra fortement en 2001 et en 2002 - de soutenir la
consommation, de consolider l'investissement des entreprises, de maîtriser
l'inflation - la France est heureusement, et il faut en remercier les Français,
celui des grands pays d'Europe où l'inflation est la moins forte - et
d'afficher des comptes publics en amélioration, même si Mme Parly et moi-même
estimons que ce n'est pas encore suffisant.
Cela ne signifie pas pour autant, on vient de le dire, que tout soit parfait,
loin de là. Il reste encore beaucoup d'injustices à réparer et beaucoup de
progrès à réaliser. L'écoute, la modestie, la réforme, sont plus que jamais
nécessaires.
Nous devons maintenir le cap pour une croissance robuste, durable et riche en
emplois. Ce faisant, il s'agit non pas de se plier à je ne sais quel dogme
économique, mais de privilégier la constance et la vigilance. La constance,
parce que les résultats obtenus sur le front du chômage montrent le bien-fondé
des choix de la majorité plurielle ; la vigilance, parce que, s'il ne faut pas
être prisonnier du court terme ni « sur-réagir », le ralentissement de
l'économie américaine, la crise boursière des valeurs technologiques, la
dégradation générale de l'environnement international, nous rappellent, s'il en
était besoin, que la croissance n'est jamais définitivement acquise. La
conjoncture a ses aléas : il ne faut pas les occulter, car ils peuvent, même à
la marge, faire varier les prévisions.
Le scénario désormais retenu pour 2001, vous le savez, se situe entre 2,7 % et
3,1 % de croissance. Mais, que l'on retienne l'hypothèse haute ou l'hypothèse
basse, quelle que soit la décimale, la croissance française reste solide.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie développe l'emploi et l'emploi
renforce l'économie. Ce cercle positif de la croissance repose en réalité sur
trois fondements. Comme en février 2001, où il est passé sous la barre des 9 %,
le chômage va poursuivre sa décrue, et je peux dire devant cette assemblée que
le mur des 2 millions de chômeurs pourra être brisé avant le printemps 2002.
Par ailleurs, le revenu des ménages, qui a marqué une pause, l'année dernière,
sous l'effet de la hausse des prix du pétrole, devrait augmenter d'environ 3 %
en 2001 et en 2002. Enfin, les baisses d'impôts que nous avons engagées, pour
un montant de 120 milliards de francs d'ici à 2003, donnent de l'oxygène aux
consommateurs et aux entreprises.
Instrument de lutte pour le travail, facteur d'accroissement du pouvoir
d'achat, innovation dans notre système fiscal, le projet de loi portant
création d'une prime pour l'emploi sera donc positif pour les Français.
Le débat que nous allons avoir a une histoire.
On pourrait en fixer le commencement aux années 70 ; car, depuis environ
trente ans, la lutte contre le chômage est un défi pour notre nation.
Reportons-nous simplement au débat d'orientation budgétaire qui s'est déroulé,
ici même, en mai dernier et durant lequel, je le crois, nous nous étions
largement retrouvés sur un constat : le gain net, pour un foyer allocataire du
RMI, est de seulement 4 francs par heure lorsque l'un des deux conjoints
reprend un emploi à plein temps. Ce n'est pas ainsi, assurément, que l'on
encourage un retour à l'activité, même s'il ne faut pas oublier - ce serait
leur faire injure - que les personnes qui, malheureusement, n'ont pas de
travail font le maximum pour en trouver un.
La situation qui a fait l'objet du constat partagé que je viens d'évoquer a
entraîné, les récents travaux de l'INSEE l'ont rappelé avec force, la
constitution de ce que l'on appelle les « pièges à chômage », les « pièges à
pauvreté ». Nous savons qu'il y a là un système à contre-emploi qui est
socialement injuste, économiquement inefficace et politiquement choquant.
Le projet de prime pour l'emploi a donc une origine : la volonté du
Gouvernement et de la majorité plurielle - volonté partagée sans doute plus
largement - de réduire ce que les économistes appellent le « coin fiscal »
entre la richesse produite et la rémunération du travail, de consolider
l'activité et de réinstaller le travail au fondement du lien collectif, non
seulement pour le revenu qu'il procure, mais parce qu'il offre dignité humaine
et identité sociale. La mise en place d'une ristourne dégressive de CSG,
contribution sociale généralisée, et de CRDS, contribution pour le
remboursement de la dette sociale, contenue dans l'article 3 du projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 2001, visait précisément à amplifier
notre arsenal social et fiscal en faveur de l'emploi. Elle se combinait avec la
possibilité offerte par la loi de lutte contre les exclusions de conserver le
RMI et les droits qui l'accompagnent en même temps qu'un certain revenu
d'activité. Elle s'ajoutait à la réforme des dégrèvements de taxe d'habitation
votée dans le collectif budgétaire du printemps dernier, à celle des
allocations logement engagée à l'issue de la conférence de la famille qui s'est
tenue en juin 2000 et à celle de l'impôt sur le revenu approuvée par le
Parlement dans la loi de finances pour 2001, qui conjugue l'exonération de deux
millions de foyers supplémentaires et la réduction sensible des effets de seuil
grâce à l'amélioration de la décote.
Chacun sait ce qu'il advint. Saisi par des parlementaires de l'opposition, le
Conseil constitutionnel a annulé, le 19 décembre dernier, cette mesure
applicable dès le mois suivant et attendue par plusieurs millions de Français.
Soucieux du bon fonctionnement de notre démocratie et respectueux des décisions
de la haute juridiction, le Gouvernement a pris acte de cette décision, qui l'a
surpris. Critère déterminant, l'égalité devant l'impôt ne lui semblait, en
effet, pas remise en cause en cette affaire puisque le Conseil constitutionnel,
lui-même, avait, par une jurisprudence établie, toujours admis auparavant que
ce principe n'empêchait pas l'octroi d'avantages fiscaux à certaines catégories
de contribuables dès lors que ce choix répondait aux objectifs assignés par le
législateur, en l'espèce le retour à l'emploi.
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement s'est remis très rapidement au travail
afin, à l'intérieur de la même enveloppe financière, de ne pas décevoir
l'attente des bénéficiaires dont beaucoup avaient déjà anticipé la mesure
censurée. Plusieurs solutions de remplacement ont été examinées, y compris, je
dois le reconnaître, de la part des annulateurs eux-mêmes. Je pense notamment à
la proposition de crédit d'impôt d'activité votée par la majorité sénatoriale
lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2001, puis revotée - mais je
ne vois là qu'un hasard du calendrier - lors de la nouvelle lecture du projet
de loi de finances rectificative quarante-huit heures après la décision des
juges constitutionnels.
En moins d'un mois, le Premier ministre s'est déterminé pour la prime pour
l'emploi, le texte a été préparé, la mesure annoncée et le Conseil d'Etat
consulté. Le projet de loi a été adopté par le conseil des ministres le 31
janvier, débattu et voté par l'Assemblée nationale le 6 février et présenté à
votre commission des finances mardi dernier.
Votre assemblée n'examinant le texte qu'aujourd'hui et le Gouvernement ne
pouvant présager le vote de la représentation nationale, nous avons dû agir
très vite. Les services de l'administration fiscale se sont mobilisés pour
informer au maximum les contribuables, pour les aider à remplir leur
déclaration de revenus, notamment les deux cases nécessaires à l'octroi de la
prime, et, dans les semaines à venir, ils relanceront d'une façon amiable et
volontariste toutes celles et tous ceux qui auraient omis de le faire avant
hier soir. Déjà, selon les chiffres qui ont été communiqués à Mme Parly et à
moi-même, 60 % à 70 % des ayants droit ont souscrit leurs déclarations. Nous
prenons les dispositions nécessaires pour aller vers 100 %, afin que - car là
est l'essentiel - chacune et chacun des bénéficiaires reçoive effectivement sa
prime pour l'emploi au 15 septembre. Que les millions de personnes éligibles à
cette prime se rassurent : en dépit des difficultés, elles bénéficieront de ce
droit.
M. Michel Moreigne.
Très bien !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mesdames,
messieurs les sénateurs, la prime pour l'emploi, que l'article unique du projet
de loi énonce, est d'abord une mesure destinée à ceux qui travaillent ou
retournent vers le travail. Elle devrait les aider à faire face aux coûts
supplémentaires et aux contraintes nouvelles que peut causer paradoxalement
l'emploi retrouvé, notamment pour les femmes, et elle donnera un plus à ceux
qui travaillent et ont des ressources très modestes.
La prime pour l'emploi cible plus particulièrement le travail à temps plein,
et je crois que le contraire n'aurait pas été admis facilement. Elle concerne
les salariés comme les non-salariés, agriculteurs, artisans, commerçants,
professionnels libéraux, qui ne recueillent pas toujours assez les fruits de
leurs initiatives et de leurs efforts. Pour répondre aux critiques que votre
majorité sénatoriale avait articulées devant le Conseil constitutionnel, cette
prime n'est accordée, d'une part, que si les revenus tirés du travail sont
faibles et, d'autre part, que si le montant des autres revenus du foyer n'est
pas non plus élevé.
Elle prend en compte la situation familiale de trois points de vue au moins :
le niveau maximal de revenu augmente s'il y a des enfants à charge ; la prime
sera majorée à raison de ces mêmes enfants à charge, et elle le sera davantage
s'ils sont à la charge de parents isolés dont la situation est plus difficile ;
enfin, elle augmentera pour les ménages où un seul des deux conjoints
travaille. Il faut, en effet, tenir compte de cette situation, qui est moins
favorable, mais en veillant à un nécessaire équilibre, la prime pour l'emploi
devant dans tous les cas offrir de meilleures perspectives à ceux qui font le
choix du retour à l'activité.
La prime pour l'emploi est une mesure fiscale, qui réduit l'impôt dû ou se
traduit par une restitution aux contribuables.
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
C'est un crédit d'impôt !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cette innovation
pour notre architecture fiscale emporte deux conséquences : d'abord, elle
implique l'administration des impôts et, ce faisant, elle a pour point de
départ la déclaration de revenus ; ensuite, et cela est important, elle est
traitée en dehors du champ même de l'employeur qui, dans notre conception, n'a
pas à savoir si son salarié en bénéficie ou non, ce qui est une garantie pour
l'employé.
Le dispositif sera évolutif, et je réponds là à une question qui m'a été posée
récemment. Le projet de loi dont vous êtes saisi prévoit de créer la prime pour
l'emploi et de l'appliquer dès cette année. Le projet de loi de finances pour
2002 comportera la tranche suivante et, comme l'a indiqué le Gouvernement, la
prime pour l'emploi devrait monter en puissance sur trois ans. A terme, elle
devrait atteindre 4 500 francs par personne au niveau du SMIC à temps plein,
soit, par exemple, 9 400 francs par an pour un foyer avec deux enfants où les
deux conjoints travaillent et sont rémunérés au SMIC.
Ainsi conçue, la prise pour l'emploi se distingue d'autres mesures, notamment
celles qui ont pu être suggérées par la majorité sénatoriale, même si je me
réjouis que, sur certains points, cette dernière ait rejoint l'analyse du
Gouvernement...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est le contraire !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... dans sa
détermination à remédier aux insuffisances de la rémunération du travail.
(Sourires au banc des commissions.)
Comme je l'ai précisé devant la commission des finances du Sénat qui nous
auditionnait, Mme Parly et moi-même, la semaine dernière, le crédit d'impôt
d'activité que vous aviez voté n'aurait, si l'on est logique, lui non plus, pas
échappé à la censure du Conseil constitutionnel et, de surcroît - j'insiste sur
ce point - il n'aurait pas touché un public aussi large, la prime pour l'emploi
concernant normalement environ 8 millions de foyers et 10 millions de
personnes.
Par ailleurs, la proposition du revenu minimum d'activité qui a été adoptée
par la majorité sénatoriale présente des différences assez nettes qui ne
peuvent emporter l'adhésion du Gouvernement : il nous semble, en effet, qu'on
ne peut pas accepter de « disqualifier », comme le laisse entendre ce texte, la
valeur d'un travailleur qui ne serait pas suffisante pour que l'employeur la
rémunère justement, ce qui nécessiterait que l'Etat le subventionne en versant
de l'argent à l'entreprise. Ce serait aussi - chacun doit y réfléchi - une
menace pour le SMIC.
La prime pour l'emploi offre, au contraire, des garanties complémentaires pour
les salariés. En effet, le SMIC a progressé de près de 11 % entre 1996 et 2000.
De 1970 à 1997, son pouvoir d'achat réel a plus que doublé. Il protège et, à
notre avis, doit continuer de protéger les travailleurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me résume : ceux qui voteront la prime
pour l'emploi, participeront donc à une évolution significative de notre droit
fiscal, mais, surtout, ils apporteront leur contribution à la politique
économique de l'emploi. C'est pourquoi je vous demande de voter la prime pour
l'emploi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes presque
au terme d'un calendrier déjà bien long. En effet, cette mesure que l'on nous
appelle à voter en urgence et qui a déjà été appliquée par nos concitoyens
lorsqu'ils ont rempli leur déclaration de revenus trouve son origine dans les
annonces faites l'été dernier - le 30 août exactement - par vous-même, monsieur
le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans le cadre de ce que vous aviez à l'époque qualifié de « plan de baisses
fiscales » le plus ample depuis - combien de temps aviez-vous dit ? - trente
ans ou cinquante ans, figurait une mesure phare, qui était l'essentiel
vis-à-vis des catégories moyennes ou défavorisées, je veux parler de la
ristourne dégressive de contribution sociale généralisée. Dans le paramétrage
de votre programme de baisse d'impôts et de prélèvements obligatoires, compte
tenu des tensions internes à votre majorité dite plurielle, cette mesure était
absolument essentielle puisqu'elle vous permettait de faire agréer par ailleurs
des baisses, même symboliques, du taux marginal de l'impôt sur le revenu ou,
dans certaines conditions, du taux de l'impôt sur les sociétés. Nous étions
donc à la fin de l'été 2000 et vous annonciez ce programme global.
Depuis, les choses ont cheminé d'une façon assez curieuse. Je ne résisterai
pas, dans cette brève introduction, au plaisir de dire que le Gouvernement
auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a réalisé une véritable
performance : alors qu'il a annoncé sa volonté de « rendre » en quelque sorte,
en quelques années, 120 milliards de francs de fiscalité et de prélèvements
obligatoires, apparemment, si j'en crois les résultats des élections cantonales
et municipales qui ont eu lieu les 11 et 18 mars dernier, il n'en a tiré aucun
avantage significatif. Cela semble montrer que vos mesures, monsieur le
ministre, ont été très peu perçues par l'opinion publique, sans doute parce
qu'elles ne sont pas suffisamment claires et lisibles. La commission des
finances du Sénat l'a dit à plusieurs reprises : votre plan coûte cher et vous
n'en tirez qu'un faible bénéfice sur le plan politique et au regard de
l'évolution de l'activité car il est beaucoup trop dilué à travers une
multitude de dispositifs qui se juxtaposent, voire se contredisent.
Je reviens à la baisse de la contribution sociale généralisée que vous aviez
envisagée. Je rappellerai que, dès le 14 novembre 2000, lors de l'examen du
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, nos rapporteurs
ont formulé une série d'objections que vous auriez été bien inspiré d'écouter
plus attentivement. Quand je parle de nos rapporteurs, j'évoque le rapporteur
au fond de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2001, M. Descours, et le rapporteur
pour avis de la commission des finances sur ce même projet de loi, plus
spécialement chargé des comptes sociaux, M. Oudin.
Nous vous avions dit que vous faisiez une erreur de parcours et que la
contribution sociale généralisée ne pouvait pas être le support de votre
dispositif car celui-ci, supposant une individualisation et une «
familialisation », était peu comptable avec la nature même de la CSG, qui est
un prélèvement forfaitaire s'appliquant à toutes les catégories de revenus.
Nous avions ajouté, dès ce moment-là, que, à nos yeux et selon nos analyses,
trois motifs d'inconstitutionnalité pouvaient surgir : en premier lieu,
l'inégalité de traitement entre les couples monoactifs et biactifs ; en
deuxième lieu, l'inégalité de traitement entre les couples avec ou sans enfant
; en troisième lieu, l'inégalité de traitement entre les actifs et les
pluriactifs.
Tout cela figure dans nos différents rapports. J'ai encore présente à l'esprit
la conférence de presse commune qu'ont tenue la commission des affaires
sociales et la commission des finances, au cours de laquelle nous avons exposé
notre contre-proposition par rapport à l'ensemble des objections dirimantes qui
nous semblaient pouvoir être faites à l'égard du projet du Gouvernement.
Nous avions voulu être constructifs et imaginatifs et nous avons donc esquissé
les grandes lignes d'un mécanisme alternatif, à savoir un mécanisme de crédit
d'impôt. Dès la discussion en séance publique du projet de loi de financement
de la sécurité sociale, en novembre dernier, cette question avait été débattue
avec votre collègue Mme Elisabeth Guigou, qui avait réfuté notre approche,
considérant cette dernière comme trop complexe. Détaillant son argumentation,
elle avait indiqué que, selon elle, il faudrait au crédit d'impôt quinze mois
pour entrer en vigueur, et que tout cela nécessiterait un grand luxe de
déclarations que l'administration fiscale aurait la plus grande peine du monde
à traiter. Mieux valait donc - mais c'est moi qui l'ajoute - que le système
soit géré par les employeurs plutôt que par les fonctionnaires de l'Etat.
Un peu plus tard, le 24 novembre très exactement, nous avons procédé à
l'examen du projet de loi de finances pour 2001. Considérant que notre approche
était la bonne, le rapporteur général que je suis a présenté au Sénat
l'amendement visant à créer le crédit d'impôt. Nos collègues se souviendront
sans doute du débat qui a opposé les membres de la commission des finances et
Mme le secrétaire d'Etat au budget.
Vous m'avez en effet répondu, madame le secrétaire d'Etat, qu'il y avait entre
nos deux approches - celle de la ristourne de CSG, défendue par le
Gouvernement, et celle du crédit d'impôt, défendue par la commission des
finances - un différend d'ordre politique et non pas d'ordre technique.
Vous avez également refusé le crédit d'impôt en reprenant certains des
arguments qui, logiquement, avaient déjà été avancés par Mme Elisabeth Guigou,
mais en y ajoutant un autre, que l'on peut retrouver au
Journal officiel
: vous nous avez en effet déclaré qu'il n'était pas opportun que ce
mécanisme favorise les familles, et que ce n'était pas sa vocation.
Le 19 décembre - M. le ministre y a fait allusion - le Conseil
constitutionnel, saisi par nos soins, annulait la ristourne dégressive de CSG.
Vous nous dites, monsieur le ministre, en avoir été étonné ; pas nous, bien au
contraire, car nous avons estimé logique de retrouver, dans l'analyse du
Conseil constitutionnel, les trois raisons que nous avions nous-mêmes
subodorées : les inégalités entre couples monoactifs et biactifs, les
inégalités entre couples avec enfants et les couples sans enfants, et les
inégalités entre actifs et pluriactifs. Cela nous semblait absolument
incontournable.
Si la décision du Conseil constitutionnel ne nous a pas étonnés, il n'en a pas
été de même, je l'avoue, de la manière dont celle-ci a été accueillie par
vous-même et par l'ensemble du Gouvernement. En effet, nous avons entendu
évoquer sur les médias pendant un certain nombre de jours le comportement
vraiment irresponsable des parlementaires de l'opposition qui décidaient de
déférer au Conseil constitutionnel un dispositif aussi avantageux pour vos
clientèles électorales. C'est en tout cas ainsi que j'ai compris les
déclarations dont vous-même, monsieur le ministre, et vos collègues du
Gouvernement ou camarades de parti n'avez pas été avares sur les différentes
ondes.
Pour ce qui nous concerne, et comme vous le savez bien, nous utilisons les
moyens constitutionnels qui sont à notre portée ; et c'est l'Etat de droit qui
autorise soixante parlementaires, quels qu'ils soient, à saisir le Conseil
constitutionnel. Il ne nous semble pas convenable, monsieur le ministre, de
mettre en cause, pour des raisons d'opportunité, l'exercice de ce droit
constitutionnel qui est partie intégrante de l'Etat de droit tel que nous le
pratiquons sous la Ve République.
Enfin, deux jours après la décision du Conseil constitutionnel, soit le 21
décembre 2000, nous avons offert au Gouvernement, en quelque sorte, une «
session de rattrapage »
(M. le ministre rit),
à l'occasion de l'examen du collectif budgétaire ;
nous avons alors dit à Mme le secrétaire d'Etat que nous avions la solution
pour lui permettre de résoudre la difficulté grave devant laquelle le
Gouvernement s'était lui-même placé : il s'agissait de voter le dispositif
proposé par la commission des finances et la commission des affaires sociales
du Sénat, afin de permettre une mise en oeuvre rapide et logique, avant la fin
de l'exercice 2000, au bénéfice des Françaises et des Français et de toutes les
personnes qui peuvent escompter en profiter, de ce que vous appelez « la prime
pour l'emploi » et que nous persistons, pour notre part, à appeler « le crédit
d'impôt ».
Malheureusement, madame le secrétaire d'Etat, vous avez tout simplement refusé
d'examiner notre proposition en invoquant, cette fois-ci, non plus une
opposition politique, non plus des motifs de fond, mais des raisons de
procédure. Vous avez en effet argué de la jurisprudence constitutionnelle - et
là, c'est vous qui évoquiez la casuistique constitutionnelle - pour considérer
que nous excédions les limites du droit d'amendement. De notre point de vue, ce
n'était absolument pas fondé, car il ne s'agissait pas d'une mesure
complètement nouvelle. En outre, notre proposition était finalement une simple
mesure de coordination justifiée par la décision que venait de rendre le
Conseil constitutionnel.
Il s'est écoulé trois semaines, monsieur le ministre, avant que vous
présentiez à la presse votre solution, laquelle n'est autre que notre
proposition, assortie d'un nom de baptême différent et d'un coût sensiblement
plus élevé. Ce dispositif a été adopté par le conseil des ministres, examiné
par la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui a disposé, si je
ne me trompe, d'une nuit pour étudier le texte, puis adopté fidèlement par
l'Assemblée nationale le 6 février dernier.
Après l'examen du dispositif par l'Assemblée nationale, deux séries
d'événements sont intervenues : d'une part, et selon le calendrier électoral
démocratique, les élections locales nous ont conduits les uns et les autres à
reprendre le chemin de nos communes et de nos départements, et le Parlement a
alors suspendu ses travaux ; d'autre part, votre administration, monsieur le
ministre, a été confrontée à la nécessité de mettre en place les procédures
permettant d'établir l'assiette de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, la
machine administrative, qui se décline sous forme de déclarations de revenus,
de logiciels de traitement informatique et de notices d'information, sans cesse
plus complexes bien sûr, destinées au contribuable, s'est mise en route sans
texte législatif.
Cette réalité administrative et quotidienne a permis de découvrir qu'une
majorité des bénéficiaires potentiels ne rempliraient pas les cases prévues
dans les documents, cases au demeurant sibyllines...
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est faux !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... et dont la présentation se révèle quelque peu complexe
aux yeux des contribuables.
Dès lors que de graves difficultés se présentaient devant les réactions
syndicales des agents concernés au sein même de votre administration, des
agents qui ne voulaient pas « payer les pots cassés » en quelque sorte de toute
cette impréparation, le Gouvernement a fait ce qu'il lui restait à faire : il a
lancé une grande campagne de communication, et ce sur un dispositif qui n'a pas
encore force de loi, puisque nous l'examinons aujourd'hui, même si vous allez
nous prier tout à l'heure, monsieur le ministre, de n'adopter aucun amendement,
puisqu'il est sans doute difficile de modifier un dispositif qui figure déjà
dans les déclarations de revenus et dans les traitements informatiques, et qui
a déjà créé des droits, de par vos promesses, auprès d'un très grand nombre de
contribuables.
A la vérité, monsieur le ministre, vous auriez pu beaucoup mieux faire. Si les
amours-propres administratifs n'avaient pas joué, si nous nous étions placés
dans la position de pouvoirs publics constitutionnels coopérant dans le même
objectif, vous auriez pu tout simplement, le cas échéant avec quelques
adaptations, en rester à ce que nous proposions dès le mois de novembre et que
nous avions voté à plusieurs reprises, qui aurait permis d'éviter cette
situation étrange de déclarations que l'on remplit sans y être obligé, mais qui
n'ont pas été conçues dans le cadre de l'état du droit positif adopté par le
Parlement.
Je voudrais maintenant rappeler, mes chers collègues, ce que comporte la
mesure en elle-même. Cette mesure est ouverte à tous les foyers fiscaux sous
une double condition : d'une part, ne pas dépasser un plafond global de revenus
fixé, selon les cas, entre 1,5 et 3 SMIC ; d'autre part, ne pas dépasser, par
personne active, un plafond de revenus tirés des activités professionnelles
compris, selon les cas, entre 1,4 et 2,1 SMIC.
La prime se compose de deux volets : en premier lieu, la prime de base, qui
dépend des revenus d'activité et du temps de travail dans l'année, ces éléments
devant faire l'objet de déclarations et, en second lieu, la majoration de la
prime par personne à charge de façon forfaitaire - 200 ou 400 francs par
personne selon le cas. Quant au jeu financier de ce mécanisme, c'est
l'imputation sur l'impôt à acquitter et, le cas échéant, la restitution au
contribuable le 15 septembre par chèque du Trésor public du trop-perçu
éventuel.
Monsieur le ministre, ce dispositif, par son mécanisme, est bien un crédit
d'impôt - nous y reviendrons tout à l'heure. D'ailleurs, le projet de loi que
vous nous soumettez comporte un élément qui nous permet, sans aucune
incertitude, de qualifier ainsi ce dispositif.
Ce dispositif et la mesure adoptée par le Sénat présentent, c'est vrai, un
certain nombre de différences, non pas dans la technique - crédit d'impôt de
chaque côté et variation selon les revenus d'activité et le temps de travail -
mais dans le champ d'application. Cela se comprend, car la disposition
gouvernementale représente, la première année, un coût de 8,5 milliards de
francs, alors que la mesure du Sénat se limitait à 5 milliards de francs. Il
est facile d'apparaître plus généreux quand on dépense 70 % de plus, c'est tout
à fait clair ! Aujourd'hui, les arguments financiers ne sont peut-être pas au
premier plan, mais lorsque l'on sait, monsieur le ministre, que le coût de
cette mesure à plein régime, en 2003, atteindra plus de 25 milliards de francs,
on ne peut quand même pas manquer de s'interroger sur la conjoncture que nous
connaîtrons à ce moment-là, sur l'état des finances publiques et sur la réalité
des marges de manoeuvre. Quand seront additionnés la prime pour l'emploi, le
dénouement des emplois-jeunes, le financement des 35 heures, les mesures de
revalorisation salariale de la fonction publique ou le financement des régimes
de retraite des fonctionnaires, votre successeur aura bien des soucis à se
faire si la croissance n'est plus au rendez-vous et si le monde international
est plus contrasté qu'aujourd'hui !
Faire ainsi des chèques sur le compte des successeurs, peut-être est-ce
agréable en période préélectorale dans l'esprit de ceux qui recevront ces
chèques, mais ce n'est sans doute pas une attitude qui dénote un sens aigu des
responsabilités.
S'agissant toujours des différences par rapport à nos préconisations, il
convient de rappeler, monsieur le ministre, que, dans la version proposée par
le Sénat, le crédit d'impôt ne réformait pas l'impôt sur le revenu. Il
favorisait, c'est vrai, les concubins, qui auraient bénéficié de deux crédits
d'impôt par rapport aux couples mariés, qui, eux, n'en auraient eu qu'un seul ;
vous nous l'avez dit en commission des finances et vous y avez fait de nouveau
allusion dans votre propos tout à l'heure.
Mais je conteste l'affirmation selon laquelle cet état de chose eût été
anticonstitutionnel. En effet, si tel était le cas, monsieur le ministre, c'est
toute mesure touchant l'impôt sur le revenu qui serait inconstitutionnelle
puisque nous avons utilisé, en quelque sorte, la matrice de l'impôt sur le
revenu sans la modifier en quoi que ce soit pour imputer notre crédit d'impôt.
Nous n'avions procédé, en novembre et en décembre, à aucune modification
portant sur le régime légal de l'impôt sur le revenu.
Dans le dispositif que vous nous présentez aujourd'hui, vous introduisez, il
est vrai, une innovation en matière d'impôt sur le revenu en distinguant les
revenus de chaque actif du ménage, ce qui permet d'éviter de favoriser les
concubins par rapport aux couples mariés. Je vous en donne bien volontiers
acte. Mais l'argument de constitutionnalité que vous avez évoqué pour le
plaisir d'en débattre, monsieur le ministre, n'aurait pas pu prospérer.
Cette disposition - je terminerai par cet aspect des choses, mes chers
collègues - est inspirée de soucis que nous partageons : favoriser l'emploi et
le retour à l'activité, abaisser les prélèvements et majorer le pouvoir
d'achat. Qui pourrait, au demeurant, contester de tels objectifs ? Mais,
monsieur le ministre, nous ne nous y prendrions pas tout à fait de la même
manière que vous si nous avions véritablement à assumer aujourd'hui des
responsabilités autres que celles qui sont liées à nos charges de
parlementaires.
Dans l'esprit de la commission des finances et de la majorité sénatoriale,
deux mesures sont directement liées : d'une part, le revenu minimum d'activité
visant à inciter un nombre aussi important que possible de personnes qui se
trouvent en situation d'assistance à revenir dans le circuit de la vie active
et des responsabilités ; d'autre part, le crédit d'impôt tendant à assurer la
promotion par le travail et par de meilleures rémunérations des personnes qui
se trouvent dans la vie active.
Les deux dispositifs ne doivent pas être opposés l'un à l'autre, comme vous
l'avez fait tout à l'heure, monsieur le ministre, lorsque vous nous avez
affirmé que la prime pour l'emploi était préférable au revenu minimum
d'activité, le RMA, que nous proposions. Vous n'avez pas présenté les choses
selon la logique qui inspire les travaux de la commission, c'est le moins que
je puisse dire, car, pour cette dernière, la proposition de loi relative au
revenu minimum d'activité, que le Sénat a adoptée le 8 février dernier, sur la
suggestion tant d'Alain Lambert, président de la commission des finances, que
de moi-même, est complémentaire du dispositif relatif au crédit d'impôt. Le RMA
est le socle sur lequel il nous semble utile de faire reposer le retour à
l'activité et la promotion de l'activité professionnelle.
Il sera utile, mes chers collègues, demain et après-demain, pour les combats
futurs qui animeront la vie politique, de revenir sur ces sujets et de dire à
nos concitoyennes et concitoyens que le taux de chômage très élevé dans notre
pays, on ne peut pas s'en satisfaire, que la situation d'assistanat durable
dans laquelle se trouvent des catégories beaucoup trop importantes de notre
population, on ne peut pas s'en satisfaire, et qu'il est indispensable de
trouver dans l'entreprise, par la création de vrais emplois, les moyens de
rendre équilibre et espoir à de très nombreuses familles. Tel est l'objet du
revenu minimum d'activité.
Bien entendu, il est tout aussi nécessaire, mais complémentaire, de lutter
contre les trappes à pauvreté, c'est-à-dire les trop faibles rémunérations.
C'est le dispositif du crédit d'impôt qui peut, au-delà du socle auquel je
faisais allusion, jouer ce rôle. Mais si l'on ne pose pas le socle avant de
construire l'étage supérieur, on crée une situation où la logique est pour le
moins très incomplète.
Enfin, monsieur le ministre, j'évoquerai les deux amendements que la
commission des finances s'apprête à proposer à nos collègues de la Haute
Assemblée.
Tout d'abord, nous pensons, c'est un vieux précepte, qu'il vaut mieux appeler
un chat un chat, et accessoirement Rolet un fripon, comme disait Boileau. En
l'occurrence, ce qui est un crédit d'impôt doit s'appeler « crédit d'impôt » et
non pas « prime pour l'emploi », même si la formulation « prime à l'emploi »
vous semble être politiquement plus correcte vis-à-vis de telle ou telle des
sensibilités qui vous soutiennent. Les autres crédits d'impôt ne s'appellent
pas « primes », et nous ne voyons pas pourquoi il faudrait ici faire une
exception. Ce mot est ambigu, et il convient de lever l'ambiguïté.
Par ailleurs, un problème pratique, qui préoccupe, à juste titre, nos
concitoyens contribuables, nous semble devoir être traité.
Monsieur le ministre, vous le savez, tant que la loi n'est pas publiée, les
contribuables ne sont pas obligés de remplir les cadres relatifs à cette mesure
dans leur déclaration et, au demeurant, des personnes jusqu'ici non imposables
à l'impôt sur le revenu peuvent être très peu motivées pour remettre des
déclarations. A l'inverse, lorsque la loi sera publiée, ces contribuables
seront obligés de remplir les cadres prévus dans les déclarations pour
bénéficier de la mesure, mais ils risquent de ne plus le pouvoir. A la vérité,
selon une interprétation stricte des pratiques administratives ou des textes,
ils ne le pourraient plus depuis hier, puisque le délai limite pour remettre
les déclarations est déjà dépassé.
Pour éviter de tomber dans cette contradiction véritablement kafkaïenne, la
commission des finances propose un amendement « pragmatique », selon le terme
que vous avez bien voulu utiliser vous-même, monsieur le ministre, lors de la
réunion de la commission, le 27 mai dernier.
Sous réserve de l'adoption de ces deux amendements, mes chers collègues, la
commission vous propose d'émettre un vote favorable sur le projet de loi qui
nous est soumis, et qui est en très grande partie issu de nos idées, de nos
propositions et de nos travaux.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Descours,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, lors de sa réunion du 8 février dernier, la commission des affaires
sociales a souhaité se saisir pour avis du projet de loi portant création d'une
prime pour l'emploi et elle a bien voulu me confier le soin de vous présenter
cet avis oral.
Tout d'abord, pourquoi la commission des affaires sociales a-t-elle souhaité
émettre un avis sur ce projet de loi ? Comme vient de le rappeler notre
excellent rapporteur Philippe Marini, cet avis trouve son origine dans le
dispositif de ristourne dégressive de CSG et de CRDS, que le Gouvernement avait
souhaité introduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2001.
Je voudrais donner à ce débat un aspect un peu plus social - que la commission
des finances me le pardonne - en insistant notamment sur ce que nous pensons de
la nature de la CSG, laissant les discussions relatives à l'impôt sur le revenu
à la commission des finances. Monsieur le ministre, madame le secrétaire
d'Etat, j'espère que vous voudrez bien vous intéresser à ce côté plus social
des débats que nous menons habituellement avec certains de vos collègues.
La commission des affaires sociales s'était opposée au dispositif de ristourne
dégressive de CSG et de CRDS proposé par le Gouvernement pour deux raisons.
La première raison avait trait à la cohérence des finances sociales.
Nous avions constaté que, au travers de cette mesure, la loi de financement de
la sécurité sociale avait acquis « le statut peu enviable d'instrument d'une
politique fiscale improvisée ».
Nous avions souligné - et cela est très important, au-delà des majorités et
des gouvernements - que, si nous voulions maintenir le système de sécurité
sociale tel que nous le connaissons depuis cinquante ans, à moins d'engager une
réforme de fond, la ristourne de CSG bouleversait les fondements mêmes du
financement de la protection sociale, que le Gouvernement portait atteinte au
principe d'universalité de la CSG et qu'il entamait le démantèlement de cette
contribution. Depuis sa création sous le gouvernement Rocard, les gouvernements
qui se sont succédé ont tous participé à améliorer abondamment, comme l'on dit,
cette contribution, qui avait été qualifiée par Nicole Notat « d'impôt simple
et citoyen ».
Le fait que l'assiette de ce dispositif porte sur l'ensemble des revenus -
d'ailleurs, cela était demandé surtout par la gauche de votre majorité
plurielle, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat - nous paraissait
tout à fait judicieux puisque les revenus du travail représentent une fraction
de plus en plus étroite de la richesse nationale.
Enfin, cette mesure accentuait la dépendance de la sécurité sociale à l'égard
des compensations d'exonération, dont nous savons aujourd'hui à la lumière de
notre expérience qu'elles doivent être suivies avec une vigilance tout à fait
particulière.
En effet, dans le dispositif présenté par le Gouvernement, un pourcentage de
la taxe sur les conventions d'assurance devait compenser la perte de recettes
pour la sécurité sociale qu'entraînait la ristourne dégressive de CSG. Or nous
n'avions aucune garantie quant à l'exactitude de cette compensation pour 2001
et,
a fortiori,
pour les années suivantes, qui voyaient la montée en
puissance du dispositif. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, quel serait
le coût de cette mesure en 2003, et M. le rapporteur l'a rappelé.
Sans doute le Gouvernement aurait-il très rapidement développé une nouvelle
théorie des « retours » financiers pour la sécurité sociale des exonérations de
CSG, puisque la mesure était censée favoriser le retour à l'emploi. Pour m'être
penché sur le fonctionnement du FOREC, je crains d'autant plus une telle mesure
des « retours » financiers qui devrait aujourd'hui permettre de financer les 35
heures par la sécurité sociale, mesure qui a été abondamment invoquée par le
Gouvernement - par celui-ci et les autres, d'ailleurs.
La deuxième raison qui fondait notre opposition était le caractère inéquitable
de la mesure qui, ne pouvant s'appuyer sur la notion de foyer fiscal, ne
prenait en compte ni la structure familiale ni le cas des pluriactifs. M.
Marini vient de le rappeler longuement : il ne faut pas faire jouer à la
contribution sociale généralisée le rôle de deuxième impôt sur le revenu, pour
la simple raison que, précisément, il ne s'agit pas d'un impôt sur le revenu.
C'est un débat d'ordre constitutionnel, sur lequel le Conseil constitutionnel
s'est penché, et qui est aujourd'hui porté devant la Cour de justice des
Communautés européennes. Bref, il ne faut pas confondre l'impôt sur le revenu
et la CSG !
J'aurai l'immodestie de rappeler ce que je disais à la fin de l'exposé sur cet
article litigieux : « Enfin, son inconstitutionnalité apparaît désormais
quasiment reconnue par le Gouvernement lui-même, comme le montrent à
l'Assemblée nationale les explications "laborieuses" - pardonnez-moi de les
avoir ainsi qualifiées - « de la ministre de l'emploi et de la solidarité. »
Ce débat sur la conformité du dispositif à la Constitution a donc été ouvert
dès l'annonce de la mesure.
Dès l'examen en commission du projet de loi de financement, c'est-à-dire au
début du mois de novembre, puis en séance publique, nous avons attiré
l'attention du Gouvernement sur les risques qu'il prenait. Nous lui avons même
proposé un dispositif alternatif.
Dès que nous avons pensé que cette ristourne dégressive de la CSG était
mauvaise constitutionnellement et néfaste pour la sécurité sociale, avec M. le
rapporteur général de la commission des finances nous avons essayé d'introduire
un mécanisme de crédit d'impôt dans la loi de finances. Et la commission des
affaires sociales et la commission des finances ont tenu une conférence de
presse commune le 8 novembre, avant même que le Sénat n'aborde la discussion de
la loi de finances.
Le rejet de la ristourne dégressive et la proposition d'un mécanisme de crédit
d'impôt allaient de pair. Il n'était pas question, pour nous, de porter le
chapeau, sous prétexte que nous ne serions pas sensibles à la situation des
détenteurs de faibles revenus, que la ristourne de CSG allait favoriser,
puisqu'elle permettrait d'augmenter leur pouvoir d'achat.
Nous partageons ce souci, nous aussi, nous l'avons montré en créant le crédit
d'impôt. Mais le Gouvernement a persisté dans son erreur -
perseverare
diabolicum !
Nous avons dès lors compris que l'avantage principal qu'il
voyait à la ristourne dégressive de CSG, c'était d'être d'effet immédiat,
d'être applicable dès janvier 2001.
Je ne veux pas croire que le choix de cette date avait un quelconque rapport
avec les échéances de mars !
(Sourires.)
L'idée, c'était d'appliquer le
nouveau dispositif le plus rapidement possible.
Cet argument de la rapidité était, certes, respectable, mais il ne pouvait pas
balayer toutes les raisons qui commandaient la prudence.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention et j'ai apprécié vos
propos mesurés. Mais, très sincèrement, je crois que le Gouvernement ne pouvait
pas ignorer que cette mesure était inconstitutionnelle. En effet, le Conseil
constitutionnel a conclu à la rupture « caractérisée » de l'égalité entre les
contribuables, parce que le dispositif ne tenait compte « ni des revenus des
contribuables autres que ceux tirés d'une activité... » - je ne comprends
d'ailleurs pas comment une partie de votre majorité aurait accepté que l'on ne
tienne pas compte des revenus tirés notamment des produits financiers - ni,
plus grave encore, « des revenus des autres membres du foyer fiscal, ni des
personnes à charge au sein de celui-ci ». Tout cela m'avait semblé vraiment, à
moi qui ne suis pas un spécialiste de la Constitution, nous donner raison.
Je ne reviendrai pas sur les réactions à chaud qui ont accueilli la décision
du Conseil constitutionnel. Nous avons même entendu dire, et vous l'avez
presque répété tout à l'heure, monsieur le ministre, que c'était en quelque
sorte la faute des requérants, que l'on désignait ainsi à la vindicte des
bénéficiaires déçus, que la ristourne avait été annulée. Non, monsieur le
ministre, comme M. Philippe Marini l'a rappelé, nous sommes dans un Etat de
droit et toute inconstitutionnalité et, surtout, toute inégalité entre les
contribuables français se doit d'être corrigée.
Vous avez d'ailleurs déclaré en séance publique, à l'Assemblée nationale, le 6
février dernier, que, « le contrôle de constitutionnalité est un fondement de
notre démocratie ». Je vous en donne acte.
Mais, au-delà, nous voudrions insister, nous, commission des affaires
sociales, sur le fait que cette décision du Conseil constitutionnel porte un
coup d'arrêt au bricolage des finances sociales auquel nous assistons depuis
quatre ans.
Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas retenu le grief que nous avions
formulé et que j'ai souvent rappelé à cette tribune : la violation de
l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi. Je l'ai dis
et le redis : aujourd'hui, le financement de la sécurité sociale ne découle
plus d'un processus démocratique, parce que nous ne sommes pas capables, ni le
ministre ni les parlementaires, de l'expliquer au sein de nos assemblées et
a fortiori
à l'opinion publique.
Il s'agit dorénavant d'une usine à gaz trop compliquée à laquelle nous sommes
une vingtaine à essayer de comprendre quelque chose, année après année. Nous ne
pouvons cependant pas, s'agissant de quelque 2 000 milliards de francs, nous
contenter de ce bricolage. Il faut nous orienter vers des opérations de
clarification du financement de la sécurité sociale.
Ces pratiques ne sont peut-être pas de votre fait, monsieur le ministre,
madame la secrétaire d'Etat, qui êtes directement en charge de cette affaire,
mais un vrai débat démocratique doit être instauré.
Le Conseil contitutionnel a considéré que « le surcroît de complexité
introduit par la loi déférée n'est pas à lui seul de nature à le rendre
contraire à la Constitution ». Je veux insister sur cette formule qui
constitue, à tout le moins, me semble-t-il, un avertissement pour l'avenir
auquel le Gouvernement, les gouvernements, feraient bien désormais d'être
attentifs.
Tel est, mes chers collègues, le premier objet de l'avis présenté par la
commission des affaires sociales.
Mais je veux rappeler, comme l'a fait M. Philippe Marini, que le « feuilleton
» n'est peut-être pas totalement terminé.
En effet, en demandant au Parlement de substituer dans l'urgence un mécanisme
à un autre, au moment même où les formulaires de déclaration de revenus de 2000
devaient être adressés aux Français, le Gouvernement se heurte à des
difficultés réelles, comme vous l'avez évoqué, ainsi que le rapporteur de la
commission des finances. La loi n'étant pas votée, les formulaires de
déclaration des revenus ne peuvent faire état de cette prime qui n'est encore
qu'un projet.
Je n'insiste pas sur ce point, qui a été traité par M. le rapporteur.
Je tiens, en conclusion, à rappeler pourquoi nous avons utilisé la procédure
peu usitée de l'avis. Nous pensons qu'après le changement de pied du
Gouvernement, à la suite de l'avis du Conseil constitutionnel, les choses
semblent rentrer dans l'ordre, même si des différences subsistent entre nos
propositions et le texte du Gouvernement.
Je souhaite une fois encore citer la CFDT, qui n'est tout de même pas notre
porte-parole. Réagissant à la décision du Conseil constitutionnel, elle avait
constaté que le « bidouillage » - le terme n'est pas de moi - « de la CSG n'est
pas la solution pour conjuguer fiscalité et emploi ».
De fait, nous sommes désormais saisis d'un dispositif qualifié par le projet
de loi de « droit à récupération fiscale », qui relève du code général des
impôts et dont on annonce d'ores et déjà, si j'ai bien compris, qu'il sera
repris dans les projets de loi de finances pour 2002 et pour 2003.
Nous sommes saisis d'un article unique adopté sans modification par
l'Assemblée nationale à l'unanimité - en fait, beaucoup de nos collègues se
sont abstenus !
La commission des affaires sociales du Sénat, qui n'a été saisie que pour
avis, s'en remet à la compétence de la commission des finances pour examiner le
détail de ce dispositif fiscal. Mais, de grâce, que l'on cesse de confondre le
financement de la sécurité sociale et les lois de finances. Je vous assure que
notre débat démocratique y gagnera beaucoup !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, comme nous avons à discuter, après l'Assemblée nationale,
d'une mesure fiscale nouvelle et novatrice par rapport à la tradition fiscale
française, il n'est pas inutile de rappeler que nous devons cette novation à la
censure, par le Conseil constitutionnel, d'une mesure de réduction de la CSG et
de la CRDS qui s'inscrivait dans le vaste programme de réduction d'impôts
appliqué par le Gouvernement avec constance, détermination et, je dirais même,
opiniâtreté.
Afin de préserver l'équilibre du plan triennal de baisse des prélèvements
obligatoires en faveur des ménages tout en favorisant la lutte contre les «
trappes à inactivité », qui, selon de nombreux observateurs, freinent la
reprise d'une activité professionnelle par certains travailleurs sans emploi,
le Gouvernement a voulu, malgré tout, alléger la charge fiscale pesant sur les
travailleurs à bas revenus pour accroître leur pouvoir d'achat tout en
encourageant leur emploi. Le dispositif qui résulte de cette volonté politique
et qui respecte l'enveloppe financière qui était prévue initialement, c'est
l'institution de la prime pour l'emploi, qui est l'objet du projet de loi que
nous examinons aujourd'hui. Cette prime qui préserve la progression des revenus
d'activité, et donc la progression du pouvoir d'achat des foyers modestes,
soutient, par là même, la consommation des ménages et, par conséquent, la
progression de l'emploi.
Dans le même temps, cette prime ne crée pas un climat inflationniste,
puisqu'elle ne remet pas en cause l'échelle des salaires. Par conséquent, en
soutenant la consommation des ménages, elle renforce la confiance de ceux-ci et
conforte la croissance de l'économie française, dans un temps où les
incertitudes de l'environnement international rendent plus nécessaires et
attendues que jamais les mesures volontaristes que seul est capable de prendre
un gouvernement convaincu de l'efficacité des politiques publiques en faveur du
pouvoir d'achat des citoyens et, d'une façon générale, en faveur de la
progression de la justice sociale.
La prime pour l'emploi est une mesure fiscale qui crée un droit à récupération
fiscale imputable sur l'impôt sur le revenu. Elle entraînera une réduction de
cet impôt pour certains foyers et, ce qui est beaucoup plus nouveau, un
versement par l'administration fiscale en faveur des personnes non imposables
ou des foyers dont la contribution à l'impôt sur le revenu sera inférieure au
montant de la prime.
M. Gérard Braun.
C'est ce que l'on appelle un crédit d'impôt !
M. Michel Sergent.
Autrement dit, la prime pour l'emploi constitue, eu égard à la tradition
française, une petite révolution fiscale : non seulement, sur un plan formel,
parce que des millions de contribuables modestes vont recevoir des chèques de
l'administration fiscale, mais aussi, et surtout, parce que c'est la première
fois, en France, qu'une baisse de l'impôt sur le revenu va profiter à des
contribuables qui n'en paient pas.
La prime pour l'emploi, dont la mise en oeuvre doit s'étaler sur trois ans,
vise, pour compenser l'impossibilité devant laquelle s'est trouvé le
Gouvernement de réduire la CSG et la CRDS, les personnes percevant un revenu
d'activité inférieur à 1,4 fois le SMIC. Encore faut-il préciser que la prime
pour l'emploi est conditionnée par les seuls revenus d'activité professionnelle
et non par les sommes versées aux travailleurs sans emploi ou par les
retraités.
Mais ce qui est particulièrement intéressant dans la prime pour l'emploi,
c'est qu'elle tient compte de l'ensemble des revenus du foyer ainsi que des
charges de famille des bénéficiaires.
Comme elle est attribuée sous conditions de ressources, le revenu fiscal de
référence devra être inférieur à 1,54 fois le SMIC pour un célibataire, à 3.08
fois le SMIC pour un couple et à 2,8 fois le SMIC, pour un couple dont les deux
membres travaillent.
Les contribuables dont les revenus d'activité sont modestes bénéficieront de
la prime, même s'ils ont des revenus complémentaires, alors qu'un foyer plus
aisé, dont l'un des membres a un faible revenu d'activité, ne la touchera pas.
Par ailleurs, les couples dont un seul membre travaille verront la prime
majorée forfaitairement pour que leur situation se rapproche de celle des
couples dont les deux membres travaillent.
Si, pour les célibataires et les foyers sans enfant, la prime est moins
avantageuse que la réduction de CSG et de CRDS initialement prévue, la prime
pour l'emploi est plus favorable aux parents isolés et aux couples dont un seul
membre travaille, s'ils ont au moins un enfant à charge.
Je n'entrerai pas plus avant dans les détails techniques du dispositif que M.
le ministre a largement évoqué dans son propos introductif. Ils ont, certes,
leur importance. Mais je voudrais surtout souligner que la prime pour l'emploi,
qui sera versée aux travailleurs les plus modestes pour compléter leur revenu
devrait concerner 10 millions de personnes et coûter, à terme, 25 milliards de
francs, c'est-à-dire le même montant que la mesure initialement prévue. Si l'on
compare avec les résultats attendus de la réduction de la CSG et de la CRDS qui
a été refusée par le Conseil contitutionnel, la prime pour l'emploi accroît le
nombre des bénéficiaires de la mesure initiale et majore l'aide prévue pour les
personnes à leur charge : 8 millions de foyers fiscaux, dont 5 millions
recevront plus de 1 000 francs dès 2001, et 600 000 plus de 2 000 francs ; 30 %
des foyers concernés bénéficieront d'une réduction d'impôts, tandis que 70 %
des foyers bénéficiaires, non imposables, recevront un chèque de la part des
services fiscaux.
La moitié des sommes sera distribuée à des couples, l'autre moitié à des
personnes seules, ce qui représente 60 % des foyers fiscaux.
Comme la prime pour l'emploi accompagnera souvent l'entrée ou la rentrée en
activité professionnelle, il est prévu qu'elle bénéficie, dans la moitié des
cas, à des personnes de moins de trente-cinq ans.
La prime pour l'emploi, monsieur le président, monsieur le ministre, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, a donc toutes les chances d'atteindre
le but visé par les auteurs du texte : mieux rémunérer le travail, sans
stigmatiser les chômeurs, et redistribuer les fruits de la croissance au profit
de ceux qui en ont le plus besoin. Comment ? En encourageant l'exercice ou la
reprise d'une activité professionnelle par les travailleurs à bas revenus,
qu'ils soient salariés, commerçants, artisans, agriculteurs ou travailleurs
indépendants.
En effet, la prime pour l'emploi sera d'autant plus élevée que la durée de
l'activité approchera un plein temps, ce qui ne favorise pas le travail à temps
partiel. Elle ne pourra pas aider les employeurs à contenir les salaires,
puisque le montant de la prime dont bénéficieront éventuellement les salariés
de leur entreprise ne leur sera pas connu. Dispositif de justice sociale, elle
vise à faire bénéficier d'allègements fiscaux des personnes insérées dans la
vie professionnelle, mais qui ne profitent pas, ou peu, de la baisse de l'impôt
sur le revenu. Enfin, stimulant la demande intérieure, cette prime pour
l'emploi sera un facteur de croissance et de création d'emplois.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, madame
le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe socialiste soutiendra ce
projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi.
(Applaudissements
sur les travées socialistes. - M. Hamel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le premier sentiment qui vient à l'esprit, au moment où nous
abordons l'examen de ce projet de loi, est le regret : le regret du temps perdu
par la faute de l'entêtement du Gouvernement, à la fin de l'année dernière,
quand il voulait avoir raison contre tous ; le regret que le prix de cette
attitude soit payé par les plus modestes de nos compatriotes.
Chacun de nous garde en mémoire nos débats approfondis, lors de la discussion
du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2001, sur ce que le Gouvernement appelait alors la « ristourne
dégressive de CSG ». Le rapporteur général, M. Philippe Marini, que nous tenons
à féliciter pour la qualité de son rapport et la pertinence de ses
propositions, et notre collègue Charles Descours, rapporteur du projet de loi
de financement de la sécurité sociale, n'avaient pas manqué, alors, de mettre
en garde le Gouvernement contre les nombreuses incohérences de son projet de
ristourne dégressive de CSG.
Tout d'abord, un tel mécanisme remettait en cause l'universalité du
financement de la protection sociale. Ensuite, il était inéquitable en raison
de la nature même de la CSG, qui n'est pas un impôt sur le revenu. Le
dispositif proposé par le Gourvernement était par ailleurs compensé, vis-à-vis
de la sécurité sociale, de manière incertaine, au travers d'une taxe sur les
conventions d'assurance. La complexité et la difficulté de la mise en oeuvre de
la ristourne par les entreprises et par l'ACOSS avaient également été évoquées.
Nous avions regretté, de plus, que le cas des « pluriactifs » n'ait pas été
pris en compte de façon satisfaisante. De surcroît, le Gouvernement
introduisait dans le financement de la sécurité sociale une progressivité
limitée aux seuls revenus d'activité.
Enfin, les problèmes de constitutionnalité posés par le mécanisme avaient été
soulevés et parfaitement cernés par nos rapporteurs.
Il est à ce propos intéressant de noter les réactions du Gouvernement et de sa
majorité à la décision du Conseil constitutionnel déclarant contraire à la
Constitution la ristourne dégressive de CSG. N'était-ce pas le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie qui rendait les parlementaires de
l'opposition auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel responsables de
cette censure ? Nous ne pouvons croire qu'en s'exprimant ainsi le Gouvernement
cautionnait l'application d'une loi contraire à la Constitution !
Nous pensons qu'il s'agissait plutôt, pour lui, de rendre l'opposition
responsable de ses turpitudes. Nous estimons, comme Mme Marie-Noëlle Lienemann,
qui n'était alors pas encore secrétaire d'Etat au logement, « qu'il est
étonnant que Bercy n'ait pas mieux préparé la ristourne dégressive de CSG ».
Nous regrettons que les tergiversations et les atermoiements du Gouvernement
aient porté préjudice à ceux de nos concitoyens dont les besoins étaient les
plus grands. Si le Sénat avait été écouté, le dispositif du crédit d'impôt
aurait profité aux personnes concernées dès le premier acompte de l'impôt sur
le revenu, au mois de février 2001. Que de temps perdu pour de mesquines
querelles idéologiques !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Absolument !
M. Gérard Braun.
Je ferai une dernière remarque sur le thème constitutionnel : nous ne saurions
recevoir l'argument, avancé la semaine dernière par le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie devant la commission des finances du Sénat,
selon lequel la proposition sénatoriale aurait à coup sûr subi la censure du
Conseil constitutionnel. En effet, outre qu'il s'agit là d'une pure
spéculation, nous faisons remarquer au Gouvernement que l'adoption du
dispositif du crédit d'impôt dès le mois de novembre 2000 aurait permis une
amélioration du mécanisme proposé à l'occasion de la navette.
En dépit de toutes ces remarques fondées, le Gouvernement avait non seulement
persisté dans son refus de suivre le Sénat et la proposition de celui-ci
d'instaurer un crédit d'impôt venant se substituer à la ristourne dégressive de
CSG, mais également émis des commentaires qu'il doit regretter aujourd'hui, au
moment où il nous soumet un dispositif s'inspirant largement du texte que nous
avions voté à trois reprises à la fin de l'année dernière, contre son avis et
celui de sa majorité.
Nous nous félicitons à nouveau du changement d'attitude du Gouvernement à
l'égard du crédit d'impôt, mais il a peur des mots et cache la zizanie régnant
au sein de la majorité plurielle par des pirouettes de vocabulaire. Ainsi,
l'expression : « prime pour l'emploi » apparaît à la place de : « crédit
d'impôt ». Nous ne pouvons, à ce sujet, qu'approuver l'heureuse initiative de
M. le rapporteur, qui propose de revenir sur ce qui doit être une malheureuse
erreur d'appellation...
Cela étant, les principales difficultés soulevées par le dispositif proposé
sont connues : sa mise en oeuvre pourrait entraîner une certaine stagnation des
plus bas salaires, la recherche d'un second salaire ne serait pas véritablement
encouragée et la différence de traitement opérée entre les personnes seules et
les couples ne semble pas être suffisante.
Par ailleurs, afin que ne soient pas pris en compte de petits travaux réalisés
de manière occasionnelle, le projet de loi fixe le minimum de revenus à
déclarer, pour bénéficier de la prime pour l'emploi, à 0,3 fois le montant du
SMIC, soit 20 575 francs. Ce seuil pose un problème, puisqu'il exclut les
personnes exerçant une activité non salariée à temps plein et rémunérées à
hauteur de moins de 0,3 fois le SMIC. Ainsi, dans le secteur agricole, ce sont
quelque cent mille exploitants à faibles revenus exerçant une activité à temps
plein qui ne pourront bénéficier de la prime pour l'emploi. Nous demandons donc
au Gouvernement de nous faire savoir ce qu'il compte proposer en vue d'apporter
des solutions à ces situations particulièrement difficiles.
Sur le plan pratique, chacun a noté la présence, sur la feuille de déclaration
des revenus pour 2000, de cases supplémentaires désignées par les lettres AU,
AX et AV. Ainsi, l'administration fiscale demande aux contribuables de
distinguer entre leurs revenus d'activité et leurs autres revenus, qu'il
s'agisse de retraites, de pensions ou de revenus d'épargne et du patrimoine. Le
calcul de la prime pour l'emploi implique par ailleurs, pour les personnes
travaillant à temps partiel, d'indiquer le nombre d'heures travaillées au cours
de l'année dernière. Nous ne pouvons que regretter la complexification
importante qui résulte de l'ajout de ces cases, alors que chacun appelle de ses
voeux une simplification des obligations déclaratives des contribuables en
matière d'impôt sur le revenu.
A cet égard, la complexité du dispositif ne saurait être mieux illustrée que
par le rappel des chiffres cités par la principale organisation professionnelle
de l'administration des impôts, qui indiquait que huit déclarations sur dix
envoyées par les contribuables l'avaient été sans que soient remplies les
fameuses cases supplémentaires. J'ai bien noté, monsieur le ministre, que vous
avez souligné, dans votre intervention, que nous en étions aujourd'hui à
environ six déclarations incomplètes sur dix, mais nous sommes encore loin du
compte, et beaucoup de rectifications devront certainement être apportées. Il
faut relever ici que l'absence de mention explicite indiquant que les
renseignements collectés dans cette zone de la déclaration seraient utilisés en
vue du versement d'un supplément de rémunération n'a pas vraiment incité les
contribuables à remplir les cases concernées. Sans utiliser l'expression «
prime à l'emploi », qui n'est pas définitive puisque la navette se poursuit, on
ne peut que regretter que le Gouvernement n'ait pas fait un effort de
communication et d'explication à propos de la notice jointe à la
déclaration.
Pourtant, cela aurait sans doute été suffisant pour épargner au Gouvernement
l'édition à cinq millions d'exemplaires d'un dépliant et le lancement d'une
campagne d'information dans la presse, pour un montant d'environ neuf millions
de francs. Il convient d'ajouter à ce triste tableau les inévitables relances
auxquelles devra procéder l'administration, après examen des revenus, en
direction des contribuables éligibles à la prime pour l'emploi, mais qui
n'auront pas rempli les fameuses cases AU, AX et AV.
C'est dans cette perspective que nous soutiendrons la proposition légitime de
la commission des finances du Sénat qui vise, par l'ouverture d'un délai
supplémentaire, à permettre aux contribuables d'envoyer à l'administration
fiscale les justificatifs et les documents nécessaires. Il serait d'ailleurs
intéressant que le Parlement soit informé par le Gouvernement du nombre de
relances que l'administration aura dû effectuer en direction des
contribuables.
Enfin, nous regrettons que le Gouvernement fasse si peu de cas du déroulement
de la procédure parlementaire et agisse comme si ce projet de loi était d'ores
et déjà voté. Que dirait-on d'un maire qui appliquerait une délibération non
votée par son conseil municipal ? Il se retrouverait immédiatement mis en
examen et condamné ! Nous partageons le souhait de la commission des finances
que les moyens de limiter le recours à ce type d'acrobaties juridiques soient
examinés à l'occasion de la prochaine discussion du texte portant réforme de
l'ordonnance organique de 1959 relative aux lois de finances.
Notre groupe apportera donc son soutien aux propositions légitimes et
pertinentes de la commission des finances et votera ce projet de loi dans le
texte modifié par ces propositions.
(Applaudissements sur les travées du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je reviendrai très brièvement, en préambule, sur les
circonstances qui ont conduit à la présentation, un peu improvisée il faut le
dire, de ce projet de loi, puis, dans un second temps, j'insisterai sur les
mérites de ce texte, tout en soulignant ses lacunes, notamment l'absence d'un
dispositif destiné aux bénéficiaires de minima sociaux.
Nous avons eu, à la fin de l'année dernière, un large débat sur les modalités
d'une baisse des charges salariales pesant sur les revenus d'activité les plus
modestes, le Gouvernement proposant, de son côté, la mise en place d'une
ristourne de CSG et de CRDS dans le cadre de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001.
La commission des affaires sociales du Sénat, par la voix de son rapporteur
Charles Descours, avait alors démontré que cette mesure était profondément
injuste et que, par ailleurs, elle allait à l'encontre du principe
d'universalité de perception de la CSG. Le dispositif élaboré par le
Gouvernement était en effet particulièrement inéquitable à l'égard des ménages
dont l'un des conjoints ne travaille pas et disposant d'un revenu compris entre
1,4 et 2 fois le montant du SMIC. Nous avions donc proposé un mécanisme de
crédit d'impôt plus neutre, plus juste et plus favorable aux familles, et, en
outre, conforme à la Constitution !
Le Gouvernement s'était malgré tout obstiné dans une voie erronée, celle d'une
ristourne de CSG et de CRDS ne tenant pas compte de l'ensemble des revenus du
foyer. Dans ces conditions, la censure par le Conseil constitutionnel était
prévisible, et je crois que personne ici ne peut sérieusement en contester le
bien-fondé.
Il n'y avait donc pas lieu de faire un procès d'intention à une opposition
parlementaire qui est d'accord sur l'objectif visé, à savoir accroître les
revenus des personnes les plus modestes et inciter à la reprise d'activité.
Jouant pleinement notre rôle d'opposants « constructifs », nous contestions
seulement les modalités de votre ancien projet, monsieur le ministre, cela pour
en proposer d'autres, plus opportunes.
Qu'en est-il à présent du nouveau projet de loi ? Largement inspiré par les
propositions du Sénat, il a deux grands mérites.
Son premier mérite est de rompre avec les
a priori
idéologiques d'une
certaine gauche française réticente vis-à-vis des mécanismes de réduction
d'impôt, et ce à l'issue d'arbitrages particulièrement laborieux au sein de la
majorité plurielle.
Son second mérite est d'inciter au retour au travail.
J'aurais, bien entendu, préféré une augmentation du salaire directe, ce
dernier étant insuffisant dans notre pays par rapport à ce qu'il est chez nos
principaux partenaires européens, mais il n'en demeure pas moins justifié et
opportun de réduire les charges sociales personnelles pesant sur les revenus
d'activité les plus modestes. La différence entre les revenus procurés par les
prestations sociales et ceux du travail reste insuffisante et toute mesure qui
contribue à corriger ce phénomène est positive.
Cependant, comme l'a très justement noté notre collègue Jean Arthuis dès
l'adoption du projet de loi en conseil des ministres, le caractère improvisé de
la prime pour l'emploi rend sa mise en oeuvre très délicate.
Les difficultés intervenues dans le cadre de la déclaration des revenus pour
2000 le démontrent. Sous peine de susciter la légitime colère d'un grand nombre
de bénéficiaires potentiels de la prime, il convient de mettre en place une
procédure déclarative exceptionnelle. C'est le sens des propositions de la
commission des finances, propositions que mon groupe juge particulièrement
opportunes.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de l'examen de la proposition de loi
portant création du revenu minimum d'activité ou RMA, le 8 février dernier, le
dispositif que vous proposez, monsieur le ministre, reste cependant incomplet.
S'il répond à une logique de redistribution que nous partageons, il lui manque
néanmoins un volet visant à l'insertion de populations en difficulté sur le
marché du travail. Je pense évidemment à une grande partie des bénéficiaires de
minima sociaux.
Il est nécessaire à cet égard de rappeler quelques chiffres : à la fin de
1999, cinq minima sociaux, dont le RMI, étaient versés à 1,7 million de
personnes susceptibles d'exercer une activité professionnelle classique. Avec
les ayants droit, cela représentait un total de 3 millions de personnes.
Il faut constater que la reprise de la croissance économique mondiale et
européenne et la baisse du chômage n'ont eu qu'un impact limité sur l'évolution
des effectifs des allocataires. Tout au plus peut-on dire que leur augmentation
s'est ralentie.
Entre 1994 et 1999, le nombre des bénéficiaires s'est accru de moins de 3 %
alors que le taux de progression était proche de 9 % entre 1990 et 1994.
S'agissant du RMI, la situation est également décevante : son taux de
croissance, qui était de 7,5 % en 1996 et de 6 % en 1997, a encore atteint 4 %
en 1998 et 2,5 % en 1999. L'année 2000 doit être marquée par une certaine
stabilité et en 2001, pour la première fois, nous devrions connaître une baisse
du nombre des allocataires.
La baisse du chômage produit ses effets avec retard et dans une plus faible
proportion. L'incidence de la reprise économique est concentrée sur les
personnes les plus proches de l'emploi, tandis que les allocataires plus âgés
ou dotés d'une faible aptitude professionnelle restent hélas dans le dispositif
du RMI.
Ce phénomène s'explique, comme je l'indiquais tout à l'heure, par la faiblesse
de l'écart entre le niveau de revenu procuré par les minima sociaux et les bas
salaires, ce qui est de nature à créer ce que l'on appelle une « trappe à
inactivité » : le bénéficiaire du minimum social préfère continuer à percevoir
celui-ci plutôt que de rechercher un travail.
Tel est le constat effectué par des personnalités dont l'objectivité ne peut
être mise en doute : je pense en particulier à M. Bertrand Fragonard, que nous
avons auditionné devant la commmission des affaires sociales, ou encore à MM.
Pisani-Ferry et Belorgey.
Cet état de fait a motivé la mise en place de crédits d'impôt en faveur
d'actifs aux ressources modestes dans plusieurs pays européens, dont certains
sont dirigés par la gauche - hier la Grande-Bretagne, aujourd'hui la France.
Mais il importe à présent d'inventer des mécanismes nouveaux afin de mettre en
relation le besoin de main-d'oeuvre des entreprises et la ressource humaine
considérable que représentent les titulaires de minima sociaux.
Cela est d'autant plus crucial et urgent que, dans notre pays, le nombre de
pauvres reste malheureusement stable - près de 4,2 millions de personnes selon
l'INSEE - et que la baisse du chômage est fragile. Les dernières statistiques
de l'emploi plutôt favorables doivent, en effet, être relativisées compte tenu
du nombre grandissant des plans sociaux et de la forte augmentation des entrées
en stage.
Pour l'ensemble de ces raisons, mes collègues Alain Lambert et Philippe Marini
ont pris l'excellente initiative de déposer une proposition de loi tendant à
créer un revenu minimum d'activité, ou RMA. Cette expression de « RMA » avait
déjà été utilisée en 1996 par Jean-Paul Virapoullé, alors député UDF de la
Réunion.
Elle s'appliquait à un mécanisme centré sur les départements d'outre-mer et
destiné à permettre aux entreprises de compléter un minimum social par un
salaire.
La proposition de loi de nos collègues Alain Lambert et Philippe Marini a été
déposée il y a près d'un an, puis adoptée par le Sénat le 8 février dernier. Je
rappellerai en quelques mots les grandes lignes d'un dispositif dont j'ai été
le rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales.
Le revenu minimum d'activité prend la forme d'une convention conclue entre le
bénéficiaire du minimum social, l'employeur et l'Etat. Il comporte deux
parts.
La première est constituée d'une aide dégressive versée à l'entreprise pendant
trois ans, correspondant, au départ, à l'allocation de minimum social que
recevait le bénéficiaire.
La seconde part est le salaire négocié, qui correspond à la différence entre
le montant du RMA et celui de l'aide dégressive.
La grande originalité de ce dispositif relativement simple est qu'il est
résolument orienté vers l'insertion des personnes en difficulté dans le secteur
marchand. Rappellons, à ce propos, que 80 % des RMIstes qui retrouvent
actuellement un emploi aidé le font dans le secteur non marchand.
Il s'agit d'un véritable système d'activation des dépenses passives
d'indemnisation ou d'assistance, système à l'égard duquel malheureusement, le
Gouvernement a exprimé son désaccord le 8 février dernier. Le Gouvernement
sous-estime véritablement l'importance du chômage structurel !
Au cours des derniers mois, on a vu ce même gouvernement évoluer à plusieurs
reprises dans sa politique : d'une ristourne de CSG et de CRDS à l'automne, il
est passé, en janvier dernier, à un mécanisme de crédit d'impôt habillé en
prime pour l'emploi. Monsieur le ministre, encore un petit effort et, d'ici
peu, vous vous rallierez peut-être à notre proposition de revenu minimum
d'activité !
Ce RMA permettrait en effet à des personnes durablement éloignées aujourd'hui
du monde du travail de retrouver une véritable dignité, retrouvant chaque mois
les bienfaits d'une fiche de paye plutôt qu'une fois par an les conséquences
d'une déclaration de revenus. L'enjeu n'est pas seulement d'ordre financier et
économique. Il s'agit de revaloriser l'engagement individuel et la
responsabilité, autant de valeurs auxquelles mon groupe et une majorité de
cette assemblée sont très profondément attachés.
Il me reste à féliciter notre rapporteur, Philippe Marini, ainsi que les
commissions des finances et des affaires sociales pour leur excellent
travail.
Sous réserve des observations que je viens de formuler, le groupe de l'Union
centriste votera le projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi,
tel qu'il sera amendé par la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la date d'examen du projet de loi portant création d'une prime
pour l'emploi est, pour le moins, surprenante puisqu'elle se situe au lendemain
de la date limite d'envoi des déclarations d'impôt sur le revenu.
Comment ne pas y voir le symbole - un de plus ! - du peu de considération que
le Gouvernement porte au débat parlementaire ?
Comment ne pas s'interroger sur l'intérêt qui subsiste d'étudier un dispositif
fiscal qui est déjà entré en application et dont le Gouvernement ne peut
accepter la moindre modification ?
Comment, au-delà de cette conjoncture, ne pas s'inquiéter pour cette évolution
des pratiques budgétaires que nous espérons tous mais qui semble plutôt mal
partie ?
Mes chers collègues, il n'y aura pas de véritable réforme de l'ordonnance
organique de 1959 sans évolution des esprits.
Il n'y aura pas davantage de nouvelle constitution financière sans nouveau
comportement gouvernemental.
Il n'y aura pas non plus, même si on le souhaite, un rééquilibrage des
pouvoirs si l'exécutif continue à prendre le Parlement pour une simple chambre
d'enregistrement.
Le Sénat et l'Assemblée nationale doivent sérieusement réfléchir à la manière
de remédier à cette situation, qui entretient une confusion des pouvoirs,
peut-être, et la confusion dans les esprits, sûrement.
Monsieur le ministre, nous souhaitons, bien entendu, que les nouvelles règles
du jeu budgétaires soient fondées sur une relation de confiance plus
évidente.
Mais l'affaire de la « cagnotte », même si le mot est mal choisi et irritant,
l'opacité du financement des 35 heures, le déséquilibre annoncé du fonds de
retraite et cette gestion du dossier de la prime pour l'emploi nous incitent à
la prudence.
Dans ce dossier, le Gouvernement a tenté de rendre le Parlement responsable
des erreurs de l'exécutif.
C'est pourtant lui qui a tenté d'imposer une réduction dégressive de CSG et de
CRDS dont nous avons été nombreux, ici et ailleurs, à dénoncer le caractère
inégalitaire.
C'est lui aussi qui a voulu passer en force, contre notre avis, contre la
Constitution, avec le résultat que nous connaissons.
C'est lui encore qui a balayé la solution alternative du crédit d'impôt
proposée par le Sénat avant de s'y rallier près de deux mois plus tard,... deux
mois trop tard !
C'est lui, enfin, qui est responsable du cafouillage administratif de ces
dernières semaines, cafouillage qui l'a obligé à lancer des campagnes
d'information en catastrophe et à repousser la date limite pour l'envoi des
déclarations.
Tout cela à un coût, financier bien sûr, mais pas uniquement.
La principale victime de ce cafouillage est l'espoir d'une modernisation
rapide et profonde de notre administration fiscale.
Où est passée la simplification administrative qui nous a été promise par le
Gouvernement à grands renforts de communiqués et de déclarations volontaristes
?
Notre collègue James Bordas vous a posé cette question lors de la séance des
questions d'actualité de jeudi dernier, madame la secrétaire d'Etat. Il n'a pas
été très satisfait de la réponse que vous lui avez apportée.
Il est vrai que le bilan n'est guère flatteur. Monsieur le ministre a bien été
obligé de le reconnaître lors de son audition devant la commission des
finances, le 27 mars dernier.
Avec le talent de débatteur que nous lui reconnaissons, il a bien dû confirmer
le report
sine die
de la généralisation des feuilles de déclaration de
revenus préremplies qui étaient censées simplifier les procédures pour les
contribuables.
La décision est sans doute empreinte de sagesse car il est vrai, et vous
l'avez confirmé, que l'expérimentation que vous avez menée sur un échantillon
de quelques départements a débouché sur un taux d'erreurs de 60 %, ce qui est
évidemment considérable et, surtout, inadmissible.
Mais Bercy va devoir corriger, et corriger encore. Les fonctionnaires du
ministère des finances sont maintenant appelés à réparer les pots cassés de la
prime pour l'emploi. Il va leur falloir réexaminer des millions de déclarations
de revenus et, probablement, relancer des millions de courriers, des millions
de réponses et des millions d'opérations supplémentaires. Que de moyens humains
et financiers dépensés !
Vraiment, et je vous livre ici une réflexion personnelle, les fonctionnaires
de l'Etat en charge de la fiscalité de nos concitoyens se révèlent bien plus
dynamiques et sûrs d'eux-mêmes quand ils entendent saboter une réforme de fond
de leur ministère et « se payer » un ministre - il n'y a pas d'autre expression
-, comme ils l'ont fait.
S'agissant de la prime pour l'emploi, face à une telle situation, que peut
faire le Sénat, sinon tenter de remettre sur les rails un train qui est déjà
lancé ? C'est ce que propose la commission des finances, avec pragmatisme.
Elle ne souhaite pas retarder la mise en place d'une mesure attendue par les
familles et dont elle est grandement à l'origine.
Elle suggère simplement la mise en place d'une procédure exceptionnelle afin
de faire face aux difficultés d'application du nouveau dispositif fiscal et
d'éviter des contentieux dommageables.
Après la confusion qui s'est instaurée ces dernières semaines, nous devons
envoyer un message clair aux contribuables susceptibles de bénéficier du crédit
d'impôt en faveur de l'activité. Nous devons leur garantir qu'aucun d'entre eux
ne sera laissé sur le bord de la route. Nous devons leur laisser le temps de
fournir toutes les informations requises.
Le groupe des Républicains et Indépendants approuve cette démarche qu'il juge
constructive et responsable.
Au demeurant, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de regretter, une
fois encore, que le Gouvernement nous prive d'un débat de fond en nous plaçant
devant le fait accompli et nous empêche d'examiner un certain nombre de points
qui auraient mérité d'être éclaircis. Je pense, par exemple, à la situation des
nombreux exploitants agricoles qui ont des revenus d'activité inférieurs à 0,3
SMIC et qui craignent ainsi d'être exclus du nouveau dispositif fiscal. Peut-on
espérer que le Gouvernement nous donnera des précisions à ce sujet ?
Pour le reste, nous n'avons plus qu'à souhaiter que le nouveau crédit d'impôt
soit un succès sur le terrain et contribue à la réduction des prélèvements
obligatoires. En effet, sur ce point, là encore, malgré toutes les promesses,
le compte n'y est toujours pas. En 2000, la pression fiscale a très peu diminué
par rapport à son record historique de 1999. Avec 45,5 % de taux de
prélèvement, la France ne reste-t-elle pas le plus mauvais élève du G 7 ?
Le crédit d'impôt en faveur de l'activité est un pas dans la bonne direction,
mais il doit être suivi de beaucoup d'autres afin de garantir la compétitivité
de nos entreprises et de permettre aux Français de bénéficier davantage des
fruits de la croissance.
Sous réserve de l'adoption des amendements défendus par la commission des
finances, le groupe des Républicains et Indépendants votera ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
présent projet de loi a pour objet d'éteindre la controverse née de la décision
du Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la
disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 relative
à la ristourne dégressive de contribution sociale généralisée.
En saisissant le Conseil constitutionnel, nos collègues de l'opposition à
l'Assemblée nationale et de la majorité sénatoriale ont remis en question une
mesure qui paraissait, malgré ses défauts, susceptible de rendre immédiatement
un peu de pouvoir d'achat aux salariés, singulièrement aux plus modestes.
Lors des débats sur la loi de financement de la sécurité sociale et sur la loi
de finances elle-même, les membres de la majorité sénatoriale s'étaient
attachés à défendre un dispositif de crédit d'impôt qui était assez proche - et
c'est un euphémisme ! - de celui que le présent projet de loi prévoit, M.
Marini parlant d'ailleurs aujourd'hui de ralliement et revendiquant un droit de
paternité.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Absolument !
M. Roland Muzeau.
Toutefois, une ultime question, liée à l'organisation même de nos travaux, se
pose.
En effet, en recevant récemment, comme tout un chacun, le formulaire de
déclaration des revenus de l'année 2000, j'ai pu constater la présence d'une
rubrique intitulée : « Renseignements complémentaires relatifs aux revenus
d'activité », qui n'est ni plus ni moins que la traduction « technique » de la
prime pour l'emploi.
Ce débat, intervenant après une longue interruption de nos travaux, qui a
elle-même suivi un bouleversement du calendrier parlementaire, est donc un
exercice quelque peu vain : les choses sont déjà engagées.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Très juste !
M. Roland Muzeau.
Voter pour ou contre la prime pour l'emploi n'a guère de sens au moment où les
contribuables ont déjà rempli leur déclaration de revenus de 2000 puisqu'ils
avaient jusqu'à hier minuit pour la déposer auprès de leur centre des
impôts.
Cependant, il est une question autrement plus importante qui mérite d'être
posée à l'occasion de ce débat.
Revenons d'abord à la véritable source des mesures qui nous sont proposées. Le
concept d'impôt négatif ou de crédit d'impôt trouve son origine, il convient de
le rappeler, dans les travaux d'économistes américains comme Milton Friedman ou
James Tobin - celui-ci est surtout connu pour une autre proposition - qui ont,
dans une société assez profondément inégalitaire, préconisé un dispositif
d'incitation fiscale en direction des salariés les plus modestes, ceux que l'on
appelle désormais les
working poor
.
Ceux-ci tirent très peu parti de la croissance économique et sont directement
confrontés aux ajustements conjoncturels qui interviennent, en termes d'emploi,
quand le cycle économique s'inverse. Les
working poor
, c'est l'autre
Amérique, celle que l'on ne nous montre que rarement au milieu de l'exposition
rutilante de la réussite économique.
Aux Etats-Unis, le dispositif, connu sous le nom de
Earned Income Tax
Credit
, touche 20 % des foyers américains.
Sur le même modèle, en Grande-Bretagne, le gouvernement de Tony Blair a mis en
place, à la fin de 1999, un dispositif d'incitation fiscale nommé
Working
Families Tax Credit
, qui touche un million et demi de foyers
britanniques.
Notre pays est-il donc confronté, lui aussi, au développement de cette
catégorie de salariés ? Si l'on en croit les intentions affichées de ce projet
de loi, il semble bien que ce soit le cas.
Un profond accroissement de la précarité de l'emploi, liée à la remise en
question de l'ensemble des garanties sociales du monde du travail, se produit
depuis vingt-cinq ans.
Ici même, à l'automne 1993, lors de la discussion du projet de loi
quinquennale sur l'emploi, la majorité sénatoriale s'était particulièrement
distinguée dans cet exercice de remise en cause des « fondamentaux » du code du
travail. Depuis, elle maintient cette position, se contentant de « prendre la
roue » du MEDEF.
Même en phase de croissance, la réalité de la précarisation du travail est
incontournable.
Selon certaines études récentes, 20 % à 25 % des salariés du secteur privé ont
connu, dans la dernière année écoulée, une période de chômage.
Au-delà du débat que nous pouvons avoir également sur la qualité du marché du
travail, notamment sur le nombre très important de contrats à durée déterminée
qui sont proposés aux demandeurs d'emploi en lieu et place d'embauches fermes
et définitives sous contrat à durée indéterminée, un autre phénomène apparaît
aujourd'hui : l'explosion du travail intérimaire et du travail à temps partiel,
particulièrement pratiqués dans le secteur du commerce et des services.
La parcellisation, l'émiettement du marché du travail, rendus possibles par le
cadre législatif issu de 1993, se doublent d'un autre processus, celui de la
négation, tant à l'embauche qu'en termes de rémunération, de la formation et de
la qualification des salariés.
Dans une tribune libre récemment publiée par le journal
Les Echos
,
l'économiste André Gauron souligne que la part des emplois non qualifiés dans
les secteurs industriels a été pratiquement divisée par deux entre 1984 et
2000, avec une baisse de 860 000 postes de travail et de 21 % du total des
emplois industriels, tandis que les secteurs des services ont vu, dans le même
temps, le nombre des salariés non qualifiés progresser de 830 000 et leur part
dans l'emploi global de ces secteurs passer de 18 % à 37 %.
Pour oser une formule, disons que le secteur tertiaire s'est en quelque sorte
« prolétarisé ».
Ce mouvement est contradictoire avec la progression du niveau de qualification
des salariés.
En 1983, selon les éléments fournis par l'INSEE et que le conseil d'analyse
économique a pris en compte dans son vingt-deuxième rapport, 44,9 % des actifs
n'avaient aucun diplôme. En 1999, ils ne représentaient plus que 25,9 % des
actifs, et leur nombre était inférieur à celui des actifs titulaires du
baccalauréat ou d'un diplôme d'enseignement supérieur.
Le mouvement de déqualification des salariés du secteur tertiaire est donc la
négation de la qualification et de la formation initiale qu'ils ont
acquises.
Or c'est évidemment l'ensemble de ces emplois qui est au centre de notre débat
d'aujourd'hui.
Le dispositif de la prime pour l'emploi tend, par nature, à pérenniser des
réalités économiques et sociales qui ne peuvent pourtant être tenues pour
acceptables. C'est là, de notre point de vue, l'une des limites théoriques
fondamentales du projet de loi.
En donnant un « coup de pouce » fiscal aux revenus les plus faibles, dans la
limite de 1,4 SMIC, on ferme, certes, ce que l'on appelle la « trappe à
pauvreté », mais on ouvre assez largement la « trappe à bas salaires » où ils
se retrouvent confinés aujourd'hui.
In fine,
l'effort a été réorienté vers l'impôt progressif sur le
revenu, aujourd'hui deuxième étage d'une imposition des revenus dont le socle
est précisément constitué par la CSG et son appendice, la CRDS.
Si l'on s'en réfère aux promoteurs de cette proposition, la prime pour
l'emploi viendrait donc corriger quelque peu l'application d'un impôt sur le
revenu qui, faute d'une réforme plus globale, est encore aujourd'hui empli de
primes à la rente.
Elle accompagnerait aussi le développement de l'emploi et favoriserait la
sortie plus volontaire des dispositifs d'aide sociale, mais on suppose ainsi
implicitement qu'une partie de nos compatriotes, dont le revenu dépend
aujourd'hui de l'aide sociale, aurait fait le choix conscient de cette
situation.
Cette mesure préfigure-t-elle une remise à plat plus complète encore de
l'équilibre de nos revenus de transfert ? C'est à craindre.
Par ailleurs, la création d'un revenu minimum jeune étudiant va-t-elle aller
de pair avec l'extinction progressive des formes actuelles de redistribution en
leur direction telles que les bourses d'enseignement ou l'allocation logement
étudiante ?
Enfin, la montée en puissance de la prime pour l'emploi se produit au moment
où se réduit la dépense publique pour l'emploi.
Depuis de longues années se sont multipliées les formules de traitement du
chômage des publics les plus en difficulté avec les rigueurs implacables du
marché du travail. Des centaines de milliers de jeunes, de femmes reprenant une
activité professionnelle, de chômeurs de longue durée ont ainsi goûté aux TUC,
aux CES, aux contrats d'insertion, aux contrats initiative-emploi ou encore,
plus récemment, aux emplois-jeunes.
Nous avons toujours, dans le passé, mis en question la qualité de ces mesures,
les critiquant au besoin, les approuvant pour certaines.
Leur coût budgétaire a représenté, bien souvent, la source principale de
progression des dépenses d'intervention dans les dix ou quinze derniers
exercices budgétaires.
L'amélioration de la situation économique conduit les personnes concernées à
moins recourir à ces démarches d'alternative provisoire au chômage et favorise
mécaniquement une réduction de l'engagement de l'Etat. Le dernier collectif
budgétaire en portait d'ailleurs la trace avec, par exemple, l'annulation de
3,5 milliards de francs de crédits pour les emplois-jeunes.
Allons-nous donc, dans ce débat, procéder une fois encore à l'abandon d'une
dépense budgétaire directe au profit d'une réponse de nature fiscale qui peut,
sans évolution des paramètres de la situation réelle de l'emploi, constituer
dans les années à venir un obstacle à toute réforme durable et pertinente des
finances publiques ?
En dernière instance, en effet, c'est bien au travers du maintien d'un certain
volume de prélèvements obligatoires - concernant par exemple, les taxes
frappant la consommation - que l'on va financer ce dispositif d'incitation
fiscale.
Deux questions sont donc directement soulevées par la mise en place de la
prime pour l'emploi.
La première est de savoir si la dépense publique pour l'emploi doit suppléer
les carences du dialogue social en ce qui concerne les salaires et la
rémunération, la reconnaissance des qualifications ?
Mettre en place la prime pour l'emploi, c'est, que vous le vouliez ou non,
accepter au fond les désordres de la situation salariale, la non-reconnaissance
des qualifications acquises par l'étude ou par l'expérience professionnelle,
c'est admettre la réduction de la part des salaires dans la valeur ajoutée que
nous observons depuis que nous sommes entrés dans un cycle de croissance,
réduction qui est susceptible, à terme, de remettre en cause la durée même de
cette phase de croissance.
Les entreprises peuvent-elles répondre à l'exigence de revalorisation
salariale, exigence largement partagée par les salariés de notre pays ainsi
qu'en témoignent les mouvements sociaux qui se déroulent actuellement ? A
l'évidence, oui.
Ainsi,
Le Monde
daté du 1er mars dernier titrait : « Les entreprises
affichent des profits historiques pour 2000. » Les douze plus grands groupes
français ont en effet cumulé, au cours du dernier exercice du siècle, 126,7
milliards de francs de bénéfices, dont environ 50 milliards pour le seul groupe
Total-Fina-Elf, et ce malgré l'
Erika
. Dans le même temps, la COB annonce
que les dividendes versés au titre de 2000 par les sociétés cotés au CAC 40
vont franchir les 100 milliards de francs.
Ces profits exceptionnels, dégagés tant par nos groupes industriels que par
les grands établissements bancaires, ont une origine bien connue.
Nos entreprises, depuis désormais une vingtaine d'années, enregistrent
continûment des gains de productivité, réalisés souvent bien plus grâce à
l'augmentation de l'intensité du travail des salariés qu'au développement réel
de l'investissement productif, ainsi que l'attestent la baisse régulière de la
part des salaires dans la valeur ajoutée et l'augmentation corollaire de la
part des dividendes. Après l'affaire Michelin, les actuelles affaires Danone et
Marks & Spencer illustrent encore cette situation.
Pouvons-nous oublier cet élément dans le débat, quand le produit
exceptionnellement élevé de l'impôt sur les sociétés en 2000 nous apporte un
témoignage encore plus clair de cet état de fait ? En 2000, le produit de
l'impôt sur les sociétés est deux fois plus important qu'il ne l'était en 1993,
atteignant 247 milliards de francs !
Nous persistons donc à penser que, dans ce contexte, augmenter le SMIC et
faire un effort sur les minima sociaux n'auraient pas été de trop !
Seconde question : devons-nous nécessairement admettre que la dépense publique
pour l'emploi quitte les rivages du traitement social et des emplois « aidés »
pour ceux de la dépense fiscale, ou poser l'alternative d'une réallocation des
ressources en direction d'autres priorités et d'autres objectifs ?
Le choix, constamment opéré, de réduction des cotisations sociales des
employeurs est discutable, et un effort en direction de l'allégement d'autres
contraintes vécues par les entreprises, notamment celles du coût du crédit,
doit être accompli.
Cette mise en question s'impose, surtout quand la ristourne dégressive des
cotisations calculées sur les salaires les plus faibles est aujourd'hui
complétée, comme par symétrie, par le dispositif dont nous débattons.
L'argent public mobilisé dans le soutien à l'activité et à l'emploi ne peut
définitivement être utilisé que sur le « coût du travail », encourageant, par
un effet pervers, que nous avons maintes fois constaté, la permanence de la
précarisation des conditions de travail et de celle des conditions salariales
ou facilitant l'utilisation massive de la richesse créée au seul profit des
actionnaires, voire du montage d'opérations spéculatives ruineuses.
Une démarche nouvelle de financement de l'emploi et de la formation passe par
la mobilisation de l'argent public en faveur de l'allégement du coût du crédit,
dont on sait qu'il est le plus souvent le principal obstacle à l'investissement
et,
a fortiori
, à la création d'emplois. En outre, une profonde
inégalité d'accès au crédit impose que l'argent public puisse être utilisé
comme levier.
Ainsi, les crédits de bonification d'intérêts sur prêts doivent être
sensiblement réévalués.
Cette politique s'accompagnerait évidemment de la détermination de critères
nouveaux d'attribution de l'aide publique, plus directement ciblée sur les
projets d'investissement les plus porteurs en termes d'emploi et de formation
des salariés.
L'argent public ne peut durablement être utilisé uniquement pour compenser les
travers et les défauts inacceptables des modes de rémunération et du marché du
travail.
De par sa nature même, la prime pour l'emploi est vouée à disparaître à terme
du paysage fiscal de notre pays. En voter aujourd'hui la création n'a qu'une
portée relative, d'autant que nous en débattons alors même que les
contribuables ont d'ores et déjà envoyé leur formulaire de déclaration de
revenus.
Nous nous abstiendrons donc sur ce texte, marquant qu'il n'apporte, selon
nous, que des réponses insuffisantes au problème posé et que, sur le fond, nous
sommes opposés au dispositif qu'il tend à mettre en place.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, permettez-moi de vous dire que ce débat me remplit d'espoir. En
effet, de tous les propos que j'ai entendus, je conclus que nous partageons un
même objectif : l'emploi. Cela mérite d'être salué, car c'est assez nouveau
dans le débat politique et économique français.
Il y a d'abord consensus sur un diagnostic : parmi ceux qui ont une activité,
il est des personnes dont l'activité est faiblement rémunérée, et il faut
répondre à cette situation.
Monsieur le rapporteur, vous avez tiré une satisfaction politique de ce que le
Gouvernement en soit arrivé au choix de la prime pour l'emploi. Eh bien, cette
satisfaction, je vous l'accorde de bonne grâce, car je ne renie rien des propos
que j'ai pu tenir devant vous lorsque nous débattions du projet de loi de
finances pour 2001 ou encore du projet de loi de finances rectificative pour
2000. Je ne renie rien de ce que j'ai pu dire des mérites comparés de la
ristourne de CSG et du crédit d'impôt.
La ristourne de CSG aura toujours deux avantages : d'une part, celui d'être
contemporaine de l'activité, qu'elle soit conservée ou reprise, et donc d'être
plus lisible, plus aisément incitative ; d'autre part, celui d'être plus
directe et plus simple pour les bénéficiaires.
Mais ne perdons pas de temps sur le passé. Cette disposition a été censurée,
c'est ainsi ; j'ai dit que nous en avions pris acte et je ne ferai pas d'autre
commentaire.
Quant au crédit d'impôt tel qu'il avait été préconisé par le Sénat, je dois
reconnaître que la Haute Assemblée était plutôt sur une bonne piste ; je l'ai
dit, je le redis.
M. Gérard Braun.
Très bien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Pouvait-on pour autant suivre cette piste telle
qu'elle avait été définie ?
En novembre, non, car, comme je viens de le rappeler, la ristourne de CSG
conservait tous ses mérites.
En décembre, pas plus, parce que la procédure législative, quoi que vous en
disiez, monsieur le rapporteur, ne l'autorisait absolument pas, et vous me
permettrez de préciser que je n'aurais pris aucun risque vis-à-vis du Conseil
constitutionnel pour vérifier si, oui ou non, une telle démarche eût été
praticable ou pas. En outre, la proposition, qui ne manquait pas de mérites,
était insuffisamment calibrée. Elle était porteuse de distorsions entre des
situations comparables, elle ne modulait pas le revenu pris en compte pour
ouvrir droit à ce qui était l'équivalent de la prime pour l'emploi en fonction
des charges de famille et, par construction, elle n'était pas du tout
incitative à la prise d'activité du conjoint.
Ayant rappelé tout ce qui différenciait la ristourne de CSG du crédit d'impôt
tel que le Sénat l'avait proposé, vous comprendrez que je persiste à qualifier
ce débat de politique, et que je persiste à le qualifier d'honorable.
Vous avez sans doute vous-même passé beaucoup de temps, monsieur le
rapporteur, à élaborer cette proposition. Vous savez bien que de telles
questions ne s'improvisent pas et qu'elles méritent d'être travaillées en
profondeur. Par conséquent, les reproches qui ont pu être faits ici ou là sur
les thèmes conjugués de la lenteur et de la précipitation ne peuvent que
relever la polémique et n'ont pas leur place dans la réponse que je vous
adresse.
Le Gouvernement a donc choisi dès le mois de décembre, et sans hésitation, de
trouver une réponse à la censure du Conseil constitutionnel. Bien sûr, il
aurait été sans doute plus confortable de ne rien faire du tout : nous nous
serions épargné bien des complications. Mais, vous l'avez compris, ce n'était
pas la politique de ce gouvernement, qui souhaitait absolument que, dès 2001,
les bénéficiaires potentiels de la ristourne de CSG dans un premier temps, du
crédit d'impôt - qui ne s'appelait pas encore prime pour l'emploi - dans un
second temps, puissent profiter de cette mesure au plus vite.
Comment tenir compte des orientations indiquées par le Conseil constitutionnel
sur la prise en considération des charges de famille ? Comment éviter des cas
qui, même s'ils sont marginaux, ont sans doute pesé lourd dans sa décision,
parce qu'ils auraient correspondu au voisinage d'une rémunération modeste avec
d'autres revenus plus confortables ? Comment calibrer la prime pour l'emploi de
façon qu'elle tienne dans l'enveloppe votée par le Parlement ? Voilà des
questions qui ne sont ni légères ni vaines et qui, je dois le dire, ont rempli
notre emploi du temps entre le 20 décembre et le 16 janvier, date à laquelle
Laurent Fabius, Elisabeth Guigou et moi-même avons proposé le dispositif de la
prime pour l'emploi.
Enfin, se posait la question du nom.
Pour commencer, monsieur le rapporteur, je soulignerai un point d'accord : la
prime pour l'emploi est tout sauf un impôt négatif. D'ailleurs, un impôt
négatif, personne ne comprend ce que cela veut dire !
Sur le fond, comme vous le soulignez dans votre rapport, le choix idéologique
qui fonde le crédit d'impôt que vous avez préconisé est tout à fait différent
de celui qui fonde la prime pour l'emploi que nous avons proposée.
Pourquoi une prime pour l'emploi ?
Le mot fort, vous l'avez compris, c'est « l'emploi ». Il désigne à lui seul la
cible et l'ambition de cette mesure. Prime « pour », parce qu'il faut décider
d'aller vers l'emploi, puis décider d'y rester ; il est nécessaire d'être
soutenu pour cela. « Prime », enfin, parce que l'on doit être clair sur ce que
l'on veut faire : il ne s'agit pas là simplement d'une aide au changement de
moquette, pour renvoyer à un certain nombre de crédits d'impôt qui existent
déjà !
Il nous a donc paru utile de qualifier ce crédit d'impôt, et de le qualifier
très nettement par rapport à son objet : l'emploi.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup plaint par avance nos
successeurs, qui auront à assumer un dispositif dont vous avez estimé le coût à
plus de 25 milliards de francs en 2003. Permettez-moi de vous rappeler que
Laurent Fabius et moi-même avons toujours refusé de légiférer au-delà de 2002,
parce que nous avons passé un contrat de législature avec les Français. Au-delà
de ce contrat de cinq ans, ce sont les Français qui auront la parole et qui
désigneront nos successeurs. Nous refusons donc de tirer des chèques que nous
leur laisserions l'obligation de régler à notre place.
Bien que M. Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires
sociales, soit absent, je lui répondrai rapidement, sans revenir sur la
controverse qui concernait la ristourne de CSG.
M. Descours a naturellement rappelé les caractéristiques et les défauts que
présentait à ses yeux cette ristourne. Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris
les arguments qu'il a mis en avant sur le thème de sa compensation par l'Etat :
a-t-il voulu dire qu'il eût mieux valu qu'il n'y ait pas de compensation ? J'en
doute !
Quoi qu'il en soit, je me félicite que la commission des affaires sociales ait
examiné ce projet de loi, qui est tout autant social que fiscal, et qu'elle en
partage, comme la commission des finances, les diagnostics et les objectifs.
Je remercie donc M. Descours du soutien qu'il a apporté à la mesure.
Je vous remercie également, monsieur Sergent, d'avoir, en quelques phrases
très claires, rappelé les principes, les caractéristiques et les effets de la
prime pour l'emploi, et de lui avoir apporté le soutien de votre groupe.
Vous avez indiqué, monsieur le sénateur, qu'il fallait mieux rémunérer le
travail sans stigmatiser les chômeurs. C'est bien l'objet de cette prime, et je
ne saurais mieux l'exprimer que vous ne l'avez fait voilà quelques instants.
Je crois comme vous que cette prime est juste parce qu'elle améliore les
conditions matérielles des travailleurs, notamment de ceux qui, pour dire les
choses simplement, éprouvent des difficultés à joindre les deux bouts à la fin
de chaque mois et qui, paradoxalement, peuvent trouver en quelque sorte un «
désavantage » financier à travailler.
Vous avez rappelé à juste titre le profil de ceux que nous souhaitons voir
bénéficier du dispositif d'ici au mois de septembre. Ce sont pour 70 % des
foyers non imposables ; plus de 60 % sont des personnes seules, et près de la
moitié auront moins de trente-cinq ans. On peut donc considérer que la prime
pour l'emploi accompagnera aussi le premier emploi et qu'elle constituera une
manière de débuter dans la vie active.
Avec le temps, ce dispositif connaîtra une montée en puissance, puisque nous y
reviendrons lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2002. Il est
donc conçu pour durer et sera, je l'espère, un soutien puissant pour aider un
certain nombre de nos concitoyens à « mettre le pied à l'étrier ».
Monsieur Braun, vous avez fait état de vos regrets, vous avez rappelé ce que
nous avons fait et ce que nous n'avons pas fait, vous nous avez reproché
d'avoir mené une action de communication tout en la trouvant insuffisante, vous
avez estimé que nous avions agi trop vite ou que nous avions trop tardé !... Il
est difficile, c'est vrai, de regretter que la campagne que nous avons lancée
ait été insuffisante et de souligner qu'il aurait fallu faire plus et mieux que
de diffuser... cinq millions de dépliants, de dire qu'il aurait fallu faire
plus et mieux qu'une campagne de communication et, dans le même temps, de nous
en reprocher le coût trop élevé !
Le crédit d'impôt tel que le Sénat le proposait n'avait pas, à ma
connaissance, vocation à être payé dès le mois de janvier, contrairement à ce
qui aurait été le cas de la ristourne de CSG. Ce que nous vous proposons
aujourd'hui, dans le cadre de ce projet de loi, c'est que la prime pour
l'emploi soit versée en septembre. Tout à l'heure, Laurent Fabius, lors de la
discussion générale, a rappelé les mesures que nous avons déjà mises en oeuvre
et celles que nous préparons pour rendre ce droit effectif à l'automne.
Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais je ne vois pas où est le retard !
Je ne peux pas laisser dire non plus que le crédit d'impôt tel que le Sénat
l'avait conçu cet automne eût pu être versé dès le mois de février, en même
temps que le premier acompte de l'impôt sur le revenu. Tel n'était pas le
contenu du texte qu'a adopté votre Haute Assemblée, et ce délai était
techniquement impossible à respecter.
M. Nogrix - je le comprends - n'aurait pas été hostile à une augmentation du
salaire direct. Je précise, pour éclairer les débats, qu'il s'agit du salaire
versé après cotisations sociales.
Quelles sont les cotisations qui pèsent sur le SMIC ? Ce sont essentiellement
les cotisations vieillesse, c'est-à-dire les cotisations pour la retraite.
Faut-il, après avoir entendu M. le rapporteur pour avis, suivre M. Nogrix et
affaiblir le financement des retraites par répartition ? Je ne le crois pas.
Qu'aurait-on entendu si le Gouvernement avait formulé une telle proposition
!
M. Nogrix a ajouté qu'il nous avait prévenus. Sans vouloir entrer dans une
nouvelle polémique, je rappellerai qu'en matière constitutionnelle son analyse
est une analyse tout simplement rétrospective ! Je n'en dirai pas plus.
Monsieur Trucy, vos propos ont été bien sévères !
M. François Trucy.
Qui aime bien châtie bien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Seul le Parlement vote la loi,...
M. Gérard Braun.
En retard !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... et cela ne souffre aucune discussion.
Auriez-vous jugé préférable qu'il ne se passe rien en 2001 pour ceux de nos
concitoyens dont vous dites, comme moi, qu'il faut les aider ? Proposiez-vous
que le Parlement siège pendant la campagne des élections municipales ? Je ne le
crois pas.
Par conséquent, je ne peux pas accepter ces critiques, ni surtout celles que
vous avez adressées aux fonctionnaires de l'administration des finances. Vous
savez qu'ils font un travail difficile, qu'ils l'accomplissent avec beaucoup de
disponibilité, de dévouement et, s'agissant de la prime pour l'emploi,
d'engagement. Ils le font comme tous les ans, en cette période de campagne de
déclaration d'impôt sur le revenu ; ils le font avec encore plus de foi, j'ai
pu le constater moi-même, à cause de la prime pour l'emploi.
Ce sont des fonctionnaires loyaux ; ils servent l'Etat, mais ils ont aussi
conscience de servir leurs concitoyens. Vous leur avez prêté des intentions et
les avez suspecté de manoeuvres de façon inacceptable, et j'espère que vos
propos ne reflétaient pas votre pensée.
Monsieur Muzeau, vous avez fait un diagnostic extrêmement juste que je partage
tout à fait : en effet, pendant vingt ou trente ans, nous avons assisté à une
montée du chômage et de la pauvreté. Mais je nuancerai tout de même ce constat,
car la croissance a eu malgré tout des effets positifs sur la précarité, que
vous avez à juste titre évoquée. Je ne citerai que très peu de chiffres ; je me
bornerai à rappeler que le temps partiel « subi » recule depuis trois ans :
aujourd'hui, les deux tiers des emplois créés font l'objet d'un contrat à durée
indéterminée.
Bien sûr, beaucoup reste à faire, mais, incontestablement, la baisse du
chômage améliore le rapport de forces au profit des salariés.
Vous vous êtes également interrogé sur les conséquences que pourrait avoir la
prime proposée sur le budget de l'emploi. C'est effectivement un débat de fond
nécessaire.
Le choix du Gouvernement n'est évidemment pas de supprimer les dépenses du
budget de l'emploi. Sa priorité économique, c'est l'emploi et le retour à
l'emploi de tous ceux qui, aujourd'hui, en sont privés. C'est un choix
politique essentiel, car la mesure de redistribution sociale la plus importante
et la plus efficace, c'est bien la création d'emplois.
Je conclurai en rappelant que, comme vous l'avez d'ores et déjà compris, notre
objectif est l'emploi, l'emploi et toujours l'emploi. Un million de chômeurs en
moins, c'est bien ; 1,5 million de créations d'emplois depuis 1997, c'est bien,
mais ce n'est pas suffisant. La prime pour l'emploi est donc un instrument
supplémentaire au service de cette politique. C'est une mesure de justice,
parce qu'elle améliore le pouvoir d'achat des travailleurs qui sont faiblement
payés, et c'est une mesure d'incitation à la reprise d'activité.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Il est créé, dans le code général des impôts, un
article 200
sexies
ainsi rédigé :
«
Art. 200
sexies. - I. - Afin d'inciter au retour à l'emploi ou au
maintien de l'activité, il est institué un droit à récupération fiscale,
dénommé prime pour l'emploi, au profit des personnes physiques fiscalement
domiciliées en France mentionnées à l'article 4 B. Cette prime est accordée au
foyer fiscal à raison des revenus d'activité professionnelle de chacun de ses
membres, lorsque les conditions suivantes sont réunies :
« A. - Le montant des revenus du foyer fiscal au titre de l'année 2000 tel que
défini au IV de l'article 1417 ne doit pas excéder 76 000 francs pour la
première part de quotient familial des personnes célibataires, veuves ou
divorcées et 152 000 francs pour les deux premières parts de quotient familial
des personnes soumises à imposition commune. Ces limites sont majorées de 21
000 francs pour chacune des demi-parts suivantes.
« Pour l'appréciation de ces limites, lorsqu'au cours d'une année civile
survient l'un des événements mentionnés aux 4, 5 et 6 de l'article 6, le
montant des revenus, tel que défini au IV de l'article 1417, déclaré au titre
de chacune des déclarations souscrites est converti en base annuelle.
« B. - 1° Le montant des revenus déclarés au titre de l'année 2000 par chacun
des membres du foyer fiscal bénéficiaire de la prime, à raison de l'exercice
d'une ou plusieurs activités professionnelles, ne doit être ni inférieur à 20
575 francs ni supérieur à 96 016 francs.
« La limite de 96 016 francs est portée à 146 257 francs pour les personnes
soumises à imposition commune lorsqu'un des membres du couple n'exerce aucune
activité professionnelle ou dispose de revenus d'activité professionnelle d'un
montant inférieur à 20 575 francs ;
« 2° Lorsque l'activité professionnelle n'est exercée qu'à temps partiel ou
sur une fraction seulement de l'année civile, ou dans les situations citées au
deuxième alinéa du A, l'appréciation des limites de 96 016 francs et de 146 257
francs s'effectue par la conversion en équivalent temps plein du montant des
revenus définis au 1°.
« Pour les salariés, la conversion résulte de la multiplication de ces revenus
par le rapport entre 1 820 heures et le nombre d'heures effectivement
rémunérées au cours de l'année ou de chacune des périodes faisant l'objet d'une
déclaration. Cette conversion n'est pas effectuée si ce rapport est inférieur à
un.
« Pour les agents de l'Etat et de ses établissements publics, des
collectivités territoriales et de leurs établissements publics et les agents
des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier
1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique
hospitalière, travaillant à temps partiel ou non complet et non soumis à une
durée du travail résultant d'une convention collective, la conversion résulte
de la division du montant des revenus définis au 1° par leur quotité de temps
de travail. Il est, le cas échéant, tenu compte de la période rémunérée au
cours de l'année ou de chacune des périodes faisant l'objet d'une
déclaration.
« En cas d'exercice d'une activité professionnelle non salariée sur une
période inférieure à l'année ou faisant l'objet de plusieurs déclarations dans
l'année, la conversion en équivalent temps plein s'effectue en multipliant le
montant des revenus déclarés par le rapport entre le nombre de jours de l'année
et le nombre de jours d'activité ;
« 3° Les revenus d'activité professionnelle pris en compte pour l'appréciation
des limites mentionnées aux 1° et 2°, s'entendent :
«
a)
Des traitements et salaires définis à l'article 79 à l'exclusion
des allocations chômage et de préretraite et des indemnités et rémunérations
mentionnées au 3° du II de l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale
;
«
b)
Des rémunérations allouées aux gérants et associés des sociétés
mentionnées à l'article 62 ;
«
c)
Des bénéfices industriels et commerciaux définis aux articles 34
et 35 ;
«
d)
Des bénéfices agricoles mentionnés à l'article 63 ;
«
e)
Des bénéfices tirés de l'exercice d'une profession non commerciale
mentionnés au 1 de l'article 92.
« Les revenus exonérés en application des articles 44
sexies
à 44
decies
sont retenus pour l'appréciation du montant des revenus définis
aux
c, d
et
e.
« II. - Lorsque les conditions définies au I sont réunies, la prime, au titre
des revenus professionnels de l'année 2000, est calculée, le cas échéant, après
application de la règle fixée au III, selon les modalités suivantes :
« A. - 1° Pour chaque personne dont les revenus professionnels évalués
conformément au 1° du B du I, et convertis, en tant que de besoin, en
équivalent temps plein au titre de l'année 2000 sont inférieurs à 68 583
francs, la prime est égale à 2,2 % du montant de ces revenus.
« Lorsque ces revenus sont supérieurs à 68 583 francs et inférieurs à 96 016
francs, la prime est égale à 5,5 % de la différence entre 96 016 francs et le
montant de ces revenus ;
« 2° Pour les personnes dont les revenus ont fait l'objet d'une conversion en
équivalent temps plein, le montant de la prime est divisé par les coefficients
de conversion définis au 2° du B du I ;
« 3° Pour les couples dont l'un des membres n'exerce aucune activité
professionnelle ou dispose de revenus d'activité professionnelle d'un montant
inférieur à 20 575 francs :
«
a)
Lorsque les revenus professionnels de l'autre membre du couple,
évalués conformément au 1°, sont inférieurs ou égaux à 96 016 francs, la prime
calculée conformément aux 1° et 2° est majorée de 500 francs ;
«
b)
Lorsque ces revenus sont supérieurs à 96 016 francs et inférieurs
ou égaux à 137 166 francs, le montant de la prime est fixé forfaitairement à
500 francs ;
«
c)
Lorsque ces revenus sont supérieurs à 137 166 francs et inférieurs
à 146 257 francs, la prime est égale à 5,5 % de la différence entre 146 257
francs et le montant de ces revenus.
« B. - Le montant total de la prime déterminé pour le foyer fiscal
conformément aux 1°, 2° et
a
du 3° du A est majoré de 200 francs par
personne à charge au sens des articles 196 à 196 B, n'exerçant aucune activité
professionnelle ou disposant de revenus d'activité professionnelle d'un montant
inférieur à 20 575 francs.
« Pour les personnes définies au II de l'article 194, la majoration de 200
francs est portée à 400 francs pour le premier enfant à charge qui remplit les
conditions énoncées à l'alinéa précédent.
« C. - Pour les personnes placées dans les situations mentionnées aux
b
et
c
du 3° du A et au deuxième alinéa du B, dont le montant total des
revenus d'activité professionnelle est compris entre 96 016 francs et 146 257
francs, la majoration pour charge de famille est fixée forfaitairement aux
montants mentionnés au B, quel que soit le nombre d'enfants à charge.
« III. - Pour l'application du B du I et du II les revenus des activités
professionnelles mentionnées aux
c, d
et
e
du 3° du B du I sont
majorés de 11,11 %.
« IV. - Le montant total de la prime accordée au foyer fiscal ne peut être
inférieur à 160 francs. Il s'impute en priorité sur le montant de l'impôt sur
le revenu dû au titre de l'année d'imposition des revenus d'activité
déclarés.
« L'imputation s'effectue après prise en compte des réductions d'impôt
mentionnées aux articles 199
quater
B à 200, de l'avoir fiscal, des
autres crédits d'impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires.
« Si l'impôt sur le revenu n'est pas dû ou si son montant est inférieur à
celui de la prime, la différence est versée aux intéressés.
« Ce versement suit les règles applicables en matière d'excédent de
versement.
« V. - Le bénéfice de la prime est subordonné à l'indication par les
contribuables, sur la déclaration prévue au I de l'article 170, du montant des
revenus d'activité professionnelle définis au 3° du B du I et des éléments
relatifs à la durée d'exercice de ces activités.
« VI. - Un décret précise, en tant que de besoin, les modalités d'application
du présent article et notamment celles relatives aux obligations des
employeurs. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Si je devais retenir un point positif dans le projet de « prime pour l'emploi
» que vous nous soumettrez, madame la secrétaire d'Etat, au nom du
Gouvernement, ce serait la reconnaissance de l'inquiétante extension des bas
salaires et de la dégradation des formes de l'emploi dans notre pays.
Oui ! il y a bien 9 millions de salariés en Franc qui touchent moins de 1,4
fois le SMIC, c'est-à-dire 7 864 francs net. Oui, la pratique des bas salaires
à tendance à s'étendre, et même à se généraliser pour les jeunes, les chômeurs
qui retrouvent un emploi, souvent au mépris de leur qualification.
Depuis 1997, près de 90 % des emplois créés sont des emplois à bas salaire,
comme vient de le révéler une enquête de l'INSEE. La précarité devient la règle
: contrats à durée déterminée, intérim et temps partiel subi. Près du quart des
salariés du privé ont connu une période de non-emploi durant l'année passée.
En 2000, malgré la croissance, le pouvoir d'achat des salariés a stagné, celui
des bas salaires baissé. Une nouvelle catégorie de salariés se développe : les
travailleurs pauvres, traduction de l'anglais
working poors
,
c'est-à-dire les salariés qui, tout en ayant un emploi, se situent en dessous
du seuil de pauvreté. Ils sont près de 1,4 million dans notre pays.
Depuis 1980, la part des salaires dans la valeur ajoutée n'a cessé de reculer
et se maintient au plus bas.
Voilà le résultat de la mise en oeuvre par le patronat et les gouvernements
successifs du dogme de la baisse du coût du travail.
Aujourd'hui, en période de croissance, alors que les profits explosent,
personne ne le nie, les mouvements sociaux mettant au centre les revendications
en matière de salaires et de conditions de travail se multiplient et remettent
en cause cette politique.
C'est dans ce contexte qu'il faut replacer la prime pour l'emploi proposée par
le Gouvernement, qui se voudrait un geste en direction des bas salaires mais
qui ne remet pas en cause le dogme de la baisse du coût du travail en faveur
des entreprises, bien au contraire.
Pour ma part, je considère que la « prime pour l'emploi » relève du cadeau
empoisonné aux salariés et que son principe est extrêmement pernicieux et
dangereux pour le monde du travail.
Nos collègues de la majorité sénatoriale veulent la rebaptiser « crédit
d'impôt ». Ne devraient-ils pas, dans leur logique, aller jusqu'à l'appeler «
impôt négatif », véritable dénomination de ce système ultralibéral
d'inspiration anglo-saxonne ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Mme la secrétaire d'Etat vous a fort bien répondu à ce sujet
!
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Certes, les contribuables percevant de bas salaires vont toucher un petit
chèque annuel du Trésor public, et nous nous en félicitons. Mais la prime pour
l'emploi porte, dans son principe, l'incitation à la pratique des bas salaires
et à la pérennisation de la précarité dont elle chercherait à corriger les
effets. Elle prévoit en effet d'ajouter au bas salaire versé par l'entreprise
un complément versé par la collectivité. L'entreprise se verrait donc exemptée
d'une partie de la rémunération du travail de ses employés les plus mal payés.
L'effet d'aubaine est évident, comme l'encouragement à la baisse des salaires
et à l'extension des bas salaires. C'est un peu comme si le Gouvernement disait
au patronat : « Evitez d'augmenter vos salariés ! La collectivité complétera ».
En d'autres mots, la logique de la prime pour l'emploi conduit à mettre à la
disposition des employeurs une main-d'oeuvre plus disposée à accepter de
faibles salaires, dépendant en partie de la collectivité et dont les droits et
possibilités de revendications dans l'entreprise seront bien sûr réduits.
A ce jeu, les salariés sont doublement perdants : d'une part, en raison de la
pression renforcée sur leur salaire et, d'autre part, parce que ce sont eux qui
financeront majoritairement la prime pour l'emploi dans le cadre d'une
redistribution interne aux travailleurs. Les 25 milliards à 30 milliards de
francs que coûtera cette prime seront payés par le budget de l'Etat et ne
pourront se traduire, étant donné les choix budgétaires, que par de nouvelles
restrictions de dépenses publiques, dépenses dont les personnes modestes sont
pourtant les premières à bénéficier.
Le résultat de cette mesure pour l'emploi est plus que douteux : les exemples
anglo-saxons sont très peu concluants et montrent, entre autres éléments, des
effets dissuasifs sur l'entrée et le maintien des femmes vivant en couple sur
le marché du travail.
Pour moi, il ne fait aucun doute que la prime pour l'emploi fait directement
écho au refus du Gouvernement d'augmenter le SMIC et les bas salaires.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie nous a dit une
nouvelle fois que le souhait du Gouvernement était d'« accroître » la
rémunération du travail par rapport aux allocations versées pour compenser
l'absence d'activité ». Il a regretté que « l'activité salariée ne soit pas
toujours suffisamment rémunérée ». Or, plutôt que la prime pour l'emploi,
nocive et perverse, l'augmentation du SMIC n'est-elle pas la seule solution
naturelle à ces préoccupations du Gouvernement ?
Il est faux de dire, comme l'avait fait M. Fabius en commission des finances,
que l'augmentation du SMIC ne concernerait que les 2,4 millions de salariés qui
gagnent juste le SMIC. En effet, tous les bas salaires évoluent au même rythme
que le SMIC. Une telle augmentation serait, reconnaissez-le, madame la
secrétaire d'Etat, un signe fort en direction des salariés en lutte.
L'augmentation du SMIC et des salaires est une question de justice sociale et
d'efficacité économique. Il serait de la responsabilité d'un gouvernement de
gauche d'agir dans ce sens, pour asseoir la croissance sur les bases saines,
durables et créatrices d'emplois stables et bien rémunérés que sont
l'augmentation du pouvoir d'achat et la consommation populaire. Madame la
secrétaire d'Etat, il faut prendre sur les profits qui, comme les grandes
fortunes, sont les premiers bénéficiaires de la croissance.
Dans ces conditions, quel que soit l'intitulé du projet de loi, je voterai, à
titre personnel, contre ce texte.
Je remarque que le quasi-consensus à l'Assemblée nationale et dans notre
hémicycle ne correspond absolument pas à l'état d'esprit de nos concitoyens. Je
vois combien les luttes se développent dans les secteurs les plus divers, dans
le privé comme dans le public, et qu'une vague croissante de sympathie les
accompagne. Aujourd'hui, 78 % des salariés se disent prêts à s'engager dans une
action pour la hausse des salaires. Je crois à ces sondages. Je garde présent à
l'esprit l'avertissement que les électeurs, notamment ces salariés modestes des
intérêts desquels, paraît-il, il est question ce soir, viennent d'adresser aux
tentations du social-libéralisme.
(M. le rapporteur s'exclame.)
Pour certains, la prime pour l'emploi se traduira peut-être par une légère
diminution d'impôt. Mais le problème de la généralisation de l'augmentation des
salaires, à commencer par les plus bas, demeure posé. Les grèves et la rue
l'imposeront-elles sans décision du Parlement ? Nous sommes bien partis pour
cela !
Enfin, permettez-moi une dernière remarque : la complexité de la prime pour
l'emploi et sa nouveauté ne manqueront pas d'entraîner une surcharge de travail
pour les agents des impôts, comme le montrent déjà les déclarations de revenus
au titre de l'année 2000. Il conviendrait donc que le Gouvernement tire les
conséquences de cette mesure en créant des emplois supplémentaires. Mais je
sais, madame la secrétaire d'Etat, que vous avez prévu de le faire.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Tout cela est très pluriel !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Madame Beaudeau, s'il y avait un quelconque risque
pour que la prime pour l'emploi exerce une pression à la baisse sur les
salaires, jamais le Gouvernement n'aurait préconisé l'adoption d'une telle
mesure.
Vous avez fort bien rappelé les raisons pour lesquelles le Gouvernement n'a
pas souhaité retenir la revalorisation du SMIC. M. Laurent Fabius l'ayant fort
bien et très longuement expliqué lors de notre audition en commission, je n'y
reviendrai pas.
Permettez-moi simplement de vous dire que je regrette très profondément le
choix que vous venez d'exprimer au nom du groupe communiste républicain et
citoyen.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Pas au nom du groupe, en mon nom personnel !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
En votre nom personnel, soit. Mais je le regrette tout
autant. J'espère que la suite de nos débats permettra de vous faire évoluer.
M. le président.
Par amendement n° 1, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose
:
I. - A. - Dans la première phrase du premier alinéa du I du texte présenté par
l'article unique pour l'article 200
sexies
du code général des impôts,
de remplacer les mots : « prime pour l'emploi » par les mots : « crédit d'impôt
en faveur de l'activité » ;
B. - Au début de la seconde phrase dudit alinéa, de remplacer les mots : «
Cette prime est accordée » par les mots : « Ce crédit d'impôt est accordé »
;
II. - En conséquence :
A. - Dans le quatrième alinéa du I du texte proposé pour l'article 200
sexies
du code général des impôts, de remplacer les mots : « bénéficiaire
de la prime » par les mots : « bénéficiaire du crédit d'impôt » ;
B. - Dans le premier alinéa du II dudit texte, de remplacer les mots : « la
prime, au titre des revenus professionnels de l'année 2000, est calculée » par
les mots : « le crédit d'impôt, au titre des revenus professionnels de l'année
2000, est calculé » ;
C. - Dans les deuxième, troisième et huitième alinéas du II dudit texte, de
remplacer (trois fois) les mots : « la prime est égale » par les mots : « le
crédit d'impôt est égal » ;
D. - Dans les quatrième, septième et neuvième alinéas du II dudit texte, de
remplacer (trois fois) les mots : « de la prime » par les mots : « du crédit
d'impôt » ;
E. - Dans le sixième alinéa du II dudit texte, de remplacer les mots : « la
prime calculée conformément aux 1° et 2° est majorée » par les mots : « le
crédit d'impôt calculé conformément aux 1° et 2° est majoré » ;
F. - Dans la première phrase du premier alinéa du IV dudit texte, de remplacer
les mots : « de la prime accordée » par les mots : « du crédit d'impôt accordé
» ;
G. - Dans le troisième alinéa du IV dudit texte, de remplacer les mots : « de
la prime » par les mots : « du crédit d'impôt » ;
H. - Dans le V dudit texte, de remplacer les mots : « de la prime » par les
mots : « du crédit d'impôt ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il s'agit simplement de baptiser la mesure conformément à sa
nature. Jusqu'à présent, il n'était en effet jamais venu à l'idée de personne
de qualifier de « prime » les dispositifs qui étaient des crédits d'impôt,
lesquels sont déjà nombreux dans notre législation fiscale. De plus, le
Gouvernement reconnaît lui-même qu'il s'agit d'un crédit d'impôt, et vous avez
d'ailleurs été très claire à cet égard, madame la secrétaire d'Etat, au cours
du débat. Dans le paragraphe IV de l'article unique, il est indiqué que
l'imputation du crédit d'impôt se fait comme pour les autres crédits d'impôt.
Selon la lecture littérale que l'on peut faire du texte que vous nous
soumettez, il s'agit bel et bien d'un crédit d'impôt. Puisque l'on veut la
chose, il faut dire son nom : « crédit d'impôt ».
Il ne s'agit pas d'un impôt négatif, madame Beaudeau. Je ne reviendrai pas sur
ce point, car il a fait l'objet non pas d'un débat sémantique, mais d'un débat
substantiel, évoqué aux pages dix-sept et dix-huit du rapport écrit. Je me
permets de vous y renvoyer. En novembre dernier, au Sénat, Mme Guigou nous
avait dit : « Ce que vous proposez, c'est l'impôt négatif. » Il lui avait alors
été répondu que l'impôt négatif était une autre vision globale de la fiscalité,
que, bien entendu, nous n'en étions pas là et que le crédit d'impôt est un
dispositif technique, spécifique, cherchant à atteindre une série d'objectifs.
Cette mesure n'a aucunement vocation à se substituer à tout le reste de la
fiscalité sur le revenu et à l'ensemble des allocations distribuées pour
soutenir telle ou telle catégorie de la population.
La commission attache une réelle importance à cet amendement car il symbolise
la nature même du texte.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je ne conteste pas qu'il s'agit d'un crédit
d'impôt.
Il existe toutes sortes de crédits d'impôt. J'ai parlé tout à l'heure, en
répondant aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale, du «
crédit d'impôt moquette ». J'aurais pu citer de la même façon l'avoir fiscal,
qui est un crédit d'impôt. « Crédit d'impôt » est un terme générique.
Si vous relisez bien le texte du projet de loi, vous constaterez qu'il vise un
droit à récupération fiscale intitulé « prime pour l'emploi ». Le texte
distingue donc bien l'appellation : « prime pour l'emploi » de la nature
juridique du dispositif, qui, en l'occurrence, a été qualifié par le Conseil
d'Etat lui-même, puisqu'il s'agit de l'oeuvre du Conseil d'Etat, de « droit à
récupération fiscale ».
Par ailleurs, sur le strict plan pratique, nous avons longuement évoqué au
cours de la discussion générale les difficultés que nous avons rencontrées, qui
sont réelles auprès de nos concitoyens, pour faire connaître la prime pour
l'emploi.
Alors, de grâce, je crois qu'il n'est pas utile, au-delà des questions
juridiques qui me paraissent correctement traitées dans le texte tel qu'il vous
est présenté, de complexifier encore le dispositif. Laissons-le se diffuser
dans l'opinion publique sous le nom qui est le sien, à savoir : « prime pour
l'emploi ».
Pour toutes ces raisons, je souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse
En l'occurrence, il s'agit d'une « chicaïa » qui ne devrait pas retenir
longtemps l'attention de la Haute Assemblée.
Sur le plan technique, c'est un crédit d'impôt.
M. Roland du Luart.
Alors, pourquoi ne pas le dire ?
M. Michel Charasse.
Qu'est-ce qui interdit de baptiser ce crédit d'impôt « prime pour l'emploi » ?
Rien ! D'ailleurs, pour le dispositif de l'avoir fiscal, comme Mme le
secrétaire d'Etat vient de le rappeler, on a retenu l'appellation d'« avoir
fiscal » ; on aurait pu retenir celle de « crédit d'impôt ».
L'appellation « prime pour l'emploi » correspond mieux à la volonté
d'incitation du Gouvernement. Elle a surtout l'avantage de concerner des
publics qui, contrairement à ceux qui bénéficient de l'avoir fiscal, sont peu
familiarisés avec les noms baroques de la législation fiscale. « Crédit d'impôt
», pour un pauvre qui ne paie pas d'impôt, ou qui en paie bien peu, cela ne
veut pas dire grand-chose. En revanche, « prime pour l'emploi », c'est une
appellation beaucoup plus claire.
Par conséquent, monsieur le rapporteur, vous avez satisfaction sur le plan
technique. L'article comporte même une disposition aux termes de laquelle ce
dispositif est traité comme un crédit d'impôt. Donc, je ne vois pas l'intérêt
qu'il y aurait à faire disparaître dans la loi l'appellation « prime pour
l'emploi ».
Monsieur le rapporteur, si vous aviez écrit : « un crédit d'impôt dénommé
prime pour l'emploi », à la limite, pourquoi pas ? En effet, ce qui compte,
c'est l'appellation que nous souhaitons, les uns et les autres, faire
apparaître à l'oeil de l'opinion, en particulier des bénéficiaires. Si, demain,
les quotidiens annonçaient que le Sénat a supprimé la prime pour l'emploi et
l'a remplacée par un crédit d'impôt, alors que l'on ne change rien au
dispositif, personne n'y comprendra rien. S'agissant de publics modestes et par
nature fragiles, je crois que, plus on les traite d'une façon simple et
directe, mieux cela vaut.
M. Hilaire Flandre.
Il faut surtout mieux les payer !
M. Michel Charasse.
La loi ne vaut, monsieur le rapporteur, que si elle est comprise. Entre la
technique, qui est un bon sujet de faculté de droit - ou de commission des
finances - et l'appellation, il y a un monde que le groupe socialiste ne
franchira pas !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. François Trucy.
Heureusement que vous êtes là pour donner des explications !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des
finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Majorité absolue des suffrages | 160 |
Pour l'adoption | 220 |
Contre | 99 |
Par amendement n° 5, MM. Nogrix, Deneux, Huchon, Barraux, Souplet, Moinard, Jarlier, Machet et Le Breton proposent :
A. - De compléter le premier alinéa du B du I du texte présenté par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, le seuil inférieur de 20 575 francs n'est pas applicable aux revenus d'activités non salariées exercées à temps plein, tout au long de l'année civile. »
B. - Afin de compenser la perte de recettes résultant du A, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'extension de l'avantage fiscal institué par l'article 200 sexies du code général des impôts à tous les revenus d'activités non salariées exercées à temps plein, tout au long de l'année civile, est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
C. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. - ».
La parole est M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Dans le projet de loi, la prime pour l'emploi n'est susceptible d'être attribuée qu'aux personnes dont le revenu d'activité est au minimum de 0,3 SMIC.
Si ce minimum de 0,3 SMIC permet d'écarter le cas des travaux à temps très partiel et des travaux occasionnels, il a pour conséquence immédiate d'exclure de son champ d'application toutes les personnes exerçant une activité non salariée à plein temps tout au long de l'année civile et qui, pour autant, ne dépassent pas 0,3 SMIC de revenus.
Ainsi, en agriculture, ce seuil exclut près de 100 000 exploitants à faibles revenus qui exercent une activité agricole à temps plein.
Cet amendement vise donc à ce que ce seuil de 0,3 SMIC ne concerne pas les activités non salariées exercées à temps plein, pour que les personnes les plus défavorisées ne soient pas exclues du régime, alors même qu'elles disposent de revenus très faibles.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser M. Marini, que des obligations impératives ont contraint à quitter cet hémicycle.
Cet amendement soulève, en effet, une vraie difficulté. Prenons le cas d'un agriculteur, qui travaille sur son exploitation et dont la femme occupe un emploi ailleurs. Il peut exercer son activité à temps partiel et avoir un revenu d'activité inférieur à 20 575 francs par an. Il n'aura donc pas droit à la mesure alors que les autres conditions sont remplies - revenu global du ménage, revenu de l'épouse, temps partiel - et qu'il occupe bien un emploi.
Notre collègue pose donc là un véritable problème sur lequel la commission des finances souhaiterait avoir l'avis du Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. C'est pour un motif de stricte égalité des personnes devant l'accès à la prime pour l'emploi qu'il ne me semble pas souhaitable de mettre en place des règles dérogatoires au profit de telle ou telle catégorie de contribuables.
Je reprendrai les cas de figure qui ont été évoqués à l'instant et qui sont au demeurant assez rares.
Dans le premier cas de figure, les personnes concernées peuvent disposer fréquemment d'une autre source de revenus d'activité à titre principal. Dans ce cas, les revenus d'activité se cumulent alors, et les personnes sont finalement éligibles à la prime pour l'emploi, même si chacun de ces revenus pris individuellement est inférieur au seuil de 20 575 francs.
Dans le second cas de figure, les revenus évoqués sont constitués de revenus de remplacement. Dans cette dernière hypothèse, il n'est pas anormal que les revenus d'activité inférieurs à 20 575 francs soient exclus de la prime pour l'emploi, comme c'est le cas pour l'ensemble des contribuables.
Sous le bénéfice de ces remarques, et considérant qu'il s'agit de cas extrêmement rares, alors que nous souhaitons un dispositif général, simple et lisible, je souhaiterais que vous acceptiez de retirer votre amendement, monsieur le sénateur.
M. le président. Monsieur Nogrix, l'amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Philippe Nogrix. Je regrette, madame la secrétaire d'Etat, que, à vos yeux, 100 000 personnes touchées, ce soit peu. Le secteur de l'agriculture est suffisamment affecté actuellement pour que l'on veuille que ces personnes, qui ne disposent pas de revenu financier autre que celui de leur travail, profitent de cette prime pour l'emploi.
M. Joseph Ostermann. Tout à fait !
M. Philippe Nogrix. Il me semble que, si elles travaillent certes chez elles, elles n'en occupent pas moins un emploi.
Je maintiens donc mon amendement.
M. le président. Quel est, en définitive, l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, rapporteur. La commission des finances partage tout à fait l'avis de notre collègue Philippe Nogrix. Je peux en effet vous assurer, madame le secrétaire d'Etat, que les agriculteurs des zones de montagne, zones que je connais bien, sont souvent confrontés à cette situation et qu'ils seraient donc exclus de l'avantage de la prime pour l'emploi, ce que nous ne pouvons pas accepter.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 4, MM. Huriet, Machet et Nogrix proposent :
A. - Dans le deuxième alinéa ( a ) du 3° du B du I du texte présenté par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts, après les mots : « définis à l'article 79 », d'insérer les mots : « et leurs accessoires, y compris les indemnités journalières, visés à l'article 80 quinquies , ».
B. - Pour compenser la perte de ressources résultant des dispositions du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant pour l'Etat de l'intégration des indemnités journalières visées à l'article 80 quinquies dans les revenus d'activité professionnelle pris en compte pour le calcul de la prime pour l'emploi est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
C. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. - ».
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Le dispositif institué par la loi de financement de la sécurité sociale prévoyait expressément que les indemnités journalières versées par la sécurité sociale au titre de l'assurance maladie ouvriraient droit à la possibilité d'une ristourne de CSG ou de CRDS.
Cet amendement a pour objet d'éviter toute interprétation qui serait préjudiciable aux droits des titulaires des indemnités en question pour le calcul de la future prime pour l'emploi. En effet, ou bien la lecture a des effets restrictifs du fait que les accessoires ne sont pas cités, ou bien l'on applique les règles générales incluant les accessoires ; mais il ne faut pas laisser la décision à la discrétion de l'administration fiscale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, rapporteur. Cet amendement apparaît superflu dans la mesure où le texte vise l'article 79 du code général des impôts pour la détermination des revenus d'activité, et notamment les indemnités. Il convient cependant que ces indemnités soient bien imposables.
Par ailleurs, les documents d'information fournis par l'administration fiscale précisent explicitement que les indemnités journalières imposables au titre de l'impôt sur le revenu entrent dans l'assiette des revenus d'activité. Si nous avons confirmation de cette disposition par le Gouvernement, nous demanderons alors à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je confirme tout à fait les propos de M. le rapporteur et n'ai rien à y ajouter.
M. le président. Monsieur Nogrix, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Philippe Nogrix. Il me fallait cette confirmation. Je retire donc mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.
Par amendement n° 6, MM. Nogrix, Deneux, Huchon, Barraux, Souplet, Moinard, Jarlier, Machet et Le Breton proposent :
A. - Dans le dernier alinéa du I du texte présenté par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts, après les mots : « 44 decies », d'insérer les mots : « et 73 B ».
B. - Afin de compenser les pertes de recettes résultant du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de la prise en compte de l'abattement sur les bénéfices agricoles pour l'octroi de l'avantage fiscal institué par l'article 200 sexies du code général des impôts est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
C. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. - ».
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Les jeunes agriculteurs bénéficient, durant leurs soixante premiers mois d'activité et sous certaines conditions, d'un abattement de 50 % sur leurs bénéfices.
Afin qu'ils ne soient pas pénalisés, et par cohérence avec les dispositions applicables aux entreprises artisanales, industrielles et commerciales, pour l'appréciation des revenus agricoles, il est proposé de retenir le bénéfice agricole avant application de cet abattement.
M. Michel Charasse. Cela va de soi !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, rapporteur. Le texte du projet de loi est très cohérent et pose un principe simple : seuls les revenus d'activités imposables donnent droit à la mesure. En ce sens, l'adoption de l'amendement n° 6 ne paraît pas souhaitable : on ne peut pas à la fois vouloir diminuer son revenu imposable pour le calcul de l'impôt et l'augmenter par le bénéfice de la prime. On ne peut avoir le beurre, l'argent du beurre et... le sourire de la crémière ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Ah !
M. Gérard Braun, rapporteur. Par ailleurs, il n'est pas certain que cette situation ne favorise pas le jeune agriculteur. Dans certains cas, en raison de la dégressivité de la prime, il lui sera plus intéressant de calculer la prime sur un revenu imposable divisé par deux que sur un revenu imposable complet.
M. le président. Je pense que nous allons avoir le sourire de Mme le secrétaire d'Etat ! (Sourires.)
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je ne voudrais pas répéter en moins bien ce qui vient d'être dit, à quoi je souscris pleinement.
M. le président. Monsieur Nogrix, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?
M. Philippe Nogrix. Actuellement, les pauvres jeunes agriculteurs n'ont ni le beurre ni l'argent du beurre. Quant au sourire de la crémière, ce serait vraiment un superflu dont ils n'ont pas besoin !
M. Roland Muzeau. Et les salariés de Marks et Spencer ? Et ceux de Dunlop ?
M. Philippe Nogrix. Cela étant dit, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 6 est retiré.
Par amendement n° 2, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de compléter le V du texte proposé par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts par une phrase ainsi rédigée :
« Pour bénéficier du crédit d'impôt au titre des revenus de 2000, les contribuables peuvent adresser ces indications à l'administration fiscale jusqu'à l'émission des rôles d'impôt sur le revenu dont la date sera fixée par le ministre chargé de l'économie et des finances. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun, rapporteur. C'est un amendement important auquel M. Marini tient absolument.
Le mécanisme proposé par le Gouvernement recèle une incohérence juridique lourde de conséquences pour les bénéficiaires potentiels du crédit d'impôt comme pour l'administration fiscale : le texte que nous discutons n'étant pas encore en vigueur, personne n'est obligé de remplir les cadres prévus dans la déclaration de revenus ; mais quand il aura été adopté, il faudra donner les indications de revenus d'activité et de temps de travail. Il en résulte une incohérence : on privera les bénéficiaires potentiels du bénéfice de la prime parce qu'ils n'auront pas rempli des cadres qu'ils n'avaient pas à remplir, dans la mesure où le texte n'était pas adopté !
Nul besoin, d'ailleurs, d'analyse approfondie : la presse s'est largement fait l'écho des difficultés rencontrées d'application de la mesure puisqu'une proportion très importante de contribuables n'ont pas rempli les cadres nécessaires dans leur déclaration de revenus.
La commission des finances propose donc, par cet amendement, une mesure transitoire tendant à prévoir que les contribuables pourront transmettre à l'administration fiscale les indications de revenus et de temps de travail nécessaires à l'obtention du crédit d'impôt, et ce, jusqu'à l'émission des rôles d'impôt sur le revenu dont la date sera fixée par le ministre chargé de l'économie et des finances.
On nous objectera qu'il est possible de rédiger une déclaration rectifiée ; mais cette solution simple pour les agents chargés d'appliquer la législation fiscale, qui sont habitués à la complexité des dispositions du code général des impôts, ne l'est pas pour les 10 millions de Français bénéficiaires potentiels de la mesure.
M. Hilaire Flandre. Ce n'est déjà pas simple pour eux !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement partage totalement l'intention qui anime M. le rapporteur dans la mesure où il faut en effet faire le maximum pour que ceux qui ont droit à la prime pour l'emploi en bénéficient de manière effective, et ce dès cette année. C'est pourquoi nous mettrons en oeuvre avant l'été un mécanisme de relance.
Ce dispositif me paraît préférable à la suggestion formulée par M. le rapporteur. En effet, en l'état actuel du droit, les contribuables qui n'auraient pas pu bénéficier de la prime en 2001, tout simplement parce qu'ils n'auraient pas rempli les cases adéquates de leur déclaration de revenus, peuvent en réclamer l'attribution jusqu'au 31 décembre 2003, j'y insiste. Ils peuvent donc, dans ce délai, par tout moyen, fournir à l'administration fiscale les éléments démontrant qu'ils remplissent les conditions d'accès à cette prime. C'est le dispositif de droit commun applicable normalement pour l'impôt sur le revenu.
Si j'ai bien compris, votre proposition conduirait à réduire involontairement ce délai de recours, puisque les personnes intéressées ne seraient autorisées à faire valoir leur droit à la prime au titre des revenus d'activité perçus en 2000 que jusqu'à la date d'émission du rôle d'imposition correspondant, c'est-à-dire en août 2001, alors que, dans le dispositif de droit commun, le délai de recours est fixé au 31 décembre 2003.
Votre amendement est satisfait dans son esprit à la fois par les textes en vigueur et par les dispositions complémentaires que je viens de rappeler, et que M. Laurent Fabius vous a détaillées tout à l'heure. C'est la raison pour laquelle je souhaite qu'il soit retiré.
M. Gérard Braun, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun, rapporteur. Le souci du législateur est d'aider les contribuables à pouvoir vraiment bénéficier de cette nouvelle disposition. Les mesures proposées par la commission ne font nullement obstacle à la possibilité de déposer des recours si les délais sont dépassés puisque la loi le permet. Simplement, en le précisant, on préserve davantage l'intérêt des contribuables. C'est pourquoi nous maintenons notre amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Charles Descours. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Si je comprends bien M. le rapporteur, c'est complémentaire... (Mme le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur font un signe de dénégation.)
M. le rapporteur a indiqué que, si l'amendement est adopté, cela n'empêchera pas les contribuables de présenter des recours dans les délais légaux habituels, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année 2003. Or, selon Mme le secrétaire d'Etat, à partir d'août 2001, les ayants droit ne pourront plus faire valoir leurs droits. Je souhaiterais que Mme le secrétaire d'Etat nous apporte des précisions à cet égard. Si j'interviens en cet instant, c'est uniquement pour que la réponse de Mme le secrétaire d'Etat figure au Journal officiel .
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. En commission, nous avons discuté de ce point, et je regrette, moi aussi, le départ de M. le rapporteur, car j'aurais parlé sous son contrôle, puisque nous avons eu, lui et moi, un dialogue assez long sur cette question.
Ce que la commission souhaitait - et, dans un premier mouvement, mon groupe s'était rallié à cette solution -, c'était que l'on fasse le maximum pour que personne ne soit oublié en 2001.
M. Gérard Braun, rapporteur. Tout à fait !
MM. Hilaire Flandre et Charles Descours. Et voilà !
M. Michel Charasse. Or, après avoir examiné un premier texte du rapporteur - veuillez m'excuser de dévoiler ici les petits secrets d'alcôve de la commission - qui était rédigé d'une façon qui ne correspondait pas exactement à cette volonté - mais c'était un pur problème rédactionnel -, le rapporteur a dit qu'il allait réfléchir à une autre rédaction. Toutefois, si les bonnes intentions demeurent, l'objection soulevée par Mme le secrétaire d'Etat est une objection technique que l'on ne peut pas négliger.
C'est pourquoi, après avoir moi-même voté et, au fond, encouragé l'adoption de cet amendement en commission, finalement, je ne le voterai pas en séance publique car, effectivement, aujourd'hui, les contribuables ont le droit de rectifier leur déclaration pendant les trois années qui suivent. Cela veut dire qu'ils disposent d'un délai de trois ans pour réclamer s'ils s'aperçoivent qu'ils ont oublié de faire valoir un droit à déduction, par exemple.
A la lecture de l'amendement de M. Marini, on a le sentiment - et je ne vois pas comment l'administration fiscale pourrait faire autrement que d'appliquer strictement le dispositif proposé - que, s'agissant de la prime pour l'emploi de l'année 2000 - puisque c'est l'année 2000 qui est visée - c'est une disposition particulière qui s'applique : celui qui, en 2002, s'apercevra qu'il a oublié, avant la sortie des feuilles d'impôt de 2001, de faire valoir son droit à la prime pour l'emploi ne pourra plus obtenir le paiement de cette prime, alors que les textes actuels le lui permettent.
A la limite, si l'on avait mentionné dans l'amendement : « sous réserve des dispositions actuelles qui sont toujours applicables..., on peut, à titre exceptionnel, pour cette année, aller jusqu'au délai limite du jour où les feuilles d'imposition sortent de l'ordinateur », la mesure aurait été techniquement acceptable. Malheureusement, l'amendement n'est pas rédigé ainsi. J'avoue franchement qu'avec mes amis nous avions pensé le sous-amender pour préserver les deux possibilités. Mais, à cette heure, c'est trop compliqué !
Par conséquent, non seulement je renonce à présenter un sous-amendement, mais je pense qu'il ne faut pas retenir l'amendement, parce que la mesure serait restrictive par rapport au droit actuel. Je regrette de m'être un peu « emballé » en commission sur ce sujet... mais péché avoué est à moitié pardonné ! Pour le reste, peut-être ai-je un « crédit », mais pas un « crédit d'impôt ». (Sourires.)
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je souhaite rendre hommage à la préoccupation du Sénat, que nous partageons tous, qui est de faire en sorte que ce droit soit effectif.
M. Charasse a expliqué on ne peut plus clairement les raisons pour lesquelles le maintien du droit actuel nous paraît plus favorable aux bénéficiaires de la prime pour l'emploi que ne le serait le dispositif proposé dans l'amendement de la commission, dispositif qui, je le confirme, est tout à fait exclusif du droit commun.
Bien évidemment, nous n'accordons pas la priorité à ce dispositif qui, pour nous, est le dernier des derniers filets de sécurité. Nous allons concentrer tous nos efforts pour que les bénéficiaires de la prime pour l'emploi puissent la percevoir dès cette année. Mais, au cas où... - et l'expérience nous prouve qu'il existe des cas de ce type - il est utile que les personnes concernées puissent bénéficier du délai maximum autorisé par la loi, c'est-à-dire trois ans, pour éventuellement demander le remboursement de cette prime.
Je crois que nous pourrions nous mettre d'accord sur le fait que le droit commun est, finalement, le dispositif le plus favorable.
M. Hilaire Flandre. Il n'est pas remis en cause !
M. Gérard Braun, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun, rapporteur. Nous faisons là un travail de commission, ce qui n'est pas le rôle de notre assemblée réunie en séance publique.
Compte tenu du consensus qui semble se dégager et n'étant pas le rapporteur en titre, je maintiens l'amendement, au nom de la commission.
A quelques jours d'intervalle, M. Charasse a émis, aussi brillamment en commission que dans cet hémicycle, deux avis tout à fait différents. Cela semble prouver qu'une réflexion doit être menée avant la réunion de commission mixte paritaire. Peut-être pourrons-nous rapprocher nos points de vue.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Vous l'avez déjà eue, monsieur Charasse, pour le même motif !
Mais je vais considérer que tout à l'heure, vous vous êtes exprimé contre l'amendement. (Sourires.)
Je vous donne donc la parole pour explication de vote.
M. Michel Charasse. J'approuve les propos qui ont été tenus par M. le rapporteur s'agissant d'une réflexion à mener avant la commission mixte paritaire.
On pourrait prévoir, ce qui correspondrait exactement - je parle sous le contrôle de mes collègues de la commission des finances - à ce que voulait la commission, à peu près les dispositions suivantes : « Le Gouvernement fera connaître la date limite à compter de laquelle, pour les feuilles d'imposition partant sur les revenus de 2000, on ne pourra plus prendre en compte les rectifications avant l'émission de l'impôt. » Il s'agirait d'une mesure d'ordre pédagogique. C'est ce que voulait la commission !
On doit pouvoir arriver à trouver un dispositif qui permette de dire : « Au-delà de cette barrière, on ne peut plus prendre en compte les primes dans les feuilles d'imposition que vous allez recevoir ».
Moyennant quoi, je voterai contre l'amendement !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Bernard Angels. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Angels. M. Bernard Angels. Malgré les modifications qui ont été apportées par la majorité du Sénat et dans la mesure où notre groupe approuve, bien entendu, l'orientation générale de cette prime pour l'emploi, nous voterons pour.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'article unique du projet de loi.
(L'article unique est adopté.)
Intitulé du projet de loi
M. le président.
Par amendement n° 3, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose,
dans l'intitulé du projet de loi, de remplacer les mots : « d'une prime pour
l'emploi » par les mots : « d'un crédit d'impôt en faveur de l'activité ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Défavorable... par coordination !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'intitulé est donc ainsi modifié.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Adnot, pour explication de vote.
M. Philippe Adnot.
Bien que j'aie une grande envie de faire plaisir à tout le monde - à ceux qui
vont recevoir la prime et à ceux qui décident de la donner - personnellement,
je vote contre ce texte, parce qu'il continue à conforter des revenus qui ne
sont pas issus du travail. En fait de prime de retour à l'emploi, ce sera le
contraire !
En effet, dans le budget de nos concitoyens, la part relative aux revenus du
travail est de plus en plus faible, tandis que deviennent de plus en plus
importantes les différentes primes, aides au logement, etc. Il serait
préférable d'augmenter les salaires d'instaurer des allègements de charges.
Je suis hostile à cette fuite en avant, où le travail est de moins en moins
honoré.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)10
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION
M. le président.
Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour
la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M.
Jean-Yves Mano membre de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées, en remplacement de M. Bertrand Delanoë, démissionnaire de
son mandat de sénateur.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
11
LOI D'ORIENTATION SUR LA FORÊT
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt. [Rapport n° 191
(2000-2001) et avis n° 190 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juin dernier, l'Assemblée
nationale a débattre, en première lecture, du projet de loi d'orientation sur
la forêt. L'intérêt des députés, le caractère constructif du débat et la
diversité des sujets abordés ont renforcé ma conviction que parler de l'arbre,
de la forêt et du bois permet d'évoquer plusieurs questions cruciales pour
notre société.
Elément fondamental de notre économie et de nos paysages, la forêt illustre
par excellence la nécessité et l'utilité de l'action politique et du rôle de
l'Etat dans la prise en compte du long terme, de l'intérêt collectif, de
l'emploi, comme de la prévention des risques naturels et du patrimoine.
Le Premier ministre lui-même a insisté, à l'occasion de sa visite en Lorraine
en janvier dernier, sur l'ambition du Gouvernement pour ce texte.
Le projet que j'ai l'honneur de vous présenter est issu d'une large
concertation.
Je tiens à réaffirmer ici, devant vous, que ce projet de loi est autant celui
des parlementaires - et celui de la société - que celui du Gouvernement. Il est
en effet le fruit des échanges approfondis qui se sont instaurés ces dernières
années entre tous les acteurs et les partenaires de la politique forestière,
notamment sur la base du rapport de Jean-Louis Bianco,
La forêt, une chance
pour la France
, publié en 1998. Les tempêtes de décembre 1999 ont apporté
une nouvelle pertinence aux dialogues, aux innovations - voire aux
revendications ! - tout en mettant en lumière les forces et les faiblesses de
la filière forêt-bois. Mais j'y reviendrai.
La richesse des débats à l'Assemblée nationale a reflété cette volonté de
concertation active et sans
a priori
. J'ai souvent souscrit, sans parti
pris, à de nombreux amendements. Le travail que nous mènerons ici s'inscrira,
je n'en doute pas, dans cette dynamique d'ouverture et de recherche de
l'intérêt général.
Ce projet de loi, nous l'avons voulu ancré dans les évolutions du monde
d'aujourd'hui.
Dans un premier temps, je souhaite revenir rapidement sur les évolutions
fondamentales de notre société qu'il appartient à la politique forestière de
prendre en compte. Je retiendrai cinq axes majeurs.
Le premier axe est centré sur l'indispensable ouverture sur le monde. Les
frontières de notre environnement écologique, économique et social se sont
étendues à l'ensemble de la planète. Les enjeux sont globaux.
Le deuxième axe privilégie le soutien à la société. Nous vivons dans une
société dont les demandes, exprimées ou tacites, sont de plus en plus complexes
: accueil et sécurité, emploi et naturalité, beauté et durabilité... Ces
demandes de nos concitoyens s'expriment par une exigence de services et
d'usages, mais aussi par la volonté d'être davantage et mieux associés aux
choix stratégiques.
Ces demandes s'accompagnent d'une urbanisation croissante, et ce sera le
troisième axe de mon exposé.
Une charge affective forte est projetée sur des espaces ruraux par une
population avant tout citadine. L'arbre, témoin biologique immuable, du moins
en apparence, devient le symbole de la continuité du vivant. Dans ce contexte,
tout changement, même ponctuel, est perçu comme une agression. Et les forêts se
trouvent ainsi progressivement assimilées par l'opinion à des espaces publics
au service de tous, alors même que les trois quarts de leur étendue relèvent de
domaines privés.
La construction de l'Union européenne constitue le quatrième axe.
La forêt est restée, en quelque sorte, sur le seuil de cette aventure. Les
produits forestiers ne figurant pas dans le traité de Rome, la forêt n'y est
abordée que par le biais des autres politiques communes : l'agriculture bien
sûr, l'aménagement du territoire, l'environnement ou l'énergie... Pourtant un
intérêt se développe, et il n'est pas anondin de constater que la première
réunion rassemblant l'ensemble des pays du continent européen après la chute du
mur de Berlin a concerné la forêt, sur l'initiative de Louis Mermaz et de son
homologue finlandais, jetant à Strasbourg les bases de ce qui allait devenir le
« processus pan-européen d'Helsinki ».
Enfin, cinquième axe, au niveau national, la décentralisation a introduit une
nouvelle donne. La forêt en a intégré le mouvement, notamment à travers les
contrats de plan Etat-région et la création des commissions régionales de la
forêt et des produits forestiers, en 1985.
Cette prise en compte - je dirais presque « par essence » - du long terme
propre aux préoccupations forestières inscrit bien ce projet de loi dans la
ligne des grands projets d'orientation sur la forêt et des premières
ordonnances royales visant à « soutenir perpétuellement en bon état » le
domaine forestier, pour reprendre les termes de l'ordonnance de Philippe VI de
Valois en 1346.
Comme quoi, en matière forestière, la gestion durable n'est ni une innovation,
ni une mode, c'est bien une nécessité, n'en déplaise à nos modernes Robin des
bois !
Pour autant, la gestion du long terme n'exonère pas des responsabilités
immédiates. Les 18 mois qui viennent de s'écouler ont été riches
d'enseignements à cet égard.
Il nous a tout d'abord fallu gérer l'impact des tempêtes du mois de décembre
1999 sur ces réflexions d'orientation.
Plus d'un an après ce désastre, les flux de bois se rétablissent
progressivement, même si, j'en ai bien conscience, la situation reste encore
difficile à court terme, notamment dans certaines régions sinistrées par les
ouragans Lothar et Martin.
Le Gouvernement a toujours considéré que la perspective dans laquelle se
plaçait le projet de loi, en liaison avec la réforme des financements
forestiers conduite dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000 et la
définition de la stratégie forestière française, ne s'en trouvait pas altérée.
J'ai souvent répété que les chablis ne devaient pas cacher le reste de la
forêt. En maintenant le calendrier d'examen du projet de loi, nous avons
assumé, sans démagogie, son décalage relatif avec les événements. Je crois que
nous avons eu raison de faire ce choix.
En effet, les atouts et les handicaps structurels du secteur de la forêt et du
bois, pas plus que les enjeux internationaux, n'ont été significativement
modifiés par l'épreuve que notre pays a affronté. M. Jean-Louis Bianco évaluait
dans son rapport la quantité de bois supplémentaire à prélever dans les forêts
françaises à 6 millions de mètres cubes par an. La pertinence de son analyse
n'est pas remise en cause, même si la tempête a abattu une partie de ces
volumes « surcapitalisés » sur pied.
Un an après, nous sommes arrivés à l'heure des premiers bilans.
L'ambitieux plan national pour la forêt mis en place par le Gouvernement a
mobilisé près de 10 milliards de francs de soutiens financiers et 12 milliards
de francs de prêts bonifiés. Il comportera, d'ici à 2003, 1,7 milliard de
francs dans le cadre des « avenants tempête » aux contrats de plan.
Nous avons voulu un dispositif souple et évolutif pour faire face aux dégâts
et préparer la reconstitution du patrimoine forestier.
Les efforts de tous, en premier lieu ceux des professionnels concernés, ont
porté leurs fruits. Environ la moitié des chablis aura ainsi été récoltée en
2000 par l'ensemble de la filière. Je crois que c'est un bon résultat, un
résultat qu'aucun d'entre nous n'aurait prévu ou osé espérer voilà un an, mais
la tâche reste lourde et d'autant plus difficile que la forêt ne se trouve
plus, si j'ose dire, sous les feux de l'actualité.
C'est pourquoi le Gouvernement a confirmé le prolongement des aides du plan
national pour la forêt et poursuivi, au cours des derniers mois, la mise au
point de certains points particuliers.
L'instruction fiscale précisant les modalités de la déduction des revenus
professionnels des charges liées aux tempêtes est parue le 23 janvier 2001.
Une mission prospective interministérielle se met en place, sous l'égide du
ministère de l'intérieur, pour évaluer les conditions d'un soutien à la
trésorerie des communes touchées au-delà de 2001.
Les pluies de cet hiver, elles aussi exceptionnelles, ont à nouveau freiné la
sortie des bois, en rendant les conditions d'exploitation en forêt
particulièrement difficile. La poursuite de l'aide au transport au cours des
prochains mois me paraît, dans son principe, d'autant plus indispensable que
les bois abattus encore à mobiliser sont à présent de moindre qualité et moins
accessibles. Les modalités de la poursuite de l'aide au transport, qui sont en
cours de discussion, seront arrêtées courant avril.
Le dispositif d'aides à la reconstitution est opérationnel sur l'ensemble du
territoire depuis l'automne dernier. Une phase active de travaux s'engage,
favorisée par un dispositif spécifique d'aide aux pépiniéristes forestiers
arrêté en novembre dernier et leur tout récent accès à des aides à
l'investissement dans le cadre des avenants aux contrats de plan Etat-région.
Je viens néanmoins d'alerter ma collègue secrétaire d'Etat au budget sur
quelques difficultés administratives apparues dans les procédures
d'instruction.
Enfin, l'actualisation des plans de prévention et de lutte contre les
incendies de forêts adaptés aux risques spécifiques liés aux chablis, mis en
place l'été dernier, est en cours.
Au-delà, il nous appartiendra de tirer les enseignements à moyen terme de cet
événement, de nous livrer à l'exercice du « retour sur expérience ». Plusieurs
amendements de l'Assemblée nationale ont introduit des rapports spécifiques
liés à certains volets de cette évaluation. Je tiens, pour ma part, à
l'élaboration d'un plan de campagne en cas de tempêtes en forêt à l'échelon
tant national que régional.
Durant cette année mouvementée, la filière a démontré, je pense, sa capacité à
sortir renforcée de l'épreuve actuelle. En plusieurs occasions, j'ai invité les
professionnels à faire de 2001 « l'année du bois », et j'ai plaisir à saluer la
multiplicité des initiatives qui, depuis quelques mois, s'inscrivent dans cet
objectif.
Ainsi, la première semaine du bois, instaurée d'ailleurs sur une initiative
parlementaire, vient de s'achever ; avec plus de 800 manifestations à travers
toute la France, cette opération de communication a connu un véritable succès,
qui a largement dépassé les espérances de ses promoteurs et qui illustre bien
l'intérêt du grand public pour cette filière.
J'ai signé dans ce cadre, le 28 mars dernier, la charte «
Bois-construction-environnement » aux côtés de mes collègues Marie-Noëlle
Lienemann et Dominique Voynet, l'objectif étant d'accroître de 25 % la part de
marché de cet éco-matériau. Avec le pôle construction du centre technique du
bois et de l'ameublement, le CTBA, inauguré en octobre dernier à Bordeaux, la
filière dispose à présent des moyens de dynamiser l'utilisation du bois dans le
bâtiment.
En outre, la création d'un espace national de la forêt et du bois, lieu
d'échange et d'interactivité regroupant sur un site commun les principaux
partenaires de la filière, est à l'étude.
Enfin, les négociations relatives à la structuration d'une interprofession se
sont approfondies depuis le début de l'année et donnent lieu à des débats sans
précédent entre les intervenants de ce secteur.
Par ce projet de loi d'orientation sur la forêt, c'est donc fort de l'alliance
d'un secteur en pleine évolution que le Gouvernement réaffirme sa confiance
dans les potentialités de la forêt et de l'industrie du bois.
En effet, c'est demain que ce texte prépare, et je voudrais en rappeler ici
les lignes de force.
Première ligne de force, il faut situer la loi française dans l'environnement
juridique international, qui est en pleine évolution après le Sommet de la
terre de Rio de 1992 et eu égard aux conventions des Nations unies sur la
biodiversité, aux changements climatiques... et à la nécessité de relier le
droit français à un droit international de l'environnement qui est en train de
se constituer. Dans notre pays, où le poids de la dimension socio-culturelle
est fort, la multifonctionnalité est une référence traditionnelle en forêt. La
France, comme l'Europe, s'est néanmoins trouvée paradoxalement désarçonnée par
l'irruption de la gestion durable sur la scène internationale et dans
l'obligation de mettre en forme un savoir-faire séculaire de gestion des
espaces naturels, certes riche mais méconnu, ainsi que de justifier ses choix
face à la formule plus lisible de la séparation des territoiresAfficher 20 % du
territoire classé en réserve intégrale (formule prisée par les ONG
environnementales et de nombreux pays anglo-saxons) est bien plus médiatique
que de tenter d'expliquer une prise en compte graduée de la biodiversité sur
l'ensemble du territoire...
, selon laquelle il faut protéger ici, exploiter là, comme si ces deux
fonctions étaient antinomiques et inconciliables. La remise en question du
protocole de Kyoto, succédant à l'incapacité des participants à la conférence
de La Haye à parvenir, en novembre dernier, à adopter une position commune sur
la question des forêts, illustre le chemin qu'il nous reste à parcourir en la
matière.
J'en viens à la deuxième ligne de force : nous devons nous donner les moyens
d'établir des rapports rénovés entre forêt et société.
Le projet de loi vise à réaffirmer la responsabilité de l'Etat en tant que
garant vis-à-vis du long terme et de l'intérêt général et sa vocation d'arbitre
lorsque des divergences légitimes d'intérêts pénalisent la réalisation des
objectifs globaux.
Le texte ouvre parallèlement la possibilité de privilégier l'approche
contractuelle, lorsque celle-ci s'avère plus pertinente. Je voudrais citer ici,
en particulier, la création de chartes de territoires forestiers, qui a fait
l'objet de fructueuses discussions à l'Assemblée nationale. Ces chartes doivent
devenir de véritables outils de formation de projets multifonctionnels ancrés
dans les réalités de terrain. Une dizaine de démarches expérimentales sont déjà
engagées dans l'optique du programme-pilote que j'ai souhaité mettre en place
sans attendre la promulgation de la loi. Il s'agit d'une véritable évolution de
fond pour le secteur forestier, qu'il appartiendra ensuite aux partenaires
professionnels, aux élus et aux représentants du monde associatif de mettre en
oeuvre, en relation avec l'Etat, en définissant un équilibre entre le contrat
et la préservation de l'intérêt général.
Le projet de loi établit enfin des liens entre le code forestier et les autres
législations avec lesquelles il entretient des relations de plus en plus
étroites - les exemples les plus récents en étant la loi relative à la chasse,
la loi relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et
sportives, ou encore l'ordonnance Natura 2000.
Troisième ligne de force : l'atout économique que constitue, en France, un
patrimoine forestier en croissance continue depuis plusieurs dizaines d'années,
atout économique qui doit être valorisé, dans un monde où la demande en bois
augmente.
La compétitivité de la filière de transformation des produits forestiers et
dérivés du bois représente un enjeu en matière d'aménagement du territoire et
de développement des emplois ruraux. Le projet de loi comporte notamment des
dispositions en faveur de l'élévation de la qualification professionnelle dans
le secteur des travaux forestiers, de l'amélioration des conditions de
sécurité, de la lutte contre le travail dissimulé, de la stabilité des
entreprises et du développement des emplois en milieu rural.
En outre, l'élaboration d'un rapport spécial sur le travail en forêt a été
décidée par un amendement adopté à l'Assemblée nationale, et le système de
dotation pour les jeunes entrepreneurs de travaux forestiers, qui relève du
domaine réglementaire, se met en place.
Je voudrais, enfin, souligner les multiples dispositions introduites dans le
projet de loi pour faciliter le renforcement de la solidarité de filière et
structurer les organisations interprofessionnelles, qui sont assorties d'un
cadrage du processus d'écocertification de la gestion durable.
Le projet de loi comporte ainsi cinq grands titres : développer une politique
de gestion durable et multifonctionnelle ; favoriser le développement et la
compétitivité de la filière forêt-bois ; inscrire la politique forestière dans
la gestion des territoires ; renforcer la protection des écosystèmes forestiers
ou naturels ; mieux organiser les institutions et les professions relatives à
la forêt.
Il prévoit, en outre, la suppression, au sein du code forestier, de nombreux
articles obsolètes, contradictoires avec d'autres lois récentes ou
excessivement dirigistes. Avec ce texte, nous modernisons le code forestier et
nous le réduisons puisque, sauf décisions contraires de votre assemblée, nous
supprimerons plus d'articles que nous n'en créerons.
J'aimerais enfin revenir sur deux sujets qui ont fait l'objet de débats
intenses.
Il s'agit, d'une part, de la possibilité de mobiliser l'épargne au profit
d'une dynamisation des investissements forestiers et de la restructuration
foncière. Le groupe de travail chargé de formuler des propositions concrètes à
introduire en seconde lecture dans ce projet de loi s'est réuni à plusieurs
reprises dans différentes configurations, la dernière associant d'ailleurs les
parlementaires des deux assemblées et les professionnels. Les objectifs et les
moyens sont à présent clairement identifiés. Il nous reste à définir
l'instrument - ou peut-être les instruments - qui permettra d'optimiser la
réponse apportée, mais l'engagement a été pris : cette loi ne sera pas
promulguée sans que cet instrument y soit inscrit. Le travail avance bien !
Il s'agit, d'autre part, du dispositif des assurances en forêt. Je vous
confirme que le Gouvernement a déjà mis en chantier, de façon informelle, le
rapport spécial, introduit le biais de l'adoption d'un amendement, sur les
enseignements de la tempête dans le domaine des assurances. Les premières
analyses conduites ont, par ailleurs, souligné la sensibilité du couplage
actuel du risque tempête à l'assurance incendie, qui pourrait menacer à très
court terme la pérennité de cette dernière garantie, confirmant ainsi, si
besoin était, le caractère crucial de la question.
Au-delà de ces interrogations récurrentes, portant sur des sujets complexes à
propos desquels les avancées sont obtenues pas à pas, notre travail
d'aujourd'hui saura, je n'en doute pas, dissiper les dernières ambiguïtés et
introduire de nouvelles améliorations.
J'ai parfois l'occasion de dire que la forêt est en quelque sorte le miroir de
nos sociétés. C'est de plus, si j'ose dire, un miroir qui a de la mémoire.
M. Jean-Louis Carrère.
Un miroir aux alouettes !
(Sourires.)
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Nos forêts sont le résultat des
orientations d'hier et traduisent la réponse apportée par les hommes à des
situations passées, quand l'Etat voulait, par exemple, reconstruire sa marine,
assurer les besoins en énergie ou protéger les sols de montagne d'une érosion
catastrophique. Notre action d'aujourd'hui s'inscrit dans cette histoire, qui
passe de génération en génération, et dont la forêt est à la fois le souvenir
et le témoignage.
C'est pourquoi les forêts sont leçons de modestie : nous héritons de celles
qu'ont façonnées nos aïeux et nous travaillons celles que connaîtront les
générations futures. La forêt est aussi affaire d'ambition, et les ravages que
deux ouragans ont faits en quelques heures ne doivent pas nous conduire au
fatalisme ou à la résignation.
C'est donc à la fois avec humilité et fierté que je vous présente aujourd'hui,
mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation sur la forêt,
nouvelle étape de la longue et complexe histoire forestière de notre pays. Nous
le savons, l'homme et la nature ne sont pas nécessairement antagonistes. C'est
tout le propos de ce texte, un propos d'une actualité particulière en ce début
de siècle.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe François,
rapporteur de la commisssion des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi d'orientation sur la forêt, examiné par l'Assemblée nationale en juin
dernier, s'inscrit dans une longue réflexion, puisqu'un avant-projet de loi
avait été rédigé, en son temps, par M. Philippe Vasseur, alors ministre de
l'agriculture. Vous avez, monsieur le ministre, repris ce chantier en novembre
1998, sur la base de l'excellent rapport de notre collègue député Jean-Louis
Bianco.
M. Roland du Luart,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Remarquable rapport !
M. Philippe François,
rapporteur.
Les tempêtes de décembre 1999, qui ont provoqué des dégâts
sans précédent dans la forêt française, ne remettent pas en cause, loin s'en
faut, la nécessité d'une loi d'orientation pour ce secteur.
Leurs conséquences mettent en lumière, en revanche, certaines lacunes dans les
propositions gouvernementales, lacunes qu'il nous appartiendra de combler, dans
la mesure du possible, cette semaine ou lors de la seconde lecture, puisque
l'urgence n'a pas été déclarée pour ce projet de loi.
Je voudrais tout d'abord insister sur certaines des caractéristiques de la
forêt française.
Le patrimoine forestier français connaît une progression forte et continue,
avec une surface de 15 millions d'hectares, soit un taux de boisement du
territoire de 27,7 %. Cette dynamique d'extension, qui représente environ 80
000 hectares supplémentaires de forêts chaque année, est essentiellement le
fait d'une colonisation naturelle des landes et des friches dues à la déprise
agricole. Marquée par l'action de l'homme, la forêt française reste diversifiée
: on y recense soixante essences de résineux et soixante-seize essences de
feuillus, ces dernières étant représentées de façon prépondérante.
S'agissant de la structure forestière, les forêts publiques représentent 3,8
millions d'hectares, alors que la forêt privée, avec 10,7 millions d'hectares,
soit 74 % de la forêt française, se répartit entre plus de 4,5 millions de
propriétaires et est constituée, à plus de 60 %, d'unités de moins de
vingt-cinq hectares. En dépit de cet extrême morcellement qui justifie des
mesures encourageant le regroupement technique et de gestion, il faut noter que
40 000 propriétaires possèdent des forêts de plus de vingt-cinq hectares,
couvrant 4,3 millions d'hectares, soit 45 % du total des forêts privées.
Cependant, la proportion des forêts possédées par des personnes physiques ou
morales dont l'activité principale concerne la récolte ou la valorisation du
bois reste très faible, de l'ordre de 1 % à 2 %, contre 37 % en Suède et 7 % au
Portugal.
La forêt française se caractérise également par une sous-exploitation
chronique, avec un taux de prélèvement annuel estimé à 63 %, à comparer au taux
de 69 % présenté par les pays scandinaves et à celui de 77 % enregistré dans la
zone de l'Amérique du Nord. La récolte de bois a certes progressé depuis dix
ans, mais dans des proportions moindres que l'accroissement de la production.
Dans l'optique d'une gestion durable de la ressource sylvicole, il faut donc
poursuivre l'effort de mobilisation du bois et augmenter la récolte, au risque,
sinon, de devoir faire face aux effets négatifs du vieillissement de la forêt.
La France, dont 30 % de la surface est boisée, ne peut ignorer cette très
grande richesse économique.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'espace agricole et forestier, en
particulier la forêt, contribue de façon positive à la lutte contre l'effet de
serre par le stockage du carbone dans la matière organique des sols forestiers
et la biomasse. On estime ainsi que la contribution nette de la biomasse
forestière revient à la neutralisation de 9 % des émissions françaises de
carbone.
De plus, le développement de l'utilisation du bois-matériau participe de
l'objectif de stockage, et la promotion du bois-énergie permet d'économiser des
énergies fossiles et de réduire les émissions de gaz carbonique.
Monsieur le ministre, la forêt constitue un levier important dans une
politique de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. Il serait,
à mon sens, désastreux de ne pas en tenir compte, d'autant plus que toute
action volontariste en matière forestière contribue à la richesse nationale et
peut créer des emplois.
Au niveau international, depuis la prise de position du président des
Etats-Unis refusant de souscrire aux engagements de Kyoto, le processus de
négociation prévu à Bonn du 16 au 27 juillet prochain semble très compromis.
S'il en était autrement, quelle sera la position de la Communauté européenne et
de la France en particulier pour faire prendre en compte la contribution des
forêts ?
Sur le plan national, en tant que rapporteur de la loi sur l'air et
l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996, je regrette que le
décret d'application prévu à l'article 21 et imposant, à compter du 1er janvier
2000, l'utilisation d'une quantité minimale de bois dans les constructions
nouvelles ne soit toujours pas publié. Cette disposition résultait, mes chers
collègues, je vous le rappelle, d'un amendement voté par le Sénat.
Après ce panorama sur la forêt française, je voudrais, bien sûr, rappeler
l'importance des dégâts occasionnés par les fameuses tempêtes de décembre 1999
due non seulement à la violence exceptionnelle des vents, bien entendu, mais
aussi aux surfaces et aux volumes de bois à l'hectare qui caractérisent la
forêt française.
Le volume de chablis, estimé à l'origine à environ 140 millions de mètres
cubes, devra être progressivement affiné en fonction des relevés en cours
d'établissement par l'inventaire forestier national. Le chiffre final sera
probablement inférieur aux premières estimations.
Mais en tout état de cause, sur ce volume, seuls 70 % seront
commercialisables.
Toutes les régions françaises ont été touchées, ce qui a entraîné la
saturation globale du marché du bois et une chute du prix du bois de l'ordre de
30 % à 40 %. De plus, nombre de propriétaires forestiers confrontés à de très
graves difficultés d'exploitation n'ont pas pu commercialiser leurs chablis.
Je laisserai à mon collègue Roland du Luart le soin de rappeler les
dispositions financières du plan national d'urgence pour la forêt, qui
représente 2 milliards de crédits budgétaires et 12 milliards de prêts
bonifiés, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre.
Tout en vous renvoyant très largement à mon rapport écrit, je veux cependant
faire valoir l'importance de la filière bois. Dans son rapport, M. Jean-Louis
Bianco soulignait l'effort consenti par l'industrie du bois pour se développer
dans un contexte de forte concurrence internationale.
Mais la filière reste soumise à des handicaps lourds et connus que sont la
dispersion de la propriété, qui nuit à la sécurité et à la régularité des
approvisionnements, la faible intégration de la filière elle-même et une
tendance à la baisse de la demande de bois d'oeuvre qui semble heureusement
s'inverser depuis une dizaine d'années, grâce aux efforts de promotion menés
par la profession.
Ainsi, la première transformation, qui inclut notamment les entreprises
d'exploitation et de récolte du bois, l'industrie du sciage et celle des
panneaux, doit accomplir un effort de modernisation sans précédent car elle
constitue à l'heure actuelle l'un des maillons les plus faibles identifiés.
L'industrie du sciage, pour répondre aux besoins du marché, est donc
confrontée à des besoins d'investissement très importants pour améliorer la
valeur ajoutée sur les produits bois-bâtiment. L'utilisation du bois-matériau
dans la construction ne deviendra une réalité que si le secteur peut proposer,
comme en Allemagne, en Autriche, voire en Scandinavie, des produits de qualité,
normalisés, séchés et prêts à l'emploi.
En insistant sur le poids économique de la filière bois, notamment en termes
de création d'emplois, M. Jean-Louis Bianco plaide pour la définition d'une
véritable stratégie forestière, assortie de moyens financiers conséquents. Il
chiffre ainsi l'investissement supplémentaire nécessaire pour financer une
politique forestière ambitieuse à 1 milliard de francs par an. Cette
proposition, à laquelle je souscris totalement, est d'autant plus opportune
que, je le rappelle, la France reste, au sein des pays développés, celui qui
consacre le moins d'argent public à la forêt.
Au-delà de ces chiffres, nous aurons l'occasion, lors de l'examen de l'article
11 du projet de loi, de débattre des conditions favorisant la mise en place
d'une interprofession. C'est un outil indispensable pour engager des actions
collectives de promotion de la filière, mais, compte tenu des réserves et des
prises de position exprimées par certains des acteurs économiques concernés, un
effort très important d'explication devra être fourni.
Je présenterai le projet de loi d'orientation sur la forêt en rappelant qu'il
s'articule autour de quatre axes principaux, à savoir : la gestion durable et
multifonctionnelle de la forêt ; la compétitivité de la filière forêt-bois ; la
gestion des territoires et la protection des écosystèmes forestiers et naturels
; enfin, l'organisation des institutions et des professionnels de la forêt.
L'affirmation du principe d'une gestion durable fait l'objet de l'article 1er
du projet de loi qui, à travers un titre préliminaire inséré dans le code
forestier, regroupe les orientations de la politique forestière pour les
présenter de façon cohérente et faire ainsi valoir qu'elles s'inscrivent dans
la droite ligne des engagements internationaux souscrits par la France,
notamment en 1993 à Helsinki, lors de la conférence ministérielle pour la
protection des forêts en Europe.
Cette mise en forme des objectifs de la politique forestière ne doit pas être
négligée dans un contexte de concurrence internationale soumis à l'influence de
certaines associations environnementales internationales. J'en veux pour preuve
le ton systématiquement agressif de l'article du 24 janvier dernier publié dans
le
Herald Tribune
et intitulé : « L'écosystème de l'Europe en voie de
décomposition ». La politique forestière des pays européens, notamment de la
France, y est systématiquement critiquée sur la base d'affirmations erronées,
mensongères ou volontairement biaisées.
Il est donc indispensable de mettre en valeur les atouts de la forêt française
en matière de gestion durable.
Ainsi, pour encourager l'application de ces critères, l'article 1er crée de
nouveaux outils de gestion simplifiés, permettant ainsi aux propriétaires de
petites parcelles ou de parcelles présentant un faible intérêt économique
d'offrir néanmoins des garanties de gestion durable et leur garantissant un
accès aux aides publiques.
Le titre II se compose d'un ensemble de dispositions visant à favoriser la
compétitivité et le développement économique de la filière bois.
Les modes de vente de l'ONF sont ainsi adaptés en vue de permettre un recours
plus large aux procédures de vente à l'amiable, susceptibles de lui garantir
des débouchés plus réguliers.
Le projet de loi renforce les exigences de qualification professionnelle
s'imposant à l'ensemble des personnes qui procèdent à des travaux de récolte
sur les parcelles d'autrui, afin de diminuer le risque d'accidents du travail,
encore trop fréquents.
Plusieurs dispositions enfin contribuent à la lutte contre le travail
dissimulé, qui constitue un phénomène préoccupant dans ce secteur.
Tendant à inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires, le
titre III du projet de loi adapte tout d'abord la législation relative au
défrichement pour prendre en compte le niveau local.
Il complète également les dispositions du code forestier traitant de la
réglementation des boisements en vue de parvenir à un équilibre satisfaisant
entre aménagement rural et forestier.
Enfin, d'importantes dispositions viennent renforcer la prévention des
incendies de forêts. Elles opèrent un recentrage sur les zones les plus à
risque des mesures renforcées de prévention, en particulier des obligations de
débroussaillement ; elles clarifient également les compétences du maire et du
préfet et confortent le plan de prévention des risques d'incendie de forêt
prévu par la loi Barnier de 1995.
S'agissant de l'organisation des institutions et des professionnels, le projet
de loi encourage l'Office national des forêts à développer ses interventions
conventionnelles tant sur le territoire national qu'à l'étranger.
Les missions des centres régionaux de la propriété forestière sont adaptées en
vue de prendre désormais en compte l'objectif de développement forestier
durable.
Tout en partageant les objectifs affichés par les auteurs de ce projet de loi
d'orientation, la commission des affaires économiques considère qu'ils
induisent trop souvent un surcroît de réglementation, qui ne s'accompagne pas
de moyens financiers suffisants.
Tout en reconnaissant la nécessité de favoriser la mise en oeuvre d'une
gestion durable en matière forestière, conformément à nos engagements
internationaux, force est de constater que les propositions du projet de loi,
souvent renforcées par l'Assemblée nationale, vont multiplier les contraintes
administratives.
Ainsi, le texte se traduit par un alourdissement sensible et non justifié des
interdictions et des sanctions encourues en cas d'infraction à la législation
forestière.
L'Assemblée nationale a également rétabli la taxe de défrichement, dont la
suppression par la loi de finances pour 2000 relevait d'un mouvement bienvenu
de simplification fiscale.
Enfin, elle a prévu la création d'associations foncières de gestion forestière
au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles vacantes
sont réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une atteinte
inacceptable au droit de propriété constitutionnellement garanti.
En face de ces contraintes nouvelles, les moyens financiers sont souvent
notoirement insuffisants.
Le projet de loi affirme la multifonctionnalité de la forêt à travers son rôle
social et environnemental, mais il n'en tire pas clairement les conséquences
sur le plan financier. Ainsi en est-il de l'article 3, qui encourage l'accueil
du public en forêt sans résoudre tous les problèmes qui en découlent, notamment
sur le plan de la responsabilité assumée par le propriétaire.
L'encouragement au regroupement technique est affirmé dans le livre
préliminaire du code forestier, mais nulle part il n'est fait mention d'aides
spécifiques indispensables à sa mise en oeuvre.
De plus, l'Assemblée nationale n'a pas remédié à certaines lacunes de ce
texte, dont l'absence de dispositions destinées à favoriser l'investissement en
forêt. A la demande du Gouvernement, elle n'a pas adopté l'amendement présenté
par la commission de la production et des échanges, qui définissait le
mécanisme d'un plan d'épargne forêt, se contentant de voter un article
additionnel prévoyant la création, sans le définir, d'un tel dispositif.
Outre des propositions de simplification rédactionnelle, la commission des
affaires économiques a voulu améliorer les garanties offertes aux propriétaires
forestiers en matière de gestion forestière à travers notamment : la limitation
des engagements de non-démembrement ou des contraintes de gestion à souscrire
par un propriétaire privé dès lors qu'il sollicite des aides publiques ; un
encouragement au regroupement foncier forestier en inscrivant le principe
d'aides spécifiques dans le livre préliminaire du code forestier ;
l'attribution d'aides publiques aux propriétaires tenus de procéder au
nettoyage des chablis au nom de la prévention des incendies ; enfin, la
définition de sanctions proportionnées à la gravité de l'infraction commise.
A travers un travail mené en étroite concertation avec la commission des
finances, qui a étudié les aspects financiers et fiscaux de ce projet de loi,
la commission des affaires économiques vous proposera un dispositif
d'investissement forestier.
En conclusion, je relèverai que plusieurs chantiers inachevés attendent des
solutions qui restent à définir.
Ainsi, les conséquences des tempêtes de 1999 font ressortir la nécessité de
formuler des propositions facilitant le regroupement foncier forestier ainsi
que la mise en place d'un mécanisme de mutualisation des risques que les
systèmes d'assurance traditionnels semblent dans l'incapacité de couvrir de
manière satisfaisante.
Des groupes de travail associant les professionnels concernés et
l'administration n'ont pas, à ce jour, abouti à des propositions concrètes,
mais il faudra parvenir à en dégager d'ici à l'examen en seconde lecture de ce
texte si l'on veut qu'il soit un outil efficace pour mettre en oeuvre la
stratégie forestière française des quinze prochaines années.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Roland du Luart,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité, à
l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi d'orientation sur la
forêt, se saisir pour avis de ce texte.
Nommé rapporteur pour avis, je souhaiterais aujourd'hui vous présenter mes
principales observations concernant ce texte ; elles sont issues d'un travail
pour une large part commun avec celui de l'excellent rapporteur de la
commission des affaires économiques, notre collègue Philippe François.
Ce projet de loi d'orientation sur la forêt intervient dans un contexte très
particulier, celui d'une forêt française meurtrie par les tempêtes de la fin
décembre 1999.
Très attendu par l'ensemble des acteurs de la filière sylvicole française -
propriétaires forestiers, exploitants, industriels, professionnels du secteur
forestier - ce projet de loi tardif, puisqu'il intervient plus de deux ans
après la publication, le 25 août 1998, de l'excellent rapport de notre collègue
député Jean-Louis Bianco,
La forêt, une chance pour la France
aura
peut-être le mérite - c'est en tout cas sa vocation - de redonner confiance à
tous ces acteurs et à l'ensemble d'une filière qui joue un rôle si important
pour notre économie.
Si les tempêtes de la fin 1999 ont eu un effet dévastateur sur des plans aussi
bien économique, technique, financier que psychologique, elles ont surtout
permis de mettre l'accent sur la nécessité de réformes depuis trop longtemps
repoussées, car les difficultés rencontrées par les forestiers ne datent
certainement pas des tempêtes : elles remontent à bien plus longtemps, et les
tempêtes n'auront fait qu'accentuer ces difficultés, provoquant par là même une
prise de conscience de l'urgence des réformes.
Pourtant, le présent projet de loi m'est apparu comme particulièrement
décevant sur le plan fiscal et financier ; mais je sais que le chantier est
difficile. Alors que le Gouvernement s'était engagé, à la suite du rapport
Bianco, à proposer toute une série d'adaptations de la fiscalité forestière,
force est de constater que le présent projet de loi n'est pas à la hauteur des
ambitions alors affichées par le Gouvernement.
Ce dernier proposait en effet, à l'époque, de nouvelles orientations de la
politique forestière, destinées : à favoriser l'investissement forestier afin
de permettre la pérennisation et le développement des groupements familiaux ou
des investisseurs institutionnels ; à mettre en place des dispositifs
juridiques et incitatifs permettant de lutter contre le morcellement foncier
forestier ; à mieux intégrer l'Office national des forêts au développement de
la filière ; enfin, à redéfnir les objectifs et les moyens du FFN, puisque, à
l'époque, ce dernier existait toujours.
Je ne peux que constater le retard qui a été pris dans la mise en oeuvre du
calendrier législatif relatif à la forêt - un projet de loi était initialement
prévu avant la fin de l'année 1999 - et regretter que les dispositions fiscales
de ce texte soient minimes ; d'ailleurs, elles ne répondent pas aux attentes
formulées par les acteurs du secteur forestier.
Ces attentes sont d'autant plus vives depuis les tempêtes de la fin 1999.
Celles-ci ont, en effet, révélé la fragilité des mécanismes actuels de
financement de la forêt, aussi bien publique que privée, ainsi que le caractère
obsolète de certains aspects du régime fiscal forestier.
S'agissant de la forêt privée, notamment, je voudrais insister ici sur trois
problèmes prégnants.
J'évoquerai tout d'abord le morcellement forestier, contre lequel divers
dispositifs ont déjà été mis en place, notamment les groupements forestiers, ou
les associations syndicales de gestion forestière. La formule du groupement
forestier a fait la preuve de son efficacité, en particulier pour préserver les
unités existantes, lors d'une succession.
Depuis une dizaine d'années, cependant, une crise frappe les groupements
forestiers en raison des difficultés que rencontrent les porteurs de parts
lorsqu'ils souhaitent se retirer du groupement ; d'où la nécessité d'accroître
la fluidité des parts de groupements forestiers, ce qui permettrait la création
d'un véritable marché.
Le présent projet de loi ne contient que très peu de réponses à ce problème du
morcellement et de la nécessaire restructuration forestière. La seule mesure
concrète proposée est l'extension de la procédure de dation en paiement des
droits de succession aux immeubles en nature de bois, forêts ou espaces
naturels pouvant être incorporés au domaine forestier de l'Etat, mesure à
laquelle je suis favorable.
D'autres actions sont à entreprendre dans plusieurs domaines. Il faudrait
notamment poursuivre des opérations concertées de sensibilisation et de
formation des petits propriétaires ou encore encourager toute acquisition de
petites parcelles boisées destinée à incorporer celles-ci à des unités plus
consistantes.
En outre, lever la présomption de salariat, souvent perçue comme un obstacle à
l'entretien des petites parcelles forestières, contribuerait sans doute à un
meilleur entretien et à une sélection progressive fondée sur la compétence.
Le second problème que je souhaite aborder, le plus important aujourd'hui
selon moi, est celui de la faiblesse du placement ou de l'investissement
forestier.
Je considère que la création d'un mécanisme financier destiné à favoriser
l'investissement forestier est aujourd'hui prioritaire et aurait dû constituer
la pierre angulaire de ce projet de loi d'orientation. Le Gouvernement a
d'ailleurs lui-même reconnu les lacunes du texte sur cette question
délicate.
Le faible niveau des investissements forestiers est un problème aujourd'hui
unanimement reconnu. Ainsi, la mise en valeur, au moyen de plantations ou de
semis, des surfaces forestières sans peuplement d'avenir a constitué
l'essentiel des investissements forestiers entre 1950 et 1970. Ces opérations,
aidées financièrement, ont décliné constamment depuis lors.
En outre, je voudrais également souligner ici l'inquiétude croissante des
propriétaires forestiers quant aux charges engendrées par les fonctions
écologique et sociale de la forêt.
Le développement de la fréquentation du public ainsi que la mise en place de
mesures réglementaires relatives à la fonction écologique des forêts donnent
lieu à ce que les propriétaires considèrent comme des surcoûts à leur charge.
Cette situation peut être démobilisatrice pour les investissements en
sylviculture, d'autant plus que ceux-ci s'engagent sur le long terme.
Si le principe de la création d'un dispositif de soutien à l'investissement
forestier fait l'unanimité, ses modalités techniques d'application ont
longtemps divisé les partenaires du secteur forestier. Aujourd'hui, après de
nombreuses consultations et la mise en place d'un groupe de travail rassemblant
- et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris cette initiative -
tous les acteurs concernés par ce dispositif - Gouvernement, parlementaires,
professionnels, représentants des propriétaires forestiers - plusieurs pistes
de réforme ont pu être évoquées et une solution consensuelle semble se dessiner
en faveur d'un dispositif hybride de type « fonds d'épargne forêt », qui
répondrait aussi bien aux attentes des propriétaires qu'à celles des
professionnels forestiers.
L'introduction dans le présent projet de loi d'un tel dispositif, certes
perfectible, permettrait de faire avancer le débat et, avant tout,
contribuerait à redonner confiance aux acteurs de la forêt française. J'aurai
l'occasion de vous présenter ce dispositif sous la forme d'un amendement à
l'article 5 B du présent projet de loi. Je tiens toutefois à souligner ici
qu'il s'agit d'une proposition d'appel, qui n'a pas forcément vocation à
demeurer en l'état et qui devra sans doute faire l'objet d'une réelle
concertation de tous les acteurs concernés. La deuxième lecture de ce texte
nous donnera le temps d'aller plus avant dans cette réflexion.
Enfin, le troisième problème crucial que je voudrais évoquer ici est celui de
l'assurance des forêts privées.
Les tempêtes de la fin 1999 ont révélé l'ampleur des lacunes existant en
matière d'assurance des forêts. Il n'existe en effet, à l'heure actuelle, aucun
mécanisme d'assurance propre à la forêt. Certains professionnels préconisent la
création d'un dispositif de type « calamités forestières », similaire à ce qui
existe dans le secteur agricole et qui n'a jamais été transposé au secteur
forestier.
Deux sortes d'outils pourraient être envisagés : un fonds d'indemnisation «
catastrophes naturelles » applicable aux forêts ou la création d'un fonds
d'indemnisation spécifique aux forêts.
Aujourd'hui en France, très peu de sociétés d'assurance ont mis en place des
contrats spécifiques aux risques forêt et, depuis les récentes tempêtes, on
assiste à une volonté, assez compréhensible, de désengagement de ces assureurs.
La surface forestière assurée ne représente que 600 000 hectares, soit 4 % de
la surface forestière totale ; cela correspond à un total d'environ 8 000
contrats.
Il s'agit, bien sûr, d'une question très délicate, sur laquelle il est
aujourd'hui difficile d'avancer des solutions concrètes. Le Gouvernement n'a
d'ailleurs pu formuler aucune proposition à ce sujet au sein du présent projet
de loi. Seule une disposition introduite par l'Assemblée nationale, prévoyant
la présentation au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport dressant le
bilan des intempéries de décembre 1999 sur les propriétés forestières et
formulant des propositions en matière d'assurance contre les risques de
chablis, mentionne explicitement ce problème.
Sur toutes ces questions, je considère que la France a beaucoup à apprendre de
ses partenaires européens.
Alors que la France dispose d'une des superficies forestières les plus
importantes d'Europe, elle se situe très en retrait des autres pays européens,
notamment des pays scandinaves, mais aussi de l'Allemagne ou du Royaume-Uni,
s'agissant de sa fiscalité forestière.
Outre l'évocation de ces trois points saillants, d'autres mesures plus
ponctuelles doivent être envisagées à l'occasion de l'examen de ce texte par
notre assemblée, aussi bien des mesures d'adaptation de la fiscalité forestière
que des mesures, plus conjoncturelles, de soutien à la filière sylvicole.
Il s'agit, certes, d'un projet de loi dit « d'orientation », s'inscrivant dans
le long terme et ayant vocation à contenir des mesures plus structurelles que
conjoncturelles, mais, précisément, les forestiers sont aujourd'hui «
désorientés ». On ne pourra pas faire l'économie, dans ce projet de loi, de
mesures spécifiques de type « post-tempêtes » destinées à aider les
propriétaires forestiers à retrouver confiance.
Les principales propositions que je formulerai ici sont les suivantes.
Tout d'abord concernant le rétablissement de la taxe de défrichement opéré par
l'Assemblée nationale en première lecture, il me semble inopportun de revenir
sur une disposition votée par le Parlement dans la loi de finances pour 2000
qui a prévu la disparition de cette taxe à compter du 1er janvier 2001. Dans un
souci de simplification fiscale et de cohérence législative, je crois
nécessaire de maintenir l'état actuel du droit, à savoir la suppression de la
taxe sur le défrichement.
S'agissant de la législation concernant le délai pendant lequel le
propriétaire forestier peut présenter un plan simple de gestion afin de pouvoir
bénéficier de régimes d'exonération fiscale spécifiques, je considère que
l'abaissement de cinq à trois ans de ce délai par le présent projet de loi
constitue un recul de la politique forestière, et je souhaite le rétablissement
du délai de cinq ans.
Afin de favoriser la constitution des associations syndicales de gestion
forestière, je vous proposerai également d'exonérer ces associations de
l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.
Pour encourager le regroupement forestier, je propose l'exonération du droit
fixe de 1 500 francs associé à l'apport de toutes petites parcelles boisées à
des groupements forestiers. Dans ce cas, le droit fixe a souvent une valeur
supérieure au bien que l'on se propose d'acquérir.
Afin de ne pas pénaliser le développement des entreprises de travaux
agricoles, ruraux et forestiers, il me semblerait opportun d'envisager une
réduction du taux de plafonnement de la taxe professionnelle due par ces
entreprises. Je voudrais insister ici sur la nécessité de soutenir la
profession d'entrepreneur de travaux d'exploitation forestière : il est
essentiel pour la compétitivité de toute la filière d'aider cette profession à
s'organiser, afin qu'elle puisse être représentée dans les diverses instances
et exprimer ses attentes.
Il me semble également nécessaire d'adapter l'application du système «
Sérot-Monichon » afin de permettre le transfert des engagements résultant de ce
régime spécifique de réduction des droits de mutation du vendeur à l'acquéreur.
Il paraît en effet injuste que le vendeur soit tenu pour responsable du
manquement à ces engagements par l'acquéreur.
Enfin, dans le cadre des mesures post-tempêtes, je souhaite étendre le
dispositif d'exonération des droits de mutation pour l'acquisition de parcelles
boisées aux acquisitions à titre gratuit ainsi qu'aux parts de groupements
forestiers. Je tiens d'ailleurs à rappeler brièvement les mesures qui ont déjà
été prises par le Gouvernement dans le cadre du plan national pour la forêt du
12 janvier 2000.
Ce plan d'urgence représente 2 milliards de francs de crédits budgétaires et
12 milliards de francs de prêts bonifiés. En outre, selon les déclarations du
Gouvernement, 600 millions de francs par an pendant dix ans devraient aider les
propriétaires à reconstituer les peuplements détruits. Des mesures fiscales
complètent d'ailleurs ce dispositif.
Le programme spécifique en faveur de la forêt répond donc à trois objectifs
majeurs : assurer la mobilisation du bois ; permettre le stockage et favoriser
la valorisation du bois ; enfin, organiser la reconstitution des écosystèmes
forestiers.
Malgré les intentions louables affichées par le Gouvernement, le constat sur
le terrain et le bilan de ces aides, un an après les tempêtes, sont
décevants.
La réalité sur le terrain, en effet, ne correspond malheureusement pas aux
attentes des forestiers, et les espoirs suscités par l'annonce de ce plan ont
été en partie déçus.
La plupart des aides directes, pour un montant global de l'ordre de 1,4
milliard de francs, ne sont pas encore parvenues à leurs destinataires. On
constate de très importants délais dans leur acheminement, délais qui
pénalisent les exploitants et, surtout, les propriétaires forestiers. L'aide
financière de l'Etat pour la reconstitution des forêts était promise par le
Gouvernement pour la fin du mois d'août 2000. Je sais, monsieur le ministre,
qu'il s'agit encore du conflit entre votre ministère et Bercy. Alors,
accélérons Bercy !
Aujourd'hui, plus d'un an après le choc des tempêtes, les attentes sont
grandes et les esprits sont encore fragiles.
Le Sénat a déjà eu l'occasion, l'année passée, d'affirmer son soutien à la
filière sylvicole - notamment au moment du vote des différents projets de loi
de finances, rectificatives et initiale - en proposant des mécanismes fiscaux
de soutien. Il s'agit, aujourd'hui encore, de ne pas décevoir l'ensemble de ces
acteurs, qui attendent des réformes, et de donner un vrai « souffle » à la
politique forestière française.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et, bien sûr, sur le Parlement.
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la
législation forestière, dont l'objet principal est la conservation d'une des
plus précieuses richesses de l'Etat, se lie à tant d'autres intérêts et touche
par tant de points importants à la propriété privée, qu'elle doit être l'un des
premiers objets de la sollicitude des gouvernants ». Ainsi s'exprimait M. de
Martignac dans l'exposé des motifs du projet de code forestier de 1827, devant
la Chambre des pairs.
Il eut du mal à convaincre cette dernière. Si l'on en croit l'éditeur du code,
l'avis presque unanime de cette chambre était de n'apporter aucun changement au
code forestier. L'ordonnance de Colbert, qui datait de 1669, était, il est
vrai, assez récente : elle avait cent soixante-dix-huit ans - tout juste le
temps d'une génération d'arbres ! Martignac invoqua la marche du temps, les
progrès de l'industrie et l'économie publique...
Cent cinquante-quatre ans après, nous nous attelons de nouveau à cette
tâche.
La Fédération nationale des communes forestières de France, dont j'ai
l'honneur d'être ici le porte-voix, en l'absence de son président, notre estimé
collègue Jacques-Richard Delong, est d'accord sur cette entreprise de
rénovation, sans céder à la nostalgie. Elle avait approuvé M. Philippe Vasseur
quand il parla de présenter un projet de loi d'orientation sur l'agriculture,
l'alimentation et la forêt. Elle a salué la sortie du rapport Bianco, où elle a
reconnu quelques-unes de ses idées, notamment ce point clé : la gestion durable
des territoires forestiers confortée par des contrats de territoires. Elle
avait regretté la dissociation de la partie forestière, au moment de la
discussion de la loi d'orientation agricole. Elle est donc satisfaite de voir
venir devant le Parlement ce texte tant attendu.
Il est vrai qu'entre-temps le contexte, lui, s'est assombri. Comment discuter
d'une loi forestière sans évoquer ces deux événements : les tempêtes de
décembre 1999 et, tout récemment, mais avec des conséquences non moins graves à
long terme, le rejet du protocole de Kyoto par le nouveau président des
Etats-Unis ?
Sur la tempête, on a déjà tout dit ou presque, sauf la réponse à la lancinante
question : en reviendra-t-il de semblables, et quand ? Ainsi, 140 millions de
mètres cubes, soit 300 millions d'arbres touchés dans les forêts françaises ;
44 millions de mètres cubes, soit 130 millions d'arbres frappés dans les forêts
publiques ; 25 millions de mètres cubes dans les forêts communales... Ces
chiffres catastrophiques interfèrent forcément dans la discussion du projet de
loi, même si votre texte est conçu, comme les deux précédents, pour durer cent
cinquante ans.
Il nous faut bien dire d'abord un mot du plan « chablis ». Vous avez obtenu
des moyens financiers honorables, mais il n'a pas été possible, en dépit des
efforts de tous - élus, exploitants et services publics, à commencer par ceux
des préfectures et par l'ONF -, de dégager entièrement le terrain, bien que 23
millions de mètres cubes aient pu être commercialisés sur les 30 millions de
mètres cubes commercialisables. Il reste encore à exploiter des volumes
importants d'essences peu sensibles à la dégradation, telles que les chênes et
les douglas, mais aussi des hêtres et des résineux de qualité secondaire.
Notons au passage que les résultats obtenus l'ont été au prix d'un
assouplissement considérable des méthodes de commercialisation des bois. Devant
l'échec des premières adjudications, l'Office a sagement rangé ses catalogues
et a recouru au gré à gré sur une large échelle, dans le cadre d'un accord
national avec les exploitants forestiers qui fut très durement négocié, et
parfois - mais pas toujours - péniblement appliqué... C'était, en somme,
anticiper sur votre projet de loi, qui prévoit que les méthodes de
commercialisation des bois devront être plus diversifiées et mieux répondre aux
situations dans le temps et dans l'espace.
Les communes forestières sont ouvertes à ces perspectives, à condition
toutefois que cette évolution ne se fasse pas au détriment de leurs recettes de
bois, dont on mesure aujourd'hui l'importance dans les budgets des communes de
l'Est de la France. Par ailleurs, je rappelle que le choix du mode de
commercialisation des bois récoltés en forêt communale revient aux maires.
En d'autres termes, il a fallu faire face à une situation exceptionnelle, mais
nous continuons à souhaiter un large éventail des méthodes de vente, et
l'adjudication au rabais ne nous paraît nullement condamnée par l'histoire.
Les intempéries de cet hiver ont considérablement freiné l'exploitation et la
vidange des produits de la tempête. Aussi, nous vous demandons de bien vouloir
prolonger les aides au transport, qui, seules, permettront d'exploiter
certaines qualités de bois.
Les élus forestiers, tenant compte des expériences passées, redoutent la
renversée prochaine d'arbres fragilisés ainsi que les attaques de scolytes, qui
risquent d'affecter, sur plusieurs années, l'équivalent de 30 % à 50 % du
volume tombé en chablis en 1999. Aussi la vigilance s'impose-t-elle dans les
domaines phytosanitaire et financier.
Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre, pour nous soutenir auprès
de M. le ministre de l'intérieur, afin qu'il continue d'apporter aux communes
sinistrées les aides, versées sous forme de subvention de fonctionnement, dont
l'attribution durant l'année 2000 a été facilitée par ses services.
Les maires attendent également beaucoup de la mission interministérielle qui a
été mise en place par M. le Premier ministre afin de procéder à l'examen de la
situation financière de chacune des communes forestières sinistrées par les
tempêtes, à court et à moyen terme.
Deuxième interférence de la tempête avec le projet de loi d'orientation : la
reconstitution des forêts.
Au mois d'octobre 2000, lors d'un colloque qui s'est tenu à Epinal, les
communes forestières ont entrepris une réflexion commune avec l'ONF et publié
avec ce dernier, au mois de janvier 2001, un manifeste sur la reconstitution.
Un guide technique est en cours de préparation ; il sera diffusé au mois de mai
à tous les maires, à tous les personnels de l'ONF et dans le public.
Si le recours à la régénération naturelle, plus longue à obtenir, doit être la
règle, des plantations s'avéreront nécessaires. Aussi, les communes, qui seront
systématiquement impliquées par l'Office pour décider des choix à effectuer,
comptent sur leur gestionnaire pour maîtriser la récolte et la conservation des
graines, l'élevage des plants en pépinières - sous forme de contrats de culture
- et les travaux de plantation.
L'ONF possède les moyens techniques et réglementaires adéquats - notamment la
Sécherie de graines forestières de La Joux - pour apporter, avec le
professionnalisme nécessaire, toutes les garanties aux communes.
En dépit des moyens financiers importants que vous avez prévus pour la
reconstitution, monsieur le ministre, certaines communes éprouveront beaucoup
de difficultés à financer, pour les parties qui leur incombent, la
reconstitution de leur forêt. Dès à présent, nous vous demandons que soit
examinés, en tant que de besoin, les cas particulièrement difficiles.
Une troisième conséquence de la tempête doit être présente à notre esprit au
moment où nous ouvrons cette discussion : les prévisions de récolte forestière
devront être revues à la baisse pour les dix prochaines années - ce qui remet
tout de même quelque peu en cause l'analyse de M. Jean-Louis Bianco, à laquelle
nous étions ralliés.
Dans son rapport, qui - cela a déjà été dit - s'intitule :
La forêt, une
chance pour la France
, l'ancien président de l'ONF qu'il est tablait sur
une augmentation des récoltes de bois dans un délai de cinq à dix ans dans les
forêts domaniales et communales, afin de dynamiser l'ensemble de la filière.
Ces prélèvements, destinés à enrayer une surcapitalisation qui serait
préjudiciable à l'équilibre biologique des forêts, devraient en outre présenter
l'avantage de procurer des recettes supplémentaires tant aux communes qu'à
l'ONF.
Après le passage de la tempête, la diminution des récoltes se traduira donc
pour de nombreuses communes par des difficultés budgétaires notables pendant
plusieurs années, voire, parfois, plusieurs décennies.
Il est avéré que l'Office national des forêts, pour ce qui le concerne, se
trouvera durant plusieurs années dans une situation financière difficile, et ce
d'autant plus que ses réserves seront complètement épuisées en 2001.
Les communes forestières sont très préoccupées par la fragilité financière de
leur gestionnaire et renouvellent aujourd'hui avec force leur demande d'une
recapitalisation de l'Office national des forêts au niveau approprié, afin que
cet établissement puisse remplir les missions qui lui sont assignées par
l'Etat, à un moment où notre pays en a le plus grand besoin.
Il est en effet légitime que le financement des forêts publiques soit assuré
de manière pérenne par le produit des écotaxes et que l'on rémunère globalement
les services non marchands rendus par les forêts pour la protection des
ressources en eau, l'accueil du public, la préservation des paysages, la
protection des habitats ainsi que des espèces végétales et animales vivant en
forêt et, bien entendu, la lutte contre l'effet de serre ; bref, tout ce qu'il
conviendra, après l'adoption de la loi, de résumer par le terme un peu lourd de
« multifonctionnalité », notion qui, avec celle de gestion durable, est un des
grands apports de la loi d'orientation.
Je viens de prononcer les mots fatidiques d'« effet de serre ». La montée de
l'inquiétude à propos du réchauffement de la planète est, comme la tempête
historique de cette fin de siècle, un des éléments essentiels de ce contexte,
monsieur le ministre. Il faut bien que votre texte les prenne en compte. Qui
sait même si ces deux éléments ne sont pas liés ?
Oui, mes chers collègues, les communes forestières s'interrogent, elles aussi,
sur l'évolution des climats et sur son incidence à long terme sur les essences
cultivées dans nos forêts. En particulier, elles s'inquiètent des récentes
déclarations du président des Etats-Unis, qu'elles voient renier la signature
de son pays au bas du protocole de Kyoto. Car aucun pays ne peut s'affranchir
des risques très importants qu'engendre le dégagement croissant de gaz à effet
de serre dans l'atmosphère.
Certes, les Etats-Unis ont tort ; mais nous n'avons pas nous-mêmes été
imprudents ? A La Haye, les Européens ont refusé tout compromis avec les
Américains, pour des raisons dogmatiques : il s'agissait de rejeter toute
possibilité d'alternative, même partielle, aux économies d'énergie par la
promotion des puits de carbone en forêt. Cette raideur écologiste a fourni un
prétexte à la délégation américaine. Sans la justifier, bien sûr, elle lui a
rendu plus aisée la remise en cause du protocole.
La proposition de loi du sénateur Vergès - souvenez-vous-en, mes chers
collègues -, adoptée à la quasi-unanimité par le Sénat, avait pourtant ouvert
la voie à une tactique bien différente : en faisant de l'effet de serre une
grande cause nationale et en créant un observatoire dans ce domaine, la Haute
Assemblée avait une fois de plus confirmé sa sagesse et son aptitude à prendre
en compte la durée dans les décisions publiques.
Dès le mois de novembre 1999, monsieur le ministre, notre collègue M. Delong
vous a rapporté la volonté des communes forestières de prendre part à la lutte
contre l'effet de serre, avec le soutien financier de l'Etat.
Plusieurs champs d'action existent, depuis la redynamisation de la
sylviculture, notamment dans les jeunes peuplements, ou l'enrichissement de
plusieurs centaines de milliers d'hectares de forêts communales jusqu'à
l'acquisition raisonnée et à la valorisation forestière de parcelles
irréversiblement abandonnées par l'agriculture.
J'en viens maintenant au survol rapide du texte. Je ne m'y attarderai pas,
puisque les rapports très précis et complets de nos collègues François,
rapporteur de la commission des affaires économiques, et du Luart, rapporteur
pour avis de la commission des finances, sont pratiquement exhaustifs.
Les communes forestières se plaisent à saluer la concertation à laquelle elles
ont été conviées par votre cabinet et par vous-même, monsieur le ministre, pour
l'élaboration de ce texte. Au surplus, quand on légifère pour cent cinquante
ans, les clivages politiques du moment n'ont pas grand sens !
Les communes forestières se reconnaissent donc dans les principales
dispositions de ce texte : gestion durable labellisée - qui vous permettra de
lancer la certification, à laquelle nous travaillons en liaison avec la forêt
privée - ; multifonctionnalité, qu'il faudra bien sûr financer ; réorganisation
de l'interprofession forêt-bois, qui devra respecter la liberté de chacun,
notamment dans la seconde transformation ; introduction de la notion de
territoires forestiers contractualisés ; sans oublier quelques toilettages,
comme la disparition du folklorique garde-coupe.
Nous constatons que, selon la loi, la forêt française s'appuiera sur deux
institutions fortes : l'ONF, dont le conseil d'administration doit être élargi,
pour la forêt publique, et le futur centre national professionnel de la
propriété pour la forêt privée.
Pour sa part, la Fédération nationale des communes forestières attend de
l'ONF, son gestionnaire, qu'il évolue fortement et rapidement. A cette fin,
elle a entrepris avec les responsables de l'établissement une réflexion qui
aboutira dans les prochains mois, lors des assises nationales de la forêt
communale. Les conclusions de ces assises devront être reprises - du moins le
souhaitons-nous - dans le contrat Etat-ONF en cours d'élaboration.
Cependant, la réforme qui affectera l'ONF devra s'attacher à préserver le
principe actuel du maillage territorial, sous peine de voir disparaître du
paysage rural un établissement public efficace, placé au service de la gestion
des forêts publiques, mais aussi des territoires forestiers et ruraux, comme le
prévoit la loi d'orientation forestière.
L'exigence d'une qualité accrue des prestations de l'Office a conduit notre
fédération à demander à l'établissement qu'il soit certifié ISO 9000. Les
interventions de l'Office pour le compte des communes seront ainsi plus
ciblées, plus efficaces et moins onéreuses.
L'avenir est lourd de menaces, mais cette loi d'orientation nous permettra de
l'aborder avec espoir et volontarisme. Elle le permettra d'autant plus,
monsieur le ministre, si vous acceptez les amendements que nous avons déposés
pour « muscler » ce texte. Ils portent, entre autres objets, sur la spécificité
des forêts publiques.
Ils concernent, d'abord, le projet de fonds d'épargne forestière à l'usage des
communes, qui est un peu le symétrique, quoique différent, de celui que notre
collègue du Luart a évoqué pour la forêt privée. Je rappelle que vous venez
d'être saisi, ainsi que vos collègues de l'intérieur et des finances, d'un
rapport circonstancié que je vous ai adressé voilà trois jours, au nom de la
fédération.
Ces amendements concernent, ensuite, les chartes de territoire forestier, que
nous souhaitons voir bénéficier de dispositifs financiers équivalents -
pourquoi pas ? - à ceux des contrats territoriaux d'exploitation en
agriculture.
Ces amendements concernent, enfin, le financement de la formation des élus par
une partie du produit des cotisations versées aux chambres d'agriculture, sur
lesquelles nous n'avons aucune retombée jusqu'à présent. C'est un sujet que
vous connaissez bien et qui a fait l'objet d'une réponse de principe favorable
des chambres d'agriculture.
Je terminerai mon propos par un petit retour en arrière. En 1827 - j'y reviens
- devant la chambre des députés, le général Sebastiani commençait son discours
en ces termes : « Messieurs, nous discutons aujourd'hui une véritable loi, une
bonne loi, malgré les imperfections que je regrette d'y trouver. » C'est un peu
ce qu'a dit M. du Luart.
(Sourires.)
Il ajoutait : « Je viens défendre
la haute, la grande propriété, la propriété aristocratique, car elle seule
possède les bois. » Vous le voyez, là ce n'est pas ce qu'a dit M. du Luart.
(Nouveaux sourires.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
avons, nous aussi, devant nous une véritable loi, une bonne loi, qu'il convient
encore de perfectionner. Aussi, ensemble, défendons la haute, la grande, la
propriété démocratique, celle des générations futures, car c'est bien pour
elles, forêt publique et forêt privée, et sur toutes les travées de notre Haute
Assemblée, que nous travaillons.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - M. Joly applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais,
à mon tour, me réjouir de l'examen de ce projet de loi d'orientation sur la
forêt. Son importance et son urgence ont déjà été rappelées. Elles tiennent aux
conséquences de l'ouragan de décembre 1999, mais plus encore à l'attention que
nous devons porter à l'amélioration de toutes les activités de la filière bois
et de sa compétitivité.
A mes yeux, l'événement le plus remarquable réside cependant ailleurs, dans la
reconnaissance affirmée de la multifonctionnalité de la forêt : à côté du rôle
économique de la production-vente de bois et des activités qui en découlent, le
projet de loi affirme que les fonctions sociales et environnementales doivent
être intégrées dans une gestion de développement durable. Certes, cela fait des
années que les discours forestiers sont infiltrés de références sociétales et
environnementales. Mais que la loi couronne cette évolution par l'inscription
du principe de gestion durable me fait penser qu'une page est tournée et qu'une
étape nouvelle est entamée.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, j'approuve globalement le
projet de loi qui nous est soumis.
M. René-Pierre Signé.
Belles paroles !
M. Philippe Richert.
Je n'ai pas tout à fait terminé mon propos !
La philosophie de ce texte, les orientations qu'il trace, les objectifs qu'il
affiche et l'ambition pour la filière bois qu'il veut servir méritent que nous
le soutenions.
Néanmoins,
(Ah ! sur les travées socialistes)
... Eh oui, je devais y
venir.
Néanmoins, disais-je, entre ces perspectives volontaristes et les mesures
proposées, je me vois obligé de relever des insuffisances et d'exprimer
quelques doutes.
Tout d'abord, je constate, avec nos rapporteurs, la nécessité de renforcer
considérablement le volet financier et plus particulièrement le soutien à
l'investissement forestier. Il est avéré que la réorganisation de la forêt
privée doit être une priorité. Il est tout aussi patent - la tempête l'a encore
montré - que l'investissement forestier est aléatoire...
M. Jean-Louis Carrère.
Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Même la vie est aléatoire !
M. Philippe Richert.
... et que sa rentabilité est sans commune mesure avec le placement boursier.
C'est pourquoi nous devons prévoir dans ce texte les modalités permettant de
dynamiser les moyens en direction de l'investissement forestier. La proposition
d'un « fonds d'épargne forêt » de M. le rapporteur pour avis présente tous les
avantages recherchés. Il convient de la conjuguer avec les autres mesures de
réorganisation fiscale préconisées pour que toute la filière sylvicole puisse
être rénovée et optimisée.
Ma deuxième observation se rapporte à la gestion durable, qui intègre les
notions de rentabilité économique mais aussi la dimension sociale et
environnementale. Incontestablement, ces rôles dits secondaires de la forêt
méritent d'être mieux pris en compte.
D'ailleurs, lorsqu'on discute avec nos concitoyens, on se rend compte qu'ils
sont souvent d'avis que les rôles socio-environnementaux devraient primer par
rapport au rôle économique. Nous devrions donc faire des efforts pour que ces
rôles socio-environnementaux soient mieux pris en compte.
Comme cela a été rappelé tout à l'heure, l'un des grands enjeux des décennies
à venir est la question de l'effet de serre. Nous savons le rôle éminent joué
par la forêt comme capteur des gaz qui favorisent le réchauffement de la
planète. Il s'agit donc d'un sujet essentiel et grave, qui mérite bien plus
qu'un paragraphe annexe à un rapport !
Un autre aspect, sanitaire cette fois, des bienfaits de la forêt est celui de
la purification de l'air. Le rapporteur de la commission des affaires
économiques du Sénat, M. Philippe François, avait déjà été rapporteur du projet
de loi sur l'air, déposé par Mme Corinne Lepage. Depuis le vote de ce texte, il
est établi que les particules fines de cinq à dix microns constituent uen
source de pollution de l'air difficile à maîtriser et pouvant intervenir dans
l'apparition d'affections ou dans leur aggravation. Or les forêts constituent
un filtre qui amène ces poussières à se déposer, à se faire piéger. Lorsque
l'on sait que la pollution atmosphérique est mise en cause dans plusieurs
dizaines de milliers de décès annuels précoces ou dans des affections
multiples, comme l'asthme ou la bronchiolite des nourrissons, nous mesurons le
rôle bénéfique primordial que peut jouer la forêt. Et que dire de la protection
contre les risques naturels, les avalanches, l'érosion, les inondations, et
bien d'autres ?
Monsieur le ministre, l'examen en détail des propositions gouvernementales
fait ressortir que les mesures prévues pour tenir compte de la
multifonctionnalité de la forêt sont particulièrement réduites.
Le rapporteur, M. Philippe François, l'a d'ailleurs fort bien indiqué : « La
volonté d'encourager la multifonctionnalité de la forêt, à travers son rôle
social et environnemental, est affirmée. » Cependant, le projet de loi n'en
tire pas clairement les conséquences sur le plan financier. Il est donc
indispensable que les moyens adéquats soient dégagés et budgétés.
Qu'en est-il des aides nouvelles pour compenser et asseoir les orientations
?
Les propriétaires privés voient les aides conditionnées par des impératifs de
gestion durable, ce qui permet d'espérer un infléchissement des pratiques ;
mais cette mesure génère dans le même temps un cortège de formalités
administratives complexes et décourageantes, qu'il faudrait essayer de
simplifier pour qu'elles soient réellement efficaces.
Pour les forêts domaniales, je le rappelle, monsieur le ministre, en Alsace,
les forêts publiques représentent 80 % des surfaces boisées, soit presque
l'inverse de la proportion en moyenne nationale, qui est de 30 % contre 70 %.
Je ne discerne, là encore, que très difficilement l'abondement des moyens
nécessaires pour mieux prendre en compte cette multifonctionnalité.
Les routes forestières, par exemple, depuis des décennies se dégradent à un
rythme alarmant. Bientôt, des efforts de générations d'aménageurs, cynégétiques
et forestiers seront anéantis par la faute de ceux qui n'ont parlé que chiffre
d'affaires et bénéfices, oubliant les autres fonctions, comme l'accueil du
public, notamment des citadins, ou la biodiversité. Je regrette, là encore, les
réelles carences du texte en termes de moyens.
Indiscutablement, il faut simplifier les procédures pour le privé, me
semble-t-il, et mettre en place, pour le public, les moyens financiers
indispensables pour permettre aux forêts d'assurer les missions de
multifonctionnalité que nous voulons tous leur reconnaître.
Pour terminer, je dirai un mot sur la biodiversité elle-même.
Le patrimoine forestier a une valeur écologique inestimable. La richesse de ce
milieu est d'autant plus grande qu'il abrite des espèces rares ou endémiques et
des écosystèmes complexes. L'uniformité, dans ce cas de figure, est réductrice.
L'ouragan de décembre 1999 ayant dévasté des milliers d'hectares forestiers, je
formule le voeu non seulement que l'on s'oriente, pour la reforestation, vers
des méthodes plus douces, moins artificielles, avec des espèces locales
adaptées au milieu,...
M. Yann Gaillard.
Très bien !
M. Philippe Richert.
... mais également que l'on prenne les mesures pour reconstituer des
écosystèmes favorables à des espèces animales ou végétales ayant fortement
régressé, voire disparu du fait des modifications profondes que leurs milieux
de vie avaient subies.
Je prends un exemple particulier qui intéresse notamment le grand tétras, le
grand coq de bruyère. Actuellement, il n'y a plus que quelques coqs dans les
Vosges alsaciennes.
M. Gérard Braun.
Et lorraines !
M. Philippe Richert.
Il y en a un peu plus en Lorraine, cher ami !
Or la tempête a complètement modifié le milieu et il serait tout à fait
possible de recréer les écosystèmes favorables au coq de bruyère, comme il y en
avait au début du xxe siècle. Je souhaite, monsieur le ministre, que, sur ce
sujet, vous puissiez nous apporter des assurances qui seraient de nature à
donner un signe tangible pour que cette reconquête environnementale favorable à
la biodiversité puisse se réaliser.
(M. Carrère applaudit.)
Voilà, monsieur le ministre, en vous réitérant ma satisfaction pour l'esprit
général qui oriente ce projet de loi, quelques suggestions qui, à mon sens,
mériteraient d'être approfondies.
Avec les propositions des rapporteurs des commissions, que je tiens à
féliciter, des améliorations sensibles pourront être apportées pour que ce
projet de loi d'orientation puisse servir efficacement de cadre directeur pour
des forêts durables auxquelles tous nos concitoyens sont attachés et qui font
partie des merveilles de notre pays.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE - M. Pastor applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que
nous abordons aujourd'hui était très attendu. Selon moi, il l'était pour deux
raisons principales.
En premier lieu, on en parle depuis plusieurs années. M. Philippe Vasseur,
l'un de vos prédécesseurs, avait d'ailleurs décidé d'intégrer les dispositions
relatives à la forêt dans son projet de loi d'orientation agricole. Les
majorités changeant, vous avez décidé, monsieur le ministre, de retirer ce
volet forestier du projet de loi d'orientation agricole pour en faire un projet
de loi indépendant. Pourquoi pas ? Je pense même que ce n'est pas forcément une
mauvaise chose. Mais, par voie de conséquence, nous avons, vous avez perdu du
temps. La loi d'orientation agricole ayant été adoptée en juin 1999, il aurait
été souhaitable qu'il en fût de même du texte sur la forêt.
En second lieu, monsieur le ministre, c'est en août 1998 que M. Bianco
remettait à M. le Premier ministre son rapport
La forêt, une chance pour la
France.
Mais, le temps passant, les attentes se sont multipliées, et à cet égard le
présent projet de loi est plutôt décevant. Surtout, il n'a d'orientation
pratiquement plus que le titre. En effet, s'il aborde de nombreuses questions,
il laisse de côté les plus importantes : celles qui concernent le financement,
la fiscalité et l'encouragement de l'investissement forestier.
Or c'est maintenant que nous devons légiférer afin de garantir l'avenir de
notre patrimoine forestier et de le préparer à de nombreux enjeux.
Quelle est, en effet, la situation actuelle de la forêt française ? Nous
pourrions dire qu'elle est à la croisée des chemins : elle doit être mieux
gérée afin de développer pleinement toutes ses potentialités.
Nous connaissons tous les grands traits de notre forêt et nos rapporteurs, MM.
Philippe François et Roland du Luart, nous les ont brillamment rappelés tout à
l'heure.
Pour ma part, j'en retiens plus particulièrement quelques-uns, notamment ceux
qui sont à l'origine d'un certain nombre d'amendements que je présenterai au
nom de ma famille politique.
Avec une superficie de près de 16 millions d'hectares, la forêt française est
la troisième d'Europe, après celles de la Suède et de la Finlande. Elle est en
pleine expansion puisqu'elle ne couvrait que 10 millions d'hectares en 1990.
Elle se caractérise, comme plusieurs de nos collègues y ont insisté, par la
forte présence de la forêt privée, qui occupe les deux tiers de notre forêt
nationale. Elle constitue un secteur économique important : la sylviculture,
l'exploitation forestière et les industries de transformation génèrent, en
effet, plus de 550 000 emplois dans quelque 40 000 entreprises, pour un chiffre
d'affaires proche des 500 milliards de francs. En outre, il est indispensable
de souligner que ces entreprises se situent essentiellement en milieu rural, ce
qui confère à ce secteur économique un rôle déterminant dans l'aménagement et
le développement du territoire.
Tous, nous connaissons les enjeux d'une forêt dynamique et bien gérée qui sont
autant d'atouts écologiques et économiques.
Premièrement, la forêt contribue aux grands équilibres naturels en termes de
diversité de la faune et de la flore ; elle permet ainsi de respecter les
engagements internationaux de la France au regard de la préservation de la
biodiversité.
Deuxièmement, la forêt protège les sols contre l'érosion, les avalanches ou
les glissements de terrains, sujet malheureusement d'actualité brûlante en
raison des nombreuses intempéries que nous avons connues récemment.
Troisièmement, la forêt favorise la régularité du régime des eaux et limite
les risques d'inondation.
Quatrièmement, la forêt joue un rôle important en fixant le gaz carbonique et
en participant à la lutte contre l'effet de serre. C'est d'ailleurs en partie
sur ce point de la prise en considération des forêts que les négociations de la
conférence de La Haye ont achoppé. Nous ne pouvons qu'espérer leur reprise avec
des perspectives plus positives.
Or la forêt française, en dépit d'un fort potentiel, apparaît aujourd'hui
comme sous-exploitée : d'une part, la récolte annuelle est inférieure à la
production nationale et les experts estiment qu'elle pourrait être augmentée de
6 millions de mètres cubes d'ici à dix ans ; d'autre part, la forêt française
est confrontée à de nouvelles exigences, à savoir la mondialisation des
échanges, les préoccupations environnementales, la concurrence d'autres
matériaux que le bois, le développement des fonctions non marchandes de la
forêt telles que le tourisme, la chasse, l'ouverture au public, l'entretien des
paysages, etc.
Face à cette nécessaire réforme de notre code forestier, ce projet de loi
est-il à la hauteur des ambitions que nous devons avoir pour la forêt française
? Permettez-moi d'en douter, monsieur le ministre, même si plusieurs
dispositions de votre texte sont intéressantes.
Je noterai d'ailleurs que vous avez repris plusieurs idées contenues dans le
projet de loi de Philippe Vasseur, tels la modernisation de l'ONF, la
clarification de la politique concernant la propriété privée, le renforcement
de la qualification professionnelle ou l'extension du mécanisme de la dation à
la forêt.
Schématiquement, votre projet, monsieur le ministre, vise à mettre en place
une gestion durable et multifonctionnelle des forêts ; nous partageons tout à
fait cet objectif. Cependant, ce texte ne permet pas de l'atteindre, et il est
bien loin des attentes des professionnels en ce qu'il répond plus à une logique
d'organisation administrative qu'à une logique économique.
A ce titre, je donnerai plusieurs exemples des manques de ce texte.
Tout d'abord, ce projet de loi renvoie à une cinquantaine de décrets sur
lesquels le Parlement n'a aucune maîtrise. Je rappellerai, monsieur le
ministre, que, voilà trois ou quatre mois tout au plus, le vice-président du
Conseil d'Etat lui-même regrettait que Gouvernement et Parlement n'assument pas
pleinement leurs responsabilités et renvoient trop souvent leurs textes à des
décrets en Conseil d'Etat.
Par ailleurs, plusieurs articles de ce projet de loi sont de simples
déclarations de principe qui n'entraînent aucune mesure concrète.
En outre, les leçons de la tempête de décembre 1999 ne sont pas toutes tirées.
Tout à l'heure, Xavier Pintat insistera sur ce point, lui dont la région,
l'Aquitaine, a été particulièrement touchée par cette catastrophe.
Ensuite, aucune réponse - en tout cas aucune réponse suffisante - n'est donnée
au problème du morcellement de la forêt française, et la question n'est pas
posée de savoir dans quelles conditions il faudrait envisager un remembrement
ou des échanges multilatéraux de parcelles.
De plus, il n'y a pas de stratégie pour la filière bois - je sais bien que
cela a été traité par ailleurs, mais il est dommage que vous n'ayez pas abordé
de nouveau ce point, monsieur le ministre - et aucun encouragement n'est
apporté à l'industrie de transformation.
J'ajoute que les chartes de territoire forestier risquent d'être un carcan
administratif, à l'instar de ce que sont les contrats territoriaux
d'exploitation, les CTE, et donc de susciter insuffisamment d'intérêt.
Je regrette aussi qu'il n'y ait aucune mesure financière particulière pour
accompagner les communes dans leur politique de développement du tourisme
forestier : les communes ont besoin d'être aidées pour aménager les forêts au
tourisme, notamment par la construction de parkings, l'entretien, la percée de
chemins et de sentiers de randonnée. Je sais que vous n'êtes pas le seul à
avoir votre mot à dire, monsieur le ministre, et que Bercy est toujours
derrière vous !
Enfin - et c'est le reproche le plus important que nous formulerons à
l'encontre de ce projet de loi - ce texte ne contient aucune mesure de
financement à la hauteur des enjeux.
Premièrement, en matière fiscale, le projet de loi adopté par l'Assemblée
nationale est très timoré. Sur ce point, M. Roland du Luart, rapporteur de la
commission des finances, a suggéré plusieurs amendements pertinents auxquels
nous apporterons notre soutien.
Deuxièmement, le texte ne comporte pas de mesures précises pour favoriser
l'investissement forestier : l'amendement sur le plan d'épargne forestier,
présenté à l'Assemblée nationale, a été retiré au profit d'un article sibyllin
sans véritable portée. Je propose de relancer l'idée ; la commission des
finances a d'ailleurs prévu un dispositif un peu différent. J'espère, monsieur
le ministre, que vous retiendrez l'une ou l'autre des propositions que nous
vous ferons au cours de ce débat.
M. Roland du Luart,
rapporteur pour avis.
Il fera la synthèse !
M. Ladislas Poniatowski.
Troisièmement, ce texte n'est accompagné d'aucune mesure financière.
Cela m'amène à poser deux interrogations : tout d'abord, quel rôle
entendez-vous réserver à l'Etat dans la politique pour la forêt ? Ensuite,
qu'avez-vous fait, monsieur le ministre, des propositions du rapport Bianco ?
Certes, vous en avez repris un certain nombre, mais vous en avez laissé trop
dans les tiroirs. La deuxième de ses principales recommandations est pourtant
très explicite : « Aucune recommandation ne sera efficace sans un
investissement supplémentaire de l'ordre de 1 milliard par an ». Pour 2001,
c'est à peine la moitié qui a été prévue dans le budget. Autrement dit, nous
démarrons sur de mauvais rails.
Le caractère multifonctionnel que vous donnez volontiers à la forêt signifie
que les missions d'intérêt général que peut remplir la forêt doivent être
financées par l'Etat. Or, l'engagement de ce dernier est très limité et,
globalement, la France accumule du retard en consacrant à la forêt de quatre à
dix fois moins d'argent public que ses voisins européens.
En conclusion, si, au-delà du drame des tempêtes de décembre 1999, nous avons,
dans l'ensemble, une forêt bien portante, c'est maintenant qu'il faut légiférer
pour anticiper les échéances à venir : les textes se sont accumulés depuis
Colbert, le code forestier est l'un de nos plus anciens codes, les enjeux
économiques, sociaux et culturels évoluent.
Mais, en ne reprenant que quelques recommandations du rapport Bianco, vous
nous proposez, monsieur le ministre, un projet de loi lacunaire qui ne permet
pas de concilier vraiment économie et écologie.
C'est pourquoi le Sénat entend améliorer substantiellement ce texte. Ainsi, la
commission des affaires économiques, par ses amendements, tentera-t-elle de
remédier à deux insuffisances majeures du projet de loi : des contraintes
administratives supplémentaires et des moyens financiers insuffisants. Quant à
la commission des finances, elle proposera d'améliorer la fiscalité sur la
forêt et de mettre en place un dispositif opérationnel afin d'encourager
l'investissement forestier.
Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, j'ai déposé un certain
nombre d'amendements complémentaires qui tiennent compte des situations locales
et régionales en matière de gestion de nos forêts ou de développement de la
filière bois. J'espère, monsieur le ministre, que vous nous entendrez lors de
leur examen.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France
occupe la troisième place de producteur européen en matière forestière.
Toutefois, tous les moyens ne sont pas réunis pour que la filière forêt bois
soit aussi compétitive que l'on serait en mesure de l'espérer. Pourtant,
l'Hexagone bénéficie de nombreux atouts au niveau tant des sols que des
conditions climatiques.
Tout d'abord, malgré une réelle extension, l'exploitation forestière reste
morcelée. La plupart des unités sont inférieures à un hectare. Par ailleurs, on
est en droit de s'interroger sur le repli des investisseurs institutionnels
qui, actuellement, mettent en vente leurs parcelles. Ainsi, en raison de leur
anticipation d'une mauvaise rentabilité des investissements sylvicoles, ils
fragilisent des positions déjà mal assurées. Alors qu'ils devraient être des
relais privilégiés et des éléments moteurs des dispositions examinées, ils
donnent au contraire le mauvais exemple.
Comme les autres entreprises, celles du bois désirent entrer dans le xxie
siècle avec les atouts nécessaires pour envisager sereinement l'avenir. Un
cadre législatif s'imposait. L'évolution du contexte socio-économique, la
mondialisation des échanges et la concurrence accrue nécessitaient des
dispositions prenant en compte un développement durable de la forêt.
« L'île verte » désigne la Haute-Saône. C'est dire combien la forêt tient sa
place dans ce département, qui s'inscrit dans une région répondant au même
qualificatif - elle n'est d'ailleurs pas la seule sur le territoire national.
Néanmoins, moins de 2 % des propriétaires forestiers vivent des revenus de
cette activité.
Il y a là un réel constat d'échec. Lors de nos échanges au sein de la
commission des affaires économiques et du Plan, notre excellent rapporteur
Philippe François, comme l'orateur précédent a mentionné que la France
consacrait de quatre à dix fois moins de crédits publics à la forêt que ses
partenaires européens, alors que notre pays se situe juste derrière la Norvège
et la Finlande pour la production. Le propos est non pas de faire de cette
activité un secteur assisté, mais d'offrir les moyens d'un décollage qui
déboucherait sur une économie équilibrée.
Les acteurs concernés souhaitent que nos forêts soient mieux gérées, mieux
exploitées, mieux protégées dans un cadre assurant une multifonctionnalité
économique, sociale et biologique. Certains diront que c'est l'alliance
impossible de l'eau et du feu ; néanmoins, cette donnée est inscrite dans notre
patrimoine ; elle mérite toute notre attention, car elle est l'un des éléments
fondamentaux de la vie à venir.
L'écueil principal réside dans le morcellement des unités d'exploitation. Les
trois quarts d'une superficie nationale de plantation de 15 millions d'hectares
sont entre les mains de propriétaires privés détenant de faibles unités.
L'ensemble des structures professionnelles appelle à un regroupement technique
et économique des propriétaires forestiers afin d'organiser de façon
rationnelle leur action de gestion et de commercialisation. A cet égard, le
projet de loi présenté n'encourage pas suffisamment cet impératif.
La photographie actuelle est pourtant préoccupante. Marquée par une
sous-exploitation chronique, la forêt française vieillit : en vingt ans, son
rendement a perdu dix points.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est notamment la conséquence des
accords de la conférence d'Helsinki, voilà près de dix ans. L'Etat s'est engagé
à mettre en oeuvre une gestion durable dans le cadre d'une politique forestière
reposant sur une véritable stratégie. Or le budget forestier représente moins
de 1 % du budget de l'agriculture. Le rapport Bianco considérait que, en
fonction des transferts sociaux, on arrivait pour ces deux types d'activités à
un rapport de un pour quarante. Ce même document chiffrait l'investissement
supplémentaire nécessaire pour financer une stratégie forestière ambitieuse à 1
milliard de francs par an, et encore serions-nous à un chiffre encore inférieur
à celui des principaux concurrents.
Une enveloppe de la moitié de ces crédits suffirait pour permettre de lancer
valablement les dispositions proposées. Or il est à craindre que, faute de
moyens financiers, ces dispositions ne restent lettres mortes ; les déceptions
seront à la hauteur des attentes.
Les derniers lourds aléas climatiques ont mis en évidence l'indigence des
moyens consacrés par les pouvoirs publics à la politique forestière. La
brutalité des événements a été un révélateur.
A cet égard, il faut souligner que, un an après, certaines aides directes
n'étaient toujours pas parvenues aux destinataires. Au coût des dégâts s'ajoute
l'effondrement des cours, d'où une double pénalité.
Certaines organisations coopératives ont préfinancé les opérations de
bûcheronnage, de débardage et de transport, afin de permettre aux sylviculteurs
de faire face plus facilement aux graves difficultés d'exploitation.
La faible rentabilité actuelle des exploitations ne permet qu'à un très faible
nombre d'entre elles de s'assurer contre ce type de dommage. Mais il semble,
d'une façon générale, que les mécanismes d'indemnisation seraient à
reconsidérer dans leur temps de réponse.
Au-delà de la gestion de crise, on en revient à la nécessité de favoriser une
politique globale équilibrée répondant à un programme dont les étapes bien
définies autoriseraient des évaluations intermédiaires et, ainsi, des
corrections.
Or ce contrôle n'est pas inutile. En effet, l'utilisation du bois dans les
constructions, par exemple, que la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle
de l'énergie avait favorisée, reste en suspens, faute de décret d'application.
Les avantages du bois sont pourtant nombreux : peu consommateur d'énergie,
grandes qualités de régulation thermique, hygrométrique, acoustique et, par
ailleurs, d'une grande fiabilité, notamment avec les composites, proche du
béton. Il serait donc urgent de concrétiser les possibilités inscrites.
Tout comme le développement du bois dans son utilisation énergétique reste
absent d'une démarche qui cherche à viser un objectif d'indépendance, comment
ne pas considérer l'avantage des énergies renouvelables face, par exemple, aux
contraintes liées au fuel importé ? Outre le coût, les incidences sur
l'atmosphère sont considérables par le rejet massif de gaz carbonique de ce
dernier carburant.
L'interface traditionnelle agriculture-forêt, où l'un des termes prenait le
pas sur l'autre, est dépassée. Une autre dimension est apparue avec la donnée
écologique. La forêt est à la fois un enjeu économique et un espace d'usage. La
mise en oeuvre de la directive communautaire « Habitat » - réseau Natura 2000 -
a confronté le monde forestier à la politique de l'environnement.
Par ailleurs, la forêt publique cohabite-t-elle avec la forêt privée ? Toute
la difficulté sera d'articuler ces deux termes à bien des égards, et plus
particulièrement en matière de droits et de devoirs. Afin de mettre en place
une véritable synergie, il serait judicieux de multiplier les partenariats et
les initiatives contractuelles. Ainsi pourraient évoluer harmonieusement les
relations des industriels en aval, des collectivités territoriales et des
communes forestières, de l'Etat, au travers de ses structures spécifiques en
amont, et des associations de défense de l'environnement. Peut-être le texte
n'aborde-t-il pas suffisamment cet aspect des choses.
L'essentiel du domaine forestier étant aux mains de propriétaires privés,
l'objectif prioritaire est d'en dynamiser la gestion. Un réel statut de
l'exploitation forestière assurera une meilleure professionnalisation, facteur
de cristallisation d'investissements.
Parallèlement, il convient d'encourager le développement de ces entreprises en
les faisant bénéficier d'un arsenal de dispositions fiscales rendant accessible
une rentabilité qui fait défaut aujourd'hui. Il me semble, en effet, plus
positif d'encourager par des incitations laissant aux intervenants le choix de
l'utilisation des moyens épargnés que de créer des obligations comme la
contribution volontaire obligatoire, qui est contestée.
Par ailleurs, le rapport Bianco estime que « le secteur forêt-bois est un
formidable gisement d'emplois à exploiter » : 500 000 emplois dans toute la
filière, soit plus que dans l'automobile, est-il indiqué dans ce même document.
J'ajouterai que le milieu rural sera le premier à bénéficier des effets de la
mise en valeur des activités liées à l'ensemble de la filière. C'est une
aubaine qu'il ne faut pas laisser échapper.
En effet, tout concourt à un aménagement durable du territoire : d'abord, le
sol est utilisé pour une production s'inscrivant dans une complémentarité avec
d'autres types d'exploitations traditionnelles qui assurent un entretien de
l'espace ; ensuite, le produit est multifonctionnel et respectueux de
l'environnement ; enfin, l'activité est répartie de façon équilibrée dans
l'ensemble des régions.
La compétitivité de ce secteur passera par une organisation des acteurs depuis
l'échelon local jusqu'aux structures plus importantes et, surtout,
économiquement fiables. Si les aides publiques sont indispensables,
l'intervention d'investisseurs privés ne l'est pas moins. Elle se manifestera
si des incitations significatives sont mises en place.
En suivant les propositions de la commission des affaires économiques et du
Plan, nous arriverons à un texte réalisant, par rapport au projet initial, un
effort de simplification rédactionnel et de concision sur les principes
fondamentaux de la politique forestière à mettre en oeuvre, une meilleure
protection et organisation des propriétaires forestiers et, enfin, une
limitation des contraintes et des sanctions prévues.
Il me semble que cette gestion durable du domaine forestier français est le
terrain naturel de réconciliation de l'économie et de l'écologie.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce
qu'elle fixe des grandes lignes directrices, parce qu'elle porte en elle une
vision à long terme où se mêlent incitations et projets, parce qu'elle suscite
aussi des espoirs, autrement dit parce qu'elle est révélatrice de choix
politiques qui engagent l'avenir du champ qu'elle balise, une loi d'orientation
est toujours très attendue.
Celle-ci l'est d'autant plus que nos forêts sont encore meurtries et portent
toujours les marques des ravages infligés par les tempêtes de l'hiver dernier.
Deux jours, au cours desquels des vents soufflant entre 150 et 165 kilomètres à
l'heure, avec des rafales atteignant les 200 kilomètres à l'heure, auront suffi
pour dévaster quelque cinq cent mille hectares de nos forêts. De mémoire
d'historien, il faut remonter au xviie siècle pour trouver trace, dans les
archives, de tourmentes comparables à celles qui se sont déchaînées les 26 et
27 décembre 1999.
Bien sûr, les dégâts sont considérables : arbres couchés, déracinés, troncs
cassés, un total estimé à environ 44 millions de mètres cubes de chablis,
uniquement en ce qui concerne les forêts publiques.
Bien sûr, toute la filière économique forestière est touchée et s'en ressent
encore aujourd'hui.
Bien sûr, de nombreux petits propriétaires rencontrent des difficultés pour
nettoyer et dégager les arbres abattus.
L'Etat a mis en oeuvre un plan d'urgence important du point de vue financier,
qui a permis d'atténuer les effets de la tempête.
Sans négliger les soucis réels, les conséquences des tempêtes doivent aussi
être l'occasion de mieux débattre de ce projet de loi, tant elles ont aussi
révélé des problèmes de fond. Il ne faut pas qu'elles soient un prétexte pour
revoir à la baisse les légitimes ambitions du rapport Bianco.
Au cours des opérations de déblaiement et de dégagement des forêts,
quarante-huit personnes ont déjà perdu la vie et mille trois cents personnes
ont été blessées. C'est beaucoup, beaucoup trop pour invoquer la seule fatalité
de l'accident ! Ces morts révèlent combien le métier de forestier est
dangereux.
En 1991, une étude du Bureau international du travail sur les conditions de
sécurité du travail en milieu forestier plaçait en tête de liste des
professions les plus dangereuses les métiers de bûcheron et d'ouvrier
forestier.
Sur une vie professionnelle de quarante ans, un bûcheron sur trente décède
d'un accident de travail. Le taux de fréquence et la gravité des accidents
sont, par ailleurs, de deux à trois fois plus élevés que la moyenne du secteur
agricole.
Certes, les métiers forestiers ont toujours été durs. Cependant, comme dans
beaucoup d'autres secteurs d'activité, les conditions de travail de l'ensemble
de la profession se sont nettement détériorées depuis une vingtaine
d'années.
De plus en plus soumis au marché mondial, face à une forte pression
concurrentielle, le secteur des produits forestiers a cherché à réduire de
manière drastique ses coûts. Ici comme ailleurs, les moyens employés restent
les mêmes : réduction de l'emploi - moins 3 500 emplois de 1973 à 1997 en
sylviculture et dans les exploitations forestières - accroissement de la
productivité et de l'intensité du travail, développement de la
sous-traitance.
En vingt ans, le secteur des travaux d'exploitation forestière a connu une
vague de concentrations sans précédent, au cours de laquelle le nombre des
petites entreprises de six salariés ou plus aurait diminué de 45 %, tandis qu'à
l'autre extrémité se développait la sous-traitance à l'égard de petits
entrepreneurs devenus, de fait, indépendants.
Multiplication des formes de précarisation, accroissement de l'insécurité de
l'emploi, non-respect des règles d'hygiène et de sécurité, rémunération à la
tâche ou aux rendements, recours au travail clandestin, ce sont autant
d'indices de cette forte détérioration des conditions de travail, résultat de
la pression concurrentielle et, en réponse, de la stratégie d'externalisation
des activités forestières au profit de petits entrepreneurs, souvent
individuels, entamée il y a près de vingt ans.
Inégalités devant la mort, inégalités des conditions de travail, inégalités
salariales... autant de réalités sociales qui chargent de sens la rhétorique de
« la fracture sociale ».
Sur toutes ces questions, nos collègues députés ont pu améliorer le texte de
loi discuté en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le texte est cependant encore perfectible et nous devons poursuivre le travail
entamé, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du caractère dangereux
des professions forestières et les dispositions auxquelles cette même
reconnaissance devrait aboutir, que ce soit au travers des conventions
collectives ou par la force de la loi.
L'amélioration des conditions de travail, la formation et l'élévation de la
qualification sont autant de facteurs qui contribuent à la diminution des
risques d'accident. Elles sont aussi des éléments de la compétitivité des
firmes, que le projet de loi d'orientation dont nous examinons aujourd'hui le
contenu semble vouloir privilégier.
Il est anormal de voir des ouvriers forestiers travailler seuls, souvent avec
du matériel obsolète ou inadapté. L'utilisation d'appareils thermiques à
vapeurs cancérigènes doit immédiatement être interdite, des carburants beaucoup
moins toxiques existant. A l'ONF, un ouvrier forestier s'occupe en moyenne de
mille hectares de forêt et perçoit 7 200 francs par mois avec vingt-deux ans
d'ancienneté. Ces deux chiffres montrent l'ampleur et l'urgence des mesures à
prendre.
Plus précisément, le présent projet de loi est dominé par deux principales
préoccupations : d'une part, inscrire le droit français dans la problématique
du droit international de l'environnement en voie de constitution et, d'autre
part, valoriser le potentiel économique de la forêt.
La première de ces préoccupations, si elle ne vise pas simplement à s'inscrire
opportunément dans l'air du temps, est honorable.
Parce qu'elle est présupposée jouer de multiples rôles en matière de
préservation de l'environnement - lutte contre l'effet de serre, régulation du
régime des eaux, avec notamment un effet modérateur sur les crues, préservation
des sols contre l'érosion, réduction des risques d'avalanches et des
glissements de terrains, fixation des dunes le long des côtes - la forêt doit
être protégée et préservée. Ainsi, les récentes inondations en Bretagne mettent
en évidence l'urgence à encourager les plantations linéaires - talus, haies -
et les plantations en bordure des cours d'eau parmi les autres mesures
nécessaires.
Dérivée du concept de développement durable et issue du sommet européen
d'Helsinki en juin 1993, la notion de gestion durable qui scande, de manière
presque incantatoire, le texte de projet de loi, vise l'application même de ce
principe de préservation. Elle inclut notamment les missions d'intérêt général
et de service public que la forêt a pour vocation d'assumer.
La seconde de ces préoccupations, si elle rend compte d'un réel volontarisme
politique, est essentielle pour la dynamique économique d'ensemble.
Même si l'on estime à environ 200 000 le nombre d'emplois perdus depuis le
début des années soixante-dix, le secteur forêt-bois représente encore
aujourd'hui 500 000 emplois, dont plus de la moitié, 260 000, sont des emplois
industriels.
En favorisant le développement de la trifonctionnalité de la forêt, à savoir
sa fonction économique de production et de transformation du bois qu'assume la
filière industrielle, sa fonction sociale - accueil du public, loisirs, sports
- et sa fonction environnementale - préservation et développement du patrimoine
écologique - il est possible de créer 100 000 emplois, objectif que se fixait
Jean-Louis Bianco dans son rapport
La forêt, une chance pour la
France.
Il soulignait cependant qu'un tel objectif supposait « des financements, une
stratégie et des outils de mise en oeuvre ». Et il poursuivait : « La France
consacre à la forêt quatre à dix fois moins d'argent public que des pays
européens comparables. Aucune recommandation de ce rapport ne sera efficace
sans un investissement supplémentaire de 1 milliard de francs par an, qui nous
laissera encore loin derrière des pays comme l'Allemagne ou la Suisse. »
Afin de valoriser le potentiel économique de la forêt, le texte du projet de
loi prévoit un certain nombre de mesures pour y remédier. Je rappellerai les
cinq principales d'entre elles.
La première mesure concerne la mise en place de chartes de territoire
forestier qui, en encourageant le regroupement des propriétaires, permettent de
lutter contre le morcellement de la forêt. Comparées à celles des grands
producteurs européens de bois et papier, les surfaces boisées détenues par les
firmes françaises de transformation sont très faibles : de l'ordre de 50 000
hectares, contre 5,7 millions d'hectares en Suède et 1,8 million d'hectares en
Finlande.
Notre forêt souffre de cet éclatement puisque environ 4 millions de petits
propriétaires possèdent chacun moins de 5 hectares. A titre d'exemple, les 563
000 hectares de notre forêt limousine sont morcelés en quelque 150 000 petits
propriétaires.
Il est difficle d'exploiter de manière économiquement cohérente une telle
dispersion de l'offre. A cet égard, le conseil général du Limousin faisait
remarquer que « de nombreux propriétaires, toujours plus urbains et de plus en
plus éloignés de leur propriété, se désintéressent progressivement de leur
forêt. Ils y investissent de moins en moins, pratiquant aux mieux une
sylviculture laxiste ».
La deuxième mesure a trait à la modernisation du mode de ventes de l'ONF,
notamment les ventes de gré à gré et les contrats d'approvisionnements
pluriannuels, qui, en assurant des débouchés plus réguliers aux professionnels
et en favorisant le regroupement des scieries, est aussi un facteur d'une
meilleure organisation de la production, donc
a priori
de la
compétitivité.
La troisième mesure est relative au principe de certification du bois : un
label de qualité, voire un « écolabel », devrait permettre d'accroître les
débouchés de nos forêts. Encore faut-il que cette disposition d'ordre
commercial ne se traduise pas par une hausse des prix, qui serait
contradictoire avec l'effet recherché. Certaines professions, la tonnellerie,
par exemple, le redoutent. Restons vigilants, d'autant que la visée commerciale
doit être assortie d'un réel effort de valorisation du potentiel productif et
économique pour avoir une véritable efficacité en matière de concurrence.
La quatrième mesure concerne un assortiment de dispositions d'incitation
fiscale, qui devraient permettre de favoriser l'investissement forestier.
Enfin, cinquièmement, à ces mesures, s'ajoute le principe de la création d'un
dispositif financier destiné également à favoriser l'investissement. Nous
aurons l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles.
Ces mesures suffiront-elles à impulser une véritable dynamique de l'emploi
tout au long d'une filière riche en gisements d'emploi ?
Au niveau des activités les plus en amont, une étude du service des
statistiques industrielles du secrétariat d'Etat à l'industrie, le SESSI,
notait : « Les enjeux actuels de la sylviculture et de l'exploitation
forestière forment un tronc commun en amont, dont la nature, le fonctionnement
et la production sont caractéristiques d'une activité agricole plutôt
qu'industrielle, mais dont les enjeux actuels peuvent s'analyser en termes
d'industrialisation. »
Toute industrialisation, par les effets d'entraînement qu'elle implique dans
la filière et sur les autres secteurs d'activité est potentiellement
génératrice d'emplois. Elle peut se réaliser tout en respectant
l'environnement, selon le principe de la gestion durable.
Depuis quelques années, en effet, il semble bien que les orientations données
par les Etats lors de conférences internationales sur l'environnement, à Rio en
1992, à Kyoto en 1997, aient été jugées suffisamment crédibles par les firmes
industrielles pour que celles-ci intègrent les normes environnementales dans
leur compétitivité. Une part de plus en plus importante de l'investissement
dans l'industrie papetière est ainsi consacrée aux équipements visant à réduire
les pollutions : traitements des eaux rejetées, des odeurs, et autres
nuisances.
Espérons que le revirement actuel du président Bush ne se traduira pas par un
relâchement des efforts de l'industrie visant à intégrer les dommages causés à
l'environnement dans ses coûts.
Notre industrie papetière est actuellement dominée par de grandes firmes qui
réalisent à elle seules plus de 40 % du chiffre d'affaires et plus des deux
tiers des exportations. Malgré le redressement du taux de couverture, le
secteur est marqué par un déficit commercial pérenne.
Au cours des années quatre-vingt-dix, notre industrie papetière, faiblement
intégrée, s'approvisionnant en pâte à l'extérieur, a subi de plein fouet les
dérèglements monétaires.
Proie des producteurs nord-américains, le marché européen est vite devenu le
terrain d'affrontement des grands groupes papetiers : dévaluation compétitive,
rationalisation de la production, concentration du capital, course à la taille
critique, avec, à la clé, des milliers de suppressions d'emploi.
En l'absence de coordination monétaire internationale et de volonté politique
européenne, les prix, désormais soumis aux fluctuations incontrôlées de l'offre
et de la demande, auxquelles s'ajoutent les mouvements déréglés du dollar,
fragilisent fortement les productions non intégrées de pâte et de
papier-carton, dont les résultats fluctuent selon les mouvements d'humeur du
marché.
La zone euro ne réglera pas les problèmes si le prix de la pâte demeure fixé
en dollars sur le marché mondial et non en euros, l'euro assumant véritablement
le rôle de monnaie commune pour la facturation des transactions
internationales.
Après avoir abordé les dimensions économiques, j'en viens aux fonctions
sociales et environnementales, autrement dit à tout ce qui relève, de près ou
de loin, de missions d'intérêt général.
Au premier rang de ces missions figure l'accueil du public en forêt. L'accès
et la fréquentation du public doivent, certes, être réglementés. Mais notre
forêt doit aussi être le plus possible ouverte, sans que se multiplient, sous
des prétextes divers, les zones réservées, interdites au public.
Un équilibre doit être trouvé entre les préoccupations environnementales et
l'accessibilité de nos forêts. Le public y sera particulièrement sensible.
Aujourd'hui, en théorie, il y a 2 600 mètres carrés de forêt par habitant en
France, contre 3 000 mètres carrés sur le continent européen.
Cela suppose qu'un effort particulier soit mené afin d'assurer la protection
des milieux les plus vulnérables du point de vue de l'écosystème, mais aussi en
faveur de l'aménagement, de la mise en valeur des multiples activités que
peuvent offrir nos forêts.
A cet égard, le projet de loi prévoit que des conventions entre collectivités
locales et propriétaires soient conclues. Là encore, il revient à l'Etat de
participer financiërement à ces missions d'intérêt général, que les
collectivités locales et les propriétaires ne peuvent assumer seuls.
Prendre en compte notre patrimoine forestier dans ses aspects particuliers,
spécifiques, telle la forêt méditerranéenne, qui est de faible rentabilité mais
qui joue un rôle important en matière environnementale et touristique,
participe aussi des missions d'intérêt général.
A cet égard, le rôle de l'ONF est fondamental. Jean-Louis Bianco soulignait
d'ailleurs qu'il fallait que « l'Etat fasse un effort significatif pour que
l'ONF puisse tenir convenablement ses missions de service public. On ne pourra
pas affirmer prendre au sérieux ce projet, sans y mettre davantage de moyens...
Ce sera un des meilleurs investissements que l'Etat fera pour l'emploi. » Et il
ajoutait, comme en écho au principe du pollueur-payeur, qu'en matière
d'environnement et d'emploi le principe du prescripteur-payeur devait aussi
s'appliquer.
Chacun connaît les difficultés financières actuelles de l'ONF, qui résultent
en partie des tempêtes - je signale au passage que l'Union européenne n'a pas
consenti d'aides financières d'urgence à la France.
En gérant plus de 30 % des surfaces forestières, l'ONF a un rôle essentiel à
jouer en matière de gestion durable de nos forêts, ce qui implique de repenser
toute la politique de recrutement, en inversant, notamment, la courbe
descendante des emplois stables, ce qui relèverait du volontarisme politique
que réclamait Jean-Louis Bianco.
Mes chers collègues, la forêt française a pratiquement doublé au cours des
deux derniers siècles ; l'augmentation des rendements agricoles a encouragé la
reconquête de terres marginales. Chacun d'entre nous pourrait se réjouir, au
plan économique et écologique, de cette augmentation spectaculaire. La réalité
est différente, nous le savons tous : le morcellement extrême de la forêt
française ne facilite pas son exploitation optimale, loin s'en faut. Les
opérations de remembrement agricole ont sérieusement modifié les conditions de
retenue et d'écoulement des eaux de pluie.
Il convient donc aujourd'hui d'être particulièrement ambitieux à l'égard de la
forêt afin de faire se rejoindre, demain, le rêve et la réalité : le rêve de
toutes celles et de tous ceux qui y trouveront le calme, l'air pur et le repos
nécessaire et la réalité d'une économie du bois dynamique autour d'un matériau
durable et vivant, renouvelable à l'infini.
Je manquerai de temps pour évoquer l'aspect mondial de l'exploitation
forestière, qui illustre pourtant bien le pillage éhonté qui se poursuit,
mettant en péril les grands équilibres écologiques et climatiques de notre
planète.
La loi d'orientation agricole montre déjà ses premiers effets positifs tant en
matière environnementale que sanitaire. Demain, la loi d'orientation sur la
forêt peut également apporter beaucoup d'espoir. Le groupe communiste
républicain et citoyen entend bien s'investir dans son élaboration pour lui
donner toutes ses chances de succès.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Etonnant parallèle, dont nous nous réjouissons déjà, que celui que nous
pouvons établir entre la loi d'orientation agricole et le projet de loi
d'orientation forestière que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le
ministre.
Il est étonnant, tout d'abord, si l'on essaie de mesurer à quel point ce texte
était attendu par l'ensemble du monde forestier.
Avec la loi de 1985, on s'était efforcée d'améliorer la protection de la
forêt, de favoriser sa mise en valeur, par des déclinaisons régionales, la
protection des salariés travaillant en forêt, et de mieux organiser l'espace
agricole et forestier. Il aura donc fallu attendre la présente législature et
la volonté clairement affichée de M. le Premier ministre de donner une place
particulière et nouvelle à la forêt, en annonçant qu'un projet de loi serait
présenté - un texte spécifique mais global - à l'issue d'une concertation
nationale.
Cette intention avait été réaffirmée par vous-même, monsieur le ministre, en
particulier lors des débats sur la loi d'orientation agricole.
Un travail colossal de consultation a été mené sur l'ensemble du territoire
par notre collègue Jean-Louis Bianco. Le présent projet de loi s'inspire plus
que largement de ce travail. Et, étant donné l'unanimité qu'avait suscitée son
rapport, nous ne pouvons qu'être certains, monsieur le ministre, que ce projet
de loi en suscitera autant !... En tout cas, il faut l'espérer.
Les modifications structurelles, proposées dans ce projet de loi sont de
nature, sur le moyen terme, à éviter des ravages aussi dévastateurs que ceux
que nous avons connus à la fin de 1999.
Le second parallèle que je voudrais établir avec la loi d'orientation agricole
est celui de la gestion durable et de la reconnaissance de la
multifonctionnalité de la forêt. Ce texte s'efforce de développer ces
caractéristiques.
L'importance de la forêt est trop méconnue. Pourtant, elle joue un rôle dans
la purification de l'eau, dans le processus de lutte contre l'effet de serre.
Elle joue aussi un rôle social.
Pendant trop longtemps, la forêt n'a revêtu qu'une fonction de production,
tout comme l'agriculture. La filière bois constituait l'une de nos filières
économiques ayant une activité forte, mobilisant plus de 550 000 personnes,
mais « noyée » parmi les autres et mal connue.
Il faut évidemment conforter cette activité, la développer. C'est d'ailleurs
ce qui est prévu avec le titre II du projet de loi, qui vise à favorier la
compétitivité de la filière bois-forêt en proposant des instruments comme la
certification ou la création d'un plan d'épargne « forêt », dont l'objet est de
financer les investissements forestiers. Je proposerai à cet égard un
amendement visant à élargir le champ d'action de ce fonds.
Mais, tout comme l'agriculture, la forêt a, peu à peu, au fil du temps, rempli
des fonctions sociales, environnementales, et a constitué, petit à petit, un
élément essentiel au maintien des grands équilibres de notre société.
En un mot - puisqu'il en existe un dorénavant - elle est devenue «
multifonctionnelle ».
Cet aspect n'était ni reconnu, ni valorisé, ni pris en compte. Aujourd'hui, la
valorisation économique du patrimoine forestier va de pair avec sa valorisation
écologique, et les acteurs de cette valorisation attendent une
officialisation.
Pour ce faire, quel meilleur outil que les contrats ? Vous proposez donc,
monsieur le ministre, de mettre en place, pour ceux qui le souhaitent, des
chartes de territoire forestier, ce dont, bien sûr, nous nous réjouissons. Il
convient toutefois d'en préciser les moyens.
Fruit de la concertation avec les acteurs locaux, elles définiront, pour le
territoire le plus adapté et identifié, des programmes d'action pluriannuels et
institueront - c'est leur objet - des partenariats durables pour un
développement durable.
Enfin, ce projet de loi tend à redynamiser avec ambition la forêt française.
Une politique forestière cohérente et équilibrée nécessite aussi une meilleure
organisation des institutions de la forêt, que ce soit l'ONF - dont les
compétences sont étendues - les centres régionaux de la propriété forestière ou
les chambres d'agriculture, que je ne voudrais pas oublier.
Cela permettra sans nul doute d'accentuer le lien qui est désormais établi par
le présent projet de loi avec le développement des territoires.
Un amendement présenté par mon groupe précisera le degré de relation entre les
CRPF, les centres régionaux de la propriété forestière et les chambres
régionales d'agriculture.
Elément incontournable du développement local, de par son rôle direct ou
indirect - nous avons évoqués l'un et l'autre - la forêt doit apporter sa
spécificité, dans un contexte plus général de pays et de territoires.
Notre commission - et je tiens à saluer ici le travail de nos rapporteurs -
revient parfois, vous le noterez, sur le texte initial du Gouvernement ; nous
aurons tendance à la suivre dans bien des cas.
Comme vous le constaterez, monsieur le ministre, de nombreux amendements
techniques auront notre soutien.
Le plan d'épargne « forêt » ou le centre national professionnel de la
propriété forestière sont le signe d'un souci d'ouverture, de partage de
responsabilité entre les pouvoirs publics et le monde professionnel privé
concerné.
Quelques doutes persistent, notamment en ce qui concerne le problème des
assurances en forêt, vous l'avez évoqué, monsieur le ministre, il s'agit de
l'article 36. Ne conviendrait-il pas de faire preuve d'une très grande prudence
dans la relation avec les assureurs afin d'éviter le risque de retrait de
l'assurance incendie du monde forestier ?
Par ailleurs, je veux évoquer la pression indispensable pour favoriser les
groupements et éviter la dispersion des propriétaires privés. La tempête a fait
apparaître ce problème au grand jour : pour les propriétaires organisés, les
modalités d'indemnisation, mais aussi toutes les démarches liées à la remise en
état des lieux se sont bien passées ou, pour le moins, ont été bien engagées ;
en revanche, pour les propriétaires privés isolés, bien peu a pu être fait et
organisé.
L'ouverture que vous présentez favorise ces groupements et, malgré quelques
divisions professionnelles, que nous connaissons, vous donnez les moyens
financiers aux mécanismes interprofessionnels. A eux d'en faire l'usage
attendu. On ne peut que se féliciter de l'obligation nouvelle d'un débat entre
professionnels.
Il reste, monsieur le ministre, une sorte d'imprécision sur la gestion de la
forêt des DOM, mais aussi sur le régime réservé à l'ONF, plus particulièrement
sur son équilibre financier. Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter
quelques garanties sur ces différents points.
Enfin, je vous demanderai de m'éclairer sur deux ou trois aspects, équivoques
à mes yeux.
Premièrement, dans l'optique du débat relatif au statut de la Corse, ou du
moins à son évolution, qu'en est-il de la forêt domaniale transférée au domaine
communal, et quelle incidence cette question aura-t-elle pour le reste du
territoire ? N'y a-t-il pas là un risque de démembrement de la propriété
forestière ?
Deuxièmement, la taxe sur le défrichement, dont la suppression avait été
inscrite dans la loi de finances pour 2000, avec effet au 1er janvier 2001, a
été rétablie par l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen du présent
projet de la loi d'orientation sur la forêt, mais nous devons prendre garde au
problème de chevauchement que l'on peut actuellement constater.
Troisièmement, j'ai le sentiment qu'un trop grand nombre de décrets sont pris,
ce qui me semble dommageable, sur le plan des principes, si l'on entend
favoriser le développement d'une vie législative plus sereine.
Pour conclure, j'indiquerai qu'une dizaine d'amendements ont été déposés par
mon groupe, qui portent notamment sur les financements, l'organisation de la
profession, le Conseil supérieur de la forêt et l'équilibre sylvo-cynégétique.
Parce que nous considérons que la forêt est une ressource inestimable,
renouvelable mais que l'on doit préserver, parce que les hommes ont désormais
acquis de l'expérience et ont la volonté tenace de la faire vivre pour en vivre
et de la protéger au profit des générations futures, nous serons heureux,
monsieur le ministre, de vous soutenir au cours de la discussion de ce texte
porteur d'avenir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une étude
réalisée par la SOFRES, en date du 29 novembre 2000, montre que 91 % des
Français sont très attachés à la forêt. Cet attachement et le souci qu'ils
manifestent à l'égard de la protection de leur environnement les conduisent à
être très attentifs à son avenir. Dans le même temps, ils estiment que respect
et exploitation de la forêt sont compatibles.
Plus d'une année après les tempêtes de décembre 1999, qui, en trois jours et
en deux vagues successives, ont balayé la France et une partie de l'Europe,
cette étude définit parfaitement les enjeux auxquels les gestionnaires de la
forêt française sont aujourd'hui confrontés. Des chablis à ne savoir qu'en
faire, avec 145 millions de mètres cubes de bois tombés, arrachés, fracassés,
dont une centaine pour la forêt privée et une quarantaine pour la forêt
publique, soit plus de deux années d'exploitation, toutes formes de bois
confondues, bois d'oeuvre pour le bâtiment, bois d'industrie pour l'ameublement
ou le papier, ou encore bois de chauffage ; des ravages sans précédent pour le
premier massif européen et des régions entières sous le choc ; une décote des
prix importante pour l'ensemble des essences, un déficit pour la filière de
près de 15 milliards de francs : la forêt française, dont la filière bois
représente plus de 550 000 emplois, se prépare en effet à un avenir économique
et écologique difficile.
Devant ce désastre, le Sénat a proposé dès le 11 janvier 2000, je tiens à le
rappeler, sur l'initiative notamment de sa commission des finances, un certain
nombre de mesures en faveur des victimes de ces tempêtes.
Il s'agissait ainsi d'accélérer les remboursements du fonds de coopération de
la TVA au profit des collectivités locales concernées, de prévoir l'attribution
à ces dernières, par la Caisse des dépôts et consignations, de prêts-relais, en
attendant le versement d'aides ou de prêts bonifiés, et d'appliquer le taux
réduit de 5,5 % pour la TVA affectant les travaux nécessaires au déblaiement, à
l'exploitation et à la reconstitution des forêts.
Ont été également proposées des mesures fiscales se traduisant, en
particulier, par un dégrèvement exceptionnel au titre de la taxe foncière sur
les propriétés non bâties pour 1999, par l'instauration d'un mécanisme de
déduction du revenu foncier des charges exceptionnelles entraînées par les
tempêtes et, enfin, par une exemption des droits d'enregistrement sur la
première mutation pour les biens forestiers, cela afin de relancer
l'investissement.
Certaines de ces mesures ont été reprises par le Gouvernement à l'occasion de
l'annonce du plan national pour la forêt française, notamment la réduction à
5,5 % du taux de la TVA sur les travaux forestiers et l'accélération des
remboursements du fonds de compensation de la TVA pour les communes
sinistrées.
Cependant, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est insuffisant,
en raison, en particulier, de l'absence d'un volet économique et fiscal.
Comme l'ont très bien souligné nos collègues Philippe François, rapporteur au
nom de la commission des affaires économiques et du Plan, et Roland du Luart,
rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, ce projet de loi
d'orientation sur la forêt ne prévoit pas de moyens financiers suffisants, de
dispositifs en faveur de l'investissement forestier et de mécanisme de
mutualisation des risques propres à la forêt.
Il présente, en outre, des excès en matière de réglementation et de
contraintes administratives, et je pense notamment ici aux garanties ou aux
présomptions de garantie de « gestion durable » qu'il faut apporter afin de
bénéficier des aides publiques, ou encore à l'alourdissement sensible des
sanctions encourues, s'agissant en particulier de la multiplication par cinq du
montant maximal de l'amende devant être acquittée en cas de coupe abusive, qui
pourrait désormais atteindre jusqu'à 1 million de francs.
Pis encore, il prévoit la création d'associations foncières de gestion
forestière, au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles
vacantes seront réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une
atteinte flagrante au droit de propriété.
Les dispositions de ce projet de loi sont donc très en deçà des ambitions
affichées dans le rapport de M. Jean-Louis Bianco, remis au Premier ministre en
août 1998 et qui préconise notamment « la mise en place d'une fiscalité mieux
adaptée pour favoriser l'emploi, accroître la compétitivité, faciliter les
restructurations forestières », ou qui met l'accent sur « la nécessité de créer
un plan d'épargne-forêt doté d'avantages fiscaux qui le rendent attractif ». Ce
rapport recommande en outre « la création d'un établissement financier pour
favoriser l'investissement dans la filière bois et pour permettre
l'accroissement des fonds propres des PME dans ce secteur », ainsi que « la
mise en place des outils de capital-risque et d'investissement de l'épargne de
proximité ». Qu'en est-il de ces propositions ambitieuses ?
S'agissant de la défense de l'environnement, ce projet de loi présente aussi
des carences.
En effet, alors que la protection des paysages est devenue un élément
essentiel de notre vie sociale, la déprime agricole et l'exode rural ont, en
amenant une réduction du nombre des exploitants, conduit beaucoup de
propriétaires de parcelles à planter celles-ci en forêt sans tenir compte des
conséquences de telles plantations pour l'écosystème. Il en est résulté des
phénomènes d'enclavement visuel et de fermeture de certains fonds de vallée,
d'acidification des sols, voire d'altération de la qualité des eaux de certains
cours d'eau. C'est un problème qui nous préoccupe beaucoup dans les Vosges,
monsieur le ministre.
Les tempêtes de décembre 1999 ont malheureusement mis en exergue ces
phénomènes. Dans les vallées vosgiennes, par exemple, des peuplements complets
d'épicéas ont obstrué totalement les cours d'eau, l'empilement des grumes
pouvant, dans certains cas, atteindre sept mètres de hauteur sur plusieurs
kilomètres de distance. Par ailleurs, la destruction des berges, consécutive au
soulèvement des plateaux racinaires, a parfois conduit au déplacement du lit
mineur des rivières.
Or la législation en vigueur, très limitée, ne permet pas de prévenir
efficacement de telles plantations abusives. En effet, les mesures
d'interdiction complète sont lourdes à mettre en oeuvre au regard de leur durée
d'application, qui est de six ans, et ne sont que rarement appliquées par le
préfet. Quant aux demandes d'autorisation de boiser, leur acceptation est
seulement subordonnée à l'existence d'agriculteurs candidats à l'exploitation
des parcelles concernées. Les conséquences des tempêtes de décembre 1999 ont
montré les lacunes de la réglementation en la matière.
Enfin, en cas de boisements irréguliers, les maires sont souvent réticents à
constater les infractions. Lorsque le boisement devient vraiment gênant, les
délais de prescription, qui sont de six ans, ne permettent plus la mise en
demeure ni d'éventuelles poursuites.
Afin de remédier à cette inefficacité et aux rigidités constatées, je souhaite
en particulier, conformément à l'esprit des lois de décentralisation, que soit
accordé aux communes un moyen supplémentaire de maîtrise de leur sol.
Je propose ainsi, par le biais d'un amendement visant à compléter l'article L.
123-1 du code de l'urbanisme, d'ouvrir aux communes, dans l'optique de
l'élaboration des plans d'occupation des sols, rebaptisés « plans locaux
d'urbanisme » par la récente « loi Gayssot », la possibilité de déterminer des
zones « non forestées », de même qu'il existe des zones non constructibles. Il
appartiendrait ensuite au pouvoir réglementaire d'en préciser le régime. Dans
ce cadre, la sanction serait la même que celle qui est actuellement fixée à
l'article L. 126-1 du code rural. Quant aux communes non dotées d'un plan local
d'urbanisme, elles pourraient toujours recourir aux dispositions de ce même
article du code rural, la législation actuelle pouvant continuer à
s'appliquer.
Je proposerai aussi d'instaurer une distance minimale de huit mètres, de
chaque côté des routes et des berges, afin de définir des espaces préservés des
désordres occasionnés par les plantations, notamment de résineux. En laissant
des plateaux racinaires de plus de cinq mètres de hauteur le long des routes et
des berges, les tempêtes de décembre 1999 ont, en effet, montré l'insuffisance
de la bande de quatre mètres regagnée sur l'initiative des collectivités
locales.
Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaite affirmer que la
reconnaissance de la forêt ne pourra être obtenue sans un immense travail
collectif. A cet égard, l'examen de ce texte est l'occasion, pour le Sénat et
le Gouvernement, en dehors de tout esprit partisan et des clivages politiques,
de proposer à tous les acteurs concernés une véritable loi d'orientation
offrant une vision claire de l'état et des besoins de la forêt française,
qu'elle soit domaniale, communale ou privée. La forêt française s'est construit
des marchés, elle peut et doit, aujourd'hui, se reconstruire un avenir.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze mois
après les deux grandes tempêtes qui ont balayé une partie de l'Europe et de
notre pays, les plaies sont encore à vif.
Avec près de 140 millions de mètres cubes de bois au sol, soit plus de quatre
années de récolte jetées sur le marché en quelques heures, ce fut une
catastrophe économique et écologique sans précédent. Des arbres séculaires
arrachés, des paysages défigurés sont les stigmates les plus spectaculaires
d'un patrimoine dégradé pour des décennies. En outre, des chablis ont commencé
à pourrir, la faune et le gibier ont été malmenés, des voies d'accès restent
impraticables, certaines se révélant encore dangereuses du fait de leur
instabilité.
Enfin, ce fut un traumatisme profond pour la population de notre pays. En
effet, certains ont tout perdu, tandis que, dans l'inconscient collectif, la
forêt est un bien commun ancestral, et pour beaucoup une valeur à long terme,
transmise de génération en génération et qui constitue, avant tout, notre
ballon d'oxygène.
Le plan national d'urgence pour la forêt, arrêté le 12 janvier 2000, avait
prévu la déduction fiscale des charges exceptionnelles d'exploitation des bois
sinistrés par les tempêtes, mais si l'instruction de la direction générale des
impôts a enfin paru le 18 janvier dernier, les dispositions qu'elle contient ne
peuvent en aucun cas nous satisfaire et se révèlent plutôt décevantes. C'est
pourquoi le groupe de l'Union centriste soutiendra les amendements présentés
par notre collègue Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des
finances, notamment celui qui vise à autoriser la déduction des charges
exceptionnelles de l'ensemble du revenu et à permettre le report de ce droit à
déduction sur dix ans.
Je représente le département de la Haute-Savoie, et vous ne serez donc pas
étonnés, mes chers collègues, de m'entendre défendre essentiellement ici la
forêt de montagne. La forêt de Haute-Savoie, et de montagne en général, a tout
d'abord une précieuse fonction de protection. Elle joue souvent un rôle de
contention et de limitation de différents phénomènes naturels : érosion
torrentielle, glissements de terrain, avalanches, chutes de blocs rocheux. Mais
notre forêt remplit aussi une fonction de préservation du milieu naturel,
puisqu'elle abrite de nombreuses espèces végétales et animales, constituant
ainsi une réserve biologique. Elle a, en outre, une fonction sociale,
puisqu'elle constitue,
intra-muros,
un site d'accueil pour différents
utilisateurs et participe,
extra-muros,
à la qualité du paysage et du
cadre de vie. Elle remplit enfin, ne l'oublions pas, une fonction économique
pour les entreprises et les collectivités.
Néanmoins, cette forêt souffre du handicap « montagne », comme
l'agriculture.
L'exploitation forestière en montagne est en effet difficile et donc coûteuse.
Elle exige le plus souvent la mise en oeuvre de techniques particulières et se
trouve confrontée à une âpre concurrence, puisque les cours du bois sont fixés
à l'échelon mondial.
Par ailleurs, elle est soumise aux conditions climatiques montagnardes, qui se
caractérisent par une saison de végétation relativement courte.
Enfin, cette forêt de montagne est tributaire d'un morcellement très
pénalisant, déjà évoqué par la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette
tribune.
La forêt de Haute-Savoie, pour presque les deux tiers de sa surface, est
privée. Cette forêt privée couvre un peu plus de 100 000 hectares et appartient
à plus de 100 000 propriétaires, dont 97 % possèdent une surface de moins de
quatre hectares, le plus souvent divisée en plusieurs parcelles.
Face à cette situation, les communes acceptent parfois de se porter maître
d'ouvrage de projets de desserte structurants en forêt privée. Il importe
d'encourager ces communes en facilitant les conditions de passage des projets
sur les parcelles d'éventuels propriétaires récalcitrants. Aussi la future loi
forestière pourrait-elle prévoir la possibilité, pour les collectivités,
d'instaurer une servitude de passage pour l'exploitation forestière et
pastorale du type de la servitude créée pour l'exploitation des domaines
skiables, telle que prévue par l'article 53 de la loi « montagne » du 9 janvier
1985.
Le maniement des « associations syndicales » s'avère lourd. Les dispositions
de l'article L. 151-36 du code rural ne prévoient pas les conditions
d'utilisation futures de l'ouvrage après réalisation. Ces mesures seraient
ainsi utilement complétées.
C'est la raison pour laquelle quelques membres du groupe de l'Union centriste
représentants des régions de montagne, dont je fais partie, proposeront un
amendement dans ce sens.
En forêt de montagne, l'accroissement de la récolte de bois passe bien sûr par
une amélioration et par une densification de la desserte de l'exploitation
forestière.
L'amélioration et la densification des pistes et des routes favorisent de plus
un traitement irrégulier des peuplements permettant le maintien d'un couvert
forestier permanent très intéressant pour ces zones d'altitude. Mais cette
amélioration et cette densification se heurtent trop souvent à l'extrême
morcellement, déjà cité, de la forêt privée.
En effet, alors que les perspectives d'exploitation à court et à moyen terme
sont favorables, le nécessaire aménagement préalable de pistes forestières
comme l'éclaircissement de la forêt existante destiné à améliorer les
conditions de croissance des jeunes abres sont entravés par le morcellement de
la propriété, principal obstacle à la réalisation des travaux. Les parcelles
sont de très petite dimension, mal ou pas délimitées, ce qui impose de les
regrouper et d'en préciser les limites.
Or les frais d'acte notarié et de géomètre sont tels qu'ils retirent toute
rentabilité à l'opération. Ils sont même, pour certaines parcelles, supérieurs
au produit qui peut être espéré des coupes qui seront effectuées lorsque les
travaux auront été réalisés. Le montant des frais représente aujourd'hui un
coût forfaitaire minimal de 2 500 francs. Cela constitue, dans les secteurs
morcelés, un handicap lourd à la reconstitution foncière en forêt.
Les propriétaires privés demandent donc qu'une subvention puisse être versée
aux propriétaires acceptant l'échange de leurs parcelles et que ce dispositif
soit éventuellement accompagné d'une réduction des droits de mutation.
Je me permets de vous suggérer, monsieur le ministre, l'inscription de ces
dispositions dans la loi, et je présenterai, en conséquence, un amendement en
ce sens.
Plusieurs actions permettraient d'améliorer cette situation.
Il s'agirait tout d'abord de justifier les procédures administratives au
moment de la rédaction d'un acte notarié avec, par exemple, une dispense des
procédures d'autorisation liées à l'urbanisme et aux diverses préemptions
possibles dans les secteurs à vocation forestière affirmée.
Il s'agirait ensuite de réduire les frais administratifs liés à la rédaction
d'un acte notarié.
Il s'agirait enfin de compenser financièrement le coût forfaitaire d'un acte
dans le cas de l'acquisition, par un propriétaire, de parcelles voisines, cette
compensation pouvant être calquée sur le principe des aides existantes en
matière d'échanges de parcelles rurales.
Si la forêt de montagne a un rôle spécifique et irremplaçable, sa progression
est, pour certains massifs, la source d'une double inquiétude, soit parce
qu'elle est le signe apparent de la désertification, soit parce que l'absence
d'exploitation et, par conséquent, d'entretien, due aussi bien à des coûts
d'exploitation non compétitifs qu'à l'indifférence des propriétaires, en
général parce que la superficie qu'ils possèdent est modeste ou bien parce
qu'ils n'habitent plus à proximité, conduit à un étouffement des forêts qui les
rend moins pénétrables et moins sûres et ne leur permet plus d'assurer leur
rôle de prévention des risques naturels.
Le projet de loi d'orientation doit donc reconnaître la place particulière
qu'occupe la forêt de montagne dans la forêt française et, plus généralement,
pour l'équilibre du territoire national, tout comme la loi d'orientation
agricole avait, en 1999, rappelé et reconnu le rôle spécifique de l'agriculture
de montagne.
La reconnaissance du handicap doit s'accompagner d'un droit à l'exploitation,
justifié non seulement par l'équité mais aussi par des causes d'ordre public.
Il doit donc exister des chartes de territoires forestiers au même titre qu'il
existe des contrats territoriaux d'exploitation « montagne », si possible en en
inscrivant le principe dans la loi, ce qui n'a pas été le cas pour les CTE.
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, je présenterai un certain
nombre d'amendements, avec mes collègues du groupe « montagne ». Nous
souhaitons ainsi affirmer le principe que la politique forestière comprend,
parmi ses objectifs, de maintenir la forêt dans les territoires fragiles soumis
à l'érosion ou aux risques naturels, c'est-à-dire en montagne et en zone
méditerranéenne, d'assurer une durée suffisante - trois ans minimum - aux
charges de territoire forestier, les CTF, de définir les CTF spécifiquement
montagne, de faire des CTF un contrat bilatéral entre Etat et propriétaire
auquel peuvent adhérer les autres acteurs de la filière, de mieux garantir le
droit de propriété contre le délaissement dans le cadre des associations
foncières forestières au profit des copropriétaires ne pouvant être identifiés,
enfin, de maintenir la dimension pastorale du service de restauration des
terrains en montagne.
Pour conclure, je dirai que le projet de loi d'orientation recouvre de très
importants enjeux pour la forêt de montagne, qu'il nous appartient de maîtriser
en tirant les enseignements de la tempête de 1999 et en introduisant dans le
texte les mesures adaptées contenues dans les excellentes propositions de nos
rapporteurs, Philippe François et Roland du Luart, ainsi que dans les
amendements qui seront soumis à notre Haute Assemblée aussi bien par le groupe
de l'Union centriste que par notre groupe « montagne ».
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pintat, premier représentant de la forêt landaise !
(Sourires.)
M. Xavier Pintat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les
attentes suscitées par le rapport Bianco et le passage dévastateur de l'ouragan
du mois de décembre 1999, le dispositif du projet de loi d'orientation
forestière ne pouvait que décevoir.
La forêt française méritait un projet plus ambitieux. Aujourd'hui plus
qu'hier, ses acteurs sont confrontés à de lourdes contraintes attachées à la
mondialisation des marchés, à la montée en puissance des préoccupations
environnementales, à la concurrence des matériaux autres que le bois et,
dernièrement, à la reconstitution des principaux massifs forestiers.
Vouloir développer une gestion durable prenant en compte la
multifonctionnalité de la forêt est, certes, un objectif louable, mais nous
sommes loin, très loin, des besoins de la forêt française, qu'elle soit
domaniale, communale ou privée.
En effet, si nous sommes tous d'accord pour admettre que la forêt est une
culture importante et d'avenir pour notre pays, il faut donner à ses acteurs
les moyens et les financements nécessaires à sa bonne gestion.
Or, monsieur le ministre, vous vous êtes contenté de déclarations de principe
qui ne sont assorties d'aucune mesure positive ni d'aucun financement.
C'est ainsi qu'à l'exigence de valorisation économique de la forêt vous
répondez par un accroissement de charges sans lever l'ambiguïté sur sa fonction
première de production ni encourager sa compétitivité économique.
Bien sûr, vous assouplissez les modes de vente de l'Office national des
forêts, mais la liberté pour les sylviculteurs d'exploiter leur patrimoine,
disputée de plus en plus au titre de la protection de l'environnement, se
réduit au fil des articles à une « peau de chagrin ».
Ainsi, il n'est fait aucune référence à la notion de rentabilité, élément clé
de la gestion des forêts privées, qui représentent - dois-je le rappeler - les
deux tiers des massifs français et, en Aquitaine, 94 % de la surface
forestière.
Il conviendrait que, à ce titre, les propriétaires privés soient mieux
représentés, notamment auprès de la commission régionale de la forêt et des
produits forestiers. Je reviendrai sur ce point à l'occasion d'un
amendement.
Pourtant, le rôle économique de la forêt a été largement reconnu par les
accords d'Helsinki. En effet, elle génère 7 000 emplois permanents sur le
massif des Landes de Gascogne, pour un chiffre d'affaires de 17 milliards de
francs.
Enfin, l'absence de toute notion de rentabilité est d'autant plus fâcheuse
qu'elle intervient au moment où vous voudriez que les obligations, donc les
charges, augmentent au nom de la multifonctionnalité. Et celles-ci sont légion
: obligation de défricher, de reboiser, d'accueillir le public en forêt, de
préserver les grands équilibres naturels de la faune et de la flore. Ce sont
autant de charges de gestion supplémentaires qui nuisent à la compétitivité de
ces entreprises, seules appelées à les financer.
Pour ce qui est de la prise en compte des besoins spécifiques de la forêt, les
solutions sont connues mais elles sont soit repoussées soit abordées de manière
incomplète.
Pourtant, l'état de nos forêts exige plus que jamais l'adoption de mesures
incitatives pour limiter la division du foncier, drainer l'investissement vers
les entreprises forestières, renforcer la couverture des risques subis par le
bois, conforter l'organisation interprofessionnelle. Il me semble que nous en
sommes loin !
S'agissant de l'épargne nécessaire pour créer la ressource financière destinée
au financement de la sylviculture - je veux parler du plan épargne forêt -,
vous avez demandé à votre majorité de préférer un amendement de repli car « la
solution technique n'était toujours pas trouvée ».
Neuf mois ont passé. Le lancement d'un fonds commun de placement serait
évoqué.
Je suis personnellement étonné par une telle proposition qui, dans les années
quatre-vingt, a fait la preuve de son inefficacité. Elle n'a débouché que sur
des placements spéculatifs tout à fait étrangers au besoin d'investissement à
long terme des acteurs forestiers.
Ainsi, monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser l'état de la
réflexion du groupe de travail mis en place sur cette question et nous rassurer
sur votre détermination à inscrire cette mesure capitale - c'est-à-dire le plan
d'épargne forêt - dans le corps du texte qui nous intéresse aujourd'hui ?
S'agissant de la garantie des récoltes, la seule concession obtenue est
l'inscription d'un rapport du Gouvernement sur la création possible d'un fonds
national de garantie.
Pour les sylviculteurs qui assument seuls les risques d'une culture
obligatoire pour le plus grand profit de la collectivité, la mesure semble bien
mince.
S'agissant enfin de la lutte contre le morcellement foncier, la seule mesure
retenue consiste à limiter le bénéfice des aides publiques aux propriétaires
qui s'engagent à ne pas démembrer leur propriété. Bien sûr, en d'autres débat,
nous avons fini par obtenir des mesures d'allégement des charges sur les droits
de mutation. Je vous proposerai d'ailleurs d'étendre ce dispositif. Mais
n'aurait-il pas été plus efficace d'assortir l'obligation de non-démembrement
d'une exonération des droits de succession en ligne directe ? Une telle mesure
aurait été immédiatement suivie d'effet.
S'agissant enfin du renforcement de l'organisation interprofessionnelle, si
l'ensemble des acteurs de la filière bois appelle de leurs voeux
l'interprofession, ces accords ne sauraient aboutir à une intégration
autoritaire et porter atteinte aux particularités de certains massifs,
notamment celui du sud-ouest, où il existe déjà une interprofession.
L'article L. 632-1 du code rural, cité à l'article 11 du projet, ne
renvoie-t-il pas à l'article L. 632-6 du même code, qui permet de lever les
contributions volontaires ? Des craintes existent donc à ce sujet qu'il
conviendrait de lever.
En effet, la forêt française n'est pas une entité indistincte : chacun de ses
massifs est spécifique et dispose d'outils qui lui sont propres.
Ainsi en va-t-il de la politique de prévention contre le feu en Aquitaine, où
tous les propriétaires ont mutualisé ce risque, en acceptant de verser une taxe
annuelle, appelée taxe DFCI - défense de la forêt contre l'incendie - à une
association syndicale pour gérer et financer les travaux de défense contre
l'incendie. Grâce à ce mécanisme, la protection des forêts se fait sur plus
d'un million d'hectares, à un coût très économique.
Pourquoi ne pas encourager une telle politique par massif, en défiscalisant
les taxes versées à cet effet par les propriétaires ?
Cette approche, en totale rupture avec le régime répressif exposé à l'article
15 de ce texte, fera l'objet d'un amendement de ma part.
Enfin et surtout, ce texte me déçoit en ce qu'il ne prend pas en compte les
conséquences de la tempête. Vous m'objecterez sans doute que c'est là un
élément purement conjoncturel. Mais qui, dans cette enceinte, où l'on a
beaucoup cité les accords de Kyoto, osera affirmer qu'elles ne deviendront pas
de plus en plus fréquentes dans notre pays ?
En Aquitaine, première région forestière de France, les bilans s'alourdissent.
Nous aurons payé à la tempête un tribut de 31,6 millions de mètres cubes de
pins maritimes, dont 19,5 millions en Gironde et plus précisément 10 millions
en Médoc, comme l'a rappelé Ladislas Poniatowski. Ce sont sept années de
récolte qui sont définitivement perdues pour ce département.
Aucune indemnisation n'aura été consentie aux forestiers sinistrés. Les aides
accordées sont allées principalement aux acheteurs, aux intermédiaires, non aux
producteurs. Pourtant, avant de nettoyer et de reboiser, il faut sortir le bois
des parcelles et, pour ce faire, trouver un acquéreur. L'effondrement des prix,
la saturation des marchés et le bleuissement inévitable du bois ne le
permettent plus.
Que dire aussi des précipitations exceptionnelles qui se sont abattues sur la
France, si ce n'est qu'elles n'auront rien arrangé ?
En Médoc, il reste 7 millions de mètres cubes à terre. Ces résineux sont
aujourd'hui irrémédiablement perdus. Voilà la réalité à laquelle sont
confrontés les petits propriétaires privés et les communes forestières en
Médoc. Pour ces dernières, d'ailleurs, la situation est particulièrement
critique.
Je prendrai l'exemple évocateur de la commune d'Hourtin, qui a perdu 3 000
hectares sur ses 4 500 hectares de forêt. Ces pertes représentent plus de 20 %
des recettes affectées normalement à son budget. Pourtant l'Etat n'a pas hésité
à limiter l'aide au reboisement aux seules communes soumises au régime
forestier. La forêt communale d'Hourtin ne l'est pas, non plus que 103 autres
communes forestières en Gironde, et peut-être plus dans le département des
Landes.
Monsieur le ministre, une telle position est écologiquement irresponsable et
économiquement discriminatoire, car ce particularisme juridique, d'origine
historique, n'a jamais exonéré les communes forestières de leurs obligations,
bien au contraire.
Aussi l'amertume des maires girondins est-elle grande, car non seulement
l'Etat n'accorde aucune reconnaissance à leur travail mais, finalement, il
profite de leur détresse pour les soumettre.
Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il serait plus heureux de parler
de cogestion plutôt que de soumission et d'envisager pour ces communes un
régime plus adapté ? Par exemple, admettre que le pourcentage versé à l'ONF sur
toutes les ventes de bois ne porte que sur les peuplements nouveaux et non sur
ceux qui ont été plantés il y a plus de trente ans. La mise en place d'une
telle péréquation permettrait de reconnaître leur travail.
Par ailleurs, il serait judicieux d'étendre la compensation fiscale décidée
par l'Etat en faveur des communes pour la perte de recettes porvenant de la
taxe sur le foncier non bâti sur dix ans, soit la durée du plan de
reboissement. Cette mesure est très attendue et nous souhaiterons connaître
votre intention à ce sujet.
Je conclurai mon propos sur la faculté, enfin reconnue aux forestiers, de
déduire de leurs revenus les charges exceptionnelles liées à la tempête.
Promise le 12 janvier 2000 par M. le Premier ministre, cette mesure n'a été
validée que dernièrement. Proposée et adoptée à plusieurs reprises par notre
assemblée, elle avait été systématiquement repoussée au motif qu'elle était
censée « avantager les plus fortunés et encourager l'évasion fiscale ».
Il est heureux que le Gouvernement n'ait pas persévéré dans cette voie. Les
forestiers n'auraient pas compris.
En Aquitaine, en effet, 95 % des propriétaires possèdent moins de 25 hectares
et leur patrimoine, de faible rapport en temps normal, ne sera pas productif
avant vingt ou trente ans.
Cette mesure était donc incontournable. Elle conforte les efforts de
reconstruction des massifs. Je regrette toutefois que cette mesure fiscale soit
inopérante pour les propriétaires les plus sinistrés, donc privés de revenus
et, par conséquent, de la faculté de déduire les surcoûts d'exploitation.
Ainsi, monsieur le ministre, comme l'ont bien dit nos deux rapporteurs,
Philippe François et Roland du Luart, pour une gestion durable, il faut des
moyens et un financement durables. C'est la clef du succès de la politique
forestière souhaitée par tous, une politique qui doit prendre en compte tous
les différents régimes de la forêt française. Or, à cet égard, beaucoup reste à
faire.
Alors, espérons que le chemin sera parcouru ensemble, sauf à voir promulgué un
texte qui resterait inappliqué parce qu'inapplicable sur la majeure partie du
territoire forestier.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Après la voix du Médoc, celle de l'Entre-Deux-Mers : la parole est à M.
Dussaut.
(Sourires.)
M. Bernard Dussaut.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dernière
grande loi sur la forêt remonte à 1985. Ce projet de loi d'orientation était
donc très attendu et, après la déception qui a été la nôtre de ne pas pouvoir
l'examiner le 23 janvier dernier pour les raisons que vous savez, les choses
avancent finalement.
Au travers des objectifs affichés, il réaffirme les trois vocations de la
forêt : d'abord, une vocation économique, en favorisant la compétitivité de la
filière bois, en comprenant la production du bois comme valorisation économique
du patrimoine forestier ; ensuite, une vocation environnementale, en inscrivant
la politique forestière dans la gestion des territoires, en renforçant la
protection des écosystèmes forestiers ou naturels pour un développement durable
de la forêt, en luttant ainsi, notamment, contre l'effet de serre ; enfin, une
vocation sociale, comme l'accueil du public en forêt.
Ce texte propose de grandes avancées dans la conception même de la gestion de
la forêt, avec une approche territoriale et contractuelle dans le cadre de
chartes de territoires forestiers qui définiront des programmes d'actions
pluriannuels.
C'est donc un texte qui consacre la multifonctionnalité de la forêt française,
en respectant les engagements internationaux pris à Rio.
En bouleversant la dynamique de croissance dans laquelle se trouvait la
filière bois, la tempête de décembre 1999, par les dégâts et la détresse
qu'elle a provoqués, a confirmé le bien-fondé des axes qui avaient été définis
antérieurement, les rôles de chacun devant être précisés, les droits des
gestionnaires comme les devoirs des utilisateurs.
Elu du département de la Gironde, j'ai à coeur, vous vous en doutez, de mettre
en avant les situations particulières auxquelles sont confrontés les
professionnels de la filière bois de mon département.
Monsieur le ministre, ainsi que vous l'aviez très judicieusement souligné à
l'Assemblée nationale au mois de juin dernier, nous sommes face au décalage qui
nous a été imposé en décembre 1999 par la tempête entre une logique à long
terme de gestion durable de la forêt et des exigences à court terme dans les
régions sinistrées où demeurent encore des situations difficiles.
Le massif aquitain représente 1 800 000 hectares et constitue la plus grande
forêt d'Europe : il s'agit d'une immense ressource qui génère 30 000 emplois et
qui représente le cinquième de la récolte nationale du bois. C'est vous dire
l'étendue des conséquences qu'entraîne immanquablement une perturbation de cet
équilibre : elles sont ressenties sur les plans tant économique que social et
écologique.
Les mesures gouvernementales ont été très importantes, et la gestion française
a permis de maîtriser les conséquences les plus graves de la tempête. Mais,
aujourd'hui, les dégâts constatés sont encore plus importants que ne le
laissaient supposer les estimations initiales.
Une vraie mobilisation de l'administration a été nécessaire, et il convient de
saluer l'engagement de chacun. Il faut rester vigilant : les dossiers à traiter
sont encore nombreux et cela demande un personnel constamment disponible.
Cependant, en Aquitaine, la situation des petits propriétaires forestiers
demeure très préoccupante.
On peut comprendre la difficulté pour les pouvoirs publics d'indemniser tous
les biens assurables non assurés et le choix clairement affirmé du soutien à
l'économie. Mais ces petits propriétaires sont souvent des retraités qui ont
acheté pour se constituer un petit capital et qui n'ont désormais plus rien. En
effet, seulement moins de 1 % des propriétaires forestiers - et ce sont les
plus aisés -, étaient assurés, étant donné le coût élevé des primes. C'est vers
les sylviculteurs aux revenus limités et vers les communes forestières très
sinistrées qu'un geste reste à faire, un geste de solidarité nationale.
Il convient également de noter que, là où il y avait des regroupements, les
propriétaires forestiers s'en sont beaucoup mieux sortis. Cela doit nous
conduire, lors de l'examen de ce texte, à être extrêmement attentifs au grave
problème du morcellement de la forêt française, dont les conséquences sont
préjudiciables pour la profession forestière tout entière.
La valorisation des chablis par des aides à l'exploitation, au transport et au
stockage était essentielle, et je salue, là aussi, l'action du Gouvernement.
Toutefois, un renforcement des aides destinées à faciliter les expéditions de
bois par les voies maritimes reste indispensable.
D'autres chantiers sont encore ouverts. Le Gouvernement y travaille en
collaboration avec les parlementaires. Je pense notamment au plan d'épargne
pour la forêt. C'est un dossier qu'il faut faire avancer et l'amendement que le
groupe socialiste défendra à l'article 5 B va dans ce sens.
Il serait peut-être judicieux, enfin, d'étudier sérieusement le principe de la
création d'un fonds de calamité forestière, sorte de fonds d'assurance qui
couvrirait, pour la forêt, les catastrophes naturelles.
Le dernier alinéa de l'article 36 prévoit la présentation d'un rapport au
Parlement « dressant le bilan des intempéries de décembre 1999 sur les
propriétés forestières et présentant des propositions en matière d'assurance
contre les risques de chablis ». Nous espérons tous que la réflexion conduite
dans ce cadre débouchera sur des avancées significatives.
La catastrophe de décembre 1999 a mis en lumière les grandes faiblesses de
l'organisation de la forêt française, mais elle a aussi permis de confirmer le
bien-fondé de la démarche et des orientations définies par le Gouvernement à la
suite du rapport de Jean-Louis Bianco pour doter notre pays d'une grande loi
sur la forêt.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vissac.
M. Guy Vissac.
Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, ce projet de loi comporte cinq
axes, à savoir la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des
territoires, la protection des écosystèmes forestiers et naturels, la
compétitivité de la filière bois ainsi que l'organisation des institutions et
des professionnels de la forêt.
Avant d'en venir au coeur du sujet, qui a déjà été largement abordé par notre
rapporteur, Philippe François, comme par les autres intervenants, permettez-moi
d'évoquer deux conséquences des tempêtes de décembre 1999, ne serait-ce que
pour reconnaître leur incidence sur la gestion des forêts et le marché du bois,
qui s'en trouve perturbé aujourd'hui mais qui le sera encore certainement
demain si nous n'apportons aucune solution.
Le problème du transport du bois est un premier exemple.
Je l'ai signalé, à l'occasion d'une question orale adressée au ministre de
l'équipement, des transports et du logement, en me référant à l'Auvergne et au
Massif central.
L'arrivée en masse sur le marché d'une quantité de bois arraché par la tempête
a démontré la désorganisation des systèmes de transport. La Société nationale
des chemins de fer français, en particulier, n'a pu répondre à la demande,
n'étant plus équipée en matériels de transport. Or l'augmentation de
l'exploitation de la forêt qui est prévue de manière constante par la présente
loi d'orientation sur la forêt sollicitera davantage le transport.
Qui veut la fin veut les moyens. Plus de bois sur le marché, et c'est tant
mieux, appelle une politique des transports mieux étudiée quant aux règles
actuellement appliquées au fret par route, souvent pénalisantes pour les
entreprises de transport routier, et un engagement mieux affirmé par la Société
nationale des chemins de fer français de revoir sa politique commerciale en
faveur du fret sur rail. Ce volet du transport est important dans
l'organisation du marché du bois.
Autre exemple : s'il est indispensable de gérer les conséquences d'une
catastrophe naturelle, il nous appartient également - et ce n'est pas assez
souligné - de conduire au plus haut niveau une réflexion sur les phénomènes
météorologiques exceptionnels, afin de savoir quels sont les risques de les
voir se reproduire, et à quelle échéance. Il convient, en particulier, comme
l'a souligné Jean Charroppin, député du Jura, de saisir l'office parlementaire
des choix scientifiques et technologiques de cette question.
On peut objecter qu'on ne peut gérer l'imprévisible. Cependant, deux tempêtes,
celle de 1982 et celle de 1999, donnent des indications précieuses que relèvent
les scientifiques : ne peuvent-elles pas servir, sur les plans technique et
météorologique, à la gestion des paysages et des reliefs ?
Malgré les inquiétudes que ressentent nombre de propriétaires forestiers
victimes de la tempête et auxquels l'Etat laisse espérer une indemnisation
annoncée mais qui n'est pas totalement servie, je suis satisfait de voir que la
forêt est, en ce début de millinaire, à l'honneur. Il était temps ! Il s'agit,
comme l'avait affirmé Jean-Louis Bianco, « d'une chance pour la France » ;
j'ajouterai que c'est un formidable atout écologique, social et économique. Ce
sont quelque 4 millions de propriétaires forestiers qui sont concernés, et ce,
pour 15 millions d'hectares en métropole, soit plus d'un quart du
territoire.
Enjeu écologique, social, économique, certes, mais aussi enjeu humain : huit
Français sur dix vont chaque année en forêt ; celle-ci représente pour eux un
lieu de détente, de ressourcement et de retrouvailles si nécessaires avec un
univers naturel multiséculaire qu'il nous appartient de préserver et d'enrichir
pour ceux qui viendront après nous.
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, une loi d'orientation, c'est tout
d'abord une vision prospective, un projet à long terme qui s'inscrit dans le
droit imprescriptible des générations futures.
Certes, la forêt, c'est du bois, mais c'est aussi un recours, un refuge, un
sanctuaire naturel. Selon les enquêtes d'opinion, la forêt est aujourd'hui
perçue, de façon très majoritaire, comme un espace de nature indispensable,
fragile, menacé au niveau mondial, et qu'il convient donc de préserver.
J'espère que cette loi d'orientation sera à la hauteur des ambitions légitimes
qu'un grand pays comme le nôtre peut nourrir vis-à-vis de sa forêt.
L'équilibre environnemental que représente la superficie entre dans la
considération de la fonction du milieu écologique. Il en est même une assurance
et un pilier pour toute politique environnementale.
La forêt, ce sont aussi et surtout les hommes et les femmes qui y travaillent.
A ce sujet, il n'est pas inutile de rappeler que les métiers du bois ne
bénéficient pas d'une image valorisante, ce qui provoque, dans le cycle
secondaire de l'enseignement, des difficultés pour attirer des jeunes en CAP ou
en BEP. Les formations pour adultes sont alors privilégiées par défaut.
Même dans l'enseignement supérieur, en dépit de taux de placement non
négligeables, les écoles éprouvent des difficultés de recrutement. La tendance
actuelle est plutôt aux métiers perçus comme « environnementaux », qui attirent
de nombreux candidats ; je pense en particulier au brevet de technicien
supérieur de gestion forestière.
Il me paraît important que la discussion que nous commençons aujourd'hui
aboutisse à une véritable promotion des métiers du bois par des termes
favorisant la formation pour les adultes. Si le projet de loi prévoit des
dispositions relatives à la qualification professionnelle requise pour les
travaux d'exploitation de bois, il omet d'aborder la question de la formation
professionnelle et, plus largement, celle de l'enseignement dans l'ensemble de
la filière.
S'agissant de l'exploitant forestier et de l'entrepreneur de travaux
forestiers, je vous rappelle que, parmi les principales recommandations du
rapport Bianco, figuraient l'établissement d'un statut de l'exploitation
forestière - conditions d'entrée dans la profession, capacité professionnelle,
diminution du taux des cotisations accident du travail - et le renforcement de
la lutte contre le travail illégal. Il ne faudrait pas que ces louables
intentions restent sans lendemain !
D'autres professions de la filière doivent s'organiser et s'affirmer afin de
répondre objectivement à l'ambition du développement forestier et du marché du
bois face à la concurrence étrangère, souvent plus performante parce que mieux
structurée. Entrent dans ce cadre la modernisation de l'appareil de production
et les conditions de gestion. Je citerai un exemple de référence en la matière
: l'expertise foncière agricole et forestière, traitée à l'article 34 du projet
de loi, avec la création d'un conseil national, à l'égard duquel la profession
a des attentes justifiées.
Le projet de loi, outre qu'il s'intéresse à l'amélioration des conditions de
gestion durable des forêts, met l'accent sur la compétitivité de l'ensemble de
la filière bois.
Monsieur le ministre, la France a accumulé un retard certain en la matière. La
tempête de décembre 1999 a démontré le manque d'organisation de certaines
professions, qui ne peuvent plus négliger les contraintes d'une organisation
rationnelle de la gestion forestière.
La France, par la surface de ses forêts, qui représentent 14,5 millions
d'hectares, occupe le troisième rang des pays de l'Union européenne, après la
Finlande et la Suède. Chaque année, la forêt française s'accroît de 30 000
hectares. Avec 47 millions de mètres cubes, la récolte est inférieure à la
production naturelle, qui progresse de 85 millions de mètres cubes par an.
Ce projet de loi ne doit pas être celui des occasions manquées : gardons à
l'esprit que 100 000 emplois peuvent être créés en quelques années en milieu
rural, dans la production, la gestion des forêts, les industries du bois, la
protection des espaces naturels, le tourisme vert et les loisirs. La forêt a
toute sa place dans la lutte contre le chômage, ainsi que l'a démontré le
rapport Bianco.
J'en veux pour exemple le bâtiment, qui constitue de loin le marché le plus
important. Or, dans ce secteur, la part du bois diminue : celui-ci ne
représente que 10 % de la valeur des matériaux utilisés. Il est à déplorer que
la part de marché du bois dans la construction soit plus faible en France que
dans d'autres pays européens, que ce soient l'Allemagne, la Hollande ou les
pays scandinaves.
Il me paraît important de tout faire pour élargir la part du bois dans les
constructions en la portant, comme le recommande le rapport Bianco, de 10 % à
25 %. Il faudra, pour atteindre cet objectif, mener en la matière une politique
volontariste qui passe par la mise en place, en particulier sur le marché de la
construction, d'un véritable « plan bois construction », d'ailleurs également
préconisé par le rapport Bianco.
Je conclurai en rappelant, comme certains intervenants l'ont fait avant moi,
que notre pays consacre au secteur de la forêt quatre à dix fois moins d'argent
public que certains pays européens comparables. Sans moyens adéquats, les
mesures envisagées seront suspendues à un éventuel financement ultérieur. Les
acteurs de la forêt ont besoin d'assurances claires et précises sur ce
point.
Je vous rappelle que, dans les secteurs du sciage et de la transformation, la
profession demande la création d'une provision pour investissement, alors même
que le Gouvernement avait, en 1998, supprimé la provision pour fluctuation des
cours.
Si je n'ai pu que me féliciter, au début de mon intervention, de l'adoption
prochaine d'une loi tant attendue sur la forêt, vous me permettrez d'insister,
pour les déplorer, sur l'incertitude qui pèse sur l'attribution des moyens
financiers et sur les graves lacunes de ce texte en ce qui concerne la
formation professionnelle ou, plus largement, l'enseignement dans l'ensemble de
la filière.
L'organisation de la filière et un important plan de développement
d'utilisation du bois sont indispensables à une application réussie de la
future loi d'orientation.
Donnons au texte plus de souffle afin que ce secteur si important sur les
plans tant économique et social qu'écologique aborde le millénaire à venir dans
les meilleures conditions, en étant à la hauteur de ses ambitions.
La forêt française représente un atout incontestable pour la richesse
nationale, une valeur de gestion durable, un centre d'intérêt et d'activités,
notamment dans nos pays ruraux. Elle offre d'importantes possibilités pour le
développement et l'aménagement du territoire.
Je souhaite que cette loi d'orientation donne à l'ensemble de la filière les
moyens de sa légitime ambition de progrès.
Enfin, monsieur le ministre, afin de marquer l'égard que le Gouvernement et la
France ont pour le secteur économique de la forêt et du bois, ne serait-il pas
opportun, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, d'ajouter à vos
missions celle de la forêt, pour que vous deveniez vraiment le ministre chargé
de l'agriculture, de la pêche et de la forêt ? Ce serait un signe d'intérêt
remarqué.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Vous parlez de mon titre ? Car
la forêt fait déjà partie de mes missions !
M. Guy Vissac.
Je parle de vos missions !
Merci, monsieur le ministre de l'agriculture, de la pêche et de la forêt.
(Applaudissements sur les travées RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux.
Monsieur le ministre, j'en suis vraiment navré, mais, pour la quatorzième
fois, vous allez entendre un orateur vous rappeler qu'il y a déjà près d'un an
et demi que la forêt française a connu la plus forte tempête de son histoire ;
je n'ai pas l'impression de vous apprendre grand-chose, mais je souhaitais le
souligner ici !
Certes, les élections ont retardé d'un bon mois la discussion du projet de loi
d'orientation sur la forêt. Mais je regrette tout de même amèrement qu'un sujet
aussi important ait attendu aussi longtemps.
De mémoire d'administration des eaux et forêts, c'est-à-dire depuis 1824, il
n'existe pas de précédent de tempête aussi violente ni aussi étendue. Pour
l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, la forêt française n'a jamais connu de
telle catastrophe depuis le xviie siècle.
Dans ce contexte exceptionnel, la première question qui se pose à un élu comme
moi, face à ce projet de loi, c'est : pourquoi si tard ?
Le Gouvernement affirme que les forêts sont au centre de ses préoccupations.
Pourtant, il aura fallu dix mois pour que le projet de loi arrive de
l'Assemblée nationale au Sénat. Permettez-moi tout de même de vous interroger,
monsieur le ministre, sur votre capacité à le faire adopter avant la fin de
2001 !
Nous regrettons que vous n'ayez pas mis vos paroles en concordance avec vos
actes et que vous n'ayez pas clairement indiqué vos priorités.
Une deuxième question me vient immédiatement à l'esprit : pourquoi si peu ?
C'est bien la question des moyens mis en oeuvre pour faire face à la tempête !
Ce projet de loi d'orientation ne comporte pas le moindre mot sur les
conséquences des ouragans Lothar et Martin sur les forêts françaises. Pourtant,
les rapports sur ce sujet n'ont pas manqué : du rapport Birot au rapport
Sanson, l'administration n'a pas chômé dans les études et dans les propositions
!
On aurait cependant préféré qu'elle mobilisât toute son énergie pour mettre en
oeuvre les mesures annoncées. Hélas, cela n'a pas été le cas.
Il est tout de même incroyable, monsieur le ministre, que M. le Premier
ministre ait été obligé de reconnaître un oubli dans une instruction fiscale
visant à faire bénéficier d'une déduction des revenus professionnels les
charges liées à la tempête de décembre 1999 non couvertes par les assurances.
Annoncée pourtant le 12 janvier 2000, cette déduction avait tout simplement été
oubliée. Elle n'avait jamais vu le jour !
Il est grand temps de mettre au pas vos administrations, tout particulièrement
la forteresse Bercy, qui, à force, pourrait bien devenir la prochaine Bastille
!
On peut aussi citer les exploits de la SNCF, qui n'a pas été capable de mettre
à disposition suffisamment de wagons, mais qui a bien su profiter, malgré tout,
de cette bonne occasion pour pratiquer honteusement des hausses de tarif sur
les transports de grumes. Avouez tout de même qu'il ne s'agissait pas là d'une
décision d'une extrême élégance !
Votre projet de loi d'orientation, monsieur le ministre, renvoie les moyens
financiers à des textes ultérieurs, ce qui est normal. Pourtant, ce n'est pas
rassurant face à une administration qui semble n'en faire qu'à sa tête, ou
plutôt à la tête du client...
(Sourires.)
Les sénateurs seront vigilants à l'application des lois votées. Nous attendons
de vous des engagements et des délais de mise en oeuvre. Faute de quoi, le
cimetière des lois inappliquées, ô combien rempli, pourrait bien s'élargir
encore, lui aussi, à la loi sur la forêt !
Mais revenons au coeur de ce projet de loi d'orientation. Il comporte cinq
axes : la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des territoires, la
protection des écosystèmes, la compétitivité de la filière bois et, enfin,
l'organisation des institutions sylvicoles, tout particulièrement de l'Office
national des forêts. Notre excellent rapporteur et ami, Philippe François, en a
fait une remarquable analyse dont il convient de le féliciter.
M. Philippe François,
rapporteur.
Merci !
M. Bernard Barraux.
L'un des mérites de cette loi est celui de la clarification. On ne se rendait
pas compte du fouillis que pouvaient être la législation et la réglementation :
sept ou huit codes, de nombreuses lois. En ce domaine, le législateur fait
oeuvre utile pour que nous puissions, enfin, y voir un peu plus clair. Plus
accessible, la loi d'orientation sera, je l'espère, un outil au service des
citoyens et de leurs aspirations économiques, sociales et environnementales.
A cet égard, je souhaiterais insister sur la sensibilité de la société
française aux questions forestières. Avec la tempête, les Français ont exprimé
leur solidarité par leur soutien à de nombreuses initiatives et en apportant
leur obole à la reconstitution à venir des forêts. Dans les sondages, plus de
90 % des Français déclarent leur fort attachement à leur forêt. Plus d'un tiers
d'entre eux s'y rendent plusieurs fois par mois. La réduction du temps de
travail, l'accroissement du nombre de retraités, les besoins des Français en
espaces naturels, vont certainement accroître leur présence au coeur des
forêts.
Le besoin de nature, de forêt, doit aussi se traduire par plus de
responsabilité, de participation et d'information, tout particulièrement dans
les forêts publiques. La mise en place de comités d'usagers de la forêt
publique favoriserait la concertation, lèverait les suspicions et, surtout,
responsabiliserait davantage nos concitoyens.
Plus de respect pour la nature, plus de compréhension entre les utilisateurs
des espaces naturels grâce à des structures de concertation : c'est une
démocratie de proximité qu'il convient de favoriser !
Pour ma part, je souhaite insister sur quelques points peu ou mal pris en
compte dans le présent projet de loi.
Premièrement, il faut reconnaître et valoriser la forêt publique.
En reconnaissant l'apport de la sylviculture au développement durable, le
projet de loi vise à faire contribuer l'ensemble des forêts, publiques et
privées, à l'intérêt général. Cependant, il m'apparaît utile de reconnaître et
de valoriser de façon distincte les forêts publiques, tout particulièrement les
forêts communales. Jean-Richard Delong, président de la Fédération nationale
des communes forestières de France, la FNCOFOR, a présenté un amendement en ce
sens que je soutiendrai.
Les forêts communales sont en effet soumises par le code forestier, depuis
1827, à des contraintes spécifiques. Elles ont des obligations d'intérêt
général qui, d'ailleurs, ne sont pas toujours - ou pas suffisamment - financées
par la puissance publique. Elles ont pris une place importante en matière
d'accueil du public et de protection des milieux remarquables. Elles sont aussi
un laboratoire pour la gestion durable et pour la biodiversité.
C'est pourquoi le régime forestier, que nous sommes en train de rénover, doit
reconnaître les spécificités des forêts publiques.
Deuxièmement, il faut inscrire la forêt dans la gestion des territoires.
Le projet de loi, et c'est une bonne chose, ancre la politique forestière à
l'échelon local en proposant un cadre à la création de chartes de territoires
forestiers. C'est un outil au service du développement local et de l'emploi.
Tout projet de ce type doit s'articuler autour d'une identité - en
l'occurrence, d'une identité liée à la forêt -, d'un objectif commun avec un
animateur du développement. Cependant, l'Etat doit assumer ses responsabilités
financières et réglementaires. Il doit ouvrir des pistes au développement
local, mais il ne doit pas gêner les initiatives. Il ne doit surtout pas
reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre, selon sa si fâcheuse, si
vieille et si fréquente habitude.
Troisièmement, il faut financer la forêt publique de manière durable.
Les tempêtes ont fragilisé le financement de la forêt publique. Alors que les
charges d'exploitation se sont accrues, les recettes stagnent - peut-être même
diminueront-elles dans l'avenir - en raison d'un affaiblissement des capacités
de production et de la valeur patrimoniale des forêts. L'ONF ne pourra plus
dégager en forêt domaniale les excédents qui permettaient de financer les
missions d'intérêt général et de développement durable, tout particulièrement
dans les forêts des collectivités. Certains chiffres ont été avancés qui
évaluent les besoins de financement à environ 200 millions de francs par an
pendant dix ans.
L'Etat doit, au service de la forêt française, faire son devoir en mettant en
oeuvre des mécanismes durables de financement par le biais, pourquoi pas,
d'écotaxes qui - mieux que dans d'autres cas, censurés par le Conseil
constitutionnel - seraient ici parfaitement justifiées.
Mais, là aussi, le Gouvernement devra s'affranchir de sa bureaucratie
budgétaire. Et pourquoi ne pourrions-nous pas rêver en imaginant qu'il puisse,
un jour, innover en faveur d'une grande cause nationale et rompre avec la
sacro-sainte annualité des financements publics ?
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
débattons, ce soir, du projet de loi d'orientation sur la forêt, dont la
discussion a malheureusement été repoussée, alors même que l'élaboration de ce
texte avait suscité une grande attente auprès de nos concitoyens.
L'espace boisé recouvre, ne l'oublions pas, plus de 25 % du territoire
national. Nos concitoyens sont extrêmement attachés à leur forêt. En effet,
selon une étude réalisée par la SOFRES le 29 novembre 2000 pour La collective
du bois et de la forêt, 91 % des Français déclarent aimer les espaces
boisés.
Cet attachement se caractérise d'ailleurs par le fait que plus de trois
millions et demi de Français sont propriétaires d'un bois, la forêt privée
française représentant plus de 10 millions d'hectares, soit les deux tiers de
la surface forestière.
La forêt est perçue comme un espace de ressourcement, notamment par les
urbains.
Or si nous pouvons nous féliciter d'une forte expansion des surfaces
forestières au cours des deux derniers siècles, la politique forestière de la
France doit être en mesure d'aider les acteurs de ce secteur à relever les
principaux défis identifiés, notamment dans le rapport que Jean-Louis Bianco a
publié dernièrement.
Nous devons, en effet, être en mesure d'avoir une gestion durable d'une forêt
nécessairement multifonctionnelle, dont la valorisation est un élément
essentiel du dévelopement rural, dès lors qu'elle est de nature à créer de
nombreux emplois et à renforcer un secteur économique qu'il est important et
urgent de rendre plus dynamique et performant.
Le projet de loi d'orientation présenté par le Gouvernement répond à ces
objectifs, en privilégiant, dans ses dispositions, le développement d'une
gestion durable et diversifiée de la forêt, la compétitivité de la filière
forêt-bois, l'inscription de la politique forestière dans la gestion des
territoires, le renforcement de la protection des écosystèmes forestiers ou
naturels et, enfin, une meilleure organisation des institutions et des
professions relatives à ces espaces nécessaires à la qualité de vie de nos
concitoyens.
Une véritable politique forestière implique une approche de la forêt dans
l'ensemble de ses fonctions écologiques, économiques, sociales et
culturelles.
Nous ne pouvons donc qu'adhérer à la volonté du Gouvernement de réaffirmer
l'interministérialité des dossiers forestiers, en favorisant l'appréhension des
questions relatives à la forêt par les autres politiques publiques, qu'elles
soient nationales ou communautaires.
Par exemple, l'importance du rôle des forêts et des bois dans la préservation
des écosystèmes, et notamment dans la gestion de l'eau et la prévention des
crues, nécessite une approche globale des politiques. Il s'agit là d'un point
extrêmement important et d'actualité.
Aussi, le projet de loi vise à ce que le document de gestion devienne, pour
les propriétaires forestiers, un outil intégrant toutes les dispositions
législatives qui concourent à la protection de la biodiversité et des
paysages.
De même, ce projet de loi s'attache à faciliter les incitations financières
afin de développer la contractualisation avec les propriétaires, répondant
ainsi aux intérêts généraux dans les domaines environnementaux, économiques ou
sociaux. Par ailleurs, il tend à favoriser l'accueil du public et les
régénérations naturelles.
Une telle méthode permet, en effet, d'appréhender au mieux les spécificités
locales, car il existe non pas une forêt mais des forêts.
Cette volonté est d'ailleurs renforcée par le quatrième volet du projet de
loi, relatif à la protection des écosystèmes forestiers ou naturels, dont les
dispositions ont notamment pour objet de renforcer la prise en compte des
spécificités écologiques et environnementales dans la gestion forestière
courante.
La compétitivité de la filière forêt-bois constitue le second axe de ce projet
de loi.
Le respect de la forêt nous oblige en effet à beaucoup d'attention, afin que
le fonctionnement harmonieux de l'écosystème forestier ne soit pas perturbé.
L'exploitation du bois, loin d'être incompatible avec le respect de la forêt,
contribue justement, dès lors qu'elle est raisonnable, à assurer la vitalité et
le renouvellement de la surface forestière.
L'adoption des dispositions présentées par le Gouvernement et enrichies par le
débat parlementaire permettra de pérenniser cette filière économique, afin que
celle-ci conserve sa compétitivité sur des marchés devenus mondiaux et résiste
à la concurrence d'autres matériaux n'égalant pas la qualité environnementale
du bois.
Il convient, par ailleurs, de souligner que le projet de loi a pour objet de
faire de la certification un des outils de cette stratégie.
Les professionnels l'ont d'ailleurs bien compris puisque de nombreuses
régions, anticipant l'adoption du projet de loi, ont créé des associations de
certification.
Ainsi, sur l'initiative des principaux acteurs et partenaires de la filière
forêt-bois du Languedoc-Roussillon, l'association de certification forestière
pour le Languedoc-Roussillon a été créée le 28 novembre 2000.
A cet égard, il me paraît intéressant et utile, compte tenu de l'image que
nous avons bien souvent du midi de la France, de citer quelques chiffres
démontrant l'importance surprenante du patrimoine forestier en
Languedoc-Roussillon, notamment dans le département de l'Hérault. Il s'agit de
statistiques datant de 1996 et qui émanent des services de l'Inventaire
forestier. En Languedoc-Roussillon, on dénombre 974 522 hectares de forêt, dont
910 708 hectares en production, ce qui représente un taux de boisement de 35,1
%. Dans l'Hérault, on compte 203 202 hectares de forêt, dont 191 043 hectares
en production, soit un taux de boisement de 32 %.
Le projet de loi vise, en effet, à mieux organiser les institutions et les
professions relatives à la forêt, par une valorisation des formations et une
amélioration du dialogue entre les différentes organisations et
administrations. Une meilleure organisation des femmes et des hommes intéressés
par ce secteur constituera très certainement l'atout majeur de cette
filière.
Enfin, le projet de loi présenté tend à inscrire la politique forestière dans
la gestion des territoires.
Les caractéristiques des forêts sont en effet modelées par l'écosystème local
et l'utilisation économique de la forêt, qu'il s'agisse du tourisme ou de la
filière bois.
Ainsi, le projet de loi retient le cadre du territoire pour l'élaboration des
procédures afférentes à la gestion des forêts afin de mieux prendre en compte,
une nouvelle fois, la forêt dans sa complexité.
De cette manière, la défense des forêts contre l'incendie s'appuiera sur
l'analyse des interfaces entre zones urbaines et zones rurales, qui jouent un
rôle crucial dans la prévention et la lutte contre le feu. A cet égard,
l'expérience acquise par les conseillers généraux, siégeant au conseil
d'administration de l'entente interdépartementale pour la protection de la
forêt méditerranéenne, sera extrêmement précieuse.
De même, la prévention des risques naturels en montagne sera renforcée par une
meilleure coordination de la politique forestière avec le développement
économique et touristique qui accentue la fragilité des milieux naturels.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, définit une approche qui, tout en
s'appuyant sur l'expérience passée, offre les outils nécessaires à l'évolution
contrôlée de la forêt française. Nous le voterons donc avec le réalisme, le
pragmatisme et l'enthousiasme qui nous caractérisent. Oui, comme l'écrivait M.
Jean-Louis Bianco, en conclusion du rapport qu'il a remis au Premier ministre
en août 1998, « La forêt représente une formidable chance pour la France, une
chance pour la variété et la beauté de nos paysages, pour la préservation des
milieux et des espèces. C'est une réserve de nature où chacun, pris dans le
tourbillon du monde, peut retrouver le sens des vraies richesses. »
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Gaillard applaudit
également.)
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
12
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la loi n° 85-99
du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires
judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic
d'entreprise.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 243, distribué et renvoyé à la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
13
DÉPO^T DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de Mme Danièle Pourtaud et des membres du groupe socialiste et
apparentés une proposition de loi tendant à prévoir un barème de rémunération
équitable applicable aux discothèques et activités similaires.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 244, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
J'ai reçu de Mme Danièle Pourtaud et des membres du groupe socialiste et
apparentés une proposition de loi modifiant le code de la propriété
intellectuelle et tendant à prévoir une rémunération pour la copie privée
numérique.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 245, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
J'ai reçu de MM. Serge Mathieu et Jean Boyer une proposition de loi visant à
restaurer la spécialité de gynécologie médicale.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 249, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle
d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
14
TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la protection du patrimoine.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 246, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
15
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre de la Commission européenne du 15 mars 2001 relative à une demande de
dérogation présentée par l'Espagne conformément à l'article 27, paragraphe 2,
de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière de TVA (régime
spécial applicable à l'or d'investissement).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1705 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre de la Commission européenne du 15 mars 2001 relative à une demande de
dérogation présentée par la Belgique conformément à l'article 8, paragraphe 4
de la directive 92/81/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant
l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales
(essence sans plomb/gasoil/essences) : lettre de la Commission aux Etats
membres.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1706 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Recommandation de la Banque centrale européenne du 1er mars 2001 pour un
règlement du Conseil relatif à une modification du règlement (CE) n° 2531/98 du
Conseil du 23 novembre 1998 concernant l'application de réserves obligatoires
par la Banque centrale européenne.
Ce texte sera imprimé sous le n° 1707 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil rectifiant le règlement (CE) n° 2201/96
portant organisation commune des marchés dans les secteurs des produits
transformés à base de fruits et légumes.
Ce texte sera imprimé sous le n° 1708 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord
intérimaire entre la Communauté européenne, d'une part, et l'ancienne
République yougoslave de Macédonie, d'autre part.
Ce texte sera imprimé sous le n° 1709 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre de la Commission européenne du 2 février 2001 relative à une demande
de dérogation présentée par l'Allemagne en application de l'article 30 de la
sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière de TVA (construction
d'un pont frontalier).
Ce texte sera imprimé sous le n° 1710 et distribué.
16
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Michel Souplet un rapport fait au nom de la commission des
affaires économiques et du Plan, sur la proposition de résolution (n° 84,
2000-2001) présentée en application de l'article 73
bis
du règlement par
M. Jean Bizet sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation
des marchés dans le secteur du sucre (n° E-1585).
Le rapport sera imprimé sous le n° 247 et distribué.
17
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de MM. Jean Huchon, Jacques Bellanger, Gérard Cornu, Jean-Paul
Emorine, Bernard Joly, Pierre Lefebvre et Michel Souplet un rapport
d'information fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan
à la suite d'une mission effectuée en Malaisie et à Singapour afin d'étudier
l'évolution des relations économiques et commerciales de ces pays avec la
France.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 248 et distribué.
18
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée à aujourd'hui, mercredi 4 avril 2001, à dix heures, à quinze heures et le
soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000), adopté par
l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt.
Rapport (n° 191, 2000-2001) de M. Philippe François, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 190, 2000-2001) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission
des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la
nation.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus
recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 4 avril 2001, à zéro heure cinquante.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION PERMANENTE
Dans sa séance du mardi 3 avril 2001, le Sénat a nommé M. Jean-Yves Mano membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées , en remplacement de M. Bertrand Delanoë, démissionnaire de son mandat de sénateur.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Paul Girod a été nommé rapporteur du projet de loi organique n° 241
(2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique
relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de
conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire.
M. Paul Girod a été nommé rapporteur du projet de loi n° 239 (2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme
des tribunaux de commerce.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Organisation des secours
1047.
- 3 avril 2001. -
M. Jean-Jacques Hyest
rappelle à
M. le ministre de l'intérieur
que les secours départementaux d'incendie et de secours sont de plus en plus
sollicités pour des interventions dites de « secours à personnes ». En effet,
si le nombre d'interventions en matière de lutte contre l'incendie ou
d'accidents de circulation est relativement stable, les secours à personnes
connaissent une croissance non contrôlée de l'activité opérationnelle des
sapeurs-pompiers. C'est ainsi qu'en Seine-et-Marne, ce type d'intervention a
connu une croissance de près de 50 % en cinq ans. Il apparaît que les usagers
font de plus en plus appel aux sapeurs-pompiers pour les interventions ne
relevant pas strictement de la notion de secours, en raison de la faiblesse des
moyens des services médicaux d'urgence, de leur indisponibilité fréquente et
aussi de la gratuité des secours. La restructuration de certains centres
hospitaliers risque d'aggraver cette situation, dans la mesure où les équipages
seront amenés à transporter des victimes à des distances de plus en plus
éloignées. Pour l'an 2000, l'évaluation du surcoût de ces interventions a pu
être établie en Seine-et-Marne à plus de 30 millions de francs. S'il est
impossible pour les sapeurs-pompiers de refuser les interventions, il serait
normal que, comme pour les interventions des services médicaux d'urgence et de
réanimation (SMUR) ou des ambulanciers privés, les services départementaux
d'incendie et de secours (SDIS) soient remboursés au titre de l'assurance
maladie du coût de ces interventions, d'autant qu'ils ont été amenés à se doter
de services médicaux de plus en plus importants pour faire face à cette
situation. En conséquence, il lui demande de bien vouloir préciser les mesures
qu'il compte prendre pour faire face à cette situation inquiétante pour
l'équilibre des budgets des SDIS.
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du mardi 3 avril 2001
SCRUTIN (n° 45)
sur l'amendement n° 1, présenté par M. Philippe Marini au nom de la commission
des finances, à l'article unique du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, portant création d'une prime pour
l'emploi (bénéfice du crédit d'impôt au titre des revenus de 2000).
Nombre de votants : | 318 |
Nombre de suffrages exprimés : | 318 |
Pour : | 219 |
Contre : | 99 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Contre :
17.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour :
18.
Contre :
5. _ MM. Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Gérard
Delfau et François Fortassin.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Pour :
97.
N'ont pas pris part au vote :
2. _ M. Christian Poncelet, président du
Sénat, et M. Jacques Valade, qui présidait la séance.
GROUPE SOCIALISTE (77) :
Contre :
77.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (51) :
Pour :
51.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :
Pour :
46.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :
Pour :
7.
Ont voté pour
Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Laurent Béteille
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Pierre Guichard
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Alain Hethener
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Max Marest
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Ont voté contre
Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Yolande Boyer
Robert Bret
Claire-Lise Campion
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
François Fortassin
Thierry Foucaud
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Jean-Yves Mano
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Roland Muzeau
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber
N'ont pas pris part au vote
M. Christian Poncelet, président du Sénat, et M. Jacques Valade, qui présidait
la séance.
Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : | 319 |
Nombre des suffrages exprimés | 319 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 160 |
Pour : | 220 |
Contre : | 99 |
Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.